Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie
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Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie
Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique Extrait du Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique http://www.systemique.be/spip/article.php3?id_article=152 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique - SAVOIR THÉORIQUE - Échanges à partir d'articles , bibliothèque, dictionnaire et concepts de la systémique - Article donné par son auteur pour stimuler des échanges - Date de mise en ligne : lundi 20 novembre 2006 Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 1/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique Sommaire • Le langage métaphorique et non verbal en (...) • Vers une « narration analogique » • 1. Introduction • 2. La métaphore : définition et fonctions • 3. La métaphore en psychothérapie • 4. Utilité de la métaphore en thérapie familiale • 5. La famille de Maurizio : quand le poids (...) • 6. CONCLUSIONS Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique. Vers une « narration analogique » Luigi Onnis 1. Introduction Dans cet article,je voudrais souligner l'utilité du langage métaphorique dans le travail thérapeutique. J'entends par langage métaphorique, au sens large, tout ce qui se soustrait aux règles et aux conditionnements de la pensée logique, et recouvre donc aussi la vaste gamme des expressions de la communication analogique, y compris la communication non verbale. Au cours des dernières années, l'intérêt pour ces aspects du langage thérapeutique s'est particulièrement ravivé dans le champ systémique, suite à l'influence du profond renouvellement épistémologique qui l'a traversé. La redécouverte de l'importance des « mythes familiaux », l'influence des orientations constructivistes, et l'introduction des méthodes narratives en thérapie familiale, sont, comme nous le verrons, les éléments qui, d'après moi, ont favorisé la valorisation des langages métaphorique et analogique en thérapie systémique. Mais avant d'entrer dans les aspects plus spécifiques du discours, il me semble utile de faire une brève digression initiale sur les sens plus généraux du concept de métaphore, sur ses développements et ses implications. 2. La métaphore : définition et fonctions La métaphore a toujours exercé une grande attraction et un pouvoir de suggestion particulier pour tous ceux qui ont entrepris d'en définir le concept, et d'en expliquer les fonctions, que ce soit dans le domaine philosophique, linguistique ou psychologique. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 2/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique Cela est probablement dû à son caractère « insaisissable », au fait qu'elle exprime quelque chose qui est « au-delà » de la compréhension logique immédiate (cf : l'étymologie du terme « metà-forein » : porter « au- delà » ). La métaphore semble donc remettre en question l'ordre logique de la pensée et amener des ouvertures imprévues vers les dimensions de l' imaginaire et des émotions. Mais ces considérations présupposent déjà une conception de la métaphore influencée par certains courants de pensée contemporains qu'elle a intégrés progressivement. Nous voudrions en décrire tout au moins les étapes essentielles (cf. Casonato, 1994). La conception traditionnelle de la métaphore, dominante pendant longtemps, trouve son origine au temps d'Aristote, et se base sur la « théorie de la substitution » selon laquelle un terme, le terme métaphorique, remplace le terme littéral approprié, y fait allusion ou en dissimule le sens. Selon cette conception, la métaphore est une figure rhétorique qui a une fonction fondamentale d'ornement du discours. A l'opposé, la critique romantique (de Vico à Nietzsche) considère la métaphore comme la « figure des figures », et met en évidence que le fait même de parler est essentiellement un discours figuré. C'est cette vision de la nature métaphorique du langage qui a mené au développement d'une nouvelle conception de la métaphore, ces cinquante dernières années. Elle est basée sur « la théorie de l'interaction » qui, plutôt que de parler d'une simple substitution ou comparaison entre les termes de la métaphore, considère que ces termes interagissent, et qu'entre eux a lieu une « identification ou fusion partielle » : cela signifie que le sens qu'assume le premier terme, dépend du second, et que celui-ci, à son tour, est transformé par adaptation au premier (voir les travaux de Richards, 1936 ; Black 1962 Lackoff & Johnson, 1980). Max Black (1962), en particulier, souligne en quoi les termes de la métaphore (qu'il définit « focus » et « frame » ) représentent des « implications conceptuelles complexes » qui en interagissant, suscitent une amplification de significations réciproques à travers l'élaboration d'isomorphismes. L'ensemble de ce processus présente donc les caractéristiques d'un processus cognitif. « La métaphore devient ainsi le sommet d'un modèle interactif immergé, en partie explicite parce que basé sur le sens littéral du fait et du drame, et en partie créé puisque la métaphore consiste justement (toujours selon Black) en l'extension à travers l'interaction des significations ordinaires du mot. En tant que telle, la métaphore est donc essentiellement un »instrument cognitif." (Casonato, 1994, p.43). Mais une fois la métaphore définie comme un processus cognitif qui naît de l'interaction entre deux champs sémantiques différents, il reste à clarifier comment se réalise cette interaction. Dans cette voie, Paul Ricoeur(1978) a contribué de manière importante au développement de la compréhension du fonctionnement de la métaphore. Le philosophe français introduit une composante psychologique fondamentale : l'imagination et l'implication émotionnelle qui l'accompagne. C'est surtout au sein des processus imaginaires et émotionnels que suscite la métaphore chez le sujet, et donc dans une fonction « active » et « créative » remplie par celui-ci, que se produisent les attributions de sens singuliers qui, au-delà du sens littéral des mots utilisés, donnent lieu à de nouvelles conceptualisations et visions de la réalité. Ces considérations de Ricoeur sont particulièrement importantes parce qu'elles permettent de mieux clarifier à présent la définition proposée au début. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 3/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique L'élément métaphorique prend une place d'« intermédiaire » entre deux types de pensées : la pensée sémantique qui est objective, analytique, non contradictoire et suit les normes de la logique d'Aristote, et la pensée analogique qui est au contraire la pensée de l'imagination, de la sensorialité, du symbolisme. Ce concept est exprimé clairement par Brenda Beck (1991), linguiste et anthropologue, quand elle affirme : « il existe deux types de pensées : un niveau dominé par la sensibilité, et un autre qui est verbal et logique dans le sens habituel de ces termes... Au premier niveau, il existe une tendance à la pensée symbolique. Au second, une tendance à la pensée structurale. Le premier s'occupe de focalisations centrales, de noeuds et de formes symboliques ;le second des limites et de la logique, de la séparation et du contraste... Nous avons besoin d'un mécanisme qui permette la communication entre ces deux niveaux de l'activité cognitive : c'est alors qu'entrent en jeu les métaphores. Elles effectuent le passage nécessaire de façon relativement ordonnée ; en n'appartenant ni à un type de pensée, ni à l'autre, elles sont des intermédiaires (Beck, 1991, PP. 315-316). Lotman (1980) avance des considérations analogues sur la fonction cognitive et « intermédiaire » de la métaphore. II souligne que la métaphore « n'est pas un ornement qui appartient uniquement à la sphère de l'expression, pour embellir un contenu qui ne varie pas, mais est le mécanisme de construction d'un contenu qui ne peut être construit à l'intérieur d'une langue... elle naît du point de jonction de deux langues, et est iso structurelle à la conscience créative ». 3. La métaphore en psychothérapie Ces considérations générales sur les caractéristiques formelles et la fonction de la métaphore, représentent les préliminaires nécessaires à un discours plus spécifique sur l'utilisation de la métaphore en psychothérapie. Justement par son caractère de « point de conjonction », d' « interface » entre « deux langues » citées par Lotman (1980) comme étant le langage logique de la pensée rationnelle, et le langage symbolique, analogique de l'imagination et de l'affectivité, la métaphore tend à faire circuler entre le thérapeute et le patient des communications ouvertes aux émotions. Elle fait entrevoir des parcours tout au long desquels les sentiments et émotions sont véhiculés de manière préférentielle dans le cadre de la relation thérapeutique. Mais pour que la métaphore ait une fonction thérapeutique, il faut selon une expression significative de Paul Ricoeur (1975), que ce soit une « métaphore vivante », qu'elle soit donc isomorphe à la nature du problème présenté, à l'histoire et la situation psychologique du patient, afin que celui- ci puisse s'y reconnaître et y découvrir de nouvelles manières de voir ses difficultés. En outre, en se connectant plus directement aux valences émotionnelles, la métaphore thérapeutique se rapproche du niveau affectif des individus, lequel est dans une large mesure inconscient. C'est pourquoi, comme le souligne Littman (1985), la métaphore a la fonction d'éluder la surveillance des défenses, et de contourner la résistance. Ceci représente sans doute une des justifications les plus importantes de son utilité en psychothérapie. Littman écrit plus loin « Le pouvoir de la métaphore réside très clairement dans sa capacité de rejoindre une composante affective de la personnalité qui est communément trop bien défendue pour être atteinte. C'est cette composante que Bettelheim a si bien décrite dans son livre, comme une partie de la personne qui désire découvrir de nouvelles choses, mais qui en même temps, ressent l'exigence de se protéger des éventuelles conséquences Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 4/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique négatives de ces découvertes. Voila pourquoi l'emploi des métaphores (... ) est si important pour affronter les résistances. » Toute la tradition psychanalytique, à partir de « l'interprétation des rêves », se fonde du reste sur des concepts analogues. Comme le souligne efficacement Trevi (1986) : « Le symbole est pour Freud, la mesure spécifique du dévoilement de la part obscure de la psyché. Le symbole est une analogie dans laquelle un des deux termes est rigoureusement inconscient ; comme tel, celui-ci masque et révèle, cache et manifeste. Si nous réussissons à être de bons interprètes, l'autre champ pourra également se révéler, dans sa complète paradoxalité et dans l'incongruence apparente de sa syntaxe secrète ». La métaphore est, toujours selon Trevi, la voie d'accès discursive du symbole, le canal commun relationnel qui permet de faire allusion à son sens. Reprenant les concepts de logique « symétrique » et « asymétrique » de Matte Blanco (1981), dont la première correspond au niveau inconscient, et la seconde au niveau conscient, Cancrini (1987) propose de situer la métaphore dans un espace intermédiaire entre deux logiques (peut-être à un niveau préconscient de l'expérience psychique) et représente la « consonance » entre « les métaphores internes » du thérapeute et celles du patient. Elle permet à ce dernier de reconstruire les messages métaphoriques du thérapeute, et l'aide à activer des processus de réélaboration