ASPECTS DE l`OR Edith de Guillemont

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ASPECTS DE l`OR Edith de Guillemont
Bulletin archive N°12 – page 4 – (Juillet 68)
ASPECTS DE l'OR
Edith de Guillemont
"L'or, le plus vieux mirage du monde", écrivait récemment Louis Martin-Chauffier dans
le Figaro Littéraire à propos de la crise monétaire. Cette formule résume bien le problème
que cet article se propose d'étudier,
Une première partie rappellera ce que l'or a représenté et représente encore aux yeux
de l'humanité. Les significations qu'il revêt dans notre inconscient seront ensuite rapidement
évoquées. Mais il est bien évident qu’il est impossible d'épuiser ici un tel sujet. Aussi ne
trouvera-t-on guère que des indications permettant, a-t-il semblé, d'y voir un peu clair.
*
*
L’or est un des métaux les plus anciennement connus. Et, depuis des millénaires, il
exerce sur l’homme un étrange pouvoir de fascination, du en partie à ses propriétés naturelles.
en partie aussi à l'utilisation qui en fut faite. Métal exceptionnel, il brille d’un éc1at
mystérieux que rien n'altère, semblant ainsi défier les lois de la nature.
Les peuples anciens et spécialement les Egyptiens ne manquèrent pas d'y voir la
matérialisation du soleil. Les plus vieux hiéroglyphes affirment que, sinon la chair, du moins
la peau de Râ est faite d"or, Aussi les parcelles du précieux métal furent-elles primitivement
réservées au culte divin, Les prêtres égyptiens, par exemple, en avaient tiré deux pyramidions
qui, coiffant les obélisques à l’entrée du temple, étincelaient au soleil et devenaient "le relais,
le foyer de la gloire du Dieu". (1)
Fils du Soleil, le Pharaon entendit, pour rehausser sa gloire et souligner son origine
divine, partager avec les Dieux le privilège du prestigieux métal. Diadèmes, pectoraux,
bagues, bracelets, le revêtaient d'un éclat mystérieux et sacré, emblème de son pouvoir absolu.
Mais cet éclat n'étant altéré ni par les années ni par les intempéries, on utilisa
rapidement l'or dans les rites de sépulture destinés à assurer aux monarques d'abord, aux
riches ensuite, une vie éternelle et ce un peu partout et depuis toujours. Des textes anciens ou
des fouilles en font foi. Le jeune sourire de Toutankhamon et les masques réalistes des
Atrides en sont, parmi tant d'autres, des témoins émouvants.
Cependant, l'or doit être purifié, débarrassé de sa gangue et des impuretés qui pourraient
en tenir l'éclat. Il lui faut subir l'épreuve du feu, passer au creuset, Ainsi, aux idées de lumière
et d'incorruptibilité qu'il évoquait, vint s'ajouter celle d'une pureté absolue.
Puis, peu à peu, l'or devenant moins rare, son usage se généralisa et par conséquent se
dé-sacralisa : on en frappa des pièces de monnaie. Son prestige n'en diminua pas; il: devint
alors synonyme de "richesse". Maintenant encore, si le papier-monnaie l'a supplanté, n'est-il
pas, théoriquement du moins, gagé sur une encaisse métallique? Et la fièvre qui s'empare
périodiquement des marchés financiers montre qu'aux yeux des spéculateurs, l'or est bien
encore la seule valeur sûre.
(1) Pierre Gascar, Revue de Paris (Mai 1967),
Toutes ces qualités ont contribué à faire de l'or bien plus qu'un métal ordinaire, et il
représente une sorte d'étalon de perfection, d'absolu. Il n'est que de citer quelques-unes des
nombreuses expressions dont abonde le langage populaire ou littéraire pour en prendre
conscience. Avoir une voix d'or, un coeur d'or, … parler d'or, franc comme l'or, c'est de l or
en barre, une affaire d'or, valoir son pesant d’or.... l'âge d or, le nombre d'or, la règle d'or, un
livre d’or … Les récompenses suprêmes ne peuvent être faites d"un autre métal que l'or : le
lion d’or, la plume d'or, la rose d'or, les médailles d'or. Les noces d'or ne le cèdent qu'aux
noces de diamant, cristal suprême. Inutile d'insister.
