roman - Lettres québécoises
Transcription
roman - Lettres québécoises
lettres québécoises revue fondée en 1976 FONDATEUR: Adrien Thério † DIRECTEUR : André Vanasse ADJOINT AU DIRECTEUR : Jean-François Crépeau COMITÉ DE RÉDACTION : Jean-François Crépeau, Michel Lord, Hélène Rioux, André Vanasse COLLABORATEURS : DES IMAGES, DES MOTS : François Cloutier ESSAI ET ÉTUDES LITTÉRAIRES : Carlos Bergeron, Michel Gaulin, Francis Langevin, Claudine Potvin LITTÉRATURE ET SPORT : Renald Bérubé POÉSIE : Hugues Corriveau, Rachel Leclerc, Jacques Paquin RÉCIT ET NOUVELLE : Sébastien Lavoie, Michel Lord, Yvon Paré REVUES : Carlos Bergeron lettres québécoises NUMÉRO 139 automne 2010 7 entrevue • Écrire : comprendre et dénoncer PA R M I C H E L B É L A I R Jean-Jacques Pelletier est le premier authentique auteur québécois de thriller à dimension planétaire. Il aura mis un peu plus de dix ans à créer sa saga des Gestionnaires de l’Apocalypse qui raconte rien de moins qu’une série de trafics et de complots, à l’échelle du globe, visant à mettre la main sur tout ce qui est essentiel à la vie — l’eau, l’air, la terre, le feu — et contrôler ainsi le sort de l’humanité. Dans son œuvre, multinationales en tous genres, consortium de mafieux, de financiers, de politiciens véreux et d’« hommes du secret », orchestrent la fin du monde à leur seul profit. Ça vous dit peut-être quelque chose ? Pour certains, Pelletier est l’homme du complot paranoïaque. Pour d’autres, c’est plutôt un créateur de mondes dérangeants de vérité et son œuvre, une critique virulente de ce qui se déroule déjà sous nos yeux… ROMAN : André Brochu, Normand Cazelais, Hugues Corriveau, Jean-François Crépeau, Marie-Michèle Giguère, Hélène Rioux JEAN-JACQUES PELLETIER 13 RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Michèle Vanasse dossier • Littérature québécoise en France : un flirt infini DIRECTION ARTISTIQUE : Alexandre Vanasse • ZIRVAL design PA R J E A N - F R A N Ç O I S CA R O N RESPONSABLE DE LA PRODUCTION : Michèle Vanasse Entre la France et le Québec littéraires se joue le jeu d’une relation de charme, un flirt qui dure depuis les balbutiements de la littérature canadienne-française. Toujours en mode séduction, la littérature québécoise cherche à se faire une place au cœur même du territoire français. Attendra-t-elle longtemps encore une réponse favorable du marché de l’Hexagone? Ira-t-elle voir ailleurs? Petit retour sur l’histoire d’un flirt qui dure depuis toujours, et analyse de l’état de cette relation encore aujourd’hui presque univoque, faisant acheter beaucoup de livres français au Québec, mais très peu de livres québécois en France… Lettres québécoises est une revue trimestrielle publiée en février, mai, août et novembre par Lettres québécoises inc. La revue est subventionnée par le Conseil des Arts du Canada (CAC), le Conseil des arts de Montréal (CAM) et par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). «Nous reconnaissons l'aide financière accordée par le gouvernement du Canada pour nos coûts d'envoi postal, nos coûts de production et nos dépenses rédactionnelles par l'entremise du Programme d'aide aux publications et du Fonds du Canada pour les magazines. » Lettres québécoises est répertoriée dans Point de repère, MLA International Bibliography et L’Index des périodiques canadiens et est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP). [email protected] • www.sodep.qc.ca Les collaborateurs de Lettres québécoises sont entièrement responsables des idées et des opinions exprimées dans leurs articles. DISTRIBUTION : LMPI 8155, rue Larrey, Anjou (Québec) H1J 2L5. Tél. : 514.355.56.74 • Téléc. : 514.355.56.76 Courriel : [email protected] INFOGRAPHIE : Alexandre Vanasse/ZIRVAL design 27 premier roman • Un monstre sous la peau PA R M A R I E - M I C H È L E G I G U È R E Des cicatrices sur tout le corps, un «tempérament suicidaire», mais aussi une lucidité à glacer le sang, l’anti-héroïne des Murs, premier roman d’Olivia Tapiero, une étudiante en littérature âgée de 20 ans, a décidé d’en finir. On la découvre dans un hôpital qu’elle ne quittera que pour en gagner un autre, mais les murs dont il est ici question ne sont pas ceux qui l’entourent en ces lieux froids et stériles, mais bien ceux qu’elle construit entre elle et les autres; entre elle et la vie. O L I V I A TA P I E R O des images,des mots • Quand le virtuel devient papier 54 PA R F R A N Ç O I S C LO U T I E R IMPRESSION : Marquis PHOTO DE LA PAGE COUVERTURE : Alexis K. Laflamme Numéro ISSN : 0382-084X Envoi de Poste-publications no 41868016 Enregistrement PAP no 08959 • août 2010 Les blogues foisonnent sur la toile depuis quelques années déjà. Les sujets y sont variés et parfois surprenants. Le blogue littéraire tient une place de choix dans la blogosphère (nom donné à cet univers virtuel). Critiques, discussions et créations s’y retrouvent. Tout un chacun peut s’improviser blogueur, certains ne sont que de passage, d’autres expérimentent avec la forme tandis que quelques-uns y écrivent avec rigueur et style. Le dernier cas de figure représente bien l’univers de Daniel Rondeau, auteur du recueil de textes J’écris parce que je chante mal (www.danielrondeau.com). lettres québécoises • C.P. 48058, succursale Bernard, Montréal (Québec) H2V 4S8 • Téléphone : 1-866-992-0637 Adresse électronique : [email protected] • Site Internet : www.lettresquebecoises.qc.ca lettres québécoises • automne 2010 • 1 sommaire NUMÉRO 139 automne 2010 ÉDITORIAL Dur coup pour les revues culturelles, André Vanasse, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 ENTREVUE-PORTRAIT Entrevue-portrait de Jean-Jacques Pelletier par Victor Prose, Jean-Jacques Pelletier, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5 JEAN-FRANÇOIS CA R O N ENTREVUE Écrire: comprendre et dénoncer, Michel Bélair, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 7 PROFIL Jean-Jacques Pelletier le cueilleur-chasseur, Laurent Laplante, . . . . . . . . . . . . . p. 10 DOSSIER Littérature québécoise en France: un flirt infini, Jean-François Caron, . . . . . . p. 13 ROMAN Louis-Philippe Hébert, Michel Tremblay, Normand de Bellefeuille, André Brochu, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19 PRÉSENTATION Jean-François Caron, Hugues Corriveau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21 ROMAN Jean-François Chassay, Carole Massé, Olga Duhamel-Noyer, Hugues Corriveau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 22 GIL C O U RT E M A N C H E Gil Courtemanche, Annie Cloutier, Jean-François Crépeau, . . . . . . . . . . . . . . . . p. 24 PREMIER ROMAN Guillaume Corbeil, Hector Vigo, Olivia Tapiero, Marie-Michèle Giguère, . . . . . p. 26 POLAR Jean-Pierre Charland, Maurice Gagnon, Jacques Rousseau, Normand Cazelais, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 28 JEAN-PIERRE CHARLAND TRADUCTION Margaret Laurence, Kim Echlin, Tecia Werbowski, Hélène Rioux, . . . . . . . . . . . p. 30 RÉCIT Michel Faubert et Michel Hindenoch, Biz, André Carpentier, Yvon Paré, . . . . . p. 32 NOUVELLE Camille Allaire, Dany Tremblay, Michèle Bourgon et Vincent Théberge, Sébastien Lavoie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 35 Josée Bilodeau, Claude Vallières, Claude Forand, Michel Lord, . . . . . . . . . . . . . . p. 37 BIZ POÉSIE Jean-Paul Daoust, Frans Ben Callado, Pierre Demers, Hugues Corriveau, . . . . . p. 40 Fernand Ouellette, Margaret Atwood, Étienne Lalonde, Rachel Leclerc, . . . . . . p. 42 Carole David, Serge Murphy, Jean-Marc La Frenière, Jacques Paquin, . . . . . . . . p. 44 ESSAI France Théoret, Lucie Hotte et Guy Poirier, Antoine Boisclair, Claudine Potvin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46 Madeleine Ouellette-Michalska, Victor-Lévy Beaulieu, Gaston Miron, PIERRE DEMERS Jean-François Crépeau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 48 FRANCE T H ÉO R E T MADELEINE OUELLETTEMICHALSKA BOB SIROIS 2 • lettres québécoises • automne 2010 LITTÉRATURE ET SPORT Todd Denault, Bob Sirois, Alain Usereau, Renald Bérubé, . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 51 DES IMAGES, DES MOTS Daniel Rondeau, Stéphane Dompierre et Pascal Girard, François Cloutier, . . . p. 54 LES REVUES EN REVUE Exit, Spirale, Virage, Voix et images, Carlos Bergeron, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56 ÉVÉNEMENT Ils se multiplient, Sébastien Lavoie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58 NOUS ONT QUITTÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 61 INFORMATIONS EXPRESS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 62 LIVRES EN FORMAT POCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64 DITS ET FAITS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 66 PRIX ET DISTINCTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 67 LIVRES REÇUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 69 INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 72 PROCHAIN NUMÉRO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 72 éditorial A N D R É VA N A S S E Coupures • Patrimoine canadien Dur coup pour les revues culturelles Se pourrait-il que le gouvernement fédéral procède à la liquidation par asphyxie de la plupart des revues culturelles québécoises ? C’est ce que craignent plusieurs directeurs de revues qui ont pris connaissance des critères d’admissibilité au nouveau « Fonds du Canada pour les périodiques ». ans la lettre que Francine Bergeron a fait parvenir à M. Scott Shortliffe, directeur de « Politique et programmes de l’édition des périodiques (Patrimoine canadien) », la directrice de la SODEP (Société de développement des périodiques culturels québécois) lance un cri d’alarme : « Nous croyons, dit-elle, que la pérennité des revues culturelles francophones sera mise en péril par les mesures que vous annoncez […]. » Mme Bergeron ne manque pas d’aviser M. Shortliffe que « quelques-uns, hélas, ont déjà évoqué la fin imminente de leur publication si aucune aide équivalente à l’AMAL (Aide aux magazines artistiques et littéraires) n’était mise en place ». D R E N TA B I L I T É ! Mais qu’en est-il exactement ? Il y a que Patrimoine canadien, mû par des impératifs de rentabilité, a fixé l’admissibilité des revues au nouveau volet du programme Aide aux éditeurs du Fonds du Canada pour les périodiques (qui remplace le Fonds du Canada pour les magazines-FCM) à la condition expresse que ces dernières aient vendu annuellement 5000 exemplaires de leur revue lors de leur dernière année budgétaire. Ce critère a pour effet d’exclure 75 % des quarante-quatre revues membres de la SODEP. Pire, dans la foulée des réaménagements que Patrimoine canadien a mis de l’avant, on a aussi décidé d’abolir le programme du PAP (Programme d’Aide aux Publications) qui a été remplacé par le programme Aide aux éditeurs. Par ailleurs, on attend toujours la définition du volet de commercialisation, mais, d’ores et déjà, les membres savent qu’ils feront face à une forte concurrence puisque les revues culturelles ne seront pas seules en lice. Ils devront faire la lutte à des revues dont les ventes atteignent 45 000 exemplaires !… Au plus fort, la poche. Pour dire les choses sans détour, c’est la catastrophe : la discussion avec Mme La Haie-Torres, M. White et Mme Laham du ministère du Patrimoine canadien lors de l’assemblée annuelle de la SODEP a clairement fait entendre que la position de Patrimoine canadien est irrévocable. LA TPS, UNE MANNE La SODEP juge que, si le programme disparaît, c’est en moyenne 18 000 $ que perdront les revues. Un coup de grâce en quelque sorte, d’autant plus aberrant que la taxe sur les produits et services (TPS) permet au gouvernement canadien d’empocher des montants considérables puisque tous les périodiques sont taxés. Pour les seules revues à contenu canadien, les revenus atteignent 1,6 milliard de $ (c’est-à-dire 80 millions de $ en taxes) selon Statistique Canada. Si on ajoute à cela les revenus engendrés par les revues étrangères et tous les quoti- diens vendus au Canada, on peut multiplier par trois, et même plus, les revenus totaux de la TPS sur les revues et journaux. Quelque chose donc comme 240 millions. Or, le coût pour soutenir les revues culturelles s’élève à moins de 800000 $, c’est-à-dire la moitié du montant maximum que peuvent recevoir les magazines à grand tirage, montant qui a été abaissé, cette année, à 1,5 million de $ (par exemple, Châtelaine, version anglaise, a reçu l’an passé 2 498 708 $; la version française, 1013497 $). En clair, le budget des quarante-quatre revues culturelles équivaut à la moitié de la somme que recevront les revues les plus performantes cette année. On voudrait se montrer mesquin qu’on n’agirait pas autrement en nous évacuant à coup de pied de Patrimoine canadien. Que Patrimoine canadien invoque le soutien du Conseil des Arts pour justifier son pas de côté est tout à fait spécieux. Les éditeurs littéraires ne reçoivent-ils pas des subventions de la part de Patrimoine canadien comme du Conseil des Arts du Canada ? Alors, pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures ? Et puis, comment concevoir qu’un ministère qui porte le nom de « Patrimoine canadien » rejette du revers de la main les revues culturelles pour accorder son soutien à des revues, par exemple de chasse et pêche, qui ont peu ou rien à voir avec notre patrimoine national ? Il y a là une aberration qui entre en totale contradiction avec le mandat du ministère qui est précisément de préserver d’abord et avant tout notre patrimoine culturel. U N L I E U D E F O R M AT I O N Autre point, les revues culturelles sont le tremplin naturel pour les futurs journalistes, écrivains et essayistes. Sans les revues culturelles, comment se ferait leur apprentissage sur le terrain ? De fait, beaucoup d’entre eux ont fait leurs premières armes en publiant dans des revues (culturelles ou pas) à faible tirage. Permettre aux revues de subsister, c’est créer les conditions d’émergence de la relève. Or, le coût pour former ces professionnels est pratiquement nul pour l’État. Que les revues culturelles reçoivent leur juste part du gouvernement fédéral est donc tout à fait justifié. COMBIEN COÛTENT LES REVUES ? Il faudrait faire des comparaisons avec les autres activités culturelles (la musique, le théâtre, la danse, etc.) pour vérifier à quel point les revues culturelles vivent avec peu. Bien sûr, un orchestre symphonique coûte infiniment plus cher à gérer qu’une revue. Cela étant dit, il faut se réjouir que, pour atteindre le même public, quantitativement s’entend, les revues le fassent à des coûts dix, vingt, voire cent fois moindres que certains autres organismes culturels. Encore une fois, le gouvernement Harper fait des gestes qui, d’un simple point de vue financier, ne tiennent pas la route. L’industrie culturelle rapporte gros à l’État, comme le disait Michel Girard dans La Presse (cité dans un éditorial antérieur) : « En 2007, la culture a rapporté 25 milliards de $ en taxes et impôts, trois fois plus que les 8 milliards de $ investis par les paliers municipaux, provinciaux et fédéral. » Alors, pourquoi s’acharner sur les revues culturelles ? La question vaut d’être posée. POUR SIGNER LA PÉTITION : http://www.sodep.qc.ca/DerniereHeureDetails.aspx?ID=64 lettres québécoises • automne 2010 • 3 LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE VOUS PASSIONNE ? A B O N N E Z -V O U S À lettres québécoises Entrevues, portraits d’auteurs, critiques et comptes rendus de romans, de recueils de nouvelles et de poésie, d’essais et plus ! 