La censure d`Internet en Chine
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La censure d`Internet en Chine
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION LA CENSURE D’INTERNET EN CHINE Chronique réalisée par Mlle Angélique COUTANT Master Professionnel « Droit et métiers de l’audiovisuel » Aix-en-Provence Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille 2006-2007 Université Paul Cézanne U III Internet est un média en plein essor et difficile à contrôler de sorte qu’il apparaît à première vue comme un espace de liberté d’expression et un symbole de libre échange de l’information. C’est dans cette logique que Georges W. Bush avait déclaré, lors d’un débat du parti républicain à Phoenix, en Arizona, en décembre 1999 : « Imaginez si l’Internet s’impose en chine. Imaginez comme la liberté se propagerait. » 1 Toutefois, cette conception de l’Internet comme instrument de démocratisation notamment dans les régimes totalitaires semble être mise à mal par l’exemple chinois. Le pouvoir politique opérationnel en Chine est divisé entre trois organes : le Parti communiste, l'État, et l'Armée. Autoritaire dans sa structure et dans son idéologie, le Parti communiste continue à dominer le gouvernement. L’image rendue par la Chine aux yeux de la communauté internationale, surtout depuis la répression des manifestations de la place Tienanmen 2, a conduit les leaders du gouvernement central à construire un consensus pour de nouvelles législations entre les membres du Parti, les responsables locaux et régionaux, les personnages influents non membres du Parti, et la population dans son ensemble. Consensus organisé autour du contrôle de la population grâce à la maîtrise de l'information, la propagande et la censure. Ouverte à l’Internet mondial en 1994 et à l’exploitation commerciale d’Internet en 1995, la Chine compte aujourd’hui 123 millions d’internautes sur 1,3 milliards d’habitants, et plus de 54 millions d’ordinateurs connectés 3. Elle est aujourd’hui deuxième sur le marché mondial du Net après les États-unis, et sa croissance est la plus rapide dans le monde (on ne comptait que 46 millions d’internautes en juin 2002, le nombre de sites publiés et approuvés dans le pays est doublé chaque année et atteint aujourd’hui le nombre de 788 400, certaines entreprises chinoises spécialisées dans Internet sont cotées sur les places boursières américaines 4, ...). 1 http://www.frstrategie.org, « L’Internet en République populaire de Chine : l’idée d’un dilemme contrôle politique versus modernisation économique est–elle pertinente ? », Candice Tran Dai, 12 octobre 2006 2 Les manifestations pacifistes de la place Tienanmen en mai et juin 1989, symbole de la lutte pour la démocratie, sont le fait d’étudiants qui exigeaient des réformes politiques et dénonçaient la corruption en République populaire de Chine, et dont la répression a conduit au massacre de milliers de manifestants. 3 China Internet Network Information Center (CINIC) 4 Par exemple : Sohu.com ou Baidu.com C’est ce considérable essor qui a conduit de nombreuses entreprises étrangères, alors même que leur propre croissance s’avérait stagnante, à vouloir s’associer et profiter du développement économique de la Chine, tout en s’alignant à sa réglementation en matière d’Internet ; et ce, alors même que cette réglementation est érigée en méconnaissance de principes fondamentaux internationaux telles que la liberté d’opinion et la liberté d’expression. En effet, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyens d’expression que ce soit ». L’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, signé par la chine en 1998, reprend les mêmes termes, mais ajoute que ce droit s’exerce « sans considération de frontière » et quelque soit le média choisi. Or s’il est vrai qu’en Chine, Internet reste un lieu de débat, d’information et de contestation qui a permis de faire éclater certains scandales, notamment relatifs à la justice chinoise, il n’en reste pas moins que ce média est strictement encadré par les autorités chinoises et s’est progressivement imposé comme un outil de contrôle et de répression. Dès lors, il convient de se demander de quelle manière la Chine opère t-elle la conciliation entre le développement économique engendré par Internet, et le contrôle gouvernemental qu’il nécessite en raison d’une plus grande ouverture vers l’information. Certes, la censure d’Internet n’est pas un phénomène propre à la Chine 5, mais son exemple présente une certaine particularité en raison justement du contraste existant entre l’essor économique de ce pays en forte croissance, lié à Internet, et la censure qu’elle opère sur ce média. 