Tours - CAUE Isère Conseil Architecture Urbanisme et de l
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Tours - CAUE Isère Conseil Architecture Urbanisme et de l
Conférence N°1 L’architecture de l’Ecole de Chicago est une dénomination à caractère publicitaire qui qualifie la vague de constructions réalisées entre 1875 et 1910, bien qu’elle n’ait aucun des traits d’une école. Les premières tours ou de typologie approchante ont été testées à New York dès les années 1850 avec le travail de James Bogardus, dans le cadre d’une génération de projets que l’on a familièrement baptisée de «pré gratte-ciel». Ce dernier point reste néanmoins fortement discuté chez les historiens. Les frontières du corpus de l’Ecole de Chicago - qui n’est pas une véritable école - sont fluctuantes suivant les auteurs : 1871/1893 (Expo. Universelle Colombienne), 1895/1914 pour d’autres, voire 1875/1925. Ne pas confondre avec «l’autre» Ecole de Chicago, ethnosociologique. (1) Consulter deux ouvrages de Claude Massu : «L’architecture de l’Ecole de Chicago : architecture fonctionnaliste et idéologie américaine», aux Editions Dunod, 1982 et «Chicago», aux Editions Parenthèses, 1997. William Le Baron Jenney (1832/1907), architecte et ingénieur américain, diplômé avec mention de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris (1856). Il s’attache au perfectionnement des immeubles de bureaux et teste le premier bâtiment qui sépare la structure porteuse du mur-rideau avec le Home Insurance Building. Son immeuble le plus abouti reste le Second Leiter Bulding (1889/1991). Même si le style dominant de l’Exposition de Chicago, en 1893, contredit partiellement ses objectifs, il prend une part déterminante à son organisation. (2) Le débat sur les influences de l’architecture de loisirs dans la structuration de l’urbanisme new-yorkais a rebondi en 1976 avec la publication de l’article de Rem Koolhas, «Dreamland» et la diversification des références affichées par les architectes post-modernes, alors en plein essor. (2 bis) (3) La première véritable tour de NewYork, le Flat Iron, mélange «néo» de 22 étages, 1902, est conçue par Daniel Hudson Burnham (1846/1912). Ancien responsable de la construction de l’Exposition Universelle Colombienne de 1893, il coordonne le plan d’urbanisme de Chicago, propose des schémas d’aménagement pour Washington et San Francisco et signe des immeubles commerciaux importants, parmi lesquels le Monadnock Building et le Reliance Building. (4) Le Village Vertical, autrement dit l’unité d’habitation idéale, doit mesurer 50 mètres de hauteur pour une épaisseur de 20 mètres et abriter 2 000 habitants. La Cité radieuse de Marseille mesure 56 mètres, compte 9 étages et abrite 294 logements. Elle devait constituer une pièce d’un projet urbain global, du Vieux Port à Marseilleveyre 2 Tours 26/05/2005 – Grenoble - Georges Bescher Bescher, conseiller général et président du CAUE de l’Isère, introduit le cycle en relevant l’originalité, voire le paradoxe de cette première conférence qui ouvre le débat avec les symboles de l’urbanisme des années 1960/1970 dans un contexte actuel qui est pourtant massivement marqué par le phénomène d’«étalement urbain». Il note également que la culture contemporaine du «développement durable» réinterroge l’actualité présumée des tours en déclinant d’une nouvelle manière le problème de la «densité urbaine». suite de l’incendie qui avait ravagé la ville en 1871. Elles étaient destinées aux bureaux et commerces. Après avoir présenté les qualités des cinq invités, Georges Bescher met en exergue le «réseau de villes» représenté à la tribune : Grenoble est présente à la tribune, associée à ses villes de référence : l’axe ParisLyon-Marseille. Il faut d’ailleurs relativiser car celle que l’on considère comme la première tour, le Home Insurance Building, avait dix étages : elle fut construite par William Lebaron Jenney (2) de 1883 à 1885. Il avait suivi les cours de l’Ecole Centrale à Paris où il avait connu Armand Moisant qui construisit le moulin de Noisiel pour la chocolaterie Menier de 1869 à 1871 sur les plans de Jules Saulnier. Réalisé sur trois piles en travers de la Marne, il est le premier bâtiment construit entièrement sur une ossature métallique. C’était une première qui fut visitée comme telle par les membres de l’Institut of Mechanical Engineers pendant l’exposition Universelle de 1893. Ce débat rejoint les objectifs politiques des collectivités territoriales qui cherchent à hybrider dans leurs politiques des objectifs intégrant la qualité de vie, la qualité anthropologique, l’innovation technologique et l’actualisation de la «pensée urbaine». Les élus souhaitent veiller en particulier à une bonne articulation entre les objets architecturaux et leur inscription territoriale, contextuelle et physique. New York rivalisa rapidement avec Chicago en inaugurant ses premières tours, entre 1900 et 1910, que l’on ne baptisait pas encore gratte-ciels. Le phénomène s’y cristallisa au moment de l’arrivée de la Tour du Centenaire, bâtie à Philadelphie et reconstruite dans le Luna Park (2 bis) de Coney Island. La première véritable tour de New York, le Flat Iron, mélange «néo» de 22 étages, ne sera édifiée qu’en 1902 (3). - Bernard Marrey, historien et critique, rappelle quelques faits sur l’origine des tours, largement inspirées de Chicago (1) où de nombreuses constructions en hauteur furent réalisées entre 1883 et 1895 à la Un architecte imagina alors des «immeubles plateaux» avec maisons et jardins suspendus ou des immeubles mixtes, alternant sur 80 étages des fonctions industrielles, commerciales, résidentielles, hôtelières, séparées à chaque série de 20 étages par un plateau public (place, square, jardins suspendus...). Le socle granitique de New York permettra progressivement l’érection de prouesses architecturales comme l’Empire State Building (1929/1931) qui détrônera la tour Eiffel au palmarès des édifices de plus grande hauteur. La seconde filiation importante rattache les tours actuelles à l’héritage de Le Corbusier qui développa, en 1922, dans sa thèse du Village Vertical (4), l’idée d’une