Données préliminaires sur l`expérience vécue de diagnostics

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Données préliminaires sur l`expérience vécue de diagnostics
Données préliminaires sur l’expérience vécue de
diagnostics successifs de cancer primitif
par Krista L. Wilkins
ABRÉGÉ
Environ un Canadien sur deux développera une forme ou une autre de cancer, et
certains des individus ainsi atteints vivront
suffisamment longtemps pour être diagnostiquées de plusieurs cancers primitifs. Il
semblerait que des diagnostics successifs de
cancer primitif aient une incidence négative sur l’état mental et physique des survivants ainsi que sur leur qualité de vie. Les
études de recherche existantes ne saisissent
pas complètement la réalité complexe de
ce que cela signifie d’avoir des diagnostics
successifs de cancer primitif. Par conséquent, une étude qualitative a été menée
dans le but d’obtenir des descriptions détaillées des expériences vécues liées aux diagnostics successifs de cancer primitif. Les
participants comprenaient 10 personnes
du Canada Atlantique ayant des antécédents d’au moins deux diagnostics de
cancer. Les données ont été obtenues par
le biais d’interviews semi-structurées et de
photographies prises par les participants.
Les interviews ont été transcrites et examinées afin d’en dégager les significations
communes. Les analyses des données préliminaires laissent à penser que la signification essentielle du fait d’avoir le cancer
à plusieurs reprises est que le cancer est un
« rappel importun ». Cette étude donne
des résultats pouvant fournir aux prestataires de soins une orientation à fondement
empirique leur permettant d’offrir aux survivants du cancer un soutien plus holistique tout au long du continuum de soins
AU SUJET DE L’AUTEURE
Krista L. Wilkins, inf., Ph.D.,
Professeure adjointe, Faculté des
sciences infirmières, Room 155,
MacLaggan Hall, 33 Dineen Drive,
Université du Nouveau-Brunswick,
Fredericton, N.-B. E3B 5A3
Tél. : (506) 447-3077 ; Téléc. :
Fax: (506) 453-4519 ; Courriel :
[email protected]
prolongé et, en bout de ligne, d’améliorer la
santé des personnes ayant eu plusieurs cancers primitifs de suite.
L
e cancer est passé d’une maladie
presque toujours mortelle à une
maladie fréquemment guérissable de
nos jours. Alors que la survie au cancer
était une exception il y a quarante ans,
le taux de survie relative à cinq ans s’est
constamment accru, de 1992–1994 à
2000–2004, pour atteindre 63 % pour
l’ensemble des cancers (Comité directeur des statistiques sur le cancer de la
Société canadienne du cancer, 2014).
La survie au cancer est une question
existentielle fondamentale. Elle nous
amène à nous interroger sur la vie et
la mort et suscite une réflexion descriptive et ontologique sur la nature de
l’existence humaine (Pascal, Endacott &
Lehmann, 2009).
CANCERS PRIMITIFS
MULTIPLES
La croissance du nombre de survivants du cancer s’est accompagnée
d’une augmentation parallèle du
nombre de personnes diagnostiquées
de cancers primitifs multiples. Ces derniers sont définis comme étant « deux
cancers primitifs ou plus survenant
chez une personne et qui prennent naissance dans un site ou tissu primaire et
qui ne sont ni un prolongement, ni
une récurrence ni une métastase »
(Soerjomataram & Coebergh, 2009,
p. 86) [traduction libre]. Il est prévu
qu’au moins une personne sur 9 développe deux types de cancers ou plus
au cours de sa vie (Mariotto, Rowland,
Ries, Scoppa & Feuer, 2007). En outre,
quand on considère toutes les catégories d’âge, les survivants du cancer ont
14-20 % plus de risque de développer
un nouveau cancer primitif par rapport
à l’ensemble de la population (Curtis et
al., 2006; Soerjomataram & Coebergh,
2009).
Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 2, spring 2015
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
INCIDENCE DES CANCERS
PRIMITIFS MULTIPLES
Les diagnostics de cancers primitifs
multiples prédisposent les survivants
du cancer à la morbidité et à une mortalité précoce du fait de leurs effets sur
la santé globale, sur la qualité de vie
et sur la survie à long terme. En comparaison avec les survivants à un seul
cancer et avec les personnes n’ayant pas
d’antécédent en matière de cancer, les
survivants à des cancers primitifs multiples indiquaient avoir une moindre
qualité de vie globale, un plus haut
stress lié au cancer, une plus forte prévalence, au cours de la vie, de troubles
médicaux et une plus grande incapacité liée à la santé (Andrykowski, 2011;
Gotya, Ransom & Pagano, 2007). À une
seule exception près (l’inactivité physique), les survivants à des cancers primitifs multiples participaient davantage
à des comportements malsains que les
survivants à un cancer unique, mais
leurs comportements étaient plus sains
que ceux du groupe contrôle (Burris &
Andrykowski, 2011). Tous les effets d’un
diagnostic de cancer sur le bien-être
psychosocial étaient encore apparents
plusieurs années plus tard, ce qui laisse
à penser que le temps n’atténue pas ces
effets (Thong et al., 2011).
Mises ensemble, ces études de
recherche suggèrent que le fardeau de
la maladie lié aux diagnostics de cancers
primitifs multiples est cumulatif et qu’il
dépasse celui qui pèse sur les survivants
d’un diagnostic unique. Quoiqu’elles
soient importantes, elles ne saisissent
pas pleinement la multidimensionalité
d’avoir le cancer à plusieurs reprises. Il
est nécessaire d’élaborer des approches
de recherche permettant d’accéder aux
pensées des survivants du cancer et
de leur donner la parole dans le but de
comprendre ce que cela signifie, pour
eux, d’avoir des diagnostics de cancers
primitifs multiples.
231
FEATURES/Rubriques
PRIX DE CONFÉRENCE ACIO/CANO EN PRATIQUE CLINIQUE 2014
FEATURES/Rubriques
QUESTION DE RECHERCHE
Parce qu’elle s’attache à révéler la
nature des expériences humaines dans
le monde, la recherche phénoménologique peut être employée en toute
efficacité pour étudier en profondeur
les expériences vécues des survivants
du cancer (van Manen, 1990). Une
approche phénoménologique a ainsi
été utilisée dans le cadre de cette étude
de recherche s’étalant sur deux ans
afin d’acquérir une riche compréhension de ce que les personnes éprouvent
lorsqu’elles ont le cancer à plusieurs
reprises et la signification de ce fait pour
les personnes atteintes dans le contexte
de leur vie quotidienne. La question de
recherche de l’étude était : Quelles significations les individus attribuent-ils à
l’expérience vécue d’avoir reçu plusieurs
diagnostics de cancer primitif?
Expériences vécues
saisies à l’aide de
photographies
Saisir les expériences vécues dans
les données dégagées au moyen de
photographies permet de « voir »
d’une manière différente une expérience vécue, de révéler ce qu’elle a
Tableau 1 : Critères d’inclusion des participants
Critères
Définition
Diagnostic de cancer
2 diagnostics de cancer ou plus
Intervalle minimum de 6 mois entre diagnostics
N’importe quel type de cancer
Au moins 6 mois depuis le plus récent diagnostic de cancer
Âge lors de l’interview
19 ans ou plus
Lieu de résidence
Canada Atlantique
Tableau 2 : Stratégies de recrutement
Stratégies
Médias sociaux
facebook.com/SMCUNB
Suivez-nous sur Twitter @CancerRsrchUNB
Messages d’intérêt public
Petites annonces
Groupes de soutien
Sections locales de la Société canadienne du cancer
Entrevues diffusées à la radio et publiées dans des journaux
Les survivants du cancer exclus d’études précédentes mais admissibles à la présente étude
Tableau 3. Caractéristiques des participants (n = 10)
Données démographiques/ caractéristiques sur la maladie
Total/Moyenne (étendue)
Sexe
Masculin
Féminin
3
7
Âge au moment de l’interview
61 (27-75)
Nombre de diagnostics de cancer
23 (2-4 par participant)
Nombre d’années entre diagnostics
9 (2-17)
Âge au moment du diagnostic de cancer
50 (7-70)
232
« d’indicible » (Pain, 2012). Ceci inclut
une compréhension commune de : (1)
le corps vécu (la présence corporelle
dans le monde), (2) le temps vécu (la
perception subjective du temps dans le
monde), (3) l’espace vécu (la façon dont
l’espace a une incidence sur ce que la
personne éprouve), et (4) les relations
vécues (établies dans l’espace partagé
avec les autres) [van Manen, 1990].
