les enjeux de l`evolution des comportements de reponse au
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les enjeux de l`evolution des comportements de reponse au
LES ENJEUX DE L’EVOLUTION DES COMPORTEMENTS DE REPONSE AU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE Rapport rédigé par des étudiants de l’École Nationale d’Administration (ENA) française, pour le numéro 75 de la revue Liaison Énergie-Francophonie (2007) www.iepf.org/ressources/lef.php Mme Sophie COSTEDOAT, Mme Anne-Marie LE GUERN, M. Laurent GRAU, M. Hervé HULIN, M. Jean-Michel KEHR (France), Mlle Daranee NUAMNA (Thaïlande) et M. Erwan LECOEUR A - Les enjeux et les contraintes 1 – La perception des enjeux La brutalité des changements de conditions de la vie humaine à l’horizon d’une cinquantaine ou d’une centaine d’années aura d’abord des conséquences sur les ressources alimentaires ainsi que sur la mortalité et la morbidité d’une part importante de la population. Les effets les plus désastreux seront souvent transmis par l’eau. Les inondations seront suivies d’une réduction importante des approvisionnements en eau, qui touchera à terme un sixième de la population. En outre, le déclin des récoltes, aura des conséquences directes sur la capacité de survie, en particulier des populations africaines. Le nombre de décès liés à la chaleur va augmenter, ainsi que les maladies vectorielles (paludisme, dengue,…). Par ailleurs, ces changements auront de graves conséquences sur l’organisation des populations. Elle provoquera des migrations des habitants des régions côtières subissant des inondations (au Bangladesh, aux Pays-Bas,…). Elle entraînera immanquablement, en conséquence, des difficultés de survie de grandes franges de la population humaine, des tensions et des conflits, en particulier dans des régions du monde tributaires de l’eau. Comme l’indique le rapport Stern, « les pays et les populations les plus pauvres seront les premiers et les plus durement touchés ». Du fait d’une part de leur situation géographique, elles subiront les plus grandes variabilités de climat, d’autre part de leur dépendance à l’agriculture, elles auront plus de difficultés alimentaires, et enfin de leur moindre développement, leur adaptation aux conséquences du changement climatique sera beaucoup plus difficile. Les enjeux climatiques sont désormais établis et sont incontestables. Pour autant, la perception que nous en avons est encore partielle et somme toute subjective. 2. La perception actuelle : les messages perçus Les citoyens et consommateurs sont sollicités par des messages de toutes natures qui façonnent nos représentations du monde. S’agissant du changement climatique, quels messages recevons nous ? Quelles sollicitations nous sont adressées ? Qui s’adresse à nous ? Les principales sollicitations viennent des médias, des politiques, des entreprises (via aussi la publicité) et de l’enseignement scolaire. 9 Les messages des médias En premier lieu, nous recevons le message des médias. Comme leur nom l’indique, les médias relaient les messages des émetteurs (politiques, entreprises, …) placés en amont ; le message des médias (surtout les médias visuels) fonctionne essentiellement sur le mode de l’analogie (une voiture brûlée en banlieue ressemble à une voiture brûlée à Gaza). Les médias ont une influence sur nos représentations, par les choix qu’ils font de relayer telle ou telle information. Quels sont les messages des médias sur les questions de changement climatique ? Le souci des médias est d’exposer de manière résumée les constats sur les effets du réchauffement climatique, ce dont ils s’acquittent correctement. En cela, ils participent à la fois à la prise de conscience minimale du phénomène par l’opinion publique, et à la création d’une vague ambiance d’inquiétude pour l’avenir. Leur parole se limite à l’exposé des symptômes et des dégradations subies. En revanche, les médias n’ont pas pour objectif de faire comprendre les enjeux des conférences internationales. En résumé, si les engagements de Kyoto ne sont opposables qu’aux Etats ou aux grandes entreprises, pourquoi y associer les téléspectateurs ? En outre, les enjeux internationaux sont complexes et s’exercent dans une logique de négociation qu’il est difficile de restituer simplement. A fortiori, les médias ne rendent pas compte des enjeux des modifications de mode de croissance et de développement économique que le changement climatique va induire, ou des enjeux d’une évolution du comportement individuel. 2 9 Le politique C’est à l’occasion de la récente campagne présidentielle française que la question a été abordée avec le plus d’impact, lorsque Nicolas Hulot a proposé la mise en place d’un pacte écologique. Il est regrettable que ce pacte ne comporte pas d’engagement concernant la modification des comportements individuels. Toutefois, La décision du nouveau président Nicolas Sarkozy de créer un ministère d’Etat de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, confié à une personnalité politique importante, devrait satisfaire les engagements du « pacte écologique ». Il crée un espoir de voir les questions de changement climatique sérieusement prises en compte par le gouvernement. Notons que parmi les missions confiées au ministère dans les décrets d’attribution, figure la politique d’association des citoyens aux choix environnementaux et la contribution à l’éducation, la formation, l’information en matière d’environnement. A ce stade, le débat se déplace, il ne s’agit plus de discuter des causes et des preuves, mais cette fois-ci des réponses à apporter. Au niveau de l’Union européenne, qui tient une place essentielle en matière de conduite de la politique de l’environnement, on peut noter une idée, émise par le député Daniel Cohn-Bendit, consistant à créer un pacte européen de stabilité climatique sur le modèle du pacte de stabilité économique. Si les Etats s’engageaient à respecter un tel pacte écologique avec la même vigueur qu’ils mettent à respecter le pacte économique, l’opinion publique devrait se sentir largement impliquée dans cette politique écologique. 9 L’entreprise Les entreprises ont des positions différenciées, allant du discrédit de l’information sur le changement climatique à l’adhésion. Certains groupes pétroliers font partie du premier groupe. Exxon-Mobil par exemple, a « dépensé au moins 19 millions de dollars depuis 1997 pour financer un réseau de dizaines d’officines d’études et de recherche afin d’introduire le doute dans les médias et le public aux Etats-Unis sur les changements climatiques et le rôle des émissions de gaz à effet de serre » (Le Monde, 15 février 2007, page 33). Depuis 2006, Exxon-Mobil ne contesterait plus la réalité du réchauffement climatique et son origine humaine, mais considèrerait que les responsables en sont non pas les compagnies pétrolières, mais les consommateurs et les gouvernements. Il n’est pas inintéressant de noter que cette prise de position du premier groupe pétrolier mondial renvoie directement à la question du comportement individuel. De l’autre côté du spectre, des entreprises comme Shell (compagnie pétrolière) ou Lafarge (ciments) se sont volontairement engagées, depuis plusieurs années, à respecter les objectifs de Kyoto, espérant notamment en retirer une image favorable chez les consommateurs. Les entreprises automobiles dépensent une large part de leurs efforts de recherche pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Enfin, les entreprises diffusent de plus en plus des publicités, en particulier télévisuelles, dans lesquelles est mis en avant la préoccupation du développement durable. Il existe donc une réelle préoccupation des entreprises d’afficher, au-delà de toute anticipation économique sur les technologies « propres », l’image d’un comportement écologiquement responsable vis-à-vis du consommateur. 9 L’éducation Autre domaine dans lequel sont diffusés des messages : l’enseignement. L’Education Nationale française a mis en place une instruction du 8 juillet 2004, qui renouvelle la dimension pédagogique de l’éducation sur l’environnement en l’intégrant dans une perspective de développement durable. Tous les élèves sont visés, dès le plus jeune âge, « pour leur permettre d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable ». L’effet de cet enseignement sur les élèves, en particulier ceux du primaire, prompts à intégrer les normes, est spectaculaire dans les cercles familiaux : les enfants informent souvent leurs parents sur les sujets d’environnement, et interviennent dans les foyers pour développer des comportements éco-responsables. Du point de vue philosophique, leur intervention sur ces sujets est particulièrement légitime, s’agissant des générations qui vivront les effets du changement climatique. 