Positionnement de l`Inde et de la Chine dans leur

Transcription

Positionnement de l`Inde et de la Chine dans leur
www.reseau-asie.com
Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie orientale, centrale, méridionale,
péninsulaire et insulaire / Scholars, Professors and Experts on the North, East, Central
and South Asia Areas (Pacific Rim included)
Communication
LES RELATIONS SINO-INDIENNES DEPUIS LA FIN DES ANNEES 1990 :
ENTRE COOPERATION ET RIVALITE EN ASIE
Isabelle SAINT-MEZARD
Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI), Sciences Po
1er Congrès du Réseau Asie / 1st Congress of Réseau Asie-Asia Network
24-25 sept. 2003, Paris France
Centre de Conférences Internationales du Ministère des Affaires Etrangères
Center of International Conferences, Ministry of Foreign Affairs
Thématique VII / Theme VII : Tensions internationales et équilibres régionaux / International tensions
and Regional Harmony
Atelier 26 / Workshop 26 : Asie orientale : relations internationales et intégration régionale en Asie
orientale
© 2003 - Isabelle Saint-Mézard
- Protection des documents / All rights reserved
Les utilisateurs du site : http://www.reseau-asie.com s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers
contenus proposés sur le site (loi n°92.597 du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). En particulier, tous les textes, cartes ou images du
1er Congrès, sont soumis aux lois du droit d’auteur. Leur utilisation pour un usage non commercial requiert toutefois la mention des
sources complètes et celle du nom et prénom de l'auteur.
The users of the website : http://www.reseau-asie.com are allowed to download and copy the materials of textual and multimedia
information (sound, image, text, etc.) in the Web site, in particular documents of the 1st Congress, for their own personal, noncommercial use, or for classroom use, subject to the condition that any use should be accompanied by an acknowledgement of the
source, citing the uniform resource locator (URL) of the page, name & first name of the authors (Title of the material, © author, URL).
- Responsabilité des auteurs / Responsability of the authors
Les idées et opinions exprimées dans les documents engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
Any opinions expressed are those of the authors.
http://www.reseau-asie.com
ATELIER 26
ASIE ORIENTALE : RELATIONS
REGIONALE EN ASIE ORIENTALE
INTERNATIONALES
ET
INTEGRATION
Les relations sino-indiennes depuis la fin des années 1990 : entre coopération et rivalité en Asie
A bien des égards, l’histoire chaotique des relations sino-indiennes aura vu s’ouvrir une nouvelle
phase lorsque le gouvernement du Premier Ministre A.B. Vajpayee a décidé de procéder aux cinq
essais nucléaires de Pokhran en mai 1998. Paradoxalement, cette nouvelle phase semble se
caractériser par un désir renouvelé de consolider et de diversifier les liens bilatéraux alors même, il
est vrai, que les relations entre les deux voisins auront touché le fond dans l’immédiat aprésPokhran. De fait, dans une lettre confidentielle adressée au Président B. Clinton peu après les essais,
le Premier Ministre indien justifiait sa décision de nucléarisation en désignant – sans le nommer – le
voisin chinois comme une menace pesant sur la sécurité du pays. Les autorités chinoises ne
manquèrent pas de réagir avec exaspération à l’accusation indienne et le laborieux travail de
normalisation des relations bilatérales entamé depuis près de 10 ans, lorsque Rajiv Gandhi avait
effectué la visite historique de décembre 1988, semblait alors devoir être balayé par l’exacerbation
des tensions entre les deux voisins.
Par delà les strictes questions de sécurité, les essais nucléaires auront témoigné, sur un mode
symbolique, de l’aspiration indienne à s’imposer comme une puissance majeure sur une scène
asiatique élargie. Lasse d’être réduite au statut de puissance sud-asiatique, toujours plus ou moins
mise sur un pied d’égalité avec le voisin pakistanais, l’Inde a finalement cherché à se hisser au
niveau de la Chine, en évoquant la nécessité de lui faire contrepoids1. Il est vrai que depuis le début
des années 1990, une nouvelle vision géopolitique, plus ambitieuse, s’est peu à peu imposée à New
Delhi, où l’on voudrait voir le pays émerger comme un pole de stabilité dans une vaste région
courrant du Golfe Persique à l’Asie du Sud-Est, en passant par l’Asie Centrale et le Nord de l’Océan
Indien. C’est d’ailleurs en référence à ces nouvelles ambitions géopolitiques que le sinologue John
W. Garver a, dans un ouvrage influent publié en 2001, avancé qu’Indiens et Chinois étaient
désormais sur des trajectoires qui risquaient de les porter à un « conflit prolongé »2. Les deux
nations seraient en effet dans un rapport larvé de rivalité en Asie car, dans la perception
traditionnelle qu’elles ont chacune de leur sphère d’influence respective, les chevauchements sont
nombreux, en Asie du Sud-Est et en Asie Centrale, dans l’océan Indien et dans le massif himalayen.
Pourtant, à contre-pied des thèses de Garver, la visite en Chine du Premier Ministre indien A.B.
Vajpayee, fin juin 2003, a confirmé qu’il existait, de part et d’autre, une forte volonté politique
d’améliorer les relations bilatérales et de promouvoir la coopération sur un large spectre. Ce
déplacement, le premier d’un chef de gouvernement indien depuis 10 ans, aura aussi permis d’établir
les contacts avec la nouvelle équipe de dirigeants au pouvoir à Pékin, en particulier avec le Président
et Secrétaire Général du Parti Communiste chinois Hu Jintao et le Premier Ministre Wen Jiabao. Les
1
Singh Jaswant, “Against nuclear Apartheid”, Foreign Affairs, vol. 77, n° 5, sept.-oct. 1998, pp. 41-52
Garver J.W., Protracted Contest: Sino-India Rivalry in the Twentieth Century, Seattle, University of Washington Press,
2001, 447 p.
2
2
http://www.reseau-asie.com
chefs de gouvernement des deux Etats auront même signé leur première déclaration conjointe par
laquelle ils confirment que leurs pays ne présentent pas de menace l’un pour l’autre. Surtout, ils
auront grâce à ce document posé les grands principes qui régiront leurs futures relations,
appréhendées comme celle d’un partenariat de long terme. Les deux parties auront même tenté de
démentir la thèse de leur rivalité sur le continent, en précisant qu’elles « voyaient de façon positive
la participation de chacune dans les processus de coopération régionale et sous-régionale en Asie »3.
Il s’agit donc de comprendre comment les nouvelles ambitions de l’Inde en Asie peuvent affecter ses
relations avec la Chine. Les aspirations indiennes à s’imposer comme un acteur majeur sur la scène
asiatique impliquent-elles nécessairement un risque de tensions accru, voire un sentiment de rivalité
avec la Chine, elle-aussi soucieuse d’exercer une influence prééminente sur l’ensemble de son
environnement régional? Ou ne pourraient-elles pas au contraire conduire à une volonté d’améliorer
et de diversifier les liens avec le voisin chinois, à l’instar de la tendance générale à la coopération
régionale qui caractérise la zone asiatique?
L’analyse des relations sino-indiennes se situe ici dans une perspective avant tout régionale et tente
de voir comment les deux puissances se positionnent l’une par rapport à l’autre sur la scène
asiatique. A ce titre, l’éclairage se portera surtout sur l’Asie du Sud-Est, considérée comme une zone
où risquent de confluer intérêts chinois et indiens. Bien que l’influence chinoise y soit
prépondérante, l’Asie du Sud-Est est en effet l’une des sous-régions en Asie où New Delhi a réalisé
les plus d’avancées, grâce à une politique délibérée de « Regard vers l’Est » mise en oeuvre depuis
le début des années 1990. Mais les dynamiques proprement bilatérales, notamment celles relatives à
la question frontalière, seront aussi largement évoquées dans la mesure où elles sont
inextricablement liées à l’évolution générale des rapports entre les deux nations sur la scène
régionale. D’un point de vue temporel, l’analyse se concentrera sur la période de « l’après essais
nucléaires », c’est-à-dire de la fin des années 1990 jusqu`à la récente visite de Vajpayee en Chine, en
juin 2003. L’objectif est en somme de tenter un « état des lieux » des relations entre les deux géants,
en discernant dans en premier temps les facteurs de tensions qui contribuent à alimenter la thèse
d’une rivalité sino-indienne en Asie. Dans un second temps, l’analyse se concentrera plutôt sur les
dynamiques de coopération et montrera qu’à de nombreux égards, les relations sino-indiennes
prennent le pli de la régionalisation asiatique.