5 La censure d’Internet s’exerce également dans de nombreux pays comme l’Arabie Saoudite, la Corée du Nord, Cuba, L’Iran, la Lybie, la Syrie, l’Ouzbékistan ... considérés par Reporters sans frontières comme les quinze « ennemis de l’Internet » (www.rsf.org) En effet, si Internet est, en Chine, un média strictement encadré (I), il représente également un outil de propagande et de croissance économique fortement sollicité, tant par l’État chinois que par les entreprises chinoises ou étrangères (II). I/ INTERNET : UN MEDIA STRICTEMENT ENCADRE « La Chine doit bâtir un réseau national indépendant de l’Internet global. » 6. C’est dans cette optique que la Chine a, dès les origines d’Internet, mis en place un système de contrôle strict d’Internet, qui méconnaît certains principes fondamentaux internationaux tels que la liberté d’expression. Ce contrôle s’exerce tant au travers d’un encadrement législatif et réglementaire (A) que technique (B). A/ Encadrement législatif et réglementaire d’Internet Promouvoir le « sain développement d’Internet », tel est l’objectif poursuivi par le gouvernement chinois, qui manifeste sa volonté de surveillance et de contrôle d’Internet au travers d’un cadre juridique strict. Les sanctions vont du simple avertissement à la peine capitale et la justice, arbitraire et sévère, méconnaît trop souvent le droit à un procès équitable (les procès se déroulent en huit clos, les prévenus attendent le prononcé de leur sanction en prison...). Outre la mise en place d’acteurs publics de contrôle et la définition de contenus interdits (a), les fournisseurs d’accès sont soumis à un régime d’autorisations (b). a) Acteurs publics de contrôle et contenus interdits L’encadrement d’Internet s’est manifesté dès l’ouverture de la Chine à l’Internet mondial à travers la création des organes de régulation et la définition des contenus illicites. En effet, dès 1994, des organismes publics de contrôle, tels que le Bureau administratif pour le contrôle de la propagande sur Internet au sein du Conseil des affaires d’État, ou le Bureau de supervision et de surveillance informatique intégrée au Ministère de la sécurité publique, ont été mis en place afin d’élaborer des directives concernant le contenu et la surveillance des sites chinois. Des pouvoirs étendus d’enquête et de poursuite de cas illégaux leur sont conférés 7. 6 Jiang Mianheng, fils de l’ancien numéro un chinois Jiang Zemin et aujourd’hui président de l’Académie des sciences de Shanghai et vice-président de l’Académie des sciences de Chine, au cours d’une conférence à Shanghai en juin 2000 7 « Règlement pour la sécurité et la protection des technologies et de l’information » D’autres acteurs publics sont également impliqués dans la régulation de l’accès à Internet, tels que le Ministère de l’industrie de l’information (ancien Ministère des postes et télécommunication) en charge notamment de l’industrie des logiciels, des contenus Internet et de la fourniture des licences, ou l’Administration générale des la presse et des publications, en charge des journaux, des livres ou encore des sites Internet. Puis la Chine commence à réglementer et limiter l’accès à Internet dès 1996 avec les « Dispositions temporaires sur la régulation des réseaux informatiques et d’Internet ». Il est alors définit que « nul ne peut utiliser Internet en Chine pour rapporter, reproduire, créer ou transmettre des informations menaçant la stabilité sociale ou promouvant des contenus à caractère sexuel ». Dans son texte définitif sur la régulation, le Conseil d’État ajoute les informations menaçant la sécurité de l’État. Ce mode de régulation est fondé sur une autocensure et une collaboration avec les autorités dans ses « efforts légitimes pour surveiller les informations sur Internet ». Quant aux contenus interdits, ils sont précisés par l’article 15 de la Réglementation des Télécommunications. Il s’agit des informations allant contre les principes constitutionnels, celles menaçant la sécurité nationale, divulguant des secrets d’État, subversives envers le gouvernement ou attaquant l’unification nationale, celles allant à l’encontre de l’honneur et des intérêts de l’État, celles incitant à la haine