L`intelligence marketing au service de la co
Transcription
L`intelligence marketing au service de la co
L’intelligence marketing au service de la co-innovation : le rôle clé des communautés stratégiques de connaissance. Anne KRUPICKA Nicolas MOINET [email protected] [email protected] Laboratoire CEREGE EA1722– IAE de Poitiers Bât E1 TSA 61116 20, rue Guillaume VII Le troubadour – 86073 POITIERS CEDEX 9 Résumé : La co-innovation, est une démarche d’innovation qui s’appuie sur le partage, la coopération entre divers partenaires de l’entreprise ou parties prenantes, dont le consommateur fait partie. L’objet de la présente communication est d’explorer la co-innovation en train de se faire au travers de deux cas de PME afin de comprendre comment se conçoit l’innovation ouverte pour identifier quelques facteurs de réussite d’une telle démarche. Ce qui caractérise les deux cas étudiés, c’est la démarche d’intelligence marketing qu’elles ont développé, chemin faisant et par la pratique, afin de replacer le client au centre de leur processus d’innovation. Et il en ressort que l’élément déterminant de leur réussite dans cette démarche est la création de communautés stratégiques de connaissance. Mots-clés : co-innovation, intelligence marketing, intelligence économique, communautés stratégiques de connaissances, PME, relation-client. 1 L’intelligence marketing au service de la co-innovation : le rôle clé des communautés stratégiques de connaissance. Introduction La co-innovation, aussi connue sous l’appellation open innovation (innovation ouverte), a fait l’objet de nombreux articles depuis le début des années 2000, notamment grâce au programme Connect & Developp développé par Procter & Gamble (Huston et Sakkab, 2006). Cette démarche d’innovation s’appuie sur le partage, la coopération entre divers partenaires de l’entreprises ou parties prenantes, dont le consommateur fait partie. Dans certains cas, la participation de ce dernier est si grande que l’on parle d’innovation consumer made. Bien qu’elle soit de plus en plus répandue dans la pratique, la co-innovation n’est pas sans soulever quelques interrogations voire quelques réticences de la part des industriels comme des académiques, notamment en ce qui concerne les conditions de réussite d’une telle démarche (LeNagard et Reniou, 2013). L’objet de la présente communication est d’explorer la co-innovation en train de se faire au travers de deux cas de PME afin de comprendre comment se conçoit l’innovation ouverte pour identifier quelques facteurs de réussite d’une telle démarche. Dans une première partie, il importe de présenter une acception de l’innovation en tant que processus réticulaire, ouvert et en évolution dont le point de départ est la conception. De plus, une définition de l’Intelligence Marketing s’impose dans la mesure où il s’agit d’une démarche à l’intersection entre l’Intelligence Economique et le Marketing stratégique. Une seconde partie présente les deux études de cas traitées : la Maac et Domalys. Ces deux entreprises ont su adopter une démarche d’Intelligence Marketing afin d’intégrer le client dans leur démarche de coinnovation. L’analyse des deux cas permet de comprendre le rôle déterminant joué par la démarche d’Intelligence Marketing mise en œuvre pour la création de communauté stratégique de connaissance essentielle à la réussite de ces co-innovations. I. L’intelligence marketing au service de l’innovation Akrich, Callon et Latour (1988), considèrent l’innovation comme un processus complexe et non linéaire à l’avenir incertain. Sa conception adopte un processus tourbillonnaire engendré par un 2 réseau d’actants (pour reprendre le terme de Callon, 1986 qui englobe les acteurs humains et non humains) en interaction où ajustements et jeux de pouvoir permettent de faire évoluer le projet sous l’effet de porte-paroles. Ainsi, qu’elle soit initiée par une ou plusieurs organisations, l’innovation est nécessairement conçue en collaboration et en considération d’autres actants socialement et institutionnellement situés (Krupicka et Coussi, 2015). De plus, le client est souvent au cœur de ce processus de conception, notamment parce qu’il en est destinataire. Souvent représenté par des porte-paroles internes à l’entreprise que sont les chefs de produits, le client est effectivement à l’œuvre dans le processus de conception de l’innovation Consumer Made. C’est parce que l’innovation est un processus en évolution que S. Kline et N. Rosenberg (1986) ont proposé un modèle qui met au centre de l’innovation un processus longtemps mis à la marge par les économistes : le processus de