Les nouveaux modèles de captations suscitent l`intérêt

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Les nouveaux modèles de captations suscitent l`intérêt
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Les nouveaux modèles de captations
suscitent l’intérêt
À l’heure où le live ne s’est jamais aussi bien porté et où, parallèlement, les modes de diffusion de la musique se multiplient, il convenait de se
pencher sur les modèles de captations émergents. Ce qu’ont fait l’Irma, le CNV, le système productif local Paris Mix et Musique Info Hebdo.
L
e nouveau Centre Fleury Goutte d’Or-Barbara, situé dans le XVIIIe arrondissement
de Paris, affichait complet mercredi 25
juin. Producteurs de spectacles et de disques,
managers, responsables de salles de concerts,
sociétés audiovisuelles ou de gestion de droits
étaient venus en masse pour cerner un peu
mieux ces outils qui permettent au live de
trouver de nouveaux débouchés.
« On parle souvent des mutations de l’industrie
du disque, souligne Mathias Milliard, responsable ressources à l’Irma, mais c’est également le
cas pour l’économie du concert. Globalement, on
constate à travers les chiffres publiés par le CNV
qu’il y a une augmentation des recettes de billetterie en France, tandis que la Sacem vient d’annoncer une hausse des droits perçus au titre des
diffusions live. Dans le même temps, le retour des
acteurs du spectacle - tourneurs, producteurs,
artistes - ne traduit pas toujours cette croissance
annoncée. Ils sont nombreux à travailler dans la
précarité. Certains expriment des inquiétudes,
notamment quant à la diminution des crédits
publics... »
Néanmoins, un constat s’impose : le live intéresse de plus en plus d’acteurs. Qu’il s’agisse
de l’industrie des télécommunications, qui
voient-là un parfait produit d’appel et de différenciation pour ses abonnés, ou d’entrepreneurs indépendants ayant pensé des modèles
de diffusion alternatifs.
Toutefois, la captation, à mi-chemin entre la
musique vivante et enregistrée, intéresset-elle le public au point de pouvoir générer
sa propre économie ? « Les concerts sont un
produit magnifique, notamment avec la montée en puissance de la haute définition », souligne d’emblée Natalia Tsarkova, présidente
d’i-Concerts, une chaîne de VOD spécialisée
dans le live, disponible sur les bouquets télé
de Free et Neuf. Elle poursuit : « La valeur de
la captation est globalement sous-estimée par
les chaînes de télévision traditionnelles qui pro-
gramment très peu de concerts, ou tard dans la
nuit, parce qu’elles ne parviennent pas à vendre
de publicité lors de leur diffusion. Or, nous sommes convaincus qu’il y a de la place pour une
chaîne de concerts de bonne qualité, qui ne cible
pas une tranche d’âge. Et que le format VOD est
les artistes ou avec de toutes petites maisons de
disques qui sont concentrées sur la monétisation de leurs artistes. Les majors bloquent trop
souvent. »
Dans son cas, Awdio a également décidé de
miser sur une juste rémunération de l’artiste et
du lieu de diffusion mais se heurte à des problèmes quant à la rémunération des auteurs.
« Nous fonctionnons sous un modèle payant à
9,99 € par mois. Awdio est capable d’identifier
le nombre de connexions sur une période donnée, d’évaluer le temps de consommation et de
redistribuer le chiffre d’affaires au prorata du
temps de connexion, source par source, explique V. Strigari. Nous travaillons par ailleurs avec
les sociétés de gestion collective pour ce qui est
du droit d’auteur. Mais le problème est qu’Awdio
n’entre dans aucune de leurs cases. En effet, nous
sommes assimilés à une webradio alors que notre modèle n’a rien à voir avec cela ! J’invite les
sociétés de gestion collective à nous aider sur ce
point. »
Financement en question
Laurence Dolivet, Marc Benaïche, Romain Berrod, Vittorio Strigari, Natalia Tsarkova et Pierre-Marie Bouvery
parfaitement adapté aux captations live, car
les fans de musiques ne souhaitent pas spécialement regarder le même concert en même
temps. » Les 300 000 concerts streamés chaque
mois sur i-Concerts lui donnent-ils raison ?
Grosses ambitions
Autre service, autre modèle : la jeune start
up Awdio s’est fixé le pari de retransmettre
en ligne et en direct des concerts et DJ set
qui se déroulent dans le monde. « Il va y avoir
une vraie révolution sur le live dans les années
à venir, affirme son fondateur Vittorio Strigari.
Au moment où je vous parle, il y a peut être
500 concerts et DJ sets qui se déroulent dans le
Quel avenir pour le live instantané en France ?
