Tours - CAUE Isère Conseil Architecture Urbanisme et de l

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Tours - CAUE Isère Conseil Architecture Urbanisme et de l
Conférence N°1
L’architecture de l’Ecole de Chicago est une dénomination à caractère publicitaire qui qualifie la vague de
constructions réalisées entre 1875 et
1910, bien qu’elle n’ait aucun des traits
d’une école. Les premières tours ou de
typologie approchante ont été testées
à New York dès les années 1850 avec
le travail de James Bogardus, dans le
cadre d’une génération de projets que
l’on a familièrement baptisée de «pré
gratte-ciel». Ce dernier point reste
néanmoins fortement discuté chez les
historiens. Les frontières du corpus de
l’Ecole de Chicago - qui n’est pas une
véritable école - sont fluctuantes suivant les auteurs : 1871/1893 (Expo.
Universelle Colombienne), 1895/1914
pour d’autres, voire 1875/1925. Ne pas
confondre avec «l’autre» Ecole de Chicago, ethnosociologique.
(1)
Consulter deux ouvrages de Claude
Massu : «L’architecture de l’Ecole de
Chicago : architecture fonctionnaliste
et idéologie américaine», aux Editions
Dunod, 1982 et «Chicago», aux Editions Parenthèses, 1997.
William
Le
Baron
Jenney
(1832/1907), architecte et ingénieur
américain, diplômé avec mention de
l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris (1856). Il s’attache au
perfectionnement des immeubles de
bureaux et teste le premier bâtiment qui
sépare la structure porteuse du mur-rideau avec le Home Insurance Building.
Son immeuble le plus abouti reste le
Second Leiter Bulding (1889/1991).
Même si le style dominant de l’Exposition de Chicago, en 1893, contredit
partiellement ses objectifs, il prend une
part déterminante à son organisation.
(2)
Le débat sur les influences de
l’architecture de loisirs dans la structuration de l’urbanisme new-yorkais a
rebondi en 1976 avec la publication de
l’article de Rem Koolhas, «Dreamland»
et la diversification des références affichées par les architectes post-modernes, alors en plein essor.
(2 bis)
(3)
La première véritable tour de NewYork, le Flat Iron, mélange «néo» de
22 étages, 1902, est conçue par Daniel
Hudson Burnham (1846/1912). Ancien
responsable de la construction de l’Exposition Universelle Colombienne de
1893, il coordonne le plan d’urbanisme
de Chicago, propose des schémas
d’aménagement pour Washington et
San Francisco et signe des immeubles
commerciaux importants, parmi lesquels le Monadnock Building et le Reliance Building.
(4)
Le Village Vertical, autrement dit
l’unité d’habitation idéale, doit mesurer
50 mètres de hauteur pour une épaisseur de 20 mètres et abriter 2 000 habitants. La Cité radieuse de Marseille
mesure 56 mètres, compte 9 étages
et abrite 294 logements. Elle devait
constituer une pièce d’un projet urbain
global, du Vieux Port à Marseilleveyre
2 Tours
26/05/2005 – Grenoble
- Georges Bescher
Bescher, conseiller
général et président du CAUE
de l’Isère, introduit le cycle en
relevant l’originalité, voire le
paradoxe de cette première
conférence qui ouvre le débat
avec les symboles de l’urbanisme des années 1960/1970
dans un contexte actuel qui est
pourtant massivement marqué
par le phénomène d’«étalement
urbain». Il note également que
la culture contemporaine du
«développement durable» réinterroge l’actualité présumée
des tours en déclinant d’une
nouvelle manière le problème
de la «densité urbaine».
suite de l’incendie qui avait
ravagé la ville en 1871. Elles
étaient destinées aux bureaux
et commerces.
Après avoir présenté les qualités des cinq invités, Georges
Bescher met en exergue le «réseau de villes» représenté à la
tribune : Grenoble est présente
à la tribune, associée à ses villes de référence : l’axe ParisLyon-Marseille.
Il faut d’ailleurs relativiser car
celle que l’on considère comme la première tour, le Home
Insurance Building, avait dix
étages : elle fut construite par
William Lebaron Jenney (2)
de 1883 à 1885. Il avait suivi
les cours de l’Ecole Centrale à
Paris où il avait connu Armand
Moisant qui construisit le moulin de Noisiel pour la chocolaterie Menier de 1869 à 1871
sur les plans de Jules Saulnier.
Réalisé sur trois piles en travers
de la Marne, il est le premier
bâtiment construit entièrement
sur une ossature métallique.
C’était une première qui fut visitée comme telle par les membres de l’Institut of Mechanical
Engineers pendant l’exposition
Universelle de 1893.
Ce débat rejoint les objectifs
politiques des collectivités territoriales qui cherchent à hybrider dans leurs politiques des
objectifs intégrant la qualité de
vie, la qualité anthropologique,
l’innovation technologique et
l’actualisation de la «pensée
urbaine». Les élus souhaitent
veiller en particulier à une bonne articulation entre les objets
architecturaux et leur inscription territoriale, contextuelle et
physique.
New York rivalisa rapidement
avec Chicago en inaugurant
ses premières tours, entre
1900 et 1910, que l’on ne baptisait pas encore gratte-ciels.
Le phénomène s’y cristallisa au
moment de l’arrivée de la Tour
du Centenaire, bâtie à Philadelphie et reconstruite dans le
Luna Park (2 bis) de Coney Island. La première véritable tour
de New York, le Flat Iron, mélange «néo» de 22 étages, ne
sera édifiée qu’en 1902 (3).
- Bernard Marrey, historien et
critique, rappelle quelques faits
sur l’origine des tours, largement inspirées de Chicago (1)
où de nombreuses constructions en hauteur furent réalisées entre 1883 et 1895 à la
Un architecte imagina alors des
«immeubles plateaux» avec
maisons et jardins suspendus
ou des immeubles mixtes, alternant sur 80 étages des fonctions industrielles, commerciales, résidentielles, hôtelières,
séparées à chaque série de 20
étages par un plateau public
(place, square, jardins suspendus...).
Le socle granitique de New
York permettra progressivement l’érection de prouesses
architecturales comme l’Empire
State Building (1929/1931) qui
détrônera la tour Eiffel au palmarès des édifices de plus grande
hauteur.
La seconde filiation importante
rattache les tours actuelles à
l’héritage de Le Corbusier qui
développa, en 1922, dans sa
thèse du Village Vertical (4),
l’idée d’une architecture recentrée sur la question de l’Habitat.
La thématique centrale du logement progressait, mais trop
lentement, dans le débat des
années 1920/1930, malgré les
efforts de Le Corbusier et du
Bauhaus.
