Partie I - L`image publicitaire

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Partie I - L`image publicitaire
I – L’image publicitaire
La publicité et les images qu’elle nous offre se doivent d’être séduisantes. Le beau attire et
fait vendre. La plastique féminine est ainsi devenue le plus bel « outil » publicitaire jamais
utilisé. Un outil pratique, manipulable à souhait, aux configurations multiples et à l’efficacité
prouvée. Au fil des décennies, l’image féminine a servi de fer de lance aux publicitaires pour
atteindre de nos jours une utilisation démesurée. Nous pouvons même dire que l’image de la
femme a servi à la conquête du pouvoir sur l’esprit humain. Elle est devenue un instrument
manipulatoire par excellence. La manipulation étant, à la fois, une des conséquences et causes
majeures de la publicité. L’exemple de la publicité télévisuelle en est l’emblème. « Ce que
nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible" affirmait Patrick Le
Lay, PDG de TF1, à propos de sa conception de la télévision. Il n’y pas d’équivoque possible,
les programmes sont faits pour favoriser la réception des messages et images publicitaires.
Cette publicité qui, ne l’oublions pas, est avant tout la diffusion d’un message contre une
rémunération ou une contrepartie en vue soit de promouvoir des biens ou services, soit
d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise. La légitimité de la publicité s’évaluant
sur ses répercutions financières.
Mais en-deçà de la question de la manipulation publicitaire et de l’image de la femme en
publicité, c’est bien celle du pouvoir de l’image qui est posée.
1) Le pouvoir de l’image
Nous sommes de plus en plus entourés par l’image, envahis par elle même. Elle est partout ;
dans nos rues, nos journaux et surtout sur notre petit écran. Une invasion qui fait de notre
société celle de l’image, avec ses atouts et ses pernicieux côtés.
Le véritable problème ou avantage – tout dépend d’où on se place – n’est pas constitutif de
l’image elle-même, mais du fait qu’elle nous influence tous sans distinction. A l’inverse du
texte, elle ne laisse jamais insensible. L’image attire, captive, émeut et fait rêver. Elle se
substitue au réel pour nous entraîner vers une autre réalité, un rêve qui nous sort d’un
quotidien parfois insatisfaisant. Une insatisfaction dont elle est d’ailleurs bien souvent
créatrice. Elle suscite des désirs et les publicitaires l’ont depuis bien longtemps compris.
L’image publicitaire crée des envies que l’on confond avec des besoins, et nous pousse à
consommer, à déraison souvent. Mais tentons de percer son secret…Comment l’image
publicitaire fonctionne-elle ? Pourquoi a-t-elle un tel pouvoir sur nous ?
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Un processus inconscient
Qui a déjà eu conscience en passant devant une publicité de lire et décrypter une image ? Peu
d’individu sans doute, et pourtant ce décryptage existe. L'image, à l’inverse de l’écrit, permet
de transmettre très rapidement une énorme quantité d'informations sans que le spectateur n’en
ait conscience. En cela, la publicité la plus dénuée de texte mais douée d’une forte symbolique
visuelle sera bien plus efficace qu’un publi-reportage par exemple. Dans le cas d’un publireportage, le lecteur n’emmagasinera pas le trop plein d’informations ou n’aura tout
simplement pas l’envie de tout lire. Le grand avantage de l’image réside donc dans son
processus inconscient d’assimilation. Elle possède le grand pouvoir de tromper la conscience
humaine tandis que l’esprit enregistre néanmoins.
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Un langage universel
Contrairement aux paroles et aux écrits, l'image peut être directement interprétée par tout le
monde, par toutes les couches de la population, à n’importe quel endroit de la Terre. L’image
n’a pas de distinction de langue, de statut social ou de capacités intellectuelles tandis que les
paroles et les écrits doivent passer par de nombreux filtres avant de pouvoir délivrer leur
message. Cette universalité est un atout majeur qui rend l’image publicitaire facilement
exportable. Cet atout séduit ainsi les firmes et assure une image planétaire à une marque ou un
produit. A l’inverse d’une traduction de texte, l’image publicitaire nécessite seulement un
changement de langue pour un éventuel slogan si elle veut s’exporter.