architecture recentrée sur la question de l’Habitat. La thématique centrale du logement progressait, mais trop lentement, dans le débat des années 1920/1930, malgré les efforts de Le Corbusier et du Bauhaus. Bernard Marrey rappelle le gabarit et la jauge de l’unité d’habitation de grandeur conforme de Le Corbusier : une maison de 50 mètres de haut, habitée par une population de 2 000 habitants. Il clôt son intervention en rappelant l’existence de l’Unité d’habitation de Rezé-les-Nantes, adaptée aux normes HLM par André Wogenscky (5) pour une coopérative d’habitants, opération qui vient de fêter son cinquantenaire. Dans un tel contexte de vivacité associative, la thèse de Le Corbusier semble se vérifier qui prône l’obligation de baser un projet d’habitat collectif sur une «structure sociale solide», donnant corps à sa théorie du «Village Vertical». - Pierre-Paul Puccinelli, fils de l’un des trois co-auteurs des Trois Tours de Grenoble, précise, sous forme de propos liminaire, et pour dissiper tout malentendu, qu’il n’est héritier que de l’un des trois associés. Satisfait que le terme de Village Vertical soit tombé dans le domaine courant - ce terme ayant les faveurs de son père - il se propose de veiller à ce que l’image des Trois Tours ne soit pas trop qualifiée d’«esthétisante». Usant de la série d’images qu’il a rassemblées à partir des archives de l’agence sur la trentaine d’opérations franciliennes importantes réalisées par le trio, il décline quelques-uns des thèmes de travail communs à Heymann, Anger et Puccinelli (6) : le souci de l’épaisseur de la façade, une géométrie libérée au niveau du rez-de-chaussée, l’affirmation d’une modernité conviviale et non agressive... (6 bis) Malgré sa réticence à «cataloguer» l’architecture de ses prédécesseurs, Pierre-Paul Puccinelli y retrouve et y reconnaît, au sens premier du terme, un mélange d’influences «cubistes», «organiques». Et c’est donc à la nuance près que Pierre-Paul Puccinelli souhaite voir étudier l’œuvre de son père, en différenciant, par exemple, l’attrait qu’il avait pour Le Corbusier architecte (le travail du béton brut) du refus de ses thèses urbanistiques. Son père se retrouvait en Le Corbusier par une référence commune à la base sociale et sociologique du «village», identifié comme un référent majeur à maintenir pour informer l’architecture moderne. L’échelle de la «maison» - unité de base (1943/1953). André Wogenscky travaille 20 ans avec Le Corbusier (1936/1956), crée son agence en 1956 et conçoit, assiste à la conception ou à la réalisation de 4 des Unités d’Habitation : Marseille (1946/1952), Rezé-lèsNantes (1953/1955), Briey-la-Forêt (1958/1961), Firminy (1961/1965). (5) Consulter : «André Wogenscky » de Paola Misino, Nicoletta Trasi, Roberto Secchi et André Wogenscky, aux Editions du Moniteur, 2000. Roger Anger, Mario Heymann et Pierre Puccinelli conçoivent de nombreux projets résidentiels haut de gamme entre 1958 et 1975, grâce à une ingénierie financière intégrée, une grande maîtrise technique et une étroite collaboration avec les artistes de ces deux décennies, influencés par le cubisme et l’Art cinétique, courant influent à Paris à partir de 1955 (en particulier grâce à Jésus Raphaël Soto). (6) Consulter à ce propos le catalogue de l’exposition «Identification d’une ville - Architectures de Paris», sous la direction d’Eric Lapierre, Pavillon de l’Arsenal, mars 2002. Anger et Heyman (avec Braslawsky) sont retenus par ailleurs sur le fameux projet d’Auroville, «Aurora», qui développe l’ashram de Sri Aurobindo, près de Pondichéry (capacité d’accueil : 50 000 habitants ; surface : 20 km2 ; diamètre : 3 kms). Dans un courrier complémentaire qu’il nous a adressé, Pierre-Paul Puccinelli identifie plus complètement les thèmes traités par son père : l’architecture plissée, l’architecture organique, les influences du cubisme, la géométrie répétitive, la réduction géométrique et le rythme saccadé, la discontinuité des plans dans l’espace, le collage géométrique, la fragmentation géométrique, les effets d’échelle... (6 bis) Ainsi que les procédés employés : l’alliance entre l’architecture organique et une géométrie rigoureuse, la recherche de proximité visuelle et de rupture de «l’effet de vertige», l’utilisation intuitive de l’épaisseur de la façade comme citation d’une architecture «néo-villageoise moderne à la verticale», l’éloge de la culture méditerranéenne, ancrée dans l’unité villageoise... ...Et les hommages aux grands fondateurs : Aalto, Saarinen, Wright... (7) «Groupe de l’œuf» : comme plusieurs autres groupes de plasticiens des années 1950/1960, ce collectif intervient auprès d’architectes modernes entretenant une filiation avec les travaux du Bauhaus, de Walter Gropius ou de l’Art Cinétique. Fondé en 1964 par Pierre Puccinelli, Bertoux, Piantanida, Pierre et Véra Szekély, ce groupe collabore dès 1967 avec les architectes en chef maîtres d’importantes commandes de logements comme Jacques Fayeton. Sur Grenoble, on trouve trois œuvres Tours 3 publiques de Pierre Szekély : «Univers de jeux» au Village Olympique, et «Point de vue» et «Front & Parole» à l’Université Pierre Mendès-France. L’Hôtel de Ville de Grenoble compte un patio qui n’est pas signé par le Groupe de l’œuf, mais par Gianferrari, proche également de ces préoccupations. Le «Groupe de l’œuf» n’est pas un collectif isolé ou atypique. Plusieurs autres groupes répondent simultanément à ce type de contexte et de commande : le «Laboratoire des Arts», «Mur Vivant», «Atelier 86», «ARPA – Art et Recherches Plastiques Architecturales», pour ne citer que les principaux. On peut lire avec intérêt la revue «Cimaise» qui évoque assez bien la diffusion de ces artistes attachés à la création architecturale. Voir aussi le groupe «Arcade» présent sur Lyon et l’Isle d’Abeau (conférence n°3) Les 4 Unités de Voisinage sont BronParilly, La Duchère, Les Minguettes et Montessuy. Il est intéressant de rappeler que les «grands ensembles» à peine nés (1962) font déjà l’objet d’âpres débats sur leur devenir, si l’on se réfère à la tenue du Congrès d’Hygiène, à l’Institut Pasteur, en 1962, dirigé par le