à ce qu`il y ait une reconnaissance politique de cet engagement

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à ce qu`il y ait une reconnaissance politique de cet engagement
Argent de l'UMP : la liste secrète.
25 septembre 2012 | Par Fabrice Arfi et Mathilde Mathieu et Karl Laske
Ils sont 544, très majoritairement des hommes. Ils sont riches et puissants. Certains sont célèbres, d’autres
parfaitement inconnus du grand public. Mais tous ont un point commun : ils faisaient partie en 2007 du Premier
Cercle, le club très select des grands donateurs de l’UMP, dont Mediapart s’est procuré l’annuaire. L’étude
détaillée de cette liste inédite, que l’UMP tient secrète, comme tous les partis le font avec leurs grands
donateurs, révèle autant qu’elle interroge sur le tabou français des liens incestueux entre argent et politique,
entre intérêts privés et esprit public.
Éditée en juin 2007, au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, elle révèle tout d’abord la surreprésentation
de la haute finance, notamment des banques (Goldman Sachs), des fonds d’investissement et des hedge funds,
en lien avec des paradis fiscaux, dans les financements du premier parti de France (en nombre d’adhérents). La
part des “délocalisés” du fisc français, installés en Suisse, en Belgique ou à Londres, saute également aux yeux.
Cette liste dévoile aussi une forme, à peine déguisée, de lobbying de grandes entreprises (Françaises ou
étrangères) et la présence, dans les rangs du Premier Cercle, de plusieurs personnalités étrangères influentes
(pour l’essentiel anglo-saxonnes) dont les liens avec la France semblent a priori plus que limités, si ce n’est
inexistants.
Elle interroge ensuite sur les possibles compromissions du précédent gouvernement, quand il s’est montré peu
regardant avec certains fraudeurs fiscaux, membres du Premier Cercle. Éric Woerth, son principal animateur à
l'époque, est désormais poursuivi pour « trafic d'influence » à Bordeaux dans le cadre de l'affaire Bettencourt,
pour avoir négligé la frontière entre ses fonctions politiques de trésorier de l'UMP et celles de ministre du
budget.
Cette liste soulève enfin des questions concrètes sur de possibles détournements de l’esprit de la loi sur le
financement de la vie publique française.
Autant de raisons qui, face à l'opacité organisée et le soupçon qui entourent les grands donateurs d'un parti,
incitent aujourd’hui Mediapart à enquêter sur les membres du Premier Cercle de juin 2007, au nom d’une
exigence de transparence, comme c’est la règle aux États-Unis, au Canada ou à l'échelon européen. Rendre
publique pour tous les partis la liste de leurs riches donateurs, dont le patrimoine personnel et l'activité
professionnelle interfèrent avec la sphère publique, permettrait de prévenir conflits d'intérêts, trafics
d'influence ou favoritisme.
Au Premier Cercle, le ticket d’entrée était à l'époque de 3 000 euros – il est de 3 500 aujourd'hui –, mais
beaucoup pouvaient débourser le maximum autorisé par la loi, soit 7 500 euros. À eux seuls, les 544 membres du
Premier cercle ont ainsi versé tout à fait légalement, en 2007, au minimum 1,6 million d’euros dans les caisses de
l’UMP. Sans compter qu’ils étaient incités, en parallèle, à faire un don direct au candidat Sarkozy (4 600 euros
autorisés). Sans compter encore qu’ils prenaient parfois leur carte d’adhérent à l’UMP, en s’acquittant d’une
cotisation… dont le législateur a omis de plafonner le montant.
Faire partie du Premier Cercle offre de multiples avantages, notamment celui d'avoir un accès privilégié à des
responsables politiques de premier plan : le président de la République, le premier ministre ou le ministre du
budget qui, en 2007, était aussi le trésorier de l'UMP (Éric Woerth). Ce dernier n'a d'ailleurs pas dit autre
chose devant les policiers qui l'ont interrogé en juillet 2010 dans le cadre de l'affaire Bettencourt : « Je veille
à ce qu'il y ait une reconnaissance politique de cet engagement financier. Il existe donc des rencontres
périodiques, plusieurs par an, réunissant les donateurs (…) autour de responsables politiques. »
La liste que Mediapart s'est procurée est l’œuvre de Rebecca Jaffrain, employée d’Optimus, une société de
communication spécialisée dans le fund raising, recrutée par Éric Woerth pour organiser la collecte. Cheville
ouvrière du club, responsable du mailing ou des réunions, Rebecca Jaffrain a refusé de répondre à nos
questions. « Je suis très surprise que vous ayez cette liste », a-t-elle balayé. L’annuaire a-t-il beaucoup changé
depuis 2007 ? Certains déçus ont depuis rendu leur carte, mais combien ? « Je n’ai rien à vous dire ! » a-t-elle
congédié.
