Bruxelles, le 04 août 2014 Objet : Lettre ouverte à Monsieur le

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Bruxelles, le 04 août 2014 Objet : Lettre ouverte à Monsieur le
 Bruxelles, le 04 août 2014
Objet : Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre Elio Di Rupo au sujet de Gaza
Monsieur le Premier ministre,
Voici déjà près d’un mois que l’Etat d’Israël s’est engagé dans une vaste opération
militaire au sein de Gaza. Ce qui est présenté et relayé comme étant une guerre contre
le Hamas s’est inexorablement mué en guerre contre le peuple palestinien.
Considérant les destructions en masse, les victimes civiles, dont de nombreux
enfants, l’exiguïté du territoire sous le feu israélien, il serait plus approprié de parler
d’un massacre.
Ceci doit cesser. Vous l’avez affirmé, vous vous êtes dit horrifié par l’explosion de
violence, choqué par l’ampleur des victimes et préoccupé par l’usage disproportionné
de la force, même si nous savons pertinemment qu’il n’existe aucune symétrie
possible entre les parties au conflit.
Votre condamnation constitue a minima ce que toute personne sensible à la cause de
la dignité humaine dirait. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction mais qui s’avère
malheureusement insuffisant car ce que nous attendons de notre chef de
gouvernement, même en affaires courantes, est bien plus que de la compassion.
La Belgique en tant qu’acteur essentiel dans la construction de l’idéal européen de
paix, de justice et de prospérité ne peut se permettre de rester sans agir.
Nous devons être cette nation garante du respect des législations internationales.
Renoncer à agir face à la tragédie qui se déroule sous nos yeux revient à tuer l’idée
même de l’Europe.
Monsieur le Premier ministre,
Vous avez clairement condamné ce qui se passe aujourd’hui à Gaza. Il faut à présent
entraîner les différents niveaux de pouvoir à se coordonner pour qu’ils prennent des
mesures appropriées vis-à-vis d’Israël et de ses (trop) nombreuses violations.
Israël continue d’agir avec le sentiment d’impunité, les nombreuses condamnations
adressées à cet Etat depuis des décennies ne sont pas suivies dans les faits.
Il s’agit d’une question de volonté politique qui ne peut souffrir d’aucune
considération géostratégique ou économique. Seul le respect des droits fondamentaux
prévaut.
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Comparaison n’est pas raison. Toutefois, prenons le cas de l’Ukraine.
L’Union européenne n’a pas tardé à adopter une importante série de sanctions
économiques contre la Russie en raison du non respect de l’intégrité territoriale de
l’Ukraine, un principe élémentaire de nos législations internationales.
La communauté internationale ne s’est pas contentée d’appeler au retrait des troupes
russes ou pro-russes et d’appeler au calme.
La communauté internationale a agi par les moyens qui s’imposent, à savoir les
sanctions. Dans un souci de cohérence, les appels à la cessation des frappes
israéliennes, les appels au calme n’auront d’efficacité que si des sanctions les
accompagnent. Vous pouvez également appeler à des sanctions à l’égard des
Palestiniens mais nous doutons fort qu’il soit possible de les sanctionner encore plus
qu’ils ne le sont depuis plusieurs décennies.
Nous nous interrogeons dès lors sur l’absence de volonté politique dans la question
palestinienne. L’aide octroyée par la Belgique soulagera certainement les victimes
mais rendons-nous à l’évidence: ni la Belgique, ni l’Europe ne peuvent continuer de
financer des infrastructures qui seront vouées à être détruites tôt ou tard par l’armée
israélienne. L’aide belge ne peut constituer une politique en soi, tout au plus, elle
représente l’aveu de notre échec moral.
Monsieur le Premier ministre,
Même dans le cas de la question palestinienne, le bon sens et l’équité doivent
prévaloir. Dès lors qu’il s’agit d’Israël, les paramètres soudainement changent, la
communauté internationale apparait tétanisée et déclare son incapacité à agir.
Ne soyons pas otages en Europe d’un sentiment de culpabilité qui nous empêche de
dénoncer la politique israélienne sous risque d’être accusés d’antisémitisme.
Ne laissez pas Israël être absout des massacres que son armée perpétue encore au
moment où ces lignes sont rédigées. Il n’y a pas plus amère souffrance pour les
Palestiniens que celle subie des mains de celui qui a jadis souffert.
Israël est un Etat indépendant et qui prend ses décisions de façon souveraine.
Personne ne demande à la Belgique de s’immiscer dans les affaires intérieures de
cet Etat. Cependant, il y a des messages politiques et économiques clairs au travers
desquels la Belgique peut montrer son opposition à la guerre.
Oui, il est tout à fait possible de dire "Non" à Israël. Cela ne diminuera en rien la
position de notre pays, cela ne fera que consolider notre force morale.
Nos condamnations, à force d’être répétées, se vident de leur sens et, si elles ne sont
pas suivies de mesures tangibles, elles reviennent à accorder un blanc-seing au
gouvernement israélien tout en fronçant les sourcils.
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Il faut par conséquent agir et agir sur les raisons de ce cycle sans fin de
violences. L’action militaire palestinienne est en réponse à la politique de
déshumanisation, à la violence économique et politique d’Israël à laquelle s’ajoute sa
supériorité militaire. Comment s’étonner dès lors de la montée en puissance des
positions extrêmes dans les deux camps et qui rendent inaudibles les appels à la
paix ?
