Le Musée Jacquemart-André
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Le Musée Jacquemart-André
Palais et jardin des Tuileries à la fin du 17ème s. Le Musée Jacquemart-André (sortie régionale Paris Ile de France, mardi 15 janvier 2013) Pour notre sortie d’hiver, ce 15 janvier 2013, nous nous sommes d’abord réunis dès 12h00 au restaurant "Le Relais Haussmann" autour d’une cuisine traditionnelle agrémentée pour chaque plat d’une belle sélection de verre de vins dont, Christophe, le patron a le secret... A 14h30, nous y retrouvons, Mélanie, notre guide, pour le café, puis pour visiter le musée Jacquemart-André à 50 mètres de là. Ce musée n’est autre que la demeure d’Édouard André, riche héritier d’une famille de banquier, construite dans l’unique but de réunir une collection d’objets d’art. Le bâtiment, en lui-même, est un hôtel particulier commandé à Henri Parent, architecte, en 1875 dans une architecture historisante. Il est construit en retrait du boulevard Haussmann, ce qui est rare à cette époque. Il est muni à l’arrière d’une pente douce permettant l’accès aux voitures et le fond de la cour est agrémentée d’un mur "Renard" donnant l’impression que la propriété est très grande et vaste. La cour de l’Hôtel : La grandeur de l’Hôtel André se mesurait à l’époque par l’ampleur donnée aux écuries. Le manège se déployait en effet sur une superficie de 250 m², sous un dôme vitré à charpente métallique. Il communiquait sur les cotés avec une grande sellerie, des remises pour 13 voitures, et de longues écuries, abritant 14 chevaux, disposées le long d’une ruelle vitrée qui donnait un accès direct sur la rue de Courcelles. Il y avait également une entrée secondaire, qui donnait sur le square de Messine, aujourd’hui rue du Docteur Lanceraux. Ces bâtiments ont été détruits en 1970. La cour, quant à elle, a été aménagée avec beaucoup de soin, pour offrir un second jardin. La verrière de l’entrée du musée a été démontée pour des raisons de sécurité. Le sol étant trop meuble, la structure en fer devenait chancelante et menaçait de s ’écrouler. L’ancienne marquise : Au moment où la construction fut achevée, l’hôtel disposait d’un vestibule en avant-corps donnant sur la cour, et appelé marquise. La particularité de cette architecture était d’être formée de pièces métalliques. Aménagée en véranda, elle était comme un second jardin ; en même temps, elle formait une véritable pièce à part qui permettait d’entrer à ciel ouvert dans l’hôtel. Quatre lions de marbre blanc encadrent l’accès, dont deux ont été achetés en Italie en 1893 à la Villa Contarini. A l’époque, cette marquise était décorée de nombreuses œuvres d’art. Des lampadaires de bronze donnant un éclairage nocturne au gaz étaient installés dans la cour et permettaient d’avoir une vue d’ensemble de l’hôtel même la nuit. Édouard André est issu d’une famille de banquier protestante depuis le XVIème siècle. Il est guide dans la garde impériale de Napoléon III. En 1864, à la mort de son père, il reprend son poste de député du Gard. Comme dans beaucoup de famille riche de cette époque, il faut montrer que l’on est amateur d’Art en œuvrant dans le mécénat. Il achètera des ensembles d’œuvres traditionnelles et sera Président de l’Union des Beaux Arts. Édouard André est un homme patient, il sait attendre quant il veut tel ou tel objet que celui-ci soit disponible. Nélie Jacquemart est quant à elle, issue d’un milieu modeste catholique. Elle est peintre et notamment portraitiste (elle fera son autoportrait). De ce fait, elle côtoie les familles royales et industrielles. C’est ainsi qu’elle rencontrera Édouard André. Il se marie en 1881. Ce sera un couple harmonieux sans enfant. Même si le mariage fut un mariage de raison, ils se sont trouvés dans leur amour de l’Art. Ils aimaient se retrouver dans la bibliothèque pour feuilleter ensemble les catalogues d’Art de l’époque. Après la mort d’Édouard en 1894, Nélie continue de collectionner en voyageant autour du monde. En 1902, alors qu’elle parcourt la Birmanie, l’Inde et la Chine, elle apprend que l’Abbaye de Chaalis est en vente. Elle interrompt son voyage pour rentrer précipitamment en France et acheter la demeure où elle a passé son enfance ! Elle se fera conseiller dans ses achats par les conservateurs des musées du Louvre et de Berlin. Pour apprécier la fortune du couple, il suffit de comparer leur budget (entre 224.000 et 548.000 F) avec celui du musée du Louvre de l’époque (200.000 F). A