3 En somme, le citoyen / consommateur français, européen, est largement informé des conséquences du changement climatique. On peut dire qu’il baigne dans un « bruit » permanent sur ces sujets, parce qu’ils sont abordés dans tous les médias (par exemple, à la télévision, lors du journal télévisé, de la publicité, d’émissions thématiques), dans la sphère publique (dans l’enseignement, dans les services publics, qui reproduisent aussi ces messages) et dans la sphère du travail (en particulier dans les grandes entreprises ou les services publics – voir la circulaire sur l’achat des véhicules ministériels). Toutefois, les avis discordants émis ou les sollicitations publicitaires à la demande contradictoire neutralisent pour partie ces efforts. En outre, pour mobiliser les esprits et modifier les comportements en profondeur, une prise de parole de nature philosophique plus directe à la personne, qui n’existe pas aujourd’hui, serait nécessaire. 2 - Le changement de comportement est rendu difficile par les contraintes et induit la remise en cause de certains paradigmes 1 - Les contraintes La problématique, telle qu'elle est perçue, semble exiger une reprogrammation rapide des modèles d’organisation politique et économique existants. Or, deux contraintes décisives se font jour. 9 Un temps de réaction à présent limité Ce changement de cours doit intervenir très vite alors qu’il n'y a pas de modèles déjà préconçus vers lequel s'orienter. On connaît le système auquel renoncer, mais on ignore celui qui est à bâtir. La question ne réside pas tant autour du principe de ce changement, qui est globalement acquis, mais autour de sa dimension : changer de modèle de vie collective, mais jusqu'où ? On dispose de temps pour corriger la trajectoire engagée, alors que chaque comportement de la vie quotidienne ajoute à la dimension irréversible du problème. Il en résulte une pesante impression de finitude et de compte à rebours. S'il est incontestable que les problèmes sont à présent assez bien formulés (y compris d'un point de vue médiatique), les solutions commencent tout juste à être conceptualisées pour faciliter la décision politique. Les deux dernières années ont été marquées par une progression considérable de l'assimilation des problématiques climatiques dans le discours politique, accélérée en France par la campagne présidentielle. Or, il ne faut pas négliger le fait que les expertises en cours (GIEC) continuent d'évoluer, tant sur les causes que sur l'impact du réchauffement. C'est ainsi que les objectifs de Kyoto, si difficilement tenus, s’avèrent largement insuffisants. 9 La nécessité d’agir sur un plan mondial en tenant compte de cultures et de stades de développement différents Ce changement ne peut qu'être partagé et collectif. Les efforts engagés par un individu peuvent être annihilés à l'autre bout de la planète (ou tout simplement sur le palier en face) par un autre qui reste rétif à la démarche. En fait, il s'agit de s'approprier d'abord une démarche de restriction (consommer moins, compter et dénombrer les unités d'énergie, surveiller ses achats et leur impact écologique) sans que soient perceptibles à court terme les gains envisageables. On entre dans un mode de vie où tout se décompte et plus rien n'est « gratuit ». Le seul but palpable de cette réévolution, c'est de conserver une planète viable à moyen terme (c’est-à-dire à l'échelle d'une génération): ce n'est pas enthousiasmant comme projet de vie collective. Que faut-il donc construire d'autre en parallèle de ces restrictions pour donner du sel et du sens à cette reprogrammation hâtive de nos civilisations? o A titre d’exemple, livrons quelques réflexions sur l’effet des traditions et cultures thaïlandaises, inadaptées au changement requis. Le poids des traditions y est déterminant : la population pense que le réchauffement climatique ne concerne pas la Thaïlande parce qu’on a appris à l’école que son pays était fertile et avait beaucoup de ressources naturelles et qu’il n’était pas frappé par des catastrophes naturelles. Par conséquent, on ne pense à aucun risque qui peut être causé par l’abus de la nature ; 4 - les fermiers en province brûlent les mauvaises herbes poussées dans leurs terrains sans savoir que cela peut endommager l’environnement. Ces traditions et cultures sont difficiles à changer. L’ignorance est également le produit d’un relatif égoïsme : les habitants savent que le problème de changement climatique existe mais ils l’ignorent. Ils ne s’y intéressent que quand les médias en parlent ; la population sait que la climatisation consomme beaucoup d’énergie et n’est pas bonne pour l’environnement, presque tous les immeubles et maisons à Bangkok et dans les grandes villes sont équipés de climatisation ; malgré l’existence des transports en commun, la plupart des habitants de la capitale préfèrent se déplacer en voiture. Il y a toujours des embouteillages à Bangkok et dans certaines grandes villes. On souhaite parfois se déplacer en ville en vélo au lieu de prendre sa voiture mais c’est dangereux parce que, pour l’instant, il n’y a ni la voie pour les cyclistes, ni l’endroit où on peut garer son vélo sans se le faire voler. Les conditions ne sont donc pas réunies pour systématiser l’usage du vélo. 2. Les éléments qui vont nécessairement être remis en cause 9 La nécessaire modération du désir inavoué de combustion W.G. Sebald dans « De la destruction comme élément de l’histoire naturelle », rappelle que l’homme adore la combustion depuis le commencement du monde : faire du feu, mettre le feu, utiliser le feu, activités particulièrement mises en œuvre et en valeur depuis l’ère de la combustion fossile, de la vapeur, du piston, de la sidérurgie lourde et du carburateur. L’ère industrielle constitue ainsi un achèvement exceptionnel puisqu’elle déploie une activité de transformation lourde de l’acier pour produire des véhicules et particulièrement des automobiles, elles-mêmes unités de combustion. Le feu carbonise également des villes et suscite la fascination des hommes : incendie criminel de Rome, accidentel de Londres (1666), de Chicago (Great Chicago Fire, 1871)… Sans oublier que le feu et la combustion sont également l’achèvement idéal du conflit et de la guerre : il suffit de songer aux bombes au phosphore déversées sur l’Allemagne et provoquant des tempêtes de feu (Feuersturm), au napalm sur le Vietnam. Enfin, le tableau ne serait pas complet sans faire référence aux rites funéraires. En résumé, le feu et sa symbolique purificatrice caractérisent la psyché humaine. On notera que la fascination de la combustion ne prend pas les mêmes formes dans toutes les cultures. On constate ainsi que les sociétés dont la construction historique est intimement liée à l’émergence de la société industrielle sont plutôt portées sur l’association « combustion-puissance » (Etats-Unis, Union Soviétique, etc.) et la séquestration du CO2 pour maintenir les caractéristiques de cette association. D’autres, plus portées sur leur association avec la nature, et ce en dépit d’un développement industriel incontestable, misent sur la biomasse et le biogaz et une association « décomposition-contrôle », théoriquement neutre en CO2. Ces phénomènes ne sont pas secondaires alors qu’il faudra surmonter les fortes résistances qui apparaîtront face à toute tentative de remise en cause des modèles inconscients qui associent un mode de croissance et de vie avec un mode et une mise en scène de consommation de l’énergie. 9 Le mythe du progrès illimité se heurte aux ressources limitées d’un monde fini Depuis le protocole de Kyoto (1997) et surtout depuis les manifestations incontestables du réchauffement, la perception de la menace est devenue vive et exige désormais une remise en cause de nos façons de vivre. Or, nous ne sommes pas habitués à des débats sur notre mode de vie, et peu enclins à en inventer brutalement d'autres alors que celui que nous avons construit était censé être durablement viable, et un modèle jugé exemplaire il y a deux décennies seulement. De façon générale, cette problématique repositionne avec une radicalité sans précédent les relations de l'homme avec la nature. En effet, depuis l'humanisme, l'homme conçoit sa relation avec cette dernière comme inégalitaire et à son avantage. S’il a vocation à l’exalter, il se pense en droit de l'utiliser à bon escient selon les exigences du progrès (scientifique, technique et industriel). Dans une société industrielle, le progrès est lui-même un moteur à forte intensité thermique dont 5 les finalités l’emportent sur toute évaluation de son impact énergétique et en termes de ressources non-renouvelables. À présent, ce cycle s'achève et l’Homme découvre que les dommages occasionnés à la nature sont tels qu’ils pourraient atteindre le rythme de ce progrès et contraindre à repenser sa logique s’il voulait en maintenir le principe (à la vitesse actuelle de la croissance économique, à consommation de ressources inchangée, les ressources fossiles seront bientôt épuisées). En revanche, le principe du progrès n’est pas remis en cause, mais il ne peut plus faire l’économie d’une étude globale d’impact, préalable et systématique. Le moteur du progrès était sans limites et la découverte des capacités limitées du monde fini est ainsi appelée à modifier les relations entre l’homme et la nature. Ainsi pourrait naître une nouvelle relation entre les deux, de donnant-donnant : il s'agirait d'exploiter la nature autant qu'elle le veut et qu'elle