Lors de cette étude, on invitait les
individus ayant eu deux cancers ou plus
(voir les critères d’inclusion au tableau
1 et les stratégies de recrutement au
tableau 2) à :
1. Fournir des renseignements démographiques (p. ex. âge, scolarité) et
leurs antécédents en matière de
cancer
2. Parler de ce qu’ils ont vécu du fait
d’avoir eu le cancer à plusieurs
reprises (environ 60 minutes, entrevue faisant l’objet d’un enregistrement numérique);
3. Réaliser une activité photographique
qui exigeait :
• La prise de photographies au
moyen d’un appareil photo numérique de tout ce qui pouvait représenter leurs expériences (p. ex.
changements corporels, expérience du temps d’un cancer à
l’autre);
• Privilégier les objets inanimés
dans la mesure du possible et
obtenir le consentement écrit des
personnes figurant dans leurs
photographies; et
• Rédiger des notes sur les photographies qu’ils ont prises; et
4. Parler des photographies ainsi prises
(environ 90 minutes, entrevue faisant l’objet d’un enregistrement
numérique).
Nous organiserons, en 2015, une
séance de partage de photos et une
exposition publique de photos des participants. Ces derniers décideront quelles
photographies ils souhaitent partager, la
façon de le faire et avec qui ils veulent
les partager.
Les énoncés thématiques ont été isolés en utilisant l’approche sélective de
van Manen (1990) qui consiste à sélectionner et à surligner les groupes de
mots ou les phrases qui ressortaient
Volume 25, Issue 2, spring 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
CONSTATS
Données démographiques /
caractéristiques de la maladie
Il y avait 10 participants dont 7
femmes et 3 hommes (voir les caractéristiques des participants au tableau
3), qui ont fourni des données pour
l’analyse. Les efforts de recrutement
vont être poursuivis afin d’atteindre
20 comme taille d’échantillon (voir les
stratégies de recrutement au tableau
2). Tous les participants actuels ont
réalisé la première interview tandis
que six d’entre eux ont achevé l’activité
photographique ainsi que la seconde
interview.
La moyenne d’âge des participants
était de 61 ans (pour une étendue de
27 à 75 ans) lorsqu’ils se sont inscrits
pour l’étude. La plupart des participants ont eu le cancer à deux reprises.
Vingt-trois diagnostics de cancer ont
été rapportés par les participants. Ce
chiffre ne comprend pas les cancers
qui avaient produit des métastases ou
avaient récidivé dans les six mois. Les
diagnostics concernaient les cancers
suivants : sein, côlon / intestin, lymphome, mélanome, col de l’utérus et
prostate. La période de temps moyenne
entre les diagnostics de cancer s’élevait
à neuf années (pour une étendue de 2 à
27 années). Au moment du diagnostic
de cancer, les participants avaient, en
moyenne, 50 ans (pour une étendue de
7 à 70 ans). Une variété de traitements
anticancéreux a été signalée pour chacun des diagnostics de cancer, notamment la chimiothérapie, la chirurgie,
la radiothérapie ou une combinaison
quelconque de ces traitements.