I/ Des facteurs de tensions potentielles
1/ La prégnance des suspicions indiennes à l’égard du voisin chinois
Le souvenir amer de la débâcle militaire de 1962 commence tout juste à s’amenuiser dans les
mémoires indiennes. Ce conflit éclair sur la frontière himalayenne a en effet été vécu comme un
traumatisme du coté indien et a laissé le sentiment durable que, la Chine n’étant pas un voisin digne
de confiance, il conviendrait désormais de traiter avec lui en étant militairement puissant. Plus
généralement, la défaite de 1962 a symbolisé la perte de stature de l’Inde sur la scène internationale.
Le Premier Ministre Jawarharlal Nehru ne se remettra jamais de cet affront et ses grandes ambitions
3
Declaration on Principles for Relations and Comprehensive Cooperation between the Republic of India and the
People’s Republic of China, 23 June 2003, http://www.meadev.nic.in/ind-chn-decla.htm
3
http://www.reseau-asie.com
pan-asiatistes s’en trouveront réduites à néant. Se faisant, les préoccupations extérieures de l’Inde se
replieront essentiellement sur l’Asie du Sud au cours des décennies suivantes. C’est seulement à
partir des années 1990 que New Delhi a retrouvé ses grandes ambitions asiatiques, grâce notamment
à une politique de réformes économiques relativement réussie. Or à mesure que l’Inde a regagné en
confiance, le désir s’est fait plus prégnant d’égaler le voisin chinois, tant sur le plan économique que
stratégique ou diplomatique.
Mais, alors même qu’elle s’est efforcée de rattraper la Chine au cours des années 1990, l’Inde a pris
acte des disparités économiques et militaires croissantes par rapport à son immense voisin. Plus
grave encore, le complexe d’infériorité indien face à la montée en puissance de la Chine a renforcé
les perceptions d’encerclement stratégique. La plupart des décideurs et experts stratégiques sont
ainsi restés convaincus qu’en dépit de la fin de la guerre froide, Pékin continuait d’utiliser le
Pakistan comme un contrepoids stratégique pour enfermer l’Inde en Asie du Sud. Il est vrai que le
Pakistan a largement bénéficié de l’assistance militaire chinoise, notamment dans les domaines de
l’arme nucléaire et des missiles balistiques. Même si à un degré moindre, les relations de Pékin avec
le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka ont aussi été soupçonnées de prendre part à une stratégie
d’encerclement.
De surcroît, l’influence de la Chine au Myanmar est devenue un sujet de préoccupation majeur, au
point que de nombreux experts indiens se sont inquiétés de voir Pékin bientôt jouir d’une présence
navale dans le golfe du Bengale. Outre les traditionnelles suspicions à l’égard du soutien que la
Chine apporterait aux mouvements insurrectionnels des Etats du Nord-Est, l’existence au Tibet de
rampes de lancement pour des missiles à têtes nucléaires a également alimenté les spéculations au
sein de la communauté stratégique indienne. Que ce soit en somme sur le flanc occidental, sur la
frontière himalayenne, dans les Etats enclavés du Nord-Est ou sur le littoral du golfe du Bengale,
une menace chinoise semblait en tout point perceptible. Se faisant, New Delhi s’est convaincue que
les activités chinoises sur ses frontières visaient à l’enfermer dans “ un piège stratégique ”4, c’est-àdire à la circonscrire à son environnement immédiat sud-asiatique, quand précisément elle cherchait
à s’en extraire. A cet égard, la thèse de l’encerclement stratégique procède tout autant des nouvelles
ambitions géopolitique de l’Inde que de son traditionnel sentiment d’infériorité et d’insécurité par
rapport à la Chine.
Latente tout au long des années 1990, cette perception d’encerclement stratégique a été exacerbée
par les nationalistes hindous du BJP vers la fin de la décennie5. Il est vrai que cette mouvance
d’extrême droite a de longue date nourri un fort sentiment de défiance à l’égard de la Chine et
qu’elle n’a jamais vraiment cru au rapprochement sino-indien entamé depuis la fin des années 1980.
L’arrivée au pouvoir du parti BJP en mars 1998 n’a donc pas manqué de raviver les suspicions à
l’égard de Pékin et la thèse de l’encerclement stratégique a largement sous-tendu l’argumentation
aux essais nucléaires. Mais par delà l’épisode de mai 1998, l’inclination à voir dans les desseins
chinois une volonté de circonscrire l’Inde à son environnement sud-asiatique reste encore présente
4
Brahma Chellaney, “ La Sécurité de l’Inde après les essais nucléaires ”, in Politique Etrangère, 3/98, Automne 1998, p.
526
5
Jaffrelot Christophe, “ Du nationalisme hindou au nationalisme nucléaire ”, Etudes, oct. 1998, n° 3894, p. 305. BJP est
l’acronyme de Bharatiya Janata Party, qui signifie Parti du Peuple Hindou.
4
http://www.reseau-asie.com
dans les esprits6. Elle témoigne du sentiment de défiance que la Chine continue d’inspirer auprès
d’une grande partie des décideurs, des experts stratégiques et de la population et explique toute la
difficulté qu’il y a en Inde à accepter des concessions vis-à-vis de Pékin. Ainsi la récente déclaration
conjointe signé par A.B. Vajpayee et Wen Jiabao a-t-elle suscité chez certains observateurs de
virulentes critiques sur la soi-disant docilité de l’Inde à l’égard de la Chine.
Ajoutons enfin qu’en dépit du ‘coup d’éclat’ des essais de Pokhran, les craintes indiennes se
focalisent de plus en plus sur l’asymétrie nucléaire croissante avec la Chine. Plusieurs experts
militaires s’inquiètent des innovations technologiques rapides de l’arsenal nucléaire chinois,
notamment en missiles balistiques à têtes nucléaires7. Le rapport annuel du Ministère de la Défense
pour l’année 2003 rappelle ainsi que le pays ne peut ignorer le fait que « toute les grandes villes
indiennes sont à portée des missiles chinois et (que) cette capacité est encore augmentée par l’ajout
de missiles balistiques sous-marins »8. Le document souligne par ailleurs que les relations militaires
liant la Chine au Pakistan doivent nécessairement être mises dans la perspective de l’hostilité de ce
dernier à l’égard de l’Inde. Notons cependant qu’en dépit de ces réserves, le rapport s’efforce
d’adopter une vision assez positive et confiante sur l’évolution des relations sino-indiennes.
2/ Les nouvelles ambitions géopolitiques de l’Inde en Asie orientale
En vertu d’une politique active de « Regard vers l’Est », New Delhi s’est attachée à intensifier les
liens avec ses voisins d’Asie orientale depuis le début des années 1990. Pendant la majeure partie de
cette décennie, les préoccupations économiques ont été prédominantes dans l'ouverture sur “ l'Asie
du miracle ”, la région figurant comme un modèle de croissance que les Indiens entendent alors
imiter et rattraper. Mais depuis la fin des années 1990 et l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste
BJP, la politique de « Regard vers l’Est » a pris des inflexions plus stratégiques. Les dirigeants du
gouvernement BJP ont de fait multiplié les déplacements dans la région, au point de laisser supposer
qu’ils tentaient de forger un réseau informel avec les pays qui nourrissent certaines inquiétudes à
l’égard de la montée en puissance chinoise9. New Delhi s’est d’ailleurs appliquée à renforcer les
contacts en matière de défense avec le Vietnam et l’Indonésie, non seulement les deux Etats
militairement les plus importants dans la région, mais aussi les plus méfiants envers Pékin. Cette
dernière a pour sa part gardé un œil attentif sur les avancées indiennes en Asie du Sud-Est.
New Delhi s’est également appliquée à développer un dialogue stratégique avec les Japon.