conception. La conception est au cœur du processus d’innovation, et, sous certaines conditions, l’activité de conception va se doter de raisonnements, d’une organisation et de critères de performances favorisant l’émergence d’une innovation, comme le montrent Le Masson, Weil et Hatchuel (2006). Ils montrent, par ailleurs, que la notion de connaissance constitue un élément central de cette activité de conception innovante qui va, non seulement mobiliser des connaissances existantes, mais aussi étendre ces connaissances allant jusqu’à en créer de nouvelles : c’est ce qu’ils nomment « les capacités d’expansion » de l’activité de conception. Ainsi, l’innovation apparaît comme un processus de conception donnant naissance à un réseau dynamique qui va favoriser la création de connaissances et bien plus encore l’apprentissage au travers d’interactions entre les différents acteurs humains et non-humains du réseau émergent. Cette notion de partage et création de connaissance constitue un élément fondamental en intelligence économique, notamment au travers des communautés stratégiques de connaissance. François et Levy (2003) ont montré les grands traits qui distinguaient, et ceux qui liaient, Intelligence économique et marketing. Il semble aujourd’hui opportun de développer le concept d’intelligence marketing, interaction entre une discipline, le marketing, et le concept polymorphe d’intelligence économique. Le terme Marketing Intelligence remonte à 1961 et a été développé par William T. Kelley (1965), pour aider les top-managers des entreprises américaines à mieux gérer les informations potentiellement stratégiques pour évoluer sur leurs marchés. Il s’agit de répondre à un besoin de sélectionner, prioriser, mettre en valeur et surtout donner du sens à des informations efficientes, parmi pléthore d’informations issues de diverses sources, qu’elles soient 3 ouvertes, blanches, grises ou noires dans de rares cas. La catégorisation des flux d’information est primordiale dans la démarche d’intelligence marketing et on distingue les flux externes, constitués de flux sortants et sous contrôle relatifs de l’entreprise comme les flux internes. Les flux d’information extérieurs peuvent être sortants, tels que la communication d’entreprise sous toutes ses formes, mais aussi être entrants, tels que l’information sur les marchés et issus des différentes études terrains menées par les services ou consultants de l’entreprise, ou encore les informations économiques. Les flux d’information internes, quant à eux, surviennent au sein même de l’entreprise, de manière formelle ou informelle, dans quatre directions qui peuvent être : ascendantes, descendante, dans les deux sens ou horizontale (c’est le cas notamment au sein des groupes de projet). La fluidité de la circulation de l’information va très largement dépendre de l’organisation et de la structuration de l’entreprise. La circulation de l’information transversale ne suffit pas, l’ensemble des informations issues des études économiques, des études de marché, les informations relatives au marché, les données administratives et internes vont devoir être vérifiées, validées puis traitées de manière à rendre intelligible l’information efficiente pour qu’elle devienne intelligente (stratégique). Ainsi, Competitive Intelligence et Market Intelligence ont nécessité la création de directions dédiées à l’intelligence service au sein des entreprises américaines dès le milieu des années 60’s. Il faut avouer que la culture de l’information et des connaissances en entreprise était plus répandue aux Etats-Unis ou au Japon, qu’en France et cela pour des raisons historiques. François et Levy (2003) rappellent à ce propos que l’intelligence économique résulte d’une réflexion géoéconomique, dans les années 90, concernant la compétitivité nationale, consistant à renforcer la compétitivité des entreprises afin de bénéficier à la puissance nationale du pays. Deux nations ont su rapidement mettre en œuvre des systèmes dans lesquels l’information était perçue comme un outil d’aide à la décision et comme arme d’influence et parfois de déstabilisation : les Etats-Unis et le Japon. La particularité de ces deux nations est que la veille économique et technologique constitue une préoccupation commune des grands acteurs économiques, politiques et administratifs. Dans ces pays, comme en France, les activités d’intelligence économique ne se limitent pas uniquement à la veille (qu’elle soit commerciale, concurrentielle, technologique ou environnementale, dans ses dimensions passive, active ou offensive comme l’indiquent Lendrevie et Lindon, 