la mort de Nélie en 1912, l’Hôtel particulier est légué à l’Institut de France qui en est toujours propriétaire et en assure l’entretien et la restauration. Nous entrons dans ce musée par l’Antichambre, Mélanie nous précise : - le rez-de-chaussée était occupé par Édouard et Nélie, - le 1er étage était réservé aux proches qui venaient visiter leur musée, - chaque pièce de l’hôtel particulier représente un ensemble (tableaux, objets, mobilier...) de la même époque. L’Antichambre fut dénommée "salon des peintures" en raison de la qualité élevée des peintures qui la décoraient, pour la plupart des œuvres du XVIIIème siècle français. C’était le salon d’attente de l’hôtel particulier. Édouard André y regroupa un ensemble de peintures françaises du XVIIIème siècle, qu’il appréciait particulièrement. Ces œuvres sont d’ailleurs toujours présentes dans la pièce, afin de respecter le souhait des époux André. Dès l’entrée, les visiteurs étaient donc face au goût très sûr de leur hôte et aux joyaux de sa collection : "La Marquise d’Antin" par Nattier, "Les Attributs des Sciences et des Arts" de Chardin, mais aussi le mobilier, de style Régence et Louis XVI. Pour établir des liens entre les différentes peintures, Édouard André ajouta enfin des œuvres italiennes, telles les deux peintures de Canaletto ("le Pont du Rialto" et "La Place Saint Marc" à Venise) et demanda à ses restaurateurs de fixer au plafond une composition circulaire de la même école représentant "La Renommée et la Vérité apparaissant à Hercule". Les célèbres peintures de Canaletto ne sont pas au mur ! En effet, les deux œuvres sont pourtant toujours au musée mais en exposition temporaire présentée au 1er étage du musée sur "Canaletto – Guardi, les deux maîtres de Venise". Nous les verront tout à l’heure, après notre visite guidée. Elles sont remplacées, dans cette antichambre par les œuvres de Jan van Goyen : "Une église en ruines, au coin d’un bois de chêne" ( XVIIème siècle) et de Jan Wynants, "Paysage de dunes, avec troupeau de moutons et de chèvres" (XVIIème siècle). Le Grand Salon, appelé à l’époque le "salon ovale", en raison de ses lignes courbes chères au XVIIIème siècle, faisait partie des pièces de réception où les époux André accueillaient leurs invités. Afin de créer un vaste ensemble pour recevoir, la cloison donnant sur le Salon des Peintures a été montée sur vérins hydrauliques pour être escamotable dans le sous-sol, quant à la cloison correspondant avec le Salon de Musique, elle coulisse sur le coté. L’ensemble pouvait ainsi accueillir près de 1000 personnes ! Pour rester dans le style du salon d’attente, Édouard André le décora avec des meubles de style Régence. Il acheta également une partie des boiseries de l’hôtel Samuel Bernard et les fit remonter. Le plafond représente une fresque de Tiepolo. Il installa enfin une série de bustes représentatifs des maîtres de l’École française du XVIIème et XVIIIème siècles, fidèle en cela à la tradition des galeries d’antique ou d’ancêtres qui se trouvaient dans les châteaux. Nélie André rajoutera plus tard de magnifiques vases ramenés de Chine. Ce grand espace communique également avec le "Salon des Tapisseries" dont les murs sont recouverts de tapisseries de Beauvais, mais actuellement en restauration. Nous entrons maintenant dans un petit salon intitulé "Cabinet de Travail": Les époux André y recevaient leurs rendez-vous d’affaires. Ils y avaient placé les œuvres qu’ils appréciaient le plus, comme un tableau de Fragonard ou de Greuze. De plus le mobilier était exceptionnel, avec le bureau estampillé Dubois d’origine royale, une commode et un bureau en laque japonaise. Le "Boudoir" espace dévolu à Nélie. Il n’en reste que l’alcove accueillant la baignoire (salle de bains et chambre transformée ensuite en boudoir). Le style est Louis XVI et impératrice du 2nd empire comme en témoigne un magnifique secrétaire... La "Bibliothèque" accueille : - des œuvres des Maîtres flamands et hollandais du XVIIème siècle : Rembrandt, Van Dick, Ruysdael... - des vitrines d’objets d’Art de l’Antiquité égyptienne ramenés par Nélie... - des meubles en marquetterie et de laque japonaise à tiroirs secrets... Nous rentrons, maintenant, dans le salon de musique qui est certainement l’une des pièces de l’Hôtel particulier qui a le plus changé au cours du XXème siècle. Édouard André en avait fait une véritable pièce de réception, conçue pour accueillir de nombreux invités, y danser ou assister aux