les enjeux de l`evolution des comportements de reponse au

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les enjeux de l`evolution des comportements de reponse au
LES ENJEUX DE L’EVOLUTION DES COMPORTEMENTS
DE REPONSE AU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Rapport rédigé par des étudiants de l’École Nationale d’Administration (ENA)
française, pour le numéro 75 de la revue Liaison Énergie-Francophonie (2007)
www.iepf.org/ressources/lef.php
Mme Sophie COSTEDOAT, Mme Anne-Marie LE GUERN, M. Laurent GRAU, M. Hervé
HULIN, M. Jean-Michel KEHR (France), Mlle Daranee NUAMNA (Thaïlande) et M.
Erwan LECOEUR
A - Les enjeux et les contraintes
1 – La perception des enjeux
La brutalité des changements de conditions de la vie humaine à l’horizon d’une cinquantaine ou
d’une centaine d’années aura d’abord des conséquences sur les ressources alimentaires ainsi que
sur la mortalité et la morbidité d’une part importante de la population.
Les effets les plus désastreux seront souvent transmis par l’eau. Les inondations seront suivies
d’une réduction importante des approvisionnements en eau, qui touchera à terme un sixième de la
population. En outre, le déclin des récoltes, aura des conséquences directes sur la capacité de
survie, en particulier des populations africaines. Le nombre de décès liés à la chaleur va
augmenter, ainsi que les maladies vectorielles (paludisme, dengue,…).
Par ailleurs, ces changements auront de graves conséquences sur l’organisation des populations.
Elle provoquera des migrations des habitants des régions côtières subissant des inondations (au
Bangladesh, aux Pays-Bas,…). Elle entraînera immanquablement, en conséquence, des difficultés
de survie de grandes franges de la population humaine, des tensions et des conflits, en particulier
dans des régions du monde tributaires de l’eau.
Comme l’indique le rapport Stern, « les pays et les populations les plus pauvres seront les
premiers et les plus durement touchés ». Du fait d’une part de leur situation géographique, elles
subiront les plus grandes variabilités de climat, d’autre part de leur dépendance à l’agriculture,
elles auront plus de difficultés alimentaires, et enfin de leur moindre développement, leur
adaptation aux conséquences du changement climatique sera beaucoup plus difficile.
Les enjeux climatiques sont désormais établis et sont incontestables. Pour autant, la perception
que nous en avons est encore partielle et somme toute subjective.
2. La perception actuelle : les messages perçus
Les citoyens et consommateurs sont sollicités par des messages de toutes natures qui façonnent
nos représentations du monde. S’agissant du changement climatique, quels messages recevons
nous ? Quelles sollicitations nous sont adressées ? Qui s’adresse à nous ?
Les principales sollicitations viennent des médias, des politiques, des entreprises (via aussi la
publicité) et de l’enseignement scolaire.
9 Les messages des médias
En premier lieu, nous recevons le message des médias. Comme leur nom l’indique, les médias
relaient les messages des émetteurs (politiques, entreprises, …) placés en amont ; le message
des médias (surtout les médias visuels) fonctionne essentiellement sur le mode de l’analogie (une
voiture brûlée en banlieue ressemble à une voiture brûlée à Gaza). Les médias ont une influence
sur nos représentations, par les choix qu’ils font de relayer telle ou telle information.
Quels sont les messages des médias sur les questions de changement climatique ? Le souci des
médias est d’exposer de manière résumée les constats sur les effets du réchauffement climatique,
ce dont ils s’acquittent correctement. En cela, ils participent à la fois à la prise de conscience
minimale du phénomène par l’opinion publique, et à la création d’une vague ambiance
d’inquiétude pour l’avenir. Leur parole se limite à l’exposé des symptômes et des dégradations
subies.
En revanche, les médias n’ont pas pour objectif de faire comprendre les enjeux des conférences
internationales. En résumé, si les engagements de Kyoto ne sont opposables qu’aux Etats ou aux
grandes entreprises, pourquoi y associer les téléspectateurs ? En outre, les enjeux internationaux
sont complexes et s’exercent dans une logique de négociation qu’il est difficile de restituer
simplement. A fortiori, les médias ne rendent pas compte des enjeux des modifications de mode
de croissance et de développement économique que le changement climatique va induire, ou des
enjeux d’une évolution du comportement individuel.
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9 Le politique
C’est à l’occasion de la récente campagne présidentielle française que la question a été abordée
avec le plus d’impact, lorsque Nicolas Hulot a proposé la mise en place d’un pacte écologique. Il
est regrettable que ce pacte ne comporte pas d’engagement concernant la modification des
comportements individuels. Toutefois, La décision du nouveau président Nicolas Sarkozy de créer
un ministère d’Etat de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, confié à une
personnalité politique importante, devrait satisfaire les engagements du « pacte écologique ». Il
crée un espoir de voir les questions de changement climatique sérieusement prises en compte par
le gouvernement. Notons que parmi les missions confiées au ministère dans les décrets
d’attribution, figure la politique d’association des citoyens aux choix environnementaux et la
contribution à l’éducation, la formation, l’information en matière d’environnement.
A ce stade, le débat se déplace, il ne s’agit plus de discuter des causes et des preuves, mais cette
fois-ci des réponses à apporter.
Au niveau de l’Union européenne, qui tient une place essentielle en matière de conduite de la
politique de l’environnement, on peut noter une idée, émise par le député Daniel Cohn-Bendit,
consistant à créer un pacte européen de stabilité climatique sur le modèle du pacte de stabilité
économique. Si les Etats s’engageaient à respecter un tel pacte écologique avec la même vigueur
qu’ils mettent à respecter le pacte économique, l’opinion publique devrait se sentir largement
impliquée dans cette politique écologique.
9 L’entreprise
Les entreprises ont des positions différenciées, allant du discrédit de l’information sur le
changement climatique à l’adhésion. Certains groupes pétroliers font partie du premier groupe.
Exxon-Mobil par exemple, a « dépensé au moins 19 millions de dollars depuis 1997 pour financer
un réseau de dizaines d’officines d’études et de recherche afin d’introduire le doute dans les
médias et le public aux Etats-Unis sur les changements climatiques et le rôle des émissions de
gaz à effet de serre » (Le Monde, 15 février 2007, page 33). Depuis 2006, Exxon-Mobil ne
contesterait plus la réalité du réchauffement climatique et son origine humaine, mais considèrerait
que les responsables en sont non pas les compagnies pétrolières, mais les consommateurs et les
gouvernements. Il n’est pas inintéressant de noter que cette prise de position du premier groupe
pétrolier mondial renvoie directement à la question du comportement individuel.
De l’autre côté du spectre, des entreprises comme Shell (compagnie pétrolière) ou Lafarge
(ciments) se sont volontairement engagées, depuis plusieurs années, à respecter les objectifs de
Kyoto, espérant notamment en retirer une image favorable chez les consommateurs. Les
entreprises automobiles dépensent une large part de leurs efforts de recherche pour réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, les entreprises diffusent de plus en plus des publicités, en particulier télévisuelles, dans
lesquelles est mis en avant la préoccupation du développement durable. Il existe donc une réelle
préoccupation des entreprises d’afficher, au-delà de toute anticipation économique sur les
technologies « propres », l’image d’un comportement écologiquement responsable vis-à-vis du
consommateur.
9 L’éducation
Autre domaine dans lequel sont diffusés des messages : l’enseignement. L’Education Nationale
française a mis en place une instruction du 8 juillet 2004, qui renouvelle la dimension pédagogique
de l’éducation sur l’environnement en l’intégrant dans une perspective de développement durable.
Tous les élèves sont visés, dès le plus jeune âge, « pour leur permettre d’acquérir des
connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de
manière responsable ». L’effet de cet enseignement sur les élèves, en particulier ceux du primaire,
prompts à intégrer les normes, est spectaculaire dans les cercles familiaux : les enfants informent
souvent leurs parents sur les sujets d’environnement, et interviennent dans les foyers pour
développer des comportements éco-responsables. Du point de vue philosophique, leur
intervention sur ces sujets est particulièrement légitime, s’agissant des générations qui vivront les
effets du changement climatique.
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En somme, le citoyen / consommateur français, européen, est largement informé des
conséquences du changement climatique. On peut dire qu’il baigne dans un « bruit » permanent
sur ces sujets, parce qu’ils sont abordés dans tous les médias (par exemple, à la télévision, lors du
journal télévisé, de la publicité, d’émissions thématiques), dans la sphère publique (dans
l’enseignement, dans les services publics, qui reproduisent aussi ces messages) et dans la sphère
du travail (en particulier dans les grandes entreprises ou les services publics – voir la circulaire sur
l’achat des véhicules ministériels).
