dossier pedagogique : un homme pour l`eternite
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DOSSIER PEDAGOGIQUE : UN HOMME POUR L’ETERNITE 1. Fiche technique Un homme pour l’éternité / A Man for All Seasons de Fred Zinnemann (UK, 1966, 120 min.). Scénario : Robert Bolt d’après sa pièce de théâtre Photographie : Ted Moore. Musique : Georges Delerue. Avec Paul Scofield, Wendy Hiller, Orson Welles, Susannah York. Récompenses : 6 Oscars, 2 Golden Globes, 4 BAFTA. 1.1.Synopsis En 1529, Sir Thomas More devient chancelier d’Henri VIII, qui lui demande d’obtenir de l’Eglise l’autorisation de divorcer de Catherine d’Aragon pour épouser Ann Boleyn, sa maîtresse. Déchiré entre sa conscience et son devoir d’obéissance au roi, Thomas More répond par un silence qui provoque la rage du souverain. Prolifèrent alors les jeux de pouvoirs, les intrigues de palais, les luttes politiques qui menaceront l’unité du pays, conduiront à la création de l’Eglise anglicane et à la condamnation à mort de Thomas More… 1.2 Biographie de l’auteur : Robert Bolt (1924-1995) Robert Bolt est un dramaturge, scénariste et réalisateur britannique, l’auteur de la pièce de théâtre « A Man for All Seasons » qu’il adaptera par la suite à l’écran. Cet enseignant d’anglais et d’histoire commence par écrire des pièces radiophoniques dont certaines seront adaptées au théâtre. Il a écrit les scénarios de grands classiques du cinéma tels que Docteur Jivago, Lawrence d’Arabie, La fille de Ryan ou encore Mission ; il a obtenu à deux reprises un Oscar dans la catégorie Meilleur scénario. Cependant, il demeure connu avant tout pour la pièce de théâtre « A Man for All Seasons », dans laquelle il explore un thème de prédilection, celui de l’individu aux prises avec le pouvoir, souvent dépeint comme étant corrompu. 2. Contexte historique 2.1 La Guerre des Deux-Roses La Guerre des Deux-Roses dura trente ans, de 1455 à 1485, et dévasta l’Angleterre. Son enjeu était la lutte pour le trône entre les maisons royales de York et de Lancastre. La série de conflits les opposant fut appelée Guerre des Deux-Roses en raison des emblèmes des deux maisons: une rose rouge pour Lancastre, une rose blanche pour York – une appellation qui se fit a posteriori car la maison de Lancastre choisit son emblème lors de la dernière bataille, en 1485. Le conflit remonte à 1399, lorsque le roi Richard II est détrôné par son cousin, duc de Lancastre. Henri VI (de la maison Lancastre) prend alors le trône, mais c’est un roi faible et sujet à des crises de folie. Un Conseil de Régence, dirigé par le duc de York, Richard Plantagenêt, est instauré pour pallier à sa gestion du pays. La reine Marguerite d’Anjou cherche à écarter Richard Plantagênet, et les conflits armés débutent. Après la mort de Richard, son fils Edouard prend le relais et deviendra roi pendant quelques années. Mais les intrigues se poursuivent, Edouard IV décède et le pays est à nouveau plongé dans la guerre civile. Après un affrontement avec le frère d’Edouard IV, c’est Henri Tudor de la maison Lancastre qui deviendra roi sous le nom de Henri VII, mettant fin à 30 ans de guerre. Son fils, Henri VIII, lui succèdera à sa mort. Si peu de temps après la résolution du conflit, on comprend l’importance pour ce roi d’avoir un héritier pour assurer la succession au trône et éviter que le pays ne sombre à nouveau dans la guerre civile. Au delà des ravages d’un tel conflit, la guerre des Deux-Roses fut aussi un bouleversement politique important qui mit fin au pouvoir de la dynastie des Plantagenêts (York) au profit de celle des Tudor (Lancastre), elle a affaibli la noblesse et leur pouvoir militaire au profit d’une classe marchande, et fait cesser l’ingérence anglaise en Europe et particulièrement en France, et signa la fin du Moyen-Age en Angleterre. 