Posséder ce métal fabuleux que rien ne surpasse devrait donc suffire à assurer le
bonheur. Pourtant il n'en est rien: le savetier de La Fontaine en perd le sommeil ; Grandet
meurt épuisé par une vie de privations après avoir semé ruine et deuil autour de lui, La ruée
vers l’or fit beaucoup plus de victimes que d’heureux ; les Conquistadors après avoir ravagé
l'Eldorado dont le seul crime était la richesse, moururent misérablement pour la plupart. La
Tétralogie de Wagner retentit des accords de la "Malédiction de l'Or", écho de toutes les
mythologies et religions. Midas serait rapidement mort si le don de transformer en or tout ce
qu’il touchait ne lui avait été retiré.
* *
L'Or mérite-t-il vraiment et cet excès d'honneur et cette indignité? Comme tout grand
symbole, il est ambivalent, il peut conduire à la vie, mais risque de déboucher sur la mort. En
fait l'or n'a de valeur qu’en fonction de ce dont il est le signe. Même sur le plan matériel, une
tonne d'or ne vaut que par les possibilités d'achat, d'investissement qu'elle représente.
Si l'or est un mot magique, qui touche aux fibres les plus profondes de notre être, c’est
parce qu'il est porteur d'une signification dont nous avons vu se dégager les grands traits. Bien
plus que sa seule valeur marchande, il évoque irrésistiblement la richesse suprême dont la
pureté absolue défie la mort et dont la clarté illumine notre vie, Ce Bien suprême, c'est le SOI
"Dieu en nous" selon une des expressions de C. G. JUNG (2).
Rien d'étonnant dans ces conditions, à ce que l'or en symbolise la richesse, la pureté, la
lumière. Mais il ne faut pas oublier qu'il n'en est jamais qu’un symbole et c'est là que réside en
partie le secret de son ambiguïté, Malheureusement l'or terrestre ou l'or psychologique
exercent une telle fascination par eux-mêmes qu'ils risquent d'être pris pour le but et
d'entraîner ainsi dans une impasse terrible.
L'or signifie lumière, pureté, éternité, mais est métal. Les traits de Toutankhamon ont
traversé les siècles, mais ils sont figés, morts.
Ce qui précède permet de mieux comprendre le rôle joué par l'or dans notre inconscient
car on y retrouve sur le plan psychologique profond les mêmes perspectives.
Pour plus de clarté, il a paru intéressant d'étudier l’or en fonction des 4 éléments.
(2) Dialectique du moi et de l'inconscient p.294.
OR ET FEU
Or et Soleil ont toujours été étroitement associés. Comment pourrait-il en être autrement
: tous deux sont des symboles du feu.
Posidonios, historien et philosophe syrien, assurait que l'or était remonté en surface à la
suite de l'immense incendie qui avait ravagé les forêts couvrant primitivement la surface de la
terre.
Le Mahabharata dit que "Agni et Soma se fondent en une seule et même substance. Ils
sont l'essence de l'or, la chose sacrée entre toutes"
Nombreux sont les mythes où Feu et Or sont étroitement associés. Inutile d'insister
davantage, mais il était indispensable de le rappeler. Car, si Feu, Lumière et Soleil sont des
symboles de la libido comme Jung l'a si souvent noté, spécialement dans la Métamorphose de
l'âme et ses symboles, l'or participe de ce symbolisme. Et son apparition dans l'inconscient est
toujours liée à une prise de contact avec l'énergie psychique. Mais, alors que le Soleil est feu
vivant, l'or n'en est que la fossilisation, la métallisation pourrait-on dire. Nicolas Flamel disait
que l'or est gelé et que le grand oeuvre entend lui redonner vie, libérant ainsi l'énergie dont il
est issu et dont il suggère la nature.
Ainsi le double aspect du symbolisme de l'or, pressenti déjà tout à l'heure, trouve-t-il ici
une illustration, une explication.
OR ET TERRE
La terre est l'élément maternel par excellence. Le thème du trésor caché, est fréquent
dans les contes ou les mythes. Il correspond à ce que Jung appelle la naissance du héros.