Toutefois, les avis discordants émis ou les sollicitations publicitaires à la demande contradictoire
neutralisent pour partie ces efforts. En outre, pour mobiliser les esprits et modifier les
comportements en profondeur, une prise de parole de nature philosophique plus directe à la
personne, qui n’existe pas aujourd’hui, serait nécessaire.
2 - Le changement de comportement est rendu difficile par les contraintes et induit
la remise en cause de certains paradigmes
1 - Les contraintes
La problématique, telle qu'elle est perçue, semble exiger une reprogrammation rapide des
modèles d’organisation politique et économique existants. Or, deux contraintes décisives se font
jour.
9 Un temps de réaction à présent limité
Ce changement de cours doit intervenir très vite alors qu’il n'y a pas de modèles déjà préconçus
vers lequel s'orienter. On connaît le système auquel renoncer, mais on ignore celui qui est à bâtir.
La question ne réside pas tant autour du principe de ce changement, qui est globalement acquis,
mais autour de sa dimension : changer de modèle de vie collective, mais jusqu'où ?
On dispose de temps pour corriger la trajectoire engagée, alors que chaque comportement de la
vie quotidienne ajoute à la dimension irréversible du problème. Il en résulte une pesante
impression de finitude et de compte à rebours. S'il est incontestable que les problèmes sont à
présent assez bien formulés (y compris d'un point de vue médiatique), les solutions commencent
tout juste à être conceptualisées pour faciliter la décision politique. Les deux dernières années ont
été marquées par une progression considérable de l'assimilation des problématiques climatiques
dans le discours politique, accélérée en France par la campagne présidentielle. Or, il ne faut pas
négliger le fait que les expertises en cours (GIEC) continuent d'évoluer, tant sur les causes que sur
l'impact du réchauffement. C'est ainsi que les objectifs de Kyoto, si difficilement tenus, s’avèrent
largement insuffisants.
9 La nécessité d’agir sur un plan mondial en tenant compte de cultures et de
stades de développement différents
Ce changement ne peut qu'être partagé et collectif. Les efforts engagés par un individu peuvent
être annihilés à l'autre bout de la planète (ou tout simplement sur le palier en face) par un autre qui
reste rétif à la démarche. En fait, il s'agit de s'approprier d'abord une démarche de restriction
(consommer moins, compter et dénombrer les unités d'énergie, surveiller ses achats et leur impact
écologique) sans que soient perceptibles à court terme les gains envisageables. On entre dans un
mode de vie où tout se décompte et plus rien n'est « gratuit ». Le seul but palpable de cette réévolution, c'est de conserver une planète viable à moyen terme (c’est-à-dire à l'échelle d'une
génération): ce n'est pas enthousiasmant comme projet de vie collective. Que faut-il donc
construire d'autre en parallèle de ces restrictions pour donner du sel et du sens à cette
reprogrammation hâtive de nos civilisations?
o A titre d’exemple, livrons quelques réflexions sur l’effet des traditions et cultures
thaïlandaises, inadaptées au changement requis.
Le poids des traditions y est déterminant :
la population pense que le réchauffement climatique ne concerne pas la Thaïlande parce
qu’on a appris à l’école que son pays était fertile et avait beaucoup de ressources naturelles et
qu’il n’était pas frappé par des catastrophes naturelles. Par conséquent, on ne pense à aucun
risque qui peut être causé par l’abus de la nature ;
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les fermiers en province brûlent les mauvaises herbes poussées dans leurs terrains sans
savoir que cela peut endommager l’environnement. Ces traditions et cultures sont difficiles à
changer.
L’ignorance est également le produit d’un relatif égoïsme :
les habitants savent que le problème de changement climatique existe mais ils l’ignorent. Ils
ne s’y intéressent que quand les médias en parlent ;
la population sait que la climatisation consomme beaucoup d’énergie et n’est pas bonne
pour l’environnement, presque tous les immeubles et maisons à Bangkok et dans les grandes
villes sont équipés de climatisation ;
malgré l’existence des transports en commun, la plupart des habitants de la capitale
préfèrent se déplacer en voiture. Il y a toujours des embouteillages à Bangkok et dans certaines
grandes villes. On souhaite parfois se déplacer en ville en vélo au lieu de prendre sa voiture mais
c’est dangereux parce que, pour l’instant, il n’y a ni la voie pour les cyclistes, ni l’endroit où on peut
garer son vélo sans se le faire voler. Les conditions ne sont donc pas réunies pour systématiser
l’usage du vélo.
2. Les éléments qui vont nécessairement être remis en cause
9 La nécessaire modération du désir inavoué de combustion
W.G. Sebald dans « De la destruction comme élément de l’histoire naturelle », rappelle que
l’homme adore la combustion depuis le commencement du monde : faire du feu, mettre le feu,
utiliser le feu, activités particulièrement mises en œuvre et en valeur depuis l’ère de la combustion
fossile, de la vapeur, du piston, de la sidérurgie lourde et du carburateur. L’ère industrielle
constitue ainsi un achèvement exceptionnel puisqu’elle déploie une activité de transformation
lourde de l’acier pour produire des véhicules et particulièrement des automobiles, elles-mêmes
unités de combustion. Le feu carbonise également des villes et suscite la fascination des
hommes : incendie criminel de Rome, accidentel de Londres (1666), de Chicago (Great Chicago
Fire, 1871)… Sans oublier que le feu et la combustion sont également l’achèvement idéal du
conflit et de la guerre : il suffit de songer aux bombes au phosphore déversées sur l’Allemagne et
provoquant des tempêtes de feu (Feuersturm), au napalm sur le Vietnam. Enfin, le tableau ne
serait pas complet sans faire référence aux rites funéraires.
En résumé, le feu et sa symbolique purificatrice caractérisent la psyché humaine. On notera que la
fascination de la combustion ne prend pas les mêmes formes dans toutes les cultures. On
constate ainsi que les sociétés dont la construction historique est intimement liée à l’émergence de
la société industrielle sont plutôt portées sur l’association « combustion-puissance » (Etats-Unis,
Union Soviétique, etc.) et la séquestration du CO2 pour maintenir les caractéristiques de cette
association. D’autres, plus portées sur leur association avec la nature, et ce en dépit d’un
développement industriel incontestable, misent sur la biomasse et le biogaz et une association
« décomposition-contrôle », théoriquement neutre en CO2.
Ces phénomènes ne sont pas secondaires alors qu’il faudra surmonter les fortes résistances qui
apparaîtront face à toute tentative de remise en cause des modèles inconscients qui associent un
mode de croissance et de vie avec un mode et une mise en scène de consommation de l’énergie.
9 Le mythe du progrès illimité se heurte aux ressources limitées d’un monde fini
Depuis le protocole de Kyoto (1997) et surtout depuis les manifestations incontestables du
réchauffement, la perception de la menace est devenue vive et exige désormais une remise en
cause de nos façons de vivre. Or, nous ne sommes pas habitués à des débats sur notre mode de
vie, et peu enclins à en inventer brutalement d'autres alors que celui que nous avons construit était
censé être durablement viable, et un modèle jugé exemplaire il y a deux décennies seulement.
De façon générale, cette problématique repositionne avec une radicalité sans précédent les
relations de l'homme avec la nature. En effet, depuis l'humanisme, l'homme conçoit sa relation
avec cette dernière comme inégalitaire et à son avantage. S’il a vocation à l’exalter, il se pense en
droit de l'utiliser à bon escient selon les exigences du progrès (scientifique, technique et industriel).
Dans une société industrielle, le progrès est lui-même un moteur à forte intensité thermique dont
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les finalités l’emportent sur toute évaluation de son impact énergétique et en termes de ressources
non-renouvelables.
À présent, ce cycle s'achève et l’Homme découvre que les dommages occasionnés à la nature
sont tels qu’ils pourraient atteindre le rythme de ce progrès et contraindre à repenser sa logique s’il
voulait en maintenir le principe (à la vitesse actuelle de la croissance économique, à
consommation de ressources inchangée, les ressources fossiles seront bientôt épuisées). En
revanche, le principe du progrès n’est pas remis en cause, mais il ne peut plus faire l’économie
d’une étude globale d’impact, préalable et systématique.