Bernard Marrey rappelle le gabarit et la jauge de l’unité d’habitation de grandeur conforme de
Le Corbusier : une maison de
50 mètres de haut, habitée par
une population de 2 000 habitants. Il clôt son intervention en
rappelant l’existence de l’Unité
d’habitation de Rezé-les-Nantes, adaptée aux normes HLM
par André Wogenscky (5) pour
une coopérative d’habitants,
opération qui vient de fêter son
cinquantenaire.
Dans un tel contexte de vivacité associative, la thèse de Le
Corbusier semble se vérifier
qui prône l’obligation de baser
un projet d’habitat collectif sur
une «structure sociale solide»,
donnant corps à sa théorie du
«Village Vertical».
- Pierre-Paul Puccinelli, fils de
l’un des trois co-auteurs des
Trois Tours de Grenoble, précise, sous forme de propos liminaire, et pour dissiper tout
malentendu, qu’il n’est héritier que de l’un des trois associés. Satisfait que le terme
de Village Vertical soit tombé
dans le domaine courant - ce
terme ayant les faveurs de son
père - il se propose de veiller
à ce que l’image des Trois
Tours ne soit pas trop qualifiée
d’«esthétisante».
Usant de la série d’images qu’il
a rassemblées à partir des archives de l’agence sur la trentaine d’opérations franciliennes
importantes réalisées par le
trio, il décline quelques-uns des
thèmes de travail communs à
Heymann, Anger et Puccinelli
(6)
: le souci de l’épaisseur de la
façade, une géométrie libérée
au niveau du rez-de-chaussée,
l’affirmation d’une modernité
conviviale et non agressive...
(6 bis)
Malgré sa réticence à «cataloguer» l’architecture de ses
prédécesseurs,
Pierre-Paul
Puccinelli y retrouve et y reconnaît, au sens premier du
terme, un mélange d’influences «cubistes», «organiques».
Et c’est donc à la nuance près
que Pierre-Paul Puccinelli souhaite voir étudier l’œuvre de
son père, en différenciant, par
exemple, l’attrait qu’il avait pour
Le Corbusier architecte (le travail du béton brut) du refus de
ses thèses urbanistiques.
Son père se retrouvait en Le
Corbusier par une référence
commune à la base sociale et
sociologique du «village», identifié comme un référent majeur
à maintenir pour informer l’architecture moderne. L’échelle
de la «maison» - unité de base
(1943/1953).
André Wogenscky travaille 20
ans avec Le Corbusier (1936/1956),
crée son agence en 1956 et conçoit,
assiste à la conception ou à la réalisation de 4 des Unités d’Habitation :
Marseille
(1946/1952),
Rezé-lèsNantes (1953/1955), Briey-la-Forêt
(1958/1961), Firminy (1961/1965).
(5)
Consulter : «André Wogenscky » de
Paola Misino, Nicoletta Trasi, Roberto
Secchi et André Wogenscky, aux Editions du Moniteur, 2000.
Roger Anger, Mario Heymann et
Pierre Puccinelli conçoivent de nombreux projets résidentiels haut de
gamme entre 1958 et 1975, grâce à
une ingénierie financière intégrée, une
grande maîtrise technique et une étroite
collaboration avec les artistes de ces
deux décennies, influencés par le cubisme et l’Art cinétique, courant influent
à Paris à partir de 1955 (en particulier
grâce à Jésus Raphaël Soto).
(6)
Consulter à ce propos le catalogue
de l’exposition «Identification d’une
ville - Architectures de Paris», sous la
direction d’Eric Lapierre, Pavillon de
l’Arsenal, mars 2002. Anger et Heyman
(avec Braslawsky) sont retenus par
ailleurs sur le fameux projet d’Auroville,
«Aurora», qui développe l’ashram de
Sri Aurobindo, près de Pondichéry (capacité d’accueil : 50 000 habitants ; surface : 20 km2 ; diamètre : 3 kms).
Dans un courrier complémentaire
qu’il nous a adressé, Pierre-Paul Puccinelli identifie plus complètement les
thèmes traités par son père : l’architecture plissée, l’architecture organique,
les influences du cubisme, la géométrie
répétitive, la réduction géométrique et
le rythme saccadé, la discontinuité des
plans dans l’espace, le collage géométrique, la fragmentation géométrique,
les effets d’échelle...
(6 bis)
Ainsi que les procédés employés : l’alliance entre l’architecture organique et
une géométrie rigoureuse, la recherche
de proximité visuelle et de rupture de
«l’effet de vertige», l’utilisation intuitive
de l’épaisseur de la façade comme citation d’une architecture «néo-villageoise
moderne à la verticale», l’éloge de la
culture méditerranéenne, ancrée dans
l’unité villageoise...
...Et les hommages aux grands fondateurs : Aalto, Saarinen, Wright...
(7)
«Groupe de l’œuf» : comme plusieurs autres groupes de plasticiens
des années 1950/1960, ce collectif intervient auprès d’architectes modernes
entretenant une filiation avec les travaux du Bauhaus, de Walter Gropius ou
de l’Art Cinétique. Fondé en 1964 par
Pierre Puccinelli, Bertoux, Piantanida,
Pierre et Véra Szekély, ce groupe collabore dès 1967 avec les architectes en
chef maîtres d’importantes commandes
de logements comme Jacques Fayeton.
Sur Grenoble, on trouve trois œuvres
Tours 3
publiques de Pierre Szekély : «Univers de jeux» au Village Olympique,
et «Point de vue» et «Front & Parole»
à l’Université Pierre Mendès-France.
L’Hôtel de Ville de Grenoble compte un
patio qui n’est pas signé par le Groupe
de l’œuf, mais par Gianferrari, proche
également de ces préoccupations.
Le «Groupe de l’œuf» n’est pas un collectif isolé ou atypique. Plusieurs autres
groupes répondent simultanément à ce
type de contexte et de commande : le
«Laboratoire des Arts», «Mur Vivant»,
«Atelier 86», «ARPA – Art et Recherches Plastiques Architecturales», pour
ne citer que les principaux. On peut
lire avec intérêt la revue «Cimaise» qui
évoque assez bien la diffusion de ces
artistes attachés à la création architecturale.
Voir aussi le groupe «Arcade» présent
sur Lyon et l’Isle d’Abeau (conférence
n°3)
Les 4 Unités de Voisinage sont BronParilly, La Duchère, Les Minguettes et
Montessuy. Il est intéressant de rappeler que les «grands ensembles» à peine
nés (1962) font déjà l’objet d’âpres débats sur leur devenir, si l’on se réfère
à la tenue du Congrès d’Hygiène, à
l’Institut Pasteur, en 1962, dirigé par le
Docteur Hazemann, Inspecteur Général au Ministère de la Santé. Sur Lyon,
le premier Plan Directeur est lancé en
1949 avec trois des opérations pré-citées : Bron, La Duchère, Montessuy...