2.2 Naissance de l’église anglicane L’Eglise d’Angleterre est l’Eglise chrétienne officielle en Angleterre, à l’origine de l’anglicanisme. Son chef suprême est le souverain du Royaume-Uni, la personne qui la dirige l’Archevêque de Canterbury. Elle est à la fois catholique, ayant gardé la tradition apostolique, et réformée, parce qu’elle suit certains principes de la Réforme du 16e s. Contrairement à l’église protestante, l’avènement de l’église anglicane n’est pas liée à des divergences théologiques mais à une lutte pour le pouvoir. Elle vit le jour lorsque le roi Henri VIII voulut s’affranchir de l’autorité papale parce que le pape Clément VII refusait d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon. Le roi avait déjà une grande influence sur l’Eglise ; les Anglais, qui étaient critiques d’un pape dont la décadence avait été dénoncée, le soutinrent. Henry VIII avait en outre une formation théologique : il a notamment écrit un texte sur les 7 sacrements s’opposant aux édits de Luther ; avec son chancelier Sir Thomas More, il s’oppose à la traduction de la Bible par William Tyndale, qui deviendra par la suite un disciple de Luther. En 1534, le roi rédige L’Acte de suprématie qui fait de lui le chef suprême de l’église d’Angleterre. Mais il ne prévoit pas que cette décision va signer l’arrêt de mort de la foi catholique en Angleterre, déjà influencée par la pensée luthérienne et l’humanisme. Il fera rédiger L’Acte des 6 articles en 1539 pour tenter de conserver certaines doctrines catholiques présentes dans l’église anglicane. Il cherchera à éradiquer le luthéranisme en Angleterre, mais les réformes de son successeur, Edouard VI, feront entrer le protestantisme dans la foi anglicane ; la confession de foi de l’église sera ordonnée en 1562 par Elizabeth 1re. Après cela, les catholiques seront persécutés pendant une période. 2.3 Personnages principaux du film - Thomas More : ce personnage est une figure historique marquante et pleine de contradictions, à la croisée du Moyen Age et de la Renaissance dont il contribua à l’avènement. Sir Thomas More fut à la fois un homme politique, homme de loi et homme de foi, mais aussi un écrivain, un humaniste et un martyr qui fut canonisé au siècle passé. Cette figure de proue de l’humanisme prôna la réforme de l’éducation et l’étude des classiques grecs et latins, qu’il mit en pratique comme avocat, puis juge. Il choisit de donner sa vie pour sa foi et ses principes, en se battant contre le schisme voulu par le roi Henri VIII d’avec l’église catholique. Celle-ci représentait pour lui la présence du Christ sur terre, même s’il savait qu’elle avait besoin d’être réformée. Sa conviction l’empêchait de contredire l’autorité religieuse du pape, et donc d’approuver l’annulation du mariage du roi d’avec Catherine d’Aragon, qui impliquait que le souverain devienne le chef suprême de l’église. Ces mêmes convictions le menèrent à persécuter les hérétiques, jusqu’au bûcher dans quelques cas. Mais More fut également l’auteur de « L’Utopie », un ouvrage de référence encore étudié aujourd’hui, décrivant une société idéale dans laquelle l’homme serait libre de sa croyance religieuse. Ecrit en latin, « L’Utopie » fut publié à Louvain et ne sera édité en Angleterre qu’en 1551, des années après sa mort. More prit part à l’administration du royaume et devint Chancelier du roi, la position la plus élevée pour un homme qui n’était pas issu de la noblesse. Connu pour ses qualités morales et sa droiture, il était l’un des seuls à oser dire au roi ce qu’il pensait, même si cela n’allait pas dans le sens du souverain. Sir Thomas More était un érudit connu pour son esprit, son sens de l’humour et sa grande tolérance, tout en étant moralement très droit, bon époux et bon père. Contrairement aux coutumes de son temps, il éduqua ses filles comme ses fils ; à tel point que son ami Erasme, impressionné par le résultat, fit de même. - Le roi Henri VIII : né en 1491, il régna de 1509 à sa mort en 1547. Son fils Edouard VI lui succédera mais sans jamais régner réellement, mourant avant d’atteindre sa majorité. Henri VIII fut connu pour le rôle qu’il joua dans le schisme de l’église catholique et l’avènement d’une église réformée anglicane, et pour ses six épouses. Formé en théologie et dans les arts, il fut tout d’abord un monarque très prometteur avant de devenir un tyran décrit comme étant dur et égoïste. Il fut tout d’abord marié à Catherine d’Aragon pendant 16 ans ; celle-ci lui donna une fille mais pas de fils – cette fille, Mary, règnera par la suite pendant 5 ans. La grande préoccupation d’Henri VIII était d’avoir un héritier mâle qui tiendrait le