Quels risques de cancer après transplantation

Transcription

Quels risques de cancer après transplantation
L’ACTUALITÉ DE LA FONDATION
Traitements immunosuppresseurs
Quels risques de cancer
après transplantation ?
L’augmentation du risque de développer un cancer
après transplantation d’organe est connu depuis les débuts du succès des transplantations et cela quel que
soit l’organe (rein, cœur, foie…). Les antécédents familiaux et personnels du receveur ainsi que les facteurs
Trois mécanismes peuvent expliquer la
survenue d’un cancer chez un receveur
: un cancer transmis par le donneur, un
cancer préexistant qui récidive après
transplantation et surtout le développement d’un cancer de novo.
Cancers transmis
par le donneur.
La transmission d’un cancer du donneur
au receveur a été décrit pour de très
nombreux types de primitifs avec parfois des délais de latence entre le diagnostic du cancer et sa transmission
dépassant plusieurs décennies (mélanome par exemple). Ainsi, sauf dans des
situations particulières, le donneur avec
antécédents de cancer est contre-indiqué pour un don. Il faut néanmoins rester très vigilant sur la qualification d’un
donneur et son examen clinique avant
et pendant le prélèvement afin d’éviter
au maximum les risques de transmission
d’un cancer méconnu ; d’autant plus
que l’âge des donneurs augmente et
donc le risque d’être confronté à un
donneur porteur d’un cancer non diagnostiqué. Le registre américain de
l’UNOS (United Network for Organ Sharing) estime actuellement ce risque de
transmission inférieur à 0.2%.
Le receveur avec
un antécédent de cancer.
La transplantation rénale chez un patient ayant présenté un cancer est une
situation de plus en plus fréquente. A
Nantes, cette fréquence a doublé en 20
de risque classiques connus de la population générale
chez le receveur sont très importants à prendre en
compte mais cette augmentation d’incidence est en très
grande partie liée aux traitements immunosuppresseurs
administrés pour prévenir le rejet de greffe.
ans, passant de 5.2% au début des années 90 à actuellement 10.8 %. La plupart des recommandations préconisent
un délai de 2 à 5 ans entre la fin du
traitement curatif chez le receveur et la
réalisation de la transplantation. A l’opposé, malgré un délai de 5 ans, la vigilance restera pour les cancers dont les
taux de récidive sont les plus élevés :
mélanome, cancers de vessie, sarcome,
cancer du rein symptomatique…
Avec les pratiques actuelles, dont la minimisation de l’immunosuppression, le
taux de récidive après transplantation
rénale a diminué et se situe entre 2 et
5% selon les dernières données des registres de l’UNOS ou de l’ANZDATA
(Australia and New Zeland Dialysis and
Transplant Registry).
Les cancers de novo après
transplantation rénale.
Les facteurs de risque du développement de ces cancers commencent à être
bien identifiés mais malheureusement
si peu sont modifiables au moment de
la question d’une transplantation d’organe, leur connaissance nous permet
d’envisager une prise en charge personnalisée dans leur dépistage et la surveillance
après
transplantation.
D’autres études ont montré qu’il était
possible d’agir au niveau de la prévention en modifiant nos schémas d’immunosuppression. Ces prises en charge
combinées devraient permettre au
moins de retarder l’apparition des cancers et finalement d’allonger la survie
des patients avec un greffon fonctionnel.
Données
épidémiologiques.
L’incidence globale de cancers dans la
population des transplantés rénaux
varie, en fonction des études, des populations étudiées et de la durée du
suivi, de 2.3 à 31%. Chez les receveurs
transplantés depuis moins de 3 ans l’incidence est de 7.4% (en excluant les
cancers cutanés) et passe pour les patients transplantés depuis plus de 20
ans entre 35 et 50 %.
Au delà de 30 années de transplantation, dans le registre de l’ANZDATA, 75
% des receveurs présentent au moins
un cancer cutané et 33% un cancer
profond.
La distribution des cancers après transplantation rénale est très différente de
celle observée dans la population générale. Les cancers cutanés de types carcinomes spino cellulaires ou baso
cellulaires sont très fréquents ainsi que
certains cancers liés à des infections virales comme les désordres lympho prolifératifs.
L’excès de risque qu’un receveur a de
développer un cancer a été étudié plus
récemment. Toutes les études réalisées
montrent un excès de risque global
dans la population des transplantés rénaux d’au moins un facteur 2 pour tous
cancers à l’exclusion des cancers cutanés qui eux explosent à plus de 100.
Si l’on considère le type de cancer, ceux
dont l’excès de risque est le plus important (>x3) correspondent à des cancers
pour lesquels une origine virale a été
Suite page 5
4
L’ACTUALITÉ DE LA FONDATION
Quels risques de cancer après transplantation ?
Suite de la page 4
prouvée ou peut être fortement suspectée.
Parmi les cancers non viro induits,
l’augmentation de risque la plus importante est observée pour les cancers des
reins natifs, de la vessie (en Asie surtout) et de la thyroïde.