Dirigeants indiens et japonais ont de fait pris acte de certaines préoccupations communes à l’égard
aussi bien de l’évolution future de la Chine que de la protection des couloirs de navigation dans
l’océan Indien. Le Japon qui importe l’essentiel de son pétrole depuis les pays du Golfe a en effet un
6
Le plus virulent est Bhrama Chellaney chercheur au CPR et ancien membre de l’instance de conseil pour la sécurité
nationale.
7
Raja Menon, (Rear Admiral), A Nuclear Strategy for India, New Delhi, Sage Publications, 2000, p. 316 p.
8
Ministry of Defense, Government of India, Annual Report 2002-2003, GOI, 2003, p. 5
9
Le Premier Ministre, A.B. Vajpayee s’est rendu au Vietnam et en Indonésie en janvier 2001, puis en Malaisie en mai
2001, et enfin à Singapour et au Cambodge en avril 2002. De retour au Cambodge en novembre 2002, il a aussi effectué
un déplacement au Laos et en Thaïlande. Son Ministre des Affaires Etrangères, Jaswant Singh, a effectué un
déplacement à Singapour en juin 2000 et au Laos en novembre 2000 avant d’entamer une tournée asiatique en mars-avril
2002 qui l’a conduit successivement en Chine, en Corée du Sud, en Thaïlande et en Birmanie. Le nouveau Ministre
indien des Affaires Etrangères, Yashwant Sinha, a lui aussi effectué un déplacement au Cambodge en juin 2003.
5
http://www.reseau-asie.com
intérêt particulier à ce que la sécurité de l’océan Indien soit préservée. Ainsi les forces navales
indiennes s’imposent-elles peu à peu comme un partenaire non négligeable pour la protection des
couloirs de navigation entre le Golfe Persique et l’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, les deux pays
semblent désormais plus conscients de leur position respective par rapport à la Chine, l’un sur son
flanc occidental, l’autre sur son flanc oriental, partant des options stratégiques envisageables dans
l’hypothèse d’une dégradation des équilibres généraux en Asie. Il n’est dans cette perspective guère
étonnant de voir Tokyo qualifier New Delhi de « partenaire stratégique »10.
Les avancées diplomatiques et stratégiques de l’Inde en Asie orientale lui permettent par ailleurs de
déployer une diplomatie navale active avec des partenaires de plus en plus diversifiés. La marine de
guerre indienne a même commencé à être présente en mer de Chine, grâce à ses interactions avec le
Vietnam et le Japon11. Outre des contacts déjà assez étroits avec Singapour, les échanges se sont
intensifiés avec l’Indonésie à l’occasion d’exercices navals conjoints menés en septembre 2002 au
large des îles Andaman et Nicobar. Grâce à ces manœuvres, la flotte indienne affirme de plus en plus
sa présence dans ces régions proches du détroit de Malacca. Il convient ici de rappeler l’importance
stratégique du détroit de Malacca, qui permet le passage des flux commerciaux internationaux entre
le Moyen Orient et l’Asie-Pacifique. La protection du trafic maritime dans cette zone est essentielle,
notamment pour garantir l’approvisionnement en pétrole de nombreuses économies asiatiques.
Le fait est que New Delhi est de plus en plus résolue à s’affirmer comme un acteur de premier plan
dans le Nord de l’océan Indien, en particulier dans le Golfe du Bengale. A cet effet, les autorités
indiennes soulignent la nécessité d’assurer la protection des couloirs de navigation dans la région,
c’est-à-dire du Golfe Persique au détroit de Malacca, face à des menaces transnationales croissantes
telles que la piraterie et le terrorisme. C’est finalement la vision selon laquelle l’Inde est le pivot
stratégique de l’océan Indien qui se trouve mise au premier plan. Le Ministre de la Défense, Georges
Fernandes ne déclarait-il pas à l’occasion de sa visite au Vietnam en avril 2000 : « notre aire
d’intérêt s’étend donc du Nord de la Mer d’Arabie à la mer de Chine méridionale »12. Au reste, le
gouvernement BJP s’est lancé dans un important programme de modernisation des forces navales,
qui prévoit notamment d’acquérir un deuxième porte-avion et deux sous-marins nucléaires russes, de
sorte à mettre en oeuvre une dissuasion nucléaire censée reposer sur une triade alliant forces
terrestres, navales et aériennes13. Autre signe révélateur des ambitions indiennes dans l’océan
Indien : en 1998, l’état-major a décidé d’établir un quatrième poste de commandement à Port Blair,
dans les îles Andaman, situées non loin du détroit de Malacca. Il est vrai que l’augmentation de la
surveillance maritime dans la région permet tout à la fois de contrôler les flux de trafics illégaux, de
renforcer la sécurité des couloirs de navigation et d’adopter une approche plus active face à la
présence croissante de la Chine au Myanmar, voire dans le golfe du Bengale. Le renforcement de la
base militaire de Port Blair en 2001 en un Commandement unique intégrant les trois forces armées
10
The Hindu, 2 Janvier 2003
La marine de guerre indienne a conduit des exercices navals avec le Vietnam en mer de Chine méridionale, à
l’automne 2000. L’année suivante, en mai 2001, c’est un bâtiment garde-côte indien qui participe à une revue
internationale organisée par le Japon ainsi qu’à des exercices conjoints pour des opérations de recherche et sauvetage en
mer conduits dans la baie de Tokyo.
12
The Hindu, April 15, 2000
13
BEDI Rahul, “Russian nuclear subs high on India’s shopping list”, Asia Times, April 12, 2002
(http://www.atimes.com)
11
6
http://www.reseau-asie.com
indique, si besoin était, que l’Inde est plus que jamais déterminée à asseoir sa présence militaire dans
le Golfe du Bengale et au large du détroit de Malacca.
Mais c’est surtout l’intensification des relations avec le Myanmar qui est révélatrice des visées de
plus en plus stratégiques de la politique de « Regard vers l’Est ». Inquiète de l’emprise grandissante
de la Chine sur ce voisin important, New Delhi a entrepris depuis le début des années 1990 de mener
une politique active de rapprochement avec la junte militaire au pouvoir à Rangoon, en dépit de sa
sympathie historique pour le mouvement pro démocratique de Aung San Suu Kyi. Grâce à ces
efforts, les liens entre New Delhi et Rangoon se sont nettement resserrés. Les deux capitales
entretiennent désormais un dialogue institutionnel régulier sur leurs problèmes transfrontaliers et ont
même annoncé l’ouverture de consulats, respectivement à Mandalay et Calcutta. Les nouvelles
relations indo-birmanes auraient même commencé à embrasser le domaine militaire14. Dans son
inquiétude à voir la Chine gagner un accès au Golfe du Bengale, via le Myanmar, l’Inde a également
multiplié contacts et délégation pour construire ou rénover différentes infrastructures portuaires sur
la cote birmane, à Sittwe, situé non loin de Calcutta, et sur le site de Kyaukphu. Les Indiens ont
aussi en ligne de mire l’exploitation des champs pétrolifères et en gaz naturel du Myanmar.
Plus généralement, New Delhi semble bien résolue à exploiter la position charnière de Myanmar en
vue de renforcer sa présence en Asie du Sud-Est péninsulaire. Les Indiens ont ainsi financé la
construction d’une route transfrontalière reliant la ville indienne de Tamu à Kalemyo et Kalewa, au
Myanmar. Inaugurée en février 2001, cette route devrait maintenant être prolongée jusqu’à la
Thaïlande, voire la péninsule indochinoise. De fait, en avril 2002, New Delhi a lancé un processus
trilatéral de concertations annuelles avec le Myanmar et la Thaïlande pour développer un couloir de
transport assurant la jonction entre l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est, via les Etats indiens du NordEst. Cette initiative témoigne d’une certaine volonté indienne à prendre ses marques dans cette sousrégion où la Chine a déjà réalisé de formidables avancées et où elle nourrit le grand projet de
construire le couloir « Irrawaddy », reliant la province du Sichuan à l’océan Indien, via le Myanmar.
On comprendra dès lors que ces grands projets d’infrastructures de transports entre la Chine, l’Inde,
la Thaïlande et le Myanmar ne soient pas dénués de calculs stratégiques. Du point de vue indien, ils
relèvent aussi bien de préoccupations sur la sécurité et le développement des Etats du Nord-Est que
d’une entreprise plus générale visant à accroître son influence dans ce voisinage élargi où la Chine
est déjà fort présente.