le peut. Ce mode de relations est souvent à l’œuvre dans les zones extrêmes de la planète et peut constituer une source d’inspiration, notamment dans les sociétés tropicales et subsahariennes africaines qui posent la relation avec la nature comme symétrique, et fonctionnent sur des postulats de ressources limitées (saison des pluies, sécheresses chroniques, impénétrabilité de la forêt pluviale) 9 L’inévitable différenciation consommation entre progrès économique et société de Depuis la fin du second conflit mondial, la dynamique du développement économique tend à s’exercer vers une constante accumulation de biens au mépris du progrès social et de la préservation de l’environnement. Dans les pays industrialisés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord et certains pays d’Asie (Japon) les hommes vivent dans une totale immersion dans le monde de la consommation. Le terme « consommer » est associé à des images d’abondance de toutes sortes de biens faciles à acquérir, une profusion de nourriture, une accumulation d’objets. L’homme moderne est devenu un consommateur dont le maître mot est de profiter. Il profite de tout : des soldes, des vacances, des voyages en avion à prix bradés pour se rendre de plus en plus loin et « faire » un pays en 5 jours, en achetant au mois de décembre des cerises du Pérou venues en avion. La consommation est le modèle du plaisir, une auto-gratification sans cesse renouvelée : se montrer avec la toute dernière nouveauté, le dernier téléphone portable, le vêtement à la dernière mode, plaisir de se comporter insouciante et de faire comme si la vie était une fête perpétuelle, comme si on pouvait consommer toujours sans contrainte et ne jamais se poser de questions. Or, ces habitudes de vie ne peuvent perdurer. La surconsommation, le gaspillage représentent actuellement l’apogée de la culture occidentale. Le développement durable n’est pas compatible avec une vision de l’être humain réduit à une fonction matérielle de satisfaction hédoniste et égoïste, Or, toutes les sociétés n’ont pas encore goûté à la société de consommation. On peut même dire qu’à part l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord (+ Japon, Australie et NZ) : aucune autre. Or, depuis au moins 40 ans, il y a confusion entre deux notions qui se superposent effectivement sans pouvoir être mélangées dans l’Histoire : le progrès technologique et économique d’une part, et le développement de la société de consommation d’autre part, même si les penseurs marxistes et post-marxistes (cf. Walter Benjamin, Adorno, Marcuse) ont tenté de démontrer que la société de consommation et la promotion publicitaire qui la stimule sont les avatars directs de la société industrielle de production de masse. Selon la théorie actuelle, c’est l’offre qui crée la demande au sens où l’offre sait que les consommateurs sont friands de produits technologiquement évolués ainsi que l’a souligné Edgar Morin dans « Terre patrie » : « on crée un consommateur pour le produit et non plus seulement un produit pour le consommateur ». C’est la consommation de masse qui permet de réduire les coûts grâce à la production de masse qui suit de quelques années ou mois le lancement des produits (magnétoscopes, CD, DVD, baladeurs numériques, téléphones portables). L’offre pensait connaître les besoins des consommateurs (intuition, marketing, analyse : par exemple le concept de nomadisme). Or, cette logique de fond est menacée donc une fraction importante du système capitaliste de stimulation du marché. Selon Jacques Rancière, la contestation de la société de consommation n’est que le dernier avatar de la contestation historique de la démocratie. Selon lui, la publicité, la stimulation de l’offre et la société de consommation sont les expressions économiques de la société démocratique 6 participative. Ainsi, les Allemands ont incontestablement associé la renaissance politique de l’Allemagne devenue fédérale à la réussite économique de leur pays, de sa monnaie et à l’accès (retrouvé) à la grande consommation (le pays de cocagne). Il résulte de ce constat que c’est également la société démocratique occidentale qui est à un tournant de sa riche histoire. Certaines forces de la société attendent avec satisfaction l’effondrement de la société de consommation. 9 La disjonction plus délicate entre développement et croissance à l’ancienne La réorientation annoncée intervient au milieu d'une progression en cours de nombreux Etats émergents, qui avaient enregistré des avancées significatives dans la production de richesses sur un mode de développement traditionnel. Cette évolution doit-elle brutalement s'interrompre ? En effet, dans un contexte marqué par le droit à bénéficier de la croissance dans les pays émergents, ces pays ne comprendraient pas que leur soit refusé ce confort dont les habitants des pays industrialisés bénéficient largement. En fait, la croissance n’est pas en question, mais la forme qu’elle prend traditionnellement. Le plus délicat est de parvenir à faire passer un message difficile, selon lequel il faut parvenir à accéder aux bienfaits de la croissance par le développement durable, donc sans imprimer une forte empreinte écologique, donc selon une forme de croissance qui n’a pas prouvé qu’elle produit rapidement les mêmes effets sans ses inconvénients. Un monde occidental énergétiquement et écologiquement vertueux ne sauvera pas la planète et ne pourra pas se sauver lui-même sans un changement radical en provenance des Etats-Unis, responsable du quart des émissions à effet de serre. Ainsi, les Etats sont liés comme ils ne l’avaient jamais été auparavant. Le travail de pédagogie à l’adresse des pays émergents est pour l’instant assez vain (Chine et Inde). Ce travail doit pourtant se poursuivre, sur un mode d’explication ouvert. Garantir une augmentation du niveau de vie ne peut plus se faire selon le schéma traditionnel : production de biens intermédiaires et de biens de consommation > emplois > salaires > demande > croissance > nouvelles unités de production > emplois. La démonstration sera difficile car ce modèle a apporté la croissance et le bien être social en Europe (en passant par un vif débat social interne). La seule chance est de parvenir à la démonstration des effets indirects immédiats sur l’environnement. Sans perdre de vue le droit de ces sociétés à l’accès du plus grand nombre à la dignité sociale et économique, les pays développés devraient s’investir dans l’élaboration d’un schéma de croissance qualitative, comme meilleur mode d’explication. Dans ce domaine, la portée de l’exemple est essentielle. Il faut faire rapidement la démonstration que l’axiome suivant fonctionne : développement durable > croissance qualitative > produits compétitifs > emplois et bien être social et économique. 9 L’indispensable prise en compte d’autrui pour assurer son propre développement Les pays qui subissent déjà les effets des aléas climatiques (sécheresse, ouragans, innondations) sans pouvoir leur apporter de réponses, vont souffrir encore davantage. Le changement climatique qui va entraîner en particulier une hausse du niveau des mers à certains endroits et une sécheresse à d’autres, se traduira par l’apparition de réfugiés climatiques. Nombre de ces nouveaux réfugiés franchiront les frontières, ce qui ne fera qu’accroître les tensions internationales, envenimant certains conflits ou en créant d’autres dans les pays émergents. Beaucoup d’autres personnes seront déplacées à l’intérieur des Etats ce qui les privera des droits conférés internationalement par le statut de réfugié. Leur reconnaissance légale impliquera une assistance, voire une compensation financière des dommages subis. Une fois déstabilisés en interne, les pays les moins favorisés connaîtront une forte reprise des flux migratoires vers l’Occident. Quelle attitude les pays de l’Union européenne adopteront-ils face à cette évolution ? Quel sera le statut du réfugié climatique, alors que celui du demandeur d’asile est déjà très contraint ? L’Europe occidentale restreindra-t-elle l’Etat de droit contre l’état de nature ? 9 Valoriser ce qui n’est pas produit par l’homme Le temps semble venu de conférer de la valeur à des productions de la nature et de rémunérer les pays qui ont la chance de les détenir, charge pour eux de les protéger. De nouvelles richesses, pourtant sans intérêt pour le monde économique moderne si elles ne sont pas exploitées, seraient 7 ainsi identifiées et soustraites aux convoitises. Il s’agit des grands espaces naturels, qui seraient ainsi reconnus comme entités d’un patrimoine naturel mondial (la forêt amazonienne, malgache, indonésienne, malaise, celle d’Afrique centrale). L’Unesco reconnaît déjà des sites mais pas des grands espaces. Pour la première fois, la valeur ne viendrait pas de la production humaine mais de la seule propriété d’un bien (une sorte de rente) et une rémunération substantielle, susceptible de permettre le dédommagement de ceux qui assureraient leur subsistance de ces espaces et également leur entretien, serait par ailleurs garantie. Les préoccupations de biodiversité et de protection des espaces répondraient simultanément à celles du développement (et du développement durable) et à la lutte contre le réchauffement climatique. Ces enjeux et ces contraintes mettent le monde au-delà du simple principe de précaution. Il s’agit aujourd’hui très clairement de prendre nos responsabilités pour laisser à nos enfants une planète tout simplement vivable. B - La nécessité d’une analyse réflexive pour changer effectivement les comportements A ce stade, une analyse réflexive s’avère pertinente pour amener un changement effectif des comportements passant par une véritable action stratégique. 