René Gagès est nommé architecte-enchef de Bron-Parilly (2 600 logements),
avec Frank Grimal comme assistant et
François-Régis Cottin, comme collaborateur, entre autres... Frank Grimal
et François-Régis Cottin réaliseront
ensemble La Duchère, quartier qui accueillera une forte communauté «piednoir».
(8)
Consulter «Lyon 2000, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme à Lyon au
XXème siècle» d’Alain Vollerin, paru en
1999 aux Editions Mémoires des Arts.
Circulaire de 1973 d’Olivier Guichard, Ministre de l’Aménagement du
Territoire, de l’Equipement, du Logement et du Tourisme, sous le septennat
de Valéry Giscard d’Estaing.
(9)
Henri-Jacques Espérandieu, architecte (1829/1874), conçoit Notre Dame
de la Garde en style romano-byzantin
(début de la construction 1853/1864
pour la consécration).
(10)
(11)
William Alsop, né en 1947, gagne
le concours de l’Hôtel du Département
des Bouches- du-Rhône en 1990.
C’est un de ses premiers projets (il débute en 1988) qu’il achève en 1994, en
collaboration avec Jacques Störmer.
William Alsop construit essentiellement
en Grande-Bretagne (Londres, Birmingham, Cardiff), en Hollande (Amsterdam, Groningue), en Allemagne (Hambourg) et au Canada (Toronto).
Consulter «William Alsop : Hôtel du
4 Tours
et module de son architecture
verticale - s’était installée également comme une constante
de son œuvre.
Trois Tours qui deviennent des
repères urbains importants,
l’édition de cartes postales se
révélant un signe important.
Parmi les autres thématiques
privilégiées, on décelait l’attention au contexte urbain,
en particulier dans le cas des
parcelles urbaines difficiles
(parcelles triangulaires, dents
creuses, angles de boulevards
urbains...), le défi de la transformation de la «répétitivité» des
modules de façades en outil de
création pour une «esthétique
de l’ombre et de la lumière»,
l’intégration d’éléments «organiques» (l’eau, en particulier...),
la recherche prioritaire en maquettes...
- François-Régis Cottin introduit humoristiquement son propos par un rappel historique
et personnel à la fois : la Tour
Panoramique de La Duchère
est une œuvre qui atteint les
«42,5 ans». Son gabarit est
de 86 mètres, pour 25 étages.
Les études ont démarré début
1962 pour une réalisation qui
s’est déroulée de 1969 à 1972.
Son contexte est brièvement
rappelé par Monsieur Cottin.
Le quartier était une Unité de
Voisinage du plan de 1948 signé par Revillard dans le cadre
de l’accueil des ruraux et de la
montée en puissance de l’industrialisation.
Pierre-Paul Puccinelli insiste
sur la complexité du langage
morphologique et formel utilisé pour les Trois Tours. En
plan, le «losange» dédoublé en
deux triangles contraste avec
l’«ellipse» dédoublée en demicercles (entre les niveaux de
logements et le soubassement)
et, en élévation, l’assemblage
des modules de façade s’organise en quinconce.
D’autres procédés sont aussi
évoqués : le «rappel» entre les
structures visibles (la «galette»
du soubassement) et les structures enterrées (le radier qui
constitue une part du dispositif
de fondations), le contraste entre la modularité des cellules et
des modules (dans la partie résidentielle) et la souplesse «organique» du soubassement...
Pierre-Paul Puccinelli termine
son intervention par un hommage au travail du Groupe de
l’œuf (7), le rappel de l’utilisation de la pâte de verre comme
prestation remarquable et la
reconnaissance populaire des
Monsieur Cottin resitue La Duchère, dans l’ordre d’apparition
des différentes Unités de Voisinage aménagées sur Lyon
(8)
.
L’échec partiel de la conduite
des opérations d’aménagement par les seuls Offices
d’HLM (comme à Bron, par
exemple), avait incité les décideurs à confier à une Société
d’Economie Mixte de la Caisse
des Dépôts et Consignations,
la Société d’Equipement de la
Région Lyonnaise, la nouvelle
opération de La Duchère.
S’appuyant sur un visuel qui
représente le plan de la Z.U.P.
proposé en 1958, ainsi que sur
une description physique du
site de La Duchère, un atout
certain pour la réussite du projet, François-Régis Cottin commente le projet constitué de
barres de 300 logements sociaux chacune.
Sous la pression du Délégué
Général des Constructions
et d’un audacieux promoteur
lyonnais, une opération privée
fut intégrée. A la demande des
promoteurs, recherchant le
meilleur emplacement pour un
programme mixte, résidentiel et
tertiaire, François-Régis Cottin
fit une première proposition assez complexe : bureaux, logements, piscine. Cette solution
fut rapidement abandonnée.
Les programmes furent séparés et donnèrent lieu à plusieurs
variantes. François-Régis Cottin commente rapidement une
des variantes : bureaux, tour,
centre commercial et église cohabitent, mais séparés, dans
un même ensemble ramassé.
- Jacques Sbriglio évoque de
manière liminaire le contexte
actuel de désaffection des tours
et, à l’origine de cette phase, la
parution de la circulaire d’Olivier Guichard de 1973 (9).
Pour Jacques Sbriglio, la première tour marseillaise qui instaure une jurisprudence sur le
paysage marseillais s’appelle
tout simplement Notre Dame
de la Garde, signée par l’architecte Espérandieu (10).
Jacques Sbriglio rappelle,
sous forme d’anecdote, que
le choix du projet lauréat pour
l’Hôtel du Département des
Bouches-du-Rhône (80 projets) a été partiellement guidé,
en creux, par cette présence
symbolique incontournable (11).
Contacté par le maire de l’époque, Robert Paul Vigouroux,
qui appréciait la réponse faite
par Jean-Pierre Buffi (12) (deux
tours jumelles), Jacques Sbriglio avait été surpris d’entendre
que le maire craignait le dépassement de la hauteur de Notre
Dame de la Garde par cet édifice public et, en conséquence,
la modification de la «sky line»
fétiche des marseillais. Le projet de Jean-Pierre Buffi a été effectivement rejeté au profit de
celui de William Alsop.
Jacques Sbriglio réfère également la naissance de la modernité marseillaise à la création
du tissu post-haussmannien de
la rue de la République, autre
date fondatrice. Entre-deux
guerres, les Plans Castel et
Greber (1931) impriment une
nouvelle marque et une trace
encore perceptibles aujourd’hui
dans les modalités d’urbanisation de Marseille (13).