1 AN / 4 NUMÉROS INDIVIDU INSTITUTION Canada 30 $ États-Unis 45 $ Étranger 60 $ Canada 40 $ États-Unis 60 $ Étranger 80 $ Nom 2 ANS / 8 NUMÉROS Adresse Ville Code postal Tél. INDIVIDU INSTITUTION Canada 50 $ États-Unis 75 $ Étranger 100 $ Canada 70 $ États-Unis 100 $ Étranger 135 $ Courriel Ci-joint ❑ Chèque ❑ Visa 3 ANS / 12 NUMÉROS ❑ Mastercard INDIVIDU N0 Exp. Signature Date ATTENTION : SVP libeller votre chèque à : SODEP / Lettres québécoises INSTITUTION Canada 72 $ Canada 95 $ États-Unis 108 $ États-Unis 144 $ Étranger 144 $ Étranger 192 $ Les prix sont toutes taxes comprises et sont sujets à changement sans préavis. RETOURNER À : SODEP • Service d’abonnement • Lettres québécoises • C.P. 786, succ. Place d’Armes, Montréal (Québec) H2Y 3J2 tél. : 514-397-8670 • téléc. : 514-397-6887 • [email protected] Faites partie de notre histoire, abonnez-vous ! LEDEVOIR.com 4 • lettres québécoises • automne 2010 • 514 985 3355 • 1 800 463-7559 VICTOR PROSE entrevue-portrait Jean-Jacques Pelletier VP — Vous étiez réticent à m’accorder cet entretien. Est-ce parce que je suis un de vos personnages ? JJP — Non, pas du tout… Mais le plaisir d’écrire de la fiction tient en grande partie au fait de pouvoir s’effacer, de ne pas parler de soi. VP — On s’y révèle quand même. JJP — Oui, mais de façon allusive et la plupart du temps inconsciente… à travers un champ sémantique, la récurrence de certaines structures narratives, le retour de certains thèmes, des parentés de personnages… Par un ton, une voix… VP — Pourquoi avoir accepté cette entrevue ? JJP — Parce que l’autre choix, c’était de faire un autoportrait. Et ça… JEAN-JACQUES PELLETIER VP — C’était pire ? JJP — Les autobiographies sont en général de mauvais romans. VP — Tandis que les romans… VP — Comme personnage, vous avez fait de moi un professeur de cégep. Or vous-même… JJP — C’est moins truqué. Les révélations qu’on y fait sont moins contrôlées. JJP — Je l’ai été pendant 33 ans. VP — Je vous prends au mot. Avec moi, vous avez construit un personnage d’écrivain obsédé d’information, qui lit des tas de journaux et fouille dans Internet pour traquer les manifestations de la « bêtise militante », selon l’expression d’un de vos personnages… Cela vous correspond ? VP — En littérature ? JJP — En partie. VP — Vous faites toujours partie de plusieurs de ces comités. Vous avez même écrit un livre sur la gestion financière des caisses de retraite. Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup ? N’avez-vous jamais été tenté de tout arrêter pour vous consacrer exclusivement à l’écriture ? VP — Vous avez commencé à écrire jeune ? JJP — Vers neuf ans. Je n’ai jamais arrêté. Je ne peux pas imaginer ma vie sans écrire. VP — Vous écrivez tous les jours ? JJP — Philo. Mais j’ai fait plusieurs autres choses : négociations du front commun, gestion des assurances collectives, comités de retraite et de placement… JJP — Non. J’ai toujours aimé l’idée que Ferron et Céline étaient médecins. Gary, diplomate. Cette présence dans la société à travers un métier ou une profession, c’est quelque chose d’enrichissant. Y compris pour l’écriture. JJP — Presque. C’est une manière de respiration. Ou de digestion… Moins j’écris, plus j’ai de la difficulté à être présent, à être vraiment «là». L’écriture me permet d’accéder au monde, à ce que je pense… à ce que je suis. VP — Quand vous étiez enfant, vous rêviez d’être écrivain ? VP — Je commence à comprendre la longueur de vos livres !… Vous écrivez où ? VP — Ça vous semblait hors de portée ? JJP — Non. Je savais que j’écrirais toute ma vie. Mais être écrivain… JJP — Toujours dans des cafés, des bars, des restaurants… Partout où il y a des tables qu’on peut louer moyennant le prix d’un café ou d’un verre de vin. JJP — Ce qui m’a toujours dérangé, depuis l’enfance, c’est d’être enfermé. Enfermé quelque part. Enfermé dans des préjugés. Dans un rôle social… Même celui d’écrivain. VP — Jamais chez vous ? VP — C’est pour cette raison que vous allez toujours ailleurs pour écrire ? JJP — À la maison, il m’arrive de saisir le texte manuscrit à l’ordinateur ou d’entrer les corrections des révisions. Mais l’écriture, pour moi, c’est aller ailleurs. Dans tous les sens du terme. JJP — Probablement… Et c’est pourquoi j’ai multiplié les rôles sociaux. Ça permet de les combattre les uns par les autres, de ne se laisser enfermer dans aucun. lettres québécoises • automne 2010 • 5 VICTOR PROSE entrevue-portrait On vit dans le bruit des médias. C’est notre nouvel habitat. Les zones de silence sont en voie de disparition… Et les iPods vont liquider celles qui restent ! VP — J’ai observé que vous peuplez vos histoires d’une foule assez hétéroclite de sujets : il y est question de géopolitique, de sectes, de personnalités multiples, de coutellerie d’art, de transactions financières, de chamanisme, de piratage informatique… Il y a même des personnages qui écrivent des essais à l’intérieur de vos romans ! JJP — La diversité des intérêts et des activités des personnages, c’est encore une façon de lutter contre l’enfermement. Comme la diversité des écritures: extraits de médias, discours politiques, courriels, textos… VP — Parlant des médias, vous en faites écouter régulièrement à tous vos personnages. Êtes-vous aussi « branché » qu’eux ? JJP — On l’est tous. On vit dans le bruit des médias. C’est notre nouvel habitat. Les zones de silence sont en voie de disparition… Et les iPods vont liquider celles qui restent ! VP — Quels auteurs vous ont le plus influencé ? JJP — Ceux de mon adolescence… Le théâtre absurde de Beckett et d’Ionesco. Kafka. Camus, surtout La chute. Proust. Balzac… VP — Votre écriture est pourtant très différente de la leur. JJP — C’est vrai. Mais elle est inspirée par leur travail sur l’écriture, sur les formes narratives… Par leurs thèmes, les problèmes qui les habitaient… VP — Comment qualifieriez-vous cette forme que vous avez construite au fil de vos romans ? JJP — Un métissage. Il y a des éléments de polar, de politique-fiction, d’intrigues internationales, de critique sociale, de roman documentaire et psychologique… Métissage aussi entre la lisibilité du roman populaire, des thèmes souvent associés au roman littéraire et la complexité dans l’analyse que peut avoir un essai… Évidemment, on ne peut jamais y arriver aussi bien qu’on le voudrait. C’est ce qui rend le travail intéressant… Au fond, j’essaie de créer une forme capable de rendre lisible une narration plutôt complexe. VP — Par-delà vos motivations personnelles, quel but poursuivez-vous en écrivant ? JJP — Rendre manifestes les logiques de pouvoir et d’intérêts qui tissent la trame collective de nos existences. Souvent à notre insu, d’ailleurs… Travailler à dissoudre quelques naïvetés, à commencer par les miennes… Écrire, au fond, c’est pour moi une manière de tenter de réconcilier l’horreur devant nos bêtises collectives et l’humour avec lequel il faut les prendre si on veut s’en libérer. Une manière d’équilibrer la solitude et le contact avec les autres, la réalité et la fiction, la tristesse devant l’avenir qu’on se prépare et la confiance que ceux qui nous suivent feront mieux. VP — Nous approchons maintenant du six millième caractère, ce qui était la commande. Il me reste à vous remercier. JJP — Merci à vous. 6 • lettres québécoises • automne 2010 MICHEL BÉLAIR1 Écrire : comprendre et dénoncer Jean-Jacques Pelletier est le premier authentique auteur québécois de thrillers à dimension planétaire. Il aura mis un peu plus de dix ans à créer sa saga des Gestionnaires de l’Apocalypse qui raconte rien de moins qu’une série de trafics et de complots, à l’échelle du globe, qui vise à mettre la main sur tout ce qui est essentiel à la vie — l’eau, l’air, la terre, le feu — et à contrôler ainsi le sort de l’humanité. Dans son œuvre, multinationales en tous genres, consortium de mafieux, de financiers, de politiciens véreux et d’« hommes du secret », orchestrent la fin du monde à leur seul profit. Ça vous dit peut-être quelque chose? Pour certains, Pelletier est l’homme du complot paranoïaque. Pour d’autres, il est plutôt un créateur de mondes dérangeants de vérité, et son œuvre, une critique virulente de ce qui se déroule déjà sous nos yeux… mpossible de résumer l’œuvre de JeanJacques Pelletier : c’est un fleuve. Une trentaine de nouvelles, une chronique régulière sur les polars dans la revue Alibis — où il a écrit une remarquable série d’articles sur Maigret, par exemple —, un livre sur la gestion des caisses de retraite et les placements financiers, sans compter quatre ou cinq autres « briques » à la périphérie de sa gigantesque série des Gestionnaires de l’Apocalypse. Sa saga se décline maintenant en quatre tomes, sept livres et plus de 5 000 pages, dont les deux livres du dernier tome, La Faim de la Terre, viennent d’être publiés il y a quelques mois à peine. Le moins que l’on puisse dire, c’est que JeanJacques Pelletier a du souffle ! I Mais c’est un souffle très particulier, hachuré, trépidant, rythmé dans et par une écriture qu’il a développée au fil des ans et qui tient, il le dit lui-même, du « montage cinématographique ». C’est un souffle saccadé, nerveux, qui garde le lecteur en état d’alerte… comme lorsque tout peut arriver d’un instant à l’autre. Il est alimenté par le quotidien bien rempli du professeur de philosophie que Jean-Jacques Pelletier a été pendant plus de 30 ans et du gestionnaire de caisses de retraite qu’il est toujours… Voilà probablement pourquoi son œuvre apparaît dès le premier abord profondément ancrée dans la réalité, dans l’analyse plutôt des facteurs géopolitiques et financiers qui régissent le monde dans lequel nous vivons. Le monde de Jean-Jacques Pelletier est un monde « mondialisé » comme le nôtre. De grands groupes d’intérêt y sont à l’œuvre, qui ressemblent à ces groupes de pression divers qui s’agitent partout dans l’ombre autour des hommes politiques et des décideurs et qui tirent les ficelles. La seule différence ici, chez Pelletier, c’est que tout se passe à un niveau supérieur : il y a vraiment entrevue quelqu’un qui orchestre l’ensemble et qui tire tous les fils pendant que ceux qui agissent savent rarement qu’ils exécutent des ordres. Ce sont les gens du Consortium. Les méchants, les Dégustateurs d’agonie. Et heureusement, en face il y a les bons, tout aussi brillants, tout aussi stratégiquement impliqués dans tout : Blunt, Hurt, Chamane, F, l’Institut. Voilà, tout est posé. Les Bons. Les Méchants. Le Diable. Le bon Dieu. Et au centre de tout cela, l’enjeu : le Monde. Recréé en plus de 5 000 pages. Bienvenue chez Jean-Jacques Pelletier. CONSTRUIRE LE MONDE Première surprise, qui explique un peu le succès de Pelletier ici au Québec, l’univers éclaté dans lequel il nous fait pénétrer parle notre langue et ressemble beaucoup à celui qui s’étale sous nos yeux dans la vraie vie. L’inspecteur que l’on suivra presque tout au long des Gestionnaires de l’Apocalypse se nomme Gonzague Théberge et dirige une escouade spéciale du Service de police de Montréal. Le lecteur découvrira rapidement que c’est un des alter ego de Jean-Jacques Pelletier, amateur de grands vins, de plats cuisinés, de culture et de phrases fleuries. Si les complots qu’il essaie de dénouer éclatent sur toute la surface du globe — même sous la calotte polaire à un moment donné —, il vit bien à Montréal où sa femme essaie de sauver du pire les danseuses à 10 $ des bars du centre-ville contrôlés par les motards ou la mafia. Mais il n’y a pas que Théberge. Le personnage multiple de Hurt — l’agent de l’Institut qui, dès l’amorce de la série, démantèle un réseau international de trafic d’organes et qui voit ses enfants éviscérés en guise de représailles — s’appelait au départ Hurtubise et vivait dans la Vieille Capitale. Les installations secrètes de l’Institut avec lequel Théberge en viendra à collaborer sont basées non loin de Drummondville. Tout au long de la saga, les méchants — terroristes, extrémistes et mafieux en tous genres — sévissent autant à Montréal qu’à Shanghai, Londres, San Francisco, Buenos Aires, la Normandie, Sainte-Foy ou Pointe-aux-Trembles… Chez Jean-Jacques Pelletier, on est à l’heure d’Internet, des réseaux planétaires et des grands «hackers» qui parviennent à ouvrir toutes les portes, même les mieux gardées. Les distances, les frontières, les barrières informatiques et même le temps n’existent plus vraiment. Le monde est partout. Et le Québec est au centre du monde. En entrevue, Pelletier dira, avec cette étrange façon de sourire qui est la sienne, qu’il écrit peut-être d’abord et avant tout pour refaire le monde. Pour comprendre comment ça marche et qu’est-ce qu’on fait là… J’ai toujours été curieux, toujours voulu tout savoir. Plus jeune, avant de lire de la philo puis de me pâmer sur Beckett et Ionesco, je dévorais des magazines comme Science & Vie et plus tard Scientific American : quand j’ai commencé à m’intéresser à tout, c’était l’époque des premières formulations de ce qui n’était encore que « l’hypothèse » du Big Bang, alors qu’aujourd’hui la physique quantique est rendue à la théorie des cordes pour expliquer des états de réalités parallèles… Je lis toujours beaucoup et j’écris constamment : en fait, c’est un arbitrage difficile à gérer… Je lis des essais sur les flux économiques autant que des analyses géopolitiques. Et beaucoup de journaux d’ici et de l’étranger, sur Internet surtout où je consulte régulièrement des blogues comme le Huffington Post qui est un de mes favoris. Je m’offre souvent aussi le plaisir matinal d’écouter les billets du jour des humoristes de France Inter : je ne suis pas certain qu’au Québec on pourrait se permettre de faire un humour aussi cinglant… Et comme je consacre environ 100 jours par année à siéger à des comités de gestion de caisses de retraite ou de placements, j’entends régulièrement des spécialistes me faire lettres québécoises • automne 2010 • 7 MICHEL BÉLAIR entrevue part de leur analyse de la situation mondiale… Disons que tout cela — et mon réseau personnel d’informateurs «spécialisés» sur des sujets plus pointus — nourrit ma réflexion sur le monde. Avec le temps, j’ai pris conscience du fait que ce n’est qu’en cherchant à expliquer le monde qu’on arrive à le comprendre un peu plus. Et la fiction s’est peu à peu imposée à moi comme un outil pour comprendre comment les choses fonctionnent, comment la matière de nos vies et de nos rapports se construit, comment les gens interagissent en société aussi. Construire un roman, c’est pour moi une façon de construire le monde, oui… Pourtant, un peu à l’instar du nôtre, le monde construit par Jean-Jacques Pelletier ne va pas bien du tout: Les Gestionnaires