premiers_romans_sele..

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MEDIATHEQUE MICHELMICHEL-NICOLAS
Première
Sélection
Septembre
2009
PREMIER ROMAN
La Médiathèque arrête cette année sa participation au Festival du Premier Roman en partenariat
avec l’Association Lecture en tête de Laval. Nous avons dû avec regrets constater que la
participation de nos lecteurs était en chute libre, pas tant au niveau des lectures que du
remplissage des petites fiches de lecture à remettre à l’association. La conclusion est nette : les
premiers romans sont majoritairement lus par l’ensemble du lectorat à l’instar de leurs lectures
habituelles, sans que le statut de premier roman participant au festival ne soit même remarqué.
Nos quelques fidèles, mus par une véritable volonté de découverte et l’envie de participer, par
leur critique, au Festival, ne sont plus assez nombreux pour justifier l’adhésion à cet évènement
complexe et au calendrier étalé sur 2 années (de septembre à avril)
Par ailleurs la situation éditoriale a beaucoup évolué : Il y a une dizaine d’année la production de
premiers romans tournait autour d’une petite trentaine par an, soigneusement sélectionnés. De nos
jours, elle atteint près de 200 ouvrages (dont une centaine rien qu’en septembre !).Le choix est
devenue difficile, voire très aléatoire. 16 ouvrages seulement sont retenus !
Enfin, les critères de choix des responsables du Festival insistent davantage sur la qualité assez
classique du style littéraire, pour découvrir un peut-être futur grand écrivain. Nos lecteurs
privilégient d’autres critères : d’abord le thème du livre, en phase avec son temps, puis le style,
avec une volonté de découvrir « du nouveau », même un peu maladroit ou iconoclaste, et en
dernier lieu l’histoire : si l’on veut lire un bon roman d’aventures ou du terroir, un bon polar ou un
roman de genre, on ne cherche pas prioritairement dans les sélections de premiers romans.
Nous continuerons donc, bien entendu, à proposer des premiers romans de facture assez
classique, et de lecture aisée, dans nos bulletins de nouveautés fiction.
Mais nous avons souhaité préserver pour certains de nos lecteurs la découverte de romans
vraiment différents, nécessitant parfois un réel effort d’adaptation à des circonvolutions stylistiques,
des romans traitant de façon souvent dure et crue des sujets collectifs ou des tourments individuels
de notre époque. Pas question de rechercher un futur prix Goncourt.
Et plus d’obligation de remplir « une fiche de lecture » : d’une part, noyées dans la masse d’un
millier environ de fiches, elles ne pesaient pas de beaucoup de poids au Festival, d’autre part il
semble que beaucoup de nos lecteurs aient fini par considérer cela comme un pensum. Nous
serions malvenus de le leur reprocher.
Amateurs de vraies découvertes, réjouissez-vous donc. Voici des romans ouvertement
“nombrilistes”, probablement autobiographiques, donc centrés sur des narrateurs derrière
lesquels se camouflent à peine leurs auteurs. On écrit souvent à la première personne. On décrit
son temps, son époque, on y évoque les excès et les faiblesses du monde et des gens. Les nôtres,
donc, souvent poussés à leur paroxysme.. Mais on est toujours dans la littérature et dans les
beautés que crée la langue. Car on innove, on parle cru, on joue avec la syntaxe, on ignore les
règles du bon goût, on va au plus près des choses.. Du coup il faut accepter d’abandonner ses
codes et ses repères de lecture traditionnels. Se mettre stylistiquement en danger. Une forme
d’aventure finalement…Un premier roman c’est forcément narcissique. C’est ce qu’on nous dit de
tous les premiers romans depuis qu’on les a « découverts ». Mais le narcissisme s’offre toujours en
miroir pour les voyeurs que sont les lecteurs, non ? Alors bonnes découvertes et attention à la
marche : l’époque est ce qu’elle est. Ces jeunes auteurs en sont le reflet. Donc…
Les thèmes des sélections qui suivent :
Adolescent, collège des cités, parkings de béton, assassinat, incendie et prison…
Suicide adolescent par défenestration, deuil familial difficile, comment survivre après ?