Contactés, Dominique Dord et Éric Woerth, l’actuel et l’ancien trésorier de l’UMP, n'ont pas souhaité non plus
répondre à nos questions. « Vous jetez des noms en pâture, tance le premier. La liberté d’opinion, ça existe ! Le
secret de l’isoloir aussi. » Sitôt après nos appels, un avocat de l’UMP, M e Philippe Blanchetier, s’est en revanche
manifesté auprès de Mediapart pour faire savoir qu’il envisageait de saisir la justice si nous venions à publier la
liste.
Après plusieurs jours d’identification, de recoupements et de recueil de témoignages, plusieurs enseignements
inédits peuvent être tirés de l’étude de cette liste, outre le constat de la présence de personnalités plus ou
moins attendues, comme Ernest-Antoine Seillière (Wendel, ancien président du Medef), André Bettencourt
(L’Oréal), Jean-René Fourtou (Vivendi), François Pinault (groupe PPR), Robert et Bertrand Peugeot (Peugeot),
Serge Kampf (Capgemini), Gérard Pélisson (Accor) Robert Bourgi (avocat de la Françafrique)…
1) l'Ump, parti international
En avril 2006, alors ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy déclarait : « S'il y en a que ça gêne d'être en
France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment
pas. » Beaucoup de ses plus puissants soutiens financiers de l’époque ne se sont pas gênés. C’est le premier
constat factuel que l’on peut tirer de l’étude de la liste : sur les 544 membres du Premier Cercle recensés, plus
du quart – 140 précisément, selon notre décompte – résident à l’étranger, pour l’essentiel dans des contrées où
la fiscalité est plus douce qu’en France.
Ainsi, 64 d’entre eux ont élu domicile à Londres, l’un des paradis fiscaux les plus accueillants selon le magazine
Forbes ; 40 aux États-Unis, essentiellement à New York ; 12 en Suisse et 9 en Belgique, deux destinations très
prisées par les exilés fiscaux. Les 15 restants se partagent entre le Portugal, le Viêtnam, la Chine, l’Argentine,
le Maroc, le Liban, le Brésil, Singapour, le Canada et l’Italie.
Fait surprenant : plusieurs personnalités étrangères ou ayant fait toute leur carrière à l'étranger font partie
des grands donateurs de l’UMP.
Dans la liste, on tombe ainsi sur le Canadien Peter Munk, président du leader mondial de l’extraction d’or,
Barrick Gold Corporation. Milliardaire, Peter Munk est un associé et ami du marchand d’armes saoudien Adnan
Khashoggi. Les activités minières de l’homme d’affaires canadien sont au cœur de plusieurs controverses,
concernant des atteintes à l’environnement et les rapports dégradés de sa multinationale avec des populations
autochtones.
Peter Munk avait aussi fait parler de lui il y a une quinzaine d’années quand, à l’occasion de l’assemblée annuelle
de son groupe en mai 1996, il avait vanté les réformes économiques du régime Pinochet, occultant le caractère
sanglant de la dictature chilienne.
Au Premier Cercle, en 2007, M. Munk côtoie notamment la famille Duroc-Danner (cinq de ses membres en font
partie…), établie entre le Texas, Londres et la Suisse. Le patriarche, Bernard J. Duroc-Danner, est le PDG du
géant pétrolier Weatherford, dont le chiffre d’affaires a atteint en 2011 les 13 milliards de dollars. Le Wall
Street Journal a rappelé à l’été 2011 que les importantes infrastructures de la multinationale en Libye avaient
été peu endommagées par la guerre, dont M. Sarkozy fut l’un des fers-de-lance. M. Duroc-Danner est également
une connaissance de Jean-François Copé, l’actuel secrétaire général de l’UMP.