L’essence : le script du rappel importun
Les analyses préliminaires donnent
à penser que la meilleure description
de l’essence d’avoir le cancer plus d’une
fois est un « rappel importun ». En
termes simples, il s’agit d’un script dont
les participants à l’étude se seraient
bien passés. Une perspective était partagée par tous les participants à savoir
le fait que d’avoir le cancer une autre
fois n’était pas quelque chose de désirable ou de recherché à la manière
des rappels marquant la fin de pièces
de théâtre, de concerts ou de conférences. La réalité veut que, pour ces personnes-là, le cancer ne survienne pas
qu’une seule fois. Le fait d’avoir le cancer à plusieurs reprises caractérise une
partie de leur vie, en s’assortissant parfois de fardeaux et parfois de bienfaits.
Néanmoins, les participants ont conclu
qu’il y avait beaucoup de bonnes choses
qui accompagnaient les diagnostics successifs de cancer primitif, notamment
une perspective différente sur la vie.
Thèmes
Trois thèmes communiquent l’essence de cette expérience : (1) De la
toile de fond au devant de la scène, (2)
Familier mais différent, et (3) Se sentir
privilégié… « Je tiens à remercier… »
Figure 1 : « Fin de la zone de
construction » de Mike (2 lymphomes).
De la toile de fond au devant de la scène
Le temps écoulé entre les diagnostics de cancer était une période de
récupération durant laquelle les participants cherchaient à se réhabiliter.
Certains se sont mariés. Certains prenaient le temps de voir leurs enfants
Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 2, spring 2015
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
grandir. Certains ont trouvé de nouveaux emplois, d’autres ont pris leur
retraite. Les participants affirmaient
se sentir forts et en bonne santé. Pour
quelques femmes qui avaient perdu un
sein, c’était le moment de la chirurgie
de reconstruction mammaire. Quand le
cancer prend le devant de la scène, cela
veut dire qu’il est de retour. De l’avis
des participants, cela signifiait qu’ils
venaient de faire un demi-tour complet
et qu’avec ce nouveau diagnostic de cancer, ils se retrouvaient à leur point de
départ.
Les participants se sentaient déçus et
découragés de ne pas avoir pu « esquiver » leurs cancers suivants et ce, pour
deux raisons. D’une part, les participants expliquaient que leur premier
diagnostic de cancer leur semblait
insignifiant ou peu important dans le
contexte de leur vie; il s’agissait d’un
« accroc » dans la vie. C’était quelque
chose qui s’était produit dans le passé.
Comme un participant (2 lymphomes)
l’a dit :
« Il finit par faire partie de la toile
de fond. Quelqu’un prononce le mot
“cancer” et vous vous dites “Ben ça
m’est arrivé, je suis passé par là”.
C’est comme la varicelle ou une
autre affection qui survient seulement une fois. Il ne m’était jamais
venu à l’esprit que cela pourrait arriver de nouveau. »
D’autre part, les participants accordaient une grande confiance à l’opinion des prestataires de soins et étaient
déçus lorsque ceux-ci se trompaient à
propos de diagnostics de cancer ultérieurs. Par exemple, certains croyaient
qu’ils n’auraient pas de nouveau le
cancer parce qu’ils avaient connu en
moyenne, une rémission de 9 ans. Le
fait d’avoir dépassé la barre des 5 ans
marquant la « guérison » lorsqu’ils ont
été diagnostiqués d’un autre cancer était
particulièrement bouleversant pour les
participants qui estimaient avoir été
induits en erreur par les prestataires de
soins qui leur avaient fait croire qu’ils
étaient « guéris du cancer ».
Surtout, le fait d’être atteints du
cancer à plusieurs reprises a fourni
aux participants la preuve que le cancer peut survenir plus d’une fois chez
233
FEATURES/Rubriques
et semblaient thématiques de l’expérience vécue des participants atteints à
plusieurs reprises de cancers primitifs.