Le moteur du progrès était sans limites et la découverte des capacités limitées du monde fini est
ainsi appelée à modifier les relations entre l’homme et la nature. Ainsi pourrait naître une nouvelle
relation entre les deux, de donnant-donnant : il s'agirait d'exploiter la nature autant qu'elle le veut
et qu'elle le peut. Ce mode de relations est souvent à l’œuvre dans les zones extrêmes de la
planète et peut constituer une source d’inspiration, notamment dans les sociétés tropicales et subsahariennes africaines qui posent la relation avec la nature comme symétrique, et fonctionnent sur
des postulats de ressources limitées (saison des pluies, sécheresses chroniques, impénétrabilité
de la forêt pluviale)
9 L’inévitable différenciation
consommation
entre
progrès
économique
et
société
de
Depuis la fin du second conflit mondial, la dynamique du développement économique tend à
s’exercer vers une constante accumulation de biens au mépris du progrès social et de la
préservation de l’environnement. Dans les pays industrialisés d’Europe occidentale et d’Amérique
du Nord et certains pays d’Asie (Japon) les hommes vivent dans une totale immersion dans le
monde de la consommation. Le terme « consommer » est associé à des images d’abondance de
toutes sortes de biens faciles à acquérir, une profusion de nourriture, une accumulation d’objets.
L’homme moderne est devenu un consommateur dont le maître mot est de profiter. Il profite de
tout : des soldes, des vacances, des voyages en avion à prix bradés pour se rendre de plus en
plus loin et « faire » un pays en 5 jours, en achetant au mois de décembre des cerises du Pérou
venues en avion. La consommation est le modèle du plaisir, une auto-gratification sans cesse
renouvelée : se montrer avec la toute dernière nouveauté, le dernier téléphone portable, le
vêtement à la dernière mode, plaisir de se comporter insouciante et de faire comme si la vie était
une fête perpétuelle, comme si on pouvait consommer toujours sans contrainte et ne jamais se
poser de questions. Or, ces habitudes de vie ne peuvent perdurer. La surconsommation, le
gaspillage représentent actuellement l’apogée de la culture occidentale. Le développement
durable n’est pas compatible avec une vision de l’être humain réduit à une fonction matérielle de
satisfaction hédoniste et égoïste,
Or, toutes les sociétés n’ont pas encore goûté à la société de consommation. On peut même dire
qu’à part l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord (+ Japon, Australie et NZ) : aucune autre. Or,
depuis au moins 40 ans, il y a confusion entre deux notions qui se superposent effectivement sans
pouvoir être mélangées dans l’Histoire : le progrès technologique et économique d’une part, et le
développement de la société de consommation d’autre part, même si les penseurs marxistes et
post-marxistes (cf. Walter Benjamin, Adorno, Marcuse) ont tenté de démontrer que la société de
consommation et la promotion publicitaire qui la stimule sont les avatars directs de la société
industrielle de production de masse.
Selon la théorie actuelle, c’est l’offre qui crée la demande au sens où l’offre sait que les
consommateurs sont friands de produits technologiquement évolués ainsi que l’a souligné Edgar
Morin dans « Terre patrie » : « on crée un consommateur pour le produit et non plus seulement
un produit pour le consommateur ». C’est la consommation de masse qui permet de réduire les
coûts grâce à la production de masse qui suit de quelques années ou mois le lancement des
produits (magnétoscopes, CD, DVD, baladeurs numériques, téléphones portables). L’offre pensait
connaître les besoins des consommateurs (intuition, marketing, analyse : par exemple le concept
de nomadisme). Or, cette logique de fond est menacée donc une fraction importante du système
capitaliste de stimulation du marché.
Selon Jacques Rancière, la contestation de la société de consommation n’est que le dernier avatar
de la contestation historique de la démocratie. Selon lui, la publicité, la stimulation de l’offre et la
société de consommation sont les expressions économiques de la société démocratique
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participative. Ainsi, les Allemands ont incontestablement associé la renaissance politique de
l’Allemagne devenue fédérale à la réussite économique de leur pays, de sa monnaie et à l’accès
(retrouvé) à la grande consommation (le pays de cocagne). Il résulte de ce constat que c’est
également la société démocratique occidentale qui est à un tournant de sa riche histoire. Certaines
forces de la société attendent avec satisfaction l’effondrement de la société de consommation.
9 La disjonction plus délicate entre développement et croissance à l’ancienne
La réorientation annoncée intervient au milieu d'une progression en cours de nombreux Etats
émergents, qui avaient enregistré des avancées significatives dans la production de richesses sur
un mode de développement traditionnel. Cette évolution doit-elle brutalement s'interrompre ? En
effet, dans un contexte marqué par le droit à bénéficier de la croissance dans les pays émergents,
ces pays ne comprendraient pas que leur soit refusé ce confort dont les habitants des pays
industrialisés bénéficient largement.
En fait, la croissance n’est pas en question, mais la forme qu’elle prend traditionnellement. Le plus
délicat est de parvenir à faire passer un message difficile, selon lequel il faut parvenir à accéder
aux bienfaits de la croissance par le développement durable, donc sans imprimer une forte
empreinte écologique, donc selon une forme de croissance qui n’a pas prouvé qu’elle produit
rapidement les mêmes effets sans ses inconvénients. Un monde occidental énergétiquement et
écologiquement vertueux ne sauvera pas la planète et ne pourra pas se sauver lui-même sans un
changement radical en provenance des Etats-Unis, responsable du quart des émissions à effet de
serre.
Ainsi, les Etats sont liés comme ils ne l’avaient jamais été auparavant. Le travail de pédagogie à
l’adresse des pays émergents est pour l’instant assez vain (Chine et Inde). Ce travail doit pourtant
se poursuivre, sur un mode d’explication ouvert. Garantir une augmentation du niveau de vie ne
peut plus se faire selon le schéma traditionnel : production de biens intermédiaires et de biens de
consommation > emplois > salaires > demande > croissance > nouvelles unités de production >
emplois. La démonstration sera difficile car ce modèle a apporté la croissance et le bien être social
en Europe (en passant par un vif débat social interne). La seule chance est de parvenir à la
démonstration des effets indirects immédiats sur l’environnement.
Sans perdre de vue le droit de ces sociétés à l’accès du plus grand nombre à la dignité sociale et
économique, les pays développés devraient s’investir dans l’élaboration d’un schéma de
croissance qualitative, comme meilleur mode d’explication. Dans ce domaine, la portée de
l’exemple est essentielle. Il faut faire rapidement la démonstration que l’axiome suivant fonctionne :
développement durable > croissance qualitative > produits compétitifs > emplois et bien être social
et économique.
9 L’indispensable prise en compte d’autrui pour assurer son propre développement
Les pays qui subissent déjà les effets des aléas climatiques (sécheresse, ouragans, innondations)
sans pouvoir leur apporter de réponses, vont souffrir encore davantage. Le changement climatique
qui va entraîner en particulier une hausse du niveau des mers à certains endroits et une
sécheresse à d’autres, se traduira par l’apparition de réfugiés climatiques.
Nombre de ces nouveaux réfugiés franchiront les frontières, ce qui ne fera qu’accroître les
tensions internationales, envenimant certains conflits ou en créant d’autres dans les pays
émergents. Beaucoup d’autres personnes seront déplacées à l’intérieur des Etats ce qui les
privera des droits conférés internationalement par le statut de réfugié. Leur reconnaissance légale
impliquera une assistance, voire une compensation financière des dommages subis. Une fois
déstabilisés en interne, les pays les moins favorisés connaîtront une forte reprise des flux
migratoires vers l’Occident. Quelle attitude les pays de l’Union européenne adopteront-ils face à
cette évolution ? Quel sera le statut du réfugié climatique, alors que celui du demandeur d’asile est
déjà très contraint ? L’Europe occidentale restreindra-t-elle l’Etat de droit contre l’état de nature ?
9 Valoriser ce qui n’est pas produit par l’homme
Le temps semble venu de conférer de la valeur à des productions de la nature et de rémunérer les
pays qui ont la chance de les détenir, charge pour eux de les protéger. De nouvelles richesses,
pourtant sans intérêt pour le monde économique moderne si elles ne sont pas exploitées, seraient
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ainsi identifiées et soustraites aux convoitises. Il s’agit des grands espaces naturels, qui seraient
ainsi reconnus comme entités d’un patrimoine naturel mondial (la forêt amazonienne, malgache,
indonésienne, malaise, celle d’Afrique centrale). L’Unesco reconnaît déjà des sites mais pas des
grands espaces.
Pour la première fois, la valeur ne viendrait pas de la production humaine mais de la seule
propriété d’un bien (une sorte de rente) et une rémunération substantielle, susceptible de
permettre le dédommagement de ceux qui assureraient leur subsistance de ces espaces et
également leur entretien, serait par ailleurs garantie. Les préoccupations de biodiversité et de
protection des espaces répondraient simultanément à celles du développement (et du
développement durable) et à la lutte contre le réchauffement climatique.
Ces enjeux et ces contraintes mettent le monde au-delà du simple principe de précaution. Il s’agit
aujourd’hui très clairement de prendre nos responsabilités pour laisser à nos enfants une planète
tout simplement vivable.