Docteur Hazemann, Inspecteur Général au Ministère de la Santé. Sur Lyon, le premier Plan Directeur est lancé en 1949 avec trois des opérations pré-citées : Bron, La Duchère, Montessuy... René Gagès est nommé architecte-enchef de Bron-Parilly (2 600 logements), avec Frank Grimal comme assistant et François-Régis Cottin, comme collaborateur, entre autres... Frank Grimal et François-Régis Cottin réaliseront ensemble La Duchère, quartier qui accueillera une forte communauté «piednoir». (8) Consulter «Lyon 2000, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme à Lyon au XXème siècle» d’Alain Vollerin, paru en 1999 aux Editions Mémoires des Arts. Circulaire de 1973 d’Olivier Guichard, Ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Equipement, du Logement et du Tourisme, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. (9) Henri-Jacques Espérandieu, architecte (1829/1874), conçoit Notre Dame de la Garde en style romano-byzantin (début de la construction 1853/1864 pour la consécration). (10) (11) William Alsop, né en 1947, gagne le concours de l’Hôtel du Département des Bouches- du-Rhône en 1990. C’est un de ses premiers projets (il débute en 1988) qu’il achève en 1994, en collaboration avec Jacques Störmer. William Alsop construit essentiellement en Grande-Bretagne (Londres, Birmingham, Cardiff), en Hollande (Amsterdam, Groningue), en Allemagne (Hambourg) et au Canada (Toronto). Consulter «William Alsop : Hôtel du 4 Tours et module de son architecture verticale - s’était installée également comme une constante de son œuvre. Trois Tours qui deviennent des repères urbains importants, l’édition de cartes postales se révélant un signe important. Parmi les autres thématiques privilégiées, on décelait l’attention au contexte urbain, en particulier dans le cas des parcelles urbaines difficiles (parcelles triangulaires, dents creuses, angles de boulevards urbains...), le défi de la transformation de la «répétitivité» des modules de façades en outil de création pour une «esthétique de l’ombre et de la lumière», l’intégration d’éléments «organiques» (l’eau, en particulier...), la recherche prioritaire en maquettes... - François-Régis Cottin introduit humoristiquement son propos par un rappel historique et personnel à la fois : la Tour Panoramique de La Duchère est une œuvre qui atteint les «42,5 ans». Son gabarit est de 86 mètres, pour 25 étages. Les études ont démarré début 1962 pour une réalisation qui s’est déroulée de 1969 à 1972. Son contexte est brièvement rappelé par Monsieur Cottin. Le quartier était une Unité de Voisinage du plan de 1948 signé par Revillard dans le cadre de l’accueil des ruraux et de la montée en puissance de l’industrialisation. Pierre-Paul Puccinelli insiste sur la complexité du langage morphologique et formel utilisé pour les Trois Tours. En plan, le «losange» dédoublé en deux triangles contraste avec l’«ellipse» dédoublée en demicercles (entre les niveaux de logements et le soubassement) et, en élévation, l’assemblage des modules de façade s’organise en quinconce. D’autres procédés sont aussi évoqués : le «rappel» entre les structures visibles (la «galette» du soubassement) et les structures enterrées (le radier qui constitue une part du dispositif de fondations), le contraste entre la modularité des cellules et des modules (dans la partie résidentielle) et la souplesse «organique» du soubassement... Pierre-Paul Puccinelli termine son intervention par un hommage au travail du Groupe de l’œuf (7), le rappel de l’utilisation de la pâte de verre comme prestation remarquable et la reconnaissance populaire des Monsieur Cottin resitue La Duchère, dans l’ordre d’apparition des différentes Unités de Voisinage aménagées sur Lyon (8) . L’échec partiel de la conduite des opérations d’aménagement par les seuls Offices d’HLM (comme à Bron, par exemple), avait incité les décideurs à confier à une Société d’Economie Mixte de la Caisse des Dépôts et Consignations, la Société d’Equipement de la Région Lyonnaise, la nouvelle opération de La Duchère. S’appuyant sur un visuel qui représente le plan de la Z.U.P. proposé en 1958, ainsi que sur une description physique du site de La Duchère, un atout certain pour la réussite du projet, François-Régis Cottin commente le projet constitué de barres de 300 logements sociaux chacune. Sous la pression du Délégué Général des Constructions et d’un audacieux promoteur lyonnais, une opération privée fut intégrée. A la demande des promoteurs, recherchant le meilleur emplacement pour un programme mixte, résidentiel et tertiaire, François-Régis Cottin fit une première proposition assez complexe : bureaux, logements, piscine. Cette solution fut rapidement abandonnée. Les programmes furent séparés et donnèrent lieu à plusieurs variantes. François-Régis Cottin commente rapidement une des variantes : bureaux, tour, centre commercial et église cohabitent, mais séparés, dans un même ensemble ramassé. - Jacques Sbriglio évoque de manière liminaire le contexte actuel de désaffection des tours et, à l’origine de cette phase, la parution de la circulaire d’Olivier Guichard de 1973 (9). Pour Jacques Sbriglio, la première tour marseillaise qui instaure une jurisprudence sur le paysage marseillais s’appelle tout simplement Notre Dame de la Garde, signée par l’architecte Espérandieu (10). Jacques Sbriglio rappelle, sous forme d’anecdote, que le choix du projet lauréat pour l’Hôtel du Département des Bouches-du-Rhône (80 projets) a été partiellement guidé, en creux, par cette présence symbolique incontournable (11). Contacté par le maire de l’époque, Robert Paul Vigouroux, qui appréciait la réponse faite par Jean-Pierre Buffi (12) (deux tours jumelles), Jacques Sbriglio avait été surpris d’entendre que le maire craignait le dépassement de la hauteur de Notre Dame de la Garde par cet édifice public et, en conséquence, la modification de la «sky line» fétiche des marseillais. Le projet de Jean-Pierre Buffi a été effectivement rejeté au profit de celui de William Alsop. Jacques Sbriglio réfère également la naissance de la modernité marseillaise à la création du tissu post-haussmannien