Lorsque ce même héros affronte sa mère et qu'il en triomphe, il découvre un trésor
fréquemment représenté par de l'or et dont l'accès lui était resté interdit jusque-là. Cet épisode
correspond à un des moments cruciaux de l'analyse, mais n'en marque nullement le but,
comme chacun le sait.
La légende de Posidonios rapportée plus haut en est une illustration sur un plan
cosmique. On y voit en effet l'or surgir à la suite du sacrifice par le feu de l'élément maternel
représenté par la forêt.
On retrouve ce thème dans le rêve suivant : Une rêveuse se voit transportée dans le
bûcher de la propriété familiale où elle a passé son enfance, des troncs d'arbres y sont rangés,
débités, sciés, prêts à être utilisés. Elle fouille alors légèrement la terre au centre du bûcher et
y découvre, à son grand étonnement une cassette remplie d'or, cassette qui devait être là
depuis longtemps, mais dont elle n'avait encore jamais soupçonné l'existence.
Les mythologies nous offrent trois exemples fameux de tout ceci, On y voit trois héros
affronter la "mère" et conquérir ainsi la récompense fabuleuse promise à leurs efforts,
Jason doit combattre le dragon pour atteindre la Toison d'or qui pend aux branches d'un
arbre et dont l'éclat illumine la Colchide, Il a dû pour cela, mobiliser tout ce que la jeunesse de
son pays connaît de héros valeureux et traverser les mers. Mais sans l'aide de Médée, qui joue
ici le rôle de son Anima, il eut échoué.
Hercule a déjà accompli une grande partie de son évolution, Il doit encore conquérir les
Pommes d'or du jardin des Hespérides ; mais sans un secours surnaturel, il n'eût jamais réussi
à dépouiller l'arbre de ses fruits précieux qu'il remit ensuite à Athéna.
Siegfried quitte les entrailles de la terre où il fut élevé par Mime le forgeron, il combat
le gardien du Trésor des Niebelungen, et en triomphe grâce à l'épée de Wotan. Le sang du
dragon lui permet de comprendre la valeur du trésor enfermé dans la caverne et lui révèle
l'existence de Brunehilde, celle qui lui est de toute éternité destinée.
Ces trois héros conquièrent un Or dont l'origine souligne le caractère surnaturel, la
Toison du Bélier miraculeux envoyé par Junon aux deux enfants persécutés les Pommes
mystérieuses du Jardin du bout du monde, et l'Or arraché aux trois vierges qui le gardaient
dans les profondeurs de l'eau du Rhin. Cette découverte conduit les trois héros à prendre
contact avec leur Anima, Médée, Athéna, Brunehilde. et les rend capables de poursuivre leur
évolution dont elle ne constitue nullement le terme,
Jung résume ce qui précède en écrivant à propos de Jason "le trésor que le héros va
chercher, c'est la vie, c'est lui-même ré-enfanté dans la caverne sombre du sein maternel" (3).
Le symbolisme de l'or a pour but d'insister sur le caractère spirituel de cette nouvelle
naissance ; liée à l'énergie psychique la plus profonde, elle est richesse, valeur suprême,
lumière et incorruptibilité.
Mais il est nécessaire de comprendre qu'il faut utiliser cette énergie pour aller plus loin.
Si le héros se complait dans une possession matérielle où le triomphe de la victoire l'évolution
cessera et aboutira à une impasse, la suite des aventures évoquées plus haut est significative à
cet égard.
Très récemment une rêveuse connut le démarrage de son analyse lorsqu'un rêve lui
montra son Animus sous la forme d'un "ciseleur d'or". Éclairée par son analyste, elle en
comprit la signification et put enfin évoluer.
On sait que Rimbaud dut affronter, et avec quelle violence la "mère terrible" en la
personne de sa propre mère. On connaît d'autre part son âpre recherche par tous les moyens
d'une Voyance. Est-il si étonnant alors de constater que dans les poèmes écrits à cette époque,
le mot "or" revient à une cadence très élevée : 26 fois dans une quarantaine de poèmes dont
certains fort courts. Dans le "Bateau Ivre", notamment, il est question de "poissons d'or, ces
poissons chantants" et de "million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur" qui laissent un peu
désemparés les commentateurs et qui pourraient bien avoir une signification psychologique
profonde.