De fait, c’est toute la sous-région du Mékong qui voit Indiens et Chinois essayer d’accroître leur
influence. La Chine est déjà très active dans cette zone, grâce notamment à la participation de la
province du Yunnan au programme de développement du « Grand Mékong » (GMS), qui inclut le
Cambodge, le Laos, le Myanmar, la Thaïlande, et le Vietnam. New Delhi a de son côté lancé en
juillet 2000, le projet de Coopération Mékong-Gange (MGC) qui l’associe à cinq pays de l’ASEAN
riverains du fleuve Mékong: la Thaïlande, le Myanmar, le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Or ce
programme embryonnaire qui vise à promouvoir les secteurs du tourisme, de la culture et de
l’éducation s’est créé sans la participation de la Chine. Celle-ci a pourtant demandé à y être associée
: en vain. New Delhi s’est certes empressée d’assurer que le MGC ne visait en rien à augmenter sa
capacité de projection dans cette sous-région, la Chine n’observe pas moins avec une certaine
14
Le chef d’état-major des armées, le Général V.P. Malik a effectué une visite au Myanmar en juillet 2000, suivie de
celle du chef d’état-major des forces navales, l’amiral Sushil Kumar, en janvier 2001.
7
http://www.reseau-asie.com
attention l’implication de l’Inde dans ce groupement régional. Il semble en somme que si l’Inde et la
Chine tendent chacune de leur coté à promouvoir des initiatives de coopération régionale avec l’Asie
du Sud-Est péninsulaire, notamment dans la région du Mékong, elles sont encore peu enclines à
conjuguer leurs efforts respectifs.
3/ Un futur partenariat indo-américain en Asie?
Le souvenir reste vif en Inde du soutien que les Etats-Unis ont apporté au Pakistan dés les années
1950, puis du rapprochement entre le président Nixon et les autorités chinoises dans les années 1970
et du sentiment de menace face à ce qui fut alors perçu comme un axe Washington-Pékin-Islamabad.
De fait, les relations indo-américaines souffrent d’un long passé d’incompréhension qui a perduré
même après la fin de la guerre froide et en dépit des efforts des deux Etats pour améliorer leurs
relations. A de nombreux égards, il aura fallu les essais nucléaires de mai 1998 pour que Washington
amorce une réorientation sensible dans ses relations stratégiques avec New Delhi. Les huit rounds du
dialogue de non-prolifération de 1998-99 auront ainsi permis de poser les fondations d’une nouvelle
relation, plus approfondie, sanctionnée dès la fin mars 2000 par la visite du Président Bill Clinton15.
De fait, en dépit d’importants désaccords, notamment sur la non-prolifération et sur le Pakistan, A.B.
Vajpayee et Bill Clinton signent une déclaration générale dans laquelle ils affirment qu’une
coopération bilatérale étroite sera un facteur de stabilité en Asie.
Quant à l’équipe du président G.W. Bush, arrivée au pouvoir en janvier 2001, elle s’est montrée
encore plus favorable à un rapprochement stratégique avec New Delhi16. Le dialogue indo-américain
n’a pas tardé à renvoyer le désaccord en matière nucléaire à l’arrière-plan pour s’intéresser plus
avant au rôle potentiel de New Delhi en faveur de la paix et de la stabilité de la région asiatique. Se
faisant, les deux Etats ont pris acte de leur grandissante convergence de vues sur la sécurité de
l’Asie, qu’il s’agisse de la protection des eaux de l’océan Indien ou de la nécessité d’empêcher
l’émergence d’une puissance hégémonique dans la région. La Chine semble de fait avoir été un
facteur important dans le rapprochement indo-américain. Plus précisément, l’engouement de la
nouvelle administration républicaine pour l’Inde n’a, semble-t-il, pas été sans rapport avec son
scepticisme à l’égard de la Chine qui, du statut de « partenaire stratégique » est rapidement passé à
celui de « concurrent stratégique ».
A bien des égards, durant les premiers mois au pouvoir de l’administration Bush, le resserrement des
liens indo-américains aura pu faire l’effet d’une stratégie visant à contenir la Chine. L’accueil plutôt
positif que New Delhi a réservé au projet de défense antimissile en mai 2001 a, il est vrai, contrasté
avec l’opposition de Pékin. New Delhi a en fait été l’une des rares capitales au monde à réagir plutôt
favorablement à ce projet, de sorte qu’elle a figuré aux côtés de la Corée du Sud et du Japon, parmi
les quelques pays en Asie que la Maison Blanche a décidé de consulter plus avant sur la question.
De plus, en gage de son intérêt pour l’Inde, Washington a sans tarder nommé comme ambassadeur à
New Delhi, Robert Blackwill, un expert réputé appartenir au camp des faucons de l’Administration
Bush qui, aux côtés du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et de son conseiller Paul Wolfowitz,
préconisent une politique de fermeté à l’égard de Pékin. Or Blackwill a été un acteur clef à l’origine
de la coopération militaire naissante entre New Delhi et Washington.
15
16
Il s’agissait du premier déplacement d’un président américain en Inde depuis prés de 20 ans.
Kux Dennis, “India’s Fine Balance”, Foreign Affairs, May/June 2002
8
http://www.reseau-asie.com
Dans le contexte de l’après 11 septembre, les relations entre Washington et Pékin se sont réchauffées
quelque peu, sans que la méfiance des faucons de l’administration Bush ne soit altérée. Dans le
même temps, les liens de Washington avec New Delhi se sont considérablement complexifiés en
raison du partenariat renouvelé avec le Pakistan. Assez habilement, les Etats-Unis sont cependant
parvenus à maintenir l’équilibre entre les deux ennemis sud-asiatiques. Se faisant, la coopération
militaire entre New Delhi et Washington s’est encore intensifiée dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme international, New Delhi s’étant déclaré un allié de la première heure dans ce nouveau
combat. Or au cœur des préoccupations stratégiques de l’Inde et des Etats-Unis se trouve désormais
la sécurité de l’océan Indien. Ainsi d’avril à octobre 2002, les Etats-Unis et l’Inde ont conduit des
patrouilles maritimes conjointes dans les eaux du détroit de Malacca et du golfe du Bengale. Il va
sans dire que du point de vue indien, cette coopération navale avec les Etats-Unis dans une zone
stratégiquement sensible vient raffermir les aspirations à s’imposer comme un acteur majeur dans
l’océan Indien.
Du point de vue américain, un certain nombre de décideurs considèrent désormais l’Inde comme une
grande puissance émergente avec laquelle il convient d’entretenir des relations étroites pour assurer
la sécurité en Asie17. Le conseiller d’Etat à la Défense, Paul Wolfowitz n’allait-il pas jusqu’à
affirmer lors d’une conférence à Singapour en juin 2002 que l’Inde avait un rôle « important et
positif » à jouer pour la sécurité de l’Asie orientale18. De la même façon, le rapport sur la Stratégie
Nationale pour la Sécurité publié en septembre 2002 classe ainsi l’Inde dans la catégorie des
« grandes puissances potentielles » qui, avec la Chine et la Russie, sont destinées à peser sur l’ordre
stratégique de l’Asie19. Dans cette réévaluation de la puissance indienne, il convient de noter que la
notion de valeurs partagées tient une place toute particulière, le pays figurant désormais comme un
modèle de libéralisme politique dans une région par ailleurs bien plus familière des régimes
autoritaires et extrémistes. Washington tend en somme à considérer l’Inde comme un pôle
stabilisateur dans le contexte stratégique asiatique. Confrontés à cet « arc d’instabilité » qui court
des pays du Golfe à l’Asie du Sud-Est en passant par l’Afghanistan et l’Asie Centrale, les Etats-Unis
paraissent en effet enclins à coopter New Delhi pour renforcer leur réseau de pays partenaires et
alliés prêts à assurer le maintien de la paix et de la sécurité dans la région.