B - La nécessité d’une analyse réflexive pour changer effectivement les
comportements
A ce stade, une analyse réflexive s’avère pertinente pour amener un changement effectif des
comportements passant par une véritable action stratégique.
1. Une nécessaire analyse réflexive
1.1 - Un fait social total en apparition
Les solutions aux défis posés par le réchauffement climatique nécessitent d’abord des instruments
d’analyse en adéquation avec la portée de ces défis. Pourquoi ?
- le défi est global en termes d’espaces: des solutions propres à l’Occident seraient insuffisantes,
de la même façon que les bonnes pratiques d’un archipel vertueux ne suffiraient pas à le sauver
de la montée des eaux ;
- le défi est global en termes de destinataires : il est lancé aux individus autant qu’aux sociétés ;
Il nous a semblé que proposer un corpus de solutions serait vain si ces dernières n’étaient pas
précédées d’une analyse qui tiendrait compte des différences essentielles d’appréhension du
monde. A cet égard, avoir recours d’entrée aux instruments proposés par l’ethnologie,
l’anthropologie, la sociologie et la psychosociologie est indispensable dans la mesure où ils sont
au service d’une tentative de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans l’Homme.
Les apports de la sociologie (Durkheim, Mauss et Lévi-Strauss) peuvent permettre de brosser une
première approche. L’utilité de ces instruments d’analyse sera patente du fait de la nécessité : de
nouvelles institutions, de nouveaux rites, de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles catégories
de comportements.
9 Les limites d’une analyse occidentale des menaces du changement climatique
Le premier écueil qui se dresse devant la progression de l’analyste est celui de la vision européocentrée ou occidentale du réchauffement climatique. Le changement climatique (causes, faits et
évolution) est incontestable et scientifiquement prouvé. Mais par un subtil paradoxe, ce sont
encore une fois les occidentaux qui mènent l’analyse. Principaux responsables de la situation
actuelle (au moins du XIXe et XXe siècles), ils semblent se saisir de l’avenir de la planète comme
l’occasion de formuler une nouvelle vision du monde (Weltanschauung), un nouveau système de
pensée politique, qui pourrait faire (comme les précédents) l’impasse sur les pensées alternatives
non occidentales.
L’homme occidental est le produit d’une pensée à la fois scientifique (la méthode d’analyse
scientifique fondée sur la démonstration ou l’invalidation d’une expérience) et positiviste (la société
a une direction : celle du progrès continu obtenu par la raison), matérialiste et historiciste (le sens
de l’histoire), sécularisée (la raison contre la religion), universaliste (la pensée occidentale est
valable pour le monde) et enfin individualiste (droits et devoirs de l’Homme libre et responsable).
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Déjà à l’œuvre avec les théoriciens et les activistes de l’écologie politique, une nouvelle pensée
politique va émerger.
Comme elle est occidentale, elle va reposer sur l’individu, placé au centre de l’action politique en
Occident. A quoi peut-elle ressembler ? A priori, la lutte contre la pollution et le gaspillage est
certainement la politique publique qui ressemble le plus à celle à venir contre le réchauffement
climatique : appel à la responsabilité individuelle, au respect individuel de la nature, à pratiquer le
recyclage, à économiser les ressources et l’énergie…
De telles actions ont produit des effets, mais la lutte contre le réchauffement climatique suppose
une évolution beaucoup plus profonde et surtout plus rapide. Or, il convient de prendre conscience
que le succès (relatif) des actions précitées est fondé sur une appréhension particulière du monde
et de la nature.
Celle qui permet de poser comme principe que le monde et la nature ont l’Homme pour prédateur.
Ce qui semble évident ne l’est pourtant pas. Ces analyses proviennent d’une conception
anthropocentrique du monde, proprement occidentale, déjà à l’œuvre dans la lutte contre la
pollution et la protection de la nature. Dire qu’elle est partagée par le plus grand nombre ne suffit
pas à l’asseoir comme réalité. En fait, cette parole est la face inversée de la toute puissance de
l’Homme, de la maîtrise de son destin et du monde. La mort (occidentale) de Dieu a signé la
divinisation de l’Homme et c’est bien parce qu’il est Dieu et responsable de ses actes dans le
Monde que ce Monde est devenu son sanctuaire et qu’il en a la garde. Il n’y a plus aucun tiers
entre lui et ce sanctuaire. Il faut être occidental pour affirmer que l’Homme est maître de son
destin, admettre que la situation actuelle est de son fait et que les solutions résulteront également
de son action. La menace le vise directement, le responsabilise, de telle sorte que sa réaction
salutaire signera sa maîtrise définitive du monde (et achèvera la fin de Dieu). Dans cet univers
sécularisé, on manipule et recycle évidemment des concepts de la pensée religieuse sans s’en
rendre compte, comme la pureté (que l’on oppose à la pollution) ou la vertu (bon comportement
civique et écologique). C’est bien le regard porté sur le monde par l’homme occidental qui a
changé et pas le monde lui-même. Il faut rappeler qu’il y a encore un siècle, on se félicitait de
polluer, signe d’activité et de puissance (comme la Russie soviétique il y a encore peu de temps
ou la recherche aurifère aux Etats-Unis).
Ainsi, comme elle est occidentale, est-elle seulement dans l’espace occidental appelée à être
vécue comme un changement (ou une évolution) de civilisation ? Voilà un questionnement
stratégique : serons-nous suivis lorsque nous évoquons nos angoisses ?
9 Les apports de la sociologie
La sociologie et les autres sciences humaines, certes d’essence européenne, ont développé des
instruments permettant d’appréhender toutes les sociétés humaines.
Le fait social total : Marc Augé utilise ce concept inventé par Marcel Mauss dans son ouvrage « Un
ethnologue dans le métro » : « Transgressée ou non, la loi du métro inscrit le parcours individuel
dans le confort de la morale collective et c’est en cela qu’elle est exemplaire de ce que l’on pourrait
nommer le « paradoxe rituel » : elle est toujours vécue individuellement, seuls les parcours
singuliers lui donnent une réalité, et pourtant elle est éminemment sociale, la même pour tous,
conférant à chacun ce minimum d’identité collective par quoi se définit une communauté ».
Pour Augé, « l’observateur soucieux d’exprimer au mieux l’essence du phénomène social
constitué par le métro parisien devrait rendre compte non seulement de son caractère institué et
collectif, mais aussi de ce qui, dans ce caractère, se prête aux élaborations singulières et aux
imaginations intimes sans lesquelles il n’aurait plus aucun sens. Il devrait, en somme, analyser ce
phénomène comme un fait social total au sens que Mauss donne à ce terme et que Lévi-Strauss
précise et complexifie ».
Mauss désigne par faits sociaux totaux des phénomènes qui impliquent la totalité de la société et
ses institutions et possèdent deux propriétés :
- ils sont à la fois religieux, économiques, juridiques, esthétiques, donc irréductibles au langage de
l’institution ;
- ils ont un caractère contractuel ou conventionnel qui présuppose lui-même une formulation
explicite et une conscience au moins implicite et non totalement inconsciente du rapport à autrui.
Nous sommes ainsi à la recherche d’un fait sociologique qui permettrait d’élaborer une explication
globale des phénomènes en cours. Quelle est l’institution à étudier dans la lutte contre le
9
réchauffement climatique et « le fait de fonctionnement général » à observer susceptible de nous
permettre de nous doter d’instruments d’analyse adaptés à toute la collectivité humaine ?
Le fait social total interrogé par le phénomène du réchauffement climatique est la lutte contre ce
réchauffement, qui est appelée très rapidement à devenir un fait de fonctionnement général des
sociétés en survie. Notre intuition, qui nous a guidés vers les instruments de la sociologie est
précisément la globalité et l’immédiateté de la menace, qui vont conduire à la formation
d’institutions sociales multiples et diverses. Or, ce sont moins ces institutions qui comptent que la
manière dont elles vont impliquer dans toutes leurs activités, la totalité des individus en tant que
collectivité d’individus.
En reprenant l’image du métro de Paris, que les voyageurs munis d’un ticket empruntent à toute
heure pour une multitude de raisons différentes et qui sont autant des individus dans leur parcours
singulier que des voyageurs unis par une destination fugace, le changement climatique est appelé
à embarquer tout le monde et à organiser les rapports sociaux autant qu’individuels pour autant
que l’on puisse séparer ces deux éléments.
Pour Lévi-Strauss en effet, les hommes ne prennent véritablement conscience d’eux-mêmes
(conscience individuelle d’eux-mêmes comme individus) qu’au moment où ils prennent conscience
de leur situation vis-à-vis des autres, autrement dit de leur situation sociale, qu’ils ne prennent
conscience d’eux-mêmes qu’en prenant conscience des autres, donc qu’il n’y a de conscience
individuelle que sociale.