de la rue de la République, autre date fondatrice. Entre-deux guerres, les Plans Castel et Greber (1931) impriment une nouvelle marque et une trace encore perceptibles aujourd’hui dans les modalités d’urbanisation de Marseille (13). Le Corbusier, également, rentrant en 1943 de dix ans de travail en Algérie, ramène avec lui ses défis spécifiques, en particulier ses recherches sur les tours (14). Il réimporte surtout en 1943 son projet pour la Cité Administrative d’Alger afin de donner à Marseille ce symbole fort de l’administration qui lui fait cruellement défaut. Ce projet de tour administrative ne se fera pas mais inspirera plus tard, au début des années 1970, Labourdette qui concevra trois tours de logements audessus du Vieux Port (15). Jacques Sbriglio cite aussi comme jalons modernes le projet de Castel, amputé de moitié sur le Vieux Port, puis le projet Pouillon qui construit la première tour résidentielle de Marseille, entre 1945 et 1952, en béton avec revêtement de pierre (16). Il évoque ensuite les années 1950 avec leurs avancées : le Vieux Port (Perret et Pouillon), l’Unité d’Habitation n°1 (Le Corbusier) et la tour du Pharo, con- Département des Bouches-du-Rhône : le grand bleu, Marseille» de Michael Spens, Academy Editions, 1994. (12) Jean-Pierre Buffi, architecte remarqué pour les Collines de l’Arche, en 1990, sur le parvis de la Défense, a conçu également le siège d’Aventis à Paris, en 2000, la Faculté de médecine de Rouen, de 1998 à 2001, l’Arche Marengo à Toulouse en 2002 et a coordonné la ZAC de Bercy de 1989 à 2005. Il a fait partie du très connu «Groupe des 7», collectif de jeunes architectes français, influent surtout entre 1968 et 1974 : Castro, De Portzamparc... Consulter «Jean-Pierre Buffi : projets et réalisations» de Valerio Adami, Marc Bedarida et Enrico Chapel, aux Editions du Moniteur, 1994. Gaston Castel (1886/1974), Grand Prix de Rome en 1913, architecte départemental jusqu’en 1941, participe avec Roger Henri Expert au projet de reconstruction du Vieux Port (1945/1953), comprenant des tours de 11 étages (non réalisées). Il signera deux beaux immeubles à porche et en U liant le quartier du Panier au Vieux Port. Jacques Greber (1882/1962) débute sa carrière d’urbaniste à Philadelphie en 1916. Il travaille à Marseille entre 1930 et 1940, est nommé architecte en chef de l’Exposition Universelle de 1937 à Paris et conçoit de nombreux plans d’urbanisme au Canada : Ottawa, Montréal, Québec. (13) Le Corbusier commence ses études d’urbanisme pour Alger en 1930 (il conçoit le «Plan Obus» en 1931) et le projet pour le Quartier de la Marine, à Marseille, en 1938 (échec du projet en 1942). (14) Jacques Henri Labourdette (1915/2003), concepteur du grand ensemble de Sarcelles, signe en 1962 les trois tours de 18 étages qui surplombent le Vieux Port de Marseille. (15) Fernand Pouillon et André Devin héritent du travail d’André Leconte, architecte en chef démissionnaire de la Reconstruction du Vieux Port, lui-même dépositaire en 1948 du travail de Roger Henri Expert, arrêté en 1947. (16) Parrainés par Auguste Perret, ils conçoivent les façades du Vieux Port, Pouillon signant également avec René Egger une opération contiguë : La Tourette (260 logements). Pouillon avait travaillé durant la seconde guerre mondiale sur le Plan d’Urbanisme de la Ville de Marseille, sous les ordres d’Eugène Beaudoin. Il interviendra dix ans durant, de1946 à 1955, sur le Vieux Port et ses arrières. Consulter «Fernand Pouillon, architecte méditerranéen» de Jean-Lucien Bonillo, aux Editions Imbernon, 2001 et «Inventaire de l’œuvre de Fernand Pouillon en Algérie, Ile de France, Provence», réalisé par le BRAUP et les Ecoles d’Architecture de Belleville, Luminy et Rouen, Tours 5 aux Editions du BRAUP, 1998. (17) Giuseppe Terragni (1904/1942) participe à la création, à Milan en 1926, du «Gruppo 7», issu du «Mouvement Italien pour l’Architecture Rationnelle» (MIAR). Il rassemblait les architectes rationalistes, anti-académiques : Terragni, Figini, Pollini, Libera, Frette, Larco et Rava. Terragni conçoit à Côme, centre de l’expérimentation fasciste en architecture, un manifeste architectural, la Casa del Popolo ou Casa del Fascio (1928/1938). Cet équipement est une pièce du plan d’urbanisme de la «ville fasciste» avec d’autres projets : Maison des Ballila, Maison du Temps Libre, Maison des Corporations. Rebaptisée Maison du Peuple à la Libération, la Casa del Fascio sera finalement classée Monument Historique en 1986/1987. Terragni a également co-animé la revue «Quadrante» avec Bardi et Bontempelli. Consulter «Giuseppe Terragni», de Bruno Zevi, aux Editions du Triangle architectural, 1989. (18) Guillaume Gillet (1912/1987) était Architecte en Chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux, professeur à l’ENSBA, architecte ou urbaniste conseil de nombreuses collectivités dans le sud de la France : Monaco, Antibes, Cannes, pour l’aménagement de la Croisette et du port de plaisance Canto, entre 1959 et 1967. Lors de son séjour à Rome, il était chargé de l’entretien de la Villa Médicis et du Palais Farnèse. Il a réalisé de grandes commandes privées : la Tour du «Grand Pavois», à Marseille, le Palais des Congrès et l’Hôtel Concorde -Lafayette, Porte Maillot, entre 1970 et 1974. L’architecture publique est bien représentée, avec les Pavillons de la France et de Paris à l’Exposition de Bruxelles de 1958, des équipements scolaires, des maisons d’arrêt (Varces, près de Grenoble et, plus connue, Fleury-Mérogis). Il restera également comme l’un des grands architectes de l’Art Sacré contemporain avec Saint-Joseph des Travailleurs à Avignon, Soissons, Châtenay-Malabry, Valenciennes et la plus connue d’entre toutes, celle de Royan (1954/1958), exposée en 2002 lors d’une exposition initiée par la commune. La version initiale du programme du «Grand Pavois» (1963/1967) comprenait un hôtel de 100 chambres, un immeuble de bureaux, une tour de 248 appartements. Consulter le document «Guillaume Gillet - architecte, peintre, écrivain 1912/1987», édité par l’Association Royan Culture en 2002 et rédigé par Nicolas Nogue, Rose Gillet et