Vivre sa transsexualité féminine dans la ville de Tours, y chercher une reconnaissance…
Mort de sa mère accident de voiture, enterrement, funérarium, formalités, retour sur soi…
Solitude affective, addiction aux sites de rencontres, Internet leurre, l’envers du décor…
Grande, belle et sexy, mais pas d’ovaires et un utérus d’enfant. Vivre la différence…
Oui, ça « déchire » un peu, comme on dit maintenant, sur les thèmes comme sur les styles, mais
c’est le reflet de 80% de la production éditoriale. C’est une première toute petite sélection de 6
titres seulement. Normal, on a tenté de choisir les meilleurs… Surtout, donnez-nous votre avis.
Bonnes lectures !
PREMIERS ROMANS 2009
R
KAL
Abreuvons nos sillons / Skander Kali.- Rodez : Rouergue, 2008.L’histoire :
Le destin dramatique de Cissé, jeune homme d'origine africaine, depuis son
collège de Vitry jusqu'à sa mort en prison : sa scolarité ratée, l'atmosphère
de violence, l'ennui des cours et l'amour qu'il porte à une monitrice de
colonie rencontrée durant l'été, dont l'assassinat le conduit en prison…
Roman sélectionné au 22ème Festival du Premier Roman de
Chambery.
La critique :
L’auteur explore les limites de la violence et de la folie, dans un langage
d'une précision redoutable. Avec, pour toile de fond, le béton des parkings
de Vitry ou celui qui fait les murs d'une prison. (Grand corps malade)
Extrait : « Ca brûlait. Ca illuminait les immeubles de la cité. Je n'étais pas
étonné. Personne n'était étonné. Parce que le feu est partout. Dans la
monotonie, dans la nausée, dans la glande. Dans la folie des gens qui disent
une chose et en font une autre. Le feu est là, dans chacune des choses. Et il n'y
a qu'à attendre lentement que les braises deviennent des flammes et que les
centres commerciaux se consument en cendres. Et ce feu-là, celui qui éclairait
le monde depuis toujours, était en moi. Il ne demandait qu'à s'allumer ».
Plus qu'une tendance sociale, la littérature urbaine, sous-genre du roman
social, jusqu’ici qualifiée de « littérature de banlieue » s'est affirmée ces
dernières années comme un vrai mouvement littéraire (voir Faïza Guene par
exemple), avec ses propres codes stylistiques, ses références et ses
objectifs. Elle donne une représentation de la ville, ses mœurs, ses
évolutions, et peint le foisonnement de ses habitants et de leurs histoires.
Ce n’est pas un genre totalement nouveau :, Que l'on songe à la virulence
de Céline, à la légèreté de Queneau, à l'insolence de Boris Vian… Comme
leurs prédécesseurs, les auteurs de la littérature urbaine d'aujourd'hui
s'illustrent par un travail sur le style : ils détournent la belle langue, font
éclater le langage courant pour lui rendre plus de force.
R
BOI
Et le jour pour eux sera comme la nuit / Ariane Bois.- Paris :
Ramsay, 2009.- 124 p. ; 21 x 14 cm.- (Littérature).
Le titre de ce livre est inspiré du vers de Victor Hugo : «Triste, et le jour
pour moi sera comme la nuit » (in « Demain dès l’aube »). Ce poème a été
écrit en mémoire de sa fille Léopoldine, morte noyée à 19ans.