raciale, ou contraires à l’unité nationale, ou encore celles colportant des rumeurs, dérangeant l’ordre social ou menaçant la stabilité sociale. b) Régime d’autorisation des fournisseurs L’accès à Internet est soumis à un régime d’autorisation, les fournisseurs de contenus devant nécessairement accéder au réseau public ChinaNet, supervisé par le Ministère des postes et des télécommunications. Le 30 Décembre 1997, le Ministère de la Sécurité Publique, approuvé par le Conseil d’État promulgue un nouveau règlement sur la sécurité des réseaux informatiques et d’Internet, étendant une fois encore le champs des restrictions concernant l’accès aux contenus. Les fournisseurs de services sur Internet, qu’ils soient chinois ou étrangers sont donc tous soumis à l’autorité du Ministère de la sécurité publique 8. Ils sont tenus de conserver (pendant 8 « Measures on the regulation of public computer networks and the Internet », Ministère des postes et télécommunications, 9 avril 1996 une durée de 60 jours) et de fournir aux autorités, lors de rapports mensuels, les données en leur possession, notamment quant aux utilisateurs finals. Ces données concernent le profil des utilisateurs connectés, le nombre de visiteurs de leurs sites ainsi que les contenus regardés. Ils doivent également collaborer lors des enquêtes qui sont menées sous peine de se voir retirer leur licence d’exploitation et leur inscription réseau. C’est pourquoi une autocensure, par le biais d’une surveillance par des bénévoles des services télématiques, a été mise en place. Cette participation active est renforcée dans les cas de violations des lois et règlements édictés. Quant aux utilisateurs qui contractent avec un fournisseur d’accès à Internet, ils doivent s’enregistrer auprès du bureau de police local dans les 30 jours de la signature de ce contrat. La situation actuelle résulte ainsi d’une continuité dans l’établissement d’une réglementation restrictive, on se trouve aujourd’hui en Chine dans une impasse législative lorsqu’il est question d’accès libre et anonyme aux réseaux. Ces restrictions s’expriment également par le biais d’un encadrement technique. B/ Encadrement technique d’Internet Lors du forum sur la gouvernance de l’Internet de 2006 qui s’est déroulé en Grèce, le délégué chinois à l’ONU avait déclaré : « Nous n’avons pas de logiciel pour bloquer les sites Internet, mais nous rencontrons parfois des soucis pour y accéder, ce qui est un autre problème ». Malgré la négation de toute censure, il s’avère que la Chine a mis en place un cadre technique d’Internet très efficace et très sophistiqué tant en amont avec le contrôle des backbones (a), qu’en matière de filtrage (b). a) Le contrôle des backbones Les backbones sont les points par lesquels l’ensemble du trafic Internet passe. Seuls neuf ont étés autorisés en Chine 9. Un grand pare-feu a été installé sur ces points d’accès, géré par ChinaTelecom, opérateur de l’État, lui permettant de contrôler l’accès général à Internet. Cela signifie que chaque email, document téléchargé ... passe obligatoirement par ces nœuds de connexion et sont donc soumis au contrôle de l'État, quelque soit le fournisseur d’accès de l’internaute. 9 China Telecom, China Netcom, China Science and Technology Network, China Unicom, China Mobile, China Education and research Network, China Intl. Economic and Trade Net, China Great Wall Communications, China Satcom ChinaTelecom est d’ailleurs le seul opérateur habilité à négocier l’accès « extérieur » avec les autres opérateurs. L’interconnexion directe avec des réseaux « extérieurs » est également limitée à neuf pays : Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie, la Corée du Sud, le Japon, la Malaisie, Singapour. b) Le filtrage d’Internet La Chine possède un des systèmes de filtrage des plus avancé et des plus efficace au monde. Afin de limiter l’accès à certains contenus et en violation de la liberté d’expression, les autorités chinoises suivent avec attention les évolutions technologiques liées à Internet. Le filtrage de la toile consiste à bloquer l’accès des internautes à des sites en fonction de leur adresse IP, de leur nom de domaine ... car ces sites ne correspondent pas aux critères juridiques définis par l'État. Les internautes voient alors s’afficher des messages d’erreurs ou peuvent être renvoyés d’un site interdit à un site autorisé, sans même s’en rendre compte. Une étude de l’Université d’Harvard a