le document pdf
Transcription
le document pdf
LA COLORATION DES VERTEBRES FOSSILES (Dinosaures à plumes et premiers Oiseaux) La coloration des Vertébrés est celle de leur tégument (peau et ses phanères). A de très rares exceptions près, les fossiles de Vertébrés sont réduits à des éléments squelettiques, ce qui ne donne aucune indication sur la coloration de l'animal vivant. Toutefois, la découverte (1998) de fossiles remarquablement bien conservés de Dinosaures à plumes de la fin du Jurassique du NE de la Chine (Mandchourie : -145 Ma) et des tout premiers Oiseaux du début du Crétacé lacustre de cette même région (-120 Ma), a montré que la fossilisation peut exceptionnellement préserver des organes « mous » comme le tégument et surtout les plumes, ainsi que des détails insoupçonnés de la microstructure de celles-ci, comme des organites cellulaires d'une taille inférieure à 1 µm (mélanosomes). Ces découvertes sont à l'origine de plusieurs publications récentes sur la coloration de ces plumes. LES COLORATIONS DES VERTEBRES ACTUELS Elles peuvent être d'origine pigmentaire, c'est à dire provoquées par des substances chimiques, les pigments, ou structurale, c'est à dire provoquée par des phénomènes physiques (dispersion de la lumière, interférence). A. LES COLORATIONS PIGMENTAIRES Les pigments des Vertébrés appartiennent à 3 familles chimiques principales : 1. Les mélanines sont des polymères plus ou moins purs de produits d'oxydation de la tyrosine. Il en existe 2 types. L'homopolymère de tyrosine (eumélanine) est de couleur gris à noir. Les hétéropolymères de tyrosine-cystéine (phaeomélanines) sont de couleur rouge-orangé (cheveux et poils roux) pouvant aller jusqu'au jaune (duvet du poussin de la Poule domestique). Ces mélanines se présentent en grains (moins de 1 µm), les mélanosomes, dans le cytoplasme de cellules pigmentaires (mélanocytes). Les mélanosomes à eumélanine (eumélanosomes) sont en forme de bâtonnets à bouts arrondis (longueur 0,8 à 1 µm ; diamètre : 200 à 400 nm). Ceux à phaeomélanines (phaeomélanosomes) ont une forme sphéroïdale (longueur : 500 à 700 nm, voire 900 nm, diamètre : 300 à 600 nm). 2. Les caroténoïdes constituent une famille de pigments poly-isopréniques dissous dans des gouttelettes lipidiques. Leur coloration varie du jaune au rouge (Poisson rouge). 3. Les ptérines sont des hétérocycles azotés se présentant en granules de moins de 1 µm de diamètre (les ptérinosomes) responsables de certaines colorations jaunes ou rouges (Salamandre, Grenouille rousse). Ces différents pigments sont synthétisés et localisés dans des cellules spécialisées de la peau, les chromocytes (mélanocytes, lipophores, ptérinocytes). Les mélanocytes, de loin les plus nombreux, migrent vers la matrice du poil ou de la plume qu'ils vont colorer, s'y installent et transfèrent leurs mélanosomes aux kératinocytes voisins à l'origine de la future plume ou du futur poil par un processus de « sécrétion » incomplètement connu. B. LES COLORATIONS STRUCTURALES Elles résultent de deux types de phénomènes physiques : 1. La dispersion de la lumière au niveau de microstructures de cellules dermiques superficielles (microvacuoles, micelles colloïdales). 2. Des phénomènes d'interférence entre les lames parallèles de kératine de la couche cornée de l'épiderme, ou entre les faces parallèles de cristaux de guanine contenus dans des iridocytes dermiques. LES COLORATIONS DES VERTEBRES FOSSILES Les recherches de la coloration des Vertébrés fossiles ne permettent pas de faire réapparaître les colorations originelles disparues depuis une centaine de millions d'années (il n'y a plus aucune trace de pigmentation), mais elles permettent d'apporter des arguments chimiques ou structuraux à partir desquels, et en comparant avec les formes actuelles, on peut déduire