Club décidément sans frontière, le Premier Cercle accueille aussi en son sein le milliardaire russe Leonard
Blavatnik – sa fortune personnelle est estimée par le magazine Forbes à 12 milliards de dollars. L’homme
d’affaires basé à New York est à la tête d’un empire financier, Access Industries, qui a investi dans des
secteurs aussi divers que le pétrole russe (TNK-BP) ou la musique, avec le rachat, en mai 2011, de la Warner
Music Group pour 3,3 milliards de dollars.
Leonard Blavatnik a versé il y a quelques années 100 millions de dollars en faveur du complexe culturel “Faena
Arts District”, du styliste argentin Alan Faena. Ce dernier est aussi membre du Premier Cercle.
Précision utile : deux cadres d'Access Industries, Lincoln Benett et Mark Shanker, ont également mis la main à
la poche pour entrer dans le club privilégié du Premier Cercle. Dans l’annuaire de 2007 que nous avons récupéré,
MM. Benett et Shanker ont donné comme adresse personnelle celle de l’entreprise de M. Blavatnik. Une
indication qui autorise à s’interroger sur l’origine réelle des fonds ayant alimenté les caisses de l’UMP,
personnelle (ce qui est légal) ou professionnelle (ce qui est interdit depuis 1995).
Les représentants des pays anglo-saxons (Angleterre et États-Unis) sont, de loin, les premiers bailleurs de
fonds étrangers. Aux États-Unis, le parti profite, il est vrai, de solides réseaux d’influence grâce au clan
Sarkozy.
Le demi-frère de l’ancien chef de l’État, Pierre-Olivier Sarkozy (ils ont le même père), était en 2007 et encore
après un membre actif du Premier Cercle outre-Atlantique. Ancien de l’Union des Banques suisses (UBS), PierreOlivier Sarkozy a rejoint en mars 2008 le groupe Carlyle, dont la figure de proue fut pendant des années
l’ancien directeur adjoint de la CIA, Frank Carlucci, un proche de Ronald Reagan.
Le beau-père de Pierre-Olivier Sarkozy, Frank G. Wisner, est lui aussi membre du Premier Cercle. Diplomate de
renom – il fut ambassadeur en Zambie, en Égypte, aux Philippines et en Inde –, Franck G. Wisner est le fils de
Franck Wisner, le créateur du service des opérations clandestines de la CIA, dont l’ombre fuyante peut être
croisée dans certains romans d’espionnage.
Après avoir quitté les couloirs de la diplomatie américaine, Franck Wisner fils a rejoint le grand cabinet de
lobbyistes Patton & Boggs, qui fut notamment impliqué dans les dessous financiers de la libération des
infirmières bulgares en Libye, comme Mediapart s’en est déjà fait l’écho.
2) l'opa du monde de la finance
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 544 membres du Premier Cercle de juin 2007, 147 appartiennent au
monde de la haute finance. Soit, à nouveau, un gros quart. Les plus grands banquiers de la place sont dans la
liste : Charles de Croisset (Goldman Sachs), Michel David-Weill (Lazard), David de Rothschild (Rothschild),
Nicholas Clive-Worms (Banque Worms), Édouard de Ribes (Rivaud), Charles-Henri Filippi (HSBC)…
S’agissant de la dizaine de grands donateurs de l’UMP résidant en Suisse, une majorité sont banquiers : Henri
Danguy des Déserts (ancien de SG Private Bank), Jean-François de Clermont Tonnerre (banque Hottinger),
Aimery Langlois-Meurinne (ancien de GBL et Meryll Linch), Christophe Mazurier (banque Pasche) ou Marc
Odendall (ancien de Meryll Linch et JP Morgan).
Trois responsables de Lehman Brothers, dont la faillite en septembre 2008 a révélé des pratiques comptables
plus que douteuses du géant bancaire, figurent également dans l’annuaire du Premier Cercle : Nicolas Pourcelet
(managing director), Alexandre Capez (head of structured volatility) et Benoît d’Angelin (co-director
investments Europe).
Trois cadres de la banque d’investissements new-yorkaise Cantor Fitzgerald, spécialisée dans le courtage de
bons du Trésor américain et liée à la Réserve fédérale de New York, ont financé l’UMP : Alexandre Artus, Avi
Bouhadana et Michael Halimi. Les trois ont élu domicile entre Londres et New-York.
