assurer l`avenir de la langue française au québec
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assurer l`avenir de la langue française au québec
ASSURER L’AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC ; UNE RESPONSABILITÉ D’INCLUSION ET DE SOLIDARITÉ SOCIALE MÉMOIRE DU PARTI QUÉBÉCOIS DE MONTRÉAL-CENTRE Présenté à la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec Octobre 2000 2 Table des matières RÉSUMÉ 7 INTRODUCTION: POURQUOI FAIRE DU FRANÇAIS LA VÉRITABLE LANGUE COMMUNE AU QUÉBEC ? Assurer la survie et l’épanouissement de la langue française est un droit fondamental 11 Favoriser la cohésion sociale 12 DROIT ET LÉGISLATION LINGUISTIQUE À TRAVERS LE MONDE 13 L'exemple belge 15 LA SITUATION DU FRANÇAIS AU CANADA À L’EXTÉRIEUR DU QUÉBEC 16 Une assimilation croissante des francophones minoritaires 17 La politique fédérale de bilinguisme institutionnel: un échec flagrant déguisé en succès 20 Les diktats constitutionnels canadiens 23 LA SITUATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 24 L’évolution de la Charte de la langue française La politique linguistique fédérale ne reconnaît pas les droits collectifs et territoriaux au fondement de l’efficacité de la loi 101 24 La loi 101 a subi plus de 200 amendements qui l’ont affaiblie dans la plupart de ses secteurs d’application 27 La «paix linguistique» 28 L’avenir prévisible du français au Québec : un déclin rapide déjà en cours sur l’île de Montréal et qui s'étendra, à moyen terme, à l’ensemble du Québec 29 L’influence des facteurs externes sur la situation du français selon l’indicateur de la langue d’usage à la maison 33 L’augmentation apparente du français langue d’usage à la maison dans l’ensemble du Québec s’explique principalement par la migration des anglophones vers le reste du Canada. 35 Le déclin du français à Montréal n’est pas causé par l’exode des francophones vers la banlieue car il est contrebalancé par celui des anglophones vers le reste du Canada. 36 La dénatalité n'est pas la cause du déclin du poids démographique du français par rapport à l'anglais. 37 Les transferts linguistiques : principal indicateur de la force d’attraction 3 du français Les transferts linguistiques sont encore très largement favorables à l’anglais chez l’ensemble des allophones. 38 39 Les transferts linguistiques des nouveaux arrivants vers le français augmentent trop peu pour assurer l'avenir de la langue officielle au Québec 40 a) Les nouveaux arrivants qui font des transferts linguistiques correspondent à une très petite proportion des allophones. 40 b) Des facteurs externes ont produit l’apparente augmentation des transferts linguistiques des nouveaux arrivants vers le français : la structure de l’immigration 41 c) Des facteurs méthodologiques ont gonflé artificiellement la proportion de transferts vers le français 44 d) Les transferts linguistiques des allophones arrivés depuis plus longtemps continuent à avoir un impact majeur sur la dynamique démolinguistique et se font de plus en plus massivement vers l’anglais 45 e) En deçà d’une certaine masse critique de l’effectif francophone sur l’île de Montréal, la francisation des nouveaux arrivants pourrait régresser. 46 L’usage public du français 48 Dans l’ensemble du Québec, selon le nouvel indicateur «langue d’usage public», le français ne serait utilisé que par 4,2% de locuteurs de plus (87%) que la proportion de francophones (82,8%). 49 L’usage public du français à Montréal se retrouve principalement chez les francophones et les immigrants déjà francisés. 50 La langue de travail La situation du français langue de travail est en état de stagnation depuis les années 1980 et amorce un recul dans les années 1990. 51 Les indicateurs utilisés ne permettent pas d’évaluer précisément l’usage du français langue commune dans les milieux publics et au travail 55 Les présomptions ayant amené le Conseil de la langue française à minimiser l’importance du déclin démographique des utilisateurs du français 57 Une approche révisionniste des objectifs de la loi 101 visant à les réduire à l’usage public du français 57 Les véritables objectifs de la loi 101 59 La redéfinition du terme «francophone» et de ses instruments de mesure par le CLF 62 Les résultats de l’étude sur l’indicateur de la langue d’usage public n’altèrent pas les prévisions faites à partir des données sur la langue d’usage à la maison. 64 L’urgence d’agir 65 4 RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES Le français langue d'éducation 67 69 L’application de la Charte au cégep 69 Renforcer la Charte au niveau des institutions scolaires et pré-scolaires 71 Améliorer l’enseignement du français langue seconde et la francisation 72 L’enseignement de l’anglais langue seconde aux niveaux primaire et secondaire 73 Le français langue de travail 76 La francisation des entreprises de moins de 50 employés 76 L’aspect législatif du processus de francisation 77 Formation professionnelle 78 Le droit de travailler en français 79 Les difficultés administratives reliées à l’application de l’article 46 81 Une campagne médiatique et d’information affirmant l’importance de la francisation des entreprises 82 Pour contrer le bilinguisme institutionnel 83 La langue de l’Administration publique 84 La langue de la législation et de la justice 86 Établir l’indépendance du Conseil de langue française et préciser son mandat quant à l’évaluation de la situation linguistique 87 CONCLUSION : POUR MOBILISER LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE, IL FAUT PARLER DES VRAIS ENJEUX 89 PROPOSITIONS 95 RÉFÉRENCES 100 5 LE PARTI QUÉBÉCOIS DE MONTRÉAL-CENTRE Fondée en 1968 en même temps que l’ensemble du Parti, l’association régionale du Parti Québécois de Montréal-Centre regroupe 14 circonscriptions électorales du centre et de l’est de l’île de Montréal. On y retrouve les circonscriptions de : Bourget, Gouin, Hochelaga-Maisonneuve, Lafontaine, Laurier-Dorion, Mercier, Outremont, Pointe-auxTrembles, Rosemont, Saint-Henri/Sainte-Anne, Sainte-Marie/Saint-Jacques, Verdun, Viau et Westmount/Saint-Louis. Le Parti Québécois de Montréal-Centre compte plus de 15 000 membres. Il est régi par un conseil régional où siègent deux représentants par circonscription ainsi que les membres du conseil exécutif régional. La situation du français à Montréal a une importance capitale pour l’avenir du français dans l’ensemble du Québec. La région métropolitaine accueille 85% de la population immigrée, dont l’immense majorité réside sur l’île de Montréal. Et l’immigration semble être appelée à jouer un rôle sans cesse plus important dans l’évolution démographique du Québec. Les Montréalais auront donc un défi de taille à relever afin de les intégrer à la population francophone. Comme nous l’avons souvent mentionné, le sort de la langue française se jouera à Montréal. Les militants de Montréal-Centre vivent quotidiennement la coexistence linguistique et l’accueil des nouveaux arrivants. C’est pourquoi ils se sont toujours sentis directement 6 concernés et interpellés par la question de l’intégration et de la survie de la langue française. Ils ont vécu, de l’intérieur, toutes les batailles linguistiques, de la crise de StLéonard jusqu’aux plus récents événements ayant entouré l’adoption de la loi 178 («Touche pas à la loi 101») et de la loi 86 («On se fait passer un Québec bilingue»). À l’instar des militants du reste de l’île de Montréal, ils se sont souvent fait accuser d’être des «radicaux», ou des «purs et durs». Cependant, lorsqu’on considère que la proportion francophone de la population de l’île de Montréal est en déclin rapide depuis 1986, et que les études prévisionnelles démontrent que leur minorisation est imminente, nos réactions paraissent léthargiques : «On pourrait aussi se demander comment réagiraient les Français, les Anglais, les Allemands, s'ils apprenaient que les habitants du "centre" de la région métropolitaine de Paris, de Londres, de Berlin, ont adopté majoritairement une langue d'usage (à la maison) autre que le français, l'anglais, l'allemand (sans compter que dans ces exemples, le poids du "centre" par rapport à l'ensemble métropolitain et à l'ensemble national, est beaucoup moins élevé que dans le cas de l'île de Montréal)».(Marc Termote, 1995.) Auteur principal du mémoire : Mario Beaulieu . Président du Parti Québécois de Montréal-Centre Avec la collaboration de : Chantal Desjardins. Recherchiste Christian Gagnon. Vice-président du Parti Québécois de Montréal-Centre Marie-Hélène Léveillée. Avocate et étudiante à la maîtrise en droit de l'Université McGill Violaine Cousineau (correction et révision) Secrétaire du Parti Québécois de Montréal-Centre Les membres de l’exécutif et du conseil régional du Parti Québécois de Montréal-Centre 7 RÉSUMÉ L’étude comparative des mesures linguistiques mises en place par différents pays à travers le monde indique que le bilinguisme officiel, institutionnel ou social (et non pas individuel) favorise l’assimilation progressive des langues minoritaires. Seules les législations fondées sur les droits collectifs et territoriaux permettent d’assurer la survie et l’épanouissement des diverses communautés linguistiques. La situation du français au Canada démontre que les politiques axées sur le bilinguisme officiel et les droits individuels ont favorisé une assimilation extensive des francophones. De plus, la politique linguistique fédérale interfère continuellement avec celle que véhicule le Québec par le biais de sa Charte. Depuis le dernier régime libéral (1985 à 1994), le Conseil de la langue française tend à minimiser l’importance du déclin démographique des utilisateurs du français, notamment en adoptant une approche révisionniste des objectifs de la loi 101 visant à les réduire à l’usage public du français, et en proposant une modification de la définition même du terme «francophone». Certains auteurs ont tenté de fournir un portrait optimiste et irréaliste de la situation du français au Québec en omettant de prendre en compte l’influence des facteurs extra-linguistiques (comme les phénomènes migratoires et les taux de natalité) lorsque les données semblent favorables. Cependant, lorsque les données sont défavorables, on les attribue à ce type de facteurs. 8 Tant dans les médias anglophones que dans plusieurs médias francophones, tout constat de déclin de la situation du français est aussitôt taxé d’alarmisme ou de xénophobie. Le constat de la situation réelle du français au Québec est ainsi largement occulté et, de ce fait, l’ensemble de la population québécoise est privée d’une information vitale pour son avenir. L’analyse rigoureuse de l’ensemble des recherches des dernières années sur la situation linguistique du Québec en général, et de la région métropolitaine en particulier, nous mène à conclure que, même après 23 ans d’application de la loi 101, le pouvoir d’attraction de l’anglais supplante encore largement celui du français chez les Québécois allophones. Ainsi, le solde des transferts linguistiques en faveur du français n’atteint pas même la moitié du poids démographique des Québécois ayant le français pour langue d’usage à la maison. Les transferts linguistiques des allophones sont donc source de déclin du nombre de locuteurs du français à la maison sur l’île de Montréal. Étant donné que la grande majorité des nouveaux arrivants et des allophones réside à Montréal, ce déclin menace la capacité d’accueil et d’intégration de l’ensemble de la société québécoise. De plus, en l’absence d’une masse critique de francophones sur l’île de Montréal, les progrès observés surtout chez les jeunes allophones ayant fréquenté l’école française sont susceptibles de s’estomper. 9 Les progrès les plus visibles depuis l’établissement de la Charte de la langue française se sont faits par rapport à l’objectif de rattrapage ou de normalisation du français dans les milieux francophones plus homogènes. Les données sur la langue d’usage public et de travail indiquent que le français est encore loin de constituer la langue commune des échanges interlinguistiques. Le français est surtout utilisé en public et au travail par les francophones et les immigrants déjà francisés. Il est donc urgent d’établir des mesures d’aménagement linguistique réellement susceptibles de renforcer le pouvoir d’attraction de la langue officielle au Québec. Ne compter que sur des mesures visant à influencer le facteurs extra-linguistiques pour assurer l’avenir du français reviendrait à tenter de remplir - en vain et à grands frais un seau percé. Nous nous sommes attardés à élaborer des recommandations principalement dans trois grands secteurs qui correspondent à ceux pour lesquels le lien de causalité le plus certain a été démontré entre la force d’attraction du français et son usage comme langue commune. Il s’agit des mesures visant à renforcer le français comme langue d’éducation, comme langue de travail et comme langue officielle et institutionnelle. L’usage du français dans ces trois types de milieux de vie publique est directement relié à la force d’attraction intrinsèque du français. Le lien de cause à effet qui a été le plus clairement démontré, et qui fait l'unanimité parmi tous les chercheurs, correspond à l’impact des mesures scolaires sur la force 10 d’attraction du français. Parmi toutes les mesures d’aménagement linguistique envisageables, l’application de la loi 101 au cégep est la seule qui soit réellement susceptible de renforcer, à moyen terme, le pouvoir d’attraction intrinsèque du français. Actuellement, la propension des étudiants allophones à choisir le cégep anglais augmente, peu importe qu’ils soient passés par l’école secondaire française ou anglaise. «Certains pensent que la situation est celle du verre à moitié ou à moitié plein. Pour une minorité francophone en Amérique du Nord, ce n’est pas la bonne analogie. On pense plutôt à un canot (l’île de Montréal) avançant sur une rivière qui débouche sur une énorme chute d’eau (l’anglicisation). Dans les années 60, le canot avançait à, disons 50 nœuds. Les pagayeurs s’empressèrent de freiner cette course folle, avec un réel succès. Dans les années 90, le canot n’avance plus qu’à 25 nœuds. Extraordinaire succès, applaudissent, de la rive, les optimistes. En réalité, les pagayeurs réussiraient à ralentir jusqu’à 1 nœud qu’ils ne pourraient échapper à la chute. La seule vitesse du succès est 0, à défaut d’avoir la capacité de faire demi-tour.» Jean-François Lisée, Sortie de secours, Éditions Boréal, 2000. 11 INTRODUCTION: POURQUOI FAIRE DU FRANÇAIS LA VÉRITABLE LANGUE COMMUNE AU QUÉBEC ? Assurer la survie et l'épanouissement de la langue française est un droit fondamental Une langue […] c’est un monument qui est aussi, sinon plus respectable qu’un monument de pierre. Chaque culture représente un capital de richesse humaine considérable. Chaque peuple a un capital de croyances et d’institutions qui représente dans l’ensemble de l’humanité une expérience irremplaçable.1 Le droit des peuples à assurer la survie et l'épanouissement de leur langue et de leur culture relève du droit fondamental à l’autodétermination des peuples. Dans son premier article, la Charte des Nations Unies invoque «le respect du principe de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes». Dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est en vigueur pour le Canada, on précise que : «En vertu de ce droit, [les peuples] déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.»2 Empêcher le peuple québécois d’assurer la survie et l’épanouissement de la langue française porte atteinte à son intégrité et à son existence même. Cela peut être considéré comme une violation de son droit à l’autodétermination qui pourrait justifier son droit à la sécession devant la communauté internationale.3 1 Claude Lévi-Strauss, cité dans Christian Rioux, Voyage à l’intérieur des petites nations, 2000, p. 13. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 1966 :cité dans Scott, Stephen A., «Autodétermination, sécession, division, légalité. Les attributs d’un Québec souverain. Commission d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté, 1992. 3 Voir Giuseppe Sciortino, 2000, «Au Canada, un peuple a été empêché de s'épanouir», Le Devoir, 26 juillet. 2 12 Favoriser la cohésion sociale Faire du français la langue commune et officielle du Québec constitue un facteur essentiel à la cohésion sociale et à l'inclusion de tous les citoyens dans la même sphère de droits et de devoirs. Les groupes militant pour la promotion du français depuis la Révolution tranquille semblent avoir toujours véhiculé l’idée d’établir une culture et une langue communes afin de favoriser l’inclusion des citoyens de toutes origines et de toutes langues.4 Tous les citoyens doivent pouvoir participer pleinement à l'évolution de la culture publique commune, soit à l'histoire, à l'ensemble des valeurs fondamentales, des lois et des institutions qui sont au fondement de notre identité nationale. Pour former une société cohérente, il faut pouvoir se parler, il faut connaître une même langue. C'est en participant pleinement à une culture publique commune que tous les citoyens peuvent s'y 4 En 1968, déjà, lors d’une manifestation pendant la « crise de St-Léonard», le président du Mouvement pour l’intégration scolaire (M.I.S), Raymond Lemieux, expliquait : «J’ai vu une de leurs déclarations [les opposants à l’obligation de fréquenter l’école française] qui [dit] qu’on sème la haine raciale et la scission entre deux groupes dans une même communauté, alors que c’est exactement le contraire. Nous voulons les unir à nous et […] faire une seule et même communauté au Québec». Reportage «Les 30 journées qui ont fait le Québec» , au canal Historia, octobre 2000) Peu à après, en 1972, la commission Gendron recommandait au gouvernement du Québec «de faire du français la commune des Québécois, c’est-à-dire une langue qui, étant connue de tous, puisse servir d’instrument de communication dans les situations de contact entre Québécois francophones et non francophones». (Commission Gendron, 1972 ; cité dans Pierre Bouchard, « Faire du français notre langue », Francisation en marche, Les publications du Québec, 1996.) Enfin, en 1977, dans l’énoncé de politique ayant précédé l’établissement de la loi 101, on mentionne que : «Autant la pluralité des moyens d’expression est utile et féconde sur un même territoire, autant il est nécessaire que, comme un préalable, un réseau de signes communs rassemble les hommes. Sans quoi 13 intégrer et l'enrichir des apports de leur culture d’origine.5 C'est le fondement d’un nationalisme civique et territorial, par opposition à un nationalisme ethnique. DROIT ET LÉGISLATION LINGUISTIQUE À TRAVERS LE MONDE Tous les États, souverains ou non, véhiculent une politique linguistique donnée. Cette dernière peut être implicite ou explicite6, selon qu’elle s’articule ou non dans un ou des documents juridiques. D’ailleurs, un grand nombre d’États privilégient actuellement la voie expresse, celle qui consolide leur politique linguistique par le recours aux textes juridiques. Comme elles visent à encadrer la vie publique, les interventions législatives des États touchent des domaines aussi variés que ceux de l’administration publique, des organismes parapublics, de la législation, de la justice, des affaires, du travail, des raisons sociales et de l’enseignement. ne sauraient subsister la cohésion et le consensus indispensables au développement d’un peuple.» Livre blanc, 1977, p. 19. 