personnelle en surpassant certains de ses mécanismes de défense. La métaphore, par son pouvoir « d'évocation » (non explicative), a l'avantage de « faire allusion » au niveau préverbal et inconscient, sans prétendre expliquer ou expliciter ; ainsi, elle peut d'un côté éluder certains mécanismes de défense, tout en ouvrant d'un autre côté, des espaces de traduction plus libre et « créative » pour celui à qui elle s'adresse. Les aspects thérapeutiques fondamentaux de la métaphore se manifestent donc par son isomorphisme avec les problématiques psychologiques du patient, ses caractéristiques d'allusion qui permettent de contourner les résistances, et surtout par l'activation des ressources créatives du sujet. Nous verrons maintenant comment de tels aspects se reflètent en particulier dans la psychothérapie systémique, dans le cadre des rencontres avec les groupes familiaux. 4. Utilité de la métaphore en thérapie familiale. L'usage de la métaphore a toujours trouvé une large place en thérapie familiale. De grands cliniciens comme Carl Whitaker et Salvador Minuchin ont souvent fait de la métaphore un pilier de leur technique pour conduire la thérapie, construisant des séances de grande intensité émotionnelle. Du reste, le symptôme même du patient désigné exprime souvent, de manière métaphorique, un malaise personnel ou familial qui ne peut être explicité autrement. C'est justement dans sa dimension métaphorique que le symptôme propose l'exigence double et paradoxale de « dire », et en même temps, « de ne pas dire », de « changer », et en même temps « de ne pas changer » . Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 5/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique En restituant au symptôme le sens de métaphore de la souffrance familiale, le thérapeute familial permet de voir les choses de manière neuve, en respectant pourtant dans le cadre métaphorique commun, les caractéristiques d'allusion et de nouveaux champs possibles. Mais, souvent, ce sont les patients eux-mêmes qui enseignent aux thérapeutes familiaux l'usage des métaphores. La patiente boulimique avec vomissements auto-induits, qui se désigne comme « la décharge émotionnelle de la famille », ne pourrait définir de manière plus efficace le sens métaphorique de son symptôme et ses corrélations implicites avec la dynamique familiale. L'utilisation de la métaphore a donc une longue tradition dans le champ de la thérapie familiale. Mais elle a certainement trouvé une place spécifique et une importance particulière, dans le cadre de l'évolution épistémologique que la psychothérapie systémique a présenté ces vingt dernières années. A. La métaphore dans le cadre du renouvellement épistémologique de la thérapie systémique Nous savons à quel point la pensée systémique a connu des influences culturelles multiples dans ses principes théoriques comme dans ses applications thérapeutiques durant ces vingt dernières années. Comme dans d'autres domaines de la pensée scientifique, ces différents courants ont favorisé un profond renouvellement épistémologique. Je tenterai d'en relever trois aspects essentiels, et de mettre en évidence ce qu'a apporté en particulier à chacun d'eux, l'utilisation de la métaphore : • Un premier aspect concerne l'abandon des modèles homéostatiques, centrés sur le concept de stabilité du système et sur l'étude des interactions observables, en faveur de modèles évolutifs et constructivistes : les modèles évolutifs réintroduisent la dimension du temps et de l'histoire dans un système qui, autrement, risquerait d'être aplati de manière réductrice au niveau purement synchronique de l' « ici et maintenant » ; les modèles constructivistes abandonnent la conception mécanique du système considéré comme un agrégat de configurations d'interactions plus ou moins répétitives et rigidifiées (conception influencée par la cybernétique de premier ordre, encore pleine d'implications comportementalistes), et mettent l'accent sur les motivations, l'intentionnalité, et les attributions subjectives de sens qui caractérisent et justifient l'agir humain. Avec ce déplacement de l'attention de la pragmatique des interactions observées à la sémantique des comportements, les thérapeutes familiaux se retrouvent devant cette « boîte noire » que la première cybernétique avait considérée comme dépourvue d'importance ou insondable, ils traitent à un niveau plus profond et caché par rapport aux modèles interactionnels, un « monde familial interne » auquel les individus participent de manière intense, que nous pourrions appeler le « niveau mythique ». Mais ce niveau mythique qui est le « ciment émotionnel profond de la famille » fait de croyances et de sentiments partagés est largement préverbal et pas toujours conscient. On ne peut le décrire à l'aide des seules formes de la pensée logique, et donc il ne peut être suffisamment exploré. Voila pourquoi le langage métaphorique est particulièrement utile quand on tente d'accéder à ce niveau. De manière analogue à ce qui advient chez les individus, ici aussi, la métaphore qui est située dans un espace intermédiaire entre le conscient et l'inconscient, à un « point de conjonction » (cf. Lotman, 1980), entre la langue de la rationalité et la langue de l'imagination, évoque le mythe sans l'expliciter, et fait affleurer une « extrémité de l'analogie » (pour paraphraser Trevi), en permettant à l'autre de rester cachée pour le moment. De cette façon, non seulement elle réussit à éluder les résistances familiales mais elle permet aussi de faire émerger ce qui ne peut être « dit » . • Le second aspect qui caractérise le renouvellement épistémologique de la psychothérapie systémique consiste en la chute du mythe du thérapeute comme observateur externe et neutre (mythe véhiculé, au contraire, par la première cybernétique, en faveur d'une conception qui réintègre le thérapeute dans