pays unifié et éviterait une nouvelle guerre civile. Tombé amoureux d’Anne Boleyn et persuadé que celle-ci lui donnerait un fils, il demanda l’annulation de son mariage au Pape. Mais Clément VII, sous le joug politique et militaire de Charles V, l’ennemi juré d’Henry VIII, refuse. Pour obtenir gain de cause, le roi décide de se séparer de l’Eglise catholique et de créer une nouvelle Eglise d’Angleterre dont il serait le chef. Catholique convaincu, il ne perçut pas que son action allait paver le chemin du protestantisme en Angleterre. Il eut finalement un fils, Edouard, avec sa 3e épouse Jane Seymour. Celui-ci deviendra roi à la mort de son père en 1547 mais sans régner réellement car il mourra avant d’atteindre sa majorité. La fille d’Henri VIII et de sa seconde épouse, Anne Boleyn, deviendra Elizabeth Ière et règnera pendant 44 années ; c’est elle qui assurera la mise en place définitive du protestantisme en Angleterre. Sans enfants, elle sera la dernière des Tudor sur le trône, qui passera ensuite à Jacques Ier, un arrière-arrière-petit-fils d’Henri VII et roi d’Ecosse sous le nom de Jacques VI. - Cromwell (1485-1540) : ce roturier atteindra les plus hautes sphères politiques d’Angleterre, en se plaçant au service du cardinal Wolsey, puis devenant conseiller du roi, et enfin Chancelier. Il œuvra grandement pour la Réforme ; c’est lui qui aurait été le plus grand partisan de l’Acte de suprématie faisait du roi le chef suprême de l’église anglicane. Il seconda aussi Henri VIII dans tous ses mariages. Ce serait d’ailleurs son implication dans le 4e mariage d’Henri VIII avec Anne de Clèves, que le roi fit rapidement prononcer nul, qui le fit tomber en défaveur. Des nobles de la famille de Catherine Howard, qui deviendra la 5e épouse du roi, en profitèrent pour le discréditer et Cromwell fut décapité pour hérésie le jour même du mariage. 2.4 Chronologie 1337 : début de la Guerre de Cent Ans, qui oppose l’Angleterre à la France - les Plantagenêt aux Valois 1399 : Richard II est détrôné par son cousin Henri de Bollingbroke, duc de Lancastre et petit-fils d’Edouard III, qui monte sur le trône sous le nom d’Henri IV d’Angleterre. 1413 : mort d’Henri IV, son fils monte sur le trône sous le nom de Henri V. 1422 : à la mort de Henri V, son fils Henri VI de la maison Lancastre accède au trône à l’âge de 9 mois ; il dirigera effectivement le pays à sa majorité en 1437. Sa mère, Catherine de Valois, épousera en 2e noces Owen Tudor ; leur fils aîné, Edmond, sera le père de Henri VII. 1453 : fin de la guerre de Cent Ans. Les Anglais y ont perdu toutes leurs possessions en France. 1454 : suite aux crises de démence de Henri VI, Richard Plantagenêt, aussi appelé Richard d’York, devient Lord Protecteur. 1455 : la guerre des Roses débute après la première crise mentale du roi Henri VI. 1461 : Edouard IV, fils de Richard d’York, dépose Henri VI et devient monarque. 1465 : Henri VI sombre dans la folie. 1470-71 :suite aux manœuvres de Marguerite d’Anjou, Edouard IV est exilé par le comte de Warwick qui remet Henri VI sur le trône et gouverne à sa place. Six mois plus tard, Warwick sera tué par Edouard VI au cours de la guerre qu’il déclare à la Bourgogne. 1478 : naissance de Thomas More. 1483 : décès d’Edouard IV, accession au trône de son fils Edouard V qui sera déposé (et probablement assassiné) par son oncle, Richard III. Naissance de Martin Luther. 1485 : Richard III meurt sur le champ de bataille, il sera le dernier York à gouverner l’Angleterre. Henri Tudor de la maison Lancastre monte sur le trône sous le nom de Henri VII et la guerre des Deux-Roses prend fin. 1491 : naissance de Henri VIII, fils de Henri VII. 1509 : Henri VIII devient roi à la mort de son père. 1516 « L’Utopie » de More est publiée en latin à Louvain. 1517 : Luther publie les 95 thèses ou « Dispute sur la puissance des indulgences », qui remet en question la pratique des indulgences (ou remise des peines temporelles d’un péché déjà effacé par confession) et dans lesquelles Luther soutient que Dieu seul peut justifier les péchés. Au 16e siècle, cette pratique est utilisée pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome, ce qui est vécu comme une forme de corruption. 