Nous retiendrons de ces développements plusieurs éléments :
ƒ l’homme en tant qu’individu social est rarement seul, même dans une société individualiste ;
ƒ un même mouvement général ne signifie pas unité et la constitution de groupes d’affinités est
inévitable ;
ƒ un fait social total est en voie de constitution : des institutions, animées par des hommes,
chercheront à donner une direction à la lutte contre le réchauffement climatique et l’ensemble
des comportements collectifs comme individuels, d’adhésion ou de résistance, se structurera
en fonction de cette direction générale ;
ƒ un contrat (l’équivalent du ticket de métro ou du forfait mensuel qui permet de voyager)
implicite ou explicite, sera signifié aux acteurs de la société qui organiseront leur vie en
intégrant ou en ignorant cette donnée conventionnelle.
2. Une reformulation radicale de l’angoisse propre aux sociétés postindustrielles
La perception des effets du réchauffement climatique a une charge émotionnelle forte dans la
mesure où ce dernier est supposé mettre immédiatement en jeu la survie de la civilisation
humaine. Cette perception recouvre une dimension messianique de catastrophe définitive, qui
rejoint, sans leur ressembler cependant, les angoisses culturelles déjà rencontrées autour de la fin
du monde (peur du conflit nucléaire pendant la guerre froide et les années 50) mais également des
peurs partagées par de nombreuses civilisations dans l’histoire : famine, peste, angoisse hydrique.
La résolution du problème est cependant du seul ressort de ses acteurs : la responsabilité est
clairement humaine et conditionnée par nos comportements de vie élémentaire. Cette
responsabilité prend toute sa portée dans la sphère occidentale pour les raisons exposées plus
haut, de telle sorte qu’il en résulte une culpabilisation a priori évidente, dans la mesure où la
prochaine génération sera directement confrontée aux effets d’une éventuelle inaction (nos
enfants nous diront : « qu'avez-vous fait lorsque vous pouviez faire quelque chose ? »).
Angoisse diffuse et culpabilisation potentielle s’accompagnent d’une torpeur, produit du décalage
constaté entre la prise de conscience assez avancée des individus et l’inertie (supposée) des
décideurs. La prise de conscience n’est pas forcément politique, elle est d’abord esthétique, au
sens où la culture occidentale, qu’elle soit à finalité commerciale ou non, s’est délectée ces
dernières décennies des productions littéraires et cinématographiques situant leur intrigue dans un
décor et dans une problématique de société post-industrielle.
Dans son « Court traité du paysage », Alain Roger rappelle que ce sont les artistes qui créent les
paysages et non le contraire (dans la mesure où ils créent une nouvelle sensibilité qui atteint
toutes les couches sociales). Ce sont ainsi les artistes européens qui ont rendu visibles aux yeux
de tous de nouveaux paysages autrefois considérés comme infréquentables : montagne alpine,
bords de mer et mer et enfin déserts. De nombreux films (de science fiction, fantastiques ou
10
catastrophe) annoncent en fait depuis longtemps à la fois les effets mortels de la pollution et le
combat final pour les ressources.
(1)
(2)
Films
Année
Réalisateur
Pollution
Soleil vert
New York ne répond plus
Alien, le huitième passager (1)
Mad Max (2)
New York 1997
Blade Runner
Dune
Waterworld
Independance Day
Mars Attack
The soldier
Planète rouge (Red Planet)
Artificial Intelligence (AI)
Le jour d’après
Le fils de l’Homme
1973
1975
1979
1979
1981
1982
1984
1995
1996
1996
1998
2000
2001
2004
2006
Robert Fleischer
Robert Clouse
Ridley Scott
Georg Miller
John Carpenter
Ridley Scott
David Lynch
Kevin Reynolds
Roland Emmerich
Tim Burton
Paul WS Anderson
Anthony Hoffman
Steven Spielberg
Roland Emmerich
Alfonso Cuaron
X
X
X
Epuisement Catastrophe
des ressources climatique
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
: 5 opus ont été réalisés (1979, 1986, 1992, 1997 et 2005)
: 3 opus ont été réalisés (1979, 1981 et 1985)
Comme ce tableau l’illustre, le thème de la catastrophe climatique apparaît progressivement sur
les écrans, au détriment relatif de la pollution ou de l’épuisement des ressources, qui pourtant
constituent la cause de la catastrophe, mais s’effacent au profit de leurs effets, à ce point rapides
et radicaux, qu’ils passent au premier plan. Enfin, plusieurs films tirent les conséquences de la
pollution et des catastrophes causées par l’homme : anthropophagie (Soleil vert, 1973), sélection
génétique (Gattaca, 1997, Andrew Niccol), stérilité généralisée de l’humanité (le Fils de l’Homme).
B. Les ressorts psychologiques individuels et les actions correctives pour un
changement de comportement
1. La dissonance cognitive versus la consonance cognitive
Les attitudes sont au confluent des opinions (individuelles et collectives) et des comportements
(individuels, volontaires ou forcés). Pour autant, l’attitude d’un individu n’est pas la résultante de
ses opinions en accord avec ses comportements : nous avons de nombreux comportements en
contradiction avec nos opinions.
Les théoriciens de la psychologie sociale, notamment Festinger en 1957, définissent cette situation
comme de la « dissonance cognitive ». Il s’agit de l’un des mécanismes fondamentaux qui
gouvernent les comportements humains.
Lorsque les individus prennent conscience de la distance entre leurs opinions et leurs
comportements, ils éprouvent, par besoin de cohérence, la nécessité de réduire cette distance.
Dans ce dessein, ils disposent de deux possibilités : soit ils modifient le nombre et l’importance des
éléments allant à l’encontre de leur comportement, soit ils modifient leur opinion initiale. Or, il est
démontré que c’est le comportement qui change les attitudes (groupales, sociétales) et non
l’opinion.
Sur le plan individuel, plusieurs aspects doivent permettre de reconstruire une consonance à la
fois personnelle (cognitive) entre opinion et comportement, mais aussi vis-à-vis d’un groupe de
référence majoritaire en terme d’influence ou en passe de le devenir. Cela passe par la
modification de la norme (opinion sur le souhaitable) et par la normalisation de comportements
positifs (renforcement par le comportement).
11
Selon la théorie de la psychologie sociale, pour modifier des attitudes, il faut disposer d'arguments
concrets qui correspondent à la réalité de ceux auxquels le message est destiné. Les
consommateurs doivent se sentir personnellement concernés. C’est-à-dire que le changement
d’attitude individuel doit correspondre à une vision partagée de l’avenir.
Il convient de définir et de valoriser de nouveaux comportements socialement responsables et de
porter le discrédit sur l’ensemble des conduites que l’on peut qualifier à risques. Ainsi, émergeront
de nouvelles définitions de l’irresponsabilité, de la faute et du délit social. La pression du groupe,
de la société entière peut amener chacun à s’engager.
2. L’angoisse de l’individu versus la création de groupe de référence
9 Des mouvements de repli divers
Même si elle annihile la prise de responsabilité individuelle, l'angoisse de l'individu face à ses
représentations sociales et leur remise en cause est un moteur de prise de conscience, à certaines
conditions.
En premier lieu, l'angoisse entraîne tout d'abord des comportements de fuite ou d’évitement face à
la réalité, dont les caractéristiques sont les suivantes.
ƒ Le déni du fait originel, qui consiste en un refus du sujet, en agitant les désaccords
scientifiques sur l’ampleur du phénomène ou la prise en compte des avis et des intérêts
divergents. On observera que, si la légitimité scientifique d'un réchauffement climatique
provoqué par les activités humaines a considérablement progressé depuis trois ans environ,
les critiques dites sceptiques se sont déplacées du principe même vers la seule part de l'action
humaine dans les causes de ce problème. De plus, le danger que représente le réchauffement
climatique pour l'équilibre futur de nos sociétés n'est plus frontalement contesté.
ƒ L’amnésie, afin de pouvoir replonger dans le quotidien. Le modèle de réflexion qui consiste à
faire individuellement le lien entre les gestes de la vie quotidienne et le sort à moyen terme de
l'humanité est encore inexistant, ou du moins encore extérieur à notre culture. Il en résulte une
tendance à différer l’introduction des ruptures dans ces habitudes et ces comportements de
vie, dont certains sont ancrés depuis des générations.