2000), mais s’étend à la protection des informations sensibles (Martre, 1994), en passant par des pratiques de management des connaissances, notamment au travers de 4 la création de communautés stratégiques de connaissance, à l’instar des organisations japonaises (Fayard, 2006). Ainsi, pour devenir une puissance économique mondiale, et avec une forte volonté d’indépendance, le Japon a élaboré et mis en œuvre des stratégies au moyen d’un dispositif intelligent d’acquisition-intégration de l’information. Walt Shill, un associé du cabinet de conseil en stratégie Mac Kinsey, explique que si les compagnies de commerce japonaises ont pris au milieu des années 90 un avantage sur les entreprises américaines dans les échanges commerciaux avec la Chine, c’était avant tout grâce à leur market intelligence capability (The Journal of Commerce Knight-Rider/Tribune Business News - Tokyo, by Mark Magnier, 02/07/95). Cependant et bien que la France ait fait de l’intelligence économique une politique publique, le terme d’intelligence marketing est relativement récent en France, et les auteurs privilégient une présentation de l’intelligence économique comme outil de marketing plutôt que de définir l’intelligence marketing en tant que telle, comme une hybridation de ces deux disciplines au service de la prise de décision de l’entreprise dans une approche systémique des marchés et des décisions marketing. En effet, l’intelligence marketing peut se définir à l’intersection entre l’intelligence économique et le marketing, ce dernier ne pouvant alors être réduit à des études de marchés. Et ces deux approches se complètent bien pour donner une vision plus systémique des marchés, de ses acteurs et des moyens d’interagir avec eux. En effet, ce qui caractérise l’intelligence économique c’est tout d’abord son approche conceptuelle, car si elle part d’un besoin d’information bien défini, il s’agit plutôt de rechercher des concepts avec une certaine sérendipité 1. De plus, l’étendue de son spectre est bien plus large, macroscopique, voire global et intègre l’environnement au sens large, comprenant aussi des acteurs qui pourraient sembler éloignés du marché, mais exerçant sur lui une influence quasi-invisible. Ainsi, sera-t-il plus aisé de comprendre le marché, les forces qui s’y exercent, mais aussi et surtout les changements survenus, en action ou à venir grâce une approche historique et longitudinale des données collectées et traitées en continu dans un souci de vérification et de recoupement permettant une vision à 360 degré du marché et de l’entreprise. Car l’intelligence économique est non seulement globale, mais aussi transversale et va rechercher l’information tant à l’extérieur de l’entreprise qu’à l’intérieur de ses murs pour évaluer les ressources, compétences et capacités à fédérer de l’organisation. De la démarche historique, 1 Du terme anglo-saxon serendipity qui caractérise le fait de trouver autre chose que ce que l’on venait chercher au départ, plus communément adopté pour indiquer la capacité à découvrir de nouvelles choses sans préjugés 5 l’intelligence économique va aussi emprunter le sens qui sera donné aux informations, majoritairement ouvertes et issues de données secondaires, traitées pour les rendre intelligibles à ses cibles de communication afin de créer des connaissances qui seront partagées. L’intelligence économique va aider à la prise de décision, elle n’est dans l’action que dans la veille offensive ou plus généralement ses activités d’influence, très utile sur les marchés, pour agir sur des variables que les modèles marketing ne sont pas en mesure de quantifier. Le marketing quant à lui, ne peut se résumer aux études de marchés en matière d’information, notamment dans le processus de conception des innovations. Le besoin d’information ici est plutôt instrumental dans la mesure où il s’agit de rechercher une information précise. Le travail d’investigation est différent et adopte des méthodologies plus objectives, tant dans la collecte que le traitement des données, souvent primaires, correspondant à des informations relativement simples et ponctuelles. Le spectre du marketing est plus micro-économique et s’intéresse de manière approfondie aux acteurs qui vont avoir une incidence plus directe sur le marché et ses changements, tout particulièrement au niveau de l’offre, de la demande et des réseaux de distribution ou de médiation. En marketing, collecte et traitement de l’information sont une affaire de spécialistes, de même que les décisions et actions qui seront déployées. De plus, la digitalisation des données clients et des usages