le système thérapeutique et le co-responsabilise dans la fonction de co-construire la réalité thérapeutique). On se réfère ici à ce qu'on appelle la seconde cybernétique (von Foester, 1981), et aux systèmes « auto-observants » et « auto-référentiels » de Maturana et Varela (1980), mais dont un précurseur fondamental fut déjà Bateson, avec Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 6/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique son concept de « psychiatrie réflexive ». Ce passage de la première à la seconde cybernétique ou plus spécifiquement d'une épistémologie de la description à une épistémologie de la construction a une importance particulière parce qu'elle touche directement la relation thérapeutique. En effet, si le thérapeute abandonne le mythe de la « neutralité » et de la « séparation », il perd non seulement la présomption d'une connaissance objective de la réalité thérapeutique considérée comme « vérité absolue », mais il doit aussi renoncer à la prétention de contrôler le processus thérapeutique et d'en prévoir le dénouement. Sa fonction prioritaire est d'introduire dans le système, des éléments de complexité majeure, d'augmenter le nombre de choix possibles plutôt que de maintenir au sein du système une vision univoque et stéréotypée de sa propre réalité ; cette dernière peut ainsi être reconsidérée, et le processus évolutif se remet dés lors en mouvement. Ce sera le système lui-même, qui « créera » les formes et les directions tout à fait imprévisibles de son propre changement. Ces considérations épistémologiques expliquent pourquoi, aujourd'hui en thérapie systémique, les attitudes thérapeutiques de type directif ou rigidement prescriptif, cèdent le pas aux comportements dialogiques (Elkaïm, 1995). La rencontre thérapeutique est perçue comme une rencontre de deux « narrations », celle du système et celle du thérapeute, entre lesquelles a lieu un échange continu d'informations pour permettre leur collaboration en vue de « construire » la réalité thérapeutique et de tisser une narration nouvelle et imprévisible. Ici encore, la métaphore joue un rôle particulier dans le travail thérapeutique. Quelle que soit sa construction (sous la forme verbale du « récit systémique », ou sous celle tout à fait analogique de la « sculpture familiale », par exemple), l'objet métaphorique » se situe dans la relation thérapeutique, au sein d'un espace intermédiaire entre le thérapeute et la famille. Nous retrouvons encore les qualités « médiatrices » de la métaphore, mais ici elles ont une importance particulière puisqu'elles ne concernent pas seulement les mondes internes, cognitifs et imaginaires du thérapeute et du système familial, mais aussi leurs relations. A partir du moment où elle est formulée, la métaphore n'appartient plus ni au thérapeute, ni à la famille : elle introduit un code entre eux, autour duquel commence, avec la participation de chacun, un processus dialogique d'élaborations successives. Non seulement l'objet métaphorique occupe un espace intermédiaire entre le thérapeute et la famille, mais de plus il y reste sans se disperser : étant un message complexe qui introduit une série d'allusions analogiques et crée un climat émotionnel particulier, il se maintient dans l'espace thérapeutique comme un « objet flottant », pour utiliser une expression chère à Caillé (Caillé & Rey, 1994), auquel autant la famille que le thérapeute peuvent faire référence. L'objet métaphorique reste une trace constante (un fil rouge) dans le processus thérapeutique, permettant des allusions continuelles aux métaphores et aux symboles utilisés. C'est pourquoi tout autour de lui, s'active une « construction à deux » à laquelle participent tant la famille que le thérapeute. Ce « lieu intermédiaire », rendu praticable par la métaphore, apparaît donc comme un « espace de liberté » pour le thérapeute qui y trouve des voies utiles pour éluder les résistances et les craintes, et comme un « espace de créativité » pour la famille qui est stimulée à redécouvrir ses propres ressources et à rechercher de nouvelles solutions. • Le troisième aspect marquant l'évolution épistémologique de la Psychothérapie systémique, se situe dans l'optique de la complexité (Morin, 1977 ; Bocchi & Ceruti, 1985). Celle-ci propose l'existence dans toute réalité humaine, d'une multiplicité complexe de niveaux qui, bien que conservant leur autonomie, s'influencent toutefois sur un mode circulaire, et présentent des points d'intersection. Alors que les modèles réducteurs ont habituellement pris en considération ou privilégié un seul de ces niveaux au détriment des autres, une perspective de la complexité tente au contraire de rétablir entre ces niveaux multiples, des rapports non pas d'opposition antinomique mais de complémentarité. Elle tente donc de récupérer non pas le sens holistique d'une « totalité » impossible à atteindre - mais plutôt le sens de l'articulation complexe de la réalité humaine (cf. Onnis, 1988,1989,1998). Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 7/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique De ce point de vue également, la métaphore acquiert aujourd'hui une valeur et une importance particulières en psychothérapie systémique. Son caractère allusif, le climat de résonances émotionnelles qu'elle suscite chez les individus et dans la famille, font qu'elle se transforme en un point d'agrégation autour duquel s'entrecroisent des vécus personnels singuliers et des mythes familiaux, des interactions agies dans l' ici et maintenant et des événements de l'histoire, dimensions du présent, héritages du passé, et perspectives futures. L'objet métaphorique devient alors le noyau d'une trame autour de laquelle s'entrecroisent et se tissent de multiples fils (la parole, « complexus », comme nous le rappelle Morin, signifie justement maintenu(s) ensemble dans un