ƒ De même, ces comportements se manifestent par une tendance à consommer toujours autant
voire plus, pendant que cela semble encore possible : on retrouve cette finitude évoquée
précédemment mais vécue cette fois non plus comme un levier décisif pour changer de
comportements ou de société, mais au contraire comme une incitation hédoniste ou
narcissique à exploiter ce qui peut l'être avant qu'il ne soit trop tard. Il s’agit d’une réminiscence
épicurienne transfigurée en boulimie destructrice. L'imminence du désastre serait en quelque
sorte le motif de son accélération. À ce titre, le syndrome de la « tentation de la ruine » (Freud)
ne serait alors qu'une acception aggravée de la tendance au repli sur soi, mais où l'angoisse,
sans dérivatif compris comme acceptable, devient un désir d'anéantissement pour résorber
définitivement le monde comme source du problème climatique (nihilisme).
En second lieu, les comportements de repli identitaire sont également à craindre, au détriment de
l’intérêt général et des enjeux globaux. Ils sont de plusieurs types.
ƒ Replis nationalistes, religieux et culturels, replis sur la sphère privée face à la dimension
mondiale du réchauffement et à la perte de repères traditionnels. Dès lors que toute démarche
de solution au problème climatique met en jeu la dimension transversale et collective de
l'humanité, ainsi qu'une conjugaison des sociétés sans égal dans notre histoire, en appelant
des actions neuves en rupture avec nos modèles, le comportement de fuite prendra ici la forme
d'un retour, présumé purificateur, aux valeurs sources du groupe social : comme naguère le
SIDA pour certains groupes fondamentalistes religieux, ce drame climatique ne serait-il pas
une sanction d'origine divine ?
Le meilleur comportement face à cette évidence est alors un renforcement des références et
valeurs traditionnelles : la nation, voire la patrie, contre la mondialisation, Dieu contre le
progrès scientifique et technologique, la famille contre la société, la morale contre la
consommation. Si la perturbation climatique est le fruit de cette vaste synthèse permanente
qu'est devenue l'humanité, interactive et mondialisée, quel repère plus solide peut-on proposer
aux générations naissantes ou à venir que la cellule originelle ? Ainsi, cette perspective permet
aussi de se dédouaner de toute responsabilité si ce dernier est mondial, il procède donc d'un
12
ƒ
ailleurs. On remarquera que des réactions diplomatiques ont un moment été très dominées par
des réactions évoquant ce type de repli : le réchauffement trouve son origine dans d'autres
systèmes que les nôtres, le mode de vie et de production des Etats riches.
Repli sur les intérêts immédiats et financiers. C'est une traduction moins culturelle et plus
matérielle du travers précédent. Or, ce mode de repli est central dans toute la problématique
écologique. Il est au coeur du lobbying industriel : il est donc inévitable que face à une
problématique aussi lourde que celle du dérèglement climatique, l'obstacle ait pesé à ce point.
Ce sont les arguments porteurs de risques réels de souffrance sociale, de l'environnement
contre les emplois, du progrès techniques contre la privation écologique, du bien-être matériel
contre l'austérité de l'écologie. Ce n'est que très récemment que la représentation collective a
quelque peu changé sur ce point et que l'opinion semble avoir majoritairement accepté de
mettre en priorité les changements de comportements face aux enjeux de développement
industriel. Encore que cette évolution fragile semble plutôt un apanage culturel des opinions de
l'hémisphère nord plutôt que de celles encore insuffisamment sensibilisées des pays du Sud
(voir plus haut l’exemple de la Thaïlande).
9 La nécessité de construire les groupes de référence, supports sociaux et agents
propagateurs
Il faut aussi que ces groupes soient capables d’écrire la chronique du changement, de la
populariser pour en faire une mythologie (histoire collective) dans laquelle vient s’inscrire chaque
histoire individuelle. Le changement d’attitude individuel ne se conçoit pas sans une vision
partagée de l’avenir personnel dans lequel ce changement peut s’opérer pour chacun. Il s’agit
donc de créer les lieux où se constituent et s’écrivent (médias) les « récits de vie réussie » des
acteurs individuels de ce changement.
Ces nouveaux acteurs seront à la fois vecteurs de l’idée du changement (idéologie et valeurs) et
de la nécessité de ce changement (pédagogie). Sur ce point, le silence des intellectuels sur la
problématique éco-climatique est assourdissant. Le fait que le sujet ne soit principalement traité
que par les scientifiques et par le médiatique, semble insuffisant à un prompt changement des
esprits, condition préalable à toute pédagogie sociale sur le thème. Il manque une réflexion
globale, en termes de valeurs et de référents culturels, qui permette de penser le climat autrement
que subi, et au-delà, comme un élément qui interpelle la relation de l'homme avec la nature.
Ils seront également vecteurs de la possibilité du changement en donnant l’exemple et en
obtenant des victoires durables, elles mêmes génératrices de nouveaux modèles.
Sur ces aspects, il est possible de noter que l’identification des minorités actives dans ce domaine
n’est pas évidente. Certes, les mouvements écologistes jouent un rôle prééminent, mais leur
transcription politique institutionnelle semble avoir échoué, au moins sur leur capacité à trouver
une représentativité élue traditionnelle.
Les groupes de référence sont en cours de construction, mais la connotation scientifique du sujet
rend moins visibles les données nécessaires et exige une interface médiatique constante : à titre
d'exemple, les conclusions du GIEC, qui a une légitimité de groupe de référence, ne peuvent être
diffusées dans l'opinion sans un puissant prisme vulgarisateur que seuls les médias traditionnels
sont en mesure de produire.
Il est significatif que quelques individualités médiatiques et scientifiques (H. Reeves, N. Hulot) ont
plus d'influence que des entités collectives d'inspiration écologiques. Ainsi, les acteurs les plus
militants sur ce domaine (Greenpeace par exemple) ont constamment besoin d'un effort de
vulgarisation pour donner du sens à leur système de revendication. C'est ici un frein réel à la
construction de groupe de référence véritablement en phase avec les opinions, qui sont par
ailleurs elles-mêmes en construction permanente sur ce sujet. Cependant, on peut observer une
réelle progression en ce sens, vers une évidence: il y a de plus en pus d'acteurs légitimes pour
évoquer le sujet devant l’opinion et tracer tant le diagnostic que les perspectives.
L’ensemble de cette réflexion qui a permis d’une part de délimiter les enjeux et les contraintes du
changement climatique et d’autre part de formuler une réflexion sur le fait social en cause et les
changements de comportement nécessaires, n’a pas d’intérêt en soi si aucune stratégie
d’ensemble pour un passage à l’acte réussi n’est envisagée. Il s’agit donc de définir une véritable
praxis au sens aristotélicien du mot en matière de prise en compte du changement climatique.
13
C - Une stratégie d’ensemble pour un passage à l’acte réussi
A - L’indispensable implication simultanée de tous les acteurs
1. De bonnes pratiques individuelles ne font pas des faits sociaux
L’adaptation au réchauffement climatique paraît aujourd’hui indispensable car il n’est pas possible
d’arrêter brusquement les impacts des gaz à effet de serre déjà émis. La capacité des humains à
s'adapter et à faire face au changement climatique dépend de facteurs comme la richesse, la
technologie, l’éducation, l’information, les compétences, l’infrastructure, l’accès aux ressources et
les possibilités de gestion.
S’agissant du secteur de l’habitat, la diminution des émissions de gaz à effet de serre peut passer
par un meilleur aménagement du territoire, de nouveaux choix d'urbanisme, de nouvelles
méthodes d'implantation, de conception ou de construction des villes ou des bâtiments et par des
procédés de chauffage ou de climatisation innovants. Le choix des implantations des lieux
d'habitat a en lui-même une influence sur les émissions de gaz à effet de serre qui sont
étroitement liées à celles des transports dans la mesure où l'allongement des trajets entre le
domicile et le lieu de travail a tendance à entraîner des émissions accrues.
En ce qui concerne les constructions individuelles, la première précaution, souvent omise,
consisterait à respecter les conclusions tirées de l'analyse des données disponibles. Il conviendrait
de strictement respecter les dispositions indiquant des zones inondables ou encore des couloirs
d'avalanches. C'est dès le stade de la conception que l'habitat devrait être pensé pour émettre le
minimum de gaz à effet de serre, donc être le plus économe en énergie. A cette fin, de nombreux
programmes ont été mis en oeuvre ou proposés dans les pays développés.
Pour pouvoir vivre confortablement chez soi en consommant moins d’énergie, il est nécessaire de
choisir l’architecture qui limite au minimum les besoins de chauffage et supprime le besoin de
climatisation active, tout en améliorant le confort de vie. Cela consiste donc à trouver une
adéquation entre l'habitat, le comportement des occupants et le climat, pour réduire au maximum
les besoins de chauffer ou de climatiser.
Dans le domaine des transports, l’utilisation des transports en commun et des bicyclettes permet
de réduire la production de gaz à effet de serre.
Au-delà des politiques globales, les comportements de vie peuvent aisément évoluer, à condition
d’adopter une nouvelle discipline de vie.