comptabilisé 19 132 sites bloqués. Cette étude a également démontré que les filtrages concernaient aussi bien les sites à caractère pornographique que des sites relatifs aux divertissements, à l’information, à la santé ..., dès lors qu’ils sont jugés « subversifs » par l’État. Font également l’objet d’un filtrage les forums de discussion, les blogs et les sites permettant l’échange de vidéos. Là encore, les espaces d’échange et d’opinions sont réduits à néants par la censure étatique chinoise. Si le pays compte plus de 123 millions d’internautes dont plus de 17 millions de blogueurs, les sujets sensibles ou les critiques envers la politique du gouvernement sont très peu abordés sur les forums et sur les blogs. Là encore, d’une part les méthodes de filtrage bloquent leur accès, mais d’autre part, le contrôle des contenus est imposé par les autorités aux entreprises qui exploitent ces services. Une fois encore une autocensure s’est ainsi mise en place au sein de ses sociétés qui emploient des « modérateurs », dont la fonction consiste à assainir les contenus des forums, blogs et autres. Il est de même des fournisseurs d’accès à Internet, qui ont l’obligation d’installer un logiciel permettant l’enregistrement des messages incriminables ; messages qui sont ensuite envoyés au Ministère de l’industrie de l’information afin de dénoncer et pouvoir poursuivre en justice leurs auteurs. Cette obligation concerne également les cybercafés qui, depuis le 15 novembre 2002, sont tenus d’installer un logiciel permettant d’interdire l’accès à certaines informations « menaçant la sécurité de l’État (sites Web étrangers, de défense des droits humains ...). Quant à l’accès aux cybercafés, il est interdit aux moins de 18 ans. Le non respect de ces mesures a d’ailleurs conduit à une inspection, en 2001, de tous les sites d’accès public à Internet. En 2002, 56.800 cybercafés avaient étés inspectés et plus de 8000 avaient étés forcés à se déconnecter du réseau deux mois plus tard 10. Internet, média fortement contrôlé, reste pourtant un outil de propagande et de croissance économique aux yeux du gouvernement chinois. II/ INTERNET : OUTIL DE PROPAGANDE ET DE CROISSANCE ECONOMIQUE Malgré les dangers que peut représenter Internet pour le régime communiste en place, ce nouveau média s’est également révéler être un outil efficace de propagande au yeux du gouvernement chinois (A) mais également un outil de croissance économique pour les entre prises chinoises et étrangères (B). A/ Internet, outil de propagande Le gouvernement chinois, a su mettre a profit Internet en l’utilisant comme un moyen d’expression du nationalisme chinois (a). Il a d’ailleurs étendu son contrôle de la presse écrite à la presse sur Internet (b) et favorisé l’autocensure (c). a) Lieu d’expression du nationalisme chinois Nouveau média accessible, en principe par tous, les hommes politiques ont su tirer parti d’Internet grâce à des interventions de plus en plus fréquentes sur divers sites. Tel est le cas notamment du Ministre des affaires étrangère qui, en 2003, accepta de dialoguer en direct avec des internautes sur un site de discussion. Il permet également au gouvernement chinois de légitimer certaines de ses actions et d’affirmer sa position sur certains sujets par la création de sites, notamment relatifs au Tibet 11, destinés à modeler l’opinion et à apaiser les critiques émanant de l’étranger. Il se révèle en outre très utile pour renforcer le sentiment nationaliste durant les périodes de crise. Les propos violents, voire haineux à l’encontre de certains pays étrangers comme les 10 Observatoire des droits de l’homme 11 www.tibetology.com.cn, par exemple États-unis, sont ainsi librement développés sur la Toile afin de détourner l’attention publique des problèmes rencontrés par la Chine. C’est ainsi que, suite au bombardement de l’Ambassade de Chine à Belgrade par les forces de l’OTAN en 1999, cette action fut dénoncée en tant qu’attaque délibérée sur le forum du journal « Le quotidien du peuple », ce qui a conduit des hackers chinois à attaquer des sites de l’État américain. Internet se révèle aussi être un outil de modernisation pour l’Administration chinoise puisqu’elle lui permet de pallier les lourdeurs de l’administration et favorise entre autres les échanges entre les différents niveaux du pouvoir, ce qui revalorise ainsi l’image de l’État au regard des administrés. b) Contrôle des contenus journalistique