tissu unique). B. Le langage métaphorique en thérapie Quelles sont les modalités d'utilisation du langage métaphorique en thérapie ? Elles sont naturellement multiples, comme le sont les métaphores auxquelles on se réfère. Mais, si nous nous limitons aux modalités plus structurées de l'usage thérapeutique de la communication métaphorique, leur nombre se restreint, même si les choix des thérapeutes restent largement ouverts (on pourra trouver une description intéressante d'une série d'« objets flottants » et de leurs applications chez Caillé & Rey, 1994). En voici trois exemples particuliers, choisis parmi d'autres : • L'utilisation de la fable et du conte systémique (selon la définition de Caillé & Rey, 1988) dans lesquels les relations et les problèmes familiaux sont reproposés sous forme de fable, et attribués, dans un espace et un temps différents, à une famille imaginaire qui est, mais pourrait aussi ne pas être, la famille en thérapie. Une telle réélaboration sur le mode de la fable est structurée de façon à mettre métaphoriquement en évidence le niveau « mythique » ou « modèle fondateur » qui influence l'organisation familiale et ses dynamiques. • L'utilisation de la chaise vide sur laquelle peut être placé métaphoriquement le problème de la famille ou le symptôme du patient (procédé que M. White, 1990 appelle « externalisation »), ou la représentation « mythique » que la famille ou le couple ont d'eux- mêmes (le « plus un » de Caillé, 1990), ou encore le rappel de l'absent (le « tiers pesant » de Goldbeter, 1999), voire un autre objet métaphorique. • Les sculptures familiales qui consistent à demander à chaque membre de la famille de donner une représentation visuelle et spatiale de l'image qu'il a de cette famille, à travers la disposition des corps dans l'espace, les physionomies, les postures, le jeux des rapprochements et des distances, la direction des regards. Il s'agit d'une représentation tout à fait analogique et non-verbale. Quand la sculpture est réalisée, elle peut être suivie d'un commentaire de chacun sur son vécu. L'utilisation de la sculpture relève d'une tradition en thérapie familiale, et différents modèles en ont été proposés (Satir, 1972 Duhl & Kantor, 1973 ; Papp, 1976 ; Caillé 1985). Notre groupe de recherche a élaboré et appliqué une méthode particulière d'utilisation des sculptures familiales que nous appelons « sculptures évolutives » ou « sculptures du temps » (voir Onnis et al., 1990, 1994, et Onnis, 1996a, 1992, 1996b). En voici quelques détails, afin que l'on puisse mieux comprendre son application dans le cas clinique qui sera présenté par la suite : on demande à chaque membre de la famille de faire deux sculptures : la première est une sculpture du présent qui représente la famille comme le « sculpteur » la voit actuellement, dans la phénoménologie des interactions en acte ; la seconde est une sculpture du futur, et montre la famille telle qu'elle sera dans le futur selon le « sculpteur », telle qu'il l'imagine dans dix ans par exemple. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 8/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique L'utilité de cette méthode apparaît dans le fait que tenter de réintroduire dans le système familial la dimension diachronique du temps par le biais de la comparaison entre les images du futur et du présent, met en évidence le blocage évolutif du système. En même temps, cette technique fait émerger les « mythes » et les « fantasmes » de la famille : mythes d'unité familiale à défendre à tout prix, accompagnés de manière spéculaire par des fantasmes de rupture tels, que tout processus d'individualisation et d'autonomie déclenche des peurs de désagrégation irréversible et de fin. Cette méthode trouve un terrain d'application privilégié dans le travail thérapeutique avec les familles présentant des troubles psychosomatiques. En effet, dans de telles situations, le langage analogique de la sculpture entre en syntonie avec le langage d'un symptôme qui, en s'exprimant à travers le corps, est lui même tout à fait non-verbal et analogique. De façon générale, les sculptures évolutives ouvrent au thérapeute un terrain extrêmement riche d'images métaphoriques proposées, dans ce cas, par la famille elle-même et qu'il peut, à son tour, restituer pour permettre de nouvelles lectures possibles de la situation. C. La narration analogique L'influence des paradigmes constructivistes sur la Psychothérapie systémique comme sur d'autres formes de psychothérapie a ramené au premier plan le sujet, la perception et la représentation personnelle qu'il se donne de sa propre expérience. Celle-ci n'est donc pas constituée par les réalités « objectives » mais par les attributions de sens qui s'y réfèrent, les vécus émotionnels qui les accompagnent, et les contextes socioculturels auxquels elles appartiennent. En un mot, il s'agit ici de la façon dont chacun se narre à lui-même et aux autres sa propre expérience. C'est la « narration » qui organise la structure de l'expérience humaine. Porté par des courants cognitivistes, le concept de narration a été intégré dans l'épistémologie systémique ; il met en évidence comment notre façon d'entrer en contact avec le monde, de construire notre Moi, notre identité et d'en permettre l'évolution, a lieu à travers l'élaboration et la réélaboration d'histoires qui se dénouent au cours de notre existence. Bateson (Bateson & Ruesch, 1968) avec sa grande intuition, avait déjà souligné de manière anticipée que « penser en termes d'histoires doit être commun à l'esprit entier et à l'entièreté des esprits ». On introduit également en thérapie un « paradigme narratif » qui définit la rencontre thérapeutique comme une rencontre de narrations multiples, construites par les protagonistes. Le changement thérapeutique devient alors la possibilité de « re-narrer » l'histoire, de construire une