L’histoire :
Un jeune homme de vingt ans se suicide en se jetant par la fenêtre de son
studio, au-dessus de l'appartement de ses parents. 7 étages. Ils assistent à
sa chute et sont les premiers à découvrir son corps. Le livre est inauguré
par cette scène, et va ensuite se dérouler au sein de cette famille, de ce
premier jour de drame, aux prémices d'un possible espoir de
reconstruction pour elle-même, et chacun de ses membres (le jeune homme
était le cadet d'une fratrie de trois, il reste un frère plus jeune et une sœur
aînée). Le récit est composé de toutes les voix, les protagonistes de ce
drame s'enfermant dans leur douleur, puis essayant de faire surface chacun
à leur façon. Le livre s'achève alors que le travail de deuil peut enfin
commencer. Que s’est-il passé exactement ? Quels secrets Denis pouvait-il
bien garder ? Doit-on dire toute la vérité à Alexandre qui n’a que 9 ans ?
La critique :
"Sobre mais sans sécheresse, économe, mais généreux, le ton de ce premier roman est
d'une justesse impressionnante... J'ignore ce qu'Ariane Bois écrira après cela, mais je
sais qu'elle a écrit là un texte rare dont les blancs hurlent des "pourquoi?" auxquels les
phrases ont la délicatesse de ne jamais apporter de "parce que". " (Pierre Assouline)
"Est-ce qu'une famille peut encore être une famille après la perte de l'être aimé ? Est-ce
qu'une famille sait encore, ce qu'est une famille ? Est-ce qu'une famille en a encore
envie ? Oui, répond l'auteur avec une grande délicatesse dans le style et quelque chose
de fou qui ressemble à l'espoir, à un sourire aussi Qui a parlé de deuil ? Ce n'est que la
vie" (Stéphanie des Horts)
Un roman qui pose la question : comment continuer à vivre après un tel
drame ? Roman sur le suicide et sur le deuil bien sûr, mais surtout sur la
résilience. 125 pages percutantes.
R
JOU
Le choix de Juliette / Juliette Jourdan.- Paris : Dilettante, 2009.L’histoire
Pour son premier roman, Juliette Jourdan a choisi de faire découvrir à ses
lecteurs le milieu transsexuel de la ville de Tours. Juliette, son héroïne et
narratrice, a une vingtaine d'années et jongle entre la rédaction de son
mémoire et son emploi du temps de serveuse. Elle partage un
appartement cossu du centre de Tours avec Zaza, un(e) prof d'université
qui prépare un colloque sur les problèmes et les enjeux de la transidentité. Juliette est au centre d'un petit monde autour duquel gravitent,
pêle-mêle, sa colocataire, ses copines, Tours, sa mère, son chat. Avec en
fil rouge les questions liées à la féminité : qu'est-ce qu'être une femme ?
comment et pourquoi devenir une femme ?
La critique :
« L’écriture de Juliette Jourdan me semble tenter de réintroduire, au rythme de la
sensation grandissante d’échec, d’un mauvais choix, d’un ratage, de souffrance,
d’une vie artificielle et caricaturale, la résistance, la pulsion de mort, bref l’apoptose
programmée de la dictature de l’identité assignée ici si bien décrite par le cas
particulier de la transsexualité en fin de compte si douloureuse. Transsexualité qui,
dans notre société de la marchandise et de traitement de masse des humains, me
semble concerner chacun de nous. Un beau témoignage, ce travail écrit pour avoir
une licence, et qui s’avère un vrai livre courageux. Et une belle écriture ! « (Alice
Granger Guitard)
« Bienvenue dans le monde des “she-males” : la fiction française ne s’était (à ma
connaissance) jamais aventurée dans un terrain aussi casse-gueule. Juliette Jourdan y
rentre pourtant de plein fouet, en jouant la carte du romanesque, parfois de la futilité
qui le dispute à la gravité des situations que connaissent ces nouvelles femmes qui
veulent une seule chose finalement : la reconnaissance. Et elle réussit son pari. Car loin
de l’auteure l’idée de faire de son ouvrage une thèse sur ce sujet encore un peu tabou,
aucune trace d’un quelconque militantisme forcené à sa lecture, et il n’est pas non plus
question ici de lire un journal intime inintéressant sur une transsexuelle qui a du mal à
s’assumer : Le choix de Juliette a le bon goût de mélanger les genres sans céder au
pensum ennuyeux » (Jean-François Lahorgue)
Extrait :
J'avais quitté le rôle de la petite étudiante qui va chercher les enfants à la sortie de
l'école et les emmène le samedi à la piscine de Saint-Cyr ; j'étais soudain devenue une
copine, une intime. Andromaque tapota le coussin à côté d'elle pour m'inviter à la
rejoindre sur le sofa. Une pénombre légère comme de la mousseline nous enveloppait.