En utilisant l’ensemble des groupes de
mots et des phrases, les données textuelles ont été réduites jusqu’à ce que
les thèmes essentiels s’en dégagent. Le
travail de rédaction initiale et de révision des thèmes nous a aidées à développer l’interprétation. Les participants
ont fourni la contextualisation initiale
des données photographiques en cernant les questions les plus importantes
qui en ressortaient pour eux. La tâche
de la chercheuse était de réaliser l’interprétation globale de ces données
(Guillemin & Drew, 2010).
FEATURES/Rubriques
une même personne. Il leur semblait
impossible de mettre un point final au
chapitre et que l’expérience de cancer
n’avait pas de fin nette. L’avenir leur
paraît flou comme le reflète la photographie que Mike a prise d’un panneau
« Fin de la zone de construction » (voir
la figure 1). En parlant des chances qu’il
avait de développer un troisième cancer,
Mike s’est exclamé : « Je pense que c’est
bien réel, que c’est possible, parce que
les deux premiers (cancers) n’avaient
pas de lien entre eux et étaient tout à
fait imprévus et que je n’étais pas vieux
à l’époque et que je ne suis encore pas
vieux pour avoir un autre cancer ».
Un diagnostic de cancer ultérieur
amenait certains à éprouver un sentiment d’insécurité et à se sentir menacés. Ils se mettaient à s’inquiéter de
chaque douleur, mal ou bosse et se
demandaient « Est-ce une douleur normale ou une douleur induite par le cancer? ». Par exemple, en parlant d’une
photographie de foulards, Deborah
(cancer du col de l’utérus suivi d’un cancer du sein) a confié qu’elle gardait les
foulards qu’elle avait portés quand elle
avait perdu ses cheveux à cause des traitements de chimiothérapie parce qu’elle
pourrait en avoir de nouveau besoin si
elle devait avoir le cancer une troisième
fois.
C’est familier mais différent
Il existe une idée reçue omniprésente à la fois chez les survivants du
cancer et les prestataires de soins,
celle selon laquelle le fait d’avoir eu le
cancer prépare automatiquement les
survivants à la survenue de cancers ultérieurs. Dans cette optique, la personne
qui a le cancer à plusieurs reprises est
perçue comme un « ancien combattant », un patient déjà atteint par le
cancer qui sait à quoi s’attendre sur le
plan du diagnostic, du traitement, et
des effets à court et à long terme parce
qu’il a déjà traversé l’épreuve du cancer.
Le problème est que le fait d’avoir eu le
cancer une fois ne prépare pas nécessairement les patients aguerris à des diagnostics de cancer ultérieurs. D’ailleurs,
il se peut que cette idée reçue puisse
nuire aux soins dispensés à ces patients
lorsqu’ils sont atteints d’un nouveau
cancer tel que l’illustre la citation
234
suivante de Sarah à propos de son deuxième cancer du sein :
« Je n’arrêtais pas de faire de mauvaises suppositions parce que je les
basais sur la façon dont les choses
s’étaient déroulées quatorze ans
plus tôt. Et tout a tant changé. Cela
aurait été beaucoup mieux pour
moi si cela avait été ma première
fois. Je ne cessais de me dire que ça
allait se passer de cette façon... et de
cette façon et ainsi de suite. Je finissais par ne pas poser la question qui
me vaudrait de recevoir certains renseignements. Les gens (prestataires
de soins) supposaient que je connaissais la réponse parce que j’étais déjà
passée par là, tout cela fait que
diverses petites choses n’ont pas été
abordées. »
Lorsque les participants comparaient
leur première expérience du cancer à
leurs expériences ultérieures, ils parlaient des similitudes et des différences
qu’ils remarquaient au niveau des caractéristiques du cancer, du traitement du
cancer, des tâches liées aux étapes de la
vie et des perspectives d’avenir. La caractéristique du cancer qui préoccupait le
plus les participants était l’étendue de
l’envahissement tumoral. La plupart des
participants avaient été diagnostiqués,
lors de leur première épreuve cancéreuse, de cancers localisés non invasifs,
tandis que leurs cancers ultérieurs
étaient souvent de nature plus invasive
avec présence de métastases.