Isabelle Debette. Ses archives sont déposées au Centre d’Archives de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, rue de Tolbiac, à Paris : série 367 AP - Fonds Guillaume Gillet, déposé en 1990, complété en 1992 (dation et legs de 1977). (19) André Devin et Sulfur City : ce bâ- 6 Tours çue par André Devin, comme une référence et une révérence à la tour génoise du Fort Saint Jean et vraisemblablement inspirée des travaux de Giuseppe Terragni, chef de file du mouvement rationaliste italien (17). Jacques Sbriglio rend hommage à nouveau à André Devin pour son travail sur l’immeuble de logements du centre de Marseille, baptisé Sulfur City et présente rapidement le Grand Pavois de Guillaume Gillet (18 et 19) . Il rappelle ensuite - pour édification du public - une anecdote de Georges Candilis (20) qui, lors d’une réponse à une commande de l’industriel Paul Ricard, avait déjà dû coucher son projet de Tour pour «faire plaisir aux élus» (un signe avant-coureur !). Pour Jacques Sbriglio, l’Unité d’Habitation n°1 pâtit toujours de l’amalgame avec les Grands Ensembles car elle devrait continuer à incarner, au-delà de l’esthétique, l’expression d’un défi très strictement et fidèlement géré par Le Corbusier dans le domaine du logement collectif. Continuant à balayer les jalons de l’architecture moderne sur Marseille, il projette l’opération de la ZUP de La Viste de Georges Candilis (21), influencée par l’Art Cinétique (22), puis un programme mixte d’une grande actualité (logements, hôtel, salle de concerts, chapelle, église) Le Saint-Georges (1960/1963), conçu par Claude Gros - dont la silhouette et l’assemblage pourraient plaire à Rem Koolhas (23). En clôture et en confirmation de son intérêt pour ce patrimoine moderne, ingrat et difficile à socialiser, Jacques Sbriglio réinsiste sur la réussite réelle de le Corbusier - la question centrale du programme - et les malheureuses velléités de démolition des trois tours de Labourdette dont il avait eu vent lorsqu’il travaillait à l’Agence d’Urbanisme de Marseille. A propos du Grand Pavois qui avait primitivement suscité sa présence à Grenoble en tant qu’auteur d’une notice dans le Guide d’Architecture de Marseille (24), Sbriglio rattache ce bâtiment à la filiation de la Tour Montparnasse (25) et évoque, au crédit de ce bâtiment, la qualité la moins apparente du projet : l’assemblage complexe des fonctions sur un terrain au foncier contraint, appartenant à un seul propriétaire, la Régie Renault. Un promoteur inspiré de Marseille, très actif dans les années 1960 - Georges Laville - a permis la réussite de ce type de projets. - Jean-Olivier Majastre se présente en qualité d’anthropologue, satisfait d’une invitation en forme de clôture de conférence, clôture qui lui permet de remettre les Hommes au centre des Formes architecturales. A ses yeux, la tour incarne de manière intemporelle l’expression orgueilleuse de la verticalité chez l’homo erectus. Cet orgueil oublie facilement, dans le cas présent, que l’habitant d’une tour peut être aussi celui du premier ou du deuxième étage, habitant qui percevra bien différemment cette «distinction» et ce «privilège» résidentiels. Le «soupçon» d’orgueil est confirmé pour Jean-Olivier timent de 104 logements compte parmi les œuvres marquantes de cet architecte, signataire d’immeubles qui constituent des repères importants du paysage marseillais : Le Pharo, construit entre 1955 et 1960, et Le Saint-Nicolas. Devin signe cette œuvre qui comprend une tour de 17 niveaux avec Yvan Bentz, entre 1953 et 1955. Voir le Guide de Marseille de Jacques Sbriglio. Majastre dans le choix des dénominations -Vercors, Belledonne et... Mont Blanc, au lieu de Chartreuse ! Cependant, Jean-Olivier Majastre reconnaît qu’en tant qu’habitant de l’Ile Verte, il est lui-même habité par les Tours. A ce propos, il propose une variation sur les nombreuses images poétiques générées par ces Trois Tours : trois grands bateaux, trois architectures qui conversent entre elles, une incarnation de la Trinité, toutes métaphores qui s’attachent à une opération «ternaire» qui ne peut, dès lors, être réellement comparée aux tours isolées de Lyon et de Marseille. Ces «trois bateaux» qui font rêver aux trois caravelles de Christophe Colomb émergeant du brouillard lui donnent accès, lorsque leurs cimes sont invisibles, à une dimension encore plus onirique et mystérieuse de leur présence, l’imagination prenant le dessus pour leur prêter une hauteur bien plus grande encore. Enfin, ces tours semblent «naviguer» sans maintien de l’équidistance entre elles, comme si elles étaient affectées d’une vitesse de croisière variable. La qualité des Trois Tours se retrouve également dans la qualité de leur dialogue avec la nature environnante, avec cette résille naturelle qui les accueille. Poursuivant son inventaire des défauts et qualités de l’opération, Jean-Olivier Majastre souligne l’équité qui préside à l’affectation d’une proportionnalité des charges au prorata de la position des résidents dans la hauteur des tours. Il note néanmoins la disparité du statut des occupants, chaque tour ayant sa spécificité : locataires, propriétaires, médecins... Il introduit ensuite la notion de «contrepoint», tout d’abord avec les Trois Tours et l’Immeuble en S – «3 + 1» – qui créent un nouvel échelon de référence, mais aussi par un parallèle avec un autre site emblématique du quartier, le cimetière et ses 30 000 tombes couchées, qui met en exergue, à côté de cet incontournable no man’s land, la solitude partagée des Trois Tours. Jean-Olivier Majastre clôt son intervention par une citation de Daniel Pennac, dans «Le dictateur et le hamac», brocardant Brasilia, capitale administrative du Brésil (26), pour sa capacité involontaire à avoir suscité l’installation de six cabinets de psychanalystes au moment même de sa construction. (20) Georges Candilis : architecte né en Russie, à Bakou, en 1913 et décédé en 1995. Après avoir étudié l’architecture à Athènes, il s’installe en France en 1945, où son nom restera attaché à la célèbre ZUP de Toulouse-le-Mirail. Il participe activement à la conférence des CIAM