sur Internet Le parti communiste chinois, maître de la presse écrite, a vu son contrôle étendu aux publications sur Internet grâce à règlement entré en vigueur le 1er Août 2002. La législation sur le droit de la presse est ainsi adaptée à Internet : il est donc interdit à un organe d’information de publier des faits non "validés" par la presse officielle du parti communiste chinois. De même, aucune information venant de l’étranger ne peut parvenir à l’utilisateur chinois sans avoir été préalablement vérifiée, et de nombreux sites, comme celui du quotidien China Daily, visité par des millions d’internautes par jour, est aujourd’hui entièrement contrôlé par le Parti. La violation de libertés fondamentales telles que la liberté d’expression s’exerce également au travers de règles relatives à la protection des secrets d’Ėtat dont la diffusion, la discussion ou la propagation est interdite sur Internet. Les écrits des journalistes et écrivains sont donc vérifiés avant leur publication et peuvent conduire à leur emprisonnement pour avoir exercé ce droit. Là encore, le parti communiste chinois justifie ces mesures par la volonté de promouvoir le « sain développement d’Internet ». C’est cette censure qui a d’ailleurs conduit l’association Reporters Sans Frontières à lancer le 7 novembre 2006 une manifestation en ligne de 24 heures afin de dénoncer la censure des journalistes exercée dans certains pays, notamment en Chine et également à dénoncer ceux qu’elle considère coupable d’avoir cédé à cette censure, comme le fondateur de Yahoo !, Jery Yang 12. Les autorités chinoises affirment cependant que les arrestations des journalistes « n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. Nous avons des milliers de journalistes en chine, et 12 Notamment sur les sites Internet de Reporters sans Frontières, Amnesty International, CNN et BBC certains ont des problèmes avec la justice » (délégué chinois à l’ONU lors du Forum sur la gouvernance de l’Internet qui a eu lieu en 2006). c) Développement de l’autocensure Outil efficace d’autocensure, Internet permet enfin la médiatisation de la répression du gouvernement, qui souligne, au travers de ce média, la performance des moyens techniques et humains qu’il a mis en œuvre pour sanctionner les « dissidents au pouvoir », ainsi que les nombreuses condamnation prononcées contre eux. Les fournisseurs d’accès et de contenus, tenus juridiquement responsables de tout propos ou écrits postés sur les serveurs qu'ils hébergent ou administrent, vont ainsi développer une autocensure notamment au travers du contrôle et de la dénonciation de tout contenu dit « subversif ». Un code de bonne conduite des éditeurs d’Internet est également entré en vigueur en août 2002. Rédigé par un organe semi-officiel, l’Internet Society of China, afin de renforcer les règles relatives à Internet dans le pays, ce pacte public d’autodiscipline était signé, en juillet 2002, par plus de 300 sociétés dont Yahoo !. Enfin, Internet se révèle être un outil de croissance obligeant, tant le gouvernement chinois que les entreprises étrangère a concilier encadrement strict et développement économique. B/ Outil de croissance économique très prisé par les sociétés étrangères « Je ne pensais pas en arriver là mais finalement j’en suis venu à la conclusion que davantage d’information c’est mieux, même si cette information n’est pas aussi complète que ce que nous aurions aimé voir » (Sergey Brin, co-fondateur de Google). Le marché chinois de l’Internet est un marché florissant et convoité (a) qui conduit de nombreuses entreprises étrangères à nier des libertés fondamentales en faveur d’un intérêt économique et financier (b). C’est pourquoi des moyens de contourner cette censure d’Internet se développent de plus en plus (c). a) Le marché chinois, un marché florissant et convoité Avec plus de 23 millions d’internautes, 17,9 heures passées devant Internet par semaine 13, le marché chinois de l’Internet, deuxième mondial, est des plus florissant. Le secteur des high-tech « est devenu l'un des piliers de [leur] économie nationale » Longtemps concentrés sur leur marché intérieur, les fabricants de téléphonie mobile chinois 14 . 