Ainsi les perceptions géopolitiques respectives des décideurs indiens et américains commencentelles peu à peu à converger. L’un des principaux facteurs de malentendus entre les deux pays au
cours des années 1990 était que les Etats-Unis ne parvenaient pas à concevoir les intérêts
stratégiques indiens au delà de l’Asie du Sud alors même que les Indiens inscrivaient leurs ambitions
dans un cadre régional élargi à l’Asie au sens large. Or au moment où elle redéploie ses forces en
Asie, avec une vision plus intégrée des interdépendances stratégiques entre les différentes sousrégions du continent, Washington perçoit la position centrale de l’Inde. Qu’une partie de la
communauté stratégique américaine commence à positionner l’Inde dans un cadre d’analyse régional
qui correspond plus ou moins à la vision géopolitique que les Indiens eux-mêmes ont depuis le début
17
Le Pentagone semble particulièrement séduit par cette vision, mais le département d’Etat resterait assez sceptique.
Wolfowitz P., U.S. Deputy Secretary of Defense, « The Gathering Storm: The Threat of Global Terror and
Asia/Pacific Security », The First IISS Asia Security Conference: « The Shangri-La Dialogue », Singapore, May 31-June
2002
19
White House, The National Security Strategy of the United States of America, Washington, September 2002, p. 10; 26;
27
18
9
http://www.reseau-asie.com
des années 1990 apparaît comme une évolution importante pour le futur des relations entre les deux
pays. En d’autres termes, les Etats-Unis pourraient bien être en passe de cautionner la nouvelle
vision géopolitique indienne.
Sans être alerté outre mesure, Pékin garde un oeil attentif sur le partenariat naissant entre New Delhi
et Washington. Les autorités chinoises se veulent confiantes car, dans l’art de cultiver Washington,
elles estiment être bien plus expérimentées que leurs voisins indiens. Il n’en reste pas moins qu’elles
entendent bien ne pas faire les frais d’un rapprochement indo-américain. Ayant clairement perçu dès
1999/2000 que New Delhi était parvenue à redresser relations avec Washington au point de se
positionner comme un partenaire stratégique, elles n’ont pas hésité à réitérer les appels à promouvoir
un monde multipolaire et à contrer l’hégémonie américaine à l’adresse de l’Inde. De façon plus
pragmatique encore, Pékin s’est empressée de redresser ses propres relations avec New Delhi. L’on
comprendra dès lors la rapidité avec laquelle Indiens et Chinois ont surmonté le froid diplomatique
provoqué par les essais de Pokhran.
II/ Une tendance de plus en plus marquée à la coopération
1/ Rétablir la confiance
Il semble que la politique de fait accompli de l’Inde en matière nucléaire a porté les décideurs
chinois à composer ou, à tout le moins, à prendre leur voisin occidental au peu plus au sérieux.
Depuis 1999 en effet, les deux nations ont multiplié les initiatives pour relancer les relations
bilatérales et apaiser les perceptions de menaces. Dés juin 1999, le Ministre indien des Affaires
Etrangères, Jaswant Singh, se rendait à Pékin et assurait que la Chine ne représentait pas une menace
pour l’Inde. Pékin a de son côté pris soin de conserver une posture de neutralité à l’égard de l’Inde et
du Pakistan sur l’épineuse question du Cachemire. De fait, après avoir soutenu pendant des
décennies les revendications pakistanaises sur le Cachemire, Pékin a dans les années 1990 compris
qu’il y allait de son intérêt d’adopter une politique plus nuancée dans la mesure où tout
bouleversement majeur dans cette région himalayenne pourrait bien avoir un effet de contagion sur
ses territoires récalcitrants du Tibet et du Xinjiang. Ainsi, lorsqu’au printemps 1999, Indiens et
Pakistanais se livrent à un affrontement armé très localisé dans la zone frontalière de Kargil, au
Cachemire, les autorités chinoises réitèrent leur souhait de voir une résolution du conflit par des
négociations bilatérales, ceci à la grande satisfaction de New Delhi.
New Delhi et Pékin se sont par ailleurs attachées à rétablir un climat de confiance en multipliant les
échanges de délégations et en renforçant les mécanismes de concertations sur un large spectre. Les
deux Etats ont même décidé de lancer un dialogue stratégique, dont la première session s’est tenue
en mars 2000 à Pékin. La succession de hauts dignitaires chinois à se rendre en visite en Inde depuis
l’année 2000 témoigne aussi d’un net réchauffement dans les relations bilatérales. Le Ministre des
Affaires Etrangères Tang Jiaxuan a ainsi effectué un déplacement en juillet 2000, bientôt suivi par
l’ancien Premier Ministre chinois, Li Peng, en janvier 2001. C’est enfin l’ex-Premier Ministre Zhu
Rongji qui a effectué une visite en Inde, en janvier 2002. La visite, qui s’est tenue dans le contexte
inédit de l’après 11 septembre, a été l’occasion pour les deux Etats de prendre acte de leur
convergence de vue sur le terrorisme international. New Delhi et Pékin ont même instauré un
dialogue sur la lutte contre ce fléau. Toujours dans un souci d’améliorer leurs échanges de vues, les
10
http://www.reseau-asie.com
deux Etats ont depuis peu tenu des consultations touchant à leur politique respective sur des
questions internationales sensibles telles que la situation d’après-guerre en Irak et la crise nucléaire
en Corée du Nord.
En avril 2003, c’est Georges Fernandes, l’un des critiques les plus acerbes de la Chine, qui s’est
rendu à Pékin pour - ce n’est pas la moindre des ironies - entretenir le climat de confiance. Le
Ministre de la Défense avait peu avant les essais nucléaires de mai 1998 déclaré ouvertement que la
Chine constituait la plus grande menace pesant sur la sécurité indienne, provoquant alors un premier
froid diplomatique entre les deux voisins. Ce déplacement, qui n’était donc pas sans importance
symbolique, aura par ailleurs permis d’œuvrer à l’amélioration les échanges militaires. De fait,
annonce a été faite que des navires de guerre indiens conduiraient pour la première fois des exercices
conjoints avec leurs homologues chinois. Il pourrait s’agir là d’une initiative importante en matière
de diplomatie navale dans la mesure où la marine de guerre indienne refusait jusqu’à présent toute
manœuvre conjointe avec les forces navales chinoises, au motif qu’elle n’entendait pas encourager
leur présence dans l’océan indien20. Ainsi, plutôt que de continuer de se raidir sur la thèse des
aspirations hégémoniques de la Chine dans l’océan indien, la marine de guerre indienne pourrait
désormais être tentée par l’option d’engager son voisin. C’est au reste la stratégie que la plupart des
Etats voisins de la Chine en Asie orientale s’efforcent de mettre en œuvre.
Enfin, le déplacement du Premier Ministre A.B. Vajpayee en juin 2003 aura confirmé la teneur
globalement positive des relations bilatérales. Soucieux de parvenir à des résultats concrets,
Vajpayee se serait même abstenu de soulever la question des transferts de missiles de la Chine vers
le Pakistan. Et pour la première fois, les chefs de gouvernement indiens et chinois auront signé une
déclaration conjointe pour une « coopération globale »21. Le document pose les principes directeurs
qui guideront les relations sino-indiennes sur le long terme : « panchsheel, respect et attention
mutuels pour les préoccupations de chacun et égalité », ainsi que « maintien de la paix, de la stabilité
et de la prospérité en Asie et dans le monde, et désir mutuel de développer une coopération plus
large et plus étroite sur les affaires régionales et internationales ». Le troisième principe précise que
« les intérêts communs des deux parties l’emportent sur leurs différents. Les deux pays ne sont pas
un menace l’un pour l’autre. Aucune partie ne doit utiliser ou menacer d’utiliser la force contre
l’autre ». En un quatrième point, les deux Etats s’accordent à « renforcer qualitativement les
relations bilatérales à tous les niveaux et en tout domaine, tout en traitant les différents par des
moyens pacifiques d’une façon juste, raisonnable et mutuellement acceptable ». Mais au delà de ces
principes généraux, un aspect particulièrement important de la déclaration conjointe est de revenir
sur les modalités de résolution du contentieux frontalier.
2/ Une nouvelle approche sur la question frontalière?
La frontière longue de prés de 4000 km qui sépare l’Inde et la Chine n’a jamais officiellement été
démarquée et continue de poser l’un des problèmes les plus épineux dans leurs relations bilatérales.
L’Inde est pratiquement le seul voisin avec qui la Chine n’a pas réglé la question des frontières
terrestres, ceci en dépit de près de deux décennies de pourparlers bilatéraux. Le processus de
20
Les forces navales indiennes s’en étaient tenues à des visites d’amitié de part et d’autre et à des échanges au niveau
des sous-officiers.