Le Corbusier, également, rentrant en 1943 de dix ans de
travail en Algérie, ramène avec
lui ses défis spécifiques, en
particulier ses recherches sur
les tours (14). Il réimporte surtout en 1943 son projet pour la
Cité Administrative d’Alger afin
de donner à Marseille ce symbole fort de l’administration qui
lui fait cruellement défaut. Ce
projet de tour administrative
ne se fera pas mais inspirera
plus tard, au début des années
1970, Labourdette qui concevra trois tours de logements audessus du Vieux Port (15).
Jacques Sbriglio cite aussi
comme jalons modernes le
projet de Castel, amputé de
moitié sur le Vieux Port, puis le
projet Pouillon qui construit la
première tour résidentielle de
Marseille, entre 1945 et 1952,
en béton avec revêtement de
pierre (16).
Il évoque ensuite les années
1950 avec leurs avancées : le
Vieux Port (Perret et Pouillon),
l’Unité d’Habitation n°1 (Le Corbusier) et la tour du Pharo, con-
Département des Bouches-du-Rhône :
le grand bleu, Marseille» de Michael
Spens, Academy Editions, 1994.
(12)
Jean-Pierre Buffi, architecte remarqué pour les Collines de l’Arche,
en 1990, sur le parvis de la Défense,
a conçu également le siège d’Aventis
à Paris, en 2000, la Faculté de médecine de Rouen, de 1998 à 2001, l’Arche
Marengo à Toulouse en 2002 et a coordonné la ZAC de Bercy de 1989 à 2005.
Il a fait partie du très connu «Groupe
des 7», collectif de jeunes architectes
français, influent surtout entre 1968 et
1974 : Castro, De Portzamparc...
Consulter «Jean-Pierre Buffi : projets
et réalisations» de Valerio Adami, Marc
Bedarida et Enrico Chapel, aux Editions
du Moniteur, 1994.
Gaston Castel (1886/1974), Grand
Prix de Rome en 1913, architecte
départemental jusqu’en 1941, participe avec Roger Henri Expert au projet de reconstruction du Vieux Port
(1945/1953), comprenant des tours de
11 étages (non réalisées). Il signera
deux beaux immeubles à porche et en
U liant le quartier du Panier au Vieux
Port. Jacques Greber (1882/1962) débute sa carrière d’urbaniste à Philadelphie en 1916. Il travaille à Marseille entre 1930 et 1940, est nommé architecte
en chef de l’Exposition Universelle de
1937 à Paris et conçoit de nombreux
plans d’urbanisme au Canada : Ottawa,
Montréal, Québec.
(13)
Le Corbusier commence ses études d’urbanisme pour Alger en 1930 (il
conçoit le «Plan Obus» en 1931) et le
projet pour le Quartier de la Marine, à
Marseille, en 1938 (échec du projet en
1942).
(14)
Jacques Henri Labourdette
(1915/2003), concepteur du grand ensemble de Sarcelles, signe en 1962 les
trois tours de 18 étages qui surplombent le Vieux Port de Marseille.
(15)
Fernand Pouillon et André Devin
héritent du travail d’André Leconte, architecte en chef démissionnaire de la
Reconstruction du Vieux Port, lui-même
dépositaire en 1948 du travail de Roger
Henri Expert, arrêté en 1947.
(16)
Parrainés par Auguste Perret, ils conçoivent les façades du Vieux Port,
Pouillon signant également avec René
Egger une opération contiguë : La Tourette (260 logements). Pouillon avait
travaillé durant la seconde guerre mondiale sur le Plan d’Urbanisme de la Ville
de Marseille, sous les ordres d’Eugène
Beaudoin. Il interviendra dix ans durant,
de1946 à 1955, sur le Vieux Port et ses
arrières.
Consulter «Fernand Pouillon, architecte
méditerranéen» de Jean-Lucien Bonillo,
aux Editions Imbernon, 2001 et «Inventaire de l’œuvre de Fernand Pouillon en
Algérie, Ile de France, Provence», réalisé par le BRAUP et les Ecoles d’Architecture de Belleville, Luminy et Rouen,
Tours 5
aux Editions du BRAUP, 1998.
(17)
Giuseppe Terragni (1904/1942)
participe à la création, à Milan en 1926,
du «Gruppo 7», issu du «Mouvement
Italien pour l’Architecture Rationnelle»
(MIAR). Il rassemblait les architectes
rationalistes, anti-académiques : Terragni, Figini, Pollini, Libera, Frette, Larco
et Rava. Terragni conçoit à Côme,
centre de l’expérimentation fasciste
en architecture, un manifeste architectural, la Casa del Popolo ou Casa del
Fascio (1928/1938). Cet équipement
est une pièce du plan d’urbanisme de
la «ville fasciste» avec d’autres projets : Maison des Ballila, Maison du
Temps Libre, Maison des Corporations.
Rebaptisée Maison du Peuple à la Libération, la Casa del Fascio sera finalement classée Monument Historique
en 1986/1987. Terragni a également
co-animé la revue «Quadrante» avec
Bardi et Bontempelli.
Consulter «Giuseppe Terragni», de
Bruno Zevi, aux Editions du Triangle
architectural, 1989.
(18)
Guillaume Gillet (1912/1987) était
Architecte en Chef des Bâtiments Civils
et Palais Nationaux, professeur à l’ENSBA, architecte ou urbaniste conseil de
nombreuses collectivités dans le sud de
la France : Monaco, Antibes, Cannes,
pour l’aménagement de la Croisette et
du port de plaisance Canto, entre 1959
et 1967. Lors de son séjour à Rome,
il était chargé de l’entretien de la Villa
Médicis et du Palais Farnèse. Il a réalisé de grandes commandes privées : la
Tour du «Grand Pavois», à Marseille, le
Palais des Congrès et l’Hôtel Concorde
-Lafayette, Porte Maillot, entre 1970 et
1974. L’architecture publique est bien
représentée, avec les Pavillons de la
France et de Paris à l’Exposition de
Bruxelles de 1958, des équipements
scolaires, des maisons d’arrêt (Varces,
près de Grenoble et, plus connue, Fleury-Mérogis). Il restera également comme l’un des grands architectes de l’Art
Sacré contemporain avec Saint-Joseph
des Travailleurs à Avignon, Soissons,
Châtenay-Malabry, Valenciennes et
la plus connue d’entre toutes, celle de
Royan (1954/1958), exposée en 2002
lors d’une exposition initiée par la commune. La version initiale du programme
du «Grand Pavois» (1963/1967) comprenait un hôtel de 100 chambres, un
immeuble de bureaux, une tour de 248
appartements.