Les hedge funds, ces fonds spéculatifs opaques et dérégulés, symboles du « capitalisme de casino », sont eux
aussi bien représentés par leurs dirigeants dans la liste des grands donateurs de l’UMP : Talaris Capital,
Concerto Capital Management, Alphagen, Centaurus, Blackstone, Amber Capital… La plupart d’entre eux sont
liés de très près aux paradis fiscaux, ceux-là mêmes que Nicolas Sarkozy dit avoir fait disparaître une fois élu –
ils ne se sont en réalité jamais aussi bien portés.
Les archives de l’Autorité des marchés financiers (AMF) rappellent par exemple que le hedge fund Amber
Capital, dont le patron Joseph Oughourlian est membre du Premier Cercle, est implanté aux îles Caïmans. De
même qu’Olivier de Montal, ancien administrateur d’un hedge fund, Olympia Capital, lui aussi grand donateur de
l’UMP, qui a revendiqué en janvier 2009 auprès des autorités américaines une domiciliation personnelle dans les
îles Caïmans (voir document ci-dessous).
Autre membre du Premier Cercle, l’homme d’affaires Éric Le Moyne de Serigny, ancien collaborateur de
l’ombre d’Éric Woerth au ministère du budget, avait quant à lui été qualifié d’« ange du paradis fiscal » par le
site Rue89, qui avait publié une enquête révélant, documents à l’appui, l’implication de M. Serigny dans
l’administration de sociétés-écrans au Panama.
3) les cas Goldman Sachs et Pizzorno
Cela ressemble à une galaxie. En affinant les recherches sur les membres du Premier Cercle, plusieurs
dirigeants ou cadres supérieurs d'une même entreprise apparaissent dans la liste des riches donateurs de
l’UMP. Le cas le plus flagrant est celui de la banque Goldman Sachs, dont un récent documentaire diffusé sur
Arte, Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde , a montré les liaisons dangereuses entretenues avec le
monde politique.
Pour ce qui concerne l’UMP, nous avons pu recenser pas moins de huit responsables de la banque dans la liste des
membres du Premier Cercle : Jean-Luc Biamonti (managing director), Charles de Croisset (vice-président
Europe), Isabelle Ealet (responsable mondiale commodities), Laurent Dupeyron (co-dirigeant de l’european
equity), Pierre-Henri Flamand (directeur du desk global), Hugues Lepic (banquier associé), Philippe KhuongHuu (chef du département global interest rates products) et le trader Carole Bettane.
Est-ce un hasard ? Une convergence de convictions personnelles ? Ou un authentique lobbying d’un géant mondial
de la finance. Chez Goldman Sachs, on répond qu’il s’agit d’une « coïncidence » et que c’est « à titre personnel
que de l’argent a été versé à l’UMP ».
Autre cas d’école, celui du groupe Pizzorno, spécialisé dans le traitement des déchets. La société, basée à
Draguignan (Var), est impliquée dans une affaire de corruption présumée en Tunisie où elle a fait travailler
l’ancien ministre de la défense François Léotard. L’annuaire du Premier Cercle fait apparaître qu'une grande
partie du comité de direction du groupe a rejoint le club des grands donateurs de l’UMP : Francis Pizzorno
(PDG), Frédéric Devalle (directeur général), Maria-Pilar Carrozza (directrice financière), Philippe Bonifacio
(directeur juridique) et Frédéric Balse (directeur de la propreté).
Joint à plusieurs reprises ces derniers jours, Francis Pizzorno, le fondateur du groupe, a refusé de répondre à
nos questions. « Je n’ai rien à vous dire. Écrivez ce que vous voulez. Allez vous faire voir »,s’est-il emporté.
Frédéric Balse assure qu' «il s'agissait pour sa part d'une démarche personnelle et qu'il n'y a eu aucune
consigne de l'entreprise ». Bizarrement, il s'étonne qu'on n'ait trouvé que cinq dirigeants de Pizzorno dans la
liste : « J'imagine qu'il y a eu d'autres donateurs parmi les cadres… »
Cet exemple interpelle. D’après nos informations, le président de la commission nationale chargée de vérifier les
comptes des partis (la CNCCFP) s’est récemment inquiété des risques de détournement de la législation : si la loi
interdit bien les dons des entreprises depuis 1995, un patron peut demander à ses cadres de signer un chèque
en leur nom, en échange d'un “remboursement” en interne sous forme de primes.