Pour bien maîtriser la consommation d’énergie, nous pouvons commencer par suivre les conseils
de premier niveau des experts, qui peuvent donner un résultat satisfaisant.
Ainsi, pour les habitants des pays où le chauffage est nécessaire, ces gestes sont indispensables :
ƒ choisir la température écologiquement idéale pour chaque pièce de la maison par exemple de
19 à 21° C dans les pièces de séjour, de 21 à 22°C dans la salle de bain, 19°C dans la cuisine,
de 15 à 17° C dans la chambre ;
ƒ baisser le chauffage 1/2 heure avant d'aller dormir et fermer les tentures ou les volets pour
conserver la chaleur ; ne rien disposer sur les radiateurs ;
ƒ coller sur la paroi située à l'arrière des radiateurs un panneau réfléchissant recouvert d'une
feuille d'aluminium pour récupérer la chaleur ;
ƒ baisser le thermostat de 3 ou 4 degrés au cas d’absence plus de deux heures ;
ƒ aérer les pièces, pour éliminer l'excès d'humidité et chauffer avec moins d'énergie ;
ƒ faire la chasse aux courants d’air sous les portes ou sous les châssis ;
ƒ fermer les portes entre les lieux de vie et les couloirs, et celles des pièces peu ou pas
chauffées.
En matière d’économie d’énergie :
ƒ éteindre toutes les ampoules en quittant une pièce ;
ƒ choisir les ampoules économiques qui permettent jusqu’à 80 % d’économie d’énergie et qui ont
une durée de vie beaucoup plus longue ;
14
ƒ
choisir les cycles à 30 ou 40° C pour le lave-linge ; prendre une douche plutôt qu’un bain ;
utiliser une pomme à douche économique qui permet d’économiser 40 à 50 % d’eau chaude ;
ƒ veiller au bon état des joints des robinets ; mettre un couvercle sur les casseroles afin de
chauffer plus vite et de consommer 50 % d’énergie en moins ;
ƒ ne chauffer que les volumes d'eau vraiment nécessaires pour la cuisine,
ƒ débrancher complètement les appareils en mode veille ;
ƒ dégivrer le réfrigérateur ; choisir l’électroménager de la classe ‘A’, ‘A+’, ‘A++’.
ƒ ne pas avoir la climatisation dans la voiture ;
ƒ utiliser le moins possible les véhicules automobiles (préférer vélo ou transport ferroviaire à
chaque fois que possible) ;
ƒ choisir le modèle le plus léger et le plus efficace possible au cas ou une automobile est
vraiment nécessaire,
ƒ éviter de prendre l'avion ;
ƒ ne pas utiliser la climatisation ;
ƒ acheter des produits avec le minimum d'emballage ;
ƒ acheter des produits recycles, recyclables, durables et réparables ;
ƒ trier ses déchets, penser aux piles, cartouches d'impression, appareils électriques et
électroniques.
Changer de mode de vie est une autre solution à adopter pour lutter contre le changement
climatique. Les spécialistes mondiaux du climat ont assuré, lors de la Conférence à Bangkok en
mai dernier, que chaque individu a un rôle important à jouer pour lutter contre le réchauffement
climatique qui n'est pas seulement l'affaire des gouvernements et des industriels. Les
changements de modes de vie font partie des solutions identifiées par le Groupe
intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) qui a rendu en Thaïlande son
diagnostic sur les moyens d'atténuer les effets du changement climatique.
Une autre option pour lutter contre le réchauffement climatique est d’utiliser les énergies
renouvelables qui, contrairement aux énergies provenant des ressources fossiles, sont
inépuisables et représentent la solution la plus durable et la moins extrême. Il s’agit des énergies
que le soleil et la terre mettent naturellement à notre disposition pour nos besoins. À nous de
savoir au mieux les appréhender et mettre au point les technologies nécessaires à leur
exploitation, leur stockage et leur utilisation afin de vivre demain dans un environnement plus
propre. Suite au choix des énergies renouvelables, de nouvelles industries comme la fabrication
de turbine pour produire de l’énergie éolienne, la fabrication de piles solaires, ainsi que les
professions comme le météorologiste éolien, l’hydrologiste, le géologue géothermique, seront
demandées pour répondre aux besoins de consommateurs.
L’ensemble de ces comportements vertueux, adoptés par de nombreuses personnes convaincues,
a peut-être un impact réel, mais demeure comme suspendu dans l’espace social, source
d’étonnement ou d’admiration mais rarement d’imitation. C’est que les structures sociales ne
peuvent pas accueillir des comportements pourtant exemplaires, dans la mesure où elles ne les
considèrent pas comme au centre de toutes ses problématiques.
2. L’indispensable implication claire du politique et des acteurs de la vie
économique et associative
La crise climatique est aussi une crise politique et démocratique. Sur le plan politique, il s’agit de
prendre des orientations claires et nettes qui mettent en œuvre des actions tranchées et
cohérentes avec les enjeux ayant fait l’objet des développements précédents. Il faut sans doute
regretter le consensus global autour du pacte écologique présenté par Nicolas Hulot lors de la
campagne présidentielle passée. En effet, l’adhésion unanime à ce pacte n’a permis de définir
aucun engagement clair à la hauteur des enjeux. Au niveau national, la création d’un ministère
d’Etat, ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables est sans aucun
doute une mesure forte sur le plan symbolique mais encore insuffisante sur le plan des actes et
des engagements.
Cette prise de position politique constitue sans aucun doute un enjeu démocratique pour décider
des priorités de façon collective et individuelle, pour imposer les changements nécessaires par des
lois et des normes et pour assurer que les ressources ne seront pas accaparées par quelques uns.
15
En ce sens, les responsables politiques devront prendre des engagements sur le plan international
en définissant des objectifs ambitieux et intégrer la nécessité d’une politique de co-développement
afin de prendre en compte les différents stades de développement de l’ensemble des pays. Ces
engagements internationaux devront être déclinés en cohérence dans l’ordre interne pour incarner
cette priorité incontestable.
L’ensemble des principaux acteurs concernés doit désormais passer à l’acte pour installer
durablement dans la vie quotidienne un changement de comportement.
Les responsables publics tels que les hommes politiques et les ONG doivent se focaliser sur la
transcription auprès du public des nécessités de construire un monde plus respectueux de
l’environnement. Une politique d’incitation doit être mise en place mixant récompense et sanction.
Il convient d’inciter les entreprises à mettre en place des plans internes de valorisation des
économies d’énergie et de conduites éco-citoyennes (récupération des cartouches d’imprimantes,
apprendre à conduire de façon respectueuse de l’environnement).
La publicité doit devenir responsable, c’est-à-dire cesser de valoriser les automobiles de grosse
cylindrée consommatrices de carburant. Les nombreuses associations, telles les associations de
consommateurs, doivent s’impliquer dans la promotion des achats d’appareils pouvant être
recyclés.
Les médias ont un rôle primordial à jouer en diffusant les bonnes pratiques, ils contribuent à former
l’opinion publique.
S’agissant des actions au niveau national, elles sont multiples et peuvent prendre la forme
d’incitations fiscales préalables à certains aménagements tels que des dégrèvements fiscaux pour
les fenêtres double vitrage, les chaudières communes ou consécutives à d’autres actions : des
dégrèvements fiscaux pour les constructions éco responsables.
Un autre mode d’action est celui de la sanction, il s’agit du principe dit du pollueur payeur où les
pollueurs doivent s’acquitter d’une amende.
En ce qui concerne les actions au niveau local, les acteurs politiques locaux doivent également
organiser des actions touchant à la vie collective, par exemple, en matière de transports, en
mettant en place des alternatives à la voiture en organisant des prêts de bicyclettes, en améliorant
l’efficacité des transports en commun par l’amélioration de la fréquence de passages, en limitant le
trafic de transit.
3. Un changement d’attitude doit s’appuyer sur des acteurs de référence
Les groupes et les acteurs de référence, doivent pouvoir assurer à très court terme, avec un appui
médiatique important, un grand nombre de changements de perceptions et faire l’histoire du
changement.
Tout d'abord, il leur faudra préalablement organiser la mise en place de conflits (positifs et non
violents) et le cadre du débat permanent, si on considère qu'il s'agit là d'une condition essentielle à
toute construction d'un changement culturel. Par conflit, il faut entendre les confrontations
d'opinions nécessaires à transfigurer les considérations initiales du problème climatique. À ce titre,
ne peut-on pas dire que l'année passée aura réuni les conditions de ce genre de débat, peut être
même de façon encore indolore, quand on voit comment la légitimité du problème climatique a
progressé dans les opinions occidentales, et comment elle commence d'évoluer dans les
processus de décision politique et d'ingénierie démocratique ?