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L’émotion comme crédo
L’image est le plus fort moyen de communication car il est le plus chargé en émotion. L’écrit
et la parole nécessitent un mécanisme d’imagination tandis qu’avec l’image tous les sens sont
atteints simultanément sans aucun effort. Il suffit de regarder un film pour comprendre que
l’image suscite de l’émotion. Que le ressenti soit positif ou négatif, l’image agit toujours. En
effet, tous les stimuli que nous recevons ont à la fois une charge émotionnelle et une charge
rationnelle. Sauf pour l’odorat, tous les signaux sensoriels sont expédiés vers le thalamus,
composant du cerveau humain. De là, ils sont envoyés dans deux directions : vers le centre
des émotions où ils arrivent dans l’instant et vers une voie plus rationnelle, qui permet
d’analyser par la suite. La réponse émotionnelle étant plus rapide, elle conditionne la
mémorisation qui, à son tour, entrainera une prise de décision. De bonnes émotions favorisant
donc un encodage positif de l’image de tel ou tel produit, que nous achèterons par la suite sans avoir eu conscience de tout ce processus. L’image publicitaire, fortement émotionnelle a
le pouvoir de manipuler l’esprit humain.
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Annihilatrice d’esprit critique
Comme nous l’avons vu, une image allie communication et fascination. Elle captive
inconsciemment. L’image possède l’avantage de dissimuler sa communication au sein de la
perception. En cela, elle est moins facilement critiquable que la communication orale ou
écrite. La fascination et l’émotion que procure une bonne image la mettent à l’abri de toute
forme de critique et de toute approche intellectuelle. Ce dernier point n’est pas une généralité
mais néanmoins une forte constante qui constitue sans doute le versant le plus pernicieux de
l’image publicitaire.
Æ L’image a pour ces différentes raisons un pouvoir puissant, quasi incontrôlable. Par
son encodage inconscient, l’émotion qu’elle suscite, son universalité et son aptitude à
annihiler l’esprit critique ; elle a une véritable puissance de conviction qui peut même
rendre attractif ce qui ne l’est pas. Les possibilités actuelles de retouche et les libertés
que l’image offre (choix d’angle de prise de vue, cadrage, décor…) en font un incroyable
outil manipulatoire que les publicitaires utilisent à leur gré à l’heure où les sources
d’images se multiplient. Des théories ont ainsi vu le jour autour de ce fabuleux
instrument de maniement de la pensée.
2) L’image de la femme : théorie de la communication publicitaire et stratégie
Une publicité vise toujours une ou plusieurs cibles définies au préalable dans une stratégie
publicitaire qui s’intègre elle-même au sein de la stratégie de communication de l’entreprise.
Ainsi, l’image utilisée sera fonction des médias, de la firme et des produits à vanter. Il en
résulte que l’image de la femme revêt des formes diverses sur le marché publicitaire – même
si nous verrons dans le chapitre II qu’il y a de véritables penchants selon les périodes. Nous
allons tenter de comprendre la place dominante de l’image féminine en publicité en abordant
les théories de la communication publicitaire. Cette approche aboutira à l’étude des stratégies
dominantes afin de comprendre pourquoi la femme et son image sont devenues une stratégie
publicitaire à part entière ?
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Fondements théoriques de la publicité
Avant d’aborder l’image féminine dans la publicité, il semble nécessaire de faire un rapide
retour sur les fondements théoriques de la publicité. Dans son mode d’action, la publicité
considère que le comportement de l’individu est conditionné par un stimulus, qui est pour le
cas présent l’image féminine. C’est ce que l’on nomme la réponse Pavlovienne du nom de
Pavlov, théoricien de la communication, qui a crée le concept de publicité mécaniste en
mettant en exergue le processus de conditionnement en publicité. La répétition des images et
messages permettant selon lui de persuader le consommateur. La publicité trouve en
particulier sa légitimité dans sa force de persuasion comportementale (psychologique,
sociologique, affective et psychosociale) aux côtés des théories économiques. De nombreux
modèles publicitaires s’appuient sur la formule AIDA pour Attention, Intérêt, Désir et Action.