concerts qu’il organisait. A l’époque, un orgue Cavaillé-Coli qu’Édouard André aimait utiliser, était installé sur la mezzanine. Par la suite, la cheminée monumentale, qui décorait ce salon, fut démontée pour pouvoir accrocher un plus grand nombre de peintures, et quantité de bronzes et objets d’art furent disposés sur des consoles. Dès le legs, les exécuteurs testamentaires modifièrent son aménagement pour que le public puisse y circuler plus librement. Le salon de musique est une pièce volumineuse ouverte sur deux étages. Les musiciens étaient installés sur la mezzanine. Les peintures sont du XVIIIème siècle français. L’architecte, Henri Parent a réutilisé l’espace imposant par des brocard et cramoisis. Le plafond représente une allégorie des Arts peint par Pierre-Victor Galland (1822-1892) appelé "un Tiepolo français au XIXème siècle". Accolé au salon de musique se trouve "le fumoir" espace masculin (car on ne fume pas devant les dames) utilisé après le repas pour savourer un cigare et du brandy. Ce petit salon décoré à l’oriental par Nélie après la mort d’Édouard, présente la collection de peintures anglaises du XVIIIème siècle comme, Reynolds, Gainsborough et Lawrence... Nous arrivons maintenant au pied d’un magnifique double escalier de marbre c’est l’escalier d’honneur (qui sera rebaptisé escalier Tiepolo par les André en 1893) et "le jardin d’hiver". Il fut inspiré d’une mode anglaise qui s’était répandue dans la haute société parisienne, comme chez la princesse Mathilde ou encore chez Émile Menier, le "baron chocolat". Sous la haute verrière, très à la mode à l’époque avaient été installés palmiers, yuccas et fougères. La revue "l’Illustration" en rend compte en 1876 : "La merveille de ce palais merveilleux était sans conteste le jardin d’hiver(...). Nos grandes élégantes s’y étaient réfugiées pour éviter la foule. De semblables somptuosités ne sauraient être permises qu’à un souverain ou à un banquier." Au début du XXème siècle, Nélie Jacquemart y ajouta bas reliefs et bustes antiques collectés au cours de ses voyages autour de la Méditerranée. Mélanie nous invite à emprunter ce somptueux escalier pour découvrir les collections italiennes du premier étage. C’est en 1893, que les époux André rajoutent en haut de l’escalier une gigantesque fresque venue d’Italie : "La réception d’Henri III à la Villa Contarini" (1745), un chef d’œuvre de Giambattista Tiepolo (1696 - 1770). Élu Roi de Pologne en 1573, le futur Henri III décide de rentrer un an plus tard en France pour succéder à son frère Charles IX qui vient de mourir. En chemin, il séjourne à Venise pendant une douzaine de jours, où il reçoit un accueil grandiose. Au moment de quitter la Vénétie, il accorde une dernière faveur au procureur Federigo Contarini, en s’arrêtant dans sa villa à Mira sur les rives de la Brenta. En 1745, c’est le souvenir de cette visite qui sert de prétexte au peintre Giambattista Tiepolo pour décorer le vestibule de la Villa Contarini. L’artiste vénitien associe à cet évènement illustre la commémoration du mariage de Lucrezia Corner, adossée à la colonne de gauche, avec Vincenzo Pisani, devenu propriétaire de la villa, qui se tient en face d’elle. La fresque offre donc une double lecture, celle de l’évènement contemporain et celle, plus ancienne, de la visite du souverain. La fresque de la Renommée annonçant la visite du Roi Henri III (allégorie représentant la renommée embouchant une trompette pour annoncer l’arrivée du souverain) peinte au plafond du vestibule complétait celle-ci. Un siècle et demi plus tard, les époux André découvrent l’ensemble qui est alors à vendre et en décident l’acquisition pour leur hôtel parisien. Il faut huit mois, de mai 1893 à janvier 1894, juste avant la mort d’Édouard André, pour détacher les deux fresques, les transporter et les remonter dans l’escalier d’honneur des André (qui deviendra l’escalier Tiepolo), et au plafond de la salle à manger de leur hôtel (aujourd’hui le restaurant du musée). En 1998, les Assurances Generali acceptent de financer la restauration de la fresque murale qui restitue les qualités premières de la fresque, effet de trompe l’œil, illusionnisme, ampleur de la mise en scène et délicatesse de la polychromie qui nous permettent d’admirer désormais le plus bel ornement de l’hôtel. Nous traversons la mezzanine du salon de musique, en admirant de plus prêt le plafond de Pierre-Victor Galland et en appréciant mieux le volume de la pièce en