de l’Apocalypse est d’abord une sorte de triste constat presque calqué sur l’action des quatre terribles cavaliers de l’Apocalypse selon saint Jean. Dans le premier chapitre de l’histoire, La Chair disparue, il est question d’enlèvements, de réseau international d’exploitations en tous genres et de trafic d’organes à l’échelle mondiale au profit des plus riches. Ensuite, dans L’Argent du monde, publié en 2001, la corruption sous toutes ses formes sévit à tous les paliers et l’on assiste, entre autres, à une vague de suicides chez les gestionnaires de la Caisse de dépôt à la suite de l’apparition d’un trou de 750 millions dans les coffres de l’organisme. Dans Le Bien des autres, le climat social et politique se désintègre un peu partout, au Québec comme ailleurs sur la planète ; les attentats terroristes se multiplient et la manipulation de l’opinion menace les institutions démocratiques. Dans La Faim de la Terre, enfin, des attentats de fondamentalistes en tous genres prennent tout le devant de la scène et viennent masquer ainsi, comme si c’était planifié, l’opération de conquête de la planète entière par des groupes contrôlant rien de moins que les quatre éléments: l’eau, l’air, la terre avec tout ce qui y pousse, et le feu de l’énergie sous toutes ses incarnations. Tout cela cousu main, dans le moindre détail. Avec un petit bout de Bernard Derome en passant ou un détour pour se taper une poutine au coin de la rue. Avec tous les morceaux qui tiennent, malheureusement, inexorablement. Pas très jojo… LE COMPLOT PA R A N O Ï A Q U E Encore plus « drôle », les médias et les journalistes apparaissent d’abord, dans toute la série des Gestionnaires…, comme des outils de manipulation. À quelques très rares exceptions près — dans Le Bien des autres, Théberge travaille ainsi avec une journaliste télé, Pascale Devereaux, qui réussira à infiltrer une sorte de secte, l’Église de la Réconciliation Universelle —, la majorité d’entre eux sont de tout petits êtres qui se soumettent à la moindre pression. Les journaux tout comme les chaînes de radio ou de télé appartiennent toujours, ou presque, à des groupes d’intérêt pas particulièrement recommandables et ne semblent au fond être là que pour faire d’abord fructifier l’argent de leurs actionnaires. Pour ce qui est de produire de l’information, on repassera… Pourtant les médias sont omniprésents dans les 5000 pages des Gestionnaires de l’Apocalypse qui sont truffées de flashs d’infos ressemblant comme deux gouttes d’eau à ceux que l’on pourrait trouver tous les jours, défilant en bande au bas de l’écran, sur RDI, TVA et CNN ; aux manchettes du Devoir aussi ou du Monde, comme à celles du Journal de Québec, du Figaro, du Los Angeles Times ou du Corriere della Serra. Pire: à chaque page, ou presque, on voit des radios poubelles 8 • lettres québécoises • automne 2010 JEAN-JACQUES PELLETIER et des trash-télés se faire de la cote d’écoute comme on se fait de la gonflette en façonnant l’opinion presque sur mesure à partir de n’importe quoi… Bien sûr, la caricature est grossière mais elle décrit bien ce que sont devenus certains grands groupes de presse à l’heure de cette information spectacle que dénonçaient déjà les premiers situationnistes. Pas étonnant que certains aient reproché à Jean-Jacques Pelletier de sombrer facilement dans la théorie du complot paranoïaque. Même si ses «bons» ont des côtés sombres et ses « méchants », parfois, des aspects un peu plus lumineux… Il répond là-dessus que, même si les complots à l’échelle du globe sont tout aussi multiples que vérifiables, rien ne prouve ou ne vient étayer le fait qu’il n’y en ait qu’un, au bout du compte. Il y a des magouilles partout à l’échelle internationale, oui, bien sûr. Mais ce sont des complots isolés, partout autonomes. Je ne pense pas qu’un seul groupe ou qu’une seule personne puisse jamais tout contrôler systématiquement d’un seul endroit. Non, je ne crois pas au complot paranoïaque total… Il dira par contre que, pour l’écrivain de fiction, la théorie du complot, paranoïaque ou non, est très féconde. Le procédé du complot a un grand avantage : il vient dramatiser les effets de système et rendre tout cohérent, bien visible. Encore plus quand l’intrigue est construite autour de la vie d’un ou de plusieurs personnages que l’on en vient à connaître de plus en plus en les suivant à travers les méandres de l’action. Surtout que ces personnages sont toujours forcés de réagir dans des situations extrêmes qui tiennent le lecteur sur le qui-vive… Ces situations extrêmes joueront-elles encore un rôle important dans l’œuvre de Jean-Jacques Pelletier maintenant que la saga des Gestionnaires de l’Apocalypse est terminée ? « Oui et non », répond Pelletier en refaisant ce sourire étonnant qui semble couler de son visage tout entier. MICHEL BÉLAIR Essai ou fiction, l’écriture de Pelletier vise d’abord, il tient à être absolument clair là-dessus, à « faire saisir la complexité du monde ». J’en suis aux tout derniers chapitres de mon prochain livre qui est un essai que je publierai peut-être chez un autre éditeur, et probablement sous le nom de quelqu’un d’autre… Sous la signature de Victor Prose en fait… Victor Prose est un personnage qui apparaît dans La Faim de la Terre. C’est un intellectuel, un écrivain-chercheur qui a sa théorie bien à lui sur le complot qui menace le monde. D’ailleurs, il semble comprendre si précisément ce qui se passe tout autour que Gonzague Théberge en arrivera à le soupçonner… avant de développer avec lui une féconde amitié basée sur la réflexion à deux voix. Tout au long du livre, on voit Victor Prose travailler à un essai qui porte le titre Les Taupes frénétiques. Pelletier poursuit, amusé, arborant presque lui aussi des airs de comploteur… Il s’agit bien du livre auquel travaille Prose dans mon roman : Les Taupes frénétiques. C’est un essai sur les incohérences du monde d’aujourd’hui et sur le phénomène de la montée aux extrêmes dans la vie de tous les jours. C’est un livre qui dénonce l’escalade des distorsions en tous genres, symboliques et autres, qui caractérisent la société moderne et qui dénaturent la vie et les relations entre les gens. Les faux mythes. Les fausses valeurs. Les faux prophètes et les faux dieux. Les vérités vides de sens sur lesquelles se const r uit l’immoralité profonde du monde moderne… On aura saisi que Jean-Jacques Pelletier reste Jean-Jacques Pelletier, même quand il signe sous un autre nom. La pulsion de fond quand il écrit, sa motivation première, est la même que celle que l’on perçoit fort bien tout au long des Gestionnaires de l’Apocalypse: ce qui importe d’abord, c’est de faire comprendre. Démonter les mécanismes et dénoncer. Écrire, c’est comprendre et dénoncer… RENDRE VISIBLE, RENDRE LISIBLE N’empêche que le choix de la forme de l’essai apparaît plutôt bizarroïde quand on se souvient de ce qui caractérise l’écriture de Jean-Jacques Pelletier, ce découpage, ce « montage presque cinématographique» où les citations, les titres et les manchettes de journaux viennent rythmer, presque agressivement, l’action comme l’ordre des chapitres. L’essai est plus formel, non ? Plus sec… Notre homme estime au contraire que l’essai lui permet d’aller «un peu plus loin que la fiction ». D’abord parce qu’il cerne un sujet précis que l’on bombarde de tous les angles possibles, alors que le roman suit le projet d’un narrateur soumis à des règles et à ses personnages, finalement. Dans l’essai, il n’y a pas de narrateur, poursuit-il. Il y a un auteur qui dispose d’outils différents. Cela permet des choix considérables quand entrevue on en vient à présenter un point de vue ou son contraire. Les voies peuvent se faire aussi nombreuses que celles des voix d’un roman. Essai ou fiction, l’écriture de Pelletier vise d’abord, il tient à être absolument clair là-dessus, à « faire saisir la complexité du monde ». Rien n’est simple alors que l’on a plutôt tendance aujourd’hui à réduire les choses à leur plus simple expression. À «résumer en quelques lignes» et tout dire en quelques mots, sans nuances, noir ou blanc. Dans le meilleur des cas, à tout se faire expliquer en un topo de trois minutes à la télé ou, si on prend encore la peine de lire, dans un texte qui varie, selon l’éditeur, d’un paragraphe à un feuillet et demi dans la presse écrite. La situation du monde, la vie est complexe, insiste-t-il en appuyant sur les mots. À travers la fiction ou l’essai, c’est cela qu’il faut rendre visible et qu’il faut rendre lisible aussi. L’auteur doit être efficace ; soutenir l’intérêt pour mieux dévoiler, pour mieux faire saisir. C’est ce qui explique les scènes courtes, factuelles, des romans de Pelletier. Les formules-chocs placées en exergue aussi, ramassées, qu’il affectionne particulièrement, qu’elles soient tirées d’un traité zen, du discours d’un faux gourou prêchant l’Apocalypse ou du manuel de procédures d’une agence de renseignements. C’est cette technique qui l’amène aussi à faire s’opposer les contraires et à viser tout au long ce qu’il appelle «l’épuration de la phrase pour soutenir la complexification des structures narratives ». Comme dans les feuilletons, écrits ou télévisés dont il s’inspire beaucoup de la forme. Pour arriver à faire saisir son analyse du monde, à être lisible comme il dit, Pelletier emprunte leurs « règles de lisibilité ». Pour mieux éclairer un contenu complexe, il tente en fait à chaque ligne de réconcilier la « littérature populaire » et « les sujets sérieux ». Ce qui lui ressemble assez… Et après cet essai ? Un dilemme, répond-il en soupirant. Je ne pourrai pas m’empêcher d’écrire et de dénoncer les effets pervers de la mondialisation… Je n’aime pas du tout ce qui se passe en Europe actuellement ; les tensions et les dangers de fracture augmentent au moment même où des changements globaux affectent la planète entière. Et je me méfie de ces justiciers autoproclamés qui surgissent de plus en plus régulièrement aux États-Unis et ailleurs… Mais est-ce que j’aborderai tout cela dans un tout nouveau contexte, en faisant table rase, ou en poursuivant avec les personnages que tous mes lecteurs connaissent déjà ? Je ne le sais pas encore, j’hésite. Mais je prendrai une décision ferme très bientôt, dès le début de l’été. Qui sait, on lira peut-être « Les Chroniques montréalaises de Gonzague Théberge». À moins que ce ne soit plutôt quelque chose dans le style «Traité de savoir-vivre à l’usage des gestionnaires sans âme »… 1. Michel Bélair est journaliste au quotidien Le Devoir depuis quelques décennies et couvre le secteur du théâtre en plus de s’intéresser à la « science fantasy » et au polar sous toutes ses formes. lettres québécoises • automne 2010 • 9 LAURENT LAPLANTE Jean-Jacques Pelletier le cueilleurchasseur ous Descartes, Jean-Jacques Pelletier aurait eu droit à une seule vie : ou cueilleur ou chasseur. S’enraciner ou explorer. La logique ou le jaillissement. Notre époque ne tente même pas de lui infliger un tel assèchement. Pelletier peut édifier autant de systèmes qu’il le souhaite et cultiver le microscope bénédictin, débusquer les logiques sous les masques et cocher les tests des protocoles, consacrer une vie au texte magistral et une autre aux rappels du quotidien. Cueilleur et chasseur. Professeur et chercheur. Architecte de cathédrales et poseur de briques. En découle une œuvre bellement irréductible à un seul entendement. S Non seulement Jean-Jacques Pelletier construit une œuvre polyphonique, mais il la fonde sur une tension féconde entre stylisation et cueillette. Il survole, synthétise, systématise, mais il pratique aussi la vérification, le détail, l’imprévu. D’une main, il tient la chronique des chiens écrasés ; de l’autre, il rédige l’éditorial. Il comble là deux appétits rarement satisfaits par le même auteur: la quête de sens et le relevé des faits. Il observe le papillon sans l’épingler mortellement. Comme Pelletier aime que son œuvre lui soit « retournée avec commentaires», il ne s’étonnera pas si surgit un bémol. Amicus Platonis, répétait un extraterrestre de mon enfance, sed major amicus veritatis. En langue 2010, cela signifie que l’admiration que je voue à Jean-Jacques Pelletier depuis des lunes n’induit pas la complaisance. LE DIVERS SOUS LE CHAPITEAU Ce Pelletier sidère. Il touche à tout. Avec un bonheur tenace. La nouvelle, l’hybride de miroir et de poésie, le roman, la gestion, la fresque, aucune audace ne lui est interdite. Il aurait mauvaise grâce à ne pas gober toutes les tentations, puisque aucune ne lui inflige de déception. Lui-même aime les humains auxquels déplaît l’unidimensionnel. Ainsi, l’exergue des Gestionnaires de l’Apocalypse rend hommage au foisonnement des vies : « À Christian Moquin, être multiple s’il en fut. La brièveté de son existence n’a eu d’égale que la richesse de ses vies parallèles [je souligne]. » D’où aussi le relief que prend chez Pelletier le syndrome de la personnalité multiple; son personnage de Hurt est à la fois une mémoire et un tic tac en hibernation. Chez une conscience moins alerte, ce besoin d’échapper au simplisme univoque conduirait au morcellement, peut-être à l’inintelligible. Inquiétude futile: Pelletier multiplie les fringants egos, mais il les maintient sous un chapiteau englobant. Cette tension — maître mot — donne à son œuvre sa tessiture essentielle: chaque montée vers le systémique s’accompagne de vérifications au ras du sol. 10 • lettres québécoises • automne 2010 profil Ce Pelletier sidère. Il touche à tout. Avec un bonheur tenace. La nouvelle, l’hybride de miroir et de poésie, le roman, la gestion, la fresque, aucune audace ne lui est interdite. Il aurait mauvaise grâce à ne pas gober toutes les tentations, puisque aucune ne lui inflige de déception. LES ASSISES ET LA PÉDAGOGIE Premier roman de Pelletier, L’Homme trafiqué paraît en 1987, onze ans avant La Chair disparue, entame des Gestionnaires de l’Apocalypse. Déjà agit la touche Pelletier, mais sans le découpage chronologique et multisource qui incarnera sa pédagogie. D’une part se mettent en place les enjeux et les acteurs qui habiteront durablement son œuvre ; d’autre part, la structure et le débit tiennent encore du roman classique : peu ou pas de césures dans le récit, peu ou pas d’intrusions médiatiques. L’affection de Pelletier pour les logiques déferlantes se limite à créer quelques coalitions d’intérêt : Grand Conseil des 9 Cullinans, Centre, Syndicat… Le créneau est sectoriel (diamant) ; derrière le rideau, la logique tout terrain répète son rôle à voix basse. La Femme trop tard (1994, réédition 2001) creuse les perspectives et la pédagogie. L’enjeu s’élargit : du diamant, on passe à l’alimentation de la planète. Des acteurs institutionnels envahissent un décor amplifié, à tel point que s’amorce une collaboration entre l’Institut animé par l’héritière du Rabbin et la poreuse bureaucratie états-unienne du renseignement. Le combat oppose madame F à « ceux d’en face ». La panoplie des coups vicieux « s’enrichit » : infiltration, trafic des consciences, chantage, torture… Avec Blunt - Les Treize derniers jours (1996), Pelletier