Face à ce précepte, l’image féminine a l’avantage d’attirer l’attention, de susciter l’intérêt,
d’être fortement désirable et par conséquent d’enclencher le processus d’achat. L’image
féminine est donc fondamentalement l’outil adéquat en publicité. De plus, ce pouvoir surpasse
bien d’autres facteurs entrant dans le processus de consommation. Dans sa courbe, Engel est
parvenu à démontrer que les dépenses alimentaires diminuaient avec la hausse des revenus
des ménages. Cette loi prouve que le consommateur n’a pas toujours un comportement
rationnel dans son processus d’achat et à ce moment là interviennent différentes approches qui
légitiment son action. Il y a les théories comportementales (Pavlov), motivationnistes avec la
pyramide de Maslow ou bien encore psychosociales avec Baudrillard. L’image de la femme
conserve dans toutes les catégories de théories, dans toutes les approches publicitaires
possibles l’avantage. Elle devient, pour les publicitaires, l’« outil » à utiliser…
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La publicité intégrative ou projective
La publicité intégrative ou projective se caractérise par l’intégration de normes, de règles
d’intégration sociale qui entrainent un processus d’achat. En proposant un modèle dominant,
la publicité enclenche une réaction instinctive qui est celle de s’y identifier pour ne pas être
marginalisé. Ainsi, l’une des stratégies publicitaires qui explique le mieux l’utilisation
outrancière de la femme dans la publicité est ce que l’on nomme : le processus
d’identification. La femme consommatrice, que l’on a longtemps oublié de présenter
autrement, se plait toujours à se reconnaître dans ses habitudes consuméristes. Voir une
femme auprès des produits qu’elle-même achète, lui confère une place publique. Elle est mise
sur le devant de la scène et affectionne ce sentiment, même si l’image n’est pas forcément le
reflet de la réalité. Cette étrange attitude s’expliquant en partie par le rôle de second plan trop
longtemps accordé à la femme. L’image publicitaire entraîne pour ces raisons un processus
d’identification car elle offre une représentation des aspirations – avouées ou non – de la
femme. C’est pour cette raison que les publicitaires utilisent bien souvent des mannequins
dans leurs publicités. Alors que la réalité des sociétés se caractérise par la diversité, la
publicité – elle - cible un seul public autour duquel la stratégie se fonde. Les femmes
s’identifient avec plaisir à celles vues sur les publicités et intègrent le message que le dit
produit leur correspond. Selon Freud, nous pouvons dire que cette forme de publicité est
suggestive et que c'est une image idéalisée de soi. C'est l’idéal du moi qui s’exprime dans la
publicité. De plus, aujourd’hui encore, ce sont principalement les femmes qui font les courses.
Elles sont donc dotées d’un pouvoir d’achat supérieur à celui des hommes. Elles sont par
conséquent la cible idéale que les publicitaires savent faire rêver…et consommer.
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L’image publicitaire suggestive
La publicité suggestive cherche à séduire le consommateur et à créer du désir. La suggestion
consiste à créer une tension désagréable où le seul moyen de réduire ce malaise sera de
consommer (crèmes amincissantes, etc…). L’image publicitaire suggestive procède à une
auto-motivation du futur consommateur. En publicité, l’objectif principal est de vendre, et le
beau est vendeur. La plastique féminine est donc utilisée par les publicitaires pour sa valeur
esthétique. Elle séduit et entraîne un sentiment de désir auprès des deux sexes. Du côté de
l’homme qui ira jusqu’à imaginer sa compagne avec le produit et du côté de la femme qui se
rêvera aussi jolie que ce mannequin faisant un petit « 34 » dans cette robe, photo qui aura sans
nul doute été retouchée. Mais ne l’oublions pas, l’émotionnel opère avant le rationnel. Cette
publicité qui utilise l’image pour susciter désir et séduction est une publicité sub-libidinale.
Elle procède par différents moyens ayant tous recours aux ressors libidinaux : elle peut
associer l’objet qu’elle vante au corps de la femme (une demie-pêche et une paire de fesses),
associer la possession de l’objet et la séduction d’une femme dans une mise en scène érotique
(très utilisé pour les automobiles et les parfums) ou tout bonnement en dénudant le corps
féminin. La dérive vers une publicité simpliste utilisant gratuitement le corps de la femme et
le sexe est souvent proche. Ce type de publicité mettant en scène la femme est certainement le
plus vil. Il est le témoignage de l’asservissement de l’homme par l’homme pour prospérer. En
cela, elle est l’emblème du capitalisme. De plus, nous savons depuis Freud que dans notre
société patriarcale, la répression de la sexualité est un fait général. Par conséquent, ces
publicités offrant une représentation « séductrico-sexuelle » de la femme entraînera un
sentiment de jalousie et de frustration inconscient chez elles, soit par rapport à elles-mêmes
soit par rapport à leur conjoint. La frustration sexuelle, tout comme la répression, conduit à la
compensation ; et par conséquent à la consommation. L’utilisation de l’image féminine en
publicité est vectrice d’une puissance de manipulation mentale que les publicitaires ont bien
cerné.