1. Une nécessaire analyse réflexive 1.1 - Un fait social total en apparition Les solutions aux défis posés par le réchauffement climatique nécessitent d’abord des instruments d’analyse en adéquation avec la portée de ces défis. Pourquoi ? - le défi est global en termes d’espaces: des solutions propres à l’Occident seraient insuffisantes, de la même façon que les bonnes pratiques d’un archipel vertueux ne suffiraient pas à le sauver de la montée des eaux ; - le défi est global en termes de destinataires : il est lancé aux individus autant qu’aux sociétés ; Il nous a semblé que proposer un corpus de solutions serait vain si ces dernières n’étaient pas précédées d’une analyse qui tiendrait compte des différences essentielles d’appréhension du monde. A cet égard, avoir recours d’entrée aux instruments proposés par l’ethnologie, l’anthropologie, la sociologie et la psychosociologie est indispensable dans la mesure où ils sont au service d’une tentative de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans l’Homme. Les apports de la sociologie (Durkheim, Mauss et Lévi-Strauss) peuvent permettre de brosser une première approche. L’utilité de ces instruments d’analyse sera patente du fait de la nécessité : de nouvelles institutions, de nouveaux rites, de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles catégories de comportements. 9 Les limites d’une analyse occidentale des menaces du changement climatique Le premier écueil qui se dresse devant la progression de l’analyste est celui de la vision européocentrée ou occidentale du réchauffement climatique. Le changement climatique (causes, faits et évolution) est incontestable et scientifiquement prouvé. Mais par un subtil paradoxe, ce sont encore une fois les occidentaux qui mènent l’analyse. Principaux responsables de la situation actuelle (au moins du XIXe et XXe siècles), ils semblent se saisir de l’avenir de la planète comme l’occasion de formuler une nouvelle vision du monde (Weltanschauung), un nouveau système de pensée politique, qui pourrait faire (comme les précédents) l’impasse sur les pensées alternatives non occidentales. L’homme occidental est le produit d’une pensée à la fois scientifique (la méthode d’analyse scientifique fondée sur la démonstration ou l’invalidation d’une expérience) et positiviste (la société a une direction : celle du progrès continu obtenu par la raison), matérialiste et historiciste (le sens de l’histoire), sécularisée (la raison contre la religion), universaliste (la pensée occidentale est valable pour le monde) et enfin individualiste (droits et devoirs de l’Homme libre et responsable). 8 Déjà à l’œuvre avec les théoriciens et les activistes de l’écologie politique, une nouvelle pensée politique va émerger. Comme elle est occidentale, elle va reposer sur l’individu, placé au centre de l’action politique en Occident. A quoi peut-elle ressembler ? A priori, la lutte contre la pollution et le gaspillage est certainement la politique publique qui ressemble le plus à celle à venir contre le réchauffement climatique : appel à la responsabilité individuelle, au respect individuel de la nature, à pratiquer le recyclage, à économiser les ressources et l’énergie… De telles actions ont produit des effets, mais la lutte contre le réchauffement climatique suppose une évolution beaucoup plus profonde et surtout plus rapide. Or, il convient de prendre conscience que le succès (relatif) des actions précitées est fondé sur une appréhension particulière du monde et de la nature. Celle qui permet de poser comme principe que le monde et la nature ont l’Homme pour prédateur. Ce qui semble évident ne l’est pourtant pas. Ces analyses proviennent d’une conception anthropocentrique du monde, proprement occidentale, déjà à l’œuvre dans la lutte contre la pollution et la protection de la nature. Dire qu’elle est partagée par le plus grand nombre ne suffit pas à l’asseoir comme réalité. En fait, cette parole est la face inversée de la toute puissance de l’Homme, de la maîtrise de son destin et du monde. La mort (occidentale) de Dieu a signé la divinisation de l’Homme et c’est bien parce qu’il est Dieu et responsable de ses actes dans le Monde que ce Monde est devenu son sanctuaire et qu’il en a la garde. Il n’y a plus aucun tiers entre lui et ce sanctuaire. Il faut être occidental pour affirmer que l’Homme est maître de son destin, admettre que la situation actuelle est de son fait et que les solutions résulteront également de son action. La menace le vise directement, le responsabilise, de telle sorte que sa réaction salutaire signera sa maîtrise définitive du monde (et achèvera la fin de Dieu). Dans cet univers sécularisé, on manipule et recycle évidemment des concepts de la pensée religieuse sans s’en rendre compte, comme la pureté (que l’on oppose à la pollution) ou la vertu (bon comportement civique et écologique). C’est bien le regard porté sur le monde par l’homme occidental qui a changé et pas le monde lui-même. Il faut rappeler qu’il y a encore un siècle, on se félicitait de polluer, signe d’activité et de puissance (comme la Russie soviétique il y a encore peu de temps ou la recherche aurifère aux Etats-Unis). Ainsi, comme elle est occidentale, est-elle seulement dans l’espace occidental appelée à être vécue comme un changement (ou une évolution) de civilisation ? Voilà un questionnement stratégique : serons-nous suivis lorsque nous évoquons nos angoisses ? 9 Les apports de la sociologie La sociologie et les autres sciences humaines, certes d’essence européenne, ont développé des instruments permettant d’appréhender toutes les sociétés humaines. Le fait social total : Marc Augé utilise ce concept inventé par Marcel Mauss dans son ouvrage « Un ethnologue dans le métro » : « Transgressée ou non, la loi du métro inscrit le parcours individuel dans le confort de la morale collective et c’est en cela qu’elle est exemplaire de ce que l’on pourrait nommer le « paradoxe rituel » : elle est toujours vécue individuellement, seuls les parcours singuliers lui donnent une réalité, et pourtant elle est éminemment sociale, la même pour tous, conférant à chacun ce minimum d’identité collective par quoi se définit une communauté ». Pour Augé, « l’observateur soucieux d’exprimer au mieux l’essence du phénomène social constitué par le métro parisien devrait rendre compte non seulement de son caractère institué et collectif, mais aussi de ce qui, dans ce caractère, se prête aux élaborations singulières et aux imaginations intimes sans lesquelles il n’aurait plus aucun sens. Il devrait, en somme, analyser ce phénomène comme un fait social total au sens que Mauss donne à ce terme et que Lévi-Strauss précise et complexifie ». Mauss désigne par faits sociaux totaux des phénomènes qui impliquent la totalité de la société et ses institutions et possèdent deux propriétés : - ils sont à la fois religieux, économiques, juridiques, esthétiques, donc irréductibles au langage de l’institution ; - ils ont un caractère contractuel ou conventionnel qui présuppose lui-même une formulation explicite et une conscience au moins implicite et non totalement inconsciente du rapport à autrui. Nous sommes ainsi à la recherche d’un fait sociologique qui permettrait d’élaborer une explication globale des phénomènes en cours. Quelle est l’institution à étudier dans la lutte contre le 9 réchauffement climatique et « le fait de fonctionnement général » à observer susceptible de nous permettre de nous doter d’instruments d’analyse adaptés à toute la collectivité humaine ? Le fait social total interrogé par le phénomène du réchauffement climatique est la lutte contre ce réchauffement, qui est appelée très rapidement à devenir un fait de fonctionnement général des sociétés en survie. Notre intuition, qui nous a guidés vers les instruments de la sociologie est précisément la globalité et l’immédiateté de la menace, qui vont conduire à la formation d’institutions sociales multiples et diverses. Or, ce sont moins ces institutions qui comptent que la manière dont elles vont impliquer dans toutes leurs activités, la totalité des individus en tant que collectivité d’individus. En reprenant l’image du métro de Paris, que les voyageurs munis d’un ticket empruntent à toute heure pour une multitude de raisons différentes et qui sont autant des individus dans leur parcours singulier que des voyageurs unis par une destination fugace, le changement climatique est appelé à embarquer tout le monde et à organiser les rapports sociaux autant qu’individuels pour autant que l’on puisse séparer ces deux éléments. Pour Lévi-Strauss en effet, les hommes ne prennent véritablement conscience d’eux-mêmes (conscience individuelle d’eux-mêmes comme individus) qu’au moment où ils prennent conscience de leur situation vis-à-vis des autres, autrement dit de leur situation sociale, qu’ils ne prennent conscience d’eux-mêmes qu’en prenant conscience des autres, donc qu’il n’y a de conscience individuelle que sociale. Nous retiendrons de ces développements plusieurs éléments : l’homme en tant qu’individu social est rarement seul, même dans une société individualiste ; un même mouvement général ne signifie pas unité et la constitution de groupes d’affinités est inévitable ; un fait social total est en voie de constitution : des institutions, animées par des hommes, chercheront à donner une direction à la lutte contre le réchauffement climatique et l’ensemble des comportements collectifs comme individuels, d’adhésion ou de résistance, se structurera en fonction de cette direction générale ; un contrat (l’équivalent du ticket de métro ou du forfait mensuel qui permet de voyager) implicite ou explicite, sera signifié aux acteurs de la société qui organiseront leur vie en intégrant ou en ignorant cette donnée conventionnelle. 