Des bénévoles à l`écoute
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Des bénévoles à l`écoute
Initiatives Des bénévoles à l’écoute 12 R elevez le défi de l’indifférence : devenez écoutant bénévole ». C’est cette phrase, lue sur un panneau municipal, qui a déclenché la vocation d’Henri*, bénévole de l’association S.O.S. Amitié. Un slogan qui résume très justement l’objectif des associations d’écoute au téléphone : offrir un espace de parole entièrement libre à des personnes en grande souffrance psychologique, et qui n’ont personne avec qui la partager. « Je voulais réagir à la détresse, à la souffrance de tant de personnes dans notre société. J’avais envie d’apporter ma petite pierre à cette humanité-là », témoigne Marie*, bénévole à CroixRouge Écoute. Les associations recrutant des bénévoles ont chacune leurs spécificités : S.O.S. Amitié comme Croix-Rouge Écoute sont des lignes généralistes. Solitud’écoute, la ligne des pe- tits frères des Pauvres, s’adresse aux personnes de plus de 50 ans. Suicide Écoute, ligne nationale, s’adresse plus spécifiquement aux personnes qui se sentent concernées par le suicide. Des formations assurées « Tout le monde ne peut pas écouter, explique Daniel Boissaye, président de S.O.S. Amitié. Les personnes psychologiquement fragiles ou bien qui n’auraient pas surmonté leurs difficultés personnelles risquent de voir leurs souvenirs douloureux ou leur souffrance réactivés par les récits des appelants. » La bonne volonté ne suffit pas. Plusieurs entretiens sont nécessaires pour mesurer la solidité personnelle des postulants. Les bénévoles sont de tous âges, même si les jeunes retraités en représentent une bonne part. À l’exception de Suicide Écoute, qui recrute les personnes de plus de 25 ans, il suffit d’être majeur pour postuler, même s’il va de soi qu’une certaine maturité est requise pour écouter la souffrance psychique et morale des appelants. Autre point commun : la qualité et la longueur de la formation initiale, s’étalant sur environ six mois. Le « jeune » recruté commence par une formation théorique dispensée par des professionnels (psychiatres, psychologues) et entre en « double écoute passive », pendant laquelle il assiste à des écoutes de bénévoles confirmés. Vient ensuite la « double écoute active » : c’est lui qui répond, sous la supervision d’un écoutant. Ces doubles écoutes sont complétées par des réunions de supervision. Des bénévoles investis Une fois confirmé, le bénévole s’engage pour des plages d’écoute hebdomadaires de 3 ou 4 heures (dont certaines la nuit et le week-end à S.O.S. Amitié et Suicide Écoute, dont les lignes fonctionnent 24 h/24, 7 j/7). Il doit © David Lees/Gettyimages JUIN 2011 - VIES DE FAMILLE Vous avez du temps à donner, vous êtes ouvert aux autres et la souffrance psychique ne vous fait pas peur. Pourquoi ne pas devenir écoutant bénévole au téléphone ? aussi participer aux réunions de supervision mensuelles (tous les 15 jours à Croix-Rouge Écoute) et à la formation continue proposée par les associations. À l’exception de Croix-Rouge Écoute, qui réunit plusieurs écoutants sur un plateau, les bénévoles sont seuls pendant l’écoute. D’où l’importance des réunions de supervision et de formation, ou tout simplement des temps conviviaux, qui permettent aux bénévoles de se réunir et de se sentir partie prenante de l’association. On l’aura compris : l’écoute nécessite une réelle disponibilité personnelle. C’est le prix pour une grande aventure humaine, qui oblige l’écoutant à approcher « la profondeur des personnes, l’intimité de l’être », comme le dit Daniel Boissaye, de S.O.S. Amitié. « Des choses nous sont dites et que les appelants n’ont jamais confiées à personne », s’étonne Madeleine*, bénévole à Suicide Écoute. Un enrichissement personnel Pour offrir cet espace libre de parole, le bénévole doit être capable d’adopter une posture bien spécifique reposant sur la