OR ET EAU
L'eau, spécialement la mer , est symbole de l'inconscient. En elle vivent un nombre
infini de créatures dont l'existence nous est peu ou pas connue, notamment en raison de
l'obscurité qui y règne. Cependant les peuples primitifs ne pouvaient concevoir le fond des
mers plongé dans une obscurité totale. Ne voyaient-ils pas le soleil s'y enfoncer tous les
soirs ? Les Grecs ont décrit le palais de Poséidon éclairé par l'or de ses colonnes.
Aussi n'est-il pas étonnant de voir parfois surgir du fond des océans un poisson d'or.
Messager encore imprégné de la lumière surnaturelle qui illumine le fond de l'abîme, il
possède une partie des pouvoirs du Maître des Eaux : Une carpe dorée rapporte à Avenant la
bague perdue par la belle aux cheveux d'or, le petit poisson du conte russe exauce les trois
souhaits du pauvre pêcheur. Mais il convient de souligner la double démarche d'Avenant et du
pêcheur.
(3) Métamorphoses de l'âme et ses symboles p. 620,
L'un et l'autre ont rencontré le poisson d'or au moment où ils étaient attentifs à leur
inconscient : Avenant dans sa marche vers son Anima au moment où il s'est arrêté pour noter
ses pensées, et le pêcheur en fouillant la mer de ses filets.
Et tous deux après avoir tenu dans leur main ce poisson merveilleux en ont fait le
sacrifice, l'ont rendu à son élément naturel : l'eau. C'est en fonction de cette double démarche
que le miracle a pu se produire.
Parfois il s'agit d'un poisson d'aspect ordinaire, mais qui porte un anneau d'or dans le
nez ou dans le ventre (anneau de Salomon, des mille et une nuits ) ,
Sensible à ce Symbolisme, l'écrivain Joe Bousquet, mort en 1951, avait surnommé
"Poisson d'or" celle qu'il aimait d'un amour sans espoir et qui lui semblait surgie.du profond
de lui-même pour le guider vers la lumière,
Ainsi Terre et Eau nous offrent-elles des manifestations assez semblables bien que
différentes malgré tout, du Soi mûries en leur sein Maternel; elles permettent à celui qui les
trouve d'évoluer à condition qu'il renonce à se complaire dans une possession matérielle.
OR ET AIR
Il en va tout autrement quand il s'agit de l'air. Celui-ci est "esprit" Ainsi à son contact,
l'or se "spiritualise", se "dématérialise" en quelque sorte. Il laisse transparaître davantage sa
nature de feu. Ce dernier est vie, chaleur, lumière et pureté. L'or en traduit surtout le côté
lumineux et pur. Et l'on verra ci-dessous se dégager l'idée d'une lumière, sorte de transparence
vivante, émanation précieuse du Soi, reflet de la gloire divine. Mais lorsqu'elle est coupée de
sa source, cette lumière meurt en quelque sorte, se fige, se sclérose, devient "métal".
Quelques exemples permettront de mieux saisir ces deux aspects. Supervielle décrivant
le nimbe autour du Jésus de la crèche fait dire au boeuf "c'est comme une lumière, une vapeur
dorée qui se dégage de ce petit corps". Cette vapeur dorée, c'est le rayonnement de la divinité
à travers le corps de l'enfant-Dieu. C'est ainsi qu'il faut comprendre les auréoles des saints.
Elles sont la lumière qui émane du Dieu présent en eux ; elles ne sont pas Dieu, mais le
rayonnement de sa présence, Jung cite le cantique d'Allendorf où il est écrit à propos de l'âme
"elle est devenue couronne de joie - Elle se tient fiancée et reine - Dans l'or des merveilles
éternelles - au côté du grand Roi - Elle est lumière dans sa lumière", (4)
L'approche du Soi peut se traduire par une lumière dorée. À la fin du livre "L'homme et
ses symboles", on peut voir une femme au visage demi-voilé, couleur d'or, et le commentaire
précise: "Son visage brille comme le soleil. L'image révèle une illumination de l'inconscient
profond englobant l'Anima, très différente d'un éclaircissement conscient".
Les Anima, les princesses des contes sont souvent vêtues de robes d'or, parfois de robes
couleur du Soleil comme Peau d'âne, elles habitent des palais d'or étincelants ; Yseult la
blonde, la Belle aux cheveux d'or ont des chevelures qui semblent faites des rayons du soleil.