d’Aix-en-Provence, en 1953. Proche des thèses de Le Corbusier, il rejoint le «Team Ten», créé pour le Xème Congrès des CIAM de Dubrovnik en 1956 par Alison et Peter Smithson, Jaap Bakema, Aldo Van Eyck, Alexis Josic et Shadrack Woods. Le «Team Ten» comptera aussi parmi ses membres Giancarlo Di Carlo et Jerzy Soltan. Ce courant moderniste, soutenu par Le Corbusier, alimentera après 1959 le légendaire et international «Groupe de Recherches sur les Inter-Relations Sociales et Visuelles». Consulter «Bâtir la vie : un architecte témoin de son temps» de Georges Candilis, aux Editions Stock, 1977. (21) ZUP de La Viste, Marseille : dominée par trois Tours, cette Z.U.P. de 1 000 logements, commanditée en 1959 par la SCIC et son opérateur marseillais, la Société Marseillaise Mixte de Constructions, est conçue par le Team Ten (Georges Candilis) comme une œuvre néo-puriste (in : Guide de Marseille de Jacques Sbriglio) : prismes purs, façades lisses, polychromie... Art Cinétique : en gestation dès les années 1910 et 1920 (Naum Gabo et Laszlo Moholy-Naguy), ce courant se condense surtout à partir de 1954/1955 avec les expériences complémentaires d’Alexander Calder, Jean Tinguely, Pol Bury, Nicolas Schöffer, Georges Rickey, Raphaël Soto et Yaacov Agam. Les œuvres ont la particularité d’être animées, soit par un moteur, soit par le vent, soit par le mouvement du spectateur luimême (c’est le cas des Trois Tours de Grenoble). (22) Consulter le catalogue de l’exposition «L’œil moteur : art optique et cinétique - 1950/1975», sous la direction d’Emmanuel Guigon et Arnaud Pierre, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, 2005. (23) Rem Koolhas, hollandais d’origine, formé à l’architecture en Angleterre (Architectural Association School, Londres) puis aux USA (Ithaca et New York, avec Colin Rowe et Peter Eisenman). Il crée en 1975 l’OMA - Office for Metropolitan Architecture - avec Zoé Zenghelis et Madelon Vriesendorp, où il formera Zahah Hadid. Dans ses agen- Tours 7 Débat ces de Rotterdam, Londres et Athènes et la Fondation culturelle - Gross Stadt Foundation - il a expérimenté une voie dans la métamorphose possible de la ville contemporaine, analysée dans son livre-culte, «New-York Delire», en 1978, et son texte sur «La Ville Générique», en 1994. Il travaille depuis le milieu des années 1990 sur les «mégalopoles magmas» : Boswah, SaoRio, Eurocore, Gange, Pearl River... Jacques Sbriglio, né en 1947, possède une double formation : beaux-arts et architecture. Il ouvre sa première agence en 1975, enseigne à MarseilleLuminy depuis 1981, a été conseiller de l’Agence d’Urbanisme de Marseille de 1984 à 1989. Outre le «Guide d’Architecture de Marseille (1945/1994)», il a signé, seul ou en collaboration, plusieurs ouvrages sur Le Corbusier, en particulier sur l’Unité d’Habitation de Marseille. Il est aujourd’hui architecteconseil de la Ville de Grenoble. (24) Tour Montparnasse : conçue par les architectes Eugène Beaudoin, Urbain Cassan, Louis de Hoym de Marien et Jean Saubot, elle est construite entre 1969 et 1972. Haute de 210 mètres, elle contient 78 000 m2 de bureaux, compte 59 étages (terrasse incluse) ; elle est portée par une structure métallique presque aussi lourde que celle de la tour Eiffel (7 200 versus 7 500 tonnes). Elle est fondée sur 56 piliers de 62 mètres de profondeur. Paris abrite 158 Immeubles de Grande Hauteur, au sens strict de la législation (50 mètres pour les habitations et 28 mètres pour les bureaux). (25) Brasilia : cet exemple paradoxal illustre à sa manière les fractures entre le public et la critique à propos de l’acceptation du mouvement moderne. En 1964, Oscar Niemeyer, père de Brasilia, reçoit le Grand Prix International d’Architecture et d’Art. (26) (27) Plans d’urbanisme à l’étude entre 1950 et 1962 à Grenoble : 1950 : nomination de Bovet et Revillard par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme et le Ministère des Travaux Publics 1952 : lancement de 5 plans-masses de quartiers 1955 : première publication du Plan Bovet 1957 : publication du Plan d’Aménagement du Groupement d’Urbanisme de Revillard 1959 : publication par Bovet de son second Plan et d’un plan partiel afférent (opération Ile Verte) 1961 : approbation par le conseil municipal du Plan Bovet (opération Mutualité) 1962 : approbation par le conseil municipal du Plan Bovet (opération République) Consulter les documents originaux en 8 Tours 26/05/2005 – Grenoble - Pierre Sicard se présente en témoin historique, né en 1923, arrivé à Grenoble en 1927, et maintenant à la retraite depuis 20 ans. Il intervient pour resituer l’enjeu urbanistique des Trois Tours dont la réussite lui paraît devoir beaucoup à la qualité des attendus et des objectifs gérés en amont du projet par les urbanistes et les planificateurs. Sur d’anciens terrains militaires déclassés, aménagés par la Régie Immobilière de la Ville de Grenoble, dans le sillage du Plan Jaussely instaurant un «boulevard corridor» et des études pour le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme de l’architecte Georges Bovet, les programmateurs de l’opération qui avaient abandonné le principe originel au profit du choix visible actuellement (ratifié par la Ville de Grenoble) avaient exigé que le Parc de l’Ile Verte soit respecté au maximum par l’équipe de concepteurs (27). - Bernard Marrey rappelle l’invention de l’ascenseur en 1850 par Elisha Graves Otis aux Etats-Unis. C’est l’ascenseur qui a permis la réalisation d’immeubles de grande hauteur. Le premier ascenseur hydraulique français fut présenté à l’Exposition universelle de 1867 par Léon Edoux qui ignorait très certainement l’invention d’Otis. Il réalisera en 1888 un système ingénieux de contrepoids pour relier les deuxième et troisième étages de la tour Eiffel, tandis qu’Otis relèvera seul le difficile pari de l’accès au premier étage par un ascenseur incliné. - Jean-Olivier Majastre revient sur la «vitesse différentielle» des Trois Tours pour préciser - si besoin est pour certains - qu’il s’agit, bien sûr, d’une image. - Michel Leullier Leullier, ancien directeur général des services techniques de la Ville de