Dans une moindre mesure, le cas de la société Acadomia, entreprise de soutien scolaire qui bataille
régulièrement pour que Bercy maintienne l’avantage fiscal consenti à ses clients, fait également tiquer. Son
président-fondateur, Maxime Aiach, son directeur général, Philippe Coléon, et son directeur financier, José
Dinis, figurent dans la liste des 544. Sollicités par l’intermédiaire de leur service de presse, ils n’ont pas
souhaité nous rappeler.
4) le cercle des ennemis de l'impôt
Ils ne parlent que de ça. Selon un ancien membre du Premier Cercle, la question fiscale est – avec les 35
heures – le premier sujet de conversations des membres du Premier Cercle quand ils sont réunis par l’UMP,
généralement à l’hôtel Bristol (à deux pas de l’Élysée) ou au cercle Interallié.
De fait, outre les “exilés” fiscaux et les représentants d’institutions implantées dans les paradis fiscaux, le
Premier Cercle compte en son sein plusieurs personnes qui ont maille à partir avec l’administration au sujet de
leurs impôts.
Exemple avec l’homme d’affaires Maurice Bidermann, à l’origine de l’affaire Elf dans les années 1990. Toujours
assis au premier rang lors des réunions du Premier Cercle, très actif dans les discussions, Maurice Bidermann
est un homme de réseaux, proche d’Éric Woerth et de Claude Guéant.
Officiellement ruiné en France, au point de ne pas pouvoir payer les dommages exigés dans l’affaire Elf, il jongle
pourtant avec les holdings au Luxembourg, en Suisse et au Liban, comme l’a déjà raconté Mediapart. En 2006,
l’épouse de Maurice Bidermann, la seule du couple officiellement domiciliée en France, a reçu un avis de
notification des services fiscaux. Moins d’un an après, le 8 juin 2007, un mois après l’élection de Nicolas
Sarkozy, le fisc lui faisait savoir que le contrôle était finalement achevé « sans rectification ». Un cas rare pour
l’administration fiscale...
Maurice Bidermann est également associé avec un financier libanais de premier rang, le cheik Bechara elKhoury, actionnaire entre autres de la banque Audi Bank. Membre lui aussi du Premier Cercle, Bechara el-Khoury
a été nommé en 2009 consul de… Monaco.
D’autres illustres “ennemis” de l’impôt français se retrouvent dans l’annuaire. Comme Patrice de Maistre,
l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, grand chef d’orchestre de la fraude fiscale de
l’héritière de L’Oréal et lui-même détenteur d’un compte à la HSBC en Suisse, comme l’a raconté l’ancien
procureur de Nice, Éric de Montgolfier. En janvier 2008, le ministre du budget et trésorier de l'UMP, Éric
Woerth, remettra la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, qui se trouve aussi être l’employeur de sa femme. Le
mélange des genres vaut aujourd’hui à l’un et à l’autre des mises en examen pour « trafic d’influence » par le
juge bordelais Jean-Michel Gentil.
André Bettencourt, le défunt mari de la multi-milliardaire Liliane Bettencourt, dont le fisc a découvert
l’étendue de l’évasion fiscale en 2010 après la publication des enregistrements clandestins de son majordome,
était, lui aussi, membre du Premier Cercle en juin 2007. Les Bettencourt étaient détenteurs de douze comptes à
l’étranger non déclarés au fisc, mais ne seront contrôlés qu’après les révélations de Mediapart sur leur
patrimoine trois ans plus tard. Jusque-là, et depuis des décennies, le fisc ne s’est jamais penché sur leur
situation fiscale. Du jamais vu.
La bataille familiale pour le contrôle de la fortune du clan n'a pas empêché Françoise Bettencourt, la fille de
Liliane et André, et son mari Jean-Pierre Meyers, de s'inscrire eux aussi au Premier Cercle, animé par Éric
Woerth.
Autre exemple, celui de Guy Wildenstein, homme d’affaires et marchand d’art, au cœur avec son frère Alec de
lourds soupçons judiciaires et fiscaux au sujet de l’héritage pharaonique – on parle de 4 à 5 milliards d’euros –
légués par leur père. La justice a mis au jour un réseau complexe de trusts domiciliés dans un nuage de paradis
fiscaux (Bahamas, Guernesey, îles Vierges britanniques…). Alec et Guy Wildenstein sont tous deux membres du
Premier Cercle et la question d’éventuelles protections politiques sur leur situation fiscale est aujourd’hui
ouvertement posée.