I
monde, autant de moments que l’on ne peut ni
écouter ni partager. Voilà ce à quoi nous voulons
remédier et qui a motivé notre démarche. »
Mais les start up ne sont pas les seules à s’intéresser à la musique live sur les réseaux. Les
industries beaucoup plus lourdes comme
l fait partie des modèles émergents dont l’impact est peut-être encore sous-estimé par les
professionnels de la musique. Pourtant, le live instantané est bel et bien un produit qui plaît
au public. Un exemple l’illustre parfaitement. Le 6 novembre, le label Fargo a réalisé une captation audio du concert de son artiste Emily Loizeau au Grand Rex, à Paris. L’objectif n’était
pas d’exploiter cet enregistrement dans le commerce mais de produire un petit nombre
d’exemplaires de disques disponibles pour les fans dès la sortie du concert. Fargo a fait appel
à la société de production audiovisuelle Bonaf, ainsi qu’à Masterway, un presseur spécialisé
dans les petites séries à qui il a commandé 400 CD vierges sérigraphiés et des pochettes
maquettées. Quatre tours permettant de copier 20 disques à la minute ont été nécessaires
pour presser les 400 disques. Le pressage a débuté avant les rappels, de manière à gagner du
temps. Vendus 12 €, 240 CD ont été achetés par les spectateurs le soir même. Les 160 exemplaires restants se sont écoulés dans la semaine qui a suivi sur le site internet de Fargo. Si le
business du live instantané est loin d’être colossal, on voit cependant bien l’avantage que
peuvent en tirer les labels ou producteurs de spectacles : s’en servir pour fidéliser un public
qui aime généralement repartir avec la trace d’un moment fort vécu avec l’artiste, mais aussi
l’utiliser comme un « plus produit », vendu en amont avec le billet du concert.
celles de la téléphonie mobile ont, elles aussi,
de grosses ambitions. Ainsi, SFR, qui s’est très
tôt positionné sur la musique, a récemment
ouvert sa propre salle de showcases (200 places) dans le centre de Paris. Un lieu totalement
équipé pour les captations à destination du
mobile et internet… « Notre vision sur la musique va aujourd’hui bien au-delà de la simple
offre de téléchargement, qui s’est complètement
banalisée, explique Laurence Dolivet, responsable du pôle musique de SFR. Ce qu’attendent
nos clients, ce sont le partage, la découverte, la
proximité et le live comme expérience ultime.
Pour nous, le live est devenu un véritable outil de
fidélisation et de préférence de marque. » Avec
une dizaine de concerts déjà captés depuis
novembre dernier et retransmis gratuitement
sur la plate-forme live-concert.sfr.fr, l’opérateur
confirme que cette activité occasionne « des
coûts importants et qu’il n’y a encore aucun retour sur investissement, puisqu’il n’existe pas
encore de modèle économique. »
En direct avec les artistes
De modèles économiques, il en a été question
pendant cette conférence. Car si ces nouvelles
formes d’exploitation du live suscitent l’intérêt, tout le monde se demande si elles sont
à même de générer des sources de revenus
pour tous les maillons de la chaîne. « La clé
de notre business, c’est de faire en sorte que les
droits restent dans les mains des artistes et des
producteurs du concert, livre N. Tsarkova. Nous
avons voulu aligner nos intérêts sur ceux des
artistes et être sûrs que si l’on gagnait un euro,
l’ayant droit en touche la moitié sans aucune
déduction. Nous travaillons donc en direct avec
En dehors du modèle payant, par abonnement ou à l’acte, peut-il exister des services de
captation live financés par la publicité, modèle
très en vogue ? La réponse est mitigée. « J’ai
bien peur que les modèles de financement par
la publicité ne soient pour le moment qu’un
fantasme, livre Marc Benaïche, directeur général de la société multimédia Mondomix.
Aujourd’hui, tout le monde veut financer des activités sur internet par le biais de la pub. La compétition est féroce. Ne perdons pas de vue que le
CPM (« coût pour mille », fixé par l’annonceur,
ndlr) est en moyenne de 4 €. Ainsi, un concert
visionné 100 000 fois générera 400 € de revenus
à partager avec tout le monde… »
Le problème revient plus globalement à se poser la question du financement de cette activité. « La captation nécessite beaucoup de monde
et de compétences, et coûte donc très cher, complète M. Benaïche. Pour le financement, si l’on
diffuse en télé, il y a le mode de la coproduction
ou du pré-achat, qui peuvent être complétés par
les aides du CNC, voire du FCM. Mais l’enjeu, c’est
le diffuseur. Et c’est là que ça devient problématique car en France, le paysage est sinistré et les
fenêtres de diffusion sont très étroites. »
De ce point de vue, l’instauration d’un droit
voisin du producteur de spectacles sur les enregistrements de lives, demandé depuis déjà
plusieurs années par les professionnels du
secteur, pourrait peut-être en inciter certains à
investir dans leurs productions. « Le producteur
du spectacle est généralement celui qui est à la
traîne, rappelle Pierre-Marie Bouvery, avocat
spécialisé dans la propriété intellectuelle. Or,
s’il y a une captation, c’est qu’il y a un live. Et s’il
y a un live, c’est bien grâce à celui qui prend le
risque de le produire. Ce risque industriel, c’est le
droit voisin que l’on a reconnu au producteur de
disque mais pas encore à celui du spectacle... »
Romain Berrod
27 juin 2008
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