Cependant, ce qui manque encore pour franchir un cap significatif est de pouvoir fournir à l'opinion
mondiale, pas seulement occidentale, des exemples de réalisation et de succès. Il est facile de
sensibiliser l'opinion sur le problème en tous ses aspects. Ceci peut être fait de façon très directe.
Ainsi, lors de l'exposition « Changer d'ère » à la Cité de Sciences, le visiteur pouvait calculer, sans
rien faire d'autre que suivre la scénographie interactive de l'exposition, sa consommation de
carbone. Le résultat en est une sensibilisation forte à une notion nouvelle, perceptible, et très
proche du quotidien vécu. La difficulté est plutôt d'induire des comportements concrets de rupture,
mais si l'objet de ce changement est compris à travers une ou deux notions simples, les conditions
en sont accrues de façon significative.
La nécessité de montrer des réussites issues de ce changement se heurte encore au manque de
réalisation constatable. En effet, nous sommes encore dans une phase de positionnement et de
caractérisation de ses conséquences sur notre mode de vie social. Il faudra du temps, alors même
que le délai de réaction face au dérèglement climatique se fait de plus en plus pressant, pour faire
16
la démonstration qu'une autre vie est possible sans blessure fatale infligée à la société humaine.
Le futur Premier ministre britannique (G. Brown) vient d'annoncer la construction de quatre villes
entièrement écologiques, un chantier comparable est à l'oeuvre en Chine (à très grande échelle,
concernant une ville nouvelle de 500 000 habitants au moins) et bientôt à Paris (XIIIe
arrondissement).
En attendant de pouvoir concrétiser ce type de production, il importera de mettre en place une
pédagogie, non pas patiente, mais massive, des comportements écologiques indispensables (sous
réserve des conditions culturelles évoquées plus haut). Une médiatisation des résultats
comparable à celle qui a porté sur les causes et données du problème donnerait le sentiment
qu’une issue favorable est envisageable. C'est à cette condition qu'il sera possible de traduire
collectivement le changement en fonction d'un but et de valeurs partagés. En effet, si la norme de
droit est importante pour induire le changement, elle n’est pas suffisante, en particulier dans des
sociétés où la règle juridique est souvent en crise. Pour avoir prise sur le corps social de façon
durable, la loi doit refléter un changement culturel, ou tout simplement un désir de la société.
Alors, il sera possible d’écrire la chronique du changement, de la populariser pour en faire une
histoire collective dans laquelle vient s’inscrire chaque histoire individuelle. La production culturelle
peut tout aussi bien traiter avec inspiration de la représentation d'un monde en partie transformé
positivement que de celle d'un univers dévasté par le chaos climatique.
B - Les trois étapes d’un schéma vertueux
Le schéma joint en annexe reproduit de façon synthétique ces trois étapes.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une stratégie dans la mesure où une partie des éléments
exposés ci-dessus relève du constat sociologique.
Il n’en reste pas moins que la première phase de ce schéma (impulsion) revient à définir de
nouveaux objectifs aux fabricants et aux distributeurs. Il ne s’agit pas d’une intervention sur les
normes, qui pourrait être assimilée à des mesures anti-concurrentielles. Ce type d’impulsion
correspond par exemple au type d’actions déjà mises en œuvre dans la nouvelle réglementation
des réfrigérateurs (voir supra).
À ces actions s’ajouterait un véritable plan d’action politique : lancer des projets symboliques et
fédérateurs (quelques exemples : Dongtan en Chine, premier quartier écologique à Paris XIII).
L’impact de cette phase peut demeurer invisible à la collectivité, ce n’est pas en soi important. Les
fournisseurs de matériau, les industriels et fabricants et les distributeurs auront déjà commencé à
adapter leur offre aux nouvelles exigences (par exemple : pour obtenir 50 KW/H/m2/an, il va falloir
concevoir de nouveaux types de murs, de fenêtres, etc.). La certification par l’Etat jouera un rôle
déterminant.
Au cours de cette phase, l’adhésion de minorités actives voire de personnalités emblématiques,
dont l’effet sur la collectivité sera essentiel, sera recherchée et donnera sa première impulsion à la
dissonance cognitive.
Une action de communication massive de la part des pouvoirs publics à ce moment (phase 2 :
objectif : effet d’entraînement) pourra accélérer ce phénomène (en faisant appel directement aux
personnalités emblématiques et aux minorités actives). Un effet en retour sur la phase 1 est
attendu : les minorités actives et les personnalités emblématiques vont réclamer une accélération
des projets fédérateurs. Parallèlement, sous l’effet des conflits (prises de position) engendrés par
l’émergence des questions liées aux mesures à prendre contre le réchauffement climatique, les
pouvoirs publics seront bien inspirés de définir un corpus de bonnes pratiques et d’introduire les
premiers signes de répression économique et sociale.
La zone de conflit sera suffisamment étendue pour devenir véritablement politique et organiser le
positionnement des individus en fonction de ses enjeux (phase 3), de ses gains et de ses espoirs.
La phase de la consonance cognitive est alors ouverte. Les forces politiques et sociales
désigneront leurs adversaires. Il deviendra possible et normal de mener une campagne électorale
sur ce sujet. L’exemple, la vertu, la sanction seront politiquement identifiés et le citoyen aura la
possibilité d’entrevoir une sortie politique, une société conforme à cet idéal. Par ailleurs, il sera
investi d’une vision du monde qui ne sera pas ridicule, réductrice et lui permettra d’imaginer sa
propre vie dans ce schéma, voire sa réussite personnelle. Il sera alors normal de tenir un discours
dans ce domaine, de demander des efforts à certains, d’être élu par d’autres, d’être satisfait ou
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mécontent de sa situation éco-climatique, de susciter un débat sur les moyens de l’Etat et la
nature et l’origine de toute nouvelle contribution économique et sociale.
Ce schéma fixe un point de départ, en termes d’influence sociale, celui de l’autorité. Celle-ci est
néanmoins confinée dans un certain nombre de compartiments techniques et politiques : des
normes techniques résultant de nouveaux objectifs ambitieux dans les domaines de l’habitat ou du
transport et des projets fédérateurs à forte répercussion médiatique et susceptibles d’entraîner
avec eux des groupes minoritaires d’influence (influence sociale par l’innovation). Par ailleurs, ce
schéma est en lui-même un calendrier, donne des actions visibles dès le début (quartier sans
empreinte écologique), induit une nouvelle façon d’habiter qui suscitera une imitation sociale puis,
on peut l’espérer, la conversion d’autres populations souhaitant leur ressembler ou être prêt à
devenir des habitants de nouvelle génération (influence sociale par conformisme).
Pour mémoire, les quelques pistes de M. Lecoeur (psychosociologue spécialisée dans les
situations de crise) :
1.
Généraliser un apprentissage de la responsabilité écologique et des bonnes pratiques
environnementales
2.
Établir un calendrier des actions à mener
3.
Donner des exemples visibles et reproductibles d’actions bénéfiques pour l’économie
4.
Lister les actions bénéfiques pour l’emploi
5.
Poser la communauté de référence dans laquelle chaque individu peut se retrouver, à
laquelle se référer
6.
Construire le but supra-ordonné de ce groupe auquel chaque personne peut se sentir
appartenir
7.
Poser les lieux de conflit, de difficulté et aussi les adversaires à convaincre ou à éviter
8.
Prévoir des gratifications à chaque pas dans la mise en œuvre : financières ou sociales
9.
Permettre à chacun d’avoir une vision des actions possibles au niveau individuel et
local : vade mecum
10.
Offrir une histoire, une projection de soi-même positive dans ce cadre : un récit de vie
réussie.
D - Conclusion
La démarche qui nous avons entreprise est une démarche théorique, nourrie par les apports de la
sociologie. Cependant, dans la mesure où il nous semblait qu’elle était incomplète, nous avons
souhaité y ajouter une dimension pragmatique.
Un schéma vertueux peut ainsi se concrétiser, que nous avons essayé de modéliser dans ce
travail d'étude. Ces modèles mettront plus en avant ce qui est durable sur ce qui est immédiat,
valoriseront ce qui est issu de la nature plutôt que de l'homme, et permettront ainsi ce
développement harmonieux d'un progrès social en phase avec les conditions et ressources de
notre planète, que toutes nos civilisations -à ce jour, sans exception aucune,- n'ont réussi à
construire.
Il faut aussi convenir que les références sur ce sujet sont encore lacunaires et nous ne pensons
donc pas que notre démarche constitue autre chose qu’une des pistes pour l’avenir.
S’il y a des doutes sur les pistes à suivre, il n’y en a certainement plus sur le caractère
fondamental du sujet.
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