21
Declaration on Principles for Relations and Comprehensive Cooperation between the Republic of India and the
People’s Republic of China, 23 June 2003, http://www.meadev.nic.in/ind-chn-decla.htm
11
http://www.reseau-asie.com
normalisation s’est en effet révélé particulièrement laborieux et complexe. Rappelons cependant
qu’au cours des années 1990, deux avancées majeures ont été réalisées, grâce à la signature d’un
accord pour le maintien de la paix et de la tranquillité sur la ligne de contrôle actuel (LAC) en 1993,
suivi en 1996 d’un accord pour des mesures de rétablissement de la confiance dans le domaine
militaire le long de la LAC. Ces deux accords historiques ont permit de définir une approche en deux
temps, consistant d’abord à garantir la paix et la tranquillité le long de la LAC pour une période
prolongée, avant de parvenir au règlement définitif quand les conditions le permettront.
A la fin des années 1990, les deux Etats ont entrepris d’accélérer le processus de clarification de la
LAC et sont parvenus à un premier résultat concret, avec un échange de cartes en vue de délimiter la
frontière le long du secteur Central, la partie la moins controversée il est vrai. Cette première étape a
ouvert la voie à de nouvelles négociations sur le secteur Ouest, une zone beaucoup plus disputée sur
laquelle les deux parties se sont avérées incapable de s’entendre. Il semble d’ailleurs bien que l’un
des principaux objectifs de la visite de Vajpayee était de débloquer la situation sur la question de la
frontière. Prenant acte de la stagnation des négociations au niveau des bureaucraties, les deux parties
ont ainsi compris qu’il fallait insuffler une nouvelle dose de volontarisme politique pour relancer le
dialogue22. Des représentants spéciaux de part et d’autres ont été nommés pour accélérer le
règlement de la frontière. Ces deux officiels du plus rang établiront le cadre général au sein duquel le
processus de démarcation pourra être établi, ceci dans une perspective politique et globale23.
A certains égards, la visite de Vajpayee pourrait bien avoir amorcé certains infléchissements, du côté
indien, sur la résolution du contentieux frontalier. Il est vrai que la posture de New Delhi a jusqu’à
présent été assez rigide et unilatérale, puisque essentiellement basée sur des revendications
historiques et légales dictant de récupérer tout le territoire perdu au profit de la Chine. A l’inverse
les dirigeants chinois, notamment Zhou Enlai en 1960 et Deng Xiaoping en 1980 ont tôt préconisé
une approche favorisant des concessions de part et d’autre. En vain : les Indiens n’ont jusqu’à
présent jamais voulu accepter la proposition chinoise de « East-West swap », par laquelle Pékin
abandonnerait ses revendications sur le secteur Est (90 000 km²) tandis que New Delhi reconnaîtrait
la souveraineté de la Chine sur l’Aksai Chin (38 000 km²), le plateau occidental de la frontière que la
Chine occupe depuis la guerre de 1962.
Or il semble que l’Inde soit maintenant plus disposée à aborder la résolution du contentieux
frontalier dans le sens du compromis. Cette nouvelle approche, fondée sur le principe de réciprocité,
a transparu dans les concessions effectuées de part et d’autres sur les questions respectives du
Sikkim et du Tibet. New Delhi a ainsi réaffirmé sa position conciliante sur la question du Tibet de la
façon la plus explicite qui soit, en énonçant dans le texte de la déclaration conjointe qu’elle
« reconnaît que la Région Autonome du Tibet fait partie du territoire de la République Populaire de
Chine et réitère qu’elle ne permet pas aux Tibétains de conduire des activités politiques anti-
22
Jusqu’alors les négociations se déroulaient au sein d’un groupe de travail conjoint au niveau des Ministères des
Affaires Etrangères.
23
Le représentant chinois est Dai Bingguo, ministre adjoint et personnalité influente au Ministère des Affaires
Etrangères. Le représentant indien est Brajesh Mishra, secrétaire principal du Premier Ministre et le conseiller pour la
sécurité nationale. En d’autres termes, c’est le bureau du Premier Ministre qui prend directement en charge le règlement
politique de la question frontalière.
12
http://www.reseau-asie.com
chinoises sur son territoire »24. Pareille assertion est toujours du meilleur effet auprès des autorités
chinoises dont les principaux sentiments de suspicions à l’égard de l’Inde sont liées à la question
tibétaine. La présence en Inde du chef spirituel tibétain, le Dalai Lama, et du gouvernement tibétain
en exil reste en effet un sujet d’irritation à Pékin.
Mais si New Delhi a réaffirmé sa position nuancée sur le Tibet, c’est dans l’espoir que les
interlocuteurs chinois fassent quelques concessions sur cet autre sujet de tension que constitue le
Sikkim25. Précisément, les deux parties ont convenu d’ouvrir un point de passage pour le commerce
transfrontalier entre le Sikkim et le Tibet, via le col de Nathu La. Cet accord a enthousiasmé la partie
indienne qui l’a interprété comme une reconnaissance de facto par la Chine de sa souveraineté sur le
Sikkim. Pékin s’est cependant empressée de ramener ses interlocuteurs indiens à plus de sobriété en
précisant que la question du Sikkim ne saurait être résolue en « une nuit ». Il est vrai qu’en Chine,
comme en Inde, toute concession majeure sur la frontière comporte un coût politique potentiellement
important.
En tout état de cause, cette évolution vers une approche plus souple et pragmatique pourrait indiquer
que New Delhi aborde ses relations avec la Chine avec une plus grande confiance. Elle témoigne
aussi de la volonté d’œuvrer en faveur d’une résolution prochaine du contentieux frontalier, ce qui
tranche avec l’approche jusque là adoptée, qui se contentait d’assurer la paix et la tranquillité sur la
LAC en laissant aux générations futures le soin de régler définitivement la question. En dernier lieu,
les avancées sur les questions respectives du Sikkim et du Tibet pourraient même laisser supposer
que, plutôt que de se livrer à une lutte d’influence dans ces régions himalayennes, New Delhi et
Pékin s’efforcent au contraire d’évoluer vers une normalisation du statut de ces zones
traditionnellement tampons.
3/ Jouer la carte des échanges économiques
Conscients qu’en dépit de leurs efforts respectifs, la résolution de leurs litiges frontaliers risque
d’être un processus de longue haleine, décideurs indiens et chinois essaient depuis peu d’insuffler un
nouveau dynamisme à leurs relations bilatérales en jouant la carte de la coopération économique.
Cette nouvelle orientation indique que les relations sino-indiennes pourraient entrer dans une
nouvelle phase, caractérisée par une certaine maturité diplomatique et un pragmatisme économique
jusque là inédit. Des liens commerciaux prospères ne sont-ils pas un gage supplémentaire de stabilité
qui, à moyen terme, peut même influencer de façon positive le dialogue politique? Les relations
sino-indiennes semblent finalement prendre le pli de l’approche asiatique de la sécurité régionale où
des interdépendances économiques intenses et un engagement diplomatique tout azimut sont censés
être les meilleurs moyens de désamorcer les tensions latentes. Ainsi la visite de Zhu Rongji en
janvier 2002 a-t-elle été un véritable exercice de diplomatie économique, la promotion de liens
commerciaux bilatéraux s’avérant être l’une des principales préoccupations du haut dignitaire
chinois.
24
Declaration on Principles for Relations and Comprehensive Cooperation between the Republic of India and the
People’s Republic of China, 23 June 2003, http://www.meadev.nic.in/ind-chn-decla.htm
25
Le Sikkim a été annexé par l’Inde en 1975. Mais la Chine n’a jamais reconnu officiellement la souveraineté de l’Inde
sur ce territoire.