5 Même une ministre du gouvernement libéral, madame Monique Gagnon-Tremblay, reconnaissait que la culture publique commune est un facteur d’intégration et non d’exclusion : «L’immigrant qui choisit de vivre au Québec se joint à une société déjà constituée qui a une histoire, une langue commune, un ensemble de valeurs, des lois, des institutions, bref un patrimoine que chaque génération reprend, enrichit et transmet à son tour. L’essentiel de ce patrimoine forme ce qu’on appelle la culture publique commune, qui réunit tous les Québécois. […] Il y a donc une histoire à assumer. La connaître et la faire sienne sont des signes d’intégration. » (Monique Gagnon-Tremblay ,1993) 14 Cette tendance à privilégier la voie expresse ou juridique peut s’expliquer notamment par les effets incidents qu’entraîne la mondialisation des marchés, à savoir : la croissance du flot migratoire international, les questions liées à l’intégration des nouveaux arrivants à leur société d’accueil ainsi que l’hégémonie culturelle américaine. D’ailleurs, même dans le cas des États-Unis, quelque vingt-cinq États se sont dotés d’une politique linguistique pour faire de l’anglais la seule langue officielle. L’étude comparative des mesures linguistiques des pays à travers le monde indique que le bilinguisme officiel, institutionnel ou social (et non pas individuel) favorise l’assimilation progressive des langues minoritaires. « On peut résumer schématiquement le processus de l’assimilation selon quatre étapes. L’assimilation commence avec le bilinguisme systématique de l’élite sociale pensant que la masse demeure unilingue. Puis celle-ci devient progressivement bilingue dans les villes alors que la population des campagnes reste unilingue. Les villes évoluent ensuite vers un bilinguisme grandissant, tandis que le bilinguisme gagne les zones rurales. »7 « Pour la survie d’une langue, ce qui compte c’est, à la fois, le nombre d’individus qui l’utilisent et la densité géographique et sociale des contacts linguistiques entre ces individus. […] L’erreur des moyens consisterait, ici, à protéger une langue par des droits individuels transportables au lieu de la protéger par des droits collectifs non transportables.» (J.A. Laponce, 1989.) 6 Nous empruntons ici les qualificatifs aux auteurs François GAUTHIER, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS, dans Langues et Constitutions : recueil des clauses linguistiques des constitutions du monde, Office de la langue française, 1993. 15 L’exemple belge Une illustration de ce type de politique linguistique correspond au bilinguisme fondé sur les droits territoriaux. L’État peut être officiellement bilingue, mais il applique un unilinguisme local. L’État pratique une telle politique lorsque les communautés linguistiques sont très concentrées géographiquement et bénéficient d'une structure étatique décentralisée, plus ou moins fédéraliste, dans laquelle l'État central est bilingue, alors que l'État régional peut être unilingue. Ce type de politique axée davantage sur les droits collectifs est appliqué dans des états tels que la Belgique, le Cameroun et les Cantons suisses. « […] seuls les droits collectifs territoriaux ont quelque chance de réussir dans le domaine de la protection linguistique : en témoignent les mesures adoptées en Belgique, en Suisse, mais aussi en Finlande, en Yougoslavie et au Danemark (archipel Féroé). »8 À titre d’exemple, nous examinerons le modèle belge un peu plus en détail. Concrètement, la Belgique reconnaît la compétence de chacune des trois communes belges de légiférer relativement à l’usage de l’une ou l’autre des langues officielles. La véritable efficacité du principe repose toutefois sur l’importance accordée au lieu de résidence du citoyen, qui doit être considéré comme le seul véritable critère nécessaire à 7 8 Jacques Leclerc, «La mort des langues», dans L’action nationale, janvier, 1994. Jacques Leclerc, Langue et concurrence législative au Canada, 1990. 16 la détermination des droits linguistiques de celui-ci. C’est ainsi qu’il est admis de part et d’autre que le citoyen belge résidant en Wallonie parle français, alors que celui des Flandres parle néerlandais. Ce qui conduit au résultat suivant : la vie sociale en Wallonie est assurée par le rayonnement exclusif du français, alors que les Flandres font du néerlandais la seule langue régissant les aspects de la vie à l’intérieur de la commune9. Le domaine de l’enseignement n’échappe pas à l’application du principe de la territorialité : de la maternelle à l’université, la scolarité de tout étudiant se déroule obligatoirement en français ou en néerlandais, selon qu’il réside en Wallonie ou dans les Flandres. Cette règle ne souffre d’ailleurs d’aucune exception. Les politiques linguistiques des communes sont par ailleurs tout à fait compatibles avec l’enseignement des langues secondes . LA SITUATION DU FRANÇAIS AU CANADA À L'EXTÉRIEUR DU QUÉBEC L’étude, même rapide, de la situation du français au Canada à l’extérieur du Québec permet d’observer l’impact des politiques axées sur le bilinguisme officiel et les droits individuels plutôt que sur les droits collectifs et territoriaux. 17 Une assimilation croissante des francophones minoritaires Il y a plus de 450 ans s’est enraciné en terre d’Amérique un peuple français que l’on nommait alors les « Canadiens ». De 1760 à 1867, ce peuple est passé d'un statut majoritaire à un statut minoritaire : en cent ans, la proportion de francophones a chuté de 78% à 29%. De canadien, ce peuple est devenu canadien-français. Partout où les francophones étaient majoritaires, on chercha non seulement à en limiter l’expansion mais carrément à les faire disparaître, comme en témoigne la déportation des Acadiens et presque cent ans d’interdiction d’enseignement en français dans la plupart des provinces anglophones jusque dans les années 60. Le déclin du français est également dû, en partie, à une immigration massive d'anglophones. Ainsi dans des provinces autrefois majoritairement françaises comme le Manitoba et la Saskatchewan, on mit en oeuvre des politiques de peuplement et d’éducation tellement efficaces que les francophones n’y représentent plus qu’une infime partie de la population, soit respectivement 4,5% et 2%. Grâce à une augmentation importante de leur taux de fécondité («la revanche des berceaux»), le poids démographique des francophones est resté stable entre 1867 et 1951. Ce n'est qu'en 1969 que le Parlement canadien promulgua la loi sur les langues officielles qui instaurait le bilinguisme dans les organismes et institutions relevant de la juridiction fédérale. Ainsi, la loi sur les langues officielles, dans sa version de 1988, visait à appuyer 9 Nous taisons ici le cas particulier de la commune de Bruxelles-capitale qui, suite à un compromis entre la Wallonie et les Flandres, a instauré une politique de bilinguisme. On parle alors de bilinguisme de 18 le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, à favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais. Les services devaient être bilingues lorsqu’une subdivision de recensement (une municipalité, une petite ville ou une région rurale) comprenait une minorité d'au moins 500 personnes correspondant à au moins 5 % de la population. Tous les bureaux de l’administration fédérale devaient être bilingues si la minorité correspondait à 30 % ou plus de la population locale. Depuis 1971, les données de Statistique Canada nous ont révélé que l'assimilation des francophones ne cesse d'augmenter dans les provinces et les territoires où ils sont largement minoritaires. ( voir tableau 1) Et dans la plupart des régions, plus ils sont minoritaires, plus l'assimilation est rapide et croissante. De 27% en 1971, le taux d'assimilation des francophones hors Québec est passé à 34,8% en 1991, et à 36,3% en 1996. Selon le dernier recensement (1996) 970 207 personnes déclaraient avoir le français comme langue maternelle, mais seulement 618 522 le parlaient encore à la maison ). superposition puisque la commune Bruxelles-capitale (bilingue) est située dans la commune des Flandres (unilingue néerlandaise). 19 Tableau 1 Français langue maternelle et langue d’usage Recensement de 1996 Nouveau-Brunswick Ontario Terre-Neuve Île-du-Prince-Édouard Nouvelle-Écosse Manitoba Saskatchewan Alberta Colombie-Britannique Yukon Territoires du N.-O. Canada moins N.-B., Québec et Ont. Langue Maternelle Pourcentage population Langue parlée à la maison Pourcentage Taux population d’assimilation 242 408 499 689 2 440 5 772 36 311 49 100 19 901 55 290 56 755 1 170 1 421 228 110 33,2% 4,7% 0,4% 4,3% 4,0% 4,5% 2,0% 2,0% 1,5% 3,8% 2,2% 2,2% 222 4413 306 790 1 018 3 045 20 710 23 133 5 828 17 822 16 586 543 607 89 290 0,5% 2,9% 0,2% 2,3% 2,3% 2,1% 0,6% 0,7% 0,4% 1,8% 1,0% 0,9% 8,2% 38,6% 58,3% 46,8% 43,0% 52,9% 70,7% 67,8% 70,8% 53,6% 57,3% 60,9% NOTE: À lui seul, le Québec regroupe 85,6% de tous les Canadiens de langue maternelle française et 90,4% de tous les Canadiens ayant le français comme langue d’usage à la maison. Le Québec et ses deux voisins, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario, regroupent 96,6% de tous les Canadiens de langue maternelle française et 98,6% de tous les Canadiens ayant le français comme langue d’usage à la maison. Source : Statistique Canada, recensement de 1996. Contrairement à la minorité anglophone du Québec qui obtient une large part des transferts linguistiques, les francophones hors Québec subissent, quant à eux, une forte assimilation. Seul le Nouveau-Brunswick (où se trouvent les Acadiens, la plus ancienne communauté francophone en Amérique du Nord) maintient un taux d'assimilation aux alentours de 8%. Cette stabilité s'explique, en partie, par le fait que les Acadiens représentent 33,2% de la population totale du Nouveau-Brunswick et qu'ils peuvent, ainsi, avoir un certain poids politique (les francophones des autres provinces constituent moins de 5% de la population totale de chaque province). Le Nouveau-Brunswick est la seule province 20 officiellement bilingue (depuis 1969) du Canada. En 1982, son statut particulier a été enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés. Mais, avec un taux d'assimilation de 8%, la situation du français au Nouveau-Brunswick demeure tout de même précaire. La politique fédérale de bilinguisme institutionnel: un échec flagrant déguisé en succès En tenant compte des chiffres et de la situation actuelle de la minorité francophone, personne ne peut, en toute logique, parvenir à dégager un constat positif. Depuis trente ans, le gouvernement du Canada n'a pris que des mesures ayant un effet superficiel ou cosmétique, en tentant de faire croire que la «grande francophonie canadienne» est maintenue en bonne santé par ses subventions. Le bilan des subventions distribuées avantageusement aux anglophones du Québec et hors Québec est une démonstration criante du peu de volonté du gouvernement fédéral d'aider vraiment la minorité francophone. En 1996, une étude réalisée pour le compte de la Commission nationale des parents francophones et intitulée «Où sont passés les milliards $ ?»16, révélait que, depuis la création du Programme des langues officielles, seulement 28,5% des fonds avaient été attribués aux francophones hors Québec pour l'enseignement de leur langue maternelle. Par contre, les anglophones du Québec recevaient 47,7% des subventions pour leurs 21 écoles. Pourtant, depuis 1981, le nombre d'inscriptions en français, à l'extérieur du Québec, est plus élevé que le nombre d'inscriptions en anglais au Québec. Par exemple, pour l'année scolaire 1992-93, il y avait 158 582 inscriptions pour le français (62%), et 98 497 inscriptions pour l'anglais (38%). Pour ce qui est des programmes de langue seconde, 9,5% des subventions ont été versées pour l'enseignement de l'anglais langue seconde au Québec, et 14,3% pour l'enseignement du français langue seconde à l'extérieur du Québec. En tout, 62% des fonds ont été versés aux anglophones et 38% aux francophones. Une distribution des fonds tout à fait scandaleuse, surtout lorsqu'on sait que, au moment de la création du Programme des langues officielles, les anglophones du Québec avaient un système scolaire solidement implanté, qu'ils possédaient et géraient leurs écoles du primaire à l'université, et qu'ils ont toujours été davantage scolarisés que la moyenne de la population canadienne. Le pourcentage des anglophones du Québec possédant un diplôme universitaire était de 15,5% en 1981 et de 21,4% en 1996 (environ deux fois plus que les francophones du Québec), alors que la moyenne canadienne se situait à 9,8% (1981) et 15,6% (1996)17. En1999, M. Neil Morrison (1999), ancien secrétaire de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, réagissait à une série d'articles publiés dans le quotidien anglophone Ottawa Citizen qui faisaient état de la situation inquiétante des francophones hors Québec 16 LÉCUYER, Gérard, Où sont passés les milliards $ ?, étude sommaire sur la répartition des subventions du programme des langues officielles dans l'enseignement, Saint-Boniface, Commission nationale des parents francophones (CNPF), 1996. 22 : «Ce pays n'a jamais été et ne sera jamais bilingue. C'est un mythe. Si vous fréquentez une école d'immersion en français à Calgary, à qui parlerez-vous en français après votre graduation ? La loi sur les langues officielles est un échec parce qu'elle n'a pas su arrêter l'assimilation des francophones hors Québec.» Dans son rapport d'octobre 2000, comme plusieurs autres avant elle, la commissaire aux langues officielles (Dyane Adam) qualifiait d'«inacceptable» et d'inquiétante la situation d'ensemble du bilinguisme officiel au Canada: la commissaire a reproché l'«attitude passive, sinon défensive» des institutions fédérales à ce sujet. Elle constatait aussi que les dirigeants fédéraux demeuraient «muets et timides», notamment face à la décision de faire d'Ottawa une capitale unilingue anglaise. Par contre, ces interventions de la commissaire aux langues officielles du Canada visait le projet de réforme municipale du Gouvernement du Québec. Les exemples de l’intolérance et de l’incurie du Canada anglais envers la minorité francophone foisonnent. Rappelons, à ce chapitre, les tentatives du gouvernement ontarien pour fermer l’hôpital Montfort, seul hôpital francophone à l’extérieur du Québec. Pourtant, la documentation fédérale ne cesse de vanter le succès de ses programmes de promotion du bilinguisme. Cette propagande, financée à coups de millions, est si bien présentée qu'on aurait tous le goût d'y croire. Pour ne citer qu'un exemple, un rapport commandé par le ministère du Patrimoine canadien, publié en 1998 et intitulé Les langues officielles au Canada : transformer le paysage linguistique, est plus qu'optimiste. 17 Alexander Norris, «Brain drain is easing», The Gazette, 30 mai, 1999. 23 L'auteur, Stacy Churchill (1998), conclut son rapport ainsi: «Les politiques en matière de langues officielles épousées au départ par le gouvernement fédéral dans les années 1960 et appuyées progressivement par la grande majorité des Canadiens - des Québécois francophones compris - constituent une expérience de promotion de l'égalité et de la coexistence. À l'époque moderne, aucun pays autre que le Canada n'a réussi à accomplir autant en aussi peu de temps et à si peu de frais pour donner un statut égal à deux communautés linguistiques. L'expérience canadienne dans le domaine des langues officielles est un succès retentissant.» ( Stacy Churchill, 1998, p. 92-93.) Les diktats constitutionnels canadiens Au Canada, la loi fondamentale du pays n'est pas le résultat d'une entente intervenue entre deux communautés linguistiques, mais bien d’une constitution imposée par la majorité anglophone. Ainsi, d'après l'article 16 de la Charte des droits et libertés (1982), le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada (fédéral); ils ont un statut, des droits et des privilèges égaux. La conception fédérale des droits linguistiques correspond à un dualisme théorique qui laisse croire que le Canada compte deux majorités au sein desquelles on compte des minorités qu'il est nécessaire de protéger. Cette vision des choses présuppose que les francophones du Québec constituent une majorité au Canada et que les deux groupes linguistiques sont égaux. Or, tel n'est pas le cas: les francophones constituent la minorité du Canada puisqu'ils forment 23 % de la population canadienne et 2 % de l'ensemble nord-américain et, de ce fait, ils ne sauraient être en position d’égalité face aux anglophones. 24 On semble oublier que c'est le français qui est menacé au Canada, non l'anglais. C'est le monde à l'envers: la minorité (au Québec) devient majorité et la majorité (les anglophones) devient minorité. D'ailleurs, l'ONU n'a jamais accepté cette interprétation de la réalité canadienne: les francophones, où qu'ils soient au Canada, constituent la véritable minorité linguistique du pays. On n'a pas compris que le français doit être protégé partout au Canada, y compris au Québec. La mise en oeuvre d'une politique d'égalité théorique concourt à l'affaiblissement du français au Québec, sans pour autant entraîner une amélioration sensible du sort des francophones hors Québec. En outre, l’évolution de la situation des communautés francophones du Canada semble confirmer les appréhensions émises par le juriste Pierre Patenaude en 1982 : «Le bilinguisme national, c'est-à-dire commandé par l'État, à moins qu'il ne se rapporte à l'existence dans l'État de deux régions proprement unilingues, ne peut être autre chose qu'une mesure transitoire destinée à assimiler en douce la minorité, sans créer de sentiment de rejet de ses valeurs culturelles et linguistiques. La cote du bilinguisme monte d'autant plus haut que la résistance à l'assimilation est plus grande.» LA SITUATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC L’évolution de la Charte de la langue française La politique linguistique fédérale ne reconnaît pas les droits collectifs et territoriaux au fondement de l’efficacité de la loi 101 25 Par son économie générale, la loi 101 donne clairement à voir que l’intention du législateur est de rendre son contenu applicable à tout le Québec, concrétisant ainsi le principe de la territorialité. Un autre principe pilier de la Charte est celui qui reconnaît le droit collectif de faire du français la langue commune des Québécois10. Toutefois, la portée de ces principes s’est vue limitée par l’enchâssement de droits linguistiques individuels transportables sur tout le territoire canadien dans la Constitution par le biais la Charte canadienne des droits et libertés de la personne11; l’efficacité de la Charte de la langue française s’en est trouvée affectée d’autant. La raison de cette diminution d’efficacité s’explique par le fait que le gouvernement fédéral persévère à étendre l’application de sa politique linguistique au territoire du Québec, malgré l’incompatibilité qu’elle présente avec la Charte de la langue française. La coexistence des principes de la personnalité et de la territorialité des lois, impraticable, conduit fatalement à des résultats irréconciliables. Le contraire serait étonnant puisque le fédéral mène une politique sur tout le territoire, incluant le Québec, alors que le Québec mène une politique sur son propre territoire. 