Vélibor Colic sur FDLM - Franc
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Vélibor Colic sur FDLM - Franc
ÉPOQUE | portraitS Avant le Congrès mondial des professeurs de français qui se tiendra à Liège du 14 au 21 juillet, Le français dans le monde dresse deux portraits de personnalités qui éclaireront les débats de leur présence. PAR BERNARD MAGNIER de franchir le pas et de s’exprimer directement en français. Résultat : Archanges, un roman cru et nu qui plonge à nouveau dans les folies de la guerre. Avec Jésus et Tito, publié en 2010, il nous plonge au cœur de son enfance passée sous la « tutelle » du maréchal Tito qui mène alors son pays vers le non-alignement mais avec un culte de la personnalité bien établi. Enfant, Velibor, dont le prénom signifie « grand sapin », envisage d’être footballeur, « noir et brésilien de préférence », ou poète, ou musicien, ou bien encore… communiste. L a guerre, ses violences inouïes, ses traumatismes durables, Velibor Colic l’a connue de très près lors du conflit qui a vu son pays, la Yougoslavie, s’embraser jusqu’à disparaître. Né en 1964 dans un village de Bosnie, il s’est en effet engagé dans l’armée bosniaque. Et n’échappe à cet enfer qu’en désertant avant de trouver refuge en France, en 1992, avec la complicité du Parlement des écrivains, lui qui avait déjà publié deux livres à Zagreb. Depuis, il n’a cessé de tenter, sinon d’oublier ce fracas, du moins d’en extirper la lancinante 08 Catholicisme vs communisme douleur. L’exercice littéraire s’est alors révélé salutaire. En France, à Strasbourg puis aujourd’hui à Douarnenez, en Bretagne, Velibor Colic a tout d’abord publié cinq livres, tous traduits du serbo-croate : Les Bosniaques et La Chronique des oubliés portent la trace des temps de guerre ; Mother funker est un polar âpre ; La vie fantasmagoriquement brève et étrange d’Amedeo Modigliani, consacré à l’artiste météore et Perdido, livre jazzy inspiré par le saxophoniste Ben Webster. En 2008, après plus de quinze ans de fréquentation quotidienne de la langue française, l’écrivain décide Cette dernière orientation est largement encouragée par son père, fidèle au parti, qui ne partage pas les inclinations catholiques de son épouse… « Un combat très serré, et une décision grave à prendre pour moi. Le délicieux cochon de lait pour Noël ou la parade pour l’anniversaire de notre Maréchal ?... Quand on mange bien c’est du catholicisme. Et si on n’a rien à manger, mais qu’on chante et danse, c’est du communisme. » Faute de réussite dans l’une et l’autre carrière, Velibor s’est tourné vers des études de lettres, puis vers le journalisme et a exercé ses talents dans le domaine musical, tout particulièrement le rock et le jazz, jusqu’au moment où la guerre emporte donc toutes ses attentes. © C. Hélie/Gallimard VELIBOR ČOLIĆ ET SON ŒUVRE TEL UN ABRI D’EXILÉ Avec Sarajevo omnibus, paru en 2012, le romancier dresse une savoureuse galerie de portraits de personnages, figures historiques ou proches parents, qui, tous, ont eu un lien étroit avec cette ville si impliquée dans la destinée du pays et de l’Europe, depuis l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand qui déclencha la Première Guerre mondiale jusqu’au plus récent conflit des Balkans. En 2014, il publie Ederlezi, la fabuleuse histoire d’un groupe de musiciens tziganes, fantasques et baroques, talentueux et imprévisibles, mais surtout doués d’un extraordinaire pouvoir de survie (voire de résurrection) qui les verra réchapper d’un camp de la mort lors de la Seconde Guerre mondiale, puis, plus tard, survivre au conflit yougoslave des années 90, pour se retrouver, enfin, en 2009, à Calais, parmi les migrants en quête d’une destinée meilleure. Ainsi, entre les traces brûlantes d’un conflit encore proche et les récits imaginaires frappés d’humour burlesque, l’écrivain déploie une œuvre teintée d’espoir et d’amertume, tel un abri d’exilé