13
http://www.reseau-asie.com
D’un strict point de vue économique, les deux parties ont pris conscience que le potentiel de
coopération était immense et qu’elles avaient fort à gagner à intensifier les échanges commerciaux et
financiers. Ceux-ci ont de fait connu une croissance rapide au cours des dernières années. De 2
milliards en 1999, le volume commercial bilatéral s’élève désormais à 5 milliards de dollars, et les
deux nations voudraient doubler ce chiffre au cours des prochaines années. L’Inde est par ailleurs
devenue le premier partenaire commercial de la Chine en Asie du Sud, devant le Pakistan, ce qui
dans une certaine mesure contribue à instaurer un climat de plus grande confiance entre les deux
géants. La dernière visite de Vajpayee en juin 2003 n’a d’ailleurs pas manqué de s’intéresser aux
aspects économiques des relations bilatérales. Répondant aux impératifs de diplomatie économique,
le Premier Ministre s’est déplacé accompagné d’une importante délégation d’hommes d’affaires.
Surtout, décision a été prise d’établir un groupe d’étude, dont le mandat consiste à mettre en valeur
les complémentarités entre les économies indienne et chinoise et à proposer un ensemble de
recommandations visant à accroître le commerce bilatéral.
Les décideurs politiques savent bien que des interactions économiques accrues aideront à changer
les perceptions de part et autre, dans un sens plus positif. Une grande partie de la communauté
d’affaire indienne nourrit déjà une véritable fascination pour le décollage économique chinois.
Réciproquement, du point de vue chinois, on est de plus en plus impressionné par les avancées de
l’Inde dans le champ des technologies de l’information. Et même s’ils obéissent en partie à une
logique d’effet d’annonce, les discours politiques prônant un partenariat alliant les compétences
indiennes en logiciels au savoir-faire chinois en matériel informatique ont le mérite de proposer une
vision optimiste et confiante des futures relations sino-indiennes. De fait, après avoir craint de voir
le marché indien submergé par les produits à bas prix d’origine chinoise, une partie grandissante de
la communauté d’affaire indienne semble prête à tenter sa chance sur l’immense marché de son
voisin. Les Indiens espèrent pouvoir investir le marché chinois dans trois domaines où ils sont
traditionnellement compétitifs: les technologies de l’information, les biotechnologies et les produits
pharmaceutiques. Signe de ce nouvel allant, la FICCI et la CII, les deux grandes organisations
patronales indiennes, rivalisent désormais d’initiatives pour promouvoir les liens commerciaux et
financiers avec la Chine.
4/ Les relations sino-indiennes à l’heure de l’intégration régionale en Asie
Les relations sino-indiennes semblent lentement s’ouvrir à la tendance générale à la régionalisation
en Asie, ceci sur diverses échelles. Au niveau sous-régional, il existe l’initiative dite de Kunming, du
nom de la capitale de la province chinoise du Yunnan. Ce projet encore embryonnaire voudrait
lancer un processus d’intégration économique entre le sud-ouest de la Chine, les Etats indiens de
l’Est et du Nord-Est, le Myanmar et le Bangladesh, sur le modèle des polygones de croissances de
l’Asie orientale. La province du Yunnan, qui a connu une croissance économique rapide, est en effet
de plus en plus désireuse de s’ouvrir sur son voisinage méridional et occidental. Elle ne voudrait rien
moins, en la matière, que faire office de pont entre le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est et
bénéficie du soutien de Pékin dans cette entreprise. Le Yunnan a même évoqué de grands projets de
revitalisation des routes commerciales ancestrales qui courraient de la Chine à l’Asie du Sud et
jusqu’en Asie Mineure. La reconstruction de « l’ancienne Route de la Birmanie », qui lie la province
du Yunnan au Myanmar, a déjà commencé et pourrait à terme faire renaître la « route Stillwell » (ou
route de Ledo) qui assurait durant la seconde guerre mondiale une connexion entre Myitkyina, au
Nord du Myanmar, et Ledo, en Assam.
14
http://www.reseau-asie.com
Du côté indien, des contacts ont été établis au plus haut niveau avec les autorités de la province
chinoise, notamment sous l’impulsion de Brajesh Mishra, Secrétaire Principal du Premier Ministre
A.B. Vajpayee et Conseiller National pour la Sécurité. Une conférence s’est ainsi tenue à Kunming
en août 1999, avec la participation d’officiels, d’universitaires, de journalistes et d’hommes
d’affaires indiens, bangladais et birmans. L’événement était organisé par l’Académie des Sciences
Sociales du Yunnan, l’un des principaux promoteurs du projet de coopération régionale entre les
quatre Etats26. La conférence a recommandé avec enthousiasme de développer les liens ferroviaires,
aériens et routiers dans l’ensemble de la sous-région, afin d’intensifier les flux commerciaux et
touristiques. Les Etats indiens du Bengale et de l’Assam ont montré un fort intérêt pour cette
initiative qui, pour l’heure, relève essentiellement de processus de diplomatie parallèle.
Plus généralement, les acteurs politiques infranationaux, en l’occurrence ceux des Etats du Nord-Est
de l’Inde, tendent désormais à s’immiscer dans l’orientation générale des relations sino-indiennes.
La plupart de ces Etats qui, ethniquement, historiquement et culturellement sont proches de leurs
voisins - au Myanmar, au Tibet chinois, au Bangladesh - aspirent à promouvoir la coopération
transfrontalière, en vue d’œuvrer en faveur de leur propre développement économique. Les Etats du
Nord-Est, notamment l’Assam, ont ainsi demandé une réouverture de la route Stiwell dans l’espoir
d’intensifier les relations commerciales avec l’Asie du Sud-Est27. Quant à Pawan Chamling,
le Ministre en Chef de l’Etat du Sikkim arrivé aux affaires en 1994, il n’a eu cesse de réclamer
auprès de New Delhi la reprise des échanges commerciaux transfrontaliers avec le Tibet, le long de
l’ancienne Route de la Soie. Il va sans dire que l’accord de juin 2003 sur l’ouverture du col de Nathu
La au commerce transfrontalier a été particulièrement célébré au Sikkim où l’on anticipe un
développement économique accéléré et une nette amélioration des infrastructures de transports28.
Au niveau des autorités centrales, la vision inédite selon laquelle les Etats enclavés et déshérités du
Nord-Est de l’Inde pourraient constituer une nouvelle frontière de développement gagne peu à peu
du terrain. Une partie des décideurs à New Delhi a aussi commencé à admettre que la capacité à
stabiliser la situation politique et à promouvoir le développement économique des Etats du Nord-Est
risque d’être déterminante pour l’évolution future des relations avec tout le voisinage oriental de
l’Inde, ces territoires constituant la charnière terrestre avec l’Asie du Sud-Est. A ce titre, New Delhi
semble même désormais considérer la coopération sous-régionale et la promotion de zones de
développement trans-frontalières comme des options viables pour la pacification du Nord-Est29. Il
s’agit là d’une nouvelle approche car, par le passé, les autorités centrales étaient plus enclines à
traiter les problèmes sécuritaires des territoires du Nord-Est en les isolant de toute influence
extérieure. Cette nouvelle vision se heurterait cependant à des résistances assez fortes émanant du
Ministère de l’Intérieur, pour qui les Etats du Nord-Est constituent une zone encore peu stable et
vulnérable. De la même façon, l’armée indienne ne s’enthousiasme guère pour une politique de
coopération sous-régionale avec le voisinage chinois. L’ouverture prochaine du col de Nathu La a
ainsi réveillé la crainte de voir la Chine utiliser ce point de passage pour infiltrer le Sikkim30. Il n’en
26
“The Kunming Initiative for a Growth Quadrangle between China, India, Myanmar and Bangladesh”, 14-17 August,
1999”, China Report, 36: 3, 2000, pp. 417- 424
27
R. Maitra, “Prospects brighten for Kunming Initiative”, http://www.atimes.com, 12 February 2003
28
C. Raja Mohan, “Sikkim looks beyond border trade”, The Hindu, 28/06/2003
29
Ranganathan C.V., “The Kunming Initiative”, South Asian Survey, 8:1 (2001), pp.117-124
30
Sultan Shahin, “India and China to be brothers again”, http://www.atimes.com, June 28, 2003
15
http://www.reseau-asie.com
reste pas moins que dans un contexte de mondialisation et de libéralisation économique, une partie
grandissante des décideurs à New Delhi admet que la promotion du commerce transfrontalier et de
zones de développement sous-régionales revêt une importance non négligeable.