précipite le tempo. Son écriture fait songer au tachisme : par petites touches apparemment isolées les unes des autres, l’artiste induit une perception, un sentiment, une vision. En outre, Pelletier compte désormais sur Alire, une maison d’édition prête à parier sur ce qu’Yves Beauchemin appellerait un roman-baleine. Sans atteindre à la fragmentation trépidante des romans en gestation, le récit livre désormais la date, le lieu, l’heure de chaque séquence. Les syncopes frappent plus vite, les médias gueulent comme un chœur grec désinvolte et grossier, l’humour multiplie les bouches d’air. L’ A M P L E U R D E S P E R S P E C T I V E S Au cours de la décennie qui suit se déploie avec ampleur la fresque des Gestionnaires de l’Apocalypse. Ampleur, dites-vous? Qu’on en juge. La Chair disparue : 656 pages ; L’Argent du monde : 1 216 pages ; Le Bien des autres : 1 458 pages ; La Faim de la Terre : 1 595 pages. Au total, 4 925 pages. Oui, romanbaleine. Le poids du mastodonte va-t-il ralentir le débit? Pas du tout. Pour deux motifs: l’addition de références éditoriales et l’atomisation du récit. Chaque chapitre s’ouvre sur une citation puisée dans le credo théorique de tel carriériste, puis l’action reprend, morcelée, fiévreuse, glauque ou rigolote. Tous auteurs de doctrines dérangeantes, Louis Art/ho, Leonidas Fogg, Joan Messenger et Guru Gizmo Gaïa servent en tranches minces leurs essais à contenu social, économique, politique, profil LAURENT LAPLANTE recomposer. Toujours d’accord avec l’arnaque, les gestionnaires exploitent cette réclamation sans vraiment s’en soucier. Les tomes suivants actionnent des engrenages autrement puissants. Dans L’Argent du monde, Fogg établit ses leviers: achat des docilités, mobilisation des volontés et des passions, écrasement des résistances. La visée ? Gérer à froid la manipulation. Le Machiavel de La première décade de Tite-Live plus encore que celui du Prince aurait fait siens les conseils de Fogg (et de Pelletier). Dans Le Fascisme à visage humain, Joan Messenger jette ses passerelles entre tactique et stratégie. L’objectif défini par Fogg, elle y court : consommation, famille, jeunesse, religion, médias (longuement valorisés), éducation, droit, marginalités, tout est territoire à occuper. L’essai que profère Guru Gizmo Gaïa dans La Faim de la Terre n’a plus qu’à conclure: la parousie désirée, c’est L’humanité émergente. Émergente et infiniment sélective. Pouvait-on attendre autre chose des Gestionnaires de l’Apocalypse ? MANICHÉISME OU OSMOSE ? JEAN-JACQUES PELLETIER puis, le concret déferle, appliquant ou frustrant cet embryon d’éditorial. Tout se passe comme si Machiavel, par ses conseils aux princes de l’ère moderne, révélait au citoyen d’aujourd’hui le sens des événements. La netteté de l’essai décode la stroboscopie du quotidien. En maintenant cette tension féconde entre système et flux du réel, Pelletier satisfait à la fois sa propension à l’exposé systémique et son don pour les histoires. Pendant 5000 pages, il alimente la confrontation entre les menées des inquiétants gestionnaires et les résistances articulées tantôt par de bonnes volontés individuelles, tantôt par les pouvoirs publics. En spectacle: la lucidité du philosophe donnant un sens au chaos. Ne nivelons pourtant pas. Les textes par lesquels les gestionnaires défendent leur démesure varient d’un essayiste à l’autre. Dans La Chair disparue, Art/ho fragmente son discours en quatre préambules et dix chapitres, comme s’il pressentait les réticences face à l’art organique. Joan Messenger sera aussi minutieuse: 14 éléments pour Le Bien des autres. Plus globaux, les exposés de Léonidas Fogg et de Guru Gizmo Gaïa se bornent à quelques balises, six pour Fogg dans L’Argent du monde et quatre pour Guru Gizmo Gaïa dans La Faim de la Terre. À peu de chose près, Art/ho et Messenger adoptent le ton de responsables plus ou moins proches de la haute direction, tandis que Fogg et Gizmo Gaïa tonnent depuis le palier des conseils d’administration. Pelletier décrit ainsi le changement survenu : «La Chair disparue marque une étape décisive dans cet effort de morcellement-intégration qui débouche sur une esthétique du collage — ou du montage. Dans ce roman, les intrigues, les personnages et les types de discours se multiplient, les médias sont beaucoup plus présents et le personnage principal est atteint du syndrome de personnalité multiple. » (Écrire pour inquiéter et pour construire, p. 167) Perception à nuancer. Oui, les médias interviennent plus souvent, mais la presse écrite n’est admise qu’à une minime figuration. Le plus souvent, radio et télévision brillent (?) par leurs accents plébéiens et leur vénalité. S U R Q U AT R E F R O N T S Apparentés par l’ambition planétaire et une pédagogie qui entrelace l’éditorial et les histoires vécues, les quatre fronts ouverts par Les Gestionnaires de l’Apocalypse demeurent distincts. Ils s’ouvrent selon un ordre qui témoigne de la sensibilité de Pelletier au regard artistique. Dans La Chair disparue, Art/ho revendique le corps comme matériau à démonter, à torturer, à désagréger, à Pelletier n’est pas homme à cultiver le manichéisme simpliste. Pourtant, à l’avant-scène pendant les premiers tomes des Gestionnaires de l’Apocalypse, le combat entre le Consortium aux allures maléfiques et le sympathique Institut de madame F engendrait ce risque de simplification. Du moins jusqu’à ce que Pelletier infléchisse la relation entre l’Institut et « ceux d’en face ». Le rapprochement se dessine au terme du Bien des autres et devient l’axe de l’ultime assaut des Gestionnaires. Pelletier se taille ainsi un champ de manœuvre pour ses prochaines (n’en doutons pas!) aventures littéraires. D’une part, tel un coureur de relais, il transmet le témoin à son premier véritable porteparole, l’extralucide écrivain Prose. Pareil mandat contrevient au principe de Pelletier: «Pour ma part, il n’y a pas de personnage qui soit mon porteparole » (Écrire…, p. 210), mais cela, c’était huit ans avant La Faim de la Terre (2009). D’autre part, en rapprochant F et Fogg, Pelletier liquide l’espoir d’éradiquer un jour du cœur de qui que ce soit les ambitions malsaines. Jamais les bons ne seront vides d’humanitude, toujours renaîtront chez eux aussi les tentations de la démesure. Pelletier, fidèle à son rôle de conteur d’histoires, échappe au manichéisme. ÉCRIRE, ÉCRIRE ET ÉCRIRE L’importance des Gestionnaires de l’Apocalypse ne saurait occulter le reste de la production de Pelletier. Trois romans et une brassée de textes dans la revue Alibis méritent mieux qu’un salut. Même si plusieurs genres littéraires sont sollicités, un souci impose l’unité : le besoin d’écrire qui habite Pelletier. L’homme à qui il poussait des bouches constitue une parabole astucieusement filée : le personnage ne sera bien dans sa peau que s’il libère l’expression. L’Assassiné de l’intérieur se fragmente en nouvelles, mais on ne saurait s’y tromper : toutes renforcent l’emprise de l’écriture. Écrire pour inquiéter et pour construire porte un titre qui dispense d’insister. La boucle est ainsi bouclée sur le terrain de la fiction: l’homme veut écrire, il écrit, il dit ce que l’écriture lui offre à lui et à sa société. Dont acte. lettres québécoises • automne 2010 • 11 LAURENT LAPLANTE profil Plusieurs des textes que signe Pelletier dans Alibis donnent lieu à une autre perception. Pelletier s’y soustrait, en effet, au souque-à-la-corde de sa fiction : la ferveur systémique échappe au contrepoids de la fiction romanesque. « Pour moi, disait pourtant Pelletier en 2002, la création d’histoires, l’expression d’un point de vue personnel et l’élucidation du monde dans lequel je vis constituent de plus en plus des aspects indissociables de l’acte d’écrire. » (Écrire…, p. 13) L’éclipse du conteur au profit de l’essayiste dissocie les indissociables. Ces articles orphelins de fiction méritent l’attention, mais ils obéissent à un seul pôle d’attraction. Plus rien ne leur interdit l’obésité. Ainsi, les trois textes qui décrivent le Maigret de Simenon comportent un indigeste total de 592 références (189, 262 et 141). Même prolixité à propos de Holmes. Plus conforme à la tension Pelletier, un face-à-face fictif entre les deux limiers aurait peut-être montré que Maigret cherche le pourquoi du crime, et Holmes, le comment. Sans surprise, la magie revit dès que Pelletier renoue avec l’inimitable tension du chercheur-cueilleur ; en témoignent, toujours dans Alibis, «La radio du vrai monde», «Sang d’encre», « Changer le monde un mot à la fois »… La polyvalence de Pelletier est telle que ce survol ne vaut que comme rapport d’étape. BIBLIOGRAPHIE Pour rédiger cet article, j’ai lu ou relu la documentation suivante : Livres (l’éditeur mentionné est le plus récent) : L’homme trafiqué, Alire, 2000. L’homme à qui il poussait des bouches, L’instant même, 1994. La Femme trop tard, Alire, 2001. Caisse de retraite et placements, Sciences et cultures, 1994. Blunt - Les Treize derniers jours, Alire, 1996. L’Assassiné de l’intérieur, L’instant même, 1997. Écrire pour inquiéter et pour construire, Trois-Pistoles, 2002. Les Gestionnaires de l’Apocalypse 1. La Chair disparue, Alire, 1998. 2. L’Argent du monde, Alire, 2001. 3. Le Bien des autres, Alire, 2003. 4. La Faim de la Terre, Alire, 2009. Je n’ai pas lu en entier Gestion financière des caisses de retraite, Béliveau éditeur, 2008. Articles. J’ai lu les articles suivants publiés dans Alibis : « La réalité, c’est pire », hiver 2001-2002. « Les Trois vies de Sherlock Holmes », printemps 2002. « Les Trois vies de Sherlock Holmes (2) », été 2002. « Les Trois vies de Sherlock Holmes (3) », automne 2002. « Le Trafic d’êtres humains », printemps 2003. « La Réalité-empire », été 2003. « Maigret — L’Enquêteur au regard vide », automne 2003. « Maigret (2) — Le Somnambule ruminant », hiver 2004. « Maigret (3) — La méthode du somnambule ruminant », printemps 2004. « Pour ébranler les naïvetés » — Propos de Jean-Jacques Pelletier recueillis par Christine Fortier, été 2004. « La radio-vérité — La radio du vrai monde », printemps 2005. « Monstres, artistes, capitalistes… même combat ? », été 2006. « De pire empire ! », hiver 2008. « Sang d’encre » et « Changer le monde un mot à la fois », automne 2008. « Enquête sur le polar (1). — L’épidémie polar », hiver 2009. « Enquête sur le polar (2). — Le polar à l’ère du soupçon » « Les Cathédrales de la mort », printemps 2009. Divers articles fournis par l’auteur et en attente de publication. 12 • lettres québécoises • automne 2010 Littérature québécoise en France JEAN-FRANÇOIS CARON dossier Littérature québécoise en France : un flirt infini Entre la France et le Québec littéraires se joue le jeu d’une relation de charme, un flirt qui dure depuis les balbutiements de la littérature canadienne-française. Toujours en mode séduction, la littérature québécoise cherche à se faire une place au cœur même du territoire français. Attendra-t-elle longtemps encore une réponse favorable du marché de l’Hexagone ? Ira-t-elle voir ailleurs ? etit retour sur l’histoire d’un flirt qui dure depuis toujours, et analyse de l’état de cette relation encore aujourd’hui presque univoque, qui fait acheter beaucoup de livres français au Québec, mais très peu de livres québécois en France… P L E S P R E M I È R E S PA G E S « Si nous parlions huron ou iroquois, les travaux de nos écrivains attireraient l’attention du vieux monde. » Les premiers livres dits canadiens auxquels ont été exposés les lecteurs français avaient en fait été écrits par des Français émigrés sur le nouveau continent. C’est le cas d’Henri-Émile Chevalier, exilé forcé par Napoléon III après le coup d’État de 1852, qui séjourna près de dix ans à Montréal. Ce n’est qu’à son retour sur le sol de sa patrie, en 1860, qu’il a publié une série de titres trouvant leur décor dans les grands espaces du Nord canadien — dont Les Pieds-noirs, qu’on l’accusera d’avoir plagié de Trappers of Hudson’s Bay, de Robinson. L’intérêt du lecteur français se situe alors plutôt dans l’exotisme, ce à quoi ne semblent pas pouvoir répondre les œuvres singées par des auteurs canadiens. Le libraire et poète exilé en France, Octave Crémazie, déçu du statut accordé à la littérature québécoise en France, le dénoncera dans un débat épistolaire engagé avec l’abbé Henri-Raymond Casgrain : « Si nous parlions huron ou iroquois, les travaux de nos écrivains attireraient l’attention du vieux monde. » Ce à quoi l’abbé Casgrain s’opposera, dans l’espoir qu’on reconnaisse une littérature canadienne-française indigène, originale. Une littérature nationale propre. Casgrain n'aura pas gain de cause, car les Français retiendront surtout de ces années le travail du Français Louis Hémon, dont l’expérience canadienne se résume à un séjour de six mois à Péribonka, un petit village situé au nord du lac Saint-Jean. Maria Chapdelaine, d’abord paru sous la forme d’un feuilleton publié dans Le Temps, n’aura finalement été édité que de façon posthume, par Grasset. D’autres livres seront ainsi publiés par des auteurs français venus séjourner plus ou moins longuement sur nos quelques arpents de neige, dont Maurice Constantin-Weyer, qui remportera le Goncourt en 1928 pour Un homme se penche sur son passé, un roman d’aventures traitant de la vie dans l’Ouest canadien où il a séjourné entre 1904 et 1914. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que le premier livre d’un auteur véritablement canadien sera enfin édité en France: signé Robert de Roquebrune, Les Habits rouges paraissait aux Éditions Monde Nouveau en 1923. Après lui, viendront entre autres Les Engagés du Grand Portage de Léo-Paul Desrosiers, La G A B R I E L L E R OY Robe noire, de l’écrivain et journaliste baieriverain Damase Potvin, puis Trente arpents (Ringuet) et Le Survenant (Germaine Guèvremont). Avant les années cinquante, la ligne éditoriale des maisons françaises privilégiera les secondes éditions, présupposant une similitude de goûts entre les lectorats canadien et français. Ainsi, Flammarion reprendra Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy deux ans après sa parution en 1945 aux Éditions Pascal. Or, on prendra rapidement conscience que les goûts français ne se calquent pas souvent sur ce qui allume les lecteurs de l’Amérique française. Ainsi, la publication de Poussière sur la ville, d’André Langevin, aura des résultats fort décevants lors de sa reprise sur le marché français. Devant l’évidente différence qui se dessinera entre les intérêts et les préoccupations des lecteurs des deux continents, les éditeurs français, pour la plupart, tourneront la page sur les secondes éditions et prendront goût au risque, apprenant à mieux connaître le lecteur français type. On verra alors la publication, entre autres, des Chambres de bois d’Anne Hébert et du Fou de l’île de Félix Leclerc. Toutefois, tous les éditeurs ne cesseront pas de rééditer des œuvres déjà parues chez nous. Alors que Flammarion n’avait pas trouvé le succès escompté en proposant en deuxième édition les œuvres de Marie-Claire Blais, Grasset reprendra habilement le flambeau, en commençant par Une saison dans la vie d’Emmanuel. Alors que seulement 500 exemplaires du livre avaient trouvé preneur auprès des Canadiens français, le roman de Blais devait remporter un plus grand succès en France, allant jusqu’à être sélectionné pour le prix Femina, puis à remporter le Médicis. « Ça ne changera pas l’esprit de mes œuvres, mais c’est très important pour le cœur… », affirmera l’auteure à un journaliste de Radio-Canada après avoir appris la nouvelle. C’était en 1968. Le flair de Gallimard, de Flammarion et du Seuil, qui se risqueront dans la publication d’inédits, permettra ensuite à plusieurs titres de trouver le succès, lettres québécoises • automne 2010 • 13 Littérature québécoise en France JEAN-FRANÇOIS CARON dossier qu’on pense à Salut Galarneau! de Jacques Godbout, ou encore à Kamouraska et Les Fous de Bassan d’Anne Hébert, ainsi qu’à L’avalée des avalés de Réjean Ducharme qui a ensuite connu un succès critique important. Plus que jamais, les sensibilités des lectorats canadien et français s’éloignent. Un état de fait qui s’avère encore le plus souvent aujourd’hui, malgré de rares succès se vérifiant des deux côtés de l’Atlantique – dont le phénomène de L’énigme du retour, de Dany Laferrière, pour pointer l’évidence. De même, dans le créneau de la littérature populaire, certains auteurs ont connu de très bons succès, entre autres, Arlette Cousture et Marie Laberge. Et que dire de l’accueil accordé à la série des Chevaliers d’Émeraude, d’Anne Robillard, qui s’est vendue à plus de un million d’exemplaires… Des réussites ponctuelles qui montrent que la chose est possible, mais toujours exceptionnelle. LA VITRINE D’UNE LIBRAIRIE Bien en selle à la Librairie du Québec à Paris (LQP) qu’elle dirige depuis 1999, Isabelle Gagnon est aux premières loges pour évaluer la situation actuelle de la littérature québécoise sur le territoire français. Fondée en 1995, la LQP est aujourd’hui propriété de Hervé Foulon (Groupe Hurtubise), transaction qui a eu lieu au détour du millénaire et qui aura permis au projet de survivre. Pas facile de se faire une place sur le marché du livre parisien: le projet aurait pu se solder par un échec. Quand la librairie a été rachetée, il y avait beaucoup de dettes. On a réussi à remonter la pente. Aujourd’hui, on est une librairie en santé, mais c’est toujours assez fragile, le milieu du livre. C’est toujours compliqué. Chaque semaine, la librairie reçoit un nouvel arrivage de volumes, qui doit traverser l’océan ballotté par la houle, dans la cale d’un navire, le transport aérien étant devenu trop coûteux au cours des dernières années — situation attribuable entre autres à la crise économique qui a secoué le monde et qui touche encore durement l’Europe. ANNE HÉBERT Même spécialisée dans la vente, la LQP ne se contente pas de simplement vendre des produits culturels québécois. Elle a aussi pour objectif de faire vivre la littérature outre-mer. Elle est d’ailleurs subventionnée de l’ordre de 75000 $ par la SODEC et le ministère des Relations internationales pour tenir des lancements en sol français et pour alimenter sa vitrine Web (www.librairieduquebec.fr). LES EMBÛCHES Isabelle Gagnon n’entretient pas d’illusions quant aux possibilités, pour les éditeurs québécois, de se faire remarquer sur le marché français : La France est un pays de livres. La littérature a une place très importante, ici. Il y a toujours eu beaucoup de livres publiés. Même pour des petites maisons d’édition françaises qui sont en province, c’est extrêmement difficile de se faire une place. C’est une question de taille, mais surtout, de moyens. Pour vendre des livres en France, il faut en faire la promotion, et pour la faire, ça coûte très, très cher. Au point où les éditeurs québécois n’ont pas les moyens de se le payer. Conséquence de ce déséquilibre des forces, on note une tendance lourde chez nos éditeurs qui consiste à céder leurs droits sur les œuvres de leurs auteurs plutôt que de tenter d’en assumer eux-mêmes l’édition européenne. Ce qui serait loin de nuire aux auteurs, selon Gagnon : L’auteur qui est rendu chez Denoël ou chez Grasset passe dans la grosse machine, et du coup, il a droit à une bonne promotion de son œuvre. ISABELLE GAGNON 14 • lettres québécoises • automne 2010 Si les efforts de promotion sont nécessaires pour faire connaître des œuvres littéraires en France, ce serait un impératif encore plus incontournable pour les éditeurs québécois. Le marché français étant inondé par les œuvres produites à Littérature québécoise en France JEAN-FRANÇOIS CARON dossier Québec Édition trouve principalement son financement auprès du Conseil des Arts du Canada, de la SODEC et de l’Association pour l’exportation du livre canadien, devenue depuis peu Livres Canada Books (www.livrescanadabooks.com) dans le but avoué d’améliorer son référencement afin de faciliter son repérage sur la Toile, question d’offrir aux éditeurs canadiens et à leurs auteurs une plus grande place sur les marchés internationaux. UN RÊVE RENAÎT On voit se dessiner de bonnes nouvelles pour les institutions littéraires qui ont déjà pignon sur rue à Paris. Le rêve d’une Maison Québec-Europe, suspendu en 2003 pour des raisons budgétaires par le gouvernement de Jean Charest, a refait surface à l’automne 2009. Le projet impliquerait d’abord le déménagement de la Bibliothèque Gaston-Miron à Paris, située dans les bureaux de la Délégation générale du Québec à Paris et gérée depuis 2008 conjointement par Bibliothèque et Archives nationales du Québec et le ministère des Relations internationales du Québec, qui trouverait un milieu plus adéquat dans un local qu’elle partagerait avec la Librairie du Québec à Paris. GASTON MIRON l’intérieur de ses frontières — plus de 600 nouveautés ont frappé au portillon des libraires français et se sont empilées au coin des bureaux des journalistes l’automne dernier —, mériter la reconnaissance du milieu devient particulièrement hasardeux. En France, pour vendre des livres, il faut passer par les médias… Mais on va privilégier les Français avant les Québécois, ce qui est un peu logique. Les journalistes en France n’auront pas très envie de parler d’une petite maison d’édition qu’ils ne connaissent pas et qui vient du Québec. LENTEMENT MAIS SÛREMENT Outre la Librairie du Québec à Paris, principale porte d’entrée en France pour le livre québécois, peu d’organismes permettent une mise en marché du livre québécois. On voit bien quelques éditeurs qui ont développé leurs propres partenariats de distribution – qu’on pense à Boréal et Guy Saint-Jean éditeur, distribués par Volumen, ainsi qu’au Groupe Librex, qui se fraie un chemin avec Interforum. Mais le phénomène est plutôt marginal. Distribution du Nouveau Monde (DNM), très intimement liée à la Librairie du Québec, répond aux besoins des bibliothèques de l’Europe qui lui font occasionnellement la commande de livres québécois. DNM assure aussi une présence pour les livres québécois dans différents salons du livre régionaux français. On note également une initiative de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL), Québec Édition (QÉ), dont l’objectif est de soutenir les activités d’exportation des éditeurs. Ce comité de l’ANEL se présente dans les foires et les salons du livre non seulement en Europe (la Foire du livre de Francfort, le Salon du livre de Paris, la Foire du livre jeunesse de Bologne, le Salon de Montreuil, etc.), mais aussi en divers pays ailleurs dans le monde (le Salon international du livre et de l’édition de Casablanca, la Foire internationale du livre de Guadalajara, etc.). Ce mariage pourrait offrir une vitrine exceptionnelle à la littérature québécoise en France: au même endroit se trouveraient le fonds documentaire québécois le plus riche à l’étranger, celui de la Bibliothèque Gaston-Miron, qui contient quelque 17 000 livres, 20 000 documents numérisés et 200 périodiques et l’important fonds de la Librairie du Québec à Paris, qui propose de son côté près de 12000 titres aux Français québécophiles, ainsi que des revues et des CD. Une collection qui alimente la fierté de la directrice de la LQP : « Au Québec, il n’y a pas beaucoup de libraires qui ont autant de livres québécois que nous. On essaie vraiment d’offrir le plus de titres possible. » Isabelle Gagnon n’a toutefois pas voulu commenter le projet d’unification des deux organismes prétextant que, « pour l’instant », elle n’avait « aucune information à communiquer à propos de ce projet de déménagement ». PERCÉES ET PERCEPTIONS On prend souvent un raccourci en affirmant que les auteurs québécois des années soixante ont voulu publier en France pour obtenir une plus grande crédibilité. Dans bien des cas, c’est effectivement ce qui leur est arrivé : les auteurs sont revenus chez eux auréolés de succès, traînant dans leur petit bagage la reconnaissance du lectorat français. Mais affirmer que c’était leur objectif, c’est un peu court – rappelons que Marie-Claire Blais avait d’abord publié Une saison dans la vie d’Emmanuel au Québec (il s’était alors vendu à environ 500 exemplaires) avant de tenter le coup chez nos cousins, où il était destiné à remporter le prix Médicis. On oublie aussi qu’un certain Réjean Ducharme avait d’abord tenté sa chance chez un éditeur québécois, qui avait refusé son manuscrit, avant de voir L’Avalée des avalés publié chez Gallimard. Ainsi, la crédibilité apportée aux auteurs québécois après la Révolution tranquille grâce à leur publication en sol français n’était pas nécessairement l’objectif visé par leur démarche, mais plutôt le résultat d’un processus beaucoup plus complexe. On ne peut toutefois pas reprocher aux auteurs de se montrer intéressés par le marché français, beaucoup plus vaste que le québécois. Or, l’écart qui s’est accentué avec le temps entre les lectorats français et québécois ne leur facilite pas la tâche. Malgré une langue et des racines communes, il s’agit de deux mondes en de nombreux points différents. U N P O N T S U R L’ AT L A N T I Q U E Parmi les initiatives qui réussissent à faire le pont au-dessus de l’Atlantique, on remarque de plus en plus le prix France-Québec, créé par l’Association FranceQuébec lors de son trentième anniversaire, en 1998. Trois œuvres publiées par un éditeur québécois sont présélectionnées par un jury, puis proposées aux lettres québécoises • automne 2010 • 15 dossier Littérature québécoise en France JEAN-FRANÇOIS CARON LE FREIN DE LA LANGUE ? Le sentiment populaire veut que le Québec et la France soient séparés par la gravité d’un accent. Certains en sont venus à croire que les difficultés vécues par nos auteurs dans leur quête d’une reconnaissance sur le marché de l’Hexagone pourraient être liées à des questions de langue. Pourtant, il semble que ce ne soit pas souvent un facteur déterminant. Marie-Christine Bernard explique : Les gens que j’ai rencontrés [pendant ma tournée en France] avaient été séduits par la langue de mon roman. Je pense que les lecteurs français apprécient une langue qui est propre à son auteur, point. Parce que, si ma langue n’est pas joualisante, elle est tout de même fortement agrémentée d’expressions locales, de tournures bien québécoises et de certains « aménagements » qui me sont personnels. Selon Isabelle Gagnon, l’hypothèse selon laquelle la langue pourrait être un frein n’est pas concluante : Il y a des auteurs qui ont réussi, je pense entre autres à Jean-François Beauchemin, avec Le jour des corneilles, qui avait bien marché ici il y a quelques années. Mais c’est sûr qu’il faut que ça touche l’universel, il faut que ça sorte… Les jeunes auteurs au Québec le font de plus en plus. C’est beaucoup moins fermé. La lauréate du prix France-Québec abonde dans le même sens : MARIE-CHRISTINE BERNARD membres d’une soixantaine d’associations régionales regroupant près de 5 000 individus. Ce sont ces derniers qui ont pour mandat de désigner le lauréat. Pour Marie-Christine Bernard, lauréate du prix France-Québec en 2009 pour son roman intitulé Mademoiselle Personne (Éd. Hurtubise), c’est la perception même que les gens entretiennent des auteurs et de la littérature qui est différente entre le Québec et la France. Sortis du besoin de nous définir et de nous reconnaître, nous abordons des sujets qui touchent plus à l’universel, justement. Mais il ne faut pas oublier que les Européens, incidemment les Français, s’ouvrent eux aussi de plus en plus aux autres cultures francophones. Cette tension vers l’universalité se vérifie non seulement dans le propos des œuvres, mais aussi dans les objectifs des auteurs québécois : la France n’est Tout juste arrivée d’une tournée où elle a arpenté différentes régions de la France, traversant 2 300 kilomètres en 18 jours avant de recevoir son prix au Salon du livre de Paris des mains de Patrick Poivre d’Arvor, elle se montrait étonnée de cette importante différence : Le voyage en France m’a donné une autre perspective là-dessus. Être écrivain y est considéré comme une vraie profession. Ce n’est pas qu’un beau passe-temps. Je ne sais pas si c’est notre vieux complexe d’infériorité qui se joue dans cette méfiance envers les intellectuels, mais quand tu dis que tu écris des livres, au Québec, on te demande ce qu’est ton vrai métier… Puisque de plus en plus d’auteurs voient leur œuvre publiée par des éditeurs français plutôt que d’être importée sous l’étiquette québécoise, la France considère de moins en moins notre littérature comme étant étrangère. Dans le milieu, la québécitude n’est plus un avantage, guère plus un inconvénient. Ce sont les qualités intrinsèques d’une œuvre qui suscitent l’intérêt, le travail stylistique de l’auteur qui importe. Le plus souvent, les origines de l’auteur ne sont même plus mentionnées, ou alors elles ne sont pas mises de l’avant dans les stratégies de promotion. Il faut dire que le Québec n’est plus aussi exotique qu’il l’a déjà semblé pour les Français. GILLES PELLERIN 16 • lettres québécoises • automne 2010 Littérature québécoise en France JEAN-FRANÇOIS CARON plus toujours la première cible. Cette ouverture du Québec vers de nouveaux marchés aura pris du temps, conséquence qu’on pourrait attribuer à son histoire. Selon le nouvelliste Gilles Pellerin, qui a créé la maison d’édition L’instant même et qui milite pour une décentralisation de la francophonie et le respect des particularismes régionaux, le marché international du livre a conservé des traces évidentes d’un passé impérial : On a un grand problème, par rapport aux pays qui ont eu des empires, comme la Belgique, mais surtout la France en l’occurrence, qui contrôle la quasi-totalité de l’édition franco-européenne. Ils ont de vieux réseaux qui permettent de distribuer des livres à Tunis, à Dakar ou à Pointe-à-Pitre… Ça fait partie de routes commerciales qui existent depuis des siècles. Au Québec, quand on veut qu’un livre se rende Pointe-à-Pitre, à moins de conclure une entente de gré à gré, la situation risque de nous amener à faire partir nos livres de Montréal, les envoyer à Paris, et les faire revenir en Amérique. Alors, ils sont non concurrentiels sur le