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BÉATRICE LIBERT
ÊTRE AU MONDE
poèmes
CLEPSYDRE
ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE
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PRIÈRE POUR LE MILLÉNAIRE
La poésie est une force de synthèse
pour l'existence humaine.
Gaston Bachelard
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Matin qui nous rapproche de toutes les aurores.
Musique qui nous rapproche de tous les concertos et
des polyphonies, comme une eau modulée en soi ou
répandue sur la terre.
Ô terre enfantée, matin léger ! Dimanche est là, à peine
visible, à peine tangible. Le ciel a bu nos rêves et s'en
délecte. Il tombe un lait de silence et de fruit. Seule, je
suis l'Adam et l'Ève de tous les petits matins à cueillir
en nos paumes.
De nos vies parfois sales, parfois étroites, parfois brûlées,
parfois mordues, nous retiendrons ce qui nous
harmonise, nous fiance, nous retiendrons ce cri blanc
de l'aube, lente promesse, sanctification des gestes à
venir.
Aube en nous. Aube à la pointe de nos regards. Matin
pacifié, purifié de nos doutes, de nos aigreurs. Matin
plus matinal que jamais, plus frais que l'orange, plus
juteux que la groseille, plus mûr que le muscat, plus
vrai que le coquelicot.
Matin ouvert, bâillant à l'angle de nos nuits sans lune.
Matin sous le vert. Matin sous le bleu. Aube sous la
nuit. Aube qui nous soulève. Aube que je porte en
tremblant à mes lèvres.
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Nous serons, dans l'obscurité, la menace ou la folie, des
semeurs de matins et nous nous appellerons Aube, de la
source au torrent, de la vague à l'escarpement, de l'éclair
à la tombe.
Aube. Ainsi soit-il !
Ainsi sois-tu, enfant de mon silence, enfant du père et
de la mère, de l'arbre et du volcan.
Ainsi sois-tu, porteur de matins clairs, psaume à ravir,
psaume à chanter, de génération en génération, jusqu'au
lointain secret de notre avènement.
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AUBE
Tout arrive pour la première fois, mais sur un mode éternel.
Celui qui lit mes mots est en train de les inventer.
Jorge Luis Borges
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Aube sur nos bouches
Affleure alors un souffle
Efflorescence du murmure premier
Je chante le petit jour assaisonné d'aurore
Une paix vient pleuvoir sur nos paumes
en un geste que même les arbres nous envient
Nous frappe
la stupeur d'être à peine au monde
Comme si naître à soi n'avait jamais eu lieu
Comme si naître au temps exigeait
un surcroît de beauté intérieure
une patience éperdue
Des ruisseaux se faufilent
en nos pensées tiédies
Un dieu sans peur lave nos désillusions
Aucun grain de poussière n'appesantit l'espace
mais un pollen sur nos ailes invisibles appelle à la douceur
Ô Temps souvent meurtri que l'aube cicatrise !
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Nous sommes nus au bord d'une clarté
Rien ne se peut que notre âme ne veuille
Qu'offrir d'autre
si ce n'est nos paumes
nos lèvres
nos yeux tournés vers l'Astre
dans un pas de deux avec l'Orient ?
Et l'oiseau prisonnier de nos langues s'éveille
Prières des moineaux
Envoûtements des tourterelles
dans le bleu extravagant de l'air
Salves cantabiles en lisières des forêts
Incantations qui nous fécondent
Chaque matin coule sur nos peaux
atteint notre source
quitte les plis de sa pensée
s'abandonne à l'isthme de notre appétit
Il emprunte les voies allantes
la rémige du canal
la couleuvre du rail
la longue langue des chemins
la flèche de mon désir
et celle du poème qui pose son visage
contre celui du jour
Dans les jardins le matin est un faon de lumière
À l'ombre du flanc maternel
il lèche une mamelle gonflée de clarté
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S'ouvrent alors écorces et seuils
où l'on parle d'été
entre deux flaques de vent doux
L'aube surgit parfois d'un jet de cailloux
qui l'irise par phases concentriques
vers l'ineffable de nos mémoires
Embaument soudain la résine le miel
le lait chaud la framboise
le mimosa
Parfums que le temps malicieux déploie
contre la mort arrogante
L'aurore ressemble aux vastes maisons vides
Un sursaut de chagrin alimente leurs ruines
où croulent des éclairs réveillant les plaies d'ombre
Le matin n'aime pas mourir
Il se saoule aux vitraux des églises
se jette sur nos visages
puis se frotte aux fleurs de soufre
et s'embrase dans le cri de midi
Perdu ce mauve primal et haletant de l'air
Évanoui ce rose purpurin des matines
cet élan sans écueil de l'azur épuré
Anesthésié ce sentiment de naître
à l'intime du vrai
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Nous voici vieux d'un long matin sans âge
qui court à la fontaine bien plus vite que nous
Et notre pas s'alentit et nous rentrons en nous
à tâtons solitaires désorientés
les yeux fermés par d'antiques verrous
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DU MÊME AUTEUR
POÉSIE
Invitation, Thalia, Liège, 1979.
Parades, André De Rache, Bruxelles, 1983.
Baisers volés à Paul Éluard suivi de Remparts, Vie Ouvrière, Bruxelles et Pierre Zech, Paris, 1989.
Lalangue du désir et du désarroi, L’Arbre à paroles, collection « Le
Buisson ardent », Amay, 1991 ; 3e édition bilingue, traduction
italienne de Francis Tessa, collection « Traverses », 1995.
La Passagère, Vie Ouvrière, Bruxelles, et Pierre Zech, Paris, 1994.
Le Bonheur inconsolé, L’Arbre à paroles, Amay, 1997 (Prix Amélie
Murat).
Vol à main nue, L’Arbre à paroles, collection « Traverses », Amay, 1998.
Le Rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999.
Un arbre cogne à la vitre, Pluie d’étoiles, Toulon, 2000.
Petit Bréviaire amoureux, Les Écrits des forges, Trois-Rivières, 2002.
ESSAIS
La Classe de français en fête, essai de didactique, Dessain, Liège, 1983.
Jean Joubert, en collaboration avec Marie-Christine Masset, L’Arbre
à paroles, Amay, 1996 (Prix Marcel Lobet).
Marie-José Viseur, Dossier L, Service du Livre luxembourgeois,
Marche, 1999.
LIVRES D’ARTISTES
D’encre et d’écorce, huit poèmes sur des peintures de Jacques
Clauzel, À Travers, Gallargues-le-Montueux, 2001.
En vertu de nous-mêmes, avec sept encres de Maria Desmée, Tétras-Lyre, collection « Lettrimage », Soumagne, 2001.
Le Souffle, avec des gravures Jean-Marc Lattion, Anima Mundi,
Belvèze-du-Razes, 2002.
© SNELA La Différence, 47, rue de la Villette, 75019 Paris, 2003.
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