10 Édicté à l’article premier de la Charte. Art. 23(1) : Les citoyens canadiens : a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité anglophone ou francophone de la province, ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue. 11 26 En effet, tous conviendront que la Charte canadienne des droits et libertés de la personne constitue, d’une manière générale, un outil de promotion des droits individuels qui n’intègre aucune clause interprétative reconnaissant des droits linguistiques forts au Québec. La Cour suprême canadienne ne peut donc opérer aucun équilibrage entre des valeurs opposées, à savoir entre droits individuels et droits collectifs, comme le fait en Belgique la Cour d’arbitrage, mais elle doit assurer la primauté des droits individuels reconnus par la Constitution (droits fondamentaux traditionnels et droits linguistiques individuels) sur les droits collectifs revendiqués par le Québec. Par ailleurs, toute disposition législative qui limite l’un ou l’autre des droits individuels protégés par la Charte canadienne doit pouvoir se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Certes, l’évaluation est déjà difficile à faire puisque la reconnaissance du français en tant que langue commune est forcément contraignante; elle l’est encore davantage, le tribunal ne disposant pas d’une clause interprétative. Le cas échéant, le nombre des contestations constitutionnelles visant à invalider l’une ou l’autre des dispositions de la Charte sur la base de l’atteinte aux droits et libertés fondamentales ne cessera de progresser. Et, selon toute vraisemblance, ces dispositions seront effectivement invalidées. 27 La loi 101 a subi plus de 200 amendements qui l’ont affaiblie dans la plupart de ses secteurs d’application Le plus fort devant toujours l’emporter sur le plus faible, le caractère supra-législatif de l’article 23 de la Charte canadienne (ou, si l’on préfère, la politique fédérale) invalidera toute disposition, fédérale ou provinciale, qui est incompatible avec lui. En vertu de l’article 23, tout citoyen canadien détenteur d’un certain nombre de droits et libertés fondamentaux, est habilité à transporter ceux-ci et à s’en prévaloir sur tout le territoire canadien, sans égard à la province dans laquelle il se trouve. En guise d’illustration, c’est précisément ce qui est arrivé à l’article 73 de la Charte de la langue française, de même qu’à l’article 58, où l’on a jugé que le droit à l’enseignement dans la langue minoritaire provinciale et la liberté d’expression avaient préséance sur la reconnaissance du français comme langue commune. Dorénavant, un individu qui avait suivi la majeure partie de son enseignement en anglais dans une autre province que le Québec allait pouvoir fréquenter l’école anglaise publique au Québec, de même que ses frères et soeurs et que leurs descendants(«clause Canada»). . Il devenait ainsi possible de contourner les mesures scolaires de la loi 101 par un séjour dans une autre province. La loi 101 a par ailleurs été largement affaiblie dans nombre de ses autres secteurs d’application, notamment par des jugements de la Cour suprême du Canada. La loi 86 en est le dernier exemple. Cette loi a amendé 84 articles de la loi 101 (dont seulement 3 concernaient l’affichage commercial). L’espace médiatique ayant généralement été réservé aux aspects les plus sensationnels du débat linguistique, la loi 86 a été assimilée à 28 ses implications sur l’affichage commercial. En fait, la loi 86 a bilinguisé de grands pans de l'Administration québécoise et de nos milieux de vie, dont le processus législatif, les communications du gouvernement avec les personnes morales, la francisation des entreprises et les pouvoirs réglementaires de l’Office de la langue française. La «paix linguistique» Plusieurs auteurs affirment que l’établissement de la loi 101 a fait l’objet d’un large consensus et a suscité une certaine paix ou sécurité linguistique. Cependant, ladite paix linguistique n’a été principalement ressentie que par la population francophone. Dans les médias anglophones, la question linguistique n’a cessé d’être omniprésente, la communauté anglophone y étant généralement décrite comme une minorité maltraitée. Pourtant, comme le constate Jacques Leclerc: «Accuser le Québec de fanatisme linguistique, c’est faire preuve d’ignorance et/ou de mauvaise foi alors que, au surplus, la langue de la minorité menace celle de la majorité.» (Leclerc, 1988.) Il affirme en outre que: « Lorsqu’on observe la situation linguistique dans quelque 180 États souverains et une centaine d’États non souverains, et que l’on compare l’aménagement linguistique du Québec avec d’autres modèles dans le monde, on est forcé d’admettre que le Québec se situe dans les tout premiers rangs au niveau de la protection globale accordée à sa minorité anglophone.» 29 Les groupes de pression anglophones, de leur côté, n'ont cessé de travailler à l'affaiblissement de la Charte de la langue française. La mobilisation bat actuellement son plein et les revendications se font de plus en plus extrémistes. Alliance Québec et ses avocats s'attaquent actuellement aux dispositions scolaires de la loi 101. D’autre part, tant dans les médias anglophones que dans plusieurs médias francophones, tout mouvement de défense ou de promotion du français est aussitôt taxé d’alarmisme ou de xénophobie. Sous l'effet de telles accusations, la question linguistique est devenue un sujet tabou. Toute remise en question de la sécurité ou de la supposée paix linguistique est éludée promptement. Il faut à tout prix éviter d'ouvrir «la marmite linguistique». Le constat de la situation réelle du français au Québec est ainsi largement occulté par les médias et, de ce fait, l’ensemble de la population québécoise est privée d’une information vitale pour son avenir. L’avenir prévisible du français au Québec : un déclin rapide du français déjà en cours sur l’île de Montréal et qui s'étendra, à moyen terme, à l’ensemble du Québec Le questionnaire du recensement de Statistique Canada permet d’évaluer la langue maternelle (langue qu’une personne a apprise en premier lieu à la maison) et la langue d’usage (langue qu’une personne parle le plus souvent à la maison). 12 12 Voir Rapport du comité interministériel sur la situation de la langue française. Le français langue commune. Enjeu de la société québécoise. Bilan de la situation de la langue française au Québec en 1995. Ministère de la Culture et des Communications, 1996. 30 Les spécialistes en démolinguistique considèrent l’indicateur de la langue parlée à la maison comme étant le plus significatif. (Voir Termote, 1999a: Paillé, 1999: Castonguay, 1996: Alexander Norris, 1999.) Marc Termote (1999b) précise que la langue utilisée à la maison est l’indicateur le plus déterminant de l’ensemble des comportements linguistiques, notamment « parce que la langue d’usage utilisée dans un ménage devient normalement la langue d’usage des enfants de ce ménage et revêt donc une importance particulière dans une perspective générationnelle [...] » La langue d'usage à la maison est donc l'indicateur privilégié pour évaluer le statut réel du français et son avenir dans la société québécoise.13 Selon les études citées dans le bilan gouvernemental de 1996, les francophones selon la langue d’usage à la maison deviendraient minoritaires sur l’île de Montréal d’ici 5 à 10 ans. Du coup, la proportion de francophones passerait sous la barre des 80% dans l’ensemble du Québec. D’ici 20 ans, ces proportions seraient de 45,8 % sur l’île de Montréal et de 77,6 % dans l’ensemble du Québec, et, d’ici 40 ans, de 40,4 % et de 73,2 %. Les anglophones, en terme de la langue d'usage à la maison, maintiendraient leur poids démographique dans l'ensemble de la population et, ainsi, verraient leur poids démographique augmenter relativement à celui des francophones. Le questionnaire de Statistique Canada permet aussi d’évaluer la première langue officielle parlée , qui permet d’identifier les personnes susceptibles d'utiliser le français ou l’anglais dans leur consommation des services fédéraux offerts au public dans une région donnée. 13 Mémoire du Parti québécois, présenté à la commission parlementaire sur le projet de loi 401996, p.46. 31 Enfin, les dernières prévisions démographiques commandées par le Conseil de la langue française au chercheur Marc Termote (1999) de l’INRS-Urbanisation font état, même après avoir été « systématiquement et - parfois outrancièrement - biaisées en faveur du français », comme l'affirme l’auteur lui-même, d’une minorisation inéluctable des francophones de toutes origines sur l’île de Montréal d’ici environ 20 ans, ce qui ferait passer sous la barre des 80 % la proportion de francophones au Québec. Quel que soit le scénario envisagé, la part du groupe francophone diminuera tout au long de la période de prévision (1996-2021). La baisse du poids des francophones sera particulièrement rapide dans l’île de Montréal. « Selon que l’on est plus ou moins optimiste quant à l’évolution des facteurs favorables ou défavorables au groupe francophone, on peut retarder ou anticiper de plusieurs lustres l’année au cours de laquelle ce groupe deviendra minoritaire. [...] Ce qui est important ici, ce n’est pas le fait d’être tout juste au-dessus ou au-dessous d’une barre devenue “ magique ”, mais bien la tendance apparemment inéluctable à la baisse. » (Termote, 1999b). La situation du français à Montréal a une importance capitale pour l’avenir du français dans l’ensemble du Québec. La région métropolitaine accueille 85% de la population immigrée, dont l’immense majorité réside sur l’île de Montréal. C’est dans l’île de Montréal que se font l’accueil et l’intégration des immigrants pour l’ensemble du Québec. Et l’immigration semble être appelée à jouer un rôle sans cesse plus important dans l’évolution démographique du Québec. C’est pourquoi, comme on l’a mentionné souvent, le sort de la langue française se jouera à Montréal. 32 De fait, on observe déjà un déclin très rapide de la proportion de francophones sur l’île de Montréal depuis 1986 (61,8% en 1986, 58,5% en 1991, 55,6% en 1996), alors que le français langue d’usage à la maison était stable, sinon en légère progression auparavant (voir graphique 1). La proportion anglophone de la population est demeurée relativement stable depuis 1986. Graphique 1 Langue d’usage à la maison Évolution du français et de l’anglais Île de Montréal 70 65 60 55 50 45 40 35 30 25 20 61,2 60 27,4 1971 1976 61,8 58,5 55,6 27 25,2 25,7 25,6 1981 1986 1991 1996 Évolution du français Évolution de l’anglais 33 L’influence des facteurs externes sur la situation du français selon l’indicateur de la langue d’usage à la maison L’évolution de la situation du français telle que mesurée par les divers indicateurs linguistiques, dont celui de la langue d’usage à la maison, est influencée par des facteurs externes, comme le taux de natalité et les phénomènes migratoires (immigration, migration interprovinciale, étalement urbain). Ainsi, selon le Conseil de la langue française (1999), «la diminution de la proportion des francophones de langue d'usage à la maison est principalement due à des facteurs extralinguistiques, soit à la baisse de la natalité, au volume et à la concentration de l'immigration ainsi qu'à l'étalement urbain dans la région de Montréal.» Cette affirmation du CLF est partiellement vraie. En effet, comme dans la plupart des pays industrialisés, le phénomène de la dénatalité fait en sorte que l'immigration joue un rôle de plus en plus important dans le maintien du poids démographique du Québec. Cependant, le CLF omet de prendre en considération l'importance de la force d'attraction du français qui, sur le territoire québécois, est constamment en concurrence avec celle de l'anglais. Ce n'est pas la croissance de la population allophone qui, en soi, menace la survie et l'épanouissement du français au Québec; c'est la proportion de ces nouveaux arrivants qui s'intègre à la communauté anglophone. 34 Avec l'immigration, l'augmentation de la proportion des allophones est un phénomène qui se produit dans à peu près toutes les grandes métropoles nord-américaines. Mais, dans la plupart des cas, cela n'occasionne pas de difficultés d'intégration linguistique, car la presque totalité des transferts linguistiques se font vers la langue de la majorité. Dans le reste du Canada, par exemple, 99,3% des transferts linguistiques se font vers l'anglais. Il est donc essentiel de circonscrire systématiquement l’impact des facteurs extralinguistiques afin d'évaluer la force d'attraction réelle du français et son évolution. Certains auteurs ont tenté de donner un portrait optimiste de la situation du français au Québec en omettant de prendre en compte l’influence des facteurs externes lorsque les données semblent favorables. Cependant, lorsque les données sont défavorables, on les attribue à certains facteurs extra-linguistiques. Par exemple, on relève qu’il y a eu une augmentation du français langue d’usage à la maison dans l’ensemble du Québec entre 1971 et 1996, sans prendre en considération le rôle déterminant qu’y ont joué les facteurs migratoires. À l’inverse, on attribue les données défavorables sur l’île de Montréal à la migration des francophones vers les banlieues, sans tenir compte de celle des anglophones vers le reste du Canada. 35 L’augmentation apparente du français langue d’usage à la maison dans l’ensemble du Québec s’explique principalement par la migration des anglophones dans le reste du Canada. Pour alimenter l’hypothèse voulant que l’avenir du français soit assuré au Québec, on se limite parfois à observer que la proportion de francophones selon la langue d’usage à la maison a progressé dans l’ensemble du Québec (voir Graphique 2). Graphique 2 Langue d’usage à la maison Évolution du français Ensemble du Québec 84 83,5 83 83 82,5 82,5 82 82,7 82,8 81,5 81 80,5 80,8 80 1971 1976 1981 1986 1991 1996 En fait, la légère augmentation observée jusqu’en 1991 est principalement tributaire de l’« exode » des anglophones vers les autres provinces. (Voir Serré, 1997; Termote, 1999a, 1999b.) Si cette migration négative anglophone ne s’était pas produite (350 000 personnes depuis 1966 sur une population totale de 761 000 en 1991), l’effectif francophone (de toutes 36 origines) dans l’ensemble du Québec serait déjà passé sous le seuil des 80% (80,8% en 1971, 77,7% en 1991). L’effectif anglophone, quant à lui, serait passé de 14,7% en 1971 à 15,7% en 1991. Cela démontre, d’une part, que le pouvoir d’attraction ou d’intégration du français est largement insuffisant pour assurer le maintien du poids démographique du français. D’autre part, en favorisant une migration négative des anglophones et allophones anglicisés, la faiblesse du pouvoir d’attraction du français occasionne des coûts humains et socio-économiques inacceptables. Cela contribue notamment à affaiblir le poids démographique du Québec par rapport au reste du Canada. Le déclin du français à Montréal n’est pas causé par l’exode des francophones vers la banlieue, car il est contrebalancé par celui des anglophones vers le reste du Canada. Certains justifient leur optimisme en attribuant ce déclin à l’exode des francophones vers la banlieue à l’extérieur de l’île de Montréal. Cela est faux. S’il est vrai que, de par l’étalement urbain, l’île de Montréal a perdu l’équivalent de 7,9% de sa population francophone en 1991 et 5,1% en 1996, il est également vrai que l’effectif anglophone a perdu une plus grande proportion de sa population par la migration vers les autres provinces (7,3% en 1991 et 7,1% en 1996 : voir Graphique 3). 37 Graphique 3 Facteurs migratoires 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 7,9 7,3 7,1 5,1 1991 1996 Déficits migratoires du l’Île de Montréal (selon le pourcentage perdu de la population francophone) Ensemble du Québec (selon le pourcentage perdu dela population anglophone) Il faut également noter que l’immigration internationale profite davantage à la communauté anglophone; ce gain est cependant bien moindre que les pertes occasionnées par la migration des anglophones vers les autres provinces du Canada. Le solde de ces deux facteurs indique, toutes proportions gardées, une baisse de l’effectif anglophone de l’île de Montréal légèrement supérieure à la baisse de l’effectif francophone occasionnée par l’étalement urbain. La dénatalité n'est pas la cause du déclin du poids démographique du français par rapport à l'anglais. Le taux de natalité des francophones a diminué rapidement dans les années 50 et 60, pour atteindre un niveau équivalent à celui des anglophones depuis 198614 On ne peut pas invoquer la baisse du taux de natalité pour expliquer le déclin du français face à l’anglais 14 Voir Rapport du comité interministériel sur la situation de la langue française. Le français langue commune. Enjeu de la société québécoise. Bilan de la situation de la langue française au Québec en 1995. Ministère de la Culture et des Communications, 1996. 38 sur l’île de Montréal ou éventuellement dans l’ensemble du Québec puisque le taux de natalité des francophones, s’il a diminué, n’est pas inférieur à celui de la population anglophone. Historiquement, le taux de natalité plus élevé des francophones était un facteur externe qui permettait de compenser l’assimilation des allophones vers l’anglais. Les transferts linguistiques : principal indicateur de la force d’attraction du français Le pouvoir d’attraction du français s’évalue avant tout par les transferts linguistiques. Les termes « transfert » ou « mobilité » linguistique sont employés pour identifier un individu qui adopte comme langue d’usage à la maison une langue autre que sa langue maternelle. Le taux de transferts linguistiques rend compte des « changements récents qui sont le fait des personnes recensées elles-mêmes. » (Michel Paillé, 1997). Le processus de la mobilité linguistique se fait généralement de façon très lente au fil des générations. (Voir Termote, 1994, p. 157.) Le pouvoir d’attraction du français se reflète également dans son usage dans divers milieux comme celui de l’éducation, du travail ou dans les communications publiques. Toutefois, ces dimensions du comportement linguistique n’ont pas été évaluées systématiquement de façon à pouvoir en déterminer l’évolution, comme c’est le cas pour la langue d’usage évaluée lors des recensements. De plus, les indicateurs tels que celui de la langue d’usage public développés par le Conseil de la langue française15, ne permettent 15 Béland, Paul, Le français, langue d’usage public au Québec en 1997, Conseil de langue française, 1999. 