1- Le schéma actantiel 2- Application : Phèdre ou la tragédie des
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FICHE VII - Allons plus loin - Parcours de lecture L’articulation actantielle des rôles dans Phèdre Des rapports de force s’établissent entre les personnages de la pièce à travers les différentes intrigues : - l’amour de Phèdre pour Hippolyte - l’amour d’Aricie et d’Hippolyte - le retour de Thésée Il s’agit soit d’un rapport de force lié aux relations sentimentales, soit d’un rapport de force lié à un enjeu politique. 1- Le schéma actantiel Pour observer ces rapports de force et l’articulation des rôles entre les personnages, on peut établir un «schéma actantiel ». Un schéma actantiel est un tableau qui détermine « Qui fait quoi ? » et permet de comprendre le rôle des protagonistes. Les personnages ne sont pas les seules forces agissantes. Toutes sortes d'entités peuvent intervenir : des institutions, un code moral, des valeurs, les divinités… Selon le changement des actions ou selon le changement de rôle de certains protagonistes, le schéma est différent. D'où l'intérêt de faire plusieurs schémas actantiels et de les comparer. En théorie, un schéma actantiel distingue 6 "forces" ou rôles essentiels : l'OBJET le DESTINATAIRE ce que celui/celle/ce qui reçoit quelque chose, le héros cherche à qui bénéficie la mission, à obtenir/atteindre qui en retire quelque chose de bien ou mal. = son but, son objectif. le SUJET personnage principal qui vise, poursuit quelque chose, un bien, une personne. ≠ les ADJUVANTS ≠ les OPPOSANTS quelque chose ou quelqu’un qui aide quelque chose ou quelqu’un qui gêne, le sujet à atteindre son but entrave l'action du sujet. (objet, personnage, circonstance…) (objet, personnage, circonstance…) le DESTINATEUR Il est à l’origine de l’action du héros. 2- Application : Phèdre ou la tragédie des solitudes Voici plus bas les trois schémas actantiels correspondant aux trois intrigues en cours dans Phèdre. On relève d’emblée des traits communs : - chaque personnage apparaît finalement isolé dans une parfaite incommunicabilité ; - hormis Oenone, les confidents n’apparaissent pas ; ils s’en tiennent à des rôles d’observateurs passifs. Quant aux initiatives d’Oenone, elles ne sont pas récompensées. Elles seront interprétées comme une trahison : Phèdre : « Ainsi donc jusqu’au bout tu veux m’empoisonner, Malheureuse ? Voilà comme tu m’as perdue. » (v. 1305-1309, Acte IV, sc. 6) La passion de Phèdre pour Hippolyte le DESTINATEUR Vénus a jeté un sort à Pasiphaë. La tare héréditaire retombe sur Phèdre, sa fille. l'OBJET le DESTINATAIRE : une passion amoureuse Hippolyte mais incestueuse . le SUJET Phèdre les ADJUVANTS Oenone ≠ ≠ les OPPOSANTS Hippolyte ; Aricie ; Thésée ; Phèdre elle-même Commentaires : - L’amour de Phèdre pour Hippolyte est illégitime. Les lois civiles et religieuses l’interdisent. Phèdre se place alors en marge des conventions : de fait, elle s’isole dans une passion qui ne trouve aucune assistance sinon celle, finalement néfaste, de sa confidente. - Le roi Thésée s’oppose à elle de deux manières : il est son époux légal, et revendique ses droits maritaux. Mais il est aussi porteur de l’Ordre moral et représentant de la Loi. A ce titre, il ne peut accepter la violation des règles sociales. C’est sous ces deux étiquettes qu’il réprime les élans de Phèdre. - Aricie constitue aussi une rivale directe de Phèdre dans la réalisation de son dessein. Toutes deux aspirent à l’amour d’Hippolyte. Rivales, et différentes : la tirade amoureuse de Phèdre (v. 269-316) se transforme en plainte narcissique sur le passé et la punition de Vénus. Son discours nombriliste fait peu de cas des desiderata d’Hippolyte. Elle ne parle que d’elle-même : « Je sentis tout mon corps et transir, et brûler. Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables, D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables. » (v. 276-278). La tirade amoureuse d’Aricie (v. 415-462) est quant à elle orientée vers le présent et l’avenir ; c’est un discours optimiste. Aricie porte une attention véritable à son amant en déclinant ses qualités. Si elle évoque sa propre personne, elle le fait dans le cadre de sa relation amoureuse : « J’aime en lui sa beauté, sa grâce tant vantée, Présents dont la nature a voulu l’honorer, Qu’il méprise lui-même, et qu’il semble ignorer. (…) J’aime, je l’avouerai, cet orgueil généreux ! » (v. 438-443) Mais le combat entre les deux femmes est inégal, et Phèdre sort gagnante. En prenant connaissance de l’amour des deux jeunes amants, Phèdre va cruellement décider de ne pas intercéder auprès de Thésée pour suspendre la mort de son beau-fils. Son égoïsme ingrat provoque du même coup le malheur d’Aricie. - Troisième adversaire : Hippolyte. Il éprouve de l’horreur lorsque Phèdre lui fait sa déclaration. Alors qu’il a répondu favorablement à la confession amoureuse d’Aricie dans une sorte de chant lyrique à deux (Acte II, sc. 1 et 2), il condamne l’aveu anormal de Phèdre (Acte II, sc. 5 et 6). - Mais le véritable obstacle, c’est celui que Phèdre dresse en elle-même. Le drame de Phèdre - aimer sans être aimée - constitue un obstacle infranchissable dans le cadre de sa recherche personnelle du bonheur. L’amour d’Aricie et d’Hippolyte le DESTINATEUR l'OBJET le DESTINATAIRE : le secret qui pèse sur leur