la coloration de ces animaux avant leur mort. Les techniques utilisées pour retrouver ces colorations ne s'appliquent pas aux colorations structurales pigmentaires non mélaniques (caroténoïdes et ptérines). Seuls les mélanosomes, très résistants aux dégradations physiques et chimiques, peuvent être visualisés en microscopie à balayage à haute résolution de la surface des fossiles, et leur taille, leur forme, leur densité et leur distribution, par comparaison avec les formes actuelles, permettent d'en déduire leur coloration ou celles qu'ils induisent. Les plumes, par la multiplicité et la diversité de leurs structures secondaires (barbes et barbules), constituent un matériel plus adapté que les poils à la recherche de mélanosomes, ce qui explique que les recherches sur la pigmentation des Vertébrés fossiles se focalisent sur les Dinosaures à plumes du Jurassique supérieur (-145 Ma) et les tout premiers Oiseaux fossiles du Crétacé inférieur (-130 à 120 Ma) du NE de la Chine. 1. Structure des mélanosomes et restauration des colorations chez des Dinosaures Théropodes à plumes et des premiers Oiseaux fossiles. Ces recherches faites en microscopie à balayage à haute résolution de la surface de plumes utilisent la forme, la taille, la densité et la distribution des mélanosomes pour extrapoler leur couleur originelle. La présence d 'eumélanosomes est l'indice d'une coloration originelle plus ou moins grise à noire selon leur densité. Celle de phaeomélanosomes d'une couleur originelle brune. L'absence de mélanosomes (eu- ou phaeomélanosomes) peut signifier une absence de couleur originelle, mais aussi une couleur jaune orangé due à des caroténoïdes ou des ptérines présents à l'endroit observé chez l'animal vivant mais détruits par la fossilisation. La densité des mélanosomes est un indice de l'intensité de la coloration. Exemple de résultat de recherches sur la coloration par mélanosomes chez le Dinosaure Théropode Coelurosaurien à plumes : Anchiornis huxleyi du Jurassique supérieur (-145 Ma). Les plumes de contour sont grises et noires. Les rémiges ont des bandes blanches transversales. Les plumes des pattes sont noires avec une bande blanche longitudinale. La tête est noire avec une crête brun-rouge sauf à l'avant où elle est noire. La face a des mouchetures rousses. La queue n'est pas conservée. 2. Traces de métal comme bio-marqueurs de l'eumélanine et restauration des couleurs des premiers Oiseaux fossiles Tout récemment (septembre 2011) une équipe de 12 chercheurs de l'Université de Manchester a mis au point une nouvelle technique fondée sur le fait qu'un certain nombre d'ions métalliques lourds bivalents, biologiquement importants, comme Cu2+ (et à un moindre degré Ca2+, Co2+ et Zn2+) ont tendance à se fixer chimiquement (par chélation) à certaines molécules organiques comme l'eumélanine, en modifiant ses propriété chimiques et formant des complexes organométalliques dont le métal se conserve en place malgré la destruction de la molécule organique, voire du mélanosome, au cours de la fossilisation. Soumises au rayonnement X d'un synchrotron balayant la surface de fossiles entiers inclus dans leur gangue, ces traces de cuivre apparaissent faussement colorées en rouge par fluorescence. La cartographie de la répartition du cuivre dans le fossile donne donc celle de l'eumélanine, responsable de la coloration sombre du fossile. Afin de valider leur technique, les auteurs ont examiné en microscopie électronique à balayage plusieurs régions du même fossile et constaté que, dans les régions où le cuivre est concentré, les eumélanosomes sont très nombreux. Inversement, il n'y a pas ou peu d'eumélanosomes là ou le cuivre est en faible quantité ou absent. Exemple de résultats de recherche de la coloration des plumes de Confuciusornis sanctus, un