15 ont conquis l'international et sont aujourd’hui présents dans une centaine de pays. « Nous avons plus de 10.000 ingénieurs en recherche et développement et nous travaillons avec les grands opérateurs européens comme Telefonica de ZTE 17 16 ou France Télécom », déclare Cheng Lin, président pour l'Europe de l'Ouest. La Chine reste toutefois un pays en voie de développement : seuls 28% des Chinois ont le téléphone fixe et 33,9% un téléphone mobile et le service universel n’est pas encore atteint, même si les quatre premiers opérateurs chinois 18 ont lancé en 2004 avec le gouvernement le « Village Access Project » pour connecter les provinces les plus reculées au téléphone fixe. Cet énorme potentiel de croissance attire donc les leaders des télécoms, qui considèrent la Chine « comme un acteur important des télécoms » entreprises chinoises. Ainsi, Vodafone 20 19 et investissent de plus en plus dans les a investi dans China Mobile et Telefonica dans China Netcom. De même pour les équipementiers comme Nokia et Motorala. Google ou Microsoft quant à eux se défendent de collaborer avec la Chine alors même qu’elle pratique une certaine censure, et estiment qu’ils ne peuvent ignorer un tel marché, surtout à l'approche des Jeux olympiques de Pékin de 2008. Les enjeux financiers apparaissent donc supérieurs à la défense des libertés. 13 Les japonais y passent 13,9 heures et les français 9,1 heures 14 Déclaration de Yaoping Jiang, vice ministre chinois de l’industrie et de l’information 15 Dont les leaders sont ZTE et Huawei, Huawei fournissant près de 400 opérateurs 16 Groupe de télécommunication espagnol 17 Premier fabriquant de téléphones mobiles en Chine 18 China Mobile, China Telecom, China Unicom et China Netcom 19 Marc Fossier, directeur recherche et technologie de France Télécom, qui a signé un partenariat avec China Telecom 20 Groupe de télécommunication britannique b) La violation des libertés, une nécessité économique et financière La Chine occupe une place de premier ordre dans l’économie mondiale. C’est pourquoi les professionnels chinois et étrangers s’adaptent à la réglementation nationale sur Internet afin de pouvoir mener leurs activités commerciales. Il est vrai que les entreprises occidentales tels que Yahoo ! (23 % de parts de marché), Microsoft ou Google (54 % de parts de marché), afin de préserver leur place sur la marché, se sont ainsi « résignées » à adopter la politique chinoise en matière d’Internet, alors même qu’elles se considéraient jusqu’alors comme des piliers du libre accès à l’information sur le Net. Google considère en effet qu’elle pourra, grâce à sa culture de l’innovation, apporter une « contribution positive et significative à la vitesse de développement, déjà impressionnante, de la Chine » 21 Certes ces entreprises arguent que leurs équipes en Chine auraient été arrêtées et expulsées si elles avaient refusé de coopérer, ou encore qu’elles informent les internautes des filtrages qu’elles feraient et affirment rester en dehors des blogs et boites mail. Elles se retrouvent toutefois aujourd’hui signataires du code de bonne conduite élaboré par l’Internet Society of China et censurent leurs versions chinoises, contrôlent les forums de discussion... Yahoo ! s’est même vu collaborer avec le gouvernement chinois en dénonçant un dissident chinoise, ce qui a conduit à sa condamnation à 10 ans de prison 22 . Quant à Google, n’avait-il pas refusé de fournir au département de la Justice sous Bush, des données sur les recherches effectuées par les internautes ? Alors pourquoi accepter aujourd’hui de se soumettre à une telle législation si ce n’est pour des intérêts financiers ? C’est cet intérêt financier et économique qui permettra en effet à ces entreprises de s’implanter en Chine, de concurrencer des sites chinois... Et ce, en totale violation des normes internationales. Or « la liberté d’expression n’est pas un principe accessoire, que l’on peut mettre de côté lorsqu’on opère dans une dictature. C’est une valeur reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme et inscrite dans la constitution chinoise. » 23. Parallèlement, ce sont les investissements de ces sociétés en Chine qui ont permis un tel essor d’Internet sur ce marché et qui facilite aussi, par la livraison de matériel de haute technologie, un contrôle et une censure aussi efficace de ce média et donc cette restriction des libertés. 