des consommateurs offre d’importantes opportunités aux praticiens du marketing de mettre la gestion de la relation client au cœur de l’intelligence marketing, non seulement dans la reconstitution des parcours de clientèle, mais aussi dans la remontée d’information, et l’implication des consommateurs dans la conception des produits voire de la création de bases de données. Cependant, si l’information client augmente, ce n’est pas pour autant que l’entreprise connaît mieux son consommateur, car pour se faire il manque un élément que la digitalisation a du mal à créer, c’est la communication et l’interaction humaine indispensables pour créer de véritables liens. C’est à ce niveau que l’intelligence marketing prend tout son sens, non seulement parce qu’elle enrichit les techniques marketing de l’approche plus évolutive et relationnelle de l’intelligence économique, mais, aussi et surtout, parce qu’elle laisse la place à l’intuition, la compréhension et l’empathie pour que la communication se réalise effectivement. 6 Les deux cas présentés ici sont caractéristiques de cette démarche d’intelligence marketing qui, tout à la fois, se nourrit et enrichit la relation client dans la conception de produits nouveaux au travers de communautés stratégiques de connaissance. II. L’intelligence marketing en action : les cas Macc et Domalys Avant d’aborder les fondements théoriques des communautés stratégiques de connaissance, il convient de présenter deux cas de PME qui ont su mettre en œuvre des démarches d’intelligence marketing, soit parce que le dirigeant avait eu une expérience professionnelle aux Etats-Unis, soit parce qu’il fallait appréhender un nouveau marché, avec un nouveau produit à partir d’un terrain vierge pour l’entreprise. Ces démarches d’intelligence marketing dans la pratique permettes d’illustrer et d’introduire les communautés stratégiques des connaissances permettant de nouer une relation clientèle plus humaine au service, pour et par, des clients. La Macc En 1946, Georges Lavrard crée la Manufacture d'armes et cycles de Châtellerault (Maac), qui commercialise des fusils de chasse et des machines à coudre. Au début des années 60, l'arsenal déménage pour Tulle et l'usine ferme ses portes. La société doit donc se réorienter et… surtout innover. À partir d'une idée que lui propose un inventeur, le patron de la Macc imagine une échelle multiusage : l'Uni-verchelle. Les artisans du bâtiment sont les cibles d’un produit novateur commercialisé par des représentants en camionnettes de démonstration. Toujours en service, celles-ci vont devenir le cœur du dispositif d’intelligence marketing au service de l’innovation. Car à la même époque, Michel Susset intègre l'entreprise. Atypique, le futur patron de la Maac a débuté sa carrière comme inspecteur des Finances. Très vite, il s’est ennuyé, considérant que cette activité s’apparentait à un travail d’enquête trop basique. Après trois ans, il part étudier le marketing à Harvard puis entame une carrière de consultant aux Etats-Unis, essentiellement pour les grands groupes (Procter et Gamble, etc.). De retour en France, il participe à l’élaboration du premier cycle de formation marketing à l’Université Paris-Dauphine et rejoint la Maac. A l’époque, l’originalité de Michel Susset tient à sa conception du rôle de la culture de 7 l’information dans un cadre industriel traditionnel. Selon lui, une entreprise ne peut pas vivre isolée. Si elle n'a pas constamment les yeux et les oreilles dirigés vers l'extérieur, c'est terminé. Le dispositif mis en œuvre par l’entreprise se fonde alors sur : une perception des menaces et des opportunités liées au marché du bâtiment et travaux publics ; une culture de l’innovation, élément de survie de l’entreprise ; la conviction personnelle que l’information est un instrument de développement pour son entreprise. L’innovation, élément moteur de l’entreprise, est une source importante de développement mais aussi un risque permanent à gérer en cas d’erreur. Comme toute PME, la Maac ne pourrait supporter financièrement des échecs répétés. Aussi, l’entreprise doit-elle s’assurer que les décisions d’investissement qu’elle compte prendre, répondent effectivement aux besoins des clients. Ce besoin ajouté à celui de conquête de nouveaux marchés exige des renseignements sur les matériaux à utiliser, l’adaptation des produits à un autre contexte culturel (export), les stratégies concurrentielles, les prix des matières premières, etc. Ce qui handicape les PME, c’est moins la difficulté de mise en place du système que la perception qu’en ont ses dirigeants. La culture du