2. Une reformulation radicale de l’angoisse propre aux sociétés postindustrielles La perception des effets du réchauffement climatique a une charge émotionnelle forte dans la mesure où ce dernier est supposé mettre immédiatement en jeu la survie de la civilisation humaine. Cette perception recouvre une dimension messianique de catastrophe définitive, qui rejoint, sans leur ressembler cependant, les angoisses culturelles déjà rencontrées autour de la fin du monde (peur du conflit nucléaire pendant la guerre froide et les années 50) mais également des peurs partagées par de nombreuses civilisations dans l’histoire : famine, peste, angoisse hydrique. La résolution du problème est cependant du seul ressort de ses acteurs : la responsabilité est clairement humaine et conditionnée par nos comportements de vie élémentaire. Cette responsabilité prend toute sa portée dans la sphère occidentale pour les raisons exposées plus haut, de telle sorte qu’il en résulte une culpabilisation a priori évidente, dans la mesure où la prochaine génération sera directement confrontée aux effets d’une éventuelle inaction (nos enfants nous diront : « qu'avez-vous fait lorsque vous pouviez faire quelque chose ? »). Angoisse diffuse et culpabilisation potentielle s’accompagnent d’une torpeur, produit du décalage constaté entre la prise de conscience assez avancée des individus et l’inertie (supposée) des décideurs. La prise de conscience n’est pas forcément politique, elle est d’abord esthétique, au sens où la culture occidentale, qu’elle soit à finalité commerciale ou non, s’est délectée ces dernières décennies des productions littéraires et cinématographiques situant leur intrigue dans un décor et dans une problématique de société post-industrielle. Dans son « Court traité du paysage », Alain Roger rappelle que ce sont les artistes qui créent les paysages et non le contraire (dans la mesure où ils créent une nouvelle sensibilité qui atteint toutes les couches sociales). Ce sont ainsi les artistes européens qui ont rendu visibles aux yeux de tous de nouveaux paysages autrefois considérés comme infréquentables : montagne alpine, bords de mer et mer et enfin déserts. De nombreux films (de science fiction, fantastiques ou 10 catastrophe) annoncent en fait depuis longtemps à la fois les effets mortels de la pollution et le combat final pour les ressources. (1) (2) Films Année Réalisateur Pollution Soleil vert New York ne répond plus Alien, le huitième passager (1) Mad Max (2) New York 1997 Blade Runner Dune Waterworld Independance Day Mars Attack The soldier Planète rouge (Red Planet) Artificial Intelligence (AI) Le jour d’après Le fils de l’Homme 1973 1975 1979 1979 1981 1982 1984 1995 1996 1996 1998 2000 2001 2004 2006 Robert Fleischer Robert Clouse Ridley Scott Georg Miller John Carpenter Ridley Scott David Lynch Kevin Reynolds Roland Emmerich Tim Burton Paul WS Anderson Anthony Hoffman Steven Spielberg Roland Emmerich Alfonso Cuaron X X X Epuisement Catastrophe des ressources climatique X X X X X X X X X X X X X X X X X X : 5 opus ont été réalisés (1979, 1986, 1992, 1997 et 2005) : 3 opus ont été réalisés (1979, 1981 et 1985) Comme ce tableau l’illustre, le thème de la catastrophe climatique apparaît progressivement sur les écrans, au détriment relatif de la pollution ou de l’épuisement des ressources, qui pourtant constituent la cause de la catastrophe, mais s’effacent au profit de leurs effets, à ce point rapides et radicaux, qu’ils passent au premier plan. Enfin, plusieurs films tirent les conséquences de la pollution et des catastrophes causées par l’homme : anthropophagie (Soleil vert, 1973), sélection génétique (Gattaca, 1997, Andrew Niccol), stérilité généralisée de l’humanité (le Fils de l’Homme). B. Les ressorts psychologiques individuels et les actions correctives pour un changement de comportement 1. La dissonance cognitive versus la consonance cognitive Les attitudes sont au confluent des opinions (individuelles et collectives) et des comportements (individuels, volontaires ou forcés). Pour autant, l’attitude d’un individu n’est pas la résultante de ses opinions en accord avec ses comportements : nous avons de nombreux comportements en contradiction avec nos opinions. Les théoriciens de la psychologie sociale, notamment Festinger en 1957, définissent cette situation comme de la « dissonance cognitive ». Il s’agit de l’un des mécanismes fondamentaux qui gouvernent les comportements humains. Lorsque les individus prennent conscience de la distance entre leurs opinions et leurs comportements, ils éprouvent, par besoin de cohérence, la nécessité de réduire cette distance. Dans ce dessein, ils disposent de deux possibilités : soit ils modifient le nombre et l’importance des éléments allant à l’encontre de leur comportement, soit ils modifient leur opinion initiale. Or, il est démontré que c’est le comportement qui change les attitudes (groupales, sociétales) et non l’opinion. Sur le plan individuel, plusieurs aspects doivent permettre de reconstruire une consonance à la fois personnelle (cognitive) entre opinion et comportement, mais aussi vis-à-vis d’un groupe de référence majoritaire en terme d’influence ou en passe de le devenir. Cela passe par la modification de la norme (opinion sur le souhaitable) et par la normalisation de comportements positifs (renforcement par le comportement). 11 Selon la théorie de la psychologie sociale, pour modifier des attitudes, il faut disposer d'arguments concrets qui correspondent à la réalité de ceux auxquels le message est destiné. Les consommateurs doivent se sentir personnellement concernés. C’est-à-dire que le changement d’attitude individuel doit correspondre à une vision partagée de l’avenir. Il convient de définir et de valoriser de nouveaux comportements socialement responsables et de porter le discrédit sur l’ensemble des conduites que l’on peut qualifier à risques. Ainsi, émergeront de nouvelles définitions de l’irresponsabilité, de la faute et du délit social. La pression du groupe, de la société entière peut amener chacun à s’engager. 2. L’angoisse de l’individu versus la création de groupe de référence 9 Des mouvements de repli divers Même si elle annihile la prise de responsabilité individuelle, l'angoisse de l'individu face à ses représentations sociales et leur remise en cause est un moteur de prise de conscience, à certaines conditions. En premier lieu, l'angoisse entraîne tout d'abord des comportements de fuite ou d’évitement face à la réalité, dont les caractéristiques sont les suivantes. Le déni du fait originel, qui consiste en un refus du sujet, en agitant les désaccords scientifiques sur l’ampleur du phénomène ou la prise en compte des avis et des intérêts divergents. On observera que, si la légitimité scientifique d'un réchauffement climatique provoqué par les activités humaines a considérablement progressé depuis trois ans environ, les critiques dites sceptiques se sont déplacées du principe même vers la seule part de l'action humaine dans les causes de ce problème. De plus, le danger que représente le réchauffement climatique pour l'équilibre futur de nos sociétés n'est plus frontalement contesté. L’amnésie, afin de pouvoir replonger dans le quotidien. Le modèle de réflexion qui consiste à faire individuellement le lien entre les gestes de la vie quotidienne et le sort à moyen terme de l'humanité est encore inexistant, ou du moins encore extérieur à notre culture. Il en résulte une tendance à différer l’introduction des ruptures dans ces habitudes et ces comportements de vie, dont certains sont ancrés depuis des générations. De même, ces comportements se manifestent par une tendance à consommer toujours autant voire plus, pendant que cela semble encore possible : on retrouve cette finitude évoquée précédemment mais vécue cette fois non plus comme un levier décisif pour changer