La voix d'Andromaque était douce et elle me disait des choses un peu tristes.
- Je n'en finis pas de me remettre en question. De me chercher une excuse, une
légitimité. J'ai l'impression que je devrai toujours me justifier. Ne me demande pas
pourquoi j'ai franchi le pas. Je l'ai su, peut-être... Quand je l'ai fait, ça me paraissait
évident, lumineux... Je ne regrette pas mon choix, non. Mais choisir, c'est renoncer. En
même temps, est-ce qu'on a réellement le choix ? On a beau ne pas regretter, c'est
quand même une amputation, quoiqu'on dise. Moi, j'en rêve encore... de mon pénis, de
mes érections... de faire l'amour à une femme... À ma femme... Ça m'arrive de me
réveiller en pleine nuit comme si j'étais en train de me noyer, comme si j'allais mourir
d'un instant à l'autre. Je suffoque, j'ai le cœur qui bat tellement fort qu'il pourrait
exploser... Il n'y a pas photo, je me préfère en femme. C'est ce qui me va le mieux. Mais
cela a un prix. Et on paie en larmes...
Un livre courageux car l'auteure n'a sans doute pas choisi la facilité. Sortir
la communauté transsexuelle du genre du témoignage, dans lequel elle
est habituellement cantonnée, était déjà un défi en soi. Un premier roman,
indéniablement autobiographique, sur la transsexualité et le corps
féminin, et sans tomber dans tous les clichés faciles sur la communauté
transsexuelle : Pas de doute, le livre mérite largement le détour.
R
RON
Ce matin / Sébastien Rongier.- Paris : Flammarion, 2009.- 189 p. ;
L’histoire
Un matin, un homme apprend la mort de sa mère dans un accident de
voiture. Choqué par sa disparition brutale, il quitte Paris pour aller
prévenir sa sœur, se rendre aux Sables-d'Olonne où la défunte habitait,
s'occuper des formalités administratives, de l'enterrement, du
déménagement... Premier roman de cet enseignant à la Sorbonne et
animateur du site remue.net.
La critique :
« Un récit triangulé entre trois villes, Paris, Sens et Les Sables d’Olonne et entre
elles des routes, et sur une autre route un samedi matin un accident dans lequel une
femme, qui en a connu des villes, rentrant chez elle sa nuit de travail au chevet d’un
vieillard achevée, perd la vie. Son fils vit à Paris, sa fille plus jeune à Sens avec leur
père et la femme vivait, elle, aux Sables d’Olonne, revenue de trop de routes auprès
de ses parents. A la première personne, c’est le fils qui parle, le roman dira
sobrement ce qu’il advient d’eux tous, ce cynique samedi - veille de fête des mères et les jours d’après. Un accident révélateur du fils en responsable légal ; lui tout à sa
métamorphose récente de porteur de lunettes en porteur de lentilles, ce qu’il lui sera
donné à voir, à reconnaître contre toute vraisemblance et à décider, dans l’adversité
des tiraillements familiaux. Jusqu’à la fracture des cendres en deux urnes. »
Les phrases courtes de Sébastien Rongier sont terriblement efficaces, posent un pied
devant l’autre, dans la rue Beauséjour où se trouve le funérarium (!), comme vers
l’appartement qu’il conviendra de vider et l’inconnu(e) rencontrée là. Des phrases
brèves pour avancer pas à pas dans la “réalisation” du nouveau monde qui entoure le
fils. Sans le flou sur les bords que laissaient passer les verres de lunettes et sans mère,
d’un seul coup. Et puis après, on verra bien”. ( Martine Sonnet)
Extrait :
"Prolonger ces premiers instants. On sait que bientôt tout se perdra dans l’habitude.