39 pas de mesurer précisément la force d’attraction du français en tant que langue commune ou de communication interlinguistique. Les transferts linguistiques sont encore très largement favorables à l’anglais chez l’ensemble des allophones. Parmi les Québécois allophones qui déclarent avoir effectué un transfert linguistique, 26 % seulement le font en 1971 vers le français, contre 37 % en 1991, et 40 % en 1996. Et dans la région métropolitaine, la part du français dans les transferts linguistiques des allophones tombe aussi bas que 30 %. Elle est encore même encore plus basse sur l’île de Montréal, où elle n’atteint que 25 %. Ces taux sont loin d’atteindre le seuil souhaitable de 90 % qui permettrait le maintien du poids démographique relatif des utilisateurs du français au Québec face à l’anglais. De fait, la langue anglaise devrait avoir un pouvoir d’attraction proportionnel au poids démographique des anglophones. Elle devrait donc attirer environ 10% des transferts linguistiques, alors que le français devrait normalement en attirer 90%. En tenant compte de ces paramètres, on observe qu’en 1971, l’anglais avait un pouvoir d’attraction 16,4 fois supérieur à ce que devrait être sa juste part relativement au français. En 1996, soit près de 20 ans après l’instauration de la loi 101, ce pouvoir d’attraction était encore 15,2 fois supérieur à ce qui serait normal. En obtenant 60% des transferts linguistiques effectués, la population de langue maternelle anglaise (621 858) voyait son nombre de locuteurs (langue parlée à la maison, 762 457 40 personnes) augmenter de 22,5 % (140 599), alors que la population de langue maternelle française (5 741 438) obtenait un gain de 1,5% (soit 88 644 personnes). Serré (1998) fait observer que « la population anglophone a récupéré 67 % de la perte occasionnée par la migration, grâce à la force d’attraction de l’anglais auprès des allophones (et chez les francophones, dans une moindre proportion) ». De plus, le démographe Marc Termote observe que dans les municipalités de la CUM, hormis la ville de Montréal, 4,4% des citoyens de langue maternelle française ont changé de langue d'usage à la maison en faveur de l'anglais. Les transferts linguistiques des nouveaux arrivants vers le français augmentent trop peu pour assurer l'avenir de la langue officielle au Québec. Des auteurs ont réussi à voir des signes de grand progrès des transferts linguistiques vers le français en décortiquant les données de façon à ne tenir compte que de certaines «catégories» d’allophones, ceux pour qui la part des transferts est la plus favorable au français. Ainsi, ils sélectionnent les allophones d’arrivée très récente, ou ceux qui proviennent de certains pays et généralisent les tendances observées pour prédire l’avenir du pouvoir d’attraction du français dans l’ensemble du Québec. Cependant, une analyse plus rigoureuse démontre que : a) Les nouveaux arrivants qui font des transferts linguistiques correspondent à une très petite proportion des allophones. 41 La seule façon d’obtenir un taux de transferts linguistiques approchant le seuil du maintien du poids démographique des utilisateurs du français consiste à ne se concentrer que sur les allophones nés à l’étranger, arrivés entre l’âge de 0 et 14 ans, et ayant fréquenté les écoles primaire et secondaire françaises. Les individus répondant simultanément à ces trois critères à la fois ne représentent cependant que 1% de l’ensemble des allophones du Québec. Sans nier qu’il existe un réel progrès des transferts linguistiques pour cet effectif de la population, il faut observer que la proportion de ceux qu’on a appelés les « enfants de la loi 101 » qui effectuent des transferts linguistiques demeure restreinte. En 1991, seulement 22% des allophones arrivés entre 0 et 14 ans ont effectué au total des transferts vers le français. b) Des facteurs externes ont produit l’apparente augmentation des transferts linguistiques des nouveaux arrivants vers le français : la structure de l’immigration. Pour une large proportion des allophones arrivés après 1976, l’apparente mobilité linguistique vers le français est en état de stagnation, sinon de léger recul. Chez les allophones qui sont arrivés au Québec après 1976, à l’âge de 15 ans et plus, les transferts vers le français étaient de 66 % en 1981, de 65 % en 1986, de 64 % en 1991 et de 63 % en 1996. (Castonguay, 1998 : voir graphique 4). 42 Graphique 4 Part du français dans les transferts linguistiques des allophones 90 79 78 82 62 65 64 63 1981 1986 1991 1996 80 66 70 58 60 44 50 46 40 30 44 22 20 10 23 17 15 1961 1966 0 1971 1976 0-14 ans à l’arrivée 15 ans et plus à l’arrivée Termote (1999) fait remarquer que le taux de transferts est semblable même chez ceux qui sont arrivés depuis à peine deux ans. Comme la mobilité linguistique est un facteur qui évolue très lentement, au fil des générations, on peut difficilement penser qu’elle reflète une augmentation réelle du pouvoir d’attraction du français. « Il semble plus raisonnable de penser que la plupart de ces transferts vers le français sont le fait d’immigrants déjà francisés avant leur établissement au Québec et que, si ces transferts vers le français sont plus nombreux, cela est dû essentiellement à la modification dans la structure de l’immigration (l’immigration récente comportant plus de personnes provenant de pays “ latins ” ou de pays de la francophonie étendue, il est probable qu’elle comporte aussi plus de personnes déjà francisées). Si cette interprétation est pertinente, ses implications “politiques” sont considérables. Cela signifierait en effet que la hausse du pourcentage de transferts “ durée de vie ” vers 43 le français parmi les rares transferts effectués est due fondamentalement à une structure de l’immigration plus favorable aux immigrants de langue maternelle “autre” déjà “francisés” et très peu à une modification du comportement linguistique des immigrants. » (Termote, 1999b, p.56.) En conséquence: « [...] même si le pourcentage de transferts vers le français a augmenté parmi les immigrants récents, on ne peut guère en inférer pour l’avenir une hausse substantielle des probabilités de transfert vers le français [... ] » (loc. cit., p. 58.) Cette analyse de Termote vient corroborer l’hypothèse de Charles Castonguay (1998), hypothèse selon laquelle une partie considérable de la hausse des transferts linguistiques résulte de l’immigration accrue d’allophones ayant eu, par leur langue ou par leur histoire, des contacts privilégiés avec le français (plutôt que d’une augmentation du pouvoir d’attraction intrinsèque du français). Castonguay (1998) dénomme cette catégorie de nouveaux arrivants « les francotropes ». Le poids des « francotropes » dans l’immigration a connu une augmentation parallèle à celle des taux de transferts linguistiques, passant de 15 % en 1961 à 62 % en 1986, et à 52 % en 1996. Les taux de transferts avaient déjà atteint plus de 50% parmi les immigrants qui étaient arrivés entre 1971 et 1975, soit avant que la loi 101 ait pu avoir un quelconque effet. (voir graphique 5). 44 Graphique 5 Poids des francotropes dans l’immigration allophone et part du français dans l’assimilation des immigrés allophones, par période d’immigration, région métropolitaine de recensement de Montréal 80 65 70 54 60 50 40 30 20 10 38 31 50 69 68 62 61 56 67 52 20 5 27 15 0 1961 1966 1971 Poids des francotropes dans l’immigration 1976 1981 1986 1991 1996 Part du français dans les transferts linguistiques c) Des facteurs méthodologiques ont gonflé artificiellement la proportion de transferts vers le français. De plus, l’ampleur des progrès réels reflétés par l’augmentation des taux de transferts linguistiques est remise en question par de nombreux facteurs méthodologiques. La migration interprovinciale des anglophones, notamment, fait diminuer le taux apparent de transferts linguistiques vers l’anglais et augmenter le taux vers le français, car des individus ayant fait des transferts vers l’anglais ne sont alors plus comptabilisés. (Voir Castonguay, 1998 ; Termote ,1999b.) « Ainsi, dans le cas du Québec, la forte émigration des anglophones (parmi lesquels il y a certes nombre d’immigrants de langue maternelle “ autre ”) y fait baisser le nombre de transferts effectués vers l’anglais, de telle sorte que l’on pourrait conclure à une baisse de la force d’attraction de cette langue, même si, en réalité, ce n’est pas le cas. » (Termote, 1999b, pp. 20 et 21.) 45 Pour couronner le tout, des modifications aux questionnaires des recensements de 1991 et de 1996 ont produit une hausse artificielle de la proportion de transferts linguistiques vers le français. Castonguay (1998, voir aussi ;Castonguay , 1996, p. 8; le rapport interministériel, 1996, pp. 55, 52, notice, p.55) note que cela a produit une hausse invraisemblable des transferts linguistiques chez les allophones, lesquels seraient passés, en chiffres absolus, de 102 000 en 1986 à 180 000 en 1991. d) Les transferts linguistiques des allophones arrivés depuis plus longtemps continuent à avoir un impact majeur sur la dynamique démolinguistique et se font de plus en plus massivement vers l’anglais. Les allophones nés au Québec font, quant à eux, de plus en plus de transferts vers l’anglais (75 % en 1991 comparativement à 68 % en 1971). On fait également le constat qu’au fil des ans, une proportion considérable des enfants d’allophones nés au Québec « qui avaient choisi le français décident de l’utiliser en moins grand nombre comme langue d’usage. » (Mémoire de l'exécutif national du Parti québécois,1996.) Par exemple, des 20,4 % de transferts effectués vers le français en 1981 chez les enfants de 5 à 14 ans, il n’en restait plus que 16,3 % dix ans plus tard alors qu’ils avaient atteint l’âge de 15 à 24 ans. Le chercheur Veltman (1999) propose qu’on estime l’avenir du français en ne tenant compte que des nouveaux arrivants issus de pays de la francophonie ou qui s’en rapprochent (les «francotropes»). Il conclut qu’en « excluant ce type de groupe, les immigrants au Québec se francisent massivement [...] » Cet auteur semble présumer que 46 les transferts linguistiques des autres nouveaux arrivants ou des allophones d’arrivée moins récente n’auront pas d’impact sur la situation globale du français et sur son avenir. Sur cette base, Veltman (1999) affirme que « la guerre linguistique est finie, le français a gagné. [...] [et il serait] peut-être temps que les autorités politiques fassent preuve d’une certaine générosité à l’égard de la minorité anglo-québécoise. » Il semble postuler que les transferts linguistiques des immigrants allophones de longue date se seraient faits exclusivement dans le passé, et donc, qu’il n’y aurait pas lieu d’en tenir compte, car ils n’influenceraient pas la situation linguistique et son avenir. Pourtant, les allophones nés au Québec et leurs enfants effectuent davantage de nouveaux transferts linguistiques que les allophones d’arrivée récente, car la mobilité linguistique s’effectue lentement, au fil des générations. Ces nouveaux transferts ont un impact réel et direct sur l’évolution de la situation linguistique. e) En deçà d’une certaine masse critique de l’effectif francophone sur l’île de Montréal, la francisation des nouveaux arrivants pourrait régresser. Le chercheur américain Marc Levine note, à la suite de Charles Castonguay (1994), que les « sociolinguistes reconnaissent depuis longtemps l’importance d’une “ masse critique ” de locuteurs natifs (qui parlent leur langue maternelle), particulièrement unilingues, pour soutenir une communauté linguistique. Si c’est le cas, les théories sociolinguistiques donneraient à entendre que la sécurité linguistique des francophones serait en danger si leur nombre continue à décroître. Qui plus est, même à Montréal, l’anglais demeure une force assimilatrice dans les années quatre-vingt-dix. Par exemple, dans l’ouest de l’île - 47 un territoire qui peut, à certains égards, illustrer ce que serait la dynamique linguistique dans un Montréal “défrancophonisé” -, “ le pouvoir d’assimilation de l’anglais est plus élevé en 1991 qu’en 1971” [...] » (Levine, 1997, p. 362.) Levine relativise la menace d’une possible minorisation des francophones sur l’île de Montréal en disant que: « [...] le renforcement du français comme langue utilitaire et langue du travail à Montréal pourrait suffire à le soutenir, de la même manière que l’anglais persiste dans les grandes villes cosmopolites de Toronto, de New York ou de Los Angeles. Mais il est difficile de concevoir, compte tenu de la dynamique linguistique fragile de Montréal, comment la diminution du nombre des francophones dans l’île de Montréal pourrait être favorable à l’avenir du français dans la ville. » (Levine, 1997, p. 362.) Comme nous l’avons déjà mentionné, dans à peu près toutes les grandes métropoles nord-américaines, le poids démographique des allophones augmente avec l'immigration. Mais le faible taux de natalité et l’étalement urbain n’occasionnent pas de problèmes sérieux d'intégration linguistique, car la presque totalité des transferts se font vers la langue de la majorité, contrairement à ce qui se passe dans l’île de Montréal. Poussant les réserves émises par Levine jusqu’à l’extrême, Picher (1999) soutient que les données sur la langue d’usage à la maison ne seraient pas représentatives de la vitalité linguistique montréalaise parce qu’elles occulteraient l’impact du grand nombre de travailleurs francophones des banlieues qui travaillent à Montréal. Cela paraît tout à fait irréaliste. La venue quotidienne de travailleurs banlieusards francophones sur l’île 48 de Montréal ne compense pas pour la tendance à l’anglicisation des milieux de vie des Montréalais allophones . Il a été démontré que, dès qu’un quartier montréalais compte moins de 80% de francophones, la majorité des transferts linguistiques se fait en faveur de l’anglais. Dans Côte-des-Neiges et Parc-Extension, principaux quartiers d’accueil des nouveaux arrivants au Québec, le solde des transferts linguistiques favorise l’anglais à 77% et 79%, respectivement. Il est donc probable que le déclin de la proportion francophone de la population de l’île de Montréal favorise une diminution de la proportion des transferts vers le français, même chez les jeunes allophones d’arrivée plus récente, chez les «enfants de la loi 101». Ainsi, selon Levine (1997, p.238): « Bien que les progrès de l’intégration des immigrants à l’école française soient indéniables, le processus est contrasté et fragile. Par exemple, les données de Dubois montrent “un lien étroit entre la concentration d’élèves de langue maternelle française et la propension des autres élèves à utiliser le français comme langue d’usage”. » L’usage public du français Récemment, le Conseil de la langue française a dévoilé les résultats d’une étude sur un nouvel indicateur linguistique, soit celui de la langue d’usage public. Ce dernier se construit à l'aide d'un questionnaire visant à déterminer quelle est la langue utilisée par 49 les citoyens dans leurs activités quotidiennes, au travail, comme dans les centres commerciaux, dans les banques, avec leur médecin en clinique privée, avec l'administration scolaire et les services publics en général. Suite au dévoilement du nouvel indicateur de la «langue d'usage public», certains intervenants ont conclu que le français avait fait de grands progrès, ou encore, qu'il était aujourd’hui dans une position nettement dominante. (Gagnon, 1999, Veltman, 1999.) Selon le Conseil de la langue française, ce nouvel indicateur « témoigne clairement d’un changement dans l’orientation linguistique des allophones. » (Communiqué no. 2, 1999.) Or, on peut difficilement observer un progrès ou un déclin à partir d’un indicateur utilisé pour la toute première fois. Cette récente étude sur l’usage public du français correspond sans doute à la tentative la plus douteuse du CLF pour donner un portrait optimiste de la situation du français. Cet indicateur est par ailleurs hautement contesté par les scientifiques à la fois dans ses objectifs et sa méthodologie. C’est également sur cette étude que se fonde l’avocat Brent Tyler –responsable de la défense d’un couple de commerçants anglophones contestant la prédominance du français dans l’affichage – pour affirmer que le français n’a plus besoin d’être protégé. Dans l’ensemble du Québec, selon le nouvel indicateur «langue d’usage public», le français ne serait utilisé que par 4,2% de locuteurs de plus (87%) que la proportion de francophones selon la langue d’usage à la maison (82,8%). 