de comportements ou de société, mais au contraire comme une incitation hédoniste ou narcissique à exploiter ce qui peut l'être avant qu'il ne soit trop tard. Il s’agit d’une réminiscence épicurienne transfigurée en boulimie destructrice. L'imminence du désastre serait en quelque sorte le motif de son accélération. À ce titre, le syndrome de la « tentation de la ruine » (Freud) ne serait alors qu'une acception aggravée de la tendance au repli sur soi, mais où l'angoisse, sans dérivatif compris comme acceptable, devient un désir d'anéantissement pour résorber définitivement le monde comme source du problème climatique (nihilisme). En second lieu, les comportements de repli identitaire sont également à craindre, au détriment de l’intérêt général et des enjeux globaux. Ils sont de plusieurs types. Replis nationalistes, religieux et culturels, replis sur la sphère privée face à la dimension mondiale du réchauffement et à la perte de repères traditionnels. Dès lors que toute démarche de solution au problème climatique met en jeu la dimension transversale et collective de l'humanité, ainsi qu'une conjugaison des sociétés sans égal dans notre histoire, en appelant des actions neuves en rupture avec nos modèles, le comportement de fuite prendra ici la forme d'un retour, présumé purificateur, aux valeurs sources du groupe social : comme naguère le SIDA pour certains groupes fondamentalistes religieux, ce drame climatique ne serait-il pas une sanction d'origine divine ? Le meilleur comportement face à cette évidence est alors un renforcement des références et valeurs traditionnelles : la nation, voire la patrie, contre la mondialisation, Dieu contre le progrès scientifique et technologique, la famille contre la société, la morale contre la consommation. Si la perturbation climatique est le fruit de cette vaste synthèse permanente qu'est devenue l'humanité, interactive et mondialisée, quel repère plus solide peut-on proposer aux générations naissantes ou à venir que la cellule originelle ? Ainsi, cette perspective permet aussi de se dédouaner de toute responsabilité si ce dernier est mondial, il procède donc d'un 12 ailleurs. On remarquera que des réactions diplomatiques ont un moment été très dominées par des réactions évoquant ce type de repli : le réchauffement trouve son origine dans d'autres systèmes que les nôtres, le mode de vie et de production des Etats riches. Repli sur les intérêts immédiats et financiers. C'est une traduction moins culturelle et plus matérielle du travers précédent. Or, ce mode de repli est central dans toute la problématique écologique. Il est au coeur du lobbying industriel : il est donc inévitable que face à une problématique aussi lourde que celle du dérèglement climatique, l'obstacle ait pesé à ce point. Ce sont les arguments porteurs de risques réels de souffrance sociale, de l'environnement contre les emplois, du progrès techniques contre la privation écologique, du bien-être matériel contre l'austérité de l'écologie. Ce n'est que très récemment que la représentation collective a quelque peu changé sur ce point et que l'opinion semble avoir majoritairement accepté de mettre en priorité les changements de comportements face aux enjeux de développement industriel. Encore que cette évolution fragile semble plutôt un apanage culturel des opinions de l'hémisphère nord plutôt que de celles encore insuffisamment sensibilisées des pays du Sud (voir plus haut l’exemple de la Thaïlande). 9 La nécessité de construire les groupes de référence, supports sociaux et agents propagateurs Il faut aussi que ces groupes soient capables d’écrire la chronique du changement, de la populariser pour en faire une mythologie (histoire collective) dans laquelle vient s’inscrire chaque histoire individuelle. Le changement d’attitude individuel ne se conçoit pas sans une vision partagée de l’avenir personnel dans lequel ce changement peut s’opérer pour chacun. Il s’agit donc de créer les lieux où se constituent et s’écrivent (médias) les « récits de vie réussie » des acteurs individuels de ce changement. Ces nouveaux acteurs seront à la fois vecteurs de l’idée du changement (idéologie et valeurs) et de la nécessité de ce changement (pédagogie). Sur ce point, le silence des intellectuels sur la problématique éco-climatique est assourdissant. Le fait que le sujet ne soit principalement traité que par les scientifiques et par le médiatique, semble insuffisant à un prompt changement des esprits, condition préalable à toute pédagogie sociale sur le thème. Il manque une réflexion globale, en termes de valeurs et de référents culturels, qui permette de penser le climat autrement que subi, et au-delà, comme un élément qui interpelle la relation de l'homme avec la nature. Ils seront également vecteurs de la possibilité du changement en donnant l’exemple et en obtenant des victoires durables, elles mêmes génératrices de nouveaux modèles. Sur ces aspects, il est possible de noter que l’identification des minorités actives dans ce domaine n’est pas évidente. Certes, les mouvements écologistes jouent un rôle prééminent, mais leur transcription politique institutionnelle semble avoir échoué, au moins sur leur capacité à trouver une représentativité élue traditionnelle. Les groupes de référence sont en cours de construction, mais la connotation scientifique du sujet rend moins visibles les données nécessaires et exige une interface médiatique constante : à titre d'exemple, les conclusions du GIEC, qui a une légitimité de groupe de référence, ne peuvent être diffusées dans l'opinion sans un puissant prisme vulgarisateur que seuls les médias traditionnels sont en mesure de produire. Il est significatif que quelques individualités médiatiques et scientifiques (H. Reeves, N. Hulot) ont plus d'influence que des entités collectives d'inspiration écologiques. Ainsi, les acteurs les plus militants sur ce domaine (Greenpeace par exemple) ont constamment besoin d'un effort de vulgarisation pour donner du sens à leur système de revendication. C'est ici un frein réel à la construction de groupe de référence véritablement en phase avec les opinions, qui sont par ailleurs elles-mêmes en construction permanente sur ce sujet. Cependant, on peut observer une réelle progression en ce sens, vers une évidence: il y a de plus en pus d'acteurs légitimes pour évoquer le sujet devant l’opinion et tracer tant le diagnostic que les perspectives. L’ensemble de cette réflexion qui a permis d’une part de délimiter les enjeux et les contraintes du changement climatique et d’autre part de formuler une réflexion sur le fait social en cause et les changements de comportement nécessaires, n’a pas d’intérêt en soi si aucune stratégie d’ensemble pour un passage à l’acte réussi n’est envisagée. Il s’agit donc de définir une véritable praxis au sens aristotélicien du mot en matière de prise en compte du changement climatique. 13 C - Une stratégie d’ensemble pour un passage à l’acte réussi A - L’indispensable implication simultanée de tous les acteurs 1. De bonnes pratiques individuelles ne font pas des faits sociaux L’adaptation au réchauffement climatique paraît aujourd’hui indispensable car il n’est pas possible d’arrêter brusquement les impacts des gaz à effet de serre déjà émis. La capacité des humains à s'adapter et à faire face au changement climatique dépend de facteurs comme la richesse, la technologie, l’éducation, l’information, les compétences, l’infrastructure, l’accès aux ressources et les possibilités de gestion. S’agissant du secteur de l’habitat, la diminution des émissions de gaz à effet de serre peut passer par un meilleur aménagement du territoire, de nouveaux choix d'urbanisme, de nouvelles méthodes d'implantation, de conception ou de construction des villes ou des bâtiments et par des procédés de chauffage ou de climatisation innovants. Le choix des implantations des lieux d'habitat a en lui-même une influence sur les émissions de gaz à effet de serre qui sont étroitement liées à celles des transports dans la mesure où l'allongement des trajets entre le domicile et le lieu de travail a tendance à entraîner des émissions accrues. En ce qui concerne les constructions individuelles, la première précaution, souvent omise, consisterait à respecter les conclusions tirées de l'analyse des données disponibles. Il conviendrait de strictement respecter les dispositions indiquant des zones inondables ou encore des couloirs d'avalanches. C'est dès le stade de la conception que l'habitat devrait être pensé pour émettre le minimum de gaz à effet de serre, donc être le plus économe en énergie. A cette fin, de nombreux programmes ont été mis en oeuvre ou proposés dans les pays développés. Pour pouvoir vivre confortablement chez soi en consommant moins d’énergie, il est nécessaire de choisir l’architecture qui limite au minimum les besoins de chauffage et supprime le besoin de climatisation active, tout en améliorant le confort de vie. Cela consiste donc à trouver une adéquation entre l'habitat, le comportement des occupants et le climat, pour réduire au maximum les besoins de chauffer ou de climatiser. Dans le domaine