1527 : Henri VIII demande l’annulation de son mariage à Catherine d’Aragon. 1529 : Il devient clair que le pape Clément VII ne va pas accepter la demande d’annulation du roi, d’autant que l’église avait octroyé une dispense spéciale pour ce 1er mariage et que le pape est prisonnier de Charles V, neveu de Catherine d’Aragon. A la demande d’Anne Boleyn, le cardinal Wolsey, représentant du pape, est démis de ses fonctions. Thomas More devient Chancelier du roi. 1531 : la reine Catherine d’Aragon est bannie. Sir Thomas More présente sa démission en tant que Chancelier du roi, mais celle-ci est refusée. 1532 : More présente à nouveau sa démission, cette fois-ci le roi accepte. Cromwell devient conseiller du roi, puis Chancelier. 1533 : le mariage avec Catherine d’Aragon est prononcé invalide et Henri VIII épouse Anne Boleyn. More refuse d’assister au couronnement de la nouvelle reine tout en reconnaissant sa légitimité. 1534 : Henri VIII rédige l’Acte de Suprématie qui fait de lui le chef de l’Eglise. Sir Thomas More est emprisonné. 1535 : Sir Thomas More est exécuté. 1536 : Anne Boleyn est (faussement) accusée d’adultère et décapitée. Le lendemain le roi se fiance avec Jane Seymour qui sera sa 3e épouse. 1537 : la reine décède des suites de couches, après avoir donné naissance à un héritier mâle, le futur Edouard VI. 1539 : Henri VIII rédige l’Acte des 6 articles. 1540 : Henri VIII épouse Anne de Clèves, sur les conseils de Cromwell ; il fera rapidement annuler le mariage, en arguant sa non consommation. Cromwell est exécuté. Le même jour, Henri VIII épouse Catherine Howard, nièce de Norfolk et cousine d’Anne Boleyn. 1542 : la reine est décapitée après avoir été reconnue coupable d’adultère (un adultère avéré). 1543 : dernier mariage d’Henri VIII, à Catherine Parr. 1547 : décès de Henri VIII ; son fils Edouard VI monte sur le trône sans jamais régner réellement car il mourra de maladie avant sa majorité. Protestant convaincu, il permettra néanmoins des réformes religieuses importantes. 1551 : « L’Utopie » est publiée en anglais en Angleterre. 1553 : Mary, fille d’Henri VIII et de sa première épouse Catherine d’Aragon, monte sur le trône. Elle tente de restaurer l’Eglise catholique romaine en Angleterre et persécutera les protestants ; pour cela, elle sera connue sous le nom Bloody Mary. 1558 : à la mort de Mary I, sa demi-sœur Elizabeth, fille d’Henry VIII et d’Anne Boleyn, monte sur le trône. Connue comme la reine vierge, elle n’eut pas de descendants. 1562 : la confession de foi de l’église anglicane est prononcée par Elizabeth I. 1935 : le pape Pie XI sanctifie Sir Thomas More. 3. Questions aux élèves : clés de lecture pour le visionnement Repérez les bons et les méchants du film. De quelle manière sont ils présentés dans chaque cas, quels éléments permettent de comprendre qu’ils bons ou méchants ? Observez l’esthétique du film : quels éléments font partie du décorum hollywoodien et lesquels se rapportent à l’époque dans laquelle le récit a lieu ? Repérez comment Sir Thomas More s’oppose au Roi 4. Pistes pédagogiques pour l’enseignant 4.1 « L’Utopie » : Thomas More publie un livre fondateur en 1516, « L’Utopie ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement», décrivant une société idéale. Cet ouvrage va devenir un genre littéraire et fonder une idéologie, une forme de pensée dite utopique. Ce terme dérive du grec « topos » et signifie « nulle part ». Le livre est en deux parties : la première critique un régime monarchique tel qu’il existe en France ou en Angleterre ; la seconde décrit une organisation sociale idéale. Dans le récit, Utopie est le nom d’une île, un lieu protégé du monde entièrement façonné et imaginé par Utopus. More y décrit une société idéale, vue à travers les yeux de Raphaël Hythlodée, un explorateur découvrant l’île, son organisation sociale, politique et culturelle mise en place par Utopus. Cette société est caractérisée par l’égalité et la liberté, le partage communautaire et l’absence de propriété personnelle; ses valeurs sont fondées sur le travail, le développement du savoir, la recherche du bonheur, la paix, et enfin la tolérance, notamment religieuse. En un sens, il s’agit d’une société égalitaire communiste, avec l’agriculture pour