50 Selon le nouvel indicateur du Conseil de la langue française, le français serait utilisé comme langue d’usage public par 87% des québécois, soit par 4,2% de locuteurs de plus que la proportion de francophones selon la langue d’usage à la maison (82,8%). Le seul indicateur de l’usage public du français pour lequel il existe un point de comparaison est celui de la première langue officielle parlée de Statistique Canada. Selon cet indicateur, fondé sur un échantillonnage beaucoup plus large, l’usage public du français diminue légèrement depuis 1986 (67,3% en 1986, 65,8% en 1991, 65% en 1996.) L’usage public du français à Montréal se retrouve principalement chez les francophones et les immigrants déjà francisés. Sur l’île de Montréal, là où réside 75 % de la population allophone, le français est principalement utilisé en public par 71 % de l’ensemble de la population (essentiellement les francophones), et par seulement 53 % des allophones et 19 % des anglophones. Mais la situation varie considérablement selon le pays d’origine. Ainsi, dans la région métropolitaine, 81 % des immigrants d’influence latine (ou issus des pays de la francophonie internationale) utilisent principalement le français en public, alors que cette proportion dégringole à 22 % chez tous les autres immigrants qui, eux, utilisent principalement l’anglais. On constate donc que ce sont essentiellement les francophones qui utilisent le français dans la vie publique, ainsi que les allophones issus des pays de la francophonie ou d’influence latine. Ainsi, selon le dernier rapport interministériel (1996): « L’objectif de 51 rattrapage, visé par la Charte de la langue française pour les milieux francophones plus homogène ayant été en grande partie réalisé, l’objectif de “ normalisation ” ( ou d’usage “ normal “ et “ habituel ” du français ) poursuit son avancée plus difficile dans un milieu de forte coexistence des langues, où l’anglais concurrence chaque jour le français. Le sort de la langue française se jouera donc fortement dans cette moitié du Québec que constitue la région de Montréal. » (p.238.) De plus, tout comme pour la langue d’usage à la maison, Levine (1997) estime qu’on ne peut écarter la nécessité d'une « masse critique » de locuteurs d'une même langue utilisée à la fois en public et en privé pour « soutenir une communauté linguistique ». Du même avis, Michel Paillé (1999) soutient qu'il est difficilement imaginable que l'usage public du français puisse se maintenir à mesure que son usage à la maison diminuera. La langue de travail La situation du français langue de travail est en état de stagnation depuis les années 1980, et amorce un recul dans les années 1990. Les iniquités qui existaient avant les années soixante dans le secteur du travail et des entreprises sont difficiles à imaginer aujourd’hui. Au Québec, et plus particulièrement à Montréal, l’anglais était la langue des affaires aux échelons moyens de l’industrie de fabrication, la seule langue de travail aux échelons supérieurs, et dans de nombreux cas « les francophones des échelons inférieurs sont obligés, eux aussi, d’utiliser l’anglais comme langue de travail. » (rapport de la Commission Laurendeau-Dunton ,1969). Il semble donc que l’anglais ait été pratiquement la seule langue commune des milieux de travail même 52 dans les milieux francophones. Elle était largement prédominante « dans les situations de contact entre Québécois francophones et non francophones.» (Commission Gendron, 1972.) Les études démo-linguistiques sur la langue de travail donnent des résultats analogues à celles sur la langue d’usage public. Au travail, 70% de l’ensemble des Québécois travaillent essentiellement en français (soit dans plus de 90% du temps de travail). D’autre part, ceux qui utilisent une autre langue, mais principalement le français ( plus de 60% du temps de travail), constituent 70% de la population du Québec. Le graphique 6 indique que le français langue de travail a connu une progression dans les années soixante-dix mais que, depuis, il est en état de stagnation, sinon de léger recul. Graphique 6 Pourcentage de la main-d'oeuvre selon le temps de travail en français Ensemble du Québec 1971-1997 80 70 64 60 70 73 70 18 18 18 50 40 30 20 19 18 13 10 12 9 0 1971 1979 90% ou plus 1989 50% - 89% 1997 49% ou moins 53 De plus, l’avancée du français langue de travail résulte en partie du déclin migratoire de la population anglophone (Charles Castonguay, 1996). La généralisation du français dans les milieux de travail est nécessairement reliée à la proportion de francophones dans les milieux de travail. (voir Rapport du Comité interministériel, 1996, p.64.) La même tendance à la stagnation se retrouve dans la grande région métropolitaine, où le pourcentage de francophones travaillant essentiellement en français est passé de 42% en 1971 pour augmenter rapidement jusqu’en 1979 (51%) et de façon plus modérée en 1989 (56%). Cette proportion a légèrement diminué en 1997 (voir graphique 7). Graphique 7 Francophone Pourcentage de la main-d'oeuvre selon le temps de travail en français Région métropolitaine 1971-1997 60 50 42 51 27 31 26 56 54 29 26 40 30 23 20 20 15 10 1971 1979 90% ou plus 1989 50% - 89% 1997 49% ou moins 54 La situation du français chez les allophones est davantage préoccupante. La proportion d’entre eux qui travaillent essentiellement en français a connu une augmentation beaucoup plus restreinte et demeure figée à 24% depuis 1989. De plus, les données de 1997 sont issues d’un questionnaire où on classifie différemment les périodes de temps de travail. Elles indiquent que 40% des allophones utilisent le français dans moins de 40% de leur temps de travail (voir graphique 8). En 1989, 37% des allophones utilisent le français dans moins de 50% de leur temps de travail. Dans le bilan de 1996, on identifiait cette catégorie de réponse (50% et moins) comme correspondant aux travailleurs qui utilisent surtout l’anglais. Graphique 8 Allophone Pourcentage de la main-d'oeuvre selon le temps de travail en français Région métropolitaine 1971-1997 60 58 40%-89% du temps 50 44 40 30 20 39 35 25 17 46 40 37 40% ou moins de temps 21 24 24 1979 1989 1997 10 1971 90% ou plus 50% - 89% 49% ou moins 55 Ce plafonnement du français dans l'espace linguistique du travail, unanimement considéré comme primordial pour l'avenir, illustre éloquemment les limites de la politique linguistique actuelle. Une étude récente de l’agence fédérale de statistique (voir La Presse, 10 mai 1999) corrobore l’hypothèse voulant que le français soit loin d’être la langue d’intégration au travail. Elle démontre que, chez les immigrants arrivés depuis 1990, le taux de chômage est plus élevé lorsqu’ils ne connaissent que le français (33%) que lorsqu’ils ne connaissent que l’anglais (25,1%). Le taux de chômage des nouveaux arrivants ayant la connaissance des deux langues est à peine moins élevé (23,7%). Les indicateurs utilisés ne permettent pas d’évaluer précisément l’usage du français langue commune dans les milieux publics et au travail La Charte de la langue française vise à « faire du français la langue de l’État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle de travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires». Cet objectif implique que le « français doit devenir la langue commune de tous les Québécois .» (La politique québécoise de la langue française, 1977, Bilan 1996.) Il doit être connu de tous et « servir d’instrument de communication dans les situations de contact entre Québécois francophones et non francophones.» (Commission Gendron, 1972.) Jean Dansereau (1996) précise que le français sera devenu langue commune quand il sera la langue de communication dans une rencontre publique entre les citoyens de toutes 56 langues et de toutes origines. Comme c’est le cas pour la langue officielle dans la plupart des pays, au Québec, le français devrait normalement être le moyen de communication interlinguistique, la langue l’usage utilisée en public autant entre un francophone et un anglophone, qu’entre un allophone et un francophone ou un anglophone et un allophone. De même, le Conseil de la langue française conçoit l’indice du français langue d’usage public comme une concrétisation de la politique linguistique au Québec qui vise à faire du français la langue commune de tous les Québécois et de toutes les Québécoises.16 Cependant, le questionnaire utilisé par le CLF ne permet pas d’évaluer précisément cette dimension de l’usage du français en tant que langue commune, car cette dernière ne peut pas être évaluée par des mesures basées uniquement sur le temps d’utilisation d’une langue au travail ou dans les milieux publics. Par exemple, si quelqu’un déclare utiliser le français dans 90% de son temps de travail, cela pourrait refléter simplement que cet individu passe 10% de son temps à travailler en anglais quand il est en contact avec des anglophones ou des allophones, et donc, qu’en fait, pour lui l’anglais est la langue commune (interlinguistique) au travail. Les études consultées suggèrent que la Charte de la langue française a eu pour effet que l’anglais n’est plus la principale langue commune des milieux de travail ou les milieux publics francophones. L’objectif de « rattrapage » pour les milieux francophones plus homogènes a connu des progrès certains. (Rapport du comité interministériel, 1996, 57 p.238.) Cependant pour ce qui est de l’objectif de faire du français la langue commune, nous sommes très loin du compte. L’usage public du français à Montréal se retrouve principalement chez les francophones et les immigrants déjà francisés. À peine 24% des allophones utilisent essentiellement le français comme langue de travail. Il est probable qu’une majorité d’entre eux utilisent donc une autre langue dans leur communication avec les travailleurs dont la langue d’usage diffère de la leur. De plus, la situation du français langue de travail est en état de stagnation depuis les années 1980, et amorce un recul dans les années 1990. Les présomptions ayant amené le Conseil de la langue française à minimiser l’importance du déclin démographique des utilisateurs du français Une approche révisionniste des objectifs de la loi 101 visant à les réduire à l’usage public du français Sous le dernier régime du gouvernement libéral du Québec, Pierre-Étienne Laporte, alors président du Conseil de la langue française, a tenté de répudier l’objectif de la Charte visant à contrer le déclin du poids démographique des francophones selon la langue d’usage à la maison, en soutenant qu’elle ne vise pas à assimiler, mais plutôt à faire du français la langue d’usage public. (Voir Castonguay, 1996, 1997.) Plus récemment , le Conseil de la langue française réitère cette conception de façon ambiguë : « Ainsi la politique linguistique du Québec a toujours été centrée sur la place 16 Conseil de la langue française, L’indice du français langue d’usage public comme une concrétisation de 58 du français dans la vie publique [ ... ] En conséquence, la langue que les citoyens choisissent d’utiliser à la maison relève de la vie privée. Le choix de cette langue d’usage en privé leur appartient entièrement, et ne peut résulter d’une intervention de l’État. (On peut évidemment espérer qu’au fil des ans, les immigrants qui choisiront de changer de langue adopteront le français, et que le transfert linguistique se fera de plus en plus en faveur de la langue officielle.) […] Toute personne qui utilise principalement le français comme langue de vie publique, c’est-à-dire dans ses activités de travail, de consommation, dans se relations avec le système de santé et les services publics en général, respecte le texte et l’esprit de la Charte de la langue française [...]»17 Selon cette nouvelle définition, des citoyens pour qui la langue officielle est une langue seconde seraient assimilés à l’ensemble de la population francophone. En poussant ce raisonnement jusqu’à sa conclusion logique, on pourrait soutenir que le fait que le peuple québécois devienne un peuple de langue seconde française serait compatible avec les objectifs de la Charte de la langue française. En fait, ces auteurs confondent les objectifs visés par la loi 101 avec les moyens préconisés. Laporte semble considérer que l’objectif d’augmenter le pouvoir d’attraction ou d’intégration du français correspond à un objectif d’assimilation qui l’orientation civique de la politique linguistique, Communiqué no 4, 1999. 17 Nadia Brédimas-Assimopoulos, Notes pour la présentation publique du rapport : Le français, langue d’usage public au Québec en 1997, Conseil de la langue française, 1999. 59 impliquerait des mesures visant à régir l’usage de la langue dans la vie privée, sinon dans les foyers. Les véritables objectifs de la loi 101 Les études démographiques indiquant une décroissance imminente de la proportion de la population francophone au Canada et au Québec ont largement contribué au débat linguistique devant mené à l’établissement de la loi 101. (Marc Levine ,1997, p. 228) Le premier chapitre du livre blanc, le programme politique sous-jacent à l'établissement de la loi 101, débutait en faisant état des études démontrant que «si l'évolution démographique du Québec se maintient, les Québécois francophones seront de moins en moins nombreux». On concluait en se posant la question suivante: «[…] devant ces prévisions, comment n'aurait-on pas pensé que, pour l’avenir linguistique du Québec, il fallait orienter les options linguistiques des immigrants? […] L’intégration d’une grande partie des immigrants au groupe anglophone dépend plutôt du fait que le pouvoir d’assimilation du groupe dominant est toujours plus fort que celui du groupe dominé. […] L’intégration spontanée des immigrants à la communauté francophone ne pourra donc être possible que si la société québécoise elle-même est globalement francisée. » C’est donc dans cette optique que la Charte de la langue française vise à « faire du français la langue de l’État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle de travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. » 60 De fait, selon Marc Levine,« la Charte de la langue française visait deux grands objectifs: franciser l’économie pour améliorer les perspectives économiques des Québécois francophones et réaménager l’enseignement public pour protéger la situation démographique de la communauté francophone de Montréal.» (Levine, 1997, p. 228.) Des juristes tels que José Woerling ou Jean Dansereau résument les objectifs de la loi 101 selon les mêmes deux grands axes et en démontrent la légitimité.18 De même, Camille Laurin invoquait le facteur des transferts linguistiques massifs vers l’anglais pour expliquer la nécessité des articles la loi 101.19 18 «Les droits linguistiques reconnus aux minorités du Québec devraient être compatibles avec la politique destinée à préserver et à renforcer le statut de la langue française. «On sait qu’à l’origine de la politique linguistique québécoise actuelle on trouve les rapports de deux commissions d’enquête [ Commission B.B. créée en 1963 et Commission Gendron créée en 1969 ]. Ces commissions avaient constaté deux réalités fort inquiétantes pour les Québécois francophones : d’une part, la désaffectation des immigrants allophones à l’égard de l’école française et leur intégration massive à la communauté anglophone et, d’autre part, l’infériorité du français par rapport à l’anglais dans la vie économique, au Québec même. À partir de là, les deux objectifs principaux de la politique linguistique s’imposaient en quelque sorte d’eux-mêmes. [ … ] Ces deux objectifs n’ont jamais été remis en cause. Ils ont été poursuivis de façon systématique et cohérente par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 1970. […] De la loi 22 à la loi 101, les buts sont restés les mêmes; seuls les moyens et les modalités ont changé. (José Woerling, «Les droits des minorités linguistiques et culturelles dans un Québec souverain», 1991; tiré de Les attributs d’un Québec souverain. Commission d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté, 1992.) Dans le même ordre d’idées, selon Jean Dansereau, en «faisant du français la langue normale et habituelle de la société civile, la Charte se propose de confirmer la valeur de cette langue comme langue d’usage […] En accordant des droits à la majorité francophone, la loi tend à augmenter numériquement cette majorité […] en rendant possible l’intégration des immigrants. » Le français devient en principe la langue d’usage de tous les Québécois, sans égard à leurs origines, et son emploi devient légitime dans les circonstances de la vie sociale. » ( p. 31.) « Dans ce dernier cas, la règle imposant le français n’est légitime que si elle coïncide avec la protection du contractant le plus faible. Chaque fois que la Charte impose l’emploi du français, cette règle est respectée [...] ». (Jean Dansereau ,1995.) 19 « On sait par ailleurs que trois néo-Québécois sur quatre s’anglicisent [puisque les transferts linguistiques étaient à 74% vers l’anglais en 1971]. Devant ces réalités, il est clair que les Québécois francophones doivent organiser leur défense. » (Laurin, 1977; tiré de Recueil, 1999, p. 57.) Pour 61 En somme, l’énoncé de politique de la Charte de la langue française indique qu’elle vise notamment à contrevenir au déclin appréhendé de la proportion francophone de la population, déclin causé par les transferts linguistiques massifs des allophones vers l’anglais. Mais les mesures de la loi 101 visent à atteindre cet objectif en régissant le statut du français dans les institutions publiques du Québec, l’éducation et la vie économique. Plus précisément, les mesures scolaires de la loi 101 concernent l’usage du français dans les institutions publiques d’enseignement, mais ont un impact considérable sur l’intégration et les transferts linguistiques des allophones. Naturellement, aucune mesure législative de la loi 101 ne vise à régir l’utilisation de la langue dans les foyers. Il ne semble nullement excessif d’avoir pour objectif que, chez les citoyens qui effectuent normalement des transferts linguistiques, au fil des générations, la proportion de ceux qui optent pour le français corresponde au poids démographique de la population francophone. En fait, c’est une condition essentielle à la survie du français non seulement en tant que langue d’usage à la maison mais aussi comme langue commune. La redéfinition du terme «francophone» et de ses instruments de mesure par le CLF défendre la clause Québec de la loi 101 originale, il souligne que: « Cela valait particulièrement pour les régions de Montréal et de Hull, où l’importance de l’afflux aux écoles anglaises et des transferts linguistiques constituait un danger de recul sérieux pour la communauté française de ces régions.» (Laurin, 1999, p.93.) 62 Parallèlement aux tentatives de révision des objectifs de la loi 101, certains auteurs du CLF minimisent l’importance du déclin prévu de la population francophone en proposant une modification de la définition même du terme «francophone». En ce qui a trait aux études démolinguistiques indiquant un déclin imminent de l’effectif de la population francophone, les auteurs du Bilan de 1996 soutiennent que « ces prévisions doivent être tempérées par le fait qu’en utilisant uniquement les données relatives à la langue maternelle et celles relatives à la langue d’usage, on ne tient pas compte des personnes d’une autre langue ( de langue maternelle ou de langue d’usage) qui utilisent le français dans la plupart de leurs communications publiques et adhèrent aux objectifs de la vie public collective en français. [ p. 59 ] Or on peut considérer qu’un certain nombre de francophones pour ce qui est de la langue d’usage public, même s’il n’ont pas adopté le français à la maison, contribuent à l’usage du français et à sa promotion et viennent grossir le nombre de ceux qu’on appelle communément francophones.» (p. 237) Lors du lancement du nouvel indicateur «langue d’usage public», la nouvelle présidente du Conseil de la langue française, Nadia Assimopoulos soutenait qu’il permet entre autres de «mettre en relief la double signification du terme francophone, soit le sens que lui donne Statistique Canada (ceux qui parlent le plus souvent le français à la maison) et le sens courant (ceux qui utilisent habituellement le français dans leurs activés, indépendamment de la langue parlée à la maison), ce qui permet une meilleure évaluation du nombre de personnes qui sont de langue française [...]». 