chef d’entreprise est donc ici décisive. C’est lui qui impulse la dynamique et en assure la cohérence et le suivi. Pour Michel Susset, il suffit d’opter pour un management participatif et de prendre une posture d’humilité, d’ouverture et de bon sens. Des enquêteurs du département Recherche-Développement ont ainsi pour mission de mener des enquêtes de terrain. Grâce à des questionnaires et des observations sur les chantiers, ils détectent les besoins explicites ou implicites des artisans. Ces enquêtes fournissent de précieuses idées d’amélioration des produits. De même, les membres de l’entreprise ont été encouragés à s’intégrer dans les principaux réseaux institutionnels locaux. Appartenir à ces réseaux est utile du fait de la variété des échanges. Idem pour les clubs d’entreprise. Mais malgré les efforts consentis sur la recherche, la Maac a vite compris que la clé du succès de son système se situait au niveau du traitement des informations. Chaque semaine, des dossiers les idées exprimées par les clients sont regroupées dans des dossiers qui sont archivés mais surtout 8 finement analysés. La fréquence des idées permet de diriger les enquêtes dans des directions plus précises. Le système d’intelligence marketing procède donc par accumulation et traitement d’informations éparses. Les informations internes circulent grâce à des flashs qui recensent tous les points essentiels : sur l’activité de l’entreprise (décisions, réunions, etc.), sur le personnel (départs, arrivées, naissances, etc.) ou sur les produits. Une bonne circulation de l'information s’affirme comme un bon moyen de combattre la "réunionnite". Afin de renforcer la cohésion interne, le créateur du dispositif a souhaité que la diffusion s’étende à l'ensemble du personnel, y compris administratif. Les améliorations de produits sont également présentées aux distributeurs de sorte que les utilisateurs sachent dans quel cadre elles ont été apportées. Pour atteindre un tel résultat, Michel Susset avait souhaité insister sur la simplicité du dispositif. Lors des réunions hebdomadaires, les responsables d’activités de l’entreprise abordent tous les problèmes touchant à la vie de l’entreprise sur place et sans procédure compliquée et coûteuse. Ainsi, lorsqu’un employé chargé de la production signale une difficulté de fabrication, les responsables de la R&D peuvent réagir et ajuster très vite leurs plans. Tout le monde peut ainsi réagir, compléter et surtout apprendre. Ainsi, pour diffuser la culture collective de l’information dans l’entreprise, le fondateur du dispositif a, durant une vingtaine d’années, exposé pendant vingt minutes un principe de marketing et de management en profitant de la réunion hebdomadaire. Lorsqu’un employé est à l’origine d’une innovation brevetable, la demande de brevet est effectuée en son nom. Il perçoit alors un pourcentage sur le chiffre d'affaires. De même, les camionnettes des commerciaux sont un excellent moyen de récupérer des idées d’innovations auprès des clients qui seront les premiers à en bénéficier. Cette co-innovation est également un moyen de les fidéliser. Depuis l’expérience fondatrice réussie d’Uni-verchelle, la Macc propose, toujours à la même clientèle - les artisans du bâtiment - une cinquantaine de familles de produits et en moyenne deux nouveautés par an. Le patron de la Macc aimait à répéter qu'il était " l'impresario des inventeurs ". Et son objectif reste de simplifier la vie de l'artisan . 9 Domalys Né en 2013 d’un regroupement de quatre PME/PMI du sud de la Vienne (86), VMS (fabricant d’éléments alu pour le bâtiment), Trametal (spécialiste de réalisations en tôlerie fine), Néau-plast (injection et extrusion plastique) et Métaléo (Bureau d’études). Métaléo est un sous-traitant spécialisé dans le développement, la conception, l’industrialisation, la fabrication et la logistique de pièces pour l’industrie du bâtiment et l’automobile. L’origine de ce regroupement remonte à la crise économique de 2007 qui, par voie de conséquence, touche les secteurs du bâtiment et de l’automobile. Afin d’assurer leur survie, ces entreprises prennent conscience qu’elles ne peuvent plus demeurer de simples sous-traitants mais devenir des producteurs à part entière. Métaléo fait appel au cabinet de Conseil G.P.S. afin de réaliser une étude prospective et une analyse métier dans le but de déterminer les secteurs d’activités porteurs et d’avenir correspondants aux capacités, aux ressources et savoir-faire du groupement. Cette étude à large spectre a identifié un secteur pouvant constituer de nouveaux débouchés pour Métaléo : le marché de l’équipement