plan économique dans les zones visées. On est un peu paralysés. À ce sujet, Pellerin voit d’un bon œil les initiatives visant l’édition numérique, qui pourrait permettre de décloisonner les marchés : Avec les possibilités offertes par l’édition numérique, c’est le temps de dire [aux universités de l’étranger] que si vous n’avez jamais eu l’occasion, pour des questions économiques ou des questions d’exportation, de mettre des livres québécois au programme, il y a de nombreuses plateformes électroniques qui vous permettraient maintenant d’avoir accès à tous ces livres-là. Triptyque NOUVEAUTÉS dossier UNE PLUS GRANDE OUVERTURE Au cours d’une entrevue accordée au journaliste français Patrick Poivre d’Arvor dans le cadre d’un documentaire diffusé sur la chaîne culturelle Arte en septembre dernier, Dany Laferrière refusait de se faire attacher à un territoire. « Je viens du pays de mon lecteur. Si mon lecteur est japonais, je deviens japonais », affirmait-il alors. Cette préoccupation pour une littérature plus universelle est de plus en plus répandue chez les auteurs québécois. « Les jeunes auteurs au Québec le font de plus en plus, affirme Isabelle Gagnon, qui reste à l’affût des dernières nouveautés. C’est beaucoup moins fermé… Les romans du terroir, il n’y en a plus. » Du terroir à la question nationale, puis vers l’ailleurs, la littérature québécoise s’épanouit en visant au cœur même de l’humanité. Un autre phénomène s’observe: on veut que la portée du livre soit plus vaste. Publier en France? Peut-être. Mais ce qu’on vise, c’est le monde. De plus en plus, les jeunes auteurs se mettent à espérer que leurs livres soient traduits plutôt que seulement exportés dans leur forme originale. Une éventualité qui se réalise pour certains, à leur plus grand plaisir – par exemple, la récente traduction italienne de Zombi blues, de Stanley Péan, fort satisfait de cette aventure. «Quelle étrange sensation que de tenir ce livre que j’ai écrit dans une autre vie ou presque… et de ne pas pouvoir vraiment en lire le texte!» avouait-il sur son blogue (www.stanleypean.com) en arrivant à Milan, où l’on venait de le lui remettre. Ainsi, non seulement la littérature québécoise elle-même tend à être plus universelle dans ses thèmes et ses préoccupations, mais elle cherche à se faire connaître aussi plus largement de par le monde. Demain, la France. Aprèsdemain, la planète. HIVER 2010 www.triptyque.qc.ca tél. : 514.597.1666 PATRICK DOUCET L UCIE J OUBERT J ANIS L OCAS CAMILLE A LLAIRE Foucault et les extraterrestres L’envers du landau La maudite québécoise Celle qui manque essai, 105 p., 18 $ roman, 215 p., 22 $ nouvelles, 96 p., 18 $ roman, 104 p., 18 $ lettres québécoises • automne 2010 • 17 18 • lettres québécoises • automne 2010 roman ANDRÉ BROCHU IIII Louis-Philippe Hébert, Buddha Airlines ou Comment je suis devenu un surhomme, Montréal, Les Herbes rouges, 2009, 234 p., 18,95 $. La vie comme un manga Essayons d’imaginer la vie différemment, c’est-à-dire accordée au siècle nouveau et au formidable imaginaire qui le sous-tend. est ce que fait Louis-Philippe Hébert dans son dernier livre. On sait que l’auteur, qui a fondé jadis les Éditions Logiques et la première maison d’édition de logiciels, a cessé de publier des ouvrages de littérature pendant plus de vingt-cinq ans. Or, il occupe de nouveau la scène de l’écriture, multipliant depuis trois ans les recueils de poésie et de nouvelles, voire les romans. Et Buddha Airlines montre que sa plume n’a rien perdu de son alacrité. C’ plat. François le scandalise avec les histoires qu’il lui raconte. Et puis la mère, évidemment, qui fait de l’œil aux hommes depuis toujours. Elle se laissera facilement circonvenir par le mari de sa sœur. Et le père, avocat qui défend les érotomanes et qui l’est lui-même. Il meurt dans des circonstances troubles. On peut ajouter le grand-père, qui gratifie François de relations cordiales et un peu plus. Et puis le copain, O’Keefe, destinataire du récit de François et indéfectible ami après avoir été quelque peu son tortionnaire. Enfin, un moine bouddhiste fort énigmatique croisé à bord de l’avion qui ramène l’ado de New York après l’opération. HISTOIRE D’HISTOIRES François est un formidable inventeur d’histoires, qu’il se propose de mettre un jour en bd (mangas) et qui exaltent ses pouvoirs très étendus. Car il est un surhomme, au moins en devenir, et il survit on ne peut mieux à l’écrasement de son avion, de retour de New York. La fiction corrige allègrement la réalité, même si celle-ci est d’emblée décrite avec un sens de l’observation réjouissant. Et dans un style qui fait mouche à tout coup, tout en prenant appui sur une langue québécoise (standard?) passablement décontractée. Le tout n’est pas qu’amusant, il nous projette dans un monde dont les valeurs obéissent à une logique nouvelle. À cet égard, ce roman très réussi aide le lecteur à se poser des questions inédites. UN SURHOMME ET SES PROCHES François Brodeur est un ado de notre temps. Il a quatorze ans et sa vision des êtres est on ne peut plus décapante. Le mot d’ailleurs peut s’appliquer à l’action très simple autour de laquelle s’organise l’intrigue : affligé d’une propension remarquable à l’éjaculation, il est escorté par son beau-père vers une clinique new- III 1/2 Michel Tremblay, La traversée des sentiments, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2009, 256 p., 25,95 $. Le vide délectable En fin de cycle, Michel Tremblay se détend sous l’aile de la nature — et nous plonge dans l’harmonieuse unité de tout. e s d eu x pre m i e rs romans de La diaspora des Desrosiers nous proposaient des traversées bien concrètes, l’une du pays, le Canada, qui se prête aux diasporas en raison des vastes espaces qui favorisent l’essaimage des peuples, et l’autre de la ville, Montréal, où les cultures se côtoient sans se confondre. Rhéauna, dite Nana, qui deviendra la Grosse Femme des Chroniques du Plateau Mont-Royal, est une toute jeune fille qui assume plus ou moins le centre de la narration, encore que sa mère, M I C H E L T R E M B L AY Maria, lui dispute cette position. Et puis, des personnages secondaires comme les sœurs de Maria, Titite et Teena, tiennent beaucoup de place dans cette chronique. En fin de compte, le L yorkaise où un médecin juif va le circoncire. Sur la base de cette donnée narrative, un univers baroque prend forme. Le roman est fait surtout de l’évocation de figures étonnantes, dessinées à petits traits aigus dans une lente résolution d’énigme. La réalité se précise LOUIS-PHILIPPE HÉBERT peu à peu, de sorte que le code herméneutique (dirait Roland Barthes) l’emporte sur celui des actions. J’en ai déjà fait grief à Christian Mistral (Léon, Coco et Mulligan), mais il s’agit peut-être d’une nouvelle et légitime tendance du roman… Qui sont ces personnages? Le beau-père surtout, qui était d’abord l’oncle et qui a vite conquis sa belle-sœur devenue veuve. Un homme relativement distingué et lettres québécoises • automne 2010 • 19 roman ANDRÉ BROCHU centrement du roman traditionnel disparaît au profit d’une co-présence de nombreux personnages, comme c’était d’ailleurs le cas dans La grosse femme d’à côté est enceinte. L’ É C L I P S E D E S C O N F L I T S une plage de réconciliation absolue lorsque tout ce beau monde se retrouve en vacances à Duhamel, en pleine nature, loin des tracas de la ville. Voilà un paradis d’autant plus authentique qu’il est fait des choses quotidiennes, et qu’on s’y révèle dans sa plus simple expression — par exemple, Simon, le mari de la cousine Rose qui accueille les citadins, se baigne nu pendant l’orage et apporte, à Rhéauna, la révélation de la sexualité. Cette chimie des personnages, qui tend à les amalgamer, se manifeste symboliquement par les noms redondants (j’en ai parlé déjà à propos de La traversée de la ville): ici, on apprend que le vrai nom de Teena est Ernestine et que le nom de son frère aîné est Ernest, de même que celui de son enfant illégitime. Quant à Titite, son vrai nom est Reona, nom anglais, dont Maria a tiré pour sa fille le nom français de Rhéauna. Et leur cousine s’appelle Rose Desrosiers, du nom de la sœur aînée de sa mère !… Curieusement, la diversité propre à l’univers de Tremblay tend à se résoudre en une forte unité. BONJOUR LES TRICOTEUSES On comprend alors que La traversée des sentiments, après avoir fait état des éternels conflits familiaux (entre Maria et ses sœurs, Rhéauna et sa mère), ménage Il n’importe: Tremblay est attachant, aussi bien dans le réalisme lumineux de ses derniers romans que dans la fantaisiste exubérance des premiers. III 1/2 d’ingéniosité mais mettait à rude épreuve la capacité de compréhension du lecteur. Le deuxième Lascaux est beaucoup plus accessible, même s’il n’est pas dépourvu de profondeur. Au lieu de combiner plusieurs genres littéraires (poésie, récit, essai, théâtre…), l’auteur s’en tient au roman ou, si l’on préfère, à l’autofiction, qui mêle véridiction et invention. Normand de Bellefeuille, Un poker à Lascaux, Montréal, Québec Amérique, 2010, 200 p., 19,95 $. Retour à la grotte Il y a toujours une part de jeu dans les textes de Normand de Bellefeuille. Mais voici que, dans Un poker à Lascaux, le jeu s’humanise et devient à la fois drôle et tragique. e jeu suppose toujours la répétition, qui enlève à la séquence produite son caractère naturel. On ne naît pas, ni ne meurt deux fois, on existe de façon constamment nouvelle. Mais jouer aux cartes (au poker…) implique des procédures inlassablement répétées. Les quatre héroïnes du livre s’entendent fort bien à cette occupation. L D ’ U N L A S C A U X L’ A U T R E Au fait, on aimerait un peu plus d’action… Et l’on s’étonne que Tremblay ressuscite les Tricoteuses et Josaphat-le-violon, dans un contexte très réaliste qui jure avec la «magie» de ces figures fantasmagoriques. Sans doute s’agit-il de renforcer encore l’unité d’une œuvre très étendue. On trouve aussi que Rhéauna-Nana est bien loin, physiquement et psychologiquement, de la Grosse Femme qu’elle deviendra plus tard (dans sa vie) ou qu’elle était plus tôt (dans l’œuvre). Quatre femmes, c’est-à-dire la mère, les tantes et la grand-mère du narrateur (Simon de Bellefeuille…), s’éprennent violemment et de façon durable de cette grotte remarquable, Lascaux, qui devient la référence majeure de leurs échanges. La chose étonne car ces femmes proviennent d’un milieu très populaire, ce qui se traduit par leur langage qui est du sous-Tremblay («Ca veut jusse dire qu’le trafic est jammé, c’pourtant pas compliqué à catcher…», p. 14)! «Investir à ce point l’histoire et le territoire, même imaginaire, de Lascaux», pour ces femmes, revient à «retrouver [leur] fierté et [leur] dignité» (p.81-82), même si elles restent attachées à leur coutumière façon de vivre. En somme, elles découvrent quelque chose comme cette mythique caverne de Platon, emblème de la condition faite aux humains. U N R O M A N FA M I L I A L L’histoire de la fréquentation in absentia (la caverne étant fermée aux visiteurs) que font ces femmes rejoint tout un ensemble d’épisodes vécus par le narrateur, lequel participe pleinement au culte familial. Malgré l’homogénéité du livre qui s’en tient au genre narratif, une grande liberté préside à la présentation chronologique des différents événements. On se promène d’évocations puisées dans l’enfance du narrateur jusqu’à des épisodes très récents, en particulier ceux qui concernent la maladie et la mort de Raphaëlle, la femme de sa vie. Les scènes se succèdent de façon inopinée, comme si l’existence était un espace aléatoire, parcourable à volonté. L’humour et l’émotion de Simon, sa lucidité aiguë aussi face aux choses de la vie et de la culture, mènent le jeu et rachètent le quotidien trivial, tout comme Lascaux rachète ces pauvres, ces chères dames de leur petit enfer linguistique et social. Malgré la mort, qui est au bout. Dans Un poker à Lascaux, il y a d’abord la reprise étonnante de Lascaux, du même auteur, paru 25 ans plus tôt — voilà pour le jeu. Les éléments narratifs sont substantiellement les mêmes, mais leur traitement est fort différent. Issue du formalisme, l’écriture du premier livre procédait d’un ludisme fort intellectuel, qui comportait beaucoup d’invention et 20 • lettres québécoises • automne 2010 C’est dire que si traversée des sentiments il y a, c’est sous forme de rapide survol, même si Maria aboutit à l’énergique conclusion qu’elle doit rapatrier ses deux enfants laissés en Saskatchewan sous la garde de ses vieux parents. NORMAND DE BELLEFEUILLE HUGUES CORRIVEAU présentation Jean-François Caron, Nos échoueries, Saint-Fulgence, La Peuplade, 2010, 154 p., 19,95 $. Retour au pays natal Voyager à rebours réserve parfois de bien étranges surprises. Au fil de la route qui nous guide vers le lieu d’origine, on fait des rencontres et, une fois arrivé, on y retrouve des traces rebelles comme on se perd autant qu’on ramène à soi des pans du passé. est une question de senti» (p. 19), écrit le narrateur quand il s’agit de s’expliquer à lui-même, après la mort de ses parents, son désir de revoir Sainte-Euphrasie, lieu de sa naissance. Roman d’une pérégrination et d’un ancrage momentané, roman du désir de lire le palimpseste du passé, roman d’une rencontre troublante avec une fille du voyage. Tout à la fois réconciliation et déception, le pèlerinage met en jeu des sentiments toujours exacerbés, mais curieusement éteints, dirait-on, comme si le village lui-même portait son poids d’inertie sur les désirs eux-mêmes. «C’ R E N C O N T R E FO RT U I T E Une jeune femme fait de l’auto-stop. Le narrateur ne peut résister à interrompre sa course, au moment où «elle [lève] le pouce en fixant l’horizon, le regard en crémation dans le four du ciel» (p. 18). On pourrait dire que ce geste sera irrémédiable, source d’infinis questionnements et de remises en question. Là où tranquillement le fil de la route se déroulait, voici qu’il s’interrompt dans l’évidence stupéfiante d’un corps, d’une pensée, d’une féminité expressive. Mais le roman est écrit pour une autre femme, pour l’abandonnée, et le narrateur s’adresse à ce toi, à ce tu toujours présent en lui, déchirement vivace et tragique. Ne vient-il pas de rompre avec sa bien-aimée? Lui qui ne pensait qu’à sa Marie, échouée dans le Nord, Marie. Marie qui gravite autour du néant. Qu[’il] avai[t] abandonnée aux marées. Marie qui ballotte, à gauche, à droite, sous la pluie, accrochée à [son] cadre de porte qui flotte. Marie en orage, Marie grêle, en bourrasque. Marie en trombe, qui s’élève, doigt de mer accusant le ciel, remontrant. Répétant à tout vent. Tu n’aurais pas dû partir. Pas sans moi. (p. 21) Comment peut-il s’intéresser à cette autre femme inattendue, si libre, qui va où le vent mène? Même s’il affirme «Il n’y a pas de naphtaline dans les tiroirs de ma mémoire » (p. 29), le narrateur ne peut s’empêcher d’en faire surgir, bribe par bribe, en un mélange lié au romantisme le plus franc, des instants de joie comme de tristesse, balancé qu’il est entre une fidélité immanente et un désir concret. Car celle qu’on surnommera la Farouche ne le laisse