Dernière illustration avec l'ancien président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, autre membre du Premier
Cercle visé par des soupçons de « fraude fiscale ». Le parquet de Paris a ouvert une enquête au mois du juin à la
suite d'une dénonciation de Bercy. Président du conseil de surveillance du groupe Wendel, le baron Seillière est
soupçonné d'avoir monté une opération financière frauduleuse lui ayant permis de toucher 65 millions d'euros,
sans verser un centime d'impôt. Son domicile et le siège de Wendel ont été perquisitionnés mardi 25 septembre,
selon Le Monde.
5) des familles engagées
Dans la liste, certains patronymes se multiplient comme des petits pains. La famille Guerrand-Hermès (groupe
de luxe Hermès), par exemple, se distingue avec cinq représentants. Le cas le plus frappant ? Quatorze Mulliez
(Gérard, Thierry, Vianney, André, Arnaud, Marie, etc.), membres d’une des familles les plus riches de France,
aux manettes de la holding propriétaire du groupe Auchan. Quant au Franco-Libanais Jacques R. Saadé, PDG
de la troisième compagnie de fret maritime au monde (CMA-CGM), il a rejoint le Premier Cercle avec quatre de
ses proches, dont son fils Rodolphe.
Si la CMA-CGM est peu connue du grand public, l’un de ses yachts de luxe baptisé Le Ponant, 88 mètres de long,
a fait la Une des journaux en avril 2008, pris en otage par des pirates somaliens au large du golfe d’Aden. À
l’époque, alors que Rodolphe Saadé, directeur général de la société, négocie à la radio avec les pirates sous la
supervision du GIGN, Jacques Saadé, le père, rencontre son ami Nicolas Sarkozy à Paris à plusieurs reprises,
pour discuter des opérations. Faut-il payer la rançon ? Tout de suite ? Au bout d’une semaine, la trentaine
d’otages sera libérée par la marine française (voir ici).
Après tout, rien de surprenant. On partage souvent les mêmes convictions en famille. Mais dans certains cas,
d’après un témoignage recueilli sous le sceau de l’anonymat, des membres du Premier Cercle contournent la loi
(qui leur interdit de verser personnellement plus de 7 500 euros), en proposant un « deal » à leurs proches
(parents ou amis) : « Tu signes un chèque au bénéfice de l’UMP et je te rembourse sur-le-champ. » Pour ces
donateurs, c’est tout bénéfice : ils auront le droit de défiscaliser 66 % du montant.
Rien n'indique que les familles citées plus haut aient ainsi détourné la législation en vigueur. Mais seule la
transparence peut les obliger à répondre à ce type de questions.
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Notamment depuis nos informations de 2010 sur l'affaire Bettencourt, Mediapart n'a cessé de documenter une
question démocratique centrale, celle du financement de la vie politique et des graves dévoiements auxquels elle
peut donner lieu. Nos révélations d'aujourd'hui sur la liste secrète des hauts donateurs de l'UMP, le parti du
président sortant, Nicolas Sarkozy, relèvent de ce devoir d'information sur des questions d'intérêt public.
La démocratie a un coût, assumé par les contribuables français depuis la fin des années 1980 et la législation sur
le financement public des partis politiques et des campagnes électorales. Nées, déjà, des révélations
journalistiques sur les pratiques illégales des partis, de droite comme de gauche, ces nouvelles dispositions
permettent aux formations politiques de bénéficier de sommes publiques qui ne sont aucunement négligeables et
qui sont complétées par des remboursements forfaitaires des frais de campagnes électorales.
Ce financement public rend d'autant plus condamnables les pratiques qui violent ou contournent la législation
existante. Plusieurs faits déjà révélés par les enquêtes de Mediapart ont démontré l'existence de violations ou
de contournements qui avaient échappé à la vigilance des autorités. Il en fut ainsi de l'usage de l'évasion fiscale
pour des financements illicites, de l'existence de micro-partis au service presque privé de personnalités
politiques et, surtout, des conflits d'intérêts générés par cette recherche d'argent parmi le personnel politique
concerné.