des transports, l’utilisation des transports en commun et des bicyclettes permet de réduire la production de gaz à effet de serre. Au-delà des politiques globales, les comportements de vie peuvent aisément évoluer, à condition d’adopter une nouvelle discipline de vie. Pour bien maîtriser la consommation d’énergie, nous pouvons commencer par suivre les conseils de premier niveau des experts, qui peuvent donner un résultat satisfaisant. Ainsi, pour les habitants des pays où le chauffage est nécessaire, ces gestes sont indispensables : choisir la température écologiquement idéale pour chaque pièce de la maison par exemple de 19 à 21° C dans les pièces de séjour, de 21 à 22°C dans la salle de bain, 19°C dans la cuisine, de 15 à 17° C dans la chambre ; baisser le chauffage 1/2 heure avant d'aller dormir et fermer les tentures ou les volets pour conserver la chaleur ; ne rien disposer sur les radiateurs ; coller sur la paroi située à l'arrière des radiateurs un panneau réfléchissant recouvert d'une feuille d'aluminium pour récupérer la chaleur ; baisser le thermostat de 3 ou 4 degrés au cas d’absence plus de deux heures ; aérer les pièces, pour éliminer l'excès d'humidité et chauffer avec moins d'énergie ; faire la chasse aux courants d’air sous les portes ou sous les châssis ; fermer les portes entre les lieux de vie et les couloirs, et celles des pièces peu ou pas chauffées. En matière d’économie d’énergie : éteindre toutes les ampoules en quittant une pièce ; choisir les ampoules économiques qui permettent jusqu’à 80 % d’économie d’énergie et qui ont une durée de vie beaucoup plus longue ; 14 choisir les cycles à 30 ou 40° C pour le lave-linge ; prendre une douche plutôt qu’un bain ; utiliser une pomme à douche économique qui permet d’économiser 40 à 50 % d’eau chaude ; veiller au bon état des joints des robinets ; mettre un couvercle sur les casseroles afin de chauffer plus vite et de consommer 50 % d’énergie en moins ; ne chauffer que les volumes d'eau vraiment nécessaires pour la cuisine, débrancher complètement les appareils en mode veille ; dégivrer le réfrigérateur ; choisir l’électroménager de la classe ‘A’, ‘A+’, ‘A++’. ne pas avoir la climatisation dans la voiture ; utiliser le moins possible les véhicules automobiles (préférer vélo ou transport ferroviaire à chaque fois que possible) ; choisir le modèle le plus léger et le plus efficace possible au cas ou une automobile est vraiment nécessaire, éviter de prendre l'avion ; ne pas utiliser la climatisation ; acheter des produits avec le minimum d'emballage ; acheter des produits recycles, recyclables, durables et réparables ; trier ses déchets, penser aux piles, cartouches d'impression, appareils électriques et électroniques. Changer de mode de vie est une autre solution à adopter pour lutter contre le changement climatique. Les spécialistes mondiaux du climat ont assuré, lors de la Conférence à Bangkok en mai dernier, que chaque individu a un rôle important à jouer pour lutter contre le réchauffement climatique qui n'est pas seulement l'affaire des gouvernements et des industriels. Les changements de modes de vie font partie des solutions identifiées par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) qui a rendu en Thaïlande son diagnostic sur les moyens d'atténuer les effets du changement climatique. Une autre option pour lutter contre le réchauffement climatique est d’utiliser les énergies renouvelables qui, contrairement aux énergies provenant des ressources fossiles, sont inépuisables et représentent la solution la plus durable et la moins extrême. Il s’agit des énergies que le soleil et la terre mettent naturellement à notre disposition pour nos besoins. À nous de savoir au mieux les appréhender et mettre au point les technologies nécessaires à leur exploitation, leur stockage et leur utilisation afin de vivre demain dans un environnement plus propre. Suite au choix des énergies renouvelables, de nouvelles industries comme la fabrication de turbine pour produire de l’énergie éolienne, la fabrication de piles solaires, ainsi que les professions comme le météorologiste éolien, l’hydrologiste, le géologue géothermique, seront demandées pour répondre aux besoins de consommateurs. L’ensemble de ces comportements vertueux, adoptés par de nombreuses personnes convaincues, a peut-être un impact réel, mais demeure comme suspendu dans l’espace social, source d’étonnement ou d’admiration mais rarement d’imitation. C’est que les structures sociales ne peuvent pas accueillir des comportements pourtant exemplaires, dans la mesure où elles ne les considèrent pas comme au centre de toutes ses problématiques. 2. L’indispensable implication claire du politique et des acteurs de la vie économique et associative La crise climatique est aussi une crise politique et démocratique. Sur le plan politique, il s’agit de prendre des orientations claires et nettes qui mettent en œuvre des actions tranchées et cohérentes avec les enjeux ayant fait l’objet des développements précédents. Il faut sans doute regretter le consensus global autour du pacte écologique présenté par Nicolas Hulot lors de la campagne présidentielle passée. En effet, l’adhésion unanime à ce pacte n’a permis de définir aucun engagement clair à la hauteur des enjeux. Au niveau national, la création d’un ministère d’Etat, ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables est sans aucun doute une mesure forte sur le plan symbolique mais encore insuffisante sur le plan des actes et des engagements. Cette prise de position politique constitue sans aucun doute un enjeu démocratique pour décider des priorités de façon collective et individuelle, pour imposer les changements nécessaires par des lois et des normes et pour assurer que les ressources ne seront pas accaparées par quelques uns. 15 En ce sens, les responsables politiques devront prendre des engagements sur le plan international en définissant des objectifs ambitieux et intégrer la nécessité d’une politique de co-développement afin de prendre en compte les différents stades de développement de l’ensemble des pays. Ces engagements internationaux devront être déclinés en cohérence dans l’ordre interne pour incarner cette priorité incontestable. L’ensemble des principaux acteurs concernés doit désormais passer à l’acte pour installer durablement dans la vie quotidienne un changement de comportement. Les responsables publics tels que les hommes politiques et les ONG doivent se focaliser sur la transcription auprès du public des nécessités de construire un monde plus respectueux de l’environnement. Une politique d’incitation doit être mise en place mixant récompense et sanction. Il convient d’inciter les entreprises à mettre en place des plans internes de valorisation des économies d’énergie et de conduites éco-citoyennes (récupération des cartouches d’imprimantes, apprendre à conduire de façon respectueuse de l’environnement). La publicité doit devenir responsable, c’est-à-dire cesser de valoriser les automobiles de grosse cylindrée consommatrices de carburant. Les nombreuses associations, telles les associations de consommateurs, doivent s’impliquer dans la promotion des achats d’appareils pouvant être recyclés. Les médias ont un rôle primordial à jouer en diffusant les bonnes pratiques, ils contribuent à former l’opinion publique. S’agissant des actions au niveau national, elles sont multiples et peuvent prendre la forme d’incitations fiscales préalables à certains aménagements tels que des dégrèvements fiscaux pour les fenêtres double vitrage, les chaudières communes ou consécutives à d’autres actions : des dégrèvements fiscaux pour les constructions éco responsables. Un autre mode d’action est celui de la sanction, il s’agit du principe dit du pollueur payeur où les pollueurs doivent s’acquitter d’une amende. En ce qui concerne les actions au niveau local, les acteurs politiques locaux doivent également organiser des actions touchant à la vie collective, par exemple, en matière de transports, en mettant en place des alternatives à la voiture en organisant des prêts de bicyclettes, en améliorant l’efficacité des transports en commun par l’amélioration de la fréquence de passages, en limitant le trafic de transit. 