médico-social, et plus particulièrement celui des centres d’accueil pour personnes âgées (EHPAD, maisons de retraite). Fort de ces conclusions, Arnaud Brillaud, dirigeant de Métaléo se rend au forum Futurallia, organisateur de speed meetings entre entrepreneurs internationaux à la recherche de nouveaux partenaires sur la base des besoins et attentes. Lors de ce forum, il fait la connaissance de Madame Mallard, dirigeant de la SARL Mallard à Pouzauges (85), spécialisée dans les panneaux de particules bois pour l’aménagement intérieur et le mobilier des collectivités, à la recherche d’un fabricant d’objets en métal et souhaitant également sortir d’un business model de soustraitance pour devenir producteur à part entière. Les deux entités apprennent alors à travailler ensemble sur quelques produits, notamment des tables, avant d’envisager de collaborer sur un projet de table amovible adaptable et adaptée aux chambres de maisons de retraites. Etant, l’un comme l’autre, novices sur ce marché, Monsieur Brillaud et Madame Mallard décident de mener des entretiens afin de mieux connaître les besoins et attentes des personnels soignants des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et surtout connaître les contraintes ils étaient confrontés au quotidien dans leurs pratiques. Ces entretiens ont permis d’identifier un certain nombre de contingences matérielles, ergonomiques, fonctionnelles et esthétiques qui avaient un impact non seulement sur le travail des personnels 10 d’entretien, de soin et de santé, mais aussi sur le confort, le moral et le bien-être des résidents. Conscients de leurs limites en matière de connaissances spécifiques, Monsieur Brillaud et Madame Mallard décident de concevoir des mobiliers en collaboration avec ces personnels soignants (ergothérapeutes, aides-soignants, kinésithérapeutes, psychologues, mais aussi cadres infirmiers et directeurs d’établissements) afin d’améliorer la qualité de vie non seulement des personnels au travail, mais aussi et surtout des résidents. Des tables rondes sont organisées pour trouver des solutions techniques et développer les concepts produits. Parallèlement à cela, le cabinet de conseil identifie un appel à projet de la Direction Générale de la Compétitivité qui va permettre de formaliser le processus de conception des produits et affiner la mission du groupement d’entreprises qui deviendra Domalys au fur et à mesure que l’offre va se préciser. L’appel à projet consistait à proposer des solutions pour faciliter le quotidien des personnes âgées, solutions qui devaient contenir un volet domotique. Cette contrainte a permis à Domalys de se rapprocher de PME ayant ces compétences, et surtout de progresser dans les solutions envisageables grâce à l’intégration de cette technologie à leurs concepts de produits. La solution envisagée était de créer un mobilier sans pied, modulaire (en fonction des besoins des dirigeants d’établissements et des résidents, évolutifs) appelé cimaise, qui serait un moulure décorative profilée, multi-fonctionnelle, faisant le tour de la pièce servant à la fois de main courante facilitant le déplacement des résidents, de fixation pour divers mobiliers ou encore supports pour des objets personnels tels que les cadres. L’encombrement de la pièce était ainsi limité, et les soins comme l’entretien étaient facilités, l’intégration de la domotique permettait d’améliorer la connectique et la sécurité du module. Cependant, les tables rondes vont révéler des problèmes de sécurité, et d’esthétisme : il fallait créer ce mobilier qui n’existe pas à partir de modules respectant les contraintes ergonomiques, techniques et esthétiques qui incombent. Ainsi, Domalys fit appel à un cabinet de design afin de dessiner les contours d’une offre simplifiée, esthétique, modulable et pratique, contenue dans une tête de lit. Une organisation en étoile va être créée pour ce projet avec : une branche technique chargée de la réalisation du produit, constituée des équipes du bureau d’étude, des ingénieurs de chacune des PME et du designer ; 11 une branche stratégique et marketing constituée d’un cabinet spécialisé en stratégie de marque, un chercheur de l’université et un stagiaire en marketing ; une branche de test concept, constituée des praticiens en EHPAD ; Au centre de l’étoile, Monsieur Brillaud et Madame Mallard sont les chefs d’orchestre de ce projet qui remporte rapidement des prix en design et en innovation. La particularité des deux cas étudiés ici réside, non seulement dans le caractère collaboratif du processus de conception de l’innovation, mais aussi et surtout dans l’usage