confidentialité, l’anonymat, le respect de la personne, quelle qu’elle soit, l’empathie, le nonjugement et la non-directivité. « Au début, c’est assez déroutant, témoigne Henri, à S.O.S. Amitié. Il faut accepter de ne pas tout comprendre mais d’entendre, de ne pas meubler le silence, indispensable pour que la personne chemine et exprime son ressenti. On aménage une bulle dans laquelle la personne va pouvoir respirer, sortir de l’asphyxie de la solitude. » Cette attitude, qui s’acquiert avec l’expérience, nécessite malgré tout des prérequis chez les écoutants : « Ce qui compte, c’est la disponibilité et l’ouverture intérieure pour écouter l’autre sans a priori, sans jugement », souligne Isabelle Chaumeil-Guéguen, présidente de Suicide Écoute. Ouverture, mais aussi prise de distance pour rester à sa juste place. « C’est important de ne pas se laisser envahir, car si on ne se protège pas, on ne peut pas aider l’autre », note Christine*, bénévole à S.O.S. femmes battues. Indispensable aussi : une capacité à se remettre en question. « Ai-je été juste ? Mon écoute a-t-elle été la bonne ? : je me pose toujours les mêmes questions, et c’est ce qui me motive », analyse Marie*. Et, plus que tout, de l’humilité : pour accepter de n’être qu’une voix non identifiée, de ne pas apporter de réponse, de ne pas savoir ce qui va se passer après… de ne pas être dans l’action ni de recevoir un « merci »… Et pourtant, tous les bénévoles de l’écoute se disent transformés par leur engagement. « L’écoute, « J’ai postulé à Suicide Écoute quand j’ai eu du temps disponible. Étant par nature portée vers le « faire, », je pensais que l’écoute serait l’occasion de développer d’autres capacités. J’ai été surprise par l’exigence au niveau du recrutement et de la formation. L’association a besoin d’écoutants solides, capables d’assumer tous types d’appels, qui ne sont pas là pour sauver le monde mais qui sont prêts à se remettre en question et acceptent la règle de l’anonymat. Au début, ce n’était pas facile d’être dans la non-directivité : de ne pas conseiller, de ne pas se laisser embarquer quand l’appelant vous sollicite « Et vous ? Qu’est-ce que vous en pensez ? », de laisser de la place au silence… En tant qu’écoutant, on est en interrogation permanente sur notre manière d’être, on ne peut jamais avoir de certitude. Et puis j’ai découvert ce que j’appelle « la magie de l’écoute » : je ne dis pas grand-chose, mais ma disponibilité, ma présence attentive et non intrusive font que la personne se sent aidée. Cet engagement a transformé ma manière d’écouter dans ma vie personnelle : aujourd’hui, il m’est plus naturel d’écouter vraiment, sans être déjà dans la réponse ou la question suivante. » Marie-Pierre Noguès-Ledru * Les prénoms ont été modifiés pour respecter l’anonymat des écoutants. Les associations qui recrutent S.O.S. Amitié : www.sos-amitie.org ; partout en France. Croix-Rouge Écoute : www.croix-rouge.fr ; IDF et Limoges. Tél. : 0800 858 858* Suicide Écoute : www.suicide-ecoute.fr ; à Paris. Tél. : 01 45 39 40 00* Solitud’écoute : www.petitsfreres.asso.fr ; en IDF et à Lyon. Tél. : 0800 47 47 88* S.O.S. Femmes : www.sosfemmes.com ; plusieurs associations régionales. Tél. 3919 *Attention : ces numéros correspondent aux lignes d’écoute. Consultez le site Internet pour connaître la procédure de recrutement des bénévoles. Retrouvez d’autres articles sur les associations et le bénévolat dans la rubrique Vie pratique / S’engager du site www.viesdefamille.fr JUIN 2011 - VIES DE FAMILLE © Brigitte Sporrer/Gettyimages Sophie, 50 ans, bénévole à Suicide Écoute cela fait grandir », résume Daniel Boissaye, de S.O.S. Amitié. Elle élargit la connaissance de l’humain, elle transforme sa manière d’être dans sa vie personnelle, permet de gagner en qualité de présence dans sa relation à l’autre. « J’y trouve des moments d’humanité », confie Marie. Une denrée rare dans notre société. 13