A l’échelle macro-régionale, l’Inde et la Chine sont devenues des partenaires de dialogue de
l’ASEAN depuis 1996. Elles participent en tant que membres à l’ARF, le forum stratégique de
l’ASEAN, ce qui leur permet de se concerter dans un cadre proprement régional. De nombreux Etats
asiatiques ne sont en fait pas mécontents que la montée en puissance indienne, manifeste depuis les
années 1990, vienne rééquilibrer la prééminence de la Chine. L’admission de l’Inde à l’ARF, en
même temps que la Chine, doit d’ailleurs se comprendre dans cette perspective : c’est la fluidité de
la scène asiatique - dominée par la montée en puissance de la Chine - qui a porté les petits Etats de
l’ASEAN à se rapprocher de l’Inde dans une logique d’équilibre des puissances.
Mais si le Japon et les membres de l’ASEAN craignent tous les propensions expansionnistes de la
Chine, la plupart de ces Etats se gardent bien d’attiser la peur de l’encerclement à Pékin et évitent
toute initiative qui risquerait d’apparaître comme une coalition anti-chinoise. Cette logique double
est particulièrement évidente dans le cas de l’ASEAN, dont la priorité reste d’accompagner la
montée en puissance de la Chine en Asie. A ce titre, l’association redoute que l’Inde n’entre dans
une logique d’endiguement de son immense voisin. Les rapports sino-indiens sont de fait devenus
une préoccupation pour l’ASEAN dans la mesure où le Myanmar – et par extension le golfe du
Bengale - pourraient devenir un enjeu de rivalité entre les deux géants.
Aussi bien New Delhi s’attache-t-elle à intensifier les relations avec les Etats asiatiques qui, comme
elle, nourrissent certaines inquiétudes à l’égard de l’évolution de leur immense voisin, tout en
suivant une politique de conciliation avec Pékin. L’équipe de Vajpayee a bien compris que, si elle
voulait voir son pays émerger comme un pôle de stabilité dans la région, une normalisation des
relations avec la Chine était nécessaire, sinon indispensable. La bonne volonté de l’Inde à progresser
sur la question frontalière pourrait ainsi être mise dans la perspective de ses ambitions régionales. Il
faut noter en effet que New Delhi est plus que jamais désireuse de renforcer les liens avec l’Asie
orientale car, sur le plan de l’intégration régionale, le pays ne semble guère avoir d’autre alternative
que de regarder vers l’Est, la situation restant passablement bloquée en Asie du Sud31.
Conclusion
Contredisant les thèses en cours aux Etats-Unis sur une future rivalité sino-indienne en Asie, Pékin
et New Delhi semblent fort déterminées à placer leurs relations sous le signe de la stabilité et de la
coopération, ceci dans une perspective de long terme. On pourra certes répliquer sur un mode
réaliste qu’Indiens et Chinois ont pour l’heure tout intérêt à poursuivre leur politique de bon
voisinage, car une période de paix et de tranquillité leur permet de se consolider économiquement…
et militairement. Les facteurs de tensions sont sans nul doute multiples et tiennent aussi bien d’un
passé houleux que des aspirations futures des deux nations.
31
L’Inde est en cours de négociation avec Singapour, la Thaïlande et l’ASEAN pour conclure des accords de libre
échange.
16
http://www.reseau-asie.com
Il n’en demeure pas moins que les ambitions de l’Inde à jouer un rôle plus important en Asie
orientale semblent pour l’instant s’accompagner d’une normalisation des relations avec Pékin.
L’Inde est en tout état de cause une puissance encore périphérique par rapport à la prééminence de la
Chine dans la région. Et si l’ASEAN et le Japon se sont rapprochés de New Delhi, c’est avant tout
dans le souci de mieux préserver les équilibres régionaux. En aucun cas ne voudraient-ils donner
l’impression d’oeuvrer à une stratégie d’endiguement de leur voisin chinois. Le rapprochement indoaméricain aura en revanche pu provoquer une certaine nervosité à Pékin, précisément parce qu’il
tend à prendre des inflexions anti-chinoises. Dans le même temps, les relations triangulaires entre la
Chine, l’Inde et les Etats-Unis auront jusqu`à présent obéit à une logique plutôt vertueuse. En
réponse au rapprochement indo-américain, Pékin s’est en effet empressée de redresser ses propres
relations avec New Delhi. Quant au gouvernement de A.B. Vajpayee, il n’est pas encore prêt à jouer
pleinement la carte du partenariat indo-américain en Asie. Même si certaines voix influentes
exhortent d’embrasser plus étroitement les desseins américains en Asie, l’Inde reste pour l’heure
attachée à son indépendance d’action. A ce titre, forger une relation stable et constructive avec la
Chine reste un objectif essentiel pour la diplomatie indienne.
Au-delà des enjeux proprement géopolitiques, il est particulièrement positif de constater que les
interactions sino-indiennes évoluent de plus en plus dans le sens de la diversification. La
problématique des relations entre les deux pays ne se limite plus exclusivement aux questions
stratégiques et de sécurité. Les logiques de coopération, voire d’intégration, économique ont pris une
importance grandissante, ceci sur différentes échelles : macro régionale, sous-régionale et
transfrontalière. De la même façon, une multiplicité d’acteurs participent désormais au
rapprochement des deux voisins. Certes, les acteurs politiques au niveau de l’Etat central conservent
un rôle de premier plan. Mais, à leur coté, les décideurs infranationaux, par exemple ceux de certains
Etats du Nord-Est de l’Inde ou de provinces chinoises telles le Yunnan, tentent de donner des
orientations inédites aux relations entre les deux géants. Enfin, les acteurs socio-économiques sont
en passe d’émerger comme des parties prenantes de l’évolution générale des relations bilatérales. De
ce point de vue, les relations sino-indiennes semblent bien prendre le pli de la régionalisation
asiatique.
Bibliographie
Ouvrages et articles
Bedi Rahul, “Russian nuclear subs high on India’s shopping list”, Asia Times, April 12, 2002
(http://www.atimes.com)
Chellaney Brahma, “ La Sécurité de l’Inde après les essais nucléaires ”, in Politique Etrangère, 3/98,
Automne 1998, pp. 507-529
Garver J.W., Protracted Contest: Sino-India Rivalry in the Twentieth Century, Seattle, University of
Washington Press, 2001, 447 p.
Jaffrelot Christophe, “ Du nationalisme hindou au nationalisme nucléaire ”, Etudes, oct. 1998, n°
3894, pp. 305-314
Kux Dennis, “India’s Fine Balance”, Foreign Affairs, May/June 2002
Maitra R., “Prospects brighten for Kunming Initiative”, http://www.atimes.com, 12 February 2003
17
http://www.reseau-asie.com
Menon Raja, (Rear Admiral), A Nuclear Strategy for India, New Delhi, Sage Publications, 2000, p.
316 p.
Mohan Raja, “Sikkim looks beyond border trade”, The Hindu, 28/06/2003
Ranganathan C.V., “The Kunming Initiative”, South Asian Survey, 8:1 (2001), pp.117-124
Shahin Sultan, “India and China to be brothers again”, http://www.atimes.com, June 28, 2003
Singh Jaswant, “Against nuclear Apartheid”, Foreign Affairs, vol. 77, n° 5, sept.-oct. 1998, pp. 4152
The Hindu, 2 Janvier 2003
The Hindu, April 15, 2000
Discours et documents officiels
Declaration on Principles for Relations and Comprehensive Cooperation between the Republic of
India and the People’s Republic of China, 23 June 2003, http://www.meadev.nic.in/ind-chndecla.htm
Ministry of Defense, Government of India, Annual Report 2002-2003, GOI, 2003, 138 p.
“The Kunming Initiative for a Growth Quadrangle between China, India, Myanmar and
Bangladesh”, 14-17 August, 1999”, China Report, 36: 3, 2000, pp. 417- 424
White House, The National Security Strategy of the United States of America, Washington,
September 2002, p. 10; 26; 27
Wolfowitz P., U.S. Deputy Secretary of Defense, « The Gathering Storm: The Threat of Global
Terror and Asia/Pacific Security », The First IISS Asia Security Conference: « The Shangri-La
Dialogue », Singapore, May 31-June 2002
Isabelle St-Mézard
China-India Project
Centre of Asian Studies
The University of Hong Kong
Hong Kong SAR
18