Æ Quelques stratégies publicitaires dominantes qui découlent des caractéristiques de
l’image féminine en matière de publicité :
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Shockvertising
Pour le définir, nous pouvons dire que le shockvertising désigne une stratégie de
communication - instrument du marketing mix - qui, par le biais du choc, vise à augmenter
l'attention du destinataire et la mémorisation du message dans le but d'obtenir de lui une
réaction. Le shockvertising s’est inscrit dans les tendances publicitaires au fur et à mesure du
développement de la publicité. Il ne se limite pas à l’utilisation de l’image de la femme mais
l’utilise majoritairement. Dans le flot d’images et de messages que nous recevons
quotidiennement, une publicité doit se démarquer pour être efficace. Il a été prouvé que l’Etre
Humain a une propension naturelle à retenir plus aisément le négatif - ce qui est choquant -
que la douceur et les éléments positifs. Pour preuve : peu d’individus sont en mesure de citer
cinq personnes ayant éradiqué des maladies graves alors que tout un chacun peut citer
facilement cinq dictateurs. L’Etre Humain aime être choqué et se plait à être confronté aux
pires côtés de l’Homme. Le succès des films d’horreurs ou encore des séries policières où les
héros traquent des meurtriers en est une des résultantes. Les publicitaires ont bien étudié ce
phénomène et l’utilisent en se nourrissant des tabous de la société. L’image de la femme est à
cette fin utilisée de manière parfois dénigrante autour de thème comme la violence ou la
sexualité. C’est elle, et non pas son homologue masculin qui est utilisé – ou du moins placé en
position active – car la violence féminine choque plus et la sexualité féminine reste un plus
grand tabou. L’image de la femme dans les stratégies publicitaires et donc plus souvent
dégradée que celle de l’homme, en particulier avec le shockvertising…Cette stratégie qui
devenait au début du XXIème siècle une vraie tendance, voire une « normalité ».
Campagne journal Dimanche.ch
Campagne Puma
Avec ces deux exemples éloquents, le shockvertising s’incarne comme une tendance absurde
où le rapport entre l’image et le produit est très ténu, voire inexistant. Le shockvertising est
purement une stratégie qui par l’effet choc permet une augmentation du taux de
mémorisation, du taux de reconnaissance assistée tout en diminuant parfois le taux de
sympathie. Mais le combat sympathie VS choc est réglé depuis bien longtemps…
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Porno chic
Le porno chic est une des tendances du shockvertising mais sa finalité est autre. Cette pratique
permet de créer une image de marque dans une tendance générale visant à choquer la cible.
Dans le porno chic, la femme est exploitée pour son pouvoir de séduction, pour incarner les
sujets délicats de la société mais aussi car beaucoup de tabous reposent sur elle. En cela, son
image est beaucoup plus vendeuse que celle de l’homme. Le porno chic puise son origine au
cœur de l’industrie du luxe, à l’époque où la réalisation des campagnes a été confiée aux
mains des créateurs et non plus aux agences de publicité. Il est indéniable que les produits de
luxe sont ceux qui portent en eux la plus grande charge émotionnelle et artistique. C’est eux
que nous sommes heureux – fiers ? – d’acheter comme si on s’accaparait cet univers, qui reste
justement inaccessible. Le luxe n’est luxe que par ses prix, l’univers qu’il se construit et son
inaccessibilité. Dans ce monde où les produits sont quasi des œuvres d’arts, la publicité s’est
révélée source de tentatives avant-gardistes qui ont donné naissance au porno chic. Se
dissimulant derrière l’aspect artistique des campagnes, l’exploitation de la femme est
néanmoins devenue incommodante, frisant bien souvent l’indécence. Aujourd’hui cette
pratique a disparu, mais elle a - avec ses plus grandes dérives - irrémédiablement marqué
l’histoire de l’image féminine dans la publicité et toute une époque de pratiques publicitaires.
¾ Cette première partie a permis de cerner le pouvoir constant de l’image par rapport à
l’impact limité du texte ou de la parole. L’image nous captive, nous capture même. En
s’associant à ce premier atout, la femme et son aura confèrent à l’image publicitaire
féminine une puissance manipulatoire démentielle. Une force qui explique le
rayonnement de l’image féminine dans l’histoire (cf. chapitre II) et qui fait d’elle un
instrument majeur des stratégies publicitaires avec les risques de dérive que cela
entraîne.