63 Cependant, comme nous l'avons mentionné précédemment, l’ensemble des spécialistes en démolinguistique considèrent l’indicateur de la langue parlée à la maison comme étant le plus significatif, et définissent les populations anglophone, francophone et allophone à partir de cet indicateur. C’est sans doute pourquoi, paradoxalement, même dans le Bilan de 1996, la langue d’usage est définie comme correspondant à la langue parlée à la maison. Paillé (1998; voir aussi Castonguay, 1996, 1997), mentionne que la population francophone se définit comme « [...] celle qui parle habituellement français à la maison et non pas celle qui fait uniquement usage du français dans la vie publique [...] ». La ministre de la Francophonie et de la Charte de la langue française, Louise Beaudoin, précisait également avec justesse, lors du lancement de l’indicateur « langue d’usage public », que l’indicateur de la langue d’usage à la maison est le plus important. En outre, Monnier (1999) explique que le nouvel indicateur de la langue d’usage public repose en bonne partie sur l’examen d’activités où la communication est rudimentaire, sans inclure la vie culturelle (médias) qui implique un usage plus lourd du langage: « [...] a-t-on vraiment besoin de connaître le nombre de “ francophones 101” , ceux qui satisferaient à un présumé esprit de la loi, sans connaître, ni même s’intéresser, à la perception identitaire que les gens ont d’eux-mêmes et à ce qui les détermine. » (Monnier,1999.) Les résultats de l’étude sur l’indicateur de la langue d’usage public n’altèrent pas les prévisions faites à partir des données sur la langue d’usage à la maison 64 Les auteurs du bilan de 1996 font une déduction erronée lorsqu’ils laissent entendre qu’en additionnant le nombre d’utilisateurs du français dans l’espace public on peut penser que le déclin du français ne se produira pas. (Cela entre d'ailleurs en contradiction avec les études prévisionnelles qu’ils citent eux-mêmes.) Termote (1999a) considère qu’une approche d’évaluation de la situation linguistique qui postulerait que la langue d’usage public est un indicateur tout aussi significatif que la langue d’usage à la maison « permet sans doute d’évacuer les problèmes, mais elle néglige une dimension fondamentale, à savoir que la langue d’usage au sein d’un ménage est aussi en règle générale la langue maternelle des enfants de ce ménage. Dans une perspective générationnelle, donc de long terme, dans une société qui a une mémoire et qui entend transmettre son patrimoine identitaire, la langue d’usage au foyer semble un concept incontournable. » (Termote, 1999a.) Dans une brochure à grand tirage émise par le Secrétariat à la politique linguistique depuis 1997, on effectue la même erreur de déduction quant à l’amélioration de la connaissance du français. On mentionne que : «[...] pour une proportion non négligeable d’immigrants, les transferts linguistiques se font encore vers l’anglais, bien que cette tendance soit moins marquée depuis quelques années et que plus de 80% des Montréalais affirment pouvoir tenir une conversation en français. Ainsi, les données récentes montrent que l’évolution peut, à moyen terme, devenir favorable au français.» Cette hypothèse paraît d’autant plus difficilement défendable quand on considère que «la 65 connaissance du français n'empêche pas les allophones nés au Québec et qui font un transfert linguistique de choisir, dans 75% des cas, l'anglais comme langue d'usage.»20 L’URGENCE D’AGIR Après 23 ans d’application de la Charte de la langue française (et de la multitude d’amendements qu’elle a subis), le pouvoir d’attraction du français ne s’est pas accru suffisamment auprès des allophones et des nouveaux arrivants pour contrer la défrancisation de Montréal et assurer l'avenir de la langue française à plus long terme dans l'ensemble du Québec. Le caractère restreint des progrès observés en regard des objectifs à atteindre démontre qu’il est non seulement urgent, mais qu’il est vital pour l’avenir du français de procéder à une réforme majeure des mesures d’aménagement linguistique au Québec. Il faut renforcer la Charte de la langue français, et établir une nouvelle politique globale propre à assurer le pouvoir d’attraction de la langue française. En se fondant sur le critère des 90% pour définir ce qui correspondrait au pouvoir d’attraction normal du français (comparativement à 10% pour l’anglais), on observe qu’en 1971, l’anglais avait un pouvoir d’attraction 16,4 fois supérieur à ce que devrait être sa juste part relativement au français. En 1996, soit près de 20 ans après l’instauration de la loi 101, ce pouvoir d’attraction était encore 15,2 fois supérieur à ce qui serait normal. (Charles Castonguay,1996.) 20 Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur le projet de loi 40 et l'énoncé de politique linguistique de 1996, Exécutif national du Parti Québécois. 66 C’est le pouvoir d’attraction insuffisant du français qui explique le déclin rapide de l’effectif francophone sur l’île de Montréal. De plus, étant donné que la grande majorité des nouveaux arrivants et des allophones réside à Montréal, ce déclin menace la capacité d’accueil et d’intégration de l’ensemble de la société québécoise. Si le phénomène de «l’exode» des anglophones vers les autres provinces n’avait pas eu lieu, l’effectif francophone de l’ensemble du Québec aurait déjà diminué nettement en deçà du seuil des 80%. De plus, en l’absence d’une masse critique de francophones sur l’île de Montréal, les progrès observés, surtout chez les jeunes allophones ayant fréquenté l’école française, sont susceptibles de s’estomper. Si la tendance actuelle se maintient, il deviendra de plus en plus difficile de la modifier. Les mesures visant à influencer les déterminants externes de la mobilité linguistique, tels que les phénomènes migratoires régionaux ou internationaux, sont aussi très importantes, bien que ces déterminants externes soient plus volatils et malléables au gré des gouvernements qui se succèdent. Des pistes de solution intéressantes ont été proposées : une politique de la population, une politique d’immigration favorisant davantage la connaissance du français, ainsi que des mesures visant à réduire l’étalement urbain. Mais selon nous, ne compter que sur ces facteurs pour assurer l’avenir du français reviendrait à tenter de remplir - en vain et à grands frais - un seau percé. Les facteurs extra-linguistiques causent une augmentation du poids démographique des immigrants allophones, mais cela n’occasionnerait pas de problèmes sérieux d’intégration 67 si la langue majoritaire au Québec avait un pouvoir d’attraction normal, c’est-à-dire proportionnel à son poids démographique. En redonnant sa part normale au pouvoir d’attraction du français, l’augmentation de la proportion allophone de la population n’occasionnerait pas davantage de problèmes d’intégration linguistique que dans le cas des autres grandes métropoles nord-américaines. RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES Nous nous sommes attardés à élaborer des recommandations principalement dans trois grands secteurs qui correspondent à ceux pour lesquels le lien de causalité le plus certain a été démontré entre la force d’attraction du français et son usage comme langue commune. Il s’agit des mesures visant à renforcer le français comme langue d’éducation, comme langue de travail et comme langue officielle et institutionnelle. L’usage du français dans ces trois types de milieux de vie publique est directement relié à la force d’attraction intrinsèque du français. En réalité, le lien de cause à effet qui a été le plus clairement démontré et qui fait l'unanimité parmi tous les chercheurs correspond à l’impact des mesures scolaires sur la force d’attraction du français. Or, malgré que les progrès tributaires de la scolarisation obligatoire en français pour les nouveaux arrivants reflètent une réelle mobilité linguistique, ces progrès sont d’une ampleur restreinte par rapport à l’ensemble de la population allophone. En 1991, seulement 22% des allophones arrivés entre 0 et 14 ans ont effectué au total des transferts vers le français. L’établissement des mesures 68 permettant de consolider et d’élargir la fréquentation des institutions d’enseignement en français a donc une importance vitale pour l’avenir du français au Québec. Comme le précisait Castonguay (1998), cela n’implique pas que les autres mesures d’aménagement linguistique ne soient pas importantes. Ainsi, le milieu du travail constitue, avec le milieu scolaire, le lieu privilégié d’intégration linguistique (Grant, 1996), puisque le lieu de travail est généralement l’endroit où un individu passe la majorité de son temps à l’extérieur de son domicile. D’autre part, l’étude comparative des mesures linguistiques des pays à travers le monde, telles que celles imposées par le gouvernement fédéral canadien, indique que le bilinguisme officiel, institutionnel ou social favorise l’assimilation progressive des langues minoritaires. Cela n’exclut cependant en rien que le bilinguisme individuel, voire le «multilinguisme» individuel, représente un réel enrichissement pour la personne qui le pratique. L’établissement du plus large consensus possible est essentiel pour susciter la mobilisation de l’ensemble des citoyens en vue de faire du français la langue commune au Québec. Le Conseil de la langue français a un rôle clé à jouer dans ce domaine car il a notamment pour mandat de surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec (article 188), d’entreprendre des études et d’informer le public (article 189). Les difficultés et l’ambiguïté des analyses fournies ces dernières années par le CLF 69 démontrent la nécessité de préciser les objectifs de la Charte et le rôle des indicateurs de mesure de la situation linguistique. LE FRANÇAIS LANGUE D'ÉDUCATION L’importance cruciale des mesures scolaires de la Charte n’a rien de surprenant puisque le système éducatif est le principal outil d’intégration et d’inclusion dans toutes les sociétés. Que les enfants allophones et francophones puissent fréquenter les mêmes écoles est sans doute la mesure qui a le plus contribué à la fois à l’ouverture des francophones et à l’inclusion des nouveaux arrivants à la culture et à la langue françaises. L’application de la Charte au cégep De toutes les mesures d’aménagement linguistique qui peuvent être envisagées, l’application de la loi 101 au cégep est la seule qui soit réellement susceptible de renforcer à moyen terme le pouvoir d’attraction intrinsèque du français. Près de la moitié de l’accroissement naturel (natalité) de l’ensemble du Québec en 1998 était dû aux seuls immigrants de la région de Montréal (Termote, 1999s). C’est en effet au cégep que la langue d’intégration va prendre un tournant plus décisif chez les jeunes : en 1997, 87 % des allophones inscrits au cégep avaient adopté une autre langue que leur langue maternelle, comparativement à 28,5% des élèves allophones des secteurs pré-scolaire, primaire et secondaire. 70 Les premiers «enfants de la loi 101» sont parvenus au niveau collégial en 1989. En 1990, 71,1% des étudiants allophones qui sont passés par l’école secondaire française choisissaient de fréquenter le cégep français. Par la suite, le choix de fréquenter un cégep français est passé de 64%, en 1994, à 57%, en 1998. Et la propension des étudiants allophones à choisir le cégep anglais ne cesse d'augmenter, peu importe qu’ils soient passés par l’école secondaire française ou anglaise. Par contre, les allophones qui ont étudié au secondaire en anglais ne semblent pas ressentir avec autant d’empressement la nécessité d’apprendre le français avant d’entrer sur le marché du travail. En fait, ces allophones choisissent de façon constante, et dans la presque totalité, le cégep anglais : 94,2 % en 1987 et 99,3 % en 1998. De plus, 93% de la population immigrée a plus de 15 ans à son arrivée: l’obligation de fréquenter une institution scolaire en français ne s’applique donc pas à elle. En 1996, 46% des allophones actifs âgés de 20 à 64 ans possédaient un diplôme collégial ou une scolarité d'études supérieures. Le Québec est à peu près le seul État au monde où on finance des institutions d’éducation supérieure dans une autre langue que celle de la majorité, sans aucune limite et aucune restriction. 71 Par conséquent, il nous apparaît vital de revoir la Charte de la langue française, chapitre VIII de la langue d'enseignement, premier alinéa de l'article 72, afin qu'elle soit amendée de la façon suivante: «L'enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles d'enseignement primaire et secondaire et dans les collèges d'enseignement général et professionnel, sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre. Les élèves inscrits dans un établissement collégial dispensant l'enseignement en langue anglaise, à la date d'entrée en vigueur de la loi, pourront y continuer leurs études.» (proposition 1) Certains ont émis des objections à l’idée de restreindre l’accès aux cégeps anglais en invoquant leur utilité comme lieux privilégiés d’apprentissage de l’anglais langue seconde. Cependant, rien n’empêche de renforcer, parallèlement à l’application de la Charte de langue française au collégial, l’apprentissage d’autres langues par diverses mesures. Il serait par exemple possible d’instaurer un programme d’immersion d’une durée d’une session. On permettrait ainsi aux cégeps de jouer pleinement leurs rôles d’inclusion et d’intégration, tout en améliorant l’apprentissage de l’anglais et du français langues secondes. Renforcer la Charte au niveau des institutions scolaires et pré-scolaires Suite à l’application de la Loi constitutionnelle fédérale de 1982, la Charte a été modifiée: on y a introduit le critère d’une «majorité des études» primaires en anglais pour avoir accès à l’école anglaise. Dans ces conditions, il suffit qu’un enfant fréquente une école privée non subventionnée anglaise pendant une courte période de temps pour qu’il puisse revendiquer, par la suite, le droit de s’inscrire à une école anglaise publique, sous 72 prétexte qu’il a fait la majeure partie de ses études primaires en anglais; cela donne par ailleurs droit à ses frères et soeurs de faire de même, ainsi qu’à tous leurs descendants. Cette brèche dans la loi 101 doit donc être colmatée le plus rapidement possible. Il faut appliquer la Charte de la langue française aux écoles privées non subventionnées et faire en sorte que des élèves n’ayant pas droit à l’accès à l’école anglaise et ayant étudié dans des écoles privées non subventionnées de langue anglaise, lorsqu’ils réintègrent le système public ou privé subventionné, le fassent en langue française exclusivement. (proposition 2) Plusieurs témoignages indiquent par ailleurs que les services des centres de la petite enfance s’anglicisent rapidement dans les quartiers correspondant aux principaux points d’arrivée des immigrants. L’accès à ces services, et notamment aux services de garderie, en pleine expansion, devrait également être balisé par la Charte. (proposition 3) Améliorer l’enseignement du français langue seconde et la francisation Bien que les nouveaux arrivants démontrent, dans une large proportion, une volonté d'apprendre la langue commune et de s'intégrer à la société québécoise, 40% des allophones ne sont pas rejoints par les services actuels de francisation. Ces services sont d’autant plus importants que le milieu de travail montréalais est peu propice à l'apprentissage et à l'usage du français. 73 Il est donc important d’améliorer l'efficacité des services de francisation et d'insertion sociale et économique des nouveaux arrivants et des non-francophones, et d'augmenter considérablement les ressources financières allouées à cette fin. En 1998, un groupe de travail externe a proposé d’établir un système public intégré de francisation et d’insertion sociale et économique. (Rapport Paradis, 1998.) Le gouvernement doit poursuivre et intensifier la réalisation de ce projet; dans cette optique, il devra: a) Établir un processus continu de francisation en harmonisant les programmes déjà existants dans différents ministères, comme ceux du ministère de l’Éducation et du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. (proposition 4) b) Élargir l’offre de francisation en milieu communautaire pour couvrir le soutien à l’usage du français aux nouveaux arrivants et aux non-francophones, et la transmission de l’information sur l’initiation à la vie québécoise. (proposition 5) c) Mettre sur pied un organisme interministériel pour l'île de Montréal voué à la promotion et à l'organisation de l'enseignement du français à l'intention des nouveaux arrivants et des non-francophones. (proposition 6) L’enseignement de l’anglais langue seconde aux niveaux primaire et secondaire Depuis de nombreuses années, différentes personnes, cherchant fort légitimement à améliorer la connaissance de l’anglais chez les jeunes francophones, ont suggéré d’instaurer dans le réseau public l’enseignement de l’anglais langue seconde à partir de la première année du primaire. Dans son nouveau programme adopté en octobre dernier, le Parti libéral du Québec en fait même une matière obligatoire dès la première année dans toutes les écoles françaises du Québec. À l’heure actuelle, l’enseignement de l’anglais langue seconde débute en quatrième année du primaire. Le nouveau curriculum dont 74 l’application est prévue à la prochaine rentrée scolaire prévoit l’enseignement de l’anglais en troisième année. Pourtant, de nombreuses études effectuées sur le sujet depuis 30 ans dans une vingtaine de pays indiquent plutôt qu’une telle précocité de l’enseignement d’une langue seconde, en milieu scolaire, ne donne pas de meilleurs résultats. Spécialiste de la question, le linguiste Gilles Bibeau, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, explique ces résultats pas la plus grande motivation des élèves plus âgés. Il fait cependant une nette distinction entre l’apprentissage d’une langue par des enfants à l’école et en milieu familial. Le professeur Bibeau estime que l’enseignement de l’anglais langue seconde au primaire n’est pas recommandé et que c’est plutôt le secondaire qui est idéal. Il précise même que les études faites sur le sujet partout dans le monde démontrent clairement qu’à l’école, les adultes apprennent mieux une langue seconde que les adolescents, et les adolescents, mieux que les enfants. M. Bibeau qualifie de «stéréotype politique» la propension de certains à promouvoir l’enseignement de l’anglais en première année. La Société pour la promotion de l’enseignement de l’anglais langue seconde au Québec est elle aussi plutôt tiède à l’idée d’enseigner l’anglais aussi tôt. Pour améliorer la connaissance de l’anglais chez les jeunes francophones, elle recommande plutôt d’autres mesures. D’abord, elle propose d’augmenter le temps d’enseignement et de le confier à de véritables spécialistes. Ensuite, elle favorise les projets d’enseignement intensif 75 (consistant en l’enseignement continu de l’anglais sur une certaine période) plutôt que l’immersion (soit l’enseignement en anglais des autres matières scolaires). Dans le contexte montréalais, un autre fait important plaide en défaveur de l’enseignement trop précoce de l’anglais dans nos écoles primaires. En effet, la déclinante majorité francophone de l’île de Montréal connaît déjà de persistantes difficultés à assurer une concurrence suffisante au très puissant pouvoir d’attraction de l’anglais. Le bilan des transferts linguistiques sur l’île, trois fois plus favorable à l’anglais qu’au français, illustre bien que Montréal ne peut se permettre d’ajouter une ambiguïté supplémentaire au message qui doit être transmis à la population montréalaise allophone à l’effet que le français est la langue commune de tous les Québécois. Ainsi, non seulement est-il scientifiquement démontré que l’instauration de l’enseignement de l’anglais dès la première année est contre-indiqué, mais il équivaudrait en plus à convaincre dès leur arrivée à l’école les enfants allophones, et leurs parents, que la société québécoise se définit comme bilingue. À la lumière de ces faits, le Parti Québécois de Montréal-Centre recommande plutôt que le futur curriculum prévoyant l’enseignement de l’anglais en troisième année soit maintenu jusqu’à ce que, dans quelques années, une évaluation des résultats de cette nouvelle mesure soit faite. Que soit amélioré ou introduit l’enseignement d’autres langues que l’anglais au secondaire et au cégep, notamment l’espagnol.