activité de base et une gestion par conseils d’élus. Il n’y a que deux dogmes liés à la spiritualité, des croyances nécessaires pour faire partie de la communauté : l’immortalité de l’âme et en la providence divine. Ceux qui n’y adhèrent pas ne sont pas pour autant persécutés : « Les Utopiens qui n'ont pas embrassé la religion chrétienne ne cherchent, cependant, à en détourner personne et ne persécutent pas ses adeptes. C'est, en effet, un des principes les plus anciennement établis en Utopie que nul ne doit être inquiété pour sa religion. Le prosélytisme était permis, à condition de procéder avec douceur et modération, de propager sa propre foi par des arguments raisonnables, de ne pas détruire brutalement la religion des autres. Il était interdit, si la persuasion échouait, d'avoir recours à la violence et à l'injure. L'intolérance dans les controverses religieuses était punie de l'exil ou de l'esclavage. User de violence et de menaces, en vue de faire accepter pour vrai par tous ce qu'on croit être la vérité, leur paraissait un procédé tyrannique et absurde. » (extrait de « L’Utopie ») « L’Utopie » est aussi controversée que le personnage de Thomas More. Il y a d’une part l’humaniste, à même de croire en une telle société fondée sur la raison, la philosophie et le savoir antique. D’autre part, il y a l’homme de foi, celui qui envisagea devenir prêtre, le martyre mort pour sa croyance en l’église catholique ; comment cet homme-là a-t-il pu faire l’apologie d’un tel Etat dans lequel le catholicisme n’existe pas ? La première partie du roman, qui critique l’état du monde de cette époque, consiste en un échange entre More et Hythlodée. Tous deux argumentent bien leur point de vue : les valeurs de la société européenne du 16e siècle d’un côté et celles d’Utopie de l’autre. On peut donc supposer que More cherchait à pousser les penseurs de son temps à repenser leur société, pas de manière aussi radicalement utopique, mais de façon à faire évoluer leur organisation sociale et notamment, à réformer l’Eglise. 4.2 Conscience : morale interne/morale externe More était prêt à mourir, et mourut effectivement, pour ne pas compromettre son intégrité morale. Dans la plupart des cas, les martyrs donnent leur vie pour une cause qui dépasse leur propre individualité : un peuple, une nation, une foi. Sir Thomas More refusa d’aller à l’encontre du pape, représentant de la chrétienté catholique, elle-même incarnation de l’existence du Christ, éléments en lesquels il avait une foi absolue. Un tel acte aurait été une trahison de cette croyance et donc de son intégrité morale, le principe régissant l’ensemble de son existence. Thomas More était tellement convaincu de l’importance de l’intégrité qu’il fit graver son épitaphe deux ans avant sa mort de manière à préserver sa réputation d’homme probe. L’intégrité, la conscience personnelle, est donc le principe directeur de l’existence de Sir Thomas More et permet de comprendre ses choix et ses actions. Que veut dire exactement cette conscience et cette intégrité morale pour lesquelles il donna sa vie ? A la Renaissance, comme du temps des Grecs et des Romains, les humanistes se sont beaucoup préoccupés de l’ethos d’une personne, c’est à dire de son caractère moral. Car pour atteindre la paix et la prospérité des nations, celles-ci doivent être gérées par des êtres moraux. Il faut donc former la moralité des individus. L’éducation joue un rôle central : une éducation portant non seulement sur les connaissances mais visant aussi à former le caractère, une éducation de la personne dans son ensemble. En d’autres termes, il faut bâtir une moralité interne aussi bien que transmettre une moralité externe. Développer d’une part le savoir, à travers l’apprentissage des classiques de la philosophie. D’autre part, confronter ces connaissances à la réalité pour exercer le jugement et les compétences, et former ainsi la conscience. La conscience s’exerce quotidiennement : on voit les circonstances d’une action et on la juge à la lumière de la justice et du droit. Pour que le jugement soit clairvoyant, l’individu doit apprendre à gouverner ses émotions. Le caractère moral, la juste perception et la tempérance des émotions sont des