Grenoble, récemment en retraite, interpelle messieurs Sbriglio et Kermen sur la relance éventuelle de la construction des tours et sur l’initiative de jeunes architectes hollandais souhaitant proposer des projets de tours sur les Quartiers Sud de Grenoble. - Pierre Kermen répond que la construction des tours est d’abord un «acte d’urbanisme», qu’il est nécessaire de privilégier leur «rapport au sol», qu’il est positif de réévoquer cette question mais qu’il faut malgré tout digérer le «traumatisme» encore présent dans l’opinion publique. En tant qu’enjeu prioritaire, l’adjoint à l’urbanisme souhaite réinsérer cette question des immeubles de grande hauteur dans le débat plus large du «grand paysage», de l’épannelage des crêtes environnant Grenoble et de la modification du «statut» même du paysage. - Jacques Sbriglio répond sur son terrain que Marseille va accueillir une tour de plus de 100 mètres de haut, signée Zahah Hadid, commanditée par la sixième société de transports de containers au monde, même si le POS de Marseille de 1978 limite encore aujourd’hui la hauteur des constructions. Jacques Sbriglio souhaite néanmoins préciser dans le débat que c’est Auguste Perret qui, en 1911/1912, a initié le travail sur les tours de logements en France, bien avant Le Corbusier, et juste avant Beaudoin et Lods (28). Il estime que le débat sur cette question délicate doit être repositionné, en tenant compte de la réussite de Jean Nouvel, pour sa tour (de bureaux, certes) clôturant la Diagonale de Barcelone et des prouesses en élévation, visibles à ce jour comme à Taïpeh (29). Sur le fond, il souhaite que l’on réétudie la pertinence de la tour comme modèle résidentiel et comme marqueur de paysage. Il revient enfin sur le projet de Zahah Hadid pour souligner à nouveau, comme dans d’autres cas, le rôle prépondérant du maître d’ouvrage qui a su, en l’occurrence, utiliser la jurisprudence des silos existants et protégés, et renverser en positif la contrainte d’une relative exiguïté de la parcelle disponible sur les docks en potentiel d’élévation pour un bâtiment obligatoirement emblématique : un siège social. Le maître d’ouvrage a lui-même lancé son propre concours privé où sont intervenus Christian de Portzamparc, Norman Foster et Zahah Hadid, dont le Priztker Price a joué un rôle essentiel dans l’acceptation par la Ville de Marseille d’une reprise de la construction des tours (30). Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, a néanmoins spécifié que cette tour constituerait une exception sous son mandat. Il clôt cette petite intervention par une anecdote personnelle. Hospitalisé il y a quelques mois à La Timone, et contraint de garder la chambre, il a pu redécouvrir, en positif, la qualité du panorama, surtout en nocturne, de la métropole marseillaise. Vu d’une tour, le panorama est plus passionnant que la vue de son jardin ! - A la question de Charles Fourrey concernant l’opinion des usagers, une habitante, arrivée à Grenoble en Cité Universitaire en 1972, et dans les Trois Tours en 1973, répond qu’elle reste tellement heureuse d’y résider qu’elle n’envisage pas d’en partir. Sa propre fille, née dans les Trois Tours, contrainte par la décohabitation à résider dans le quartier Condorcet de Grenoble, ne souhaite qu’y revenir. L’habitante «historique» des Trois Tours expose les enjeux de gestion auxquels sont attachées les Tours, quarante ans après, en particulier les clivages qui divisent le Conseil Syndical sur les problèmes de réaménagement, sur la restauration de la «casquette» en pâte de verre du soubassement, sur l’utilisation et l’instrumentalisation financière du Label Drac Patrimoines du XXème siècle (31). - Le débat se poursuit autour de la question quelque peu controversée des fondations spéciales entre Pierre-Paul Puccinelli et Claude Fourmy. Ce dernier témoigne de la nature quelque peu spécieuse d’un argument de vente utilisé en 1970 et qui visait à rassurer la clientèle investisseuse en affirmant que les fondations des tours étaient ancrées sur le rocher (32). - Claude Beurret, ancien chargé d’études à l’AURG, revient sur un Séries Modernes, aux Archives Municipales de Grenoble, rez-de-jardin de l’Hôtel de Ville, 11, boulevard Jean Pain. Beaudoin et Lods : architectes associés entre 1923 et 1940, ils travaillent pour l’OPHBM de la Seine, en important dans le domaine des cités-jardins les expériences d’architecture industrialisée. Marcel Lods suit les travaux de Le Corbusier, Tony Garnier et Henry Sauvage. Il travaille à partir de 1935 avec Jean Prouvé et fondera, après 1945, le «Groupement pour l’Etude d’une Architecture Industrialisée» (GRAI). (28) (29) Taïpeh : la capitale de Taïwan dispose à ce jour et très provisoirement de la tour la plus haute du monde, baptisée Taïpeh 101 (508 mètres). Dans le même registre, voir aussi le projet non réalisé de Tour Sans Fin, conçu par Jean Nouvel et l’ingénieur Tony Fritzpatrick dans le cadre du concours pour l’aménagement de «la Folie» (1989). Ce projet relancera une première fois en France le débat sur la Ville Verticale. Voir aussi le projet Millenium Tower de Norman Foster, non réalisé, de 800 mètres de haut pour une population de 50 000 personnes, ancré à deux kilomètres du rivage dans la baie de Tokyo (1991). Zaha Hadid, irakienne, est née en 1950. Elle a étudié à l’Architectural Association School de Londres et a travaillé avec l’OMA de Rem Koolhas. Titulaire du Prix Pritzker en 2004 et du Prix de l’Union Européenne pour l’architecture contemporaine Mies Van der Rohe en 2003, elle a participé au concours pour le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille et a remporté en octobre 2004 la consultation privée pour le siège social du groupe CMA-CGM. (30) Consulter le site de son agence et «Zaha Hadid 1983/2004», aux Editions El Croquis, 2004, ainsi que «Zaha Hadid complete works» de Patrick Schumacher et Gordana Fontana-Giusti, Thames and Huston Editions, 2004. Label Patrimoine du XXème siècle : il apparaît pour la première fois dans une circulaire sur le Patrimoine du XXème siècle promulguée par le Ministère de la Culture (n°169053 du 18/06/1999). Il