contre bas. La pièce suivante, au dessus du salon rotonde du rez-dechaussée, est la première du musée italien de Nélie Jacquemart. Édouard André avait souhaité y installer un atelier de peinture pour sa femme; mais Nélie préféra renoncer à son métier et se consacrer aux projets de son mari. Ayant décidé de former une collection d’art italien, elle choisit de dédier cet étage aux pièces de cette école : "Notre musée dans notre hôtel" dira-t-elle. Nélie Jacquemart avait une sensibilité de décorateur plutôt que de conservateur, d’où la présentation qui va prendre le pas sur la cohérence historique. L’atelier sera réservé aux plus belles sculptures, les autres seront présentées avec les meubles et les objets dans la pièce suivante et les peintures seront regroupées dans la troisième chambre. Cette présentation rappelle celle de la Galerie Bardini à Florence, bien connue de Nélie Jacquemart. La "salle Florentine" (primitif italien du XVème siècle) sera aménagée par Nélie après la mort de son mari. C’est une sorte de sanctuaire autour du thème de la vierge à l’enfant. On y trouve, d’ailleurs, la célèbre vierge à l’enfant de Botticelli. La "salle Vénitienne" était beaucoup plus chargée qu’elle ne l’ai aujourd’hui. Certains meubles ont été poussés sur le coté pour être mieux protégé, d’autres œuvres plus fragiles, comme les tapis, ont été enlevés. La configuration de la pièce a donc été modifiée à l’exception des murs où l’accrochage est resté inchangé. Édouard André préférant l’art vénitien, lui et son épouse vont aménager cette salle avec des objets d’art et de nombreuses peintures de cette école. Ils présentent des chefs-d’œuvre de Carpaccio et de Bellini ainsi qu’une série de panneaux peints par Andrea Mantagna, le beau frère de ce dernier. Ce peintre de Padoue, savant et austère, surprend dans l’atmosphère colorée de cette salle. On y voit là le reflet de choix personnels de Nélie Jacquemart et la preuve qu’elle ne se laissait pas guider par des orientations académiques. Cette sélection montre le gout d’Édouard André et de Nélie Jacquemart mais surtout leur grande connaissance de l’Art italien. Avec ce musée, ils offrent aux visiteurs un projet esthétique inégalé aussi original d’un point de vue historique que muséographique. Au fond du premier étage, c’est l’exposition temporaire que nous traversons pour redescendre au rez-dechaussée où se trouvent les appartements privés des époux André. Bien sûr, nous nous attardons un peu sur les œuvres de Canaletto (1697- 1768) et de Guardi (1712- 1793), les deux maîtres de Venise et retrouvons le Pont du Rialto et la Place Saint Marc de Canaletto habituellement exposés dans le salon des peintures (antichambre) de l’Hôtel des André. Les appartements privés de la demeure se composent de trois pièces situées un peu à l’écart des pièces de réception, au rez-de-chaussée: L’antichambre, située entre les deux chambres à coucher, était le lieu de rencontre intime privilégié du couple. Chaque matin, ils prenaient leur petit-déjeuner, entourés de portraits de famille. Parmi ceuxci, figure en bonne place celui que Nélie fit d’Edouard en 1872 et qui fut l’occasion de leur première rencontre. Le souvenir d’Edouard André y est marqué. Des objets personnels comme le portefeuille de son père et le trombinoscope de l’Assemblée du temps où il était député, rappellent sa présence. La chambre de Monsieur : Sa chambre à coucher et la salle de bain attenante, refaites après sa mort, suggèrent de ce fait plutôt un intérieur de femme. Une commode transition, attribuée à B.V.R.B. (Bernard Van Risenburgh) y est présentée avec son buste en plâtre par Carpeaux. Malgré la ressemblance avec l’empereur, c’est bien d’Edouard André dont il s’agit, ultime témoignage de l’admiration et de la fidélité de Nélie pour son époux. La chambre de Madame : . Dans sa chambre à coucher, Nélie Jacquemart a choisi de revenir à l’ambiance du règne de Louis XV. Autour d’un grand lit de repos, elle installe des panneaux de boiserie ancienne et place quelques uns de ses plus beaux meubles, ainsi qu’une multitude de petites tables dont elle aime s’entourer. Les murs sont tendus de soieries lyonnaises et deux pastels y sont accrochés dont l’exceptionnel Portrait d’homme de Maurice Quentin de la Tour. Elle a fait construire sur la terrasse un petit salon en véranda, dont elle avait fait son bureau. Textes, commentaires et photos : Annie et Jean-Paul Gauchet avec l’aide de www.musee-jacquemart-andre.com