Consulter le document «Guillaume
Gillet - architecte, peintre, écrivain 1912/1987», édité par l’Association
Royan Culture en 2002 et rédigé par
Nicolas Nogue, Rose Gillet et Isabelle
Debette. Ses archives sont déposées
au Centre d’Archives de la Cité de
l’Architecture et du Patrimoine, rue de
Tolbiac, à Paris : série 367 AP - Fonds
Guillaume Gillet, déposé en 1990, complété en 1992 (dation et legs de 1977).
(19)
André Devin et Sulfur City : ce bâ-
6 Tours
çue par André Devin, comme
une référence et une révérence
à la tour génoise du Fort Saint
Jean et vraisemblablement inspirée des travaux de Giuseppe
Terragni, chef de file du mouvement rationaliste italien (17).
Jacques Sbriglio rend hommage à nouveau à André Devin
pour son travail sur l’immeuble de logements du centre de
Marseille, baptisé Sulfur City et
présente rapidement le Grand
Pavois de Guillaume Gillet (18
et 19)
.
Il rappelle ensuite - pour édification du public - une anecdote
de Georges Candilis (20) qui,
lors d’une réponse à une commande de l’industriel Paul Ricard, avait déjà dû coucher son
projet de Tour pour «faire plaisir
aux élus» (un signe avant-coureur !).
Pour Jacques Sbriglio, l’Unité
d’Habitation n°1 pâtit toujours
de l’amalgame avec les Grands
Ensembles car elle devrait continuer à incarner, au-delà de
l’esthétique, l’expression d’un
défi très strictement et fidèlement géré par Le Corbusier
dans le domaine du logement
collectif.
Continuant à balayer les jalons
de l’architecture moderne sur
Marseille, il projette l’opération
de la ZUP de La Viste de Georges Candilis (21), influencée par
l’Art Cinétique (22), puis un programme mixte d’une grande actualité (logements, hôtel, salle
de concerts, chapelle, église) Le Saint-Georges (1960/1963),
conçu par Claude Gros - dont
la silhouette et l’assemblage
pourraient plaire à Rem Koolhas (23).
En clôture et en confirmation de
son intérêt pour ce patrimoine
moderne, ingrat et difficile à socialiser, Jacques Sbriglio réinsiste sur la réussite réelle de le
Corbusier - la question centrale
du programme - et les malheureuses velléités de démolition
des trois tours de Labourdette
dont il avait eu vent lorsqu’il travaillait à l’Agence d’Urbanisme
de Marseille.
A propos du Grand Pavois qui
avait primitivement suscité sa
présence à Grenoble en tant
qu’auteur d’une notice dans le
Guide d’Architecture de Marseille (24), Sbriglio rattache ce
bâtiment à la filiation de la Tour
Montparnasse (25) et évoque,
au crédit de ce bâtiment, la
qualité la moins apparente du
projet : l’assemblage complexe
des fonctions sur un terrain au
foncier contraint, appartenant
à un seul propriétaire, la Régie
Renault. Un promoteur inspiré
de Marseille, très actif dans les
années 1960 - Georges Laville
- a permis la réussite de ce type
de projets.
- Jean-Olivier Majastre se présente en qualité d’anthropologue, satisfait d’une invitation
en forme de clôture de conférence, clôture qui lui permet de
remettre les Hommes au centre
des Formes architecturales.
A ses yeux, la tour incarne de
manière intemporelle l’expression orgueilleuse de la verticalité chez l’homo erectus. Cet
orgueil oublie facilement, dans
le cas présent, que l’habitant
d’une tour peut être aussi celui
du premier ou du deuxième étage, habitant qui percevra bien
différemment cette «distinction» et ce «privilège» résidentiels. Le «soupçon» d’orgueil
est confirmé pour Jean-Olivier
timent de 104 logements compte parmi
les œuvres marquantes de cet architecte, signataire d’immeubles qui constituent des repères importants du paysage marseillais : Le Pharo, construit
entre 1955 et 1960, et Le Saint-Nicolas.
Devin signe cette œuvre qui comprend
une tour de 17 niveaux avec Yvan
Bentz, entre 1953 et 1955. Voir le Guide
de Marseille de Jacques Sbriglio.
Majastre dans le choix des dénominations -Vercors, Belledonne et... Mont Blanc, au lieu
de Chartreuse !
Cependant, Jean-Olivier Majastre reconnaît qu’en tant
qu’habitant de l’Ile Verte, il est
lui-même habité par les Tours.
A ce propos, il propose une variation sur les nombreuses images poétiques générées par
ces Trois Tours : trois grands
bateaux, trois architectures qui
conversent entre elles, une incarnation de la Trinité, toutes
métaphores qui s’attachent à
une opération «ternaire» qui ne
peut, dès lors, être réellement
comparée aux tours isolées de
Lyon et de Marseille.
Ces «trois bateaux» qui font
rêver aux trois caravelles de
Christophe Colomb émergeant
du brouillard lui donnent accès,
lorsque leurs cimes sont invisibles, à une dimension encore
plus onirique et mystérieuse
de leur présence, l’imagination
prenant le dessus pour leur
prêter une hauteur bien plus
grande encore. Enfin, ces tours
semblent «naviguer» sans
maintien de l’équidistance entre elles, comme si elles étaient
affectées d’une vitesse de croisière variable.
La qualité des Trois Tours se
retrouve également dans la
qualité de leur dialogue avec
la nature environnante, avec
cette résille naturelle qui les
accueille.
Poursuivant son inventaire des
défauts et qualités de l’opération, Jean-Olivier Majastre souligne l’équité qui préside à l’affectation d’une proportionnalité
des charges au prorata de la
position des résidents dans la
hauteur des tours. Il note néanmoins la disparité du statut des
occupants, chaque tour ayant
sa spécificité : locataires, propriétaires, médecins...
Il introduit ensuite la notion de
«contrepoint», tout d’abord
avec les Trois Tours et l’Immeuble en S – «3 + 1» – qui créent
un nouvel échelon de référence, mais aussi par un parallèle
avec un autre site emblématique du quartier, le cimetière et
ses 30 000 tombes couchées,
qui met en exergue, à côté de
cet incontournable no man’s
land, la solitude partagée des
Trois Tours.
Jean-Olivier Majastre clôt son
intervention par une citation de
Daniel Pennac, dans «Le dictateur et le hamac», brocardant
Brasilia, capitale administrative du Brésil (26), pour sa capacité involontaire à avoir suscité
l’installation de six cabinets de
psychanalystes au moment
même de sa construction.
(20)
Georges Candilis : architecte né en
Russie, à Bakou, en 1913 et décédé en
1995. Après avoir étudié l’architecture à
Athènes, il s’installe en France en 1945,
où son nom restera attaché à la célèbre
ZUP de Toulouse-le-Mirail.