prend sa place dans un train de 13 mesures complémentaires évoquées dès le 10/09/1998. La sensibilisation au patrimoine du XXème siècle sera dès lors incluse dans des conventions Etat/Collectivités. La liste des bâtiments et ensembles susceptibles d’être labellisés est arrêtée après consultation de la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites et après validation par le Préfet de Région. (31) Trois Tours (fondations spéciales) : les fondations sont constituées d’un radier géant coulé à 6 mètres de profondeur, d’un diamètre de 40 mètres et d’une épaisseur de 0,90 mètre, mais aussi de voiles transversaux qui des- (32) Tours 9 cendent profondément en infrastructure ; le voile transversal central descend à 40 mètres de profondeur. Chaque tour pèse 38 000 tonnes. La première tour, construite en 1962, comprend 154 logements. Cesar Pelli, architecte américain d’origine argentine, appartient à la génération d’architectes qui sculptent aujourd’hui le paysage des mégalopoles internationales en concevant les bâtiments parmi les plus hauts du monde : Londres (Canary Wharf, la plus haute tour d’Angleterre), Kuala-Lumpur (tours jumelles des Petronas Towers, 451,9 mètres) et Hong-Kong (Two International Finance Center , 415 mètres). Il a été l’auteur d’un bâtiment emblématique - le Pacific Design Center - à Los Angeles (1976), particulièrement étudié en sémiotique architecturale par les étudiants de l’UCLA, sous la direction de Kamran. (33) Consulter le site de son agence et, de Michael J.Crosbie, «Cesar Pelli», aux Editions Birkhaüser, 1998. (34) Herzog & De Meuron sont originaires de Bâle. Nés tous deux en 1950, associés depuis 1978, ils ont reçu le Pritzker Price en 2001. Ils sont particulièrement remarqués pour leurs travaux sur les musées : Tate Modern Museum de Londres, Goertz Collection de Münich, Young Museum de San Francisco et Walker Art Center de Minneapolis. Ils ont également signé l’Allianz Arena de Münich, ce stade baptisé le «Schlauchboot». Voir à Paris l’immeuble du 17 rue des Suisses. Consulter de Philip Ursprung «Herzog et De Meuron», aux Editions du CCA/ L.Muller, 2002 et de Gerhard Mack «Herzog et De Meuron 1992-1996», 2000. point essentiel de la critique de Le Corbusier qui ne nous a laissé, en guise de parcs urbains résidentiels, que des parkings et des dalles. Il accentue sa critique en rapportant le sentiment qu’il a eu en Angleterre en remontant la Tamise en bateau sur trente kilomètres (trente kilomètres de fleuves sont autant de kilomètres de tours), en visitant aussi les docks, la banlieue sud de Londres (en particulier un bâtiment de Cesar Pelli) (33) et le quartier du nouveau Musée d’Art Moderne (Herzog & De Meuron) (34). Claude Beurret en a retiré au final un grand et paradoxal sentiment d’uniformité, d’autant plus que les matériaux employés par les architectes des tours tendent à accentuer cet effet (acier, verre...). - A une question de la salle posant les problèmes de la place du végétal dans cette nouvelle génération de tours et de la contribution des tours au façonnage d’un nouveau paysage, Sbriglio répond avec humour que les référentiels évoluent avec le temps. En se refondant sur le débat animé par les architectes dans les années 1950, il rappelle que cette génération «moderne» calculait et justifiait les gabarits des tours en les mesurant à l’aune de la taille maximale des essences végétales existantes (une hauteur de tour étant l’équivalent de x unités de base de végétaux). Au crédit des nouvelles tours «végétalisées», alternatives potentielles aux tours dévoreuses d’énergie, il cite également l’expérimentation menée par Edouard François et les innovations hollandaises (35). - A cette interrogation d’une personne de la salle en forme de remise en cause, Serge Gros répond que le développement durable constitue peut-être un bon carburant pour repenser les modèles, y compris les immeubles de grande hauteur. - Jean-Olivier Majastre relance cependant la contradiction en rappelant que les immeubles de grande hauteur ne sont pas alimentés en gaz naturel et qu’ils se révèlent donc prescripteurs par défaut d’un mode de vie imposé aux résidents : la cuisine électrique pour ne citer qu’un seul exemple ! La publicisation des opérations d’Amsterdam, Rotterdam et La Haye remet la Hollande à un niveau d’influences aussi puissant que Venise et Berlin. Un premier engouement pour l’architecture hollandaise avait déjà alimenté les années 1930, avec l’exemplaire cité d’Hilversum. En 1985/1986, ce sont les opérations, souvent de tours, de Ton Alberts, Max Van Huut, Rem Koolhas, Dick Van Mourik, Charles Vandenhov qui relancent le débat sur la densité. Dès 1992, grâce à l’invitation de Rem Koolhas au Festival d’Architecture de La Haye et à des promoteurs privés, c’est au tour d’Henri Ciriani de reprendre ce flambeau avec quatre projets de tours à Rotterdam, La Haye, Groningue et Nimègue. - En reprenant les attendus et les fondamentaux du débat moderne, Sbriglio rappelle que Le Corbusier estimait que l’Homme Moderne évoluerait vers le nomadisme et changerait donc de demeure régulièrement. L’actualité nous démontre cependant l’inverse et, en particulier, que ces immeubles «expérimentaux» ou «exceptionnels» (Trois Tours, Unité d’Habitation de Marseille) sont maintenant plébiscités par leurs occupants qui ne souhaitent plus les quitter. Les Unités d’Habitation, pour être autonomes, n’en sont pas pour autant autarciques et restent fédérées entre elles par un Centre Civique qui offre des services non quotidiens. - En clôture du débat, l’habitante des Trois Tours qui s’était précédemment exprimée, déclare que les habitants des Trois Tours partagent de meilleurs acquis que ceux des Grands Ensembles. Il n’y aurait donc pas égalité devant le patrimoine moderne ! (35) (36) 10 Tours Pour Jacques Sbriglio, c’est également la bonne structure sociale qui perdure dans ces ensembles et fidélise ses habitants. Il cite Wogenscky qui soulignait que la taille idéale des unités d’habitations souhaitée par Le Corbusier - 2 000 personnes - se révélait le nombre adéquat pour organiser la meilleure des solidarités (36).