3. Un changement d’attitude doit s’appuyer sur des acteurs de référence Les groupes et les acteurs de référence, doivent pouvoir assurer à très court terme, avec un appui médiatique important, un grand nombre de changements de perceptions et faire l’histoire du changement. Tout d'abord, il leur faudra préalablement organiser la mise en place de conflits (positifs et non violents) et le cadre du débat permanent, si on considère qu'il s'agit là d'une condition essentielle à toute construction d'un changement culturel. Par conflit, il faut entendre les confrontations d'opinions nécessaires à transfigurer les considérations initiales du problème climatique. À ce titre, ne peut-on pas dire que l'année passée aura réuni les conditions de ce genre de débat, peut être même de façon encore indolore, quand on voit comment la légitimité du problème climatique a progressé dans les opinions occidentales, et comment elle commence d'évoluer dans les processus de décision politique et d'ingénierie démocratique ? Cependant, ce qui manque encore pour franchir un cap significatif est de pouvoir fournir à l'opinion mondiale, pas seulement occidentale, des exemples de réalisation et de succès. Il est facile de sensibiliser l'opinion sur le problème en tous ses aspects. Ceci peut être fait de façon très directe. Ainsi, lors de l'exposition « Changer d'ère » à la Cité de Sciences, le visiteur pouvait calculer, sans rien faire d'autre que suivre la scénographie interactive de l'exposition, sa consommation de carbone. Le résultat en est une sensibilisation forte à une notion nouvelle, perceptible, et très proche du quotidien vécu. La difficulté est plutôt d'induire des comportements concrets de rupture, mais si l'objet de ce changement est compris à travers une ou deux notions simples, les conditions en sont accrues de façon significative. La nécessité de montrer des réussites issues de ce changement se heurte encore au manque de réalisation constatable. En effet, nous sommes encore dans une phase de positionnement et de caractérisation de ses conséquences sur notre mode de vie social. Il faudra du temps, alors même que le délai de réaction face au dérèglement climatique se fait de plus en plus pressant, pour faire 16 la démonstration qu'une autre vie est possible sans blessure fatale infligée à la société humaine. Le futur Premier ministre britannique (G. Brown) vient d'annoncer la construction de quatre villes entièrement écologiques, un chantier comparable est à l'oeuvre en Chine (à très grande échelle, concernant une ville nouvelle de 500 000 habitants au moins) et bientôt à Paris (XIIIe arrondissement). En attendant de pouvoir concrétiser ce type de production, il importera de mettre en place une pédagogie, non pas patiente, mais massive, des comportements écologiques indispensables (sous réserve des conditions culturelles évoquées plus haut). Une médiatisation des résultats comparable à celle qui a porté sur les causes et données du problème donnerait le sentiment qu’une issue favorable est envisageable. C'est à cette condition qu'il sera possible de traduire collectivement le changement en fonction d'un but et de valeurs partagés. En effet, si la norme de droit est importante pour induire le changement, elle n’est pas suffisante, en particulier dans des sociétés où la règle juridique est souvent en crise. Pour avoir prise sur le corps social de façon durable, la loi doit refléter un changement culturel, ou tout simplement un désir de la société. Alors, il sera possible d’écrire la chronique du changement, de la populariser pour en faire une histoire collective dans laquelle vient s’inscrire chaque histoire individuelle. La production culturelle peut tout aussi bien traiter avec inspiration de la représentation d'un monde en partie transformé positivement que de celle d'un univers dévasté par le chaos climatique. B - Les trois étapes d’un schéma vertueux Le schéma joint en annexe reproduit de façon synthétique ces trois étapes. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une stratégie dans la mesure où une partie des éléments exposés ci-dessus relève du constat sociologique. Il n’en reste pas moins que la première phase de ce schéma (impulsion) revient à définir de nouveaux objectifs aux fabricants et aux distributeurs. Il ne s’agit pas d’une intervention sur les normes, qui pourrait être assimilée à des mesures anti-concurrentielles. Ce type d’impulsion correspond par exemple au type d’actions déjà mises en œuvre dans la nouvelle réglementation des réfrigérateurs (voir supra). À ces actions s’ajouterait un véritable plan d’action politique : lancer des projets symboliques et fédérateurs (quelques exemples : Dongtan en Chine, premier quartier écologique à Paris XIII). L’impact de cette phase peut demeurer invisible à la collectivité, ce n’est pas en soi important. Les fournisseurs de matériau, les industriels et fabricants et les distributeurs auront déjà commencé à adapter leur offre aux nouvelles exigences (par exemple : pour obtenir 50 KW/H/m2/an, il va falloir concevoir de nouveaux types de murs, de fenêtres, etc.). La certification par l’Etat jouera un rôle déterminant. Au cours de cette phase, l’adhésion de minorités actives voire de personnalités emblématiques, dont l’effet sur la collectivité sera essentiel, sera recherchée et donnera sa première impulsion à la dissonance cognitive. Une action de communication massive de la part des pouvoirs publics à ce moment (phase 2 : objectif : effet d’entraînement) pourra accélérer ce phénomène (en faisant appel directement aux personnalités emblématiques et aux minorités actives). Un effet en retour sur la phase 1 est attendu : les minorités actives et les personnalités emblématiques vont réclamer une accélération des projets fédérateurs. Parallèlement, sous l’effet des conflits (prises de position) engendrés par l’émergence des questions liées aux mesures à prendre contre le réchauffement climatique, les pouvoirs publics seront bien inspirés de définir un corpus de bonnes pratiques et d’introduire les premiers signes de répression économique et sociale. La zone de conflit sera suffisamment étendue pour devenir véritablement politique et organiser le positionnement des individus en fonction de ses enjeux (phase 3), de ses gains et de ses espoirs. La phase de la consonance cognitive est alors ouverte. Les forces politiques et sociales désigneront leurs adversaires. Il deviendra possible et normal de mener une campagne électorale sur ce sujet. L’exemple, la vertu, la sanction seront politiquement identifiés et le citoyen aura la possibilité d’entrevoir une sortie politique, une société conforme à cet idéal. Par ailleurs, il sera investi d’une vision du monde qui ne sera pas ridicule, réductrice et lui permettra d’imaginer sa propre vie dans ce schéma, voire sa réussite personnelle. Il sera alors normal de tenir un discours dans ce domaine, de demander des efforts à certains, d’être élu par d’autres, d’être satisfait ou 17 mécontent de sa situation éco-climatique, de susciter un débat sur les moyens de l’Etat et la nature et l’origine de toute nouvelle contribution économique et sociale. Ce schéma fixe un point de départ, en termes d’influence sociale, celui de l’autorité. Celle-ci est néanmoins confinée dans un certain nombre de compartiments techniques et politiques : des normes techniques résultant de nouveaux objectifs ambitieux dans les domaines de l’habitat ou du transport et des projets fédérateurs à forte répercussion médiatique et susceptibles d’entraîner avec eux des groupes minoritaires d’influence (influence sociale par l’innovation). Par ailleurs, ce schéma est en lui-même un calendrier, donne des actions visibles dès le début (quartier sans empreinte écologique), induit une nouvelle façon d’habiter qui suscitera une imitation sociale puis, on peut l’espérer, la conversion d’autres populations souhaitant leur ressembler ou être prêt à devenir des habitants de nouvelle génération (influence sociale par conformisme). Pour mémoire, les quelques pistes de M. Lecoeur (psychosociologue spécialisée dans les situations de crise) : 1. Généraliser un apprentissage de la responsabilité écologique et des bonnes pratiques environnementales 2. Établir un calendrier des actions à mener 3. Donner des exemples visibles et reproductibles d’actions bénéfiques pour l’économie 4. Lister les actions bénéfiques pour l’emploi 5. Poser la communauté de référence dans laquelle chaque individu peut se retrouver, à laquelle se référer 6. Construire le but supra-ordonné de ce groupe auquel chaque personne peut se sentir appartenir 7. Poser les lieux de conflit, de difficulté et aussi les adversaires à convaincre ou à éviter 8. Prévoir des gratifications à chaque pas dans la mise en œuvre : financières ou sociales 9. Permettre à chacun d’avoir une vision des actions possibles au niveau individuel et local : vade mecum 10. Offrir une histoire, une projection de soi-même positive dans ce cadre : un récit de vie réussie. D - Conclusion La démarche qui nous avons entreprise est une démarche théorique, nourrie par les apports de la sociologie. Cependant, dans la mesure où il nous semblait qu’elle était incomplète, nous avons souhaité y ajouter une dimension pragmatique. Un schéma vertueux peut ainsi se concrétiser, que nous avons essayé de modéliser dans ce travail d'étude. Ces modèles mettront plus en avant ce qui est durable sur ce qui est immédiat, valoriseront ce qui est issu de la nature plutôt que de l'homme, et permettront ainsi ce développement harmonieux d'un progrès social en phase avec les conditions et ressources de notre planète, que toutes nos civilisations -à ce jour, sans exception aucune,- n'ont réussi à construire. Il faut aussi convenir que les références sur ce sujet sont encore lacunaires et nous ne pensons donc pas que notre démarche constitue autre chose qu’une des pistes pour l’avenir. S’il y a des doutes sur les pistes à suivre, il n’y en a certainement plus sur le caractère fondamental du sujet. 18