Les faux positifs des épreuves d`effort chez les jeunes sportifs

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Les faux positifs des épreuves d`effort chez les jeunes sportifs
Les faux positifs
des épreuves d'effort
chez les jeunes sportifs
L'engouement pour une activité sportive régulière est tempéré parfois par la médiatisation d'événements cardialogiques graves, sinon létaux, survenant chez des athlètes renommés . Bien
MOTS CLÉS
qu'exceptionnel en nombre absolu , le risque statistique de survenue d'un évéFaux
positifs, épreuve
nement grave est légèrement augmenté dans une population pratiquant une
d'effort, électrocardiographe,
activité sportive régulière et intensive, si une anomalie cardiaque pré-existe.
segment ST, complexe ORS
Pr Hervé Douard, Hôpital cardiologique, Pessac.
> Données et définitions
Deux grandes séries ont été publiées sur
les causes des décès survenant lors
d'une activité sportive.
La série italienne de Corado, réalisée en
Italie du nord, montre que les coronaropathies acquises dominent largement,
la seconde cause étant représentée par
les dysplasies arythmogènes du ventricule droit, mais probablement avec un
biais en raison d 'un facteur géographique spécifique de cette pathologie
dans cette province de Vénétie. Viennent ensuite les valvulopathies et surtout les anomalies congénitales
coronaires (qu'elles soient liées à des
anomalies d'implantation, de morphologie ou de trajet). On comprend donc
le rôle important de l'épreuve d'effort
pour diagnostiquer et détecter les sujets
à risque de coronaropathies congénitales ou acquises. Ceci suppose cependant une spécificité des anomalies
enregistrées à l'épreuve d'effort suffisamment grande, ce qui ne semble pas
être le cas, en raison d'une fréquence
élevée de faux positifs dans cette po pulation.
l,;autre série, rapportée par Maron aux
Etats-Unis, concerne des sujets plus
jeunes et met en avant essentiellement
les myocardiopathies hypertrophiques.
Il est rare cependant qu'elles ne donnent pas lieu à des anomalies lors des
Cardio&Sport • n°3
épreuves d'effort; celles-ci concernent
les troubles de la repolarisation et surtout la révélation d'arythmies ventriculaires ou d'un profil tensionnel inadapté.
Dans cette série, le commotio cordis
arrive en zeposition, avec un facteur culturel probable, lié aux impacts des balles
de bas e-bali sur le thorax des pratiquants de ce sport. Viennent ensuite les
anomalies congénitales beaucoup plus
fréquentes que les coronaropathies
acquises dans cette population de
jeunes de moins de 35 ans. Cette série
ainsi que quelques autres rapportent
une fréquence non négligeable de ponts
myocardiques également susceptibles
d'être diagnostiqués par des tests d'effort. Mais l'imputabilité de cette pathologie est plus difficile, car les ponts
myocardiques sont loin d'être exceptionnels sur les coronarographies ou sur
les autopsies systématiques. Leur déterminisme dans les morts subites inexpliquées est donc beaucoup plus difficile
à affirmer.
rapproche Bayesienne de l'épreuve d' effort doit tenir compte dans une population jeune, sportive, sans facteur de
risque d'athérosclérose, du risque statistique d'être porteur d'une coronaropathie congénitale ou acquise, de
l'exprimer par une complication lors
d'une activité sportive et enfin de présenter un trouble du rythme létal lors de
celle-ci. Les estimations sont de l'ordre
28
de l pour 200 000 pratiquants d'activités
sportives, soit donc une fréquence extrêmement rare. Ceci sous-entend que,
même en cas de test anormal au sens
électrocardiographique du terme (sousdécalage significatif selon les critères
classiques), la probabilité post-test reste
très faible en raison d'une prévalence
initiale très basse. Aussi, tout test d' effort électriquement anormal dans cette
population doit faire craindre avant tout
un faux positif jusqu'à preuve du
contraire. Ceci sous-entend aussi, pour
les sous-décalages nets, présentant certaines caractéristiques qui seront
détaillées plus avant, de passer probablement par un autre test non invasif
(échographie de stress ou isotope) avant
de proposer une coronarographie diagnostique souvent inutile.
Les critères classiques de positivité d'un
test d'effort sont mal adaptés aux jeunes
sportifs. Le critère classique est un ST
additionnel supérieur à l mm en cas de
pente horizontale ou descendante et de
1,5 mm en cas de pente ascendante.
Cependant, le eut point de l mm est
artificiel, déterminé dans une large
population, alors que les sportifs présentent en général des voltages de QRS
beaucoup plus voltés qu'une population plus âgée et sédentaire ; leurs tests
d 'effort nécessiteraient des critères
beaucoup plus durs, pour en affirmer le
caractère anormal. Ce critère artificiel
de l mm n'est pas sans rappeler la subjectivité des 70% ou 50% d'une sténose
dite "significative" sur la coronarographie. L'autre critère de positivité (susdécalage du segment ST) survenant à
l'effort ne souffre lui, par contre, d'aucune ambiguïté, il est toujours pathologique, et impose toujours une
exploration rapide.
Les épreuves d'effort chez les jeunes
sportifs très entraînés présentent plus
de faux positifs et de faux négatifs que
dans une population normale. Les faux
négatifs sont simplement dus au fait que
le mécanisme des accidents coronariens
aigus dans les populations jeunes est lié
à des ruptures de plaques modérées,
riches en lipides, fragiles, avec une chape
fibreuse mince, parfois déclenchées par
l'activité sportive, mais qui dans tous les
cas ne sont absolument pas détectables
par un test non invasif, aussi perfectionné soit-il (couplé ou non à une évaluation échographique ou isotopique),
car ne compromettant pas antérieurement, ni à l'état basal ni à l'effort maximal, la réserve coronaire. L'épreuve
d'effort n'a donc qu'un rôle de prévention modeste pour les accidents cardiaques coronariens survenant au cours
d'une activité sportive, car si elle prédit
bien l'angor, elle prédit très mal l'infarctus.
> Quelles sont les causes
possibles de faux positifs
des tests d'effort ?
Une authentique ischémie sous-endocardique sans sténose coronaire peut
s'observer dans différentes pathologies.
Chez les sportifs, l'ambiguïté essentielle
concerne les hypertrophies ventriculaires gauche (HVG) notamment dans
son expression modérée, pour laquelle
un cardiologue du sport est parfois
amené à devoir trancher entre une
hypertrophie physiologique adaptative
chez un sportif, et une HVG pathologique débutante ne présentant pas
encore toutes les caractéristiques d'une
hypertrophie très avancée et sûrement
pathologique.
Les causes les plus fréquentes de faux
positifs sont le plus souvent purement
électrocardiographiques et artéfactuelles. Certaines sont faciles à diagnostiquer, telles les pré-excitations (un
complexe QRS, précédé d'une onde
delta franche, génère un sous-décalage
du ST qui peut disparaître brutalement
avec la fin du cheminement de la dépolarisation par la voie accessoire). Le plus
souvent, il s'agit d'une ambiguïté retrouvée dans les dérivations inférieures, car
elle concerne les enregistrements situés
dans l'axe de la dépolarisation, et surtout de la repolarisation auriculaire,
d'amplitude moindre que les ondes P
mais plus prolongée, qui s'inscrit après
le complexe QRS. Dans ces dérivations
inférieures, le repérage de la ligne de
base tend à dériver au cours de l'effort
se rapprochant de l'onde Pet majorant
artificiellement la mesure du sous-décalage de ST. Il est donc impératif de
disposer d'un enregistrement électrocardiographique moyenné permettant
de visualiser ce repère de la ligne de base
qui sert aux mesures du segment ST.
La cause principale cependant de ces
faux positifs est liée à l'appareil d'effort :
nous avions rapporté il y a quelques
années la fréquence des faux positifs
survenus sur tapis roulant, qui disparaissaient quand le test était refait sur
bicyclette ergométrique chez les sportifs. Il s'agit donc d'artéfacts purement
mécaniques probablement liés à l'impact des pas qui frappent le tapis roulant, car l'analyse fine des tracés en
continu montre bien la co-existence du
martèlement du tapis avec les complexes présentant un ST sous-décalé.
Chez les sportifs en général un peu plus
âgés, des troubles du rythme paroxystique supra-ventriculaires (fibrillation
auriculaire essentiellement) peuvent
survenir, généralement quand les fréquences sinusales d'effort sont élevées
ou en récupération post-effort. La lecture attentive des tracés en continu permet d'objectiver ces troubles du rythme
responsables de faux sous-décalages.
Leur mode de révélation peut être une
augmentation brutale de la fréquence
cardiaque lors de l'utilisation du cardiafréquencemètre (Fig. 1).
> Comment suspecter
un faux positif de sportif ?
Dans cette interprétation des sous-décalages d'effort, la morphologie du complexe de repos est importante, toutes les
variations de la repolarisation décrites
chez les sportifs (et uniquement ceux pmtiquant au moins 6 à 8 heures d' entraînement ou de compétition par semaine)
se corrigent généralement très rapidement au cours de l'effort. Ce n'est pas le
cas habituellement des pathologies
hypertrophiques ou des coronaropathies
qui se révèlent au cours de celui-ci.
Outre l'approche Bayesienne statistique
qui doit rendre très prudent le diagnostic de coronaropathie congénitale ou
acquise, l'analyse de l'épreuve d'~ffort
ne se résume pas à ce seul critère et doit
tenir compte d'un ensemble de paramètres et de critères qui ont été validés
depuis plusieurs années (variation de
Figure 1 • Survenue d'une fibrillation auriculaire en fin d'effort chez un sportif,
expliquant l'apparition d'un sous-décalage.
>>>
l'onde Q, boucle ST /FC, test à la trinitrine, approches multivariées... ).
Les caractéristiques du sous-décalage
faussement positif du sportif sont les
suivantes : en général de faible amplitude, se corrigeant immédiatement
après effort, de survenue préférentielle
dans les dérivations inférieures, sur des
QRS de haut voltage, et surtout survenant sur tapis roulant ...
Sur une série de 130 athlètes, un sousdécalage significatif a été retrouvé chez
19% des athlètes contre 16% chez les
sujets sédentaires contrôles. En excluant
les dérivations inférieures, il persistait
cependant chez 12,5 % des athlètes
contre 2 % des sujets sédentaires. Ces
faux positifs sont donc significativement
plus fréquents chez ces sportifs.
En cas d'ambiguité, il convient de passer à un autre examen non invasif. Malgré une probabilité post-test qui reste
faible, il devient difficile de ne pas "aller
plus loin", surtout quand le sous-décalage atteint 2 ou 3 mm et qu'il reste persistant sur bicyclette ergométrique,
pour des considérations souvent purement médico-légales, mais aussi pour
lever toute ambiguité.
rapproche la plus récente concerne l'échographie de stress, soit pharmacologique
soit lors d'un effort sur table adapté, permettant de rechercher une hypokinésie
dans un territoire particulier. Bien que cet
examen ait une réputation de plus grande
spécificité, la prudence des opérateurs
(peur de passer à côté d'une anomalie... )
risque cependant de conduire à des coronarographies abusives dans ce contexte.
Aussi, actuellement, les approches isotopiques d'effort restent les examens les
plus validés dans cette indication, permettant de rassurer définitivement sportifs, entraîneurs et médecins... 1