Il faut souligner que l’excès de risque,
pour les mêmes types de tumeurs, est
retrouvé à un plus faible niveau chez les
patients dialysés et insuffisants rénaux
chroniques.
Dépistage des cancers
pour les patients
transplantés rénaux
Le dépistage commence lors de l’évaluation du patient pour la transplantation rénale. Les objectifs sont d’éviter
de transplanter un patient avec un cancer méconnu (dont l’évolutivité posttransplantation flambe sous immuno
-suppression maximale) et de permettre d’établir un calendrier de dépistage
adapté pour la période post transplantation.
Les cancers les plus fréquents sont particulièrement ciblés. Tout d’abord les
carcinomes cutanés pour lesquels il est
indispensable d’éduquer le patient (protection solaire, auto-examen…). La
consultation dermatologique systématique dans les premiers mois de la
greffe permettra d’informer à nouveau
le patient et définira, en fonction des
facteurs de risque du patient, le rythme
des consultations spécialisées ultérieures. Ces consultations permettront
le traitement des lésions précancéreuses.
Les cancers urologiques sont dépistés
par la réalisation d’une échographie abdominale annuelle. Le dépistage du
cancer de la prostate est réalisé par dosage annuel de la PSA après 50 ans.
Pour les cancers gynécologiques, un
frottis annuel est recommandé. Le dépistage du cancer du sein et des cancers colorectaux sera similaire à celui de
la population générale.
Prise en charge
d’un transplanté avec un
cancer de novo.
De nombreuses études in vitro et in
vivo, montrent que certains traitements
immunosuppresseurs et en particulier
ceux de la famille des inhibiteurs de
calcineurine (CNI : CyclosporineA, Tacrolimus) accélèrent le développement
tumoral et la dissémination métastatique.
Le premier principe de traitement peut
se résumer à une prise en charge identique à celle de la population générale
par chirurgie, chimiothérapie et/ou radiothérapie. Le transplanté rénal pose
alors essentiellement des problèmes
spécifiques d’adaptation des chimiothérapies (type, posologie) à la fonction
rénale et d’interférences avec les traitements immunosuppresseurs.
Le deuxième principe est celui de la diminution du niveau global d’immunosuppression selon des modalités faites
au cas par cas, en fonction du pronostic du cancer et du risque de rejet.
Pour les autres cancers viro induits
comme les carcinomes cutanés, plusieurs études, dont une étude française
(TUMORAPA, coordonnée par Lyon et
Nantes), ont démontré qu’il est préférable en terme de récidive (prévention
secondaire) d’arrêter les CNI et de les
remplacer par un traitement de la famille des inhibiteurs de la protéine
mTOR (ImTOR : Sirolimus/Rapamune® et
Everolimus/Certican®).
Un autre exemple de l’intérêt de ce relai
est le sarcome de Kaposi car les ImTOR
possèdent une activité anti angiogénique clé pour le développement de ce
type de sarcome. Il faut d’ailleurs préciser que la croissance d’une tumeur solide ou d’une métastase, quelle qu’elle
soit, demande l’apport de nutriments
par voie vasculaire, hors les ImTOR, aux
doses utilisées en transplantation, inhibent la création de cette néo-vascularisation tumorale. Cette famille
d’immunosuppresseurs apparait donc
comme ayant des propriétés antinéoplasiques tout en préservant le greffon
d’un éventuel rejet.
Les ImTOR sont aussi associés à une diminution d’incidence de cancers de
novo en prévention primaire que ce soit
à partir de donnés de registre ou
d’études prospectives (Etude CONVERT).
La diminution porte essentiellement sur
les cancers cutanés mais aussi dans une
moindre mesure sur les cancers profonds.
Malheureusement, si leur intérêt dans le
cadre de prévention ou de la prise en
charge des cancers de novo est bien reconnue, ces traitements restent mal tolérés (25-30 % d’arrêt du traitement en
raison d’effets divers : pneumopathie,
protéinurie, aphtose…). Néanmoins, il
semble que leur utilisation puisse encore
être optimisée, comme cela est suggéré
par certaines études en cours.
L’objectif de la transplantation rénale
est de permettre aux patients de vivre
mieux et plus longtemps avec un greffon fonctionnel.
De nombreux progrès ont été réalisés
dans la prise en charge de patients pour
lesquels les enjeux principaux évoluent
avec le temps.
Initialement principalement immunologiques et infectieux, ces derniers se sont
déplacés sur les problèmes cardio-vasculaires et néoplasiques.
Bien que l’éducation du patient et le dépistage ciblé permettent de prendre en
charge le plus précocement possible ces
lésions et d’en améliorer le pronostic,
cette problématique croissante représente une des limites à l’extension du
niveau de l’immunosuppression actuellement pratiquée.`
Au CHU de Nantes, dans le contexte du
DHU (Département Hospitalo Universitaire) Oncogreffe, il a été mis en place
une filière de prise en charge multidisciplinaires des cancers des patients
transplantés ; cutanés avec les dermatologues et hématologiques (lymphomes) avec les hématologues.
Pr. Jacques Dantal
Néphrologue
5