aucunement indifférent, dès lors même qu’elle est montée à bord de la voiture ; et il s’en étonne, lui qui n’a « pas respiré une femme depuis ce jour où [s] on départ a dégagé cette odeur âcre de la quittance » (p. 80). MAISON DU PÈRE ET DE LA MÈRE Il emménage dans la maison abandonnée de son enfance. Il y séjournera de façon précaire, à l’avenant, dans un sentiment bancal d’appartenance et de JEAN-FRANÇOIS CARON dépossession. Vient alors la faune du village, vieux et jeunes, surtout ceux et celles du foyer pour vieillards d’en face, ou ceux de l’hôtel. Ils arrivent de partout, cohorte plus ou moins maléfique : c’est André, c’est Yves-Marie, c’est Pierre Saint-Pierre ou sœur Marie-Madeleine-desEaux-Vives. Troublé qu’il est par des rêves ou des cauchemars, comme ce jour où il avoue : « Alors cette nuit, je fais un détour jusqu’à notre lit parce que c’est comme si tu m’y avais amené. Comme si tu m’avais sorti des remous du vide. Comme si tu m’avais dit que tu n’existais que pour me combler. J’avais le regard en déroute, l’œil glissant sur son tapis d’ébriété. » (p. 126) Ce squatteur dans la maison d’hier ressasse le mal du départ comme de l’arrêt, déchiré qu’il est entre des pulsions contradictoires. Ce roman approfondit, chapitre après chapitre, cette tergiversation vitale d’un homme qui ne sait plus s’il doit avancer dans sa propre vie ou stagner de regrets, d’amertumes et de souvenirs pesants. COUPS DU SORT Mais voilà. En ce pays lointain où germe l’illusion d’une tranquillité à jamais acquise, le viol et l’incendie du diable viennent tempêter à l’heure endormie. On s’illusionne de se penser à l’abri du destin en des lieux où l’abandon même pourrait, croit-on, faire obstacle au malheur. On n’est pas loin d’un trouble plus secret encore, enfoui au cœur du narrateur, celui d’une peur atavique et lancinante: la femme quittée ne cesse d’être présente; la nouvelle flamme va s’abîmer sous des mains étrangères (n’y a-t-il pas ce « bruit de métal. Cri de fillette. Qui meurt abruptement. Bruit de métal. Cri de fillette» (p. 52) qui hante la mémoire et l’histoire des lieux ?) ; le giron du mouroir va flamber, emportant toute image réconciliatrice d’une fin plus paisible. Le roman de Jean-François Caron pourrait bien se tenir tout au bord de cette métaphore-là : double empreinte des corps jeunes et vieux, porteurs des abysses fatals. Voilà un roman qui met en scène le questionnement d’un homme qui se demande comment vivre sans regret, qui s’interroge devant le va-et-vient que lui impose la vie. En dernière instance, la véritable question est celle de savoir si le narrateur pourrait recommencer, revenir en arrière, pour mieux se relancer vers d’autres illusions. lettres québécoises • automne 2010 • 21 roman HUGUES CORRIVEAU IIII Jean-François Chassay, Sous pression, Montréal, Boréal, 2010, 232 p., 25,95 $. La tentation de la fin Chronique d’un suicide annoncé, Sous pression met en scène un personnage qui, décidé à se trucider dans les vingt-quatre heures, met son projet en suspens afin de convier neuf de ses amis à le convaincre de rester en vie. ais qui rencontre-t-il, au juste, ce scientifique de quarantesept ans, lassé de tout, de luimême au premier chef? Une cohorte de vilains petits canards qui ne savent pas vraiment comment se dépatouiller avec cet olibrius mal fichu auquel ils doivent chanter les louanges de la vie vraie. Et on M sommes capables, toi aussi, tu peux bien dépasser tes propres limites sentimentales, professionnelles ou personnelles.» Belles raisons de vivre que celles-là! FA I S C O M M E M O I ! En un tour de la métropole qu’il trouve laide à faire peur, le futur mort rencontre d’abord Diane, dynamique sportive aérobic, qui l’encourage à soigner son corps afin que la saine mécanique de son body lui assure une salvatrice rédemption. Vient ensuite Éric, psychologue, qui farfouille dans ses mots et dans ses œufs. «Le maître de Hank», vétérinaire spongieux, suggère l’achat d’un chien; Françoise, physicienne comme lui, essaie de lui prouver que l’amour ne sauve de rien ; Robert, au Jardin botanique, ne sait qu’imaginer la génétique pour expliquer son comportement déviant; quant au cinéaste, obsédé par les souffrances et les frustrations catholico-nationales, il essaie de le transformer en créateur et artiste; Stéphane, détestant l’atmosphère du lieu du rendez-vous, gueule et le met à mal, victime de sa colère ontologique; sa belle-sœur passe proche de l’endormir sous le rouge tonitruant des viandes et des vins; Camille, le cuisinier de talent, lui parle de sa passion invétérée pour les couteaux, comme si un emballement pour la collection s’offrait à lui telle une panacée. Mais l’ultime leçon, il la tire de lui-même, de l’inexorable solitude à laquelle il est refoulé. Et le dernier rêve surgit des images du corps comestible: se retrouver émincé comme un tartare cru, sous les couteaux de Camille, assassiné. U LT I M E R É U S S I T E Ce roman formidable tient le pari de parler de la mort avec humour et de la vie en termes assez mortifères. Ce roman «monologué» s’offre comme un miroir cruel de notre propre réalité, mélangeant savoir et inculture, compassion et égoïsme. III Carole Massé, L’arrivée au monde, Montréal, VLB éditeur, 2010, 80 p., 15,95 $. se rendra vite compte qu’entonner l’hymne à la joie de vivre n’est pas donné à tout le monde. Lui, il parle peu, et le romancier le décrit au il, personnage distancié de sa propre histoire. Ceux qui disent je, ce sont ceux et celles qui soliloquent, jacassent sur le chemin J E A N - F R A N Ç O I S C H A S S AY de la fin. Ils ont été appelés, élus en quelque sorte, pour sauver la vie de l’atrabilaire mélancolique. Les vannes ouvertes, ils ne trouvent rien de mieux que se raconter eux-mêmes, étaler leurs déboires, leurs échecs et leurs doutes, ils n’ont d’autre solution qu’engueuler le pauvre décati afin de l’empêcher de passer à l’acte. Les triplets prisonniers Maman partie, papa devient un geôlier monstrueux. Une sorte de déréliction affective le rend inapte devant son fils et ses deux filles qu’il garde à vue, qui survivent malgré tout dans l’attente de l’improbable retour de la mère. LIAISONS DANGEREUSES Mais l’humour dans tout cela vient du fait que Chassay crée volontairement un malaise croissant, une sorte de découragement latent qui sourd de ce que les histoires, les unes aux autres ajoutées, sont rien moins que déprimantes. Qui aurait les amis dont le pauvre mal fichu s’entoure trouverait mille raisons de se trucider allegro. Et le grand intérêt de ce livre fabuleux et fascinant tient à cette quête de positivisme toujours néantisé en quelque sorte par la pléthore de déboires, de petites faillites, de mauvaises consciences que chacun accumule. Tous et toutes disent au pauvre bougre qu’eux, malgré tout et contre tout, vivent. La grande leçon venant de cette déprimante évidence proposée par les appelés: «Si nous en 22 • lettres québécoises • automne 2010 ucun lieu défini, un no man’s land aux allures de manoir lugubre. Le père nourrit les enfants de poissons crus et les prive de tendresse. Ils vont nus et regardent la grande porte toujours verrouillée avec l’indéfectible espoir d’une délivrance. Et même les enfants entre eux semblent dépourvus de sentiments amoureux. Coques maganées. C’est la dernière-née qui écrit, qui parle de Jade et de José. Leur vie n’est qu’une station prolongée dans la durée létale. Ils souffrent et A roman HUGUES CORRIVEAU Beau roman que celui-là. Intense traversée des émotions folles et déroutantes qui disent la force intrinsèque de l’être humain […]. LA CARENCE On ne peut pas ne pas penser au Grand cahier d’Agota Kristof, impossible non plus de ne pas évoquer La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy: même isolement, même attrait pour la ville lointaine et anonyme, cadavre aussi, méchanceté et désespoir. Carole Massé a bien fait de ne pas restreindre son désir de raconter cette histoire de jumeaux mal en point, de ne pas se laisser museler parce que d’autres auteurs avaient visité les lieux avant elle. Elle a sa propre manière de redonner vie à la souffrance morale. Son style est ici particulièrement achevé, allant franchement du côté de la poésie en vers libres, dans les retranchements les plus aigus de l’indicible. DÉSARROI couvent en silence une vengeance inéluctable contre le père. Elle viendra. Jade ne pourra pas fuir, gardienne des CAROLE MASSÉ lieux à jamais, José aimera vainement une femme qui le laissera à son irrémédiable fin, la narratrice arrive à elle-même comme dernière destination, blanc univers restreint qui la clôt et la claustre. II Olga Duhamel-Noyer, Destin, Montréal, Héliotrope, 2009, 162 p., 21,95 $. Vivre aux dépens des autres Olga met Olga en scène autour d’amours clandestines et largement arrosées. Olga aurait, semble-t-il, un Destin, mais bien mal nous prend d’en chercher l’exceptionnelle volupté. Le roman, toutes désespérées qu’en soient les conclusions, offre singulièrement prise au sens le plus fort de la survie, au besoin de se sortir du sordide. Si la mort du père est le prix à payer pour qu’advienne au moins un petit espoir de recommencer leur vie, les triplets iront au front pour trouver la clé des songes et de l’ailleurs. Beau roman que celui-là. Intense traversée des émotions folles et déroutantes qui disent la force intrinsèque de l’être humain quand tenaille au cœur un irrépressible besoin d’accomplissement, quelle qu’en soit l’issue. L’ A R T D E L A F U G U E Soit! L’intérêt, ou la curiosité, pour mieux dire, est soutenue! Comment ne pas accompagner ces tergiversations sans fin, ces déplacements d’un pays à un autre, sans garder l’œil un peu ouvert. Mais cela ne suffit pas à mes yeux à éviter de sombrer trop souvent dans l’exotisme de pacotille, surtout dans les restanques, surtout dans une île déserte du fleuve Saint-Laurent en face de Montréal, surtout quand on habite un appartement déglingué sous le pont Jacques-Cartier. Trop c’est trop, dirait l’autre. D’autant qu’on passe d’un club de danseurs nus à quelque club de lesbiennes, d’autant qu’on se fait faire un enfant comme par dépit, qu’on s’amourache un peu n’importe comment, qu’on squatte pendant des années la vie des autres. Mais qu’y a-t-il là de si effervescent qu’on ne sache plus très bien si on va se noyer dans de l’eau de rose ou de boudin? ÉMOTION ADOLESCENTE Si Olga est troublée par les femmes, c’est qu’elle fut émue par un baiser entre deux femmes dans un film de guerre qu’elle a vu à Canterbury, quand elle avait 13 ans, en 1983. Le cœur en e t’attire, tu m’attires, on s’attire: éternelle chamade, la voici tourneboulée à vie. Et Sonny arrivera dans histoire ! Qu’on soit entre filles, entre garson existence comme l’éclair tant attendu, sorte de Rudolfo çons ou entre couples hétérosexuels, touValentino du temps du muet qui faisait se pâmer bellâtres et jours la même chose! Et c’est de ça que joue Olga belles beautés. Sonny, voguant d’un saphisme soft à des amours Duhamel-Noyer, de cette propension à ne pouvoir masculines sans y regarder de trop près, accouchera d’Hadrien, se passer des autres, à n’être jamais autonome en que l’amoureuse-narratrice un peu boniche dorlotera bien un rien, l’insuffisance des sentiments en prime. Ce faux peu beaucoup. Et voilà. Des allers et retours entre la France et le roman (une autofiction qui cacherait mal sa nature Québec nous transporteront souvent à travers «les eaux glacées véritable?) tergiverse sans cesse, hésite, mimant le du temps» (comme le dit, en une image cucul la praline, la dilettantisme effréné des protagonistes, soumis aux quatrième de couverture). Bien difficile de suivre un fil quelO LG A D U H A M E L - N OY E R attraits fugaces, et parfois tristes, des corps et des conque en ce récit, tellement hop! on est ici! et hop! on est làsentiments qui se croisent. Et pourtant, on traverse bas! ballottés que nous sommes d’une amourette à une pasces histoires pleines de clichés, ces «poussoirs» et repoussoirs, avec une cersion, d’un devoir à un ennui lancinant, d’une quête à un abandon. Ça pourrait être taine fascination, parce que la faune qui s’y débat n’est pas tout à fait habituelle. extrêmement mauvais, or, c’est tout juste assez trépidant pour soulever notre Mais est-ce suffisant pour faire un grand livre? Oh! Que non! Et sa nomination appétit d’en savoir un peu plus sur les souffrances et soupirs de la dame au rêve au Prix des libraires 2010 est tout simplement stupéfiante. de pellicule. J lettres québécoises • automne 2010 • 23 roman JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU III 1/2 Claude est déchiré par le témoignage des enfants autant que par l’absence de vie affective. Il y a bien Myriam, une Guinéenne faisant partie de l’équipe qui rédige les décisions des juges, qu’il aimerait mieux connaître, mais elle est comme un oiseau blessé, effrayé par la présence des hommes. Gil Courtemanche, Le monde, le lézard et moi, Montréal, Boréal, 2009, 232 p., 22,95 $. « Je n’ai pas raté ma vie, je suis passé à côté. » L’ A R R O S E U R A R R O S É La cause de Kabanga arrêtée pour «vice de forme», Claude décide de se rendre à Bunia pourchasser le tortionnaire. My r iam l’y accompag ne jusqu’au jour où il se laisse à nouveau envahir par sa soif de justice qui l’oblige à défendre celui contre qui il a accumulé de solides preuves d’un crime ignoble envers des enfants. Je me souviens de Gil Courtemanche en jeune journaliste interviewant Marcel Dubé sur la rive du Richelieu dans un documentaire consacré au À travers une trame narrative serrée, dramaturge. Puis, il a été des informations téléaux péripéties et aux rebondissements semblables à un docudrame, Gil visées avant de se mettre à l’écriture. En 2002, GIL COURTEMANCHE nous entraîne dans les Courtemanche il y a eu un premier roman, Un dimanche à la coulisses de l’un des organismes dont la raison d’être, la justice pour les oubliés piscine à Kigali, où il racontait le désarroi et l’impuissance de de la terre, est indispensable en ce XXIe siècle. Mais la Cour pénale internatous devant le génocide rwandais. tionale de La Haye est aussi une aventure humaine et, là où il y a de l’homme, il y est dans une atmosphère semblable que baigne Le monde, le lézard et moi, roman paru à l’automne 2009. Nous y partageons quelques mois dans la vie de Claude Tremblay, juriste à la Cour pénale internationale de La Haye. C’ Qu’est-ce qui pousse un jeune Québécois à entrer dans ce cercle d’initiés veillant sur la justice planétaire ? Fils unique, Claude est un adolescent modèle, un élève brillant, un sportif performant, mais aussi un garçon sans cesse préoccupé des autres. Il suffira d’un professeur de philosophie au cégep pour qu’il s’engage dans divers mouvements sociaux d’avantgarde et pour que le geste batte au même rythme que ses pensées. JUSTICE POUR TOUS Claude se marie et ne parvient pas à mener simultanément sa vie amoureuse et ses engagements sociaux. Devenu juriste, il a un contrat avec une ONG en Côte-d’Ivoire où il doit garantir la distribution de milliers de doses d’un vaccin. Or, exercer ses responsabilités en respectant la culture de ce pays lui est impossible et une erreur stratégique le force à quitter l’Afrique rapidement. À la suite de cet échec, il est engagé à la Cour pénale internationale de La Haye car, dit-il, « j’ai trente-cinq ans, je crois en la justice ». Son séjour aux Pays-Bas, « le plus civilisé des pays barbares », l’amène à documenter le procès de Thomas Kabanga accusé d’avoir utilisé le service d’enfants soldats pour mener à terme ses projets meurtriers. 