protecteur, pour mieux appréhender cette deuxième vie dont il nous fera découvrir les stratégies de survie dans son prochain livre, Manuel d’exil, au soustitre explicite : Comment réussir son exil en 35 leçons… n Le français dans le monde | n° 405 | mai-juin 2016 MARZENA SOWA ET SES GRANDS YEUX D’ENFANT © Chloé Vollmer Lo sera jalonnée par les noms de Jaruzelski, de Lech Walesa, « le monsieur moustachu qui n’a peur de rien », de Karol Wojtyla ou de Solidarnosc. Des bouleversements dont la petite fille ne comprend pas tous les enjeux mais dont elle pressent l’importance… Durant cette période, au cours de sa scolarité, Marzena a la possibilité d’apprendre une nouvelle langue et de choisir entre le russe, l’allemand et le français. Elle choisit le français. « Un choix qui a changé ma vie », dira-t-elle plus tard alors qu’elle pense, rêve et écrit désormais dans cette langue. L orsqu’elle était enfant, Marzena Sowa jouait au pape, comme ailleurs on peut jouer à la poupée ou au gendarme et au voleur. Cela consistait à enfiler une grande robe blanche de sa mère et faire une apparition devant ses copines sur le palier de l’ascenseur. Il faut dire qu’à cette époque Marzena vivait en Pologne d’où était originaire un certain… Jean-Paul II. C’est l’une des multiples anecdotes racontées par Marzena Sowa dans les six volumes de Marzi, une série en bande dessinée dont elle a écrit le scénario et dans laquelle elle retrace son enfance – de ses sept ans jusqu’aux années d’adolescence – dans la Pologne des années 80. Née en 1979 à Stalowa Wola, une ville minière et industrielle des Basses-Carpates au sud-est de la Pologne, Marzena est fille unique dans une famille qui va connaître la fin du communisme, la chute du mur de Berlin et dont l’existence De Pologne en Belgique En 2001, Marzena Sowa décide de quitter famille et pays et choisit la France où elle va suivre des études de philologie. Elle rencontre le dessinateur Sylvain Savoia qui, curieux et intrigué par les anecdotes qu’elle lui raconte sur son enfance polonaise, l’incite à écrire et développer son récit. Avant d’illustrer ses propos pour réaliser un premier volume de Marzi (Petite carpe), puis un deuxième (Sur la terre comme au ciel). Aujourd’hui, pas moins de six volumes sont édités sous le titre générique emprunté à son héroïne. Forte de cette première expérience, Marzena travaille avec deux autres dessinateurs et quitte la trame autobiographique afin d’explorer d’autres territoires. En 2013, avec N’embrassez pas qui vous voulez, illustré par Sandrine Revel, il s’agit de plonger au cœur du régime stalinien et d’en montrer, toujours à hauteur d’enfant, les interdits et les non-dits, les délations, les suspicions et les résistances… De sa collaboration avec le dessinateur polonais Gavron est né, en 2014, le Le français dans le monde | n° 405 | mai-juin 2016 premier volume de L’Insurrection consacré à la révolte des habitants de Varsovie durant la Seconde Guerre mondiale, avant l’arrivée des troupes russes qui plus tard s’attribueront volontiers la victoire. En 2015, nouvelle aventure, elle publie avec Aude Soleilhac, Histoire de poireaux, de vélo, d’amour et autres phénomènes, un album qui rompt totalement avec ses précédentes publications : la Pologne en est absente et il est question d’une histoire d’amour entre deux enfants dont les parents travaillent sur un marché français. Aujourd’hui, Marzena Sowa vit en Belgique. Elle s’est « installée » dans la langue française et entend poursuivre les aventures de Marzi. Elle ne s’imagine pas retourner en Pologne, même si elle ne cesse d’habiter avec ses mots, désormais français, son pays natal, cette terre et ce peuple avec lequel elle se montre « solidaire » et critique, et dont elle restitue la destinée avec une émotion grave, un humour tendre et une sensibilité à fleur de peau. n B2 FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur WWW.FDLM.ORG 09