Tout ceci signifie qu'elles baignent dans une "lumière dorée" gage de leur origine spirituelle.
Elles rayonnent du Soi, dont elles sont les précieuses messagères.
Mais il existe parfois des princesses avides ou orgueilleuses des reines négatives,
esclaves de leurs richesses matérielles et qui paradent, couvertes d'or et de pierreries. Le conte
souligne alors que tout cet or rehausse leur laideur et fait ressortir par contraste la pure beauté
d'une autre figure féminine provisoirement dépouillée, souvent vêtue de blanc et dont les yeux
brillent plus que tout.
(4) Métamorphoses de l'âme et ses symboles p. 314.
Les couronnes des rois, qui ont une grande importance dans le symbolisme alchimique,
voudraient être le signe de leur unité intérieure mais certaines ne sont plus que la
matérialisation métallique d'un pouvoir qui les a durcis. Ainsi le roi-crabe du conte polonais,
couronné d'or et assis sur un trône d'or, illustre-t-il parfaitement cet aspect négatif.
Tout au contraire, Messager du Soi, l'oiseau d'or du conte russe (devenu l'oiseau de feu
de Strawinski) auquel Ivan a rendu la liberté après l'avoir capturé (encore la même nécessité
d'un dépassement) le conduit vers la belle princesse, fille du Soleil, captive en son palais de
cristal.
Mythologies et religions décrivant les divinités ne peuvent traduire autrement leur
nature divine qu'en multipliant les comparaisons avec l'or. Cela serait naturel s'il ne s'agissait
que des divinités solaires, mais il n'en est rien. Hésiode ne peut nommer Aphrodite sans lui
accoler l'épithète "or". Zeus prend les apparences d'une pluie d'or lorsqu'il veut féconder
Danaé, Brahma naît dans un oeuf d'or …. On pourrait multiplier les exemples. Dans les récits
sacrés, l'or étincelle à toutes les pages. On trouve des dieux du feu, du soleil, mais l'or luimême n'est jamais divinisé, Il est au contraire maudit dans sa matérialité.
Les alchimistes le savaient bien, qui se sont toujours défendus de vouloir fabriquer de
l'or matériel. Ils cherchaient en fait, à donner une valeur d'absolu et d'éternité à toute chose.
Pour eux l'or ne saurait être qu'une conséquence du grand oeuvre, et nullement son but.
C'est dans la Bible qu'on trouve les oppositions les plus saisissantes entre le
rayonnement de la gloire divine et l'or matériel. Ainsi lorsque Moïse descend du Sinaï la peau
de son visage rayonne (5) et il doit "mettre un voile sur son visage" qui a gardé le reflet de la
gloire divine, Pendant ce temps, le Veau d'or adoré par les Israélites matérialisait leur trahison
; il sera détruit et brûlé.
Saint Jean dans l'Apocalypse dresse face à face deux figures féminines : Babylone, la
prostituée des prostituées couverte d'or et de pierreries, et la Jérusalem céleste descendant des
Cieux "avec en elle la gloire de Dieu". Si la Cité céleste est faite d'or, c'est "de l'or le plus fin.
comme du verre bien pur … et la gloire de Dieu l'a illuminée".
Et si Yahvé exige l'or pour son service, il ne cesse de proclamer "La parole du Seigneur
est plus que l'or et que l'or le plus fin".
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Qui pourrait préférer l'apparence à la réalité, le signe au signifié? Et pourtant l'erreur est
fréquente, on l'a vu. Celui qui, aux approches du Soi, succombe à l'inflation signalée par Jung,
ne préfère-t-il pas la couronne au Soi, l'or à Dieu? La tentation est subtile et plus d'un s'y
laisse prendre qui alors se sclérose, se métallise, se fige en une sorte de mort.
Paradoxe de l'or que nul ne peut prétendre posséder véritablement s'il n'y a d'abord
renoncé, et qui trouve sa pleine expression dans la première des Béatitudes : "HEUREUX
LES PAUVRES EN ESPRIT, CAR LE ROYAUME DES CIEUX LEUR APPARTIENT".
Edith GUILLEMONT
(5) Ex. 34, 30 et suiv.