nouvelle narration qui se développe à travers le dialogue thérapeutique. Mon objectif n'est pas de m'arrêter au concept de « narration » en psychothérapie systémique, vu l'ampleur de la littérature disponible à ce sujet et étant donné que ceci m'éloignerait du propos de cet article. Je voudrais seulement souligner ici que très souvent, le concept de narration a été associé littéralement à l'usage du langage verbal, et donc à la médiation de la parole en tant que produit de la pensée rationnelle. Or, tout le discours sur l'utilité de la métaphore en psychothérapie systémique me semble plutôt ouvrir une autre voie celle de l'usage d'un langage différent, qui se réfère plutôt à l'imagination, au symbolisme, à l'affectivité, c'est-à-dire au vaste domaine de la communication « analogique ». Voila pourquoi il me semble légitime de désigner ce type de narration comme une narration analogique. Que les métaphores soient proposées par le thérapeute (comme c'est le cas par exemple, dans les fables ou le conte systémique) ou qu'elles soient représentées par la famille (comme dans les sculptures), une trame narrative commence alors à se construire, à travers le dialogue ; la référence métaphorique y reste le fil conducteur et l'histoire racontée et réinterprétée, y maintient une « structure analogique ». Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 9/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique En particulier, quand la famille « se raconte » à travers la succession des sculptures familiales, dans un jeu fascinant d'interrogations et de réponses totalement non-verbal, où au premier plan se retrouve l'image, avec les résonances qu'elle suscite, alors la narration (on ne peut nier en effet qu' il s'agit de narration ) est tout à fait et entièrement analogique. C'est ce que nous verrons à présent dans le cas clinique qui suit. 5. La famille de Maurizio : quand le poids des mythes peut couper le souffle A. Le problème Maurizio est un garçon de treize ans qui souffre depuis l'age de six ans, d'une forme chronique d'asthme. Aucun traitement pharmacologique ni aucun vaccin n'a jamais réussi à améliorer, sinon transitoirement, son état qui fut finalement défini comme médicalement intraitable. C'est pour ce motif, et pour explorer les éventuelles implications émotionnelles et relationnelles de la maladie, que nos collègues de la Clinique Pédiatrique de l'Université, avec qui nous collaborons fréquemment, nous l'envoient pour une thérapie familiale. La famille se compose du père, Massimiliano (36 ans), électricien, de la mère, Luisa (33 ans), ménagère, de Maurizio qui est en troisième année d'enseignement secondaire et de sa soeur cadette, Gabriella (9 ans), qui fréquente l'école primaire. La famille, agréable et disponible, montre cette image typique d'harmonie et d'accord, fréquente dans ces cas de troubles psychosomatiques. Les enfants s'assoient habituellement entre les parents Maurizio à coté de la mère, Gabriella plus proche du père. Les premières séances de la thérapie sont consacrées à la récolte d'informations sur le symptôme et sur la manière dont la famille s'organise pour l'affronter ; on y aborde également la reconstruction des histoires familiales. B. Les histoires trigénérationnelles Luisa a une histoire très douloureuse. Elle n'a jamais connu son père qui, avant sa naissance, a abandonné sa mère alors qu'elle était sans travail et alcoolique. A l'age de quelques mois, elle est confiée à un institut où sa mère vient rarement lui rendre visite, ce qui crée chez Luisa un douloureux sentiment d'abandon. Lorsqu'elle a 12 ans, sa mère lui propose d'aller vivre avec elle dans une chambre louée chez une famille. Luisa accepte de bon gré, mais, deux ans plus tard, la mère disparaît de nouveau mystérieusement. Luisa vit une nouvelle expérience d'abandon encore plus dramatique, et la famille qui la loge, prise de compassion, décide de l'adopter. A 17 ans, Luisa rencontre Massimiliano, son futur mari, qui troublé par son histoire douloureuse, lui propose d'aller vivre dans sa propre famille, où de nouveau, Luisa est accueillie comme une fille adoptive. Un an plus tard, Massimiliano et Luisa se marient. La famille de Massimiliano est totalement différente de celle, pratiquement inexistante, de Luisa. C'est une famille très enchevêtrée et unie, dans laquelle les parents continuent à être le point de repère pour les enfants même après le mariage de ceux-ci : les familles de Massimiliano et de sa soeur vivent en outre dans des appartements contigus à celui des parents (qui accueillent régulièrement les enfants et petits-enfants à l'heure des repas), constituant un « vrai centre » de la vie familiale, comme le définit Massimiliano. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 10/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique Dans cette famille, Luisa qui fut d'abord accueillie en « fille adoptive », a des difficultés à sortir de ce rôle, bien qu'elle soit devenue la femme de Massimiliano et la mère de ses enfants. Du reste, le fait d'être issus de familles si différentes crée, ajouté à la confusion des fonctions et des rôles, une distorsion des attentes réciproques, ce qui a rendu la construction du couple très problématique dés le début. Le processus d'individuation que chacun des conjoints a réalisé par rapport à sa propre famille d'origine est encore si partiel que, comme le soutient Bowen (1978), chacun d'eux tend à trouver chez l'autre la compensation de ses besoins irrésolus. Luisa qui n'a pas eu de père, établit une sorte de dépendance filiale par rapport à Massimiliano, et manifeste des attentes de protection paternelle auxquelles il a peine à répondre parce que lui-même, dans sa famille, se retrouve en position de fils. Cette absence de réponse est vécue par Luisa avec un sentiment d'abandon et des réactions dépressives, car elle entre en résonance