Regarder encore les passants, avec une insistance qu’on ne sait pas. Et un sourire qui
ne s’efface pas. Moment banal d’un monde changé. Étourdissement du visible. Le
soleil frappe déjà. Et la fatigue n’est pas retombée. La belle fatigue de la veille. La tête
tourne. Encore. Rentrer. Rentrer et se reposer."
Un livre dont le thème principal est, comme celui d’Ariane Bois: comment
continuer à vivre après cela. Mais dans un style assez étonnant, parfois
déroutant, syncopé, souvent réduit à l’essentiel. Une découverte
stylistique à faire, (avec un petit effort), sur un sujet difficile et finalement
rarement abordé sous cet angle trop dérangeant. A lire, surtout si ce
quotidien vous renvoie à votre vécu. On s’y retrouve sans peine…
R
MIN
Fake / Giulio Minghini.- Paris : Allia, 2009.- 138 p. ; 19 x 12 cm.
L’histoire
Après une rupture douloureuse, un jeune Italien installé à Paris s'inscrit sur
un site de rencontres fondées sur les affinités culturelles. Traducteur
désœuvré d'un roman de R. Crevel, il finit par se consacrer exclusivement à
rencontrer des femmes et restitue les impressions que cette nouvelle vie lui
inspire. Ces rencontres mettent en lumière sa propre solitude affective.
Premier roman écrit directement en français par l'auteur d'origine italienne,
traducteur de Simenon et Mac Orlan à la ville.
La critique :
« Sur les douze millions de célibataires français, une moitié s’est déjà inscrite sur un
site de rencontre. Soit beaucoup d’internautes en recherche d’amour… La littérature
s’est pourtant tenue bien éloignée du phénomène : nul livre pour décrire ces lieux, nul
personnage pour se perdre dans les cartes numérique du tendre. Un oubli désormais
réparé : avec le très bon "Fake", Giulio Minghini signe le premier roman du genre.
Passionnant. » (Article XI)
Extrait :
« Je me suis vomi, je me suis créé, transformé, recraché, et cela à plusieurs reprises.
Ma dose était la suivante : cinq bouteilles de Wyborowa par semaine, trois paquets de
Marlboro sénégalaises par jour, deux Prozac. Lexomil pour dormir, trois quarts. Le
dernier quart au réveil, avant d’allumer mon ordinateur. J’avais le visage ravagé de
griffures, ma peau s’écaillait : dans la glace, un masque épouvantable faisait mine de
me sourire. Mes ongles ressemblaient à des virgules, et ça saignait. Une fois réveillé,
j’allais vérifier mon courrier. Lire, répondre, relancer, inventer des pièges, mentir
encore. Percer du regard des photos un peu floues, essayer de deviner des intentions
derrière des annonces creuses ou coquines, des annonces qui en disaient trop, ou pas
assez. J’étais nu devant l’écran, je transpirais, je voulais aller plus vite, je ne mangeais
presque plus. Des œufs crus mélangés à du poivre, j’avalais ça pour tenir. Et
j’avançais. Personne ne me l’avait dit, ça, qu’il y avait une entrée et peut-être pas de
sortie, et pas de monstre au centre de ce labyrinthe. »
Un premier vrai livre sur l’univers des sites de rencontre et sur l’addiction
à Internet. Bref : l’envers du décor. Pas rose. Original, bien écrit, court et
dense. Avec le côté glauque des huis clos où l’on se retrouve face à soimême sans pouvoir en sortir sans casse. 138 pages seulement, mais
denses, crues, violentes.
R
MOU
Une femme sans qualités / Virginie Mouzat.- Paris : Albin
Michel, 2009.- 177 p. ; 20 x 13 cm.- (Romans français).