(proposition 7) 76 LE FRANÇAIS LANGUE DE TRAVAIL En 1996, la ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française annonçait la mise sur pied du groupe de travail tripartite (entreprises, travailleurs et gouvernement) sur la langue de travail et, en particulier, sur la francisation des entreprises de 10 à 49 employés. Dans l’ensemble, les recommandations émises par ce comité (rapport Grant, 1996) nous apparaissent tout à fait pertinentes, bien que certaines des mesures incitatives proposées doivent, selon nous, être complétées par des amendements législatifs pour être efficaces. La francisation des entreprises de moins de 50 employés Le rapport Grant (1996) sur la langue de travail comporte plusieurs recommandations importantes visant à favoriser les programmes de francisation dans les entreprises de 10 à 49 personnes. Il propose notamment que l’Office de la langue française remette sur pied un programme d’intervention auprès des 10-49, afin de favoriser l’application des éléments de l’article 141 de la loi 101. Les éléments de cet article correspondent au programme de francisation à appliquer par les entreprises de plus de 50 personnes afin d’obtenir le certificat de francisation. Dans son rapport annuel 1998-1999, l’Office de la langue française mentionne qu’un projet pilote a été mis en application en 1997. Dans le cadre de ce projet, 214 entreprises 77 de 26 à 29 employés ont été sollicitées pour faire l’analyse de leur situation linguistique. En 1999, 69% (148) des analyses ont été validées. Parmi ces dernières, seulement 4 (2,7%) correspondaient aux exigences de francisation. Toutes les autres ont reçu des demandes de correctifs. Quand on considère qu’il y a environ 20 000 entreprises de 10 à 49 employés dans la région métropolitaine, il apparaît urgent que le gouvernement attribue des ressources supplémentaires à l’Office, afin d’ouvrir un chantier majeur dans la francisation des entreprises de moins de 50 employés et de mettre en place un programme permanent visant à appliquer les exigences de francisation de l’article 141 à une majorité des entreprises de 26 à 49 employés dans les secteurs d’activité où la francisation est moins avancée.(proposition 8) L’aspect législatif du processus de francisation D’autre part, le comité tripartite note que l’article 151 de la Charte permet déjà à l’Office d’imposer un processus de francisation aux petites entreprises, mais que cet article constitue avant tout une mesure d’exception puisque son utilisation exige l’approbation du ministre. De 1977 à 1996, l’Office n’a utilisé l’article 151 qu’à trois reprises. Afin de faciliter l’application de cette recommandation et d’alléger le processus du recours aux dispositions de l’article 151, le Parti Québécois de Montréal-Centre propose également de modifier l’article 151 lui-même en excluant la nécessité de l’approbation 78 du ministre et de l’avis à la Gazette officielle, comme c’est le cas pour les programmes de francisation dans la plus grande entreprise. (proposition 9) Nous recommandons aussi d’ajouter une disposition à l’article 151, à l’effet que l’Office peut alors décerner des certificats de francisation aux entreprises de moins de 50 employés. (proposition 10) De plus, nous sommes tout à fait d’accord avec une recommandation de Michel Grant (1999), président du comité tripartite, qui considère que « la clef, c’est la politique d’achat du gouvernement ». Il est proposé que, dans le cas où une entreprise refuse de fournir une analyse linguistique ou de mettre en marche un processus de francisation, l’Office fasse parvenir systématiquement un avis de suspension du fichier central de la politique d’achat du gouvernement, ce qui la priverait de la possibilité d’obtenir des contrats. (proposition 11) Formation professionnelle La loi 90 sur le développement de la formation de la main-d’œuvre amène bon nombre d’entreprises à consacrer 1 % de leur masse salariale à la formation professionnelle. Ce programme pourrait constituer un levier pour augmenter et consolider la place du français dans la formation professionnelle. D’autre part, le comité tripartite faisait remarquer qu’une étude sur le programme Promotion-conseil (programme visant à aider les entreprises de 10 à 49 personnes à 79 promouvoir le français sur une base volontaire) révèle que 80% des entreprises choisissent de ne pas donner suite aux demandes de corrections formulées par l’Office. Dans cette optique, nous considérons que de simples mesures incitatives ne seront probablement pas efficaces. C’est pourquoi le Parti Québécois de Montréal-Centre recommande également d’ajouter un élément au programme de francisation décrit dans l’article 141, afin que les activités de formation professionnelle soient obligatoirement données en français, à moins que l’entreprise puisse prouver que la connaissance d’une autre langue est essentielle à l’accomplissement de la tâche visée par la formation. (proposition 12) La loi 90 sur la formation de la main-d’œuvre pourrait aussi être modifiée afin que les dépenses reliées aux activités de formation qui se déroulent exclusivement en français puissent être comptabilisées dans le 1% destiné à la formation professionnelle, à moins que l’entreprise puisse prouver que la tâche visée par la formation exige la connaissance d’une autre langue. (proposition 13) Le droit de travailler en français L’article 4 de la Charte exprime sans équivoque que les travailleurs ont le droit d’exercer leurs activités en français. Les articles 45, 46 et 47 apportent des précisions sur l’exercice de ce droit. 80 Le comité tripartite affirme que l’article 46 (exigences linguistiques à l’embauche) ne peut, à l’heure actuelle, permettre l’exercice du droit qu’il est censé protéger. Pourtant, ce recours a pour but d’assurer aux travailleurs le droit de travailler en français. Nous proposons donc de modifier les articles 45 et 46 de la Charte de la langue française de façon à ce que la personne qui, avant ou après embauche, se croit lésée dans son droit de travailler dans la langue officielle puisse avoir la garantie d’anonymat et demander l’intervention de l’Office. Le plaignant devrait avoir recours à un commissaire du travail et, s’il a gain de cause, devrait pouvoir intégrer le poste qui lui a échappé, ou obtenir de la part de l’employeur une indemnité proportionnelle au préjudice subi. (proposition 14) En accord avec une proposition de la partie syndicale du Comité Grant, nous proposons que l’Office ait les mêmes pouvoirs que l’arbitre de griefs pour les décisions rendues en vertu de l’article 46 de la Charte. (proposition 15) D’autre part, étant donné la prolifération de l’exigence de la connaissance de l’anglais pour l’embauche dans la région montréalaise et dans l’ensemble du Québec, il paraît essentiel de ne pas limiter l’intervention de l’Office à la suite de plaintes. Pour ce faire, nous proposons d’ajouter expressément aux mandats de la Commission de protection de la langue française celui d’enquêter d’office sur le respect du droit de travailler en français, notamment en vertu de l’article 46 (exigences linguistiques à l’embauche) et de l’article 45 (embauche interne). (proposition 16) 81 Il est important de noter que la garantie d’anonymat devrait s’appliquer également à l’article 45, car les employés pourraient facilement faire l’objet de représailles officieuses, l'employeur pouvant aisément invoquer des raisons autres que les exigences linguistiques pour leur refuser un poste. Les difficultés administratives reliées à l’application de l’article 46 Depuis cinq ans, l’Office n’a rendu que neuf décisions, et un dossier qui serait inscrit aujourd’hui ne pourrait faire l’objet d’une audience avant dix-huit mois, les décisions en vertu de l’article 46 devant être rendues par au moins trois membres. Depuis l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 jusqu’au 22 novembre 1996, on compte 267 dossiers inscrits. De ce nombre, on a enregistré 136 désistements, 15 dossiers fermés ou sans suite, 76 décisions rendues et une (1) en délibéré. Les 39 dossiers restant sont encore à l’étape de la convocation pour audition. Le secrétaire de l’Office a admis que l’organisme est actuellement paralysé : dans l’attente d’une décision gouvernementale, il a décidé de mettre fin à la convocation d’audiences en vertu de l’article 46. (La Presse, 26 septembre 2000.) Afin d’accélérer le traitement des dossiers, la Charte doit autoriser expressément la sous-délégation du pouvoir décisionnel de l’Office à un groupe de fonctionnaires 82 présidé par un membre de l’Office. (proposition 17) Le comité tripartite recommande également que soit versée une indemnité aux membres de l’Office qui siègent aux auditions tenues en vertu de l’article 46 de la Charte. (proposition 18) En fait, pour que l’Office puisse remplir son mandat de faire respecter le droit de travailler en français (articles 45 et 46), il devra nécessairement bénéficier d’une augmentation majeure de ressources financières et humaines. (proposition 19) Une campagne médiatique et d’information affirmant l’importance de la francisation des entreprises Enfin, le rapport Grant stipule, comme condition préalable à l’atteinte des objectifs de la Charte de la langue française, que l’expression d’une volonté politique vis-à-vis de la question linguistique doit être renforcée et maintenue. Cette volonté doit se manifester d’abord par une campagne médiatique qui affirmerait l’importance accordée à la francisation et qui amènerait les citoyens à adhérer plus clairement à ce projet . (proposition 20) Nous proposons également de développer des incitatifs fiscaux pour les activités de francisation des entreprises. (proposition 21) 83 POUR CONTRER LE BILINGUISME INSTITUTIONNEL Lorsqu’on la compare aux législations linguistiques qui permettent la survie et l’épanouissement de plusieurs langues nationales, comme par exemple en Belgique ou en Suisse, on constate que la loi 101 a, dès le départ, comporté des concessions majeures dans l’application du principe des droits territoriaux et collectifs. Par exemple, la Charte de la langue française excluait le bilinguisme des institutions de l’Administration publique seulement à l’égard des personnes morales. Elle laissait ainsi à l’État toute latitude pour mettre en oeuvre un bilinguisme officieux dans les services publics, à tous les niveaux et envers tous les citoyens. Elle allait donc bien au delà de ce qui aurait été nécessaire pour assurer des services institutionnels en anglais à la communauté anglophone. De fait, les institutions publiques anglophones desservent largement, sinon majoritairement, une clientèle allophone et francophone. Dans ce contexte, la connaissance du français est utile, mais ne constitue pas une nécessité. On peut travailler et vivre normalement à Montréal, en n’utilisant à peu près jamais la langue française. (Voir Levine, 1997, pp. 98, 99, 242.) De plus, depuis son adoption en 1977, la Charte de la langue française ou loi 101 a subi plus de deux cents modifications. Ces amendements, dont ceux instaurés par la loi 86, ont favorisé encore davantage la bilinguisation des institutions publiques dans tous les 84 champs d’activité, et ont élargi l’accessibilité des services en anglais à toute la population, y compris celle des nouveaux arrivants. Les résultats des études sur la langue d’usage public montrent que, dans les faits, le français n’est pas la langue commune au Québec. L’anglais est toujours très largement utilisé dans les communications «interlinguistiques». L’usage public du français à Montréal se retrouve principalement chez les francophones et les nouveaux arrivants déjà francisés. C’est pourquoi nous considérons que, tout en respectant les droits historiques de la communauté anglophone, il est essentiel de «débilinguiser» les institutions publiques nationales et l’ensemble des organismes qui ne desservent pas une population anglophone. Comme on le mentionnait dans le Rapport Grant (1996), «l’affirmation d’une volonté politique qui précise l’importance de la francisation doit se refléter dans les activités de l’État, et ce, à tous les niveaux de l’Administration, tant dans son fonctionnement interne que dans ses relations avec les citoyens et les entreprises.» (Rapport Grant, 1996, p. 12.) La langue de l’Administration publique Il faut donc inclure dans la Charte des dispositions à l’effet que les communications du gouvernement, de ses ministères et des autres organismes de l’Administration avec les 85 personnes morales doivent se dérouler uniquement dans la langue officielle à l’intérieur du Québec. Ces dispositions doivent s’appliquer tant aux communications orales qu’écrites. (proposition 22) Pour que l’application de ces dispositions soit réalisable, il sera nécessaire de soutenir et d’élargir le mandat de surveillance de la Commission de protection de la langue française au gouvernement, à l’Administration, aux secteurs public et parapublic, aux sociétés d’État et aux principaux organismes du gouvernement du Québec. (proposition 23) La politique administrative de l’Office de la langue française précise, par ailleurs, que tous les organismes, et non seulement ceux qui détiennent un statut bilingue, peuvent offrir des services en anglais. La loi doit donc être amendée pour baliser l'accessibilité des services offerts en anglais par les organismes de l'Administration publique, afin d'éviter que le bilinguisme systématique ne serve à angliciser les nouveaux arrivants et que le français ne soit perçu comme une langue utile mais non nécessaire sur l'île de Montréal. Pour ce faire, il faut attribuer le statut linguistique prévu par l'article 29.1 de la Charte de la langue française aux municipalités, aux commissions scolaires et aux établissements de santé et de services sociaux dont la majorité de la population desservie est de langue maternelle anglaise. Parallèlement, la Charte de la langue 86 française doit être amendée afin que les seuls organismes qui soient déclarés habilités à donner systématiquement des services en anglais aux personnes morales et aux individus soient ceux qui détiennent un statut bilingue, c’est-à-dire ceux qui desservent une véritable majorité anglophone. Dans le cas des organismes qui n’ont pas le statut bilingue, l’accès aux services bilingues serait accessible seulement là ou le nombre le justifie. (proposition 24) Il faut aussi revoir la Loi sur la santé et les services sociaux pour éviter que l'ensemble des établissements ne soient soumis au bilinguisme fonctionnel et institutionnel. (proposition 25) La langue de la législation et de la justice Dans sa version originale, la loi 101 affirmait que « le français est la langue de la législation et de la justice. » Seul le texte français des lois et des règlements était considéré comme officiel. Les articles 11 et 12 de la loi 101 impliquaient que les personnes morales s’adressent et plaident en français devant les tribunaux et les organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires, à moins d’une entente unanime des parties en présence. Les pièces de procédure ne pouvaient être rédigées dans une autre langue à moins que son destinataire y consente expressément. La Cour suprême du Canada a invalidé ces dispositions en 1979. Le gouvernement du Québec en place à cette époque a choisi de se plier à cette décision dans sa pratique, mais 87 sans modifier le texte de la Charte. Ce n’est qu’en 1993 que le gouvernement québécois a modifié formellement ces articles de la Charte par le biais de la loi 86 . Cependant, comme le mentionne Jean Dansereau (1996), aucun domaine d’utilisation des langues n’est plus caractéristique de leur valeur officielle que celui de l’adoption des textes législatifs. Ainsi, même si ces articles ont été rendus inopérants suite à des décisions des tribunaux canadiens et qu’on ne pourrait réintroduire l’unilinguisme français dans la législation que par une modification de nature constitutionnelle, nous considérons qu’il faut tout de même réaffirmer la volonté de faire du français la seule langue officielle des instances nationales de la législation et de la justice. Il faut dès maintenant assurer la présence du français à chaque étape du processus législatif de façon obligatoire et non pas uniquement sur demande.(proposition 26) Un amendement est par ailleurs à prévoir à l’article 9 de la Charte afin que tous les jugements rendus ainsi que les sentences arbitrales soient publiés automatiquement en français et que la version française soit officielle. (proposition 27) Établir l’indépendance du Conseil de langue française et préciser son mandat quant à l’évaluation de la situation linguistique Comme nous l'avons mentionné auparavant, dans les travaux du Conseil de la langue française, on observe une tendance à présenter la situation linguistique sous l’angle des divers progrès observés, sans que ces progrès soient mis en rapport avec les objectifs à atteindre pour assurer la survie et l’épanouissement du français au Québec. Il y a donc une tendance à systématiquement minimiser l’importance du déclin du français comme 88 langue d’usage à la maison en ayant recours à un concept de langue d’usage public défini de façon ambiguë et mesuré d’une façon qui a été largement critiquée dans le milieu scientifique. Cette tendance semble s’être développée notamment sous le régime du dernier gouvernement libéral. Cela montre toute l’importance d’assurer l'indépendance des organismes institués par la Charte de la langue française vis-à-vis du pouvoir politique. Pour que cette indépendance soit assurée, il faut: a) Préciser le mandat du Conseil de la langue française en ce qui a trait au développement d’instruments de mesure permettant le suivi de l'évolution de la situation linguistique. Ces derniers doivent être systématiquement mis en rapport avec les objectifs à atteindre pour que le pouvoir d’attraction du français au Québec soit suffisamment élevé pour assurer son avenir. (proposition 28) b) Effectuer annuellement un bilan de la situation du français au Québec, en analysant les nouveaux résultats observés et les nouvelles évaluations effectuées sous l’angle de leur impact sur la force d’attraction du français, laquelle se mesure principalement par l'indicateur des transferts de la langue d'usage à la maison. (proposition 29) c) Lever l’ambiguïté sur les objectifs de la Charte de la langue française: ceux-ci ne visent pas seulement à faire du français une langue d’usage public ou une langue seconde, mais aussi à assurer le maintien du poids démographique de la population francophone. L’usage public du français ne pourra pas s’accroître et devenir langue commune tant que la proportion de l’effectif francophone sera en déclin. (proposition 30) d) Assurer davantage la qualité scientifique des travaux du CLF en établissant qu’ils doivent être validés par des comités de spécialistes indépendants. (proposition 31) 89 CONCLUSION : POUR MOBILISER LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE, IL FAUT PARLER DES VRAIS ENJEUX En élargissant la réflexion sur la question linguistique à ce qui se passe ailleurs dans le monde, on observe que, dans les pays où il y a une coexistence linguistique comparable à celle qui se vit au Canada, seules les législations fondées sur les droits collectifs et