d’outils marketing combinés à une démarche d’intelligence économique. La Macc s’appuie sur une gestion très fine de la relation clientèle pour détecter les besoins et attentes de ses clients qui participent à la démarche d’innovation. Sa démarche d’intelligence économique est relativement complète dans la mesure où elle a mis en place un système de veille technologique et concurrentiel, tout en cultivant et exploitant sa présence dans des réseaux socio-économiques locaux et/ou stratégiques. Pour autant, elle ne s’affranchit pas complètement d’une démarche de conception traditionnelle dans la mesure où elle accompagne chacun de ses projets d’études de marché et de soutien commercial au lancement. Domalys quant à elle a changé de secteur d’activité, mais pas de métier, grâce à une étude prospective qui l’a amené à passer des véhicules électriques au mobilier pour maisons de retraite. Dans la mesure où le secteur d’activité était totalement nouveau pour elle, l’entreprise a dû s’appuyer sur les compétences et les connaissances des partenaires les plus pertinents sur ce nouveau marché, à savoir un partenaire issu du secteur du meuble, et les futurs usagers, professionnels de l’accompagnement gériatrique. Si les capacités à identifier et mobiliser les ressources dont ces deux entreprises avaient besoin pour innover se sont avérées cruciales, ce qui apparaît comme déterminant dans la réussite de ces démarches de conception de l’innovation est sans conteste la création de communautés stratégiques de connaissance (Fayard, 2006) dont le rôle a été décisif. Discussion et conclusion Le mode de fonctionnement en communauté stratégique de connaissance tend à détendre, voire à dissoudre les limites physiques de l’organisation au profit de projets collaboratifs où entrent en synergie d’autres acteurs, compétences et sources d’information sur un front de création de 12 connaissances opérationnelles. Cette porosité dynamique de l’organisation apparaît comme une condition essentielle de l’agilité stratégique. Dans ce cadre, seule une démarche réfléchie de communication permet la constitution d’une communauté stratégique de connaissance (explicite comme implicite) nécessairement orientée vers l’action. Tel est le sens du passage d’un management de l’intelligence économique à un management par l’intelligence économique. Celui-ci implique que la dynamique d’intelligence économique se diffuse (sans se dissoudre) dans les pratiques managériales et l’organisation. Ce n’est alors plus la logique planificatrice qui prévaut ni la vision technique du renseignement, mais bien celle de l’apprentissage organisationnel et du « sensemaking ». Dans des environnements toujours plus incertains et turbulents, la vieille organisation pyramidale s’efface au profit de l’organisation en réseau : le contrat l’emporte sur la contrainte, la responsabilité sur l’obéissance, le désordre sur l’ordre, le risque partagé sur la limitation du hasard, le projet sur la discipline, l’enjeu sur l’objectif quantifié, enfin l’information co-élaborée et échangée sur l’information diffusée et contrôlée. L’organisation pyramidale reposait sur un système d’information également pyramidal conçu pour contrôler la mise en œuvre de la planification. Redessinée sous forme de réseau, l’organisation s’insère dans un tissu de relations entre acteurs et environnement qu’elle transforme tout en étant elle-même transformée. Dans ce nouveau contexte où il faut être en perpétuel mouvement et innover sans cesse, la connaissance joue un rôle moteur. Mais encore faut-il un dispositif adéquat. Car la connaissance est un processus cumulatif si on a la capacité de l’exploiter. Il est ainsi nécessaire de mettre en évidence la connaissance explicite, de la mémoriser et de la capitaliser (la connaissance ne s’use que si l’on ne s’en sert pas). Mais à côté de l’explicite, il est tout aussi essentiel de traquer la connaissance tacite et de permettre le passage d’un type de connaissance vers l’autre (Nonaka, 1998 & 2001). Dès lors, manager les connaissances impliquera de les formaliser en veillant à ne pas les rigidifier et à ne pas freiner la créativité. C’est l’idée d’intelligence collective où le tout est supérieur à la somme des parties. Une évidence ? Ce mode d’organisation ne va pas de soi dans une culture managériale française qui reste encore marqué par une prédominance des flux verticaux et ce n’est pas un hasard si les modes d’organisation les plus novateurs se développent dans des PME moins marquées par le système de formation des élites français. Ainsi, analysant depuis longtemps le blocage de la 13 