L’histoire
Elle est belle, grande, sexy et sait qu'elle plaît aux hommes. Mais elle n'a
pas d'ovaires et possède un utérus d'enfant. Elle est ce corps parfait
qu'elle n'habite pas. En voyage à Shanghai, elle confie son récit à un
homme. Ils se retrouvent à Paris où elle vit avec un Suédois une sorte de
cohabitation sans projet
La critique :
« C’est un premier roman, écrit à la première personne sous la forme d’une lettre
adressée à un homme. Une mise au point autant qu’une mise à nue, le portrait au
scanner d’une grande et belle jeune femme désirée par les hommes et qui avoue son
incomplétude au seul qui émeut peut être son âme. Sincère et dégagée des artifices
elle lui parle d’Elle qu’il ne connaît pas. Dotée de tous les attributs de la fille sexy, la
narratrice avoue que son utérus est celui d’une petite fille et qu’une opération
chirurgicale lui a ôté les ovaires à l’âge de 18 ans. Conclusion, une stérilité
irréversible et le sentiment de ne pas appartenir, malgré des apparences trompeuses,
au clan des femelles. Seules les hormones ingurgitées lui garantissent une vie au
féminin. Une rage sourde fait d’elle un être atypique, qui ne connaît, ni le désir ni le
plaisir, et s’octroie le luxe vengeur de le provoquer chez les autres. Aucune parcelle
d’elle-même ne s’abandonne dans son parcours et la colère qu’engendre sa
différence ne lui sert qu’à mépriser le reste du genre humain, si bien déterminé. Le
personnage tend vers la mort à chaque page, roulé en boule dans une dissemblance
érigée au rang de mode de vie, dans un univers stylé et fêtard où chacun se distrait
vaillamment de sa solitude. En cherchant un refuge dans l’achat d’une maison en
bord de mer, la jeune femme devra pourtant renoncer à son « in-utéro » programmé,
pour affronter enfin l’existence qui sera la sienne. Comme un cri de nouveau né, les
mots de la longue missive déchireront le silence pour peut- être s’ouvrir enfin à la
vie. » (La Muse agitée)
Extrait :
Je suis infiniment seule, ça ne se voit pas. Enfin, je préfère croire que ça ne se voit
pas. Et je suis plutôt douée pour ça. J'ai commencé très tôt à être seule, bien avant
de découvrir que le monde se partageait en deux. J'avais découvert qu'il fallait un
passeport pour être admise par le monde. Certaines préfèrent qu'on dise d'elles, c'est
une salope, d'autres, elle est gentille. Pour la première catégorie, il faut des nerfs
d'acier. Je ne les ai pas. Quoique. J'ai donc opté pour la gentillesse, un trait de
caractère poreux, une qualité passe-muraille qui permet de distribuer des coups
sans que ça se voie et qui ménage mon état nerveux. Le risque ? S'entendre dire
qu'on est ennuyeuse. Mais si je n'étais pas ennuyeuse. Je ne le suis pas et ne veux
pas l'être, je m'en vais avant. Je ne donne pas de mes nouvelles. Je n'appelle pas
pour en demander. Je peux faire semblant de rire et de parler, de m'intéresser, mais
en vérité rien ne m'intéresse. »
Ce livre pose réellement des questions essentielles sur la sexualité
féminine dont la partie immergée est en adéquation avec une réalité
physiologique. Dans une société où l’érotisme et le corps des femmes est
à la portée des yeux, reste t-il un moyen d’être « entière ». Un roman
dérangeant sur la norme et la différence. L’écriture est parfois très crue,
sans tabous, mais toujours extrêmement intelligente et percutante., au
contenu bien éloigné des « histoires de nanas » .…Un livre très féminin,
qui plaira notamment à ceux qui ont aimé par exemple « Mes mauvaises
pensées » de Nina Bouraoui (Renaudot 2005, présent à la Mediathèque).