territoriaux permettent d’assurer la survie et l’épanouissement des diverses communautés linguistiques. Dans cette perspective, les recommandations proposées dans le présent mémoire apparaissent comme un minimum vital pour renforcer le pouvoir d’attraction du français. Dans le contexte constitutionnel canadien, où la démocratie est assimilée aux droits individuels égaux et au bilinguisme institutionnel, sans égard aux droits collectifs, toute mesure efficace de protection linguistique est fréquemment perçue comme étant coercitive et radicale. Pourtant, des droits égaux accordés à des groupes inégaux aboutiront forcément à des résultats inégalitaires. «La plupart des pays connaissent en matière linguistique ce qu’il est convenu d’appeler "la loi du sol", c’est-à-dire que, sur un territoire donné, une seule langue est utilisée dans le domaine public […] Par contre, dans certains pays de tradition anglo-saxonne, comme le Canada, et donc le Québec, où, dans bien des domaines, les droits de la personne prévalent sur ceux de la société […] le fait pour un individu d’avoir la liberté de choisir ne signifie pas que, dans son choix, il ne soit pas soumis à des facteurs externes. Parmi ces derniers, le fait pour le Québec, dernière société 90 majoritairement francophone en Amérique du Nord, d’être une très petite minorité proche de 300 millions d’anglophones n’est certes pas un des moindres. Le libre choix permet aussi le libre jeu du rapport des forces.» (Marc Termote, 1999b.) Comme le disait Lacordaire : «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit». En adoptant sa loi et son programme sur les langues officielles en 1969, le gouvernement fédéral a voulu assurer une certaine paix sociale et prouver qu'il est possible de vivre dans les deux langues d'un bout à l'autre du Canada. Le premier ministre de l'époque, Pierre Elliot Trudeau, veut alors calmer les revendications des francophones et contrer l'idée d'indépendance du Québec qui commence à s'implanter sérieusement dans cette province. «La réponse au séparatisme est de faire en sorte que les Canadiens de langue française se sentent chez eux [...] à Vancouver et à Toronto comme à Montréal»2. Trente ans plus tard, les politiques linguistiques du gouvernement fédéral n'ont toutefois pas suffi à améliorer la situation des francophones, ni à empêcher l'évolution du mouvement indépendantiste au Québec. Les tentatives des politiciens fédéralistes pour répondre aux revendications du Québec et des francophones du reste du Canada se sont soldées par des échecs constants. «[…]Dès l'instant où les demandes de la province francophone, le Québec, heurtent la sensibilité de la majorité anglophone, il en résulte une fin de non-recevoir. Les discussions 91 deviennent alors inutiles et aboutissent toujours à un cul-de-sac. […] Il en résulte une éternelle politique de confrontation et de compétition en lieu et place d'une politique de collaboration et de partage. L'actuel régime en vigueur fait que le Québec est toujours pénalisé sur le plan démocratique et, à l'échelle canadienne, il ne peut rien imposer à la majorité ». (Jacques Leclerc, 2000.) N’ayant donc pas de marge de manoeuvre, les politiciens fédéralistes du Québec nient que le français soit menacé au Québec. Jean Charest (chef du Parti libéral du Québec) allait jusqu’à déclarer récemment que le français a survécu grâce à la générosité du Canada anglais, et Jean Chrétien (premier ministre du Canada) considérait que l’assimilation des francophones au Canada est «une réalité de la vie». Devant la tenue des États généraux, le Parti libéral du Québec a tout simplement repoussé le débat du revers de la main, en présupposant qu’il n’y a pas de problème linguistique et que l’avenir du français au Québec est assuré. Le Parti libéral semble bien plus intéressé par sa suggestion d'ajouter des mesures visant à renforcer l’apprentissage de l’anglais que par la protection du fait français au Québec. D’autre part, les intervenants fédéralistes, de concert avec les groupes de pression anglophones, ont multiplié les accusations de xénophobie et d’alarmisme envers ceux qui militent pour la défense et la promotion du français. Ce faisant, ils suscitent la méfiance des Québécois anglophones et allophones envers les souverainistes, voire envers les francophones en général. 2 The Globe and Mail, 25 novembre 1976; cité par Marc V. Levine, La reconquête de Montréal, 92 Il est loin d’être évident que cela serve vraiment les intérêts fédéralistes, ni ceux de la communauté anglophone. Malgré que la question linguistique soit largement devenue un sujet tabou dans les milieux francophones, le mouvement souverainiste perdure. Avec le déclin rapide du français sur l’île de Montréal, il apparaît de plus en plus clairement que l’impression de sécurité linguistique est largement factice et fondée sur une surestimation des progrès réels du français. En réalité, cette “ paix linguistique ” résulte essentiellement du ravalement des revendications des francophones en matière de législation linguistique. Si la tendance actuelle se maintient, les Québécois pourront difficilement continuer à s’illusionner. On ne pourra pas retenir le couvercle de « la marmite linguistique » encore bien longtemps. S’ils ne changent pas de stratégie, les intervenants fédéralistes ne feront que confirmer de façon de plus en plus évidente que le français est inéluctablement appelé à disparaître dans le cadre du système fédéral. D’autre part, le discours prédominant dans les médias anglophones semble avoir eu un effet pervers: il semble avoir été générateur d’attitudes propices à l’exode des anglophones (voir Serré, 1997). Paradoxalement, bien que l’anglais attire une part largement disproportionnée de transferts linguistiques, la population anglophone subit un déficit migratoire important, impliquant des coûts socio-économiques et humains inacceptables pour l’ensemble de la société québécoise. À cet égard, Serré (1997) considère que l’établissement du français en tant que véritable langue commune pourrait, en devenant le plus puissant pôle d’attraction pour tous les groupes linguistiques, agir Montréal, VLB éditeur, 1997, p. 152. 93 comme un frein à cet exode. Les hésitations et les fluctuations qu’a connues le régime linguistique ne font qu’attiser la résistance à la prédominance du français et de son établissement comme langue commune. Si la population anglophone avait davantage accès à un constat réaliste de la situation du français, elle aurait une chance de comprendre que les mesures d’aménagement linguistiques sont essentielles pour assurer la survie et l’épanouissement du français, et que cela n’implique nullement de limiter l'accès de la communauté anglophone à des services en anglais, mais plutôt d’éviter que les institutions anglaises ne servent à angliciser le reste de la population. Par ailleurs, en regard des études de prévision démolinguistiques, les auteurs du Bilan de 1996 en arrivaient à la conclusion qu’un « clivage de plus en plus important va apparaître de plus en plus nettement, au cours des prochaines années, entre la composition sociolinguistique et culturelle de la Communauté urbaine de Montréal et celle du Québec ». De même, selon le conseil de la langue français en 1983, « si le français n'arrive pas à s'affirmer réellement dans ces deux régions [les deux régions à forte coexistence linguistique, soit Montréal et l’Outaouais], autant dire que l'avenir du français est irrémédiablement compromis au Québec et qu'il ne nous reste plus, pour sauver notre langue, qu'à nous retrancher sur nous-mêmes loin de tout contact avec l'anglais, ce qui n'est manifestement pas une solution ». 94 Pour en arriver à établir un véritable équilibre linguistique, et sortir définitivement de l’idéologie de survivance et de repli sur soi, il faut d’abord ne plus accepter que le sort de la langue française soit toujours précaire au Québec. «Aucun peuple ne peut accepter d’être en permanence menacé dans sa langue, ni de devoir colmater indéfiniment les mêmes brèches, […] Et s’il se résigne à pareille situation c’est qu’il a perdu à la fois sa dignité et l’envie de combattre.» (Jean-Marc Léger, 2000) Nous croyons que la première étape pour en arriver à un véritable équilibre linguistique devrait être celle-ci : diffuser le constat de la situation linguistique réelle et faire le vrai débat de fond avec tous les citoyens. Cela nous ramène à une dimension essentielle de la problématique linguistique: l’établissement d'une véritable langue commune est, avant tout, un facteur essentiel d'inclusion et de cohésion sociale. Le principe du droit fondamental des peuples à assurer la survie et l'épanouissement de leur langue et de leur culture publiques communes est probablement accepté par l'ensemble des Québécoises et Québécois, peu importe leurs allégeances politiques, leur origine ou leur langue. Ce qui entrave l'établissement d'un réel rapprochement, c'est l’information biaisée qui laisse croire que la langue française se porte bien et que l'encadrement et la législation linguistique québécoise relèvent d’une quelconque intolérance. Il faut oser faire le vrai débat de fond. Il faut le faire rationnellement et sereinement avec tous les citoyens. C'est aussi une condition d'ouverture et de solidarité. 95 PROPOSITIONS Proposition 1: Que la Charte de la langue française, chapitre VIII de la langue d'enseignement, premier alinéa de l'article 72, soit être amendée de la façon suivante: «L'enseignement doit se donner en français dans les classes maternelles, dans les écoles d'enseignement primaire et secondaire et dans les collèges d'enseignement général et professionnel, sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre. Les élèves inscrits dans un établissement collégial dispensant l'enseignement en langue anglaise, à la date d'entrée en vigueur de la loi, pourront y continuer leurs études.» Proposition 2: Que la Charte de la langue française s'applique aux écoles privées non subventionnées et que des élèves n’ayant pas droit à l’accès à l’école anglaise et ayant étudié dans des écoles privées non subventionnées de langue anglaise, lorsqu’ils réintègrent le système public ou privé subventionné, le fassent en langue française exclusivement. Proposition 3: Que l’accès aux services des centres de la petite enfance, et notamment aux services de garderie, en pleine expansion, soit balisé par la Charte. Proposition 4: Qu'un processus continu de francisation soit établi, en harmonisant les programmes déjà existants dans différents ministères, comme ceux du ministère de l’Éducation et du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. Proposition 5: Que l’offre de francisation en milieu communautaire soit élargie pour couvrir le soutien à l’usage du français aux nouveaux arrivants et aux non-francophones, et la transmission de l’information sur l’initiation à la vie québécoise. Proposition 6: Qu'un organisme interministériel pour l'île de Montréal, voué à la promotion et à l'organisation de l'enseignement du français à l'intention des nouveaux arrivants et des non-francophones, soit mis sur pied. 96 Proposition 7: Que le futur curriculum prévoyant l’enseignement de l’anglais en troisième année soit maintenu jusqu’à ce que, dans quelques années, une évaluation des résultats de cette nouvelle mesure soit faite. Que soit amélioré ou introduit l’enseignement d’autres langues que l’anglais au secondaire et au cégep, notamment l’espagnol.. Proposition 8: Que le gouvernement attribue des ressources supplémentaires à l’Office, afin d’ouvrir un chantier majeur dans la francisation des entreprises de moins de 50 employés et de mettre en place un programme permanent visant à appliquer les exigences de francisation de l’article 141 à une majorité des entreprises de 26 à 49 employés dans les secteurs d’activité où la francisation est moins avancée. Proposition 9: Que l’article 151 soit modifié, en excluant la nécessité de l’approbation du ministre et de l’avis à la Gazette officielle, comme c’est le cas pour les programmes de francisation dans la plus grande entreprise. Proposition 10: Qu'une disposition à l’article 151 soit ajoutée, à l’effet que l’Office peut décerner des certificats de francisation aux entreprises de moins de 50 employés. Proposition 11: Que, dans le cas où une entreprise refuse de fournir une analyse linguistique ou de mettre en marche un processus de francisation, l’Office fasse parvenir systématiquement un avis de suspension du fichier central de la politique d’achat du gouvernement, ce qui la priverait de la possibilité d’obtenir des contrats. Proposition 12: Qu'un élément soit ajouté au programme de francisation décrit dans l’article 141, afin que les activités de formation professionnelle soient obligatoirement données en français, à moins que l’entreprise puisse prouver que la connaissance d’une autre langue est essentielle à l’accomplissement de la tâche visée par la formation. Proposition 13: Que la loi 90 sur la formation de la main-d’œuvre soit modifiée afin que les dépenses reliées aux activités de formation qui se déroulent exclusivement en français puissent être comptabilisées dans le 1% destiné à la formation professionnelle, à moins que 97 l’entreprise puisse prouver que la tâche visée par la formation exige la connaissance d’une autre langue. Proposition 14: Que les articles 45 et 46 de la Charte de la langue française soient modifiés de façon à ce que la personne qui, avant ou après embauche, se croit lésée dans son droit de travailler dans la langue officielle puisse avoir la garantie d’anonymat et demander l’intervention de l’Office. Le plaignant devrait avoir recours à un commissaire du travail et, s’il a gain de cause, devrait pouvoir intégrer le poste qui lui a échappé, ou obtenir de la part de l’employeur une indemnité proportionnelle au préjudice subi. Proposition 15: En accord avec une proposition de la partie syndicale du Comité Grant, que l’Office ait les mêmes pouvoirs que l’arbitre de griefs pour les décisions rendues en vertu de l’article 46 de la Charte. Proposition 16: Que soit expressément ajouté aux mandats de la Commission de protection de la langue française celui d’enquêter d’office sur le respect du droit de travailler en français, notamment en vertu de l’article 46 (exigences linguistiques à l’embauche) et de l’article 45 (embauche interne). Proposition 17: Que la Charte, afin d’accélérer le traitement des dossiers, autorise expressément la sous-délégation du pouvoir décisionnel de l’Office à un groupe de fonctionnaires présidé par un membre de l’Office. Proposition 18: Que, suite aux recommandations du comité tripartite, une indemnité soit versée aux membres de l’Office qui siègent aux auditions tenues en vertu de l’article 46 de la Charte. Proposition 19: Que l'Office bénéficie d’une augmentation majeure de ses ressources financières et humaines, afin qu'il puisse remplir son mandat de faire respecter le droit de travailler en français (articles 45 et 46). Proposition 20: 98 Que la volonté vis-à-vis de la question linguistique se manifeste d’abord par une campagne médiatique qui affirmerait l’importance accordée à la francisation et qui amènerait les citoyens à adhérer plus clairement à ce projet . Proposition 21: Que des incitatifs fiscaux soient développés pour les activités de francisation des entreprises. Proposition 22: Que des dispositions soient incluses dans la Charte à l’effet que les communications du gouvernement, de ses ministères et des autres organismes de l’Administration avec les personnes morales doivent se dérouler uniquement dans la langue officielle à l’intérieur du Québec. Ces dispositions doivent s’appliquer tant aux communications orales qu’écrites. Proposition 23: Que le mandat de surveillance de la Commission de protection de la langue française soit soutenu et élargi au gouvernement, à l’Administration, aux secteurs public et parapublic, aux sociétés d’État et aux principaux organismes du gouvernement du Québec. Proposition 24: Pour ce faire, il faut attribuer le statut linguistique prévu par l'article 29.1 de la Charte de la langue française aux municipalités, aux commissions scolaires et aux établissements de santé et de services sociaux dont la majorité de la population desservie est de langue maternelle anglaise. Parallèlement, la Charte de la langue française doit être amendée afin que les seuls organismes qui soient déclarés habilités à donner systématiquement des services en anglais aux personnes morales et aux individus soient ceux qui détiennent un statut bilingue, c’est-à-dire ceux qui desservent une véritable majorité anglophone. Dans le cas des organismes qui n’ont pas le statut bilingue, l’accès aux services bilingues serait accessible seulement là ou le nombre le justifie. Proposition 25: Que la Loi sur la santé et les services sociaux soit revue pour éviter que l'ensemble des établissements ne soient soumis au bilinguisme fonctionnel et institutionnel. Proposition 26: Que la volonté de faire du français la seule langue officielle des instances nationales de la législation et de la justice soit réaffirmée et que la présence du français à chaque 99 étape du processus législatif soit assurée de façon obligatoire et non pas uniquement sur demande. Proposition 27: Que l’article 9 de la Charte soit amendé afin que tous les jugements rendus ainsi que les sentences arbitrales soient publiés automatiquement en français et que la version française soit officielle. Proposition 28: Que le mandat du Conseil de la langue française soit précisé en ce qui a trait au développement d’instruments de mesure permettant le suivi de l'évolution de la situation linguistique; que ces derniers soient systématiquement mis en rapport avec les objectifs à atteindre pour que le pouvoir d’attraction du français au Québec soit suffisamment élevé pour assurer son avenir. Proposition 29: Que soit annuellement effectué un bilan de la situation du français au Québec, en analysant les nouveaux résultats observés et les nouvelles évaluations effectuées sous l’angle de leur impact sur la force d’attraction du français, laquelle se mesure principalement par l'indicateur des transferts de la langue d'usage à la maison. Proposition 30: Que soit levée l’ambiguïté sur les objectifs de la Charte de la langue française: ceux-ci ne visent pas seulement à faire du français une langue d’usage public ou une langue seconde, mais aussi à assurer le maintien du poids démographique de la population francophone. Proposition 31: Que la qualité scientifique des travaux du CLF soit davantage assurée en établissant qu’ils doivent être validés par des comités de spécialistes indépendants. 100 RÉFÉRENCES AVIS DU CONSEIL DE LA LANGUE FRANÇAISE au ministre de la Charte de la langue française sur la Loi 101 et l'avenir de la langue française au Québec. 1983, VIII124 p . BRÉDIMAS-ASSIMOPOULOS, Nadia, 1999. Notes pour la présentation publique du rapport : Le français, langue d’usage public au Québec en 1997, Conseil de la langue française. BÉLAND, Paul, 1999. Le français, langue d’usage public au Québec en 1997, Conseil de langue française. BOURQUE, Pierre, 1999. 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