société française et sa cause première, le processus de décision d’élites qui fonctionnent en vase clos, Michel Crozier n’hésite pas à parler de crise de l’intelligence : « Le mépris à l’égard du travail collégial, des commissions de travail et des négociations est très fort dans notre pays. La logique du changement me semble devoir s’appuyer sur deux conditions principales : l’écoute d’une part, la délibération ensuite... Cela suppose d’impliquer les personnes, de faire émerger les problèmes et créer les conditions d’un dialogue... Ces échanges et négociations vont faire naître des opportunités, des comportements nouveaux... C’est ce qui se passe en Suisse, ou au Japon. Dans ces pays, le consensus n’est pas une donnée culturelle mais une construction qui passe par de nombreuses instances de concertations et de délibérations...» (Crozier, 1995). Ikujiro Nonaka ne dit pas autre chose lorsqu’il développe le concept de Ba, abordé en occident à travers la notion de communauté stratégique de connaissance. Pour lui, le mode de fonctionnement en communauté stratégique de connaissance tend à détendre, voire à dissoudre les limites physiques de l’organisation au profit de projets collaboratifs où entrent en synergie d’autres acteurs, compétences et sources d’information sur un front de création de connaissance opérationnelle. Cette porosité dynamique de l’organisation apparaît comme une condition essentielle de l’agilité stratégique. La philosophie du Ba, explique Pierre Fayard (2006), est en rupture avec une idée de création de connaissance de manière individuelle, autonome et en dehors d’interactions humaines. Il s’agit au contraire d’un processus dynamique et ouvert qui dépasse les limites de l’individu ou de l’entreprise et qui se concrétise au travers d’une plate-forme où l’on use d’un même langage commun au service d’objectifs communautaires et rassembleurs. Le partage, l’échange et la qualité des relations entre les différents membres sont indispensables pour donner au groupe ou à l’entreprise toute sa force. Evoquée bien sûr, effleurée sans doute mais rarement intégrée, la communication est longtemps restée le parent pauvre des pratiques d’intelligence économique quand l’analyse communicationnelle apparaît comme la grande absente des recherches en marketing. Pourtant, c’est bien elle qui donne corps à l’intelligence marketing et lui permet ainsi d’être effectivement au service de la co-innovation. Bibliographie : 14 Akrich M., Callon M. et Latour B. (1988), « A quoi tient le succès des innovations.», Gérer et Comprendre Annales des mines, 11, 4-17. Cova, B. (2008). « Consumer Made: quand le consommateur devient producteur ». Décisions marketing, 19-27. Crozier, M. (1995), La crise de l’intelligence. Seuil. Fayard, P. (2006). Le réveil du Samouraï-Culture et stratégie japonaise dans la société de la connaissance: Culture et stratégie japonaise dans la société de la connaissance. Dunod. François, L., et Levy, J. (2003). « L'intelligence économique, outil de marketing: un enjeu organisationnel ». Market Management 1/2003 (Vol. 3) , p. 3-24. Kelley, W. T. (1965). “Marketing intelligence for top management”. The Journal of Marketing, 19-24. Kline, S.J. et Rosenberg N. (1986). “An overview of innovation.” In R. Landau & N. Rosenberg (eds.), The Positive Sum Strategy: Harnessing Technology for Economic Growth, Washington, D.C.: National Academy Press, 275–305. Krupicka, A. et Coussi O. (2015). « Les proximités à l’œuvre dans un projet de dispositif institutionnel d’accompagnement de l’innovation « en train de se faire ». 8eme journées internationales de la proximité, Tours. Masson P., Weil B. et Hatchuel A. (2006), Les processus d’innovation, conception innovante et croissance des entreprises, ed. Hermès Lavoisier, Paris. Le Nagard, E., et Reniou, F. (2013). « Co-innover avec les clients: entre intérêt et réticence pour les entreprises grand public ». Décisions marketing, (71), 59-75. Moinet, N. (2009). L'intelligence territoriale entre communication et communauté stratégique de connaissance: l'exemple du dispositif régional de Poitou-Charentes. Revue internationale d'intelligence économique, 1(1), 30-38. Nonaka, I. (1998). « The concept of "Ba" : Building a Foundation for Knowledge Creation », in California Management Review, vol. 40, n°3. Nonaka I., Teece D. (2001). Managing industrial knowledge. Creation, transfer and utilisation, London, Sage Publication. 15 Peillon, S., Boucher, X., et Jakubowicz, C. (2006). « Du concept de communauté à celui de «ba» Le groupe comme dispositif d'innovation ». Revue française de gestion, 163(4), 73-90. 16