L'existence de ces manquements et de ces déloyautés prouve que la transparence sur les liens entre l'argent et
la politique est encore insuffisante et que le contrôle des corruptions qu'ils peuvent générer est également
insuffisant. Nos révélations sur les hauts donateurs de l'UMP posent, de nouveau, cette question. C'est l'objet
de notre enquête, dont cet article est le premier volet, de mettre en pleine lumière ces sujets légitimes parce
que d'intérêt général.
Mediapart s'en explique plus longuement dans une mise au point de son directeur, Edwy Plenel, qui est en accès
libre ci-desssous…
Les carnets libres d'Edwy Plenel
Mediapart, l’argent de la politique et la politique de l’argent
25 septembre 2012 Par Edwy Plenel
Notamment depuis nos informations de 2010 sur l’affaire Bettencourt, Mediapart n’a cessé de documenter une
question démocratique centrale, celle du financement de la vie politique et des graves dévoiements auxquels elle
peut donner lieu. Nos révélations d’aujourd'hui (à découvrir ici) sur la liste secrète des hauts donateurs de
l’UMP, le parti du président sortant, Nicolas Sarkozy, relèvent de ce devoir d’information sur des questions
d'intérêt public.
La démocratie a un coût, assumé par les contribuables français depuis la fin des années 1980 et la législation sur
le financement public des partis politiques et des campagnes électorales. Nées, déjà, des révélations
journalistiques sur les pratiques illégales des partis, de gauche comme de droite, ces nouvelles dispositions
permettent aux formations politiques de bénéficier de sommes publiques qui ne sont aucunement négligeables et
qui sont complétées par des remboursements forfaitaires des frais de campagnes électorales (voir ici le site de
la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et voir là celui de la
Commission pour la transparence financière de la vie politique).
Ce financement public rend d’autant plus condamnables les pratiques qui violent ou contournent la législation
existante. Plusieurs faits déjà révélés par les enquêtes de Mediapart ont démontré l’existence de violations ou
de contournements qui avaient échappé à la vigilance des autorités. Il en fut ainsi de l’usage de l’évasion fiscale
pour des financements illicites, de l’existence de micro-partis au service presque privé de personnalités
politiques et, surtout, des conflits d’intérêts générés par cette recherche d’argent privé parmi le personnel
politique concerné.
L’existence de ces manquements et de ces déloyautés prouve que la transparence sur les liens entre l’argent et
la politique est encore insuffisante et que le contrôle des corruptions qu’ils peuvent générer est également
insuffisant. En documentant cette réalité par ses enquêtes, dans le respect de ses exigences professionnelles
et de ses règles déontologiques, la presse est dans son rôle, reconnu par la Cour européenne des droits de
l’homme, de « chien de garde de la démocratie », mettant en évidence des questions ignorées, minorées ou
délaissées dans le débat public.
C’est dans ce contexte que Mediapart (voir notre article précurseur de juin 2010) ainsi que d’autres médias
s’intéressent depuis longtemps à cette exception que constitue le Premier Cercle des donateurs de l’UMP, club
fermé et secret des hauts donateurs de ce qui fut, jusqu’à la défaite de Nicolas Sarkozy, le parti présidentiel
et qui est aujourd'hui le premier parti d’opposition. Sur la base, en 2007, d'une « participation annuelle minimum
de 3 000 euros », portée aujourd’hui à 3 500 euros, le Premier Cercle offre à ces hauts donateurs des réunions
privilégiées « avec les personnalités de l’UMP », ainsi que des « groupes de travail ». À notre connaissance,
l’autre principal parti de notre vie politique, le Parti socialiste, ne s’est pas doté d'un tel dispositif au bénéfice
des grands argentiers. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, être membre du Premier Cercle permettait
d’avoir un accès direct au président de la République lui-même.
Mettant en évidence le conflit d’intérêts flagrants d'Éric Wœrth, à la fois trésorier de l’UMP et ministre du
budget, défendant des avantages fiscaux pour les hautes fortunes et, en même temps, gérant leurs
contributions aux finances de son parti, notre enquête de 2010 sur l’affaire Bettencourt avait déjà approché
cet univers très fermé où se croisent les intérêts politiques et intérêts financiers. Elle avait mis en évidence, à
travers le cas de Liliane Bettencourt comme de son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, les services
échangés, les décorations offertes, les fraudes fiscales tolérées, les abus de pouvoir sur la justice, voire
d’éventuels trafics d'influence. Et elle avait montré l’imbrication des sphères publique et privée qu’entraînaient
ces conflits d’intérêts généralisés, comme l’illustrait l’embauche de l’épouse d’Éric Woerth par le même
gestionnaire de fortune des Bettencourt.