24 • lettres québécoises • automne 2010 a de l’hommerie. L’idéal de Claude finira par le perdre, n’étant pas lui-même parvenu à créer l’équilibre entre sa passion de la justice et sa passion amoureuse. IIII Gil Courtemanche, Je ne veux pas mourir, Montréal, Boréal, 2010, 232 p., 19,95 $. « Quand on est malade, vivre est un travail. » Publier deux romans en un peu moins d’un an, ce n’est pas rien. D’autant plus que Le monde, le lézard et moi (Boréal, 2009), nous l’avons vu plus haut, est remarquable en ce qu’il donne un justicier aux atrocités faites aux enfants soldats. L’auteur y distingue aussi la raison du devoir accompli et la passion amoureuse. ette fois, Gil Courtemanche a choisi de raconter une histoire gravitant autour de sa propre existence. Cela étonne d’abord, l’homme Courtemanche ne semblant pas de ceux qui s’épanchent sur la place publique. Mais une fois l’idée d’autofiction comprise — c’est-à-dire que l’objet de la narration est tiré d’expériences personnelles, mais que la trame demeure une fiction —, on se laisse prendre au bien écrit, au bien raconté et, surtout, à cette C roman JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU II 1/2 ombre qui plane sur une peine d’amour et un cancer du larynx. AUTOFICTION L’écriture d’abord. Le roman est constitué d’une suite de plans-séquences alternant de l’amour en allé au développement de la maladie. Cela donne des chapitres brefs, les plus courts étant semblables à des flashes inspirés par l’émotion du moment. Puis, il y a que les liens entre le départ de l’amoureuse Violaine et l’apparition ou le traitement du cancer sont éminemment serrés. Le narrateur obligé, c’est bel et bien Gil Courtemanche, l’homme à la moue boudeuse. Du moins, l’image que l’écrivain a de lui-même ou qu’il perçoit dans le regard des autres. Une mise à nu, diront certains. Possible, car la frontière entre ce qui distingue l’auteur de son personnage n’est connue que de lui-même. L’ A M O U R L’écrivain-narrateur a rencontré Violaine, qu’il considère comme sa première et dernière femme, quand elle est venue l’interviewer au moment de la parution d’un livre précédent, vraisemblablement Un dimanche à la piscine à Kigali. Ce fut un coup de foudre, puis la quête amoureuse s’est installée. De ce qu’il raconte de sa vie de couple, nous retenons qu’il n’a pas entretenu le quotidien de sa relation amoureuse, puisqu’il considérait Violaine comme une Pénélope du XXIe siècle attendant béatement Ulysse. Annie Cloutier, La chute du mur, Montréal, Triptyque, 2010, 301 p., 23 $. Chronique du temps arrêté Un premier roman jugé excellent crée une attente que le second ne comble pas toujours. C’est, je crois comprendre, l’expectation prudente qui guettait La chute du mur, le nouveau roman d’Annie Cloutier dont Ce qui s’endigue (Triptyque, 2009) fut considéré comme « un premier roman solide». Pour ma part, j’ai abordé La chute du mur l’esprit tout dégagé, et ce fut bien ainsi. a romancière nous invite à suivre deux avenues narratives, l’une menée par une voix hors champ, l’autre par une narratrice dont l’identité se précise au fur et à mesure que la trame se déroule. Cette mécanique fonctionne jusqu’à ce que les personnages se confondent et qu’il n’y ait plus qu’une seule et même trame. L LA MORT LIV ADOLESCENTE Mais il y a une autre dimension à ce roman, et c’est l’apparition des premiers symptômes d’un cancer du larynx. Confirmée par les examens médicaux, la maladie va devenir la raison pour laquelle Gil C. va se battre. Il n’est pas question pour lui de mourir tant qu’il n’a pas convaincu Violaine de rentrer à la maison. Si cela n’advient pas, il livrera un combat au cancer tant que vivra sa vieille mère. Or, malgré son état de santé et son statut d’homme seul, il se défend contre la maladie sans grande conviction, continuant de fumer, de boire des ballons de rouge et de flirter tantôt avec une barmaid qui l’écoute gémir, tantôt avec le personnel féminin de l’hôpital où il est traité. Le premier temps, c’est celui d’une fille ANNIE CLOUTIER unique habitant une banlieue cossue de la capitale nationale. Liv, prénom emprunté à la comédienne fétiche de Bergman, traverse une adolescence dorée dont la langueur finit par l’ennuyer. Pour chasser sa morosité, elle s’inscrit à un programme d’échanges qui va la mener en Allemagne, le temps d’une année scolaire. La famille chez qui elle s’installe a un régime de vie austère et elle s’ennuie plus que chez elle. Elle se lie alors d’amitié avec une consœur délurée qui l’entraîne dans une aventure dont Liv ne sortira pas intacte. L I V A D U LT E Rien d’étonnant alors que le roman n’ait pas une véritable fin heureuse, si Gil C. est en rémission du cancer, mais ne tient pas plus à la vie qu’avant. Puis il sait que Violaine ne reviendra pas. Alors il se tourne vers une amie libraire, le corps et l’esprit devant exulter comme il faut boire ou manger. Œ U V R E D E M AT U R I T É Je ne veux pas mourir seul est une œuvre achevée. Sa trame et son écriture témoignent de la maturité de l’écrivain. En prime, nous y notons de nombreuses phrases dignes d’une anthologie, qui parsèment la narration et nourrissent notre réflexion. La phrase servant de titre à cette chronique, «Quand on est malade, vivre est un travail », est un exemple, comme ces autres : « Vivre pour ne pas déranger les autres par notre mort. Vivre par politesse, par respect. Vivre comme une occupation, un état et non pas une passion.» Gil Courtemanche ne donne pas à lire une histoire hop! la vie, mais étame le miroir de l’indifférence de vivre quand on n’a pas su retenir sa véritable raison d’être, celle de la passion amoureuse. Le deuxième temps de La chute du mur, c’est celui d’une traductrice installée à New York avec sa fille Sabine. Mère et fille voient s’écrouler une des deux tours victimes du 11 septembre 2001. Sabine aura peine à oublier cette scène apocalyptique. Mais pourquoi la mère et sa fille semblent-elles enfermées dans un univers hyperprotégé? Petit à petit, ce qui semble d’abord mystérieux devient limpide, leur histoire s’imbriquant à celle de Liv. Annie Cloutier mène bien l’organisation de son projet d’écriture. Entre la chute du mur de Berlin et celle des tours du WTC, la symbolique de ces événements s’intègre parfaitement aux épisodes de la vie de Liv, en 1989 et en 2001. Un bémol cependant: le passage d’une adolescence dorée à la vie de jeune femme prudente que Liv emprunte est trop soudain pour être totalement crédible. Cela dit, La chute du mur représente bien les aléas auxquels est soumise la génération actuelle des trentenaires, qui n’a rien à envier à celle des baby-boomers. Cela rappelle que du cocon familial à la mondialisation, il n’y a plus de véritable distance. lettres québécoises • automne 2010 • 25 premier roman MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE III 1/2 Guillaume Corbeil, Pleurer comme dans les films, Montréal, Leméac, 2009, 152 p., 18,95 $. L’enfance en noir et blanc Chroniques douces amères d’une enfance fantasque, ce premier roman de Guillaume Corbeil évoque les princesses endormies comme les ogres terrifiants. est un garçon que sa mère ne destine à rien d’autre qu’à une carrière de grand écrivain. Les numéros de La grande revue des grands écrivains, qu’elle achète chaque semaine, font d’ailleurs office de livres de chevet miroirs qui disent qui est la plus belle». Ils découvrent qu’Émile Ajar, le voisin, leur dissimule quelque chose. Ils connaissent l’existence de la petite amie que leur père essayait de leur cacher. Et quelque chose se brise en eux. Belle et cruelle réflexion sur ce que l’on est et ce que l’on cherche à construire, sur les faux-semblants, les subterfuges et les histoires trafiquées, on ment dans ce récit un peu comme le font les petits, sans trop de préméditation, mais avec un sens aiguisé du drame. Et en des mots parfois naïfs, parfois graves, toujours bien tournés, on nous raconte comment naissent et meurent les illusions qui nourrissent la candeur. «Les histoires, on ne les raconte pas pour soi, sinon on n’aurait qu’à se dire le titre et il ne nous resterait plus qu’à rire si c’est une histoire drôle, ou à pleurer si c’est une histoire triste», explique un jour le petit aspirant écrivain. Et cette histoireci, douce et impitoyable, on saura gré que quelqu’un l’ait écrite, car elle nous aura offert un petit pincement au cœur. C’ III Hector Vigo, Belle-Bite le hobo, À la poursuite de Jonas 1, Montréal, Les Éditions XYZ, 2010, 220 p., 23 $. Des rats et des hommes Une mendiante quinquagénaire à l’esprit lubrique, un borgne étourdi de vengeance, un chef de brigade épris de violence après avoir vu l’horreur : Belle-Bite le hobo explore les basfonds de la ville et des sentiments humains. GUILLAUME CORBEIL dans la chambre de son fils qui, bon joueur, s’efforce de réaliser le rêve de sa mère devenu sien, imitant les faits et gestes de son voisin d’en haut, Émile Ajar, retranscrivant des romans, se pliant aux jeux de sa mère qui tente de reproduire en leur vie les péripéties et anecdotes de celles des grands auteurs dont ils s’abreuvent. ans une ville de Québec fantasque et glauque, l’administration municipale lutte avec difficulté contre les rats qui terrorisent les citoyens. Les hommes de la brigade spécialement formée pour les décimer meurent au combat dans les égouts et les caves de la Basse-Ville D Pleurer comme dans les films, c’est aussi l’histoire de l’indéfectible affection de ce garçon pour «la petite Jade», sa cousine aveugle pour qui le monde est «une courtepointe de détails et de textures» et qui rêve de tours de magie. Pour elle, il maquille la réalité et invente des châteaux imaginaires, loin d’un père qui ne jure que par son métier de conducteur de grues et qui refuse de l’envoyer à l’école. Un autobus scolaire, des jeux dans la baignoire, du bouillon de poulet pour les jours de maladie et des globes souvenirs avec immeubles miniatures et neige: tout dans ce roman a un parfum d’enfance. Pourtant, l’enfance n’a pas ici la saveur sucrée des dessins animés de Walt Disney, mais bien l’arrière-goût des contes de Perrault ou d’Anderson, où le loup l’emporte sur le Petit Chaperon rouge, où la petite sirène ne connaît pas l’amour auprès de son prince et se transforme en écume de mer. Ici, les enfants sont perméables aux névroses des adultes. Ils découvrent que les monstres existent, même si l’«on serait porté à croire qu’ils ont disparu en même temps que les haricots magiques [et] les sous les morsures répugnantes des rats. C’est le sort qu’aurait aussi pu connaître Jonas, vagabond barbu, solitaire et avantageusement pourvu, si Bernie, le Roi des rats, n’avait pas consenti à lui laisser la vie sauve. HECTOR VIGO 26 • lettres québécoises • automne 2010 premier roman MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE S’ensuit une extravagante succession de péripéties, elles-mêmes portées par des prémisses singulières: Jonas est en vie dans les égouts, entretenu par les rats selon les ordres de leur souverain qui le maintient captif en son royaume malodorant; poursuivi par une mendiante défraîchie qui rêve de son sexe, aperçu alors qu’il se vidait la vessie sur un mur de briques délabrées ; pourchassé par un ennemi borgne et revanchard dans des égouts pris d’assaut par la brigade qui cherche à récupérer les corps de ses membres morts au combat. certes surprenant. Comme dans une histoire pour enfants, rats et hommes sauront s’allier pour une cause commune malgré leur ancestrale haine mutuelle. Comme dans les livres érotiques, l’auteur fera preuve d’un large et distrayant vocabulaire pour dire crûment et avec un sourire en coin le naturel du corps humain. Et comme dans les romans d’aventures ou les téléséries à intrigues, on laissera un pan de l’intrigue en suspens pour en retrouver une autre avec le sens dramatique qui s’impose. Cette aventure brune et violente se construit autour de personnages rapidement campés du côté des bons ou des méchants, qui laisseront toutefois entrevoir, au fil des galeries d’égouts et des meurtres, des nuances d’humanité. Et si ce drame habilement grotesque se joue en une unité de lieu et de temps, il partage aussi avec les tragédies grecques quelque fierté sanguinaire, exposant à vif les élans humains qui survivent quand tout s’écroule autour. Si ce surprenant récit réussit à capter l’attention, c’est qu’il est porté par une maîtrise des rouages du genre et que l’auteur joue des conventions avec un plaisir, comme si Daniel Pennac avait délaissé Belleville pour les «intestins de la ville» de Québec. Par exemple, un second narrateur vient souvent commenter le premier — «Se pourrait-il que l’appétit de violence embellisse et que la gentillesse enlaidisse? frissonne à son tour le narrateur.» RÉFÉRENCES BIGARRÉES De prime abord, on aurait pu éprouver pour cette étrange proposition romanesque une réserve certaine, un peu à l’image de ce qu’inspirent les rats qui peuplent ce récit, mais l’amalgame est assez habilement construit pour que l’on accepte de se laisser porter par cette insolite saga. Malgré la violence, malgré les desseins qui se jouent en de dramatiques circonstances, on découvre ce roman avec un plaisir souvent ludique. L’objet littéraire est III Olivia Tapiero, Les murs, Montréal, VLB éditeur, 2009, 160 p., 24,95 $. Un monstre sous la peau Lucide, elle voit la disparité entre sa condition et celles des autres malades: elle sait que « l’Anorexique » souhaite « vivre en mourant de faim », alors qu’elle maigrit «pour éliminer [sa] vie, pas pour la supporter»; elle relève le contraste entre son sort et celui de son amie «Cancer», «celle qui se bat pour sa vie et celle qui, avec arrogance, ose souhaiter la mort». Un tel Troublant huis clos dans la tête d’une adolescente, ce roman, qui a valu à son auteure le prix Robert-Cliche, dépeint avec une précision clinique les pensées d’une jeune fille suicidaire. es cicatrices sur tout le corps, un « tempérament suicidaire », mais aussi une lucidité à glacer le sang, l’anti-héroïne des Murs, premier roman d’Olivia Tapiero, une étudiante en littérature âgée de vingt ans, a décidé d’en finir. On la découvre dans un hôpital qu’elle ne quittera que pour en gagner un autre, mais les murs dont il est ici question ne sont pas ceux qui l’entourent en ces lieux froids et stériles, mais bien ceux qu’elle construit entre elle et les autres, entre elle et la vie. D Des somnifères ingurgités par dizaines. Puis le réveil, la déception. Aucune trace d’une envie de vivre, même ténue, ou d’un appel à l’aide refoulé chez la narratrice. L’humanité en elle la rebute à un point tel qu’elle lui a donné le nom de