Il participe activement à la conférence
des CIAM d’Aix-en-Provence, en 1953.
Proche des thèses de Le Corbusier,
il rejoint le «Team Ten», créé pour le
Xème Congrès des CIAM de Dubrovnik
en 1956 par Alison et Peter Smithson,
Jaap Bakema, Aldo Van Eyck, Alexis
Josic et Shadrack Woods. Le «Team
Ten» comptera aussi parmi ses membres Giancarlo Di Carlo et Jerzy Soltan.
Ce courant moderniste, soutenu par Le
Corbusier, alimentera après 1959 le
légendaire et international «Groupe de
Recherches sur les Inter-Relations Sociales et Visuelles».
Consulter «Bâtir la vie : un architecte témoin de son temps» de Georges Candilis, aux Editions Stock, 1977.
(21)
ZUP de La Viste, Marseille : dominée
par trois Tours, cette Z.U.P. de 1 000
logements, commanditée en 1959 par
la SCIC et son opérateur marseillais,
la Société Marseillaise Mixte de Constructions, est conçue par le Team Ten
(Georges Candilis) comme une œuvre
néo-puriste (in : Guide de Marseille de
Jacques Sbriglio) : prismes purs, façades lisses, polychromie...
Art Cinétique : en gestation dès les
années 1910 et 1920 (Naum Gabo et
Laszlo Moholy-Naguy), ce courant se
condense surtout à partir de 1954/1955
avec les expériences complémentaires
d’Alexander Calder, Jean Tinguely, Pol
Bury, Nicolas Schöffer, Georges Rickey,
Raphaël Soto et Yaacov Agam. Les œuvres ont la particularité d’être animées,
soit par un moteur, soit par le vent, soit
par le mouvement du spectateur luimême (c’est le cas des Trois Tours de
Grenoble).
(22)
Consulter le catalogue de l’exposition
«L’œil moteur : art optique et cinétique
- 1950/1975», sous la direction d’Emmanuel Guigon et Arnaud Pierre, Musée d’Art Moderne et Contemporain de
Strasbourg, 2005.
(23)
Rem Koolhas, hollandais d’origine,
formé à l’architecture en Angleterre
(Architectural Association School, Londres) puis aux USA (Ithaca et New
York, avec Colin Rowe et Peter Eisenman). Il crée en 1975 l’OMA - Office for
Metropolitan Architecture - avec Zoé
Zenghelis et Madelon Vriesendorp, où il
formera Zahah Hadid. Dans ses agen-
Tours 7
Débat
ces de Rotterdam, Londres et Athènes
et la Fondation culturelle - Gross Stadt
Foundation - il a expérimenté une voie
dans la métamorphose possible de la
ville contemporaine, analysée dans son
livre-culte, «New-York Delire», en 1978,
et son texte sur «La Ville Générique»,
en 1994. Il travaille depuis le milieu
des années 1990 sur les «mégalopoles
magmas» : Boswah, SaoRio, Eurocore,
Gange, Pearl River...
Jacques Sbriglio, né en 1947, possède une double formation : beaux-arts
et architecture. Il ouvre sa première
agence en 1975, enseigne à MarseilleLuminy depuis 1981, a été conseiller
de l’Agence d’Urbanisme de Marseille
de 1984 à 1989. Outre le «Guide d’Architecture de Marseille (1945/1994)», il
a signé, seul ou en collaboration, plusieurs ouvrages sur Le Corbusier, en
particulier sur l’Unité d’Habitation de
Marseille. Il est aujourd’hui architecteconseil de la Ville de Grenoble.
(24)
Tour Montparnasse : conçue par
les architectes Eugène Beaudoin, Urbain Cassan, Louis de Hoym de Marien
et Jean Saubot, elle est construite entre
1969 et 1972. Haute de 210 mètres,
elle contient 78 000 m2 de bureaux,
compte 59 étages (terrasse incluse) ;
elle est portée par une structure métallique presque aussi lourde que celle de
la tour Eiffel (7 200 versus 7 500 tonnes). Elle est fondée sur 56 piliers de
62 mètres de profondeur. Paris abrite
158 Immeubles de Grande Hauteur, au
sens strict de la législation (50 mètres
pour les habitations et 28 mètres pour
les bureaux).
(25)
Brasilia : cet exemple paradoxal
illustre à sa manière les fractures entre le public et la critique à propos de
l’acceptation du mouvement moderne.
En 1964, Oscar Niemeyer, père de Brasilia, reçoit le Grand Prix International
d’Architecture et d’Art.
(26)
(27)
Plans d’urbanisme à l’étude
entre 1950 et 1962 à Grenoble :
1950 : nomination de Bovet et Revillard
par le Ministère de la Reconstruction et
de l’Urbanisme et le Ministère des Travaux Publics
1952 : lancement de 5 plans-masses de
quartiers
1955 : première publication du Plan
Bovet
1957 : publication du Plan d’Aménagement du Groupement d’Urbanisme de
Revillard
1959 : publication par Bovet de son second Plan et d’un plan partiel afférent
(opération Ile Verte)
1961 : approbation par le conseil municipal du Plan Bovet (opération Mutualité)
1962 : approbation par le conseil municipal du Plan Bovet (opération République)
Consulter les documents originaux en
8 Tours
26/05/2005 – Grenoble
- Pierre Sicard se présente en témoin historique, né en 1923, arrivé
à Grenoble en 1927, et maintenant à la retraite depuis 20 ans. Il
intervient pour resituer l’enjeu urbanistique des Trois Tours dont la
réussite lui paraît devoir beaucoup à la qualité des attendus et des
objectifs gérés en amont du projet par les urbanistes et les planificateurs.
Sur d’anciens terrains militaires déclassés, aménagés par la Régie
Immobilière de la Ville de Grenoble, dans le sillage du Plan Jaussely instaurant un «boulevard corridor» et des études pour le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme de l’architecte Georges
Bovet, les programmateurs de l’opération qui avaient abandonné le
principe originel au profit du choix visible actuellement (ratifié par la
Ville de Grenoble) avaient exigé que le Parc de l’Ile Verte soit respecté au maximum par l’équipe de concepteurs (27).
- Bernard Marrey rappelle l’invention de l’ascenseur en 1850 par
Elisha Graves Otis aux Etats-Unis. C’est l’ascenseur qui a permis la
réalisation d’immeubles de grande hauteur. Le premier ascenseur
hydraulique français fut présenté à l’Exposition universelle de 1867
par Léon Edoux qui ignorait très certainement l’invention d’Otis. Il
réalisera en 1888 un système ingénieux de contrepoids pour relier
les deuxième et troisième étages de la tour Eiffel, tandis qu’Otis
relèvera seul le difficile pari de l’accès au premier étage par un ascenseur incliné.