amour, fuir ensemble Trézène la réalisation de leur amour et la privation de liberté d’Aricie de leur ambition politique et leur prétention légitime au pouvoir le SUJET Aricie et Hippolyte ≠ les ADJUVANTS ≠ les OPPOSANTS aucun Phèdre ; Oenone ; Thésée ; Neptune ; le peuple d’Athènes ; le fils de Phèdre Démophon Commentaires : - Les deux amants sont eux aussi dans une situation d’isolement. Ils ne peuvent pas réaliser leur vœu : ils rencontrent l’adversité –active ou passive- de tous les autres protagonistes. Une sombre issue à leur relation est prévisible car c’est un couple peu puissant. Aucun d’eux n’a acquis une force de caractère suffisante ni assez d’autonomie : Hippolyte subit la comparaison de l’héroïsme paternel, incapable d’argumenter lorsque son père l’interroge sur ses dispositions amoureuses, n’opposant que le mutisme. Il est d’abord « le fils de… ». Aricie subit une captivité qui se transforme à l’issue de la tragédie en une autre forme d’aliénation : plutôt que de la libérer, Thésée prolonge son joug puisqu’il l’intègre à sa famille et l’adopte, faisant peu de cas de sa revendication d’appartenance à la famille des Pallantides. - S’ils rencontrent autant d’opposition, c’est probablement parce que les mobiles qui les font agir sont trop nombreux en comparaison de leur force. Ils attirent des hostilités de natures diverses. Phèdre et Oenone leur reprochent à la fois leur visée politique et leur amour ; Thésée combat à travers eux l’ambition des Pallantides et la corruption présumée d’Hippolyte ; le peuple d’Athènes désavoue la légitimité politique d’Aricie et lui préfère un rival politique : Démophon. - Avant la fin de la tragédie, il n’est d’ailleurs plus question pour les amants de rejoindre Athènes : ils préfèrent rêver de Sparte ou d’Argos où ils s’imaginent rassembler leurs alliés pour s’emparer du trône athénien : Hippolyte : « De puissants défenseurs prendront notre querelle. Argos nous tend les bras, et Sparte nous appelle. A nos amis communs portons nos justes cris. Ne souffrons pas que Phèdre assemblant nos débris Du trône paternel nous chasse l’un et l’autre, Et promette à son fils ma dépouille et la vôtre. » (v. 1365-1370, Acte V, sc. 1) - Ils représentent tous les deux un contre-point modéré, tendre, face à la force caractérielle de Thésée et de Phèdre. L’amour d’Hippolyte est farouche et galant, celui d’Aricie est conforme à la morale, bienséant. Ils ne peuvent résister longtemps à la domination de Thésée et Phèdre. Leur innocence est une lueur d’espoir dans le sombre panorama de la pièce ; mais la tragédie ne saurait s’achever sur une marque d’optimisme. Sur l’injonction de Phèdre et Thésée, ils seront sacrifiés. Le retour de Thésée le DESTINATEUR l'OBJET le DESTINATAIRE : « Le Ciel » (v. 956, Acte III, sc. 5), le retour de thésée le règlement des désordres c’est à dire la volonté des Dieux, à Trézène politiques et familiaux, l’Ordre la fatalité tragique Politique et Moral le SUJET Thésée ≠ les ADJUVANTS ≠ les OPPOSANTS Neptune Hippolyte ; Aricie ; Phèdre ; Oenone Commentaires : - Thésée est dans une situation différente des autres personnages: s’il se trouve isolé, ce n’est pas en raison de ses projets mais au regard des fonctions qu’il incarne. Thésée suscite de la crainte parce qu’il fait obstacle aux désirs des personnages. Roi, Juge, Père, il est garant de la préservation de l’ordre social et civil. Thésée vivant, Phèdre ne peut donc ouvertement exprimer sa passion, elle est confite dans les lois du mariage ; l’annonce de la mort de Thésée correspond pour elle à une libération de ses instincts. Aricie est dans le même cas de figure : Thésée mort, elle n’était plus soumise à la captivité. L’annonce de son décès fait aussitôt jaillir toutes les tensions : Phèdre se découvre amoureuse, complote pour asseoir son fils sur le trône, veut mourir. Hippolyte proclame sa flamme, libère Aricie pour lui offrir le trône d’Athènes, lui propose de fuir. Pour faire court, chacune des prescriptions de Thésée est minutieusement bafouée. - C’est peu dire que le retour du roi n’est pas vraiment souhaité dans l’Acte III. Thésée : « Si je reviens si craint, et si peu désiré, Ô ciel ! de ma prison pourquoi m’as-tu tiré ? » (v. 955-956, Acte III, sc. 5) C’est ce retour inopiné qui va être à l’origine du basculement tragique de la pièce. On le fuit, on lui refuse les explications qu’il demande. Phèdre se tait de honte, Hippolyte ne ressent pas le besoin de se justifier car il se croit couvert par son innocence. L’Acte I et II ont été ceux de la libre expression ; à l’Acte III devant Thésée, on préfère ne rien dire, ou mentir (Oenone accusant Hippolyte). Thésée finit, comme les autres, par produire du désordre. Il se montre injuste en prononçant une sentence de mort contre Hippolyte. La description qu’en fait Théramène ressemble davantage au récit d’un crime sadique qu’à un acte de justice : Théramène : « De son généreux sang la trace nous conduit, Les rochers en sont teints. Les ronces dégouttantes Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. J’arrive, je l’appelle, et me tendant la main, Il ouvre un œil mourant, qu’il referme soudain. » (1556-1560, Acte V, sc. 6) Ses décisions précipitent les destinées, si bien qu’à l’Acte V, il ne reste plus à Thésée que la déploration.
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