21 Déclaration d’Andrex McLaughlin, conseiller stratégique de Google 22 Celui-ci avait diffusé par mail une circulaire gouvernementale interdisant toute évocation par les médias de la célébration du 15ème anniversaire de la répression du printemps chinois de Tienanmen 23 www.rsf.org Les lois du marché et le développement économique fondés en partie sur la libre circulation n’auront donc pas permis, comme il aurait été souhaitable, une totale démocratisation de l’Internet. Au contraire, de tels accords entre les sociétés multinationales et les autorités chinoises risquent de faire progressivement de la censure sur Internet la norme en Chine comme ailleurs, même si des détournements sont possibles. c) Les détournements possibles de la censure La censure en Chine et ailleurs provoque certaines réactions internationales de la part des internautes chinois ou étrangers. Ainsi, certains activistes vivant hors de Chine élaborent des moyens de contournement, comme par exemple le Laboratoire de recherche Citizenlab, au Canada ou Dinamic Internet Technology aux États-unis. Il est ainsi possible de se connecter par exemple à des réseaux via des serveurs mandataires appelés « proxy server », basés à l’étranger. Ces réseaux agissent en tant qu’intermédiaires entre l’ordinateur de l’internaute et le serveur. Ils sont notamment utilisés pour améliorer l’efficacité d’accès aux pages Web ou pour filtrer les demandes d’accès à certains sites ou contenus spécifiques. Aux États-unis un Bureau de la Liberté sur Internet, chargé de créer et diffuser des technologies permettant de contourner la censure sur Internet a même été crée. Par ailleurs, une Déclaration des droits des citoyens sur Internet a été publiée le 29 juillet 2002 par des dissidents et intellectuels chinois pour contrer les mesures prises par la Chine. Ils demandent à l’Assemblée populaire nationale de Chine et aux organisations de défense des droits de l’homme d’examiner la constitutionnalité et la légitimité de certains règlements adoptés par les autorités chinoises, en se fondant sur la Déclaration universelle des droits de l’homme et sur le pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966. En octobre 2002, ils avaient reçu le soutien de plus de mille éditeurs de pages Web et utilisateurs d’Internet 24 . De son coté, l’association Reporters sans frontières avait, en novembre 2006, organisé une « cyber-manifestation » de 24 heures sur Internet contre les treize pays qui pratiquent la censure sur Internet, dont la Chine. A l’issu de cette manifestation, l’association avait recueilli environ 17 000 votes 25. Cette méconnaissance des principes fondamentaux internationaux tels que la libre expression et la libre information est donc tempérée occasionnellement, et la Chine montre 24 web.amnesty.org 25 http://www.rsf.org/24h/map.php parfois à la communauté internationale une certaine volonté de respecter ces principes. Ainsi a-telle intégré en mars 2004 « le respect et la garantie des droits de l’homme » à sa Constitution. De même, a t-elle publié un « livre blanc » pour défendre sa politique dans ce domaine, et libéré en 2003 une étudiante emprisonnée pour avoir publié des textes « subversifs » sur Internet. Certes le contrôle d’Internet et la tutelle de l’État n’est pas exclue dans les pays démocratiques, et les libertés individuelles des internautes sont parfois aussi restreintes, toutefois les motifs ne sont pas les mêmes. C’est d’abord, on le sait, au nom de la lutte contre le terrorisme qu’a été justifié un certain encadrement réglementaire et législatif. Une telle restriction est légitime dès lors que le législateur encadre ces mesures et que la police agit sous le contrôle des magistrats. Or tel n’est pas toujours et partout le cas. D’autres objectifs peuvent être mis en avant tels que la lutte contre les contenus pédophiles en ligne, la protection des industries culturelles contre le piratage ... Ainsi, en Chine comme ailleurs, il est essentiel de trouver un équilibre entre ces enjeux financiers, sécuritaires ou relatifs à la dignité humaine, et le droit des internautes de s’exprimer, le respect de la confidentialité des communications.... Il y a encore cinq ans, beaucoup pensaient qu’Internet, média libre prétendument incontrôlable, allait révolutionner la société chinoise et son système politique. Aujourd’hui, alors que ce pays dispose d’une influence géopolitique croissante, la question semble s’être inversée : c’est peut-être le modèle chinois d’Internet, basé sur la censure et la surveillance, qui pourrait un jour s’imposer au reste du monde. La chine sert d’ailleurs aujourd’hui de modèle à de nombreux régimes de dictature comme à Cuba ou en Corée du Nord. Angélique COUTANT.