éléments de la conscience personnelle. La conscience peut être clairvoyante et forte si le caractère moral a été formé à l’amour de la vérité. Il est également nécessaire de cultiver son âme, de garder vivantes les choses que l’on choisit par amour. La conscience et la culture jouent donc un rôle central et peuvent mener à la paix intérieure. Mais pour More, la conscience seule ne suffit pas. Il s’agit également d’être intègre : l’intégrité est l’unité de la pensée, du verbe, et de l’action. L’intégrité décrit les actions du caractère conformes à la conscience. Elle vient de la structure même de notre être et ne peut exister qu’au travers d’une conscience guidée par une loi juste. Il est donc essentiel d’entraîner la conscience. Mais l’esprit isolé peut se tromper ; il faut donc aussi s’entourer d’êtres au caractère moral formé. Cela explique la conviction de More selon laquelle personne ne devrait détenir le pouvoir absolu. En conclusion, le défi consiste à vivre en harmonie avec nos convictions les plus profondes, ce qui peut expliquer pourquoi More a vécu si paisiblement sa condamnation à mort – se sachant intimement en accord avec ses croyances. 4.3 Fiction versus réalité : Inexactitudes historiques du film Il est important de signaler que ce film présente certaines inexactitudes historiques. Il est donc essentiel de les évoquer et de les intégrer comme éléments de discussion. - Dans le film, Sir Thomas More s’oppose au roi parce que sa conscience le lui dicte. Mais historiquement, il ne s’agit pas de conscience personnelle telle que nous la comprenons aujourd’hui, c’est à dire de ce qu’il pensait être juste ou moral en tant qu’individu. La conscience telle que More la comprenait dérive de la justesse de jugement ; elle est tributaire du raisonnement, qui découle de principes universels et de leur application à la situation concrète. De plus, More n’agit pas ainsi parce que cela remettrait en cause son identité personnelle. Il n’est qu’un rouage dans quelque chose qui le dépasse : la présence du Christ, incarnée par l’Eglise catholique. - Le film ne fait pas état de la révolution religieuse en cours à cette époque. L’église catholique n’était déjà plus une communauté unificatrice ; après avoir conquis les Allemands, le luthéranisme faisait de plus en plus d’émules en Angleterre au début du 16e siècle. More savait que si le roi se séparait de Rome, la mainmise de l’église catholique en Angleterre serait écartée. More passa une grande partie de son mandat à persécuter les hérétiques. Par la suite, la Réforme s’installa dans le peuple anglais et les grands conflits de religion lui furent épargnés (en dehors du règne de Mary I qui fit brûler de nombreux protestants). Le film ne fait pas état de ces faits ; au contraire, il laisse penser que tout Anglais digne de ce nom était d’accord avec les vues de Sir Thomas More, alors que beaucoup d’entre eux étaient anticléricaux. - More était dur avec les hérétiques, ce que le film ne montre pas réellement. Il fit brûler ceux qui ne renoncèrent pas à leur foi, et pensait que sa persécution des Protestants était un de ses grands succès. - Si More ne se prononça par verbalement sur la question de l’annulation du mariage du roi, il s’y opposa longuement dans ses écrits. More accepta le mariage, mais s’opposait à la séparation entre le roi et l’Eglise catholique. Ses écrits soutenaient l’unité de l’Eglise et de la chrétienté, et ce serait leur succès qui aurait induit son exécution. - Le procès de More ne fut pas public, et Cromwell fut l’un des juges et non le procureur. Il ne joua pas de rôle particulier dans la chute et l’exécution de More. - Le jury ne délibéra que 15 minutes avant de rendre son verdict. Après le verdict, More n’attaqua pas le mariage, mais l’Acte de suprématie. Richard Rich n’était pas un ami de More et de sa famille ; ce choix fictionnel permet de souligner le fait que les gens font des choix, et parfois ils font le mauvais choix. Ressources : - INTEGRITY AND CONSCIENCE IN THE LIFE AND THOUGHT OF THOMAS MORE Professor Gerald Wegemer, Professor of Literature, University of Dallas, USA (21 August 2006) http://web.archive.org/web/20080210023524/http://www.thomasmoreinstitute.org.uk/wegemer.h tml