avec les nombreuses expériences d'abandon déjà subies antérieurement. C'est dans de telles situations que la « triangulation » d'un des enfants permet fréquemment de combler les sentiments de vide affectif, et de stabiliser l'homéostasie du système en en renforçant les tendances à la cohésion et à l'unité. La « construction des mythes d'unité », auxquels tous participent comme nous le verrons, semble répondre dés lors au besoin souvent inconscient de se défendre contre la douleur permanente mais nécessaire, de définir les relations interpersonnelles, de mettre des limites entre générations et individus, et enfin d'élaborer les angoisses de séparation. Maurizio paraît avoir joué ce rôle d'enfant « triangulé » très précocement. Ce n'est sûrement pas par hasard que la première grande crise d'asthme coïncide avec le « choc émotif » subi par Luisa lorsqu'elle apprit, à l'improviste, la mort de sa mère avec qui le contact était inexistant. Depuis lors, les réactions dépressives de Luisa et les crises d'asthme de Maurizio se répètent et s'accompagnent à une fréquence qui varie selon les années. Les informations recueillies à partir de ces histoires familiales, nous permettent de formuler des hypothèses sur la nature de la souffrance familiale et sur le sens et la fonction du symptôme. L'observation directe des modèles d'interaction et des séquences communicationnelles, aide à découvrir les alliances et les triangulations. Mais ce qui reste caché et enfoui, c'est le niveau mythique qui requiert des méthodes d'enquête particulières. Nous y avons consacré la phase intermédiaire de la thérapie. C. Le travail avec les « sculptures du temps » L'exploration des mythes familiaux, en particulier lorsqu'il y a trouble psychosomatique, peut être facilement réalisée à l'aide l'utilisation d'un langage thérapeutique homogène par rapport à celui du symptôme, lequel s'exprime dans le corps : nous proposons donc à la famille, le recours à un langage non-verbal et analogique pour qu'elle se représente métaphoriquement sous la forme de « sculptures familiales ». Cette représentation faite à partir d'images et de métaphores, permet d'exprimer même ce qui n'est pas accessible à la parole, et favorise l'émergence du « non-dit », c'est-à-dire du « mythe » de la famille. L'aspect original du modèle élaboré par notre groupe est caractérisé par la dimension temporelle des sculptures ; ce sont des « sculptures du temps » : nous demandons à chaque membre de la famille de faire deux sculptures, l'une du présent et l'autre du futur. Nous tentons ainsi d'explorer et de réintroduire la dimension du temps dans un système qui semble l'avoir perdue. Et c'est justement ici, dans la confrontation entre ces deux représentations, que se dévoile l'aspect mythique de ces familles : la tutelle à tout prix de l 'unité familiale sous la forme d'un blocage de toute possibilité évolutive, et d'un arrêt du temps. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 11/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique Mais retournons à la famille de Maurizio. Il est utile d'évoquer rapidement trois des sculptures proposées par les membres de la famille ; en effet, elles permettent de mieux mettre en évidence à la fois le niveau mythique, et la relation souvent difficile et contradictoire qui existe entre le mythe familial et l'identité individuelle. Quand Maurizio fait la sculpture du présent, il place les membres de la famille serrés dans un cercle. Ils se donnent tous la main, et dans ce cercle, Maurizio réintègre la mère qui, dans sa propre sculpture du présent, s'était placée en position marginale et isolée par rapport à la famille et au père. A présent, c'est Maurizio qui maintient les parents unis, en serrant leurs mains, et en regardant tous les membres de la famille : « Je les regarde tous les trois » souligne-t-il. Mais dans un cercle trop étroit où l'on peut manquer d'air, l'effort de regarder tout le monde est trop dur et provoque un malaise dont Maurizio réussit à parler dans les commentaires qui suivent la sculpture. Dans la sculpture du futur, Maurizio représente une tentative de sortir du cercle : il s'imagine dans un espace de travail propre, et place ses parents assis l'un à coté de l'autre, en train de regarder quelque chose qui a pris sa place entre eux : un album de photographies du temps où lui et sa soeur Gabriella, qui a 9 ans actuellement, étaient enfants. C'est une tentative de signaler un temps qui passe mais qui laisse en cadeau des souvenirs et de l'affection. La réaction des parents, lors des commentaires qui suivent cette sculpture, indiquent la peur et un « sentiment de fin » : le père fait allusion à des dangers menaçants, et la maman parle de mélancolie qui provoque un « noeud dans la gorge », lequel nous paraît présenter une analogie et une résonance évidentes avec les difficultés respiratoires de Maurizio. Enfin, ce que révèle la dernière sculpture du futur est particulièrement significatif : Gabriella y représente un scénario rassurant, dans lequel l'unité familiale se recompose et la fidélité au mythe triomphe : la mère, au centre de la scène, le bras tendu et le doigt pointé vers son fils, impose à Maurizio de finir un devoir, et tous autour de lui sont occupés à différentes tâches. D. Les mythes et les fantasmes familiaux Quels sont les messages que nous transmettent ces images ? Premièrement, les « mythes d'unité à tout prix », les « fantasmes de rupture » sont là, représentés dans ces scènes, devant nos yeux, comme si ces mythes et fantasmes, en se séparant finalement du corps du patient, pouvaient eux-mêmes prendre corps en se matérialisant dans la salle de thérapie. Et à travers ces représentations, commence un dialogue entre les membres de la famille. Chacun propose sa vision spécifique de la réalité familiale présente et future, de son point de vue personnel, mais en