Notre découverte de la liste complète des membres du Premier Cercle de l’UMP, telle qu’elle était constituée en
2007, l’année de l'élection à l’Élysée de Nicolas Sarkozy, pose aujourd'hui des questions semblables. Comme le
montre notre premier inventaire, nombre de ces 544 hauts donateurs, par leur puissance financière et leur
pouvoir économique, ne sont pas des citoyens ordinaires. Les décisions prises par les politiques qu’ils financent
de façon privilégiée sont susceptibles d’être orientées ou influencées par cet appui. La transparence est ici la
première protection y compris pour les politiques eux-mêmes. Sinon, comment être certain qu’à raison de leur
puissance économique et de leur pouvoir financier, les donateurs concernés n’en profitent pas pour faire
prévaloir leurs intérêts privés en marque de reconnaissance ?
Le secret qui, jusqu’ici, a entouré ces hauts donateurs des partis politiques, et par conséquent les très influents
membres du Premier Cercle de l’UMP, n'est pas légitime : toutes les grandes démocraties, y compris les plus
libérales dans leur culture économique, exigent la plus grande transparence sur les liens entre le personnel
politique et ses grands argentiers. C’est évidemment le cas des États-Unis où l’on peut déjà connaître en ligne la
liste précise des gros donateurs des campagnes actuelles de Barack Obama et de Mitt Romney (lire ici et là).
Mais c’est surtout la règle imposée par l’Union européenne pour ses partis transnationaux. Tout parti
bénéficiant de fonds issus du budget général de l’UE doit en effet « déclarer ses sources de financement par le
biais d’une liste précisant les donateurs et les dons reçus de plus de 500 euros » (lire ici). Les montants en
cause s'agissant du Premier Cercle des hauts donateurs de l’UMP, qui est membre du Parti populaire européen,
sont largement supérieurs à ce plafond de 500 euros.
Entre le moment des contributions faites en 2007 par ces 544 hauts donateurs de l'UMP et celui où nous avons
découvert cette liste, cinq années se sont passées, celles de la présidence Sarkozy et du gouvernement Fillon,
dont les actes permettent d’évaluer leur incidence sur le pouvoir, ses choix, ses décisions et ses distinctions.
Tel est l’objet de notre enquête, dont cet article est le premier volet. On y découvre déjà le poids de la finance
internationale et des donateurs vivant à l'étranger, la sur-représentation du milieu des banques d’affaires, le
rôle des paradis fiscaux pour l’évasion et la fraude fiscale de certains contributeurs, des conflits d'intérêts et
des services rendus, des protections offertes par la suite à ces privilégiés si généreux, etc.
Chaque citoyen est en droit d’aider ou de soutenir la formation politique de son choix, dans le respect des lois
existantes. Et, s’il le souhaite, il a le droit de le faire dans la discrétion, non seulement le secret de l’isoloir lors
du vote mais aussi l’anonymat du parti bénéficiaire de ses dons dans les reçus qui en témoignent (lire ici les
dispositions de la loi en vigueur). Mais, à partir d’un certain niveau de soutien financier, et donc de fortune et de
pouvoir, cet appui doit être connu du peuple de façon qu’il sache si les décisions prises en son nom par ses
gouvernants sont influencées ou non par ces donations, et par conséquent liées ou non à des intérêts privés au
détriment de l'intérêt général.
Tel est le débat d’intérêt public que Mediapart entend lancer, en s’adressant au législateur pour qu’il veille,
notamment en ces temps d’austérité économique et de crise sociale, à accentuer la transparence sur les liens
entre l’argent et la politique de façon que la politique ne devienne pas celle de l’argent. « La publicité de la vie
politique est la sauvegarde du peuple », lançait à l'été 1789 le premier président du Tiers état et premier maire
de Paris, Jean Sylvain Bailly. En faisant son travail d’enquête, d’avertisseur public et de lanceur d’alerte,
Mediapart est fidèle à cet engagement républicain.