Interview d`Alexandre Jardin. Fanfan 2

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Interview d`Alexandre Jardin. Fanfan 2
Interview d’Alexandre Jardin.
Fanfan 2
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Pourquoi cette expérience ? D’ailleurs, en est-ce une ou bien voyez-vous cela comme une
nouvelle étape dans l’écriture?
Alexandre Jardin : C’est bien une expérience, mais grandeur nature ! Il est bien sûr possible
de la mener dans notre coin, mais nous sommes à un moment de l’histoire du livre où il faut
que ce genre d’essai soit mené dans la rue, sur l’ensemble des réseaux.
Je suis surtout excité par le fait que cette nouvelle technologie (dixit : le roman numérique)
permette de mélanger fiction et réalité. L’arrivée massive des smartphones va me permettre de
raconter des histoires tout en immergeant le lecteur dans une fiction qui ne le quittera plus.
Lorsque vous allez au théâtre, vous acceptez de vivre une histoire qui se déroule sur plusieurs
jours ou années, mais condensée dans une heure et demie de récit, cependant, le roman
numérique permet de concevoir des fictions dans l’instantané afin de faire disparaître la
frontière entre la fiction et le réel. C’est une opportunité historique.
Bien entendu, je vais continuer à écrire des livres papier, car si le numérique permet certaines
choses, le papier en permet d’autres.
Mais ne risque-t-on pas de perdre le lecteur en abolissant cette frontière ? Arriveront-ils
à faire la différence entre fiction et réel ?
AJ : J’ignore totalement quelles vont être les pratiques de lecture. Il y aura des gens qui
seront accros, d’autres qui reviendront de temps en temps. Il est difficile de savoir, à ce stade
de l’aventure, comment les lecteurs vont appréhender ce genre d’histoires. Lorsque le héros
informe qu’il fera une surprise à FanFan à 15h35, regarderont-ils leurs smartphones dès la
mise en ligne (et depuis le bureau) ou attendront-ils de rentrer chez eux le soir afin de
découvrir l’histoire d’une traite ? Peut-être que les générations actuelles refuseront le temps
réel. C’est impossible à savoir… (rires.)
À partir de la sortie de la version poche de FanFan2 (le 27 octobre jusqu’en mai 2011),
les lecteurs pourront suivre la suite de l’histoire. Comment avez-vous fait pour imaginer
un récit d’une telle longueur ?
AJ : Je dois vous avouer que lorsque j’ai signé avec Orange je n’avais pas imaginé l’ampleur
de la chose ! Comment vais-je y arriver ?! (rires) Le volume à écrire est lourd. Mais on est
rapidement pris par son propre récit. J’ai moi-même envie de savoir ce que pensent les
personnages, de les faire interagir par le biais de mail, de SMS, etc. Le volume a rapidement
dépassé ce que nous avions prévu avec l’équipe. Et cela, sans même prendre en compte les
futurs avis des lecteurs. Il est fort possible que les internautes se prennent au jeu, interviennent
dans le récit et proposent des idées que nous pourrons ensuite intégrer dans le cours du récit.
Le pari est de faire vivre un personnage en même temps que le lecteur. Le héros lira les
journaux, réagira face à l’actualité, sera victime d’insomnies… C’est un vrai récit en temps
réel.
Vous êtes considéré comme un pionnier dans cette nouvelle branche de l’écriture.
Souhaitez-vous être rapidement rejoint par les autres écrivains ?
AJ : Les autres écrivains, tout ce que je souhaite, c’est qu’on en parle. Si le concept prend —
ce que nous ignorons encore —, il va falloir venir. Il va falloir que l’on investisse le terrain.
C’est très important pour la culture et pour la qualité de notre langue. C’est le job des gens de
« mots » d’arriver dans le numérique avec leur langage. Je ne voudrais pas que la culture
numérique se développe contre la culture de l’écrit papier. Ce serait une folie, une faute
culturelle ! J’en discute avec quelques amis écrivains, mais j’aimerais bien qu’il y ait une
« meute » derrière. Étant donné que nos produits numériques seront extrêmement différents,
nous apprendrons beaucoup les uns des autres. Ce qui est formidable avec le numérique, c’est
la souplesse des outils !
Ce ne sont pas les constructeurs de calèches qui ont inventé les bagnoles. D’autres auteurs
vont émerger et ceux-ci ne viendront pas du papier. Les nouveaux modes d’expressions
s’inspireront des auteurs traditionnels au début. Viendront ensuite des Goscinny qui
réinventeront leur art !
Selon vous, cette expérience est-elle une histoire d’idée ou de moyens ?
AJ : Les deux. Même dans un groupe comme Lagardère, Livre de Poche, les ressources
n’existent pas. On finit donc par se retrouver à travailler avec des techniciens qui ont déjà
réfléchi aux changements culturels liés au numérique et à la place que peut prendre cette
nouvelle forme d’écriture dans notre société.
