Lire un extrait
Transcription
Lire un extrait
BÉATRICE LIBERT ÊTRE AU MONDE poèmes CLEPSYDRE ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE Etre au monde25.06.p65 5 25/06/03, 15:33 Etre au monde25.06.p65 8 25/06/03, 15:33 1 PRIÈRE POUR LE MILLÉNAIRE La poésie est une force de synthèse pour l'existence humaine. Gaston Bachelard Etre au monde25.06.p65 9 25/06/03, 15:33 Etre au monde25.06.p65 10 25/06/03, 15:33 Matin qui nous rapproche de toutes les aurores. Musique qui nous rapproche de tous les concertos et des polyphonies, comme une eau modulée en soi ou répandue sur la terre. Ô terre enfantée, matin léger ! Dimanche est là, à peine visible, à peine tangible. Le ciel a bu nos rêves et s'en délecte. Il tombe un lait de silence et de fruit. Seule, je suis l'Adam et l'Ève de tous les petits matins à cueillir en nos paumes. De nos vies parfois sales, parfois étroites, parfois brûlées, parfois mordues, nous retiendrons ce qui nous harmonise, nous fiance, nous retiendrons ce cri blanc de l'aube, lente promesse, sanctification des gestes à venir. Aube en nous. Aube à la pointe de nos regards. Matin pacifié, purifié de nos doutes, de nos aigreurs. Matin plus matinal que jamais, plus frais que l'orange, plus juteux que la groseille, plus mûr que le muscat, plus vrai que le coquelicot. Matin ouvert, bâillant à l'angle de nos nuits sans lune. Matin sous le vert. Matin sous le bleu. Aube sous la nuit. Aube qui nous soulève. Aube que je porte en tremblant à mes lèvres. 11 Etre au monde25.06.p65 11 25/06/03, 15:33 Nous serons, dans l'obscurité, la menace ou la folie, des semeurs de matins et nous nous appellerons Aube, de la source au torrent, de la vague à l'escarpement, de l'éclair à la tombe. Aube. Ainsi soit-il ! Ainsi sois-tu, enfant de mon silence, enfant du père et de la mère, de l'arbre et du volcan. Ainsi sois-tu, porteur de matins clairs, psaume à ravir, psaume à chanter, de génération en génération, jusqu'au lointain secret de notre avènement. 12 Etre au monde25.06.p65 12 25/06/03, 15:33 2 AUBE Tout arrive pour la première fois, mais sur un mode éternel. Celui qui lit mes mots est en train de les inventer. Jorge Luis Borges Etre au monde25.06.p65 13 25/06/03, 15:33 Etre au monde25.06.p65 14 25/06/03, 15:33 Aube sur nos bouches Affleure alors un souffle Efflorescence du murmure premier Je chante le petit jour assaisonné d'aurore Une paix vient pleuvoir sur nos paumes en un geste que même les arbres nous envient Nous frappe la stupeur d'être à peine au monde Comme si naître à soi n'avait jamais eu lieu Comme si naître au temps exigeait un surcroît de beauté intérieure une patience éperdue Des ruisseaux se faufilent en nos pensées tiédies Un dieu sans peur lave nos désillusions Aucun grain de poussière n'appesantit l'espace mais un pollen sur nos ailes invisibles appelle à la douceur Ô Temps souvent meurtri que l'aube cicatrise ! 15 Etre au monde25.06.p65 15 25/06/03, 15:33 Nous sommes nus au bord d'une clarté Rien ne se peut que notre âme ne veuille Qu'offrir d'autre si ce n'est nos paumes nos lèvres nos yeux tournés vers l'Astre dans un pas de deux avec l'Orient ? Et l'oiseau prisonnier de nos langues s'éveille Prières des moineaux Envoûtements des tourterelles dans le bleu extravagant de l'air Salves cantabiles en lisières des forêts Incantations qui nous fécondent Chaque matin coule sur nos peaux atteint notre source quitte les plis de sa pensée s'abandonne à l'isthme de notre appétit Il emprunte les voies allantes la rémige du canal la couleuvre du rail la longue langue des chemins la flèche de mon désir et celle du poème qui pose son visage contre celui du jour Dans les jardins le matin est un faon de lumière À l'ombre du flanc maternel il lèche une mamelle gonflée de clarté 16 Etre au monde25.06.p65 16 25/06/03, 15:33 S'ouvrent alors écorces et seuils où l'on parle d'été entre deux flaques de vent doux L'aube surgit parfois d'un jet de cailloux qui l'irise par phases concentriques vers l'ineffable de nos mémoires Embaument soudain la résine le miel le lait chaud la framboise le mimosa Parfums que le temps malicieux déploie contre la mort arrogante L'aurore ressemble aux vastes maisons vides Un sursaut de chagrin alimente leurs ruines où croulent des éclairs réveillant les plaies d'ombre Le matin n'aime pas mourir Il se saoule aux vitraux des églises se jette sur nos visages puis se frotte aux fleurs de soufre et s'embrase dans le cri de midi Perdu ce mauve primal et haletant de l'air Évanoui ce rose purpurin des matines cet élan sans écueil de l'azur épuré Anesthésié ce sentiment de naître à l'intime du vrai 17 Etre au monde25.06.p65 17 25/06/03, 15:33 Nous voici vieux d'un long matin sans âge qui court à la fontaine bien plus vite que nous Et notre pas s'alentit et nous rentrons en nous à tâtons solitaires désorientés les yeux fermés par d'antiques verrous 18 Etre au monde25.06.p65 18 25/06/03, 15:33 DU MÊME AUTEUR POÉSIE Invitation, Thalia, Liège, 1979. Parades, André De Rache, Bruxelles, 1983. Baisers volés à Paul Éluard suivi de Remparts, Vie Ouvrière, Bruxelles et Pierre Zech, Paris, 1989. Lalangue du désir et du désarroi, L’Arbre à paroles, collection « Le Buisson ardent », Amay, 1991 ; 3e édition bilingue, traduction italienne de Francis Tessa, collection « Traverses », 1995. La Passagère, Vie Ouvrière, Bruxelles, et Pierre Zech, Paris, 1994. Le Bonheur inconsolé, L’Arbre à paroles, Amay, 1997 (Prix Amélie Murat). Vol à main nue, L’Arbre à paroles, collection « Traverses », Amay, 1998. Le Rameur sans rivage, La Différence, Paris, 1999. Un arbre cogne à la vitre, Pluie d’étoiles, Toulon, 2000. Petit Bréviaire amoureux, Les Écrits des forges, Trois-Rivières, 2002. ESSAIS La Classe de français en fête, essai de didactique, Dessain, Liège, 1983. Jean Joubert, en collaboration avec Marie-Christine Masset, L’Arbre à paroles, Amay, 1996 (Prix Marcel Lobet). Marie-José Viseur, Dossier L, Service du Livre luxembourgeois, Marche, 1999. LIVRES D’ARTISTES D’encre et d’écorce, huit poèmes sur des peintures de Jacques Clauzel, À Travers, Gallargues-le-Montueux, 2001. En vertu de nous-mêmes, avec sept encres de Maria Desmée, Tétras-Lyre, collection « Lettrimage », Soumagne, 2001. Le Souffle, avec des gravures Jean-Marc Lattion, Anima Mundi, Belvèze-du-Razes, 2002. © SNELA La Différence, 47, rue de la Villette, 75019 Paris, 2003. Etre au monde25.06.p65 4 25/06/03, 15:33