Nous ne pouvons pas honnêtement demander à un peuple soumis, occupé, privé de
tout droit à son humanité d’être le garant de la sécurité de l’occupant. Aurions-nous
accepté pour nous-mêmes, pour la Belgique, une pareille situation de spoliation de
terres et d’occupation qui dure depuis 65 ans ?
Seules des campagnes de communication efficaces peuvent faire accréditer dans
l’esprit de nos concitoyens et de nos responsables politiques la thèse selon laquelle la
résistance palestinienne s’assimile à du terrorisme. Nous ne pouvons pas non plus
occulter les risques qu’un tel conflit entraîne pour le vivre-ensemble s’il aboutit à la
stigmatisation des différentes communautés de notre pays.
Il faut cesser le blocus de Gaza qui frappe toute une population. Nous posons comme
évidence le besoin pour un Etat, pour un peuple de pouvoir se développer
économiquement et offrir de meilleures perspectives aux générations suivantes. Nous
en avons fait une priorité en Europe et plus particulièrement en ce qui nous
concerne, en Belgique.
Or, nous, en Belgique, nous vivons dans un climat de paix, de relative prospérité, dans
une économie ouverte et pourtant nous peinons à relancer la croissance économique.
Que dire dans ces conditions des Palestiniens qui subissent, en plus d’un difficile
contexte économique mondial, l’occupation, le blocus, la privation de terres, la
confiscation des recettes fiscales ?
Quel développement pensons-nous être possible dans ces conditions ?
Il ne s’agit pas dans ce cas de variables d’ajustement mais d’une politique délibérée
qui va à l’encontre des principes les plus élémentaires du droit international.
Monsieur le Premier ministre,
En tant que professionnels et entrepreneurs, nous ne pouvons dissocier l’économique
du politique. Nous souhaitons que notre pays se développe, que de nouveaux emplois
soient créés, que de nouvelles dynamiques se mettent en place afin de remettre notre
pays sur les rails de la croissance. Nos entrepreneurs et professionnels, sans aucune
distinction quant à leur origine, y contribuent tous les jours avec créativité, coeur et
persévérance. Mais nous sommes aussi, et avant tout, des citoyens responsables qui ne
peuvent tolérer le déni de justice dont fait l’objet le peuple palestinien.
Le gouvernement fédéral et les entités fédérées peuvent agir.
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Au niveau diplomatique, le Cabinet du Ministre des Affaires étrangères pourrait
convoquer l’ambassadeur d’Israël et lui signifier que la Belgique condamne l’ampleur
des opérations militaires, le blocus économique, la colonisation israélienne, sous
toutes ses formes, lui rappeler que la colonisation est illégale au regard du droit
international et qu’elle constitue un obstacle à une paix juste fondée sur la solution
des deux États.
La Belgique pourrait décider de suspensions en ce qui concerne la coopération dans
les domaines culturel, scientifique, économique et de la défense.
Dans ce contexte de conflit, la poursuite de la coopération militaire pose également un
défi tant politique que moral.
Au niveau commercial, les nouveaux gouvernements régionaux devraient
reconsidérer l’octroi des licences d’exportations d’armes vers Israël. Par ailleurs, quel
sens aura la prochaine mission économique que préparent nos trois agences à
l’exportation et à l’investissement pour le mois de décembre prochain à Tel Aviv si ce
n’est de renforcer une économie qui prospère tout en asphyxiant son voisin ? Le
respect du droit international ne devrait-il pas être une priorité par rapport à notre
balance des paiements?.
Il faut certes saluer la publication par la Belgique et de seize autres Etats membres
de «business guidelines» incluant les risques liés aux activités économiques et
financières dans les colonies israéliennes mais il faudra certainement aller plus loin. Il
faut permettre également aux consommateurs d’être mieux informés sur l’origine des
produits importés des colonies en rendant obligatoire le label et non en le laissant à la
discrétion du secteur de la distribution.
La profondeur de nos relations économiques et commerciales avec Israël devrait sans
doute être réévaluée à la lumière du respect des conventions et résolutions
internationales.
Monsieur le Premier ministre,
Nous devons tirer les leçons de l’Histoire. Toute paix qui humilie une partie au
détriment de l’autre porte en elle les germes d’un futur conflit. Une enfant blessée
dans un hôpital répondit à un journaliste qui l’interrogeait qu’elle souhaitait plus tard
être lanceuse de roquettes. Il y a un mois, elle ne rêvait que d’être médecin.
En cette période de commémorations du centenaire de la Grande Guerre, notre
responsabilité à l’égard des générations futures n’en est que plus grande. Ceci est plus
que jamais un point à méditer.
Donner une chance à la paix, c’est avant tout instaurer des mesures qui créent de la
confiance mutuelle entre les parties.
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Lever le blocus et libérer l’économie palestinienne de son asphyxie en sont des
éléments essentiels qui contribueront à un climat serein pour la reprise des
négociations et qui amélioreront la sécurité d’Israël.
La Belgique de part son histoire contemporaine est un go-between. Elle peut y
contribuer en créant une nouvelle impulsion au sein de l’Union européenne qui peine
à transformer son poids économique en levier politique. Nous avons les moyens de
faire changer les choses, il ne nous manque peut-être que la volonté de faire évoluer la
situation.
Taoufik Amzile
Président de l'Association Belge des Professionnels Musulmans
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