- Jean-Olivier Majastre revient sur la «vitesse différentielle» des
Trois Tours pour préciser - si besoin est pour certains - qu’il s’agit,
bien sûr, d’une image.
- Michel Leullier
Leullier, ancien directeur général des services techniques
de la Ville de Grenoble, récemment en retraite, interpelle messieurs
Sbriglio et Kermen sur la relance éventuelle de la construction des
tours et sur l’initiative de jeunes architectes hollandais souhaitant
proposer des projets de tours sur les Quartiers Sud de Grenoble.
- Pierre Kermen répond que la construction des tours est d’abord un
«acte d’urbanisme», qu’il est nécessaire de privilégier leur «rapport
au sol», qu’il est positif de réévoquer cette question mais qu’il faut
malgré tout digérer le «traumatisme» encore présent dans l’opinion
publique.
En tant qu’enjeu prioritaire, l’adjoint à l’urbanisme souhaite réinsérer
cette question des immeubles de grande hauteur dans le débat plus
large du «grand paysage», de l’épannelage des crêtes environnant
Grenoble et de la modification du «statut» même du paysage.
- Jacques Sbriglio répond sur son terrain que Marseille va accueillir
une tour de plus de 100 mètres de haut, signée Zahah Hadid, commanditée par la sixième société de transports de containers au monde, même si le POS de Marseille de 1978 limite encore aujourd’hui
la hauteur des constructions.
Jacques Sbriglio souhaite néanmoins préciser dans le débat que
c’est Auguste Perret qui, en 1911/1912, a initié le travail sur les
tours de logements en France, bien avant Le Corbusier, et juste
avant Beaudoin et Lods (28).
Il estime que le débat sur cette question délicate doit être repositionné, en tenant compte de la réussite de Jean Nouvel, pour sa
tour (de bureaux, certes) clôturant la Diagonale de Barcelone et des
prouesses en élévation, visibles à ce jour comme à Taïpeh (29).
Sur le fond, il souhaite que l’on réétudie la pertinence de la tour
comme modèle résidentiel et comme marqueur de paysage.
Il revient enfin sur le projet de Zahah Hadid pour souligner à nouveau, comme dans d’autres cas, le rôle prépondérant du maître
d’ouvrage qui a su, en l’occurrence, utiliser la jurisprudence des
silos existants et protégés, et renverser en positif la contrainte d’une
relative exiguïté de la parcelle disponible sur les docks en potentiel d’élévation pour un bâtiment obligatoirement emblématique : un
siège social.
Le maître d’ouvrage a lui-même lancé son propre concours privé où
sont intervenus Christian de Portzamparc, Norman Foster et Zahah
Hadid, dont le Priztker Price a joué un rôle essentiel dans l’acceptation par la Ville de Marseille d’une reprise de la construction des
tours (30). Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, a néanmoins
spécifié que cette tour constituerait une exception sous son mandat.
Il clôt cette petite intervention par une anecdote personnelle. Hospitalisé il y a quelques mois à La Timone, et contraint de garder
la chambre, il a pu redécouvrir, en positif, la qualité du panorama,
surtout en nocturne, de la métropole marseillaise. Vu d’une tour, le
panorama est plus passionnant que la vue de son jardin !
- A la question de Charles Fourrey concernant l’opinion des usagers,
une habitante, arrivée à Grenoble en Cité Universitaire en 1972, et
dans les Trois Tours en 1973, répond qu’elle reste tellement heureuse d’y résider qu’elle n’envisage pas d’en partir. Sa propre fille,
née dans les Trois Tours, contrainte par la décohabitation à résider
dans le quartier Condorcet de Grenoble, ne souhaite qu’y revenir.
L’habitante «historique» des Trois Tours expose les enjeux de gestion auxquels sont attachées les Tours, quarante ans après, en particulier les clivages qui divisent le Conseil Syndical sur les problèmes
de réaménagement, sur la restauration de la «casquette» en pâte
de verre du soubassement, sur l’utilisation et l’instrumentalisation
financière du Label Drac Patrimoines du XXème siècle (31).
- Le débat se poursuit autour de la question quelque peu controversée des fondations spéciales entre Pierre-Paul Puccinelli et
Claude Fourmy. Ce dernier témoigne de la nature quelque peu
spécieuse d’un argument de vente utilisé en 1970 et qui visait à
rassurer la clientèle investisseuse en affirmant que les fondations
des tours étaient ancrées sur le rocher (32).
- Claude Beurret, ancien chargé d’études à l’AURG, revient sur un
Séries Modernes, aux Archives Municipales de Grenoble, rez-de-jardin
de l’Hôtel de Ville, 11, boulevard Jean
Pain.
Beaudoin et Lods : architectes associés entre 1923 et 1940, ils travaillent
pour l’OPHBM de la Seine, en important
dans le domaine des cités-jardins les
expériences d’architecture industrialisée. Marcel Lods suit les travaux de Le
Corbusier, Tony Garnier et Henry Sauvage. Il travaille à partir de 1935 avec
Jean Prouvé et fondera, après 1945, le
«Groupement pour l’Etude d’une Architecture Industrialisée» (GRAI).
(28)
(29)
Taïpeh : la capitale de Taïwan dispose à ce jour et très provisoirement de
la tour la plus haute du monde, baptisée
Taïpeh 101 (508 mètres). Dans le même
registre, voir aussi le projet non réalisé
de Tour Sans Fin, conçu par Jean Nouvel et l’ingénieur Tony Fritzpatrick dans
le cadre du concours pour l’aménagement de «la Folie» (1989). Ce projet relancera une première fois en France le
débat sur la Ville Verticale. Voir aussi le
projet Millenium Tower de Norman Foster, non réalisé, de 800 mètres de haut
pour une population de 50 000 personnes, ancré à deux kilomètres du rivage
dans la baie de Tokyo (1991).
Zaha Hadid, irakienne, est née en
1950. Elle a étudié à l’Architectural
Association School de Londres et a
travaillé avec l’OMA de Rem Koolhas.
Titulaire du Prix Pritzker en 2004 et du
Prix de l’Union Européenne pour l’architecture contemporaine Mies Van der
Rohe en 2003, elle a participé au concours pour le Musée des Civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée de
Marseille et a remporté en octobre 2004
la consultation privée pour le siège social du groupe CMA-CGM.
(30)
Consulter le site de son agence et
«Zaha Hadid 1983/2004», aux Editions
El Croquis, 2004, ainsi que «Zaha Hadid complete works» de Patrick Schumacher et Gordana Fontana-Giusti,
Thames and Huston Editions, 2004.