même temps, une trame subtile tissée de résonances, de messages, et de réponses, va s'inscrire à l'intérieur d'un langage commun qui émerge des différentes sculptures : le langage du mythe de la famille, de l'appartenance familiale. Maurizio ressent son devoir d'être le « garant » de l'unité familiale, quand métaphoriquement, il se place au centre du cercle de la famille, manifestant ainsi sa fidélité au mythe. Mais dans la scène du futur, il réussit à exprimer son besoin personnel de sortir d'un cercle trop étroit, laissant entre autre un lien affectif symbolisé par un objet fait de souvenirs vivants. Mais devant les fantasmes de catastrophe et de fin, les sensations de rupture irréversible que l'image de ce Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 12/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique détachement provoque, la loyauté au mythe familial s'impose à nouveau. C'est Gabriella qui proposera dans sa scène, le cercle de l'unité familiale, accordant métaphoriquement au geste impératif de la mère le sens d'un avertissement : « Tout le monde doit remplir son devoir », lequel est essentiellement un devoir de fidélité. On peut donc noter comment, à partir du dialogue métaphorique qu'activent les sculptures entre les membres de la famille, émerge un fait fondamental : ils participent tous, collectivement, à la construction et au maintien du mythe familial, un mythe si dominant et contraignant dans ses liens rigides d'appartenance, que l'identité individuelle risque d'en suffoquer. Dans ce dialogue entre les membres de la famille, avec les émotions intenses qui l'accompagnent, une narration se développe, qui a les caractéristiques d'une narration analogique. E. L'intervention thérapeutique À un autre niveau, la forme analogique des sculptures permet aussi l'établissement d'un nouveau dialogue entre le thérapeute et la famille. Le thérapeute en effet, doit surtout savoir recueillir ses ressources et exigences quand il explore le mythe familial - « sujet transitionnel collectif » comme le définit André Green (1980)- à travers lequel se joue la dialectique souvent douloureuse, entre identité et appartenance. Le thérapeute doit entrer avec respect dans cet espace transitionnel, sans être directif ni excessivement interprétatif mais plutôt en créant les conditions pour que la famille et ses membres puissent donner eux-mêmes leurs propres représentations. Dans le cas de la thérapie de Maurizio, après les sculptures familiales qui constituent déjà par elles-mêmes une forme d'intervention, le thérapeute s'est limité à restituer à la famille les indications métaphoriques qu'elle- même a proposées. Il les a reliées à une nouvelle trame de significations (semblable à une mosaïque recomposée), pour que le symptôme de Maurizio acquière le sens dune métaphore du malaise familial et que des visions alternatives de la réalité puissent émerger. La phase finale de la thérapie est consacrée plus particulièrement à un travail avec le couple des parents, et permet progressivement aux conjoints d'exprimer leurs insatisfactions réciproques et leurs attentes déçues, d'en comprendre le sens en activant de nouvelles ressources pour déboucher sur une définition plus mûre de leur relation. Au fur et à mesure que le climat affectif s'améliore et que les émotions peuvent circuler plus librement, la fréquence des crises d'asthme de Maurizio diminue jusqu'à leur disparition presque totale durant le dernier mois de la thérapie. Ceci permit aux pédiatres de réduire les doses de médicaments. La thérapie de la famille de Maurizio a donc permis d'obtenir des résultats satisfaisants, mais ce n'est pas cela que je voudrais aborder dans le commentaire final. 6. CONCLUSIONS Je voudrais terminer par certaines considérations en particulier sur le modèle des « sculptures évolutives ». Ce modèle propose une série d'objectifs au travail thérapeutique : explorer la dimension du temps dans une famille qui semble l'avoir perdue et mettre en évidence le « blocage évolutif », mais aussi les potentialités latentes de reprise du processus de croissance. En outre, il fait émerger et articule une pluralité de niveaux systémiques, de vécus subjectifs individuels (chacun présente l'image personnelle qu'il a de la famille et exprime ses émotions propres), et de mythes familiaux partagés : le langage commun va souvent, dans un jeu subtil d'échos et de réponses tout au long des différentes sculptures, définir les valeurs et substrats émotionnels partagés, autour desquels se structure l'appartenance systémique. Le modèle des sculptures permet enfin d'impliquer aussi un autre niveau essentiel : celui de la relation Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 13/14 Le langage métaphorique et non verbal en psychothérapie systémique thérapeutique. Toute la narration qui se développe au cours du processus, entre les membres de la famille comme entre la famille et le thérapeute, tourne autour des contenus métaphoriques de la sculpture et prend la forme d'une « narration analogique ». C'est justement le langage analogique qui la caractérise, qui stimule et active la liberté de créativité de la famille et du thérapeute, en ouvrant un espace où elle peut s'exprimer. Ces considérations finales me reconduisent au thème central de cet article : le sens de la métaphore en thérapie systémique. Je crois en fait, que l'utilisation du langage métaphorique, dans ses aspects évocateurs et parfois brillants, peut se situer dans une dimension esthétique. Mais celle-ci n'est jamais gratuite. En favorisant justement l'ouverture d'espaces de liberté et de créativité, elle se branche sur une éthique qui selon von Foester (1991) est « l'agir de façon à accroître toujours le nombre des choix possibles ». Ceci devrait toujours être la finalité de toute psychothérapie. Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 14/14