Pourquoi ne pas avoir fait cette expérience à la sortie de la version brochée de Quinze
ans après ?
AJ : Au début, j’avais pour idée de l’adapter en film, comme j’avais adapté FanFan 1, mais je
me suis rendu compte que l’aventure de création est plus forte dans le numérique. On connaît
la grammaire du cinéma. Avec le numérique, la part d’innovation est sans contrainte, car les
grammaires narratives ne sont pas encore constituées. Entre ce que j’ai imaginé pour les
premiers épisodes et ceux qui viennent ensuite, j’ai appris et imaginé un nombre considérable
de nouveaux procédés. Je me suis amusé à lier les différents supports afin de renvoyer le
lecteur de Twitter à Facebook ou au site FanFan2.fr. Le héros prendra des photos qu’il postera
en ligne, le lecteur pourra lire ses mails ou ses SMS, etc. La construction d’un récit numérique
est totalement libre.
N’est-on pas plus proche du jeu vidéo que d’un bouquin ?
AJ : Le terme de transmedia serait plus approprié ! Par moment, l’internaute aura accès à des
photos puis ensuite à des films, tout dépendra de ce que le personnage voudra faire partager. Il
y a plein de jeux vidéo qui n’ont pas de sens, alors qu’ici on sait très bien que lorsqu’il n’y a
plus de jeu dans une relation amoureuse, il n’y a plus de couple. On propose là un jeu par le
biais d’un récit, mais ce jeu existe réellement dans nos vies. Un mari qui ne surprend jamais
sa femme est en grand danger. Pour que l’histoire devienne participative, il faut qu’il y ait une
ambiance. Je ne sais pas comment ce récit va être pris : est-ce que cela va exaspérer des
hackers ou être pris comme un ballon d’oxygène ?
Cela fait partie de l’aventure.
Que souhaitez-vous apporter à vos lecteurs avec ce récit interactif ?
AJ : La grande jouissance que j’attends est de savoir que des lecteurs testent eux-mêmes
certaines scènes ! On prétend qu’il est toujours possible de mettre du romanesque dans notre
quotidien et je veux voir comment les lecteurs vont le vivre.
Contrairement aux tirages papier, vous ne savez pas combien de lecteurs vous aurez.
Est-ce que cela est perturbant ?
AJ : En effet, on ignore totalement les formats de fréquentations. Le récit va-t-il regrouper
200 personnes, 3000, 70 000 ou 2 millions ? Les lecteurs seront-ils assidus tout au long de la
journée ou liront-ils l’histoire d’une traite le soir ? Il est difficile, dans ces cas là, de savoir où
sont placées les notions d’échec ou de réussite. Est-il mieux d’avoir un million de lecteurs ou
bien un noyau dur de suiveurs ? Aucun repère n’est encore fixé et cela contribue à faire de ce
projet une véritable expérience.
Cette expérience d’écriture s’écoulera de la fin du mois d’octobre au mois de mai 2011.
Est-ce que les contenus resteront accessibles ad vitam aeternam ?
AJ : Le projet est intitulé Saison 1. La durée de vie du contenu n’est pas encore fixée, mais il
ne serait pas improbable qu’un lecteur puisse se replonger dans l’histoire dans quelques
années ou que des archéologues du web le redécouvrent dans quelques décennies. Ce sont des
questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses. Nous allons découvrir cela en
route.
Vos précédents livres ne sont pas disponibles en numérique. Pourquoi ?
AJ : Je ne suis pas contre cette idée en tant qu’auteur. L’idée me gêne plus lorsque je me
place du point de vue du lecteur. Je serai plutôt pour différer les sorties, accéder d’abord au
livre papier puis aller ensuite au numérique. Si j’ai gardé mes droits numériques, c’est que je
ne veux pas encore les publier. Lorsque j’écris, je le fais pour être lu sur du papier. Avec le
numérique, je conçois pour un smartphone. Les deux supports se complètent. Ce sera la
première fois que l’on aura un ouvrage de littérature générale qui glissera vers le numérique.
Vous avez fondé, il y a plusieurs années, l’association « Lire et faire lire » afin de
promouvoir la lecture chez les jeunes. Pensez-vous que le numérique va leur redonner
goût de lire ?
AJ : Pour moi, c’est le retour de l’écriture. Le XXème siècle était celui des metteurs en scène.
Le XXIème siècle, grâce au numérique, va être celui des écrivains. Je suis très étonné que le
monde littéraire ne s’en soit pas encore rendu compte. Il voit encore un ennemi dans ce qui va
sauver l’écrit. Et, oui, le numérique est de l’écrit ! Quel que soit le metteur en scène, la culture
de l’image s’est incroyablement banalisée et l’on assiste aujourd’hui à un retour du côté des
« raconteurs d’histoires ». Des histoires qui peuvent être racontées sous forme de bulles, de
tweets ou encore de blogs.
Propos recueillis par Clément Monjou et Marie-Laure de Buor