Label Patrimoine du XXème siècle : il apparaît pour la première fois
dans une circulaire sur le Patrimoine
du XXème siècle promulguée par le
Ministère de la Culture (n°169053 du
18/06/1999). Il prend sa place dans un
train de 13 mesures complémentaires
évoquées dès le 10/09/1998. La sensibilisation au patrimoine du XXème
siècle sera dès lors incluse dans des
conventions Etat/Collectivités. La liste
des bâtiments et ensembles susceptibles d’être labellisés est arrêtée après
consultation de la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites et après
validation par le Préfet de Région.
(31)
Trois Tours (fondations spéciales) :
les fondations sont constituées d’un
radier géant coulé à 6 mètres de profondeur, d’un diamètre de 40 mètres et
d’une épaisseur de 0,90 mètre, mais
aussi de voiles transversaux qui des-
(32)
Tours 9
cendent profondément en infrastructure ; le voile transversal central descend
à 40 mètres de profondeur. Chaque
tour pèse 38 000 tonnes. La première
tour, construite en 1962, comprend 154
logements.
Cesar Pelli, architecte américain
d’origine argentine, appartient à la
génération d’architectes qui sculptent
aujourd’hui le paysage des mégalopoles internationales en concevant les bâtiments parmi les plus hauts du monde :
Londres (Canary Wharf, la plus haute
tour d’Angleterre), Kuala-Lumpur (tours
jumelles des Petronas Towers, 451,9
mètres) et Hong-Kong (Two International Finance Center , 415 mètres). Il a
été l’auteur d’un bâtiment emblématique - le Pacific Design Center - à Los
Angeles (1976), particulièrement étudié
en sémiotique architecturale par les
étudiants de l’UCLA, sous la direction
de Kamran.
(33)
Consulter le site de son agence et, de
Michael J.Crosbie, «Cesar Pelli», aux
Editions Birkhaüser, 1998.
(34)
Herzog & De Meuron sont originaires de Bâle. Nés tous deux en 1950,
associés depuis 1978, ils ont reçu le
Pritzker Price en 2001. Ils sont particulièrement remarqués pour leurs travaux
sur les musées : Tate Modern Museum
de Londres, Goertz Collection de Münich, Young Museum de San Francisco
et Walker Art Center de Minneapolis. Ils
ont également signé l’Allianz Arena de
Münich, ce stade baptisé le «Schlauchboot». Voir à Paris l’immeuble du 17 rue
des Suisses.
Consulter de Philip Ursprung «Herzog
et De Meuron», aux Editions du CCA/
L.Muller, 2002 et de Gerhard Mack
«Herzog et De Meuron 1992-1996»,
2000.
point essentiel de la critique de Le Corbusier qui ne nous a laissé,
en guise de parcs urbains résidentiels, que des parkings et des dalles. Il accentue sa critique en rapportant le sentiment qu’il a eu en
Angleterre en remontant la Tamise en bateau sur trente kilomètres
(trente kilomètres de fleuves sont autant de kilomètres de tours), en
visitant aussi les docks, la banlieue sud de Londres (en particulier
un bâtiment de Cesar Pelli) (33) et le quartier du nouveau Musée
d’Art Moderne (Herzog & De Meuron) (34).
Claude Beurret en a retiré au final un grand et paradoxal sentiment
d’uniformité, d’autant plus que les matériaux employés par les architectes des tours tendent à accentuer cet effet (acier, verre...).
- A une question de la salle posant les problèmes de la place du
végétal dans cette nouvelle génération de tours et de la contribution des tours au façonnage d’un nouveau paysage, Sbriglio répond
avec humour que les référentiels évoluent avec le temps. En se
refondant sur le débat animé par les architectes dans les années
1950, il rappelle que cette génération «moderne» calculait et justifiait les gabarits des tours en les mesurant à l’aune de la taille
maximale des essences végétales existantes (une hauteur de tour
étant l’équivalent de x unités de base de végétaux). Au crédit des
nouvelles tours «végétalisées», alternatives potentielles aux tours
dévoreuses d’énergie, il cite également l’expérimentation menée
par Edouard François et les innovations hollandaises (35).
- A cette interrogation d’une personne de la salle en forme de remise en cause, Serge Gros répond que le développement durable
constitue peut-être un bon carburant pour repenser les modèles, y
compris les immeubles de grande hauteur.
- Jean-Olivier Majastre relance cependant la contradiction en rappelant que les immeubles de grande hauteur ne sont pas alimentés
en gaz naturel et qu’ils se révèlent donc prescripteurs par défaut
d’un mode de vie imposé aux résidents : la cuisine électrique pour
ne citer qu’un seul exemple !
La publicisation des opérations
d’Amsterdam, Rotterdam et La Haye remet la Hollande à un niveau d’influences aussi puissant que Venise et Berlin.
Un premier engouement pour l’architecture hollandaise avait déjà alimenté
les années 1930, avec l’exemplaire cité
d’Hilversum. En 1985/1986, ce sont les
opérations, souvent de tours, de Ton
Alberts, Max Van Huut, Rem Koolhas,
Dick Van Mourik, Charles Vandenhov
qui relancent le débat sur la densité.
Dès 1992, grâce à l’invitation de Rem
Koolhas au Festival d’Architecture de
La Haye et à des promoteurs privés,
c’est au tour d’Henri Ciriani de reprendre ce flambeau avec quatre projets de
tours à Rotterdam, La Haye, Groningue
et Nimègue.
- En reprenant les attendus et les fondamentaux du débat moderne,
Sbriglio rappelle que Le Corbusier estimait que l’Homme Moderne
évoluerait vers le nomadisme et changerait donc de demeure régulièrement. L’actualité nous démontre cependant l’inverse et, en particulier, que ces immeubles «expérimentaux» ou «exceptionnels»
(Trois Tours, Unité d’Habitation de Marseille) sont maintenant plébiscités par leurs occupants qui ne souhaitent plus les quitter.
Les Unités d’Habitation, pour être
autonomes, n’en sont pas pour autant
autarciques et restent fédérées entre
elles par un Centre Civique qui offre
des services non quotidiens.
- En clôture du débat, l’habitante des Trois Tours qui s’était précédemment exprimée, déclare que les habitants des Trois Tours partagent de meilleurs acquis que ceux des Grands Ensembles. Il n’y
aurait donc pas égalité devant le patrimoine moderne !
(35)
(36)
10 Tours
Pour Jacques Sbriglio, c’est également la bonne structure sociale
qui perdure dans ces ensembles et fidélise ses habitants. Il cite Wogenscky qui soulignait que la taille idéale des unités d’habitations
souhaitée par Le Corbusier - 2 000 personnes - se révélait le nombre adéquat pour organiser la meilleure des solidarités (36).