des plus anciens Oiseaux sans dents et avec bec du Crétacé inférieur de Chine (-130 à -120 Ma) connus à ce jour. Exceptionnellement bien conservé, ce fossile ainsi traité, montre que l'animal vivant était sombre (très riche en cuivre), notamment dans les plumes duveteuses du cou. Mais les ailes étaient claires ou colorées par un autre pigment comme le carotène. Les plumes de la queue étaient assez sombres. Exemple de résultats de recherche de la coloration des plumes du Dinosaure Théropode Coelurosaurien Sinosauropteryx. La bande colorée sombre de la queue peut raisonnablement avoir exhibé des tons brun-rouge à marron. Pour le moment, cette technique ne permet de déceler que l'eumélanine de couleur gris-noir. Mais d'autres pigments pourraient avoir laissé des traces chimiques de leur présence, notamment les caroténoïdes, qui donnent leurs couleurs à de nombreux Oiseaux. 3. Distribution parallèle des eumélanosomes et coloration structurale iridescente par interférence Microraptor est un curieux Dinosaure Dromaeosauridé à plumes du Crétacé inférieur (-128 Ma) de Mandchourie (très proche de l'origine des Oiseaux) qui a exceptionnellement des rémiges sur les 4 membres et une très longue queue (3 fois la longueur du corps). Sa coloration est en grande partie noire du fait de la richesse en eumélanosomes des kératinocytes de ses plumes de contour, de ses rémiges et des plumes de la queue. Dans les cellules des barbules de la queue, les eumélanosomes sont toutefois anormalement longs (jusqu'à 1160 nm) et étroits (jusqu'à 211 nm). Ils sont disposés en paquets de nombreuses couches parallèles comme les microcristaux de guanine des iridocytes de certains Poissons actuels à l'origine de phénomènes d'interférence et de colorations irisées. La disposition des grands eumélanosomes dans les kératinocytes des barbules de la queue de Microraptor pourrait donc donner lieu de la même façon à des phénomènes d'interférence à l'origine de colorations structurales irisées. Conclusion. Les techniques utilisées actuellement pour retrouver les couleurs des Dinosaures à plumes du Jurassique supérieur (-145 Ma) et des tout premiers Oiseaux fossiles du Crétacé inférieur (-130 à -120 Ma) ont l'avantage d'être non-destructrices. Mais elles ont des limites qui ne permettent pas de reconstituer la totalité des colorations originelles de ces fossiles. Elles ne concernent actuellement que les colorations pigmentaires mélaniques, auxquelles peuvent se superposer des colorations structurales, d'où des résultats très partiels sur la vraie coloration de ces fossiles avant leur mort. Les Dinosaures Théropodes Coelurosauriens, ancêtres des Oiseaux comme Sinosauropteryx, Caudipteryx, Anchiornis avaient donc la capacité de produire des colorations du plumage blanche, grise, noire et brun-rouge. Si Steven Spielberg pensait réaliser une nouvelle version de Jurassic Park, il lui faudrait revoir la couleur très théorique de ses Dinosaures. Références 1-Fucheng Zhang, Stuart L. Kearns, Patrick J. Orr, Michael J. Benton, Zhonghe Zhou, Diane Johnson, Xing Xu & Xiaolin Wang. Fossilized melanosomes and the colour of Cretaceous dinosaurs and birds. Nature 463 (2010|) 1075-1078. DOI:10.1038/nature08740. 2-R. A. Wogelius, P. L. Manning, H. E. Barden, N. P. Edwards, S. M. Webb, W. I. Sellers, K. G. Taylor, P. L. Larson, P. Dodson, H. You, L. Da-qing & U. Bergmann. Trace Metals as Biomarkers for Eumelanin Pigment in the Fossil Record. Science 333 (no. 6049) (2011) 16221626. DOI: 10.1126/science.1205748. 3-Quanguo Li, Ke-Qin Gao, Qingjin Meng, Julia A. Clarke, Matthew D. Shawkey, Liliana D’Alba, Rui Pei, Mick Ellison, Mark A. Norell & Jakob Vinther. Reconstruction of Microraptor and the Evolution of Iridescent Plumage. Science 335 (no. 6073) (2012) 1215-1219. DOI: 10.1126/science.1213780.