Les participants étaient stupéfaits
des progrès réalisés à ce jour concernant les traitements anticancéreux. Ils
constataient que les traitements de
radiothérapie ciblaient beaucoup mieux
les cellules cancéreuses et endommageaient bien moins les organes et tissus sains environnants (p. ex. faisceaux
de photons par rapport au cobalt-60).
Les participants soulignaient également l’importance, pour eux, de recevoir leurs traitements contre le cancer
dans le même établissement pour chacun de leur diagnostic de cancer. Ceci a
beaucoup aidé une participante dont les
soins ont été assignés à son ancienne
équipe médicale lorsqu’elle a développé
son deuxième cancer du sein parce
qu’elle était « encore dans le système ».
Les participants décrivaient l’impact
de leurs traitements anticancéreux sur
leur organisme, en contrastant leurs
expériences au fil du temps. Pour certains, les traitements les touchaient
de la même façon — « en ravageant
les émotions et le corps ». D’autres
décelaient des différences dans leur
préparation en vue du traitement anticancéreux. En se référant à la photographie d’un kayak, Deborah (cancer du col
de l’utérus suivi d’un cancer du sein) a
déclaré :
« La différence est mon premier cancer (en comparaison avec mon deuxième)… Je n’avais pas une aussi
bonne forme physique au moment
de l’affronter. Je n’étais pas aussi
stable du point de vue émotionnel.
Spirituellement parlant, je n’étais
pas prête… J’ai donc mis bien plus
de temps à traverser l’épreuve, la première fois. »
Les participants en étaient à des
étapes de vie différentes lorsqu’ils ont
été diagnostiqués de leurs cancers successifs. Ceux qui étaient célibataires
lors de leur premier cancer étaient fréquemment mariés lors de leur seconde
atteinte. Certains avaient de jeunes
enfants à la maison lorsque le cancer les a frappés pour la première fois.
Lorsqu’il est apparu une autre fois,
ils avaient des enfants adultes et des
petits-enfants. Lillian en a fait l’illustration avec une photographie de sa
famille :
« Lorsque mon second cancer du
sein est survenu, j’étais parvenue à
une étape différente de ma vie ... Je
savais que mes enfants ne dépendaient plus de moi comme avant …
nous étions rendus au moment où
nous pouvions vivre de nouveau
« notre vie de couple » parce que nos
gamins étaient partis. »
Les besoins des participants variaient
en fonction de leurs étapes de vie. Nelda,
qui était chef de famille monoparentale
quand elle a reçu son premier diagnostic de cancer du sein à l’âge de 30 ans,
avait les besoins suivants : logement,
soins aux enfants, carrière/emploi et
revenus. Ses besoins avaient changé
deux ans plus tard lorsqu’elle a été diagnostiquée d’un second cancer du sein
Volume 25, Issue 2, spring 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
Figure 2 : « Terrorisée jusqu’aux os » de
Nelda (2 cancers du sein).
Se sentir privilégié… « Je tiens à
remercier… »
Avoir le cancer à plusieurs reprises
est un élément de la vie des participants qui ne changera pas. Cela ne
veut pas dire qu’ils sont les victimes de
leurs circonstances. L’attitude et la perception des participants relevaient de
leur propre création. Ils n’étaient pas
dictés par leurs circonstances. Les participants choisissaient de rechercher
des bénédictions au sein de leurs expériences face au cancer. Ces bénédictions
étaient les choses qui les aidaient ou
leur apportaient bonheur et prospérité.
Pour certains participants, les bénédictions étaient évidentes. Pour d’autres, il
s’agissait de bénédictions déguisées, qui
leur semblaient être des mauvais coups
du sort au départ mais qui se révélaient
bénéfiques, en fin de compte.
D’abord et avant tout, les participants étaient reconnaissants du don de
la vie. Ils étaient vivants. Ils avaient survécu au cancer à plusieurs reprises. Ils
étaient en train de retrouver leur santé
et leur force. Une bénédiction particulièrement importante faite à une participante fut une deuxième fille. En
examinant la photographie d’une poupée, Nelda a confié qu’elle avait conçu et
élevé une deuxième fille malgré qu’on
lui ait dit qu’elle ne pouvait pas et ne
devrait pas avoir de bébé. On lui avait
expliqué qu’ayant été atteinte du cancer
du sein à deux reprises, il était probable
qu’elle en développe un autre et qu’elle
ne vive pas assez longtemps pour voir
grandir un nouvel enfant.
Les diagnostics successifs de cancer
donnaient aux participants l’occasion de
discuter du cancer avec leurs proches et
de les encourager à suivre des pratiques
de dépistage. Quoique la transmission
de gènes du cancer à leurs enfants leur
paraisse préoccupante, les participants
soulignaient les bienfaits qui allaient
de pair avec ce que les participants
appelaient « le cancer à titre de legs
familial ». Lillian (2 cancers du sein) le
formulait ainsi :
« C’est un legs horrible que je laisse à
mes filles parce qu’elles devront, toute
leur vie durant, rester vigilantes en
tout temps. Mais ça pourrait les
mettre dans une position plus favorable que celle d’autres personnes.
Canadian Oncology Nursing Journal • Volume 25, Issue 2, spring 2015
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
Elles verront ainsi de nombreux
médecins et on ne manquera pas de
leur rappeler de passer leurs mammographies. Si elles ne sont pas suivies de près, il se peut que quelque
chose passe inaperçu. »
Une autre bénédiction dont parlaient
les participants était l’opportunité qu’ils
avaient d’être des ambassadeurs chargés de sensibiliser les gens à la lutte
continue contre le cancer. Ils sont passionnés, tenaces, axés sur l’action et des
acteurs de changement. Ils agissaient
au niveau de la prévention du cancer et
du soutien aux personnes atteintes et
participaient à des activités de collecte
de fonds comme le Relais pour la vie de
la Société canadienne du cancer.
La recherche de réconfort/consolation était une bénédiction qui s’avérait
importante aux yeux des participants.
Ces derniers trouvaient souvent du
réconfort dans leur foi en une puissance supérieure (Dieu). Comme Lillian
(2 cancers du sein) l’a exprimé : « Je
crois tout simplement qu’Il est aux commandes et que ce qui arrive, arrive. De
toute façon, il n’y a rien que nous puissions changer ». Comme elle l’a saisi
dans sa photographie intitulée « Soins
spirituels », Deborah (cancer du col
de l’utérus suivi d’un cancer du sein)
a confié qu’elle était reconnaissante de
ces deux expériences du cancer. Elle
était prête à « les traverser de nouveau »
parce qu’elles l’avaient amenée à tisser une relation avec son Créateur. Elle
a parlé des batailles qu’elle a menées
en vue de Le connaître quand elle a eu
son premier cancer parce qu’elle « était
religieuse, mais n’avait aucune relation avec Lui ». Quand le cancer est
venu la frapper une seconde fois, elle
avait établi sa relation sacrée avec Dieu.
C’est cette relation qui l’aidait à trouver
paix et joie au beau milieu de ses expériences de cancer.
Des lieux de sanctuaire s’avéraient
importants pour leur procurer des
moments de méditation et de réflexion
tranquilles. Pour Deborah (cancer
du col de l’utérus suivi du cancer du
sein), tout endroit situé sur l’eau ou à
sa proximité avait un effet apaisant sur
son corps. En regardant sa photographie intitulée « Tranquilles moments
235
FEATURES/Rubriques
à 32 ans. Cette fois-ci, ses besoins portaient sur l’assurance-vie, la réduction
de son volume de travail professionnel
et la capacité de donner un enfant à son
mari.
La conception de la vie chez les participants s’est modifiée au fil du temps.
La majorité d’entre eux rapportaient
qu’ils avaient eu peur de mourir quand
ils avaient reçu leur premier diagnostic
de cancer. Cette peur de mourir a été
saisie dans la photographie de Nelda
intitulée « Terrorisée jusqu’aux os »
(voir la figure 2). Lors du premier diagnostic de cancer, la peur de mourir
était tellement intense que deux participants se sont sentis obligés de faire
préparer une entente de tutelle parce
qu’ils croyaient ne pas s’en sortir et être
là pour prendre soin de leurs enfants.
Lors de leurs cancers ultérieurs, la plupart des participants ne semblaient
pas s’inquiéter autant de leur propre
mort puisque le fait d’avoir « battu »
le cancer une fois voulait dire qu’ils
pourraient le « battre » de nouveau.
Seulement une participante, Sheila, qui
a survécu au cancer à quatre reprises,
exprimait un sentiment de peur persistant qui se transférait d’un diagnostic
de cancer à l’autre. À ses dires, « C’était
toujours le même sentiment (la peur).
D’après moi, peu importe le nombre de
fois qu’on vous le dit (que vous avez le
cancer), c’est la même chose. »
FEATURES/Rubriques
de méditation » (voir la figure 3), elle a
commenté : « Il y a un son particulier
quand on est près de l’eau … il y a des
oiseaux qui volent, il y a des oiseaux qui
pépient, il y a les bruits que font les voiliers. Tous ces bruits forment un lieu
apaisant dans mon corps ».
Figure 3 : « Tranquilles moments de
méditation » de Deborah (cancer du col
de l’utérus suivi d’un cancer du sein).
REFERENCES
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236
IMPLICATIONS POUR LA
PRATIQUE INFIRMIERE EN
ONCOLOGIE
L’une des choses les plus importantes que les infirmières et infirmiers
en oncologie peuvent faire lorsqu’ils
dispensent des soins à une personne
ayant eu le cancer à plusieurs reprises
est de ne pas supposer que d’avoir le
cancer une fois est exactement pareil
que d’avoir le cancer plusieurs fois. Il
importe de reconnaître qu’il peut y avoir
des différences dans la présentation des
cancers et dans la façon dont ils sont
traités. Ne supposez pas non plus que
les patients qui ne posent pas de questions savent ce qui se passe au niveau
de leur traitement contre le cancer. Les
infirmières et infirmiers en oncologie
doivent dissiper les mythes entourant le
cancer et son traitement en fonction de
ce que les patients savent et ne savent
pas. Il est particulièrement utile de passer en revue les effets secondaires du
traitement anticancéreux et de ce qu’il
y a lieu de faire à leur sujet parce qu’il
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Société canadienne du cancer, Comité
arrive fréquemment que cette information leur soit donnée à des moments où
ils sont incapables de l’assimiler. Il se
peut que les patients en soient à différentes étapes de vie d’une expérience de
cancer à l’autre. Cela signifie que leurs
besoins en matière de soins de soutien
peuvent avoir changé, eux aussi. Les
infirmières et infirmiers en oncologie doivent fournir les soins de soutien
qui conviennent à l’étape de vie que traversent leurs patients.
REMERCIEMENTS
Cette étude a reçu l’appui d’une bourse
Nouveau chercheur décernée par le
Beatrice Hunter Cancer Research Institute
et La Fondation de la recherche en santé
du Nouveau-Brunswick. Mille mercis
aux participants d’avoir partagé leurs
histoires et leurs photographies. Mille
mercis également aux membres de l’équipe
de recherche, Megan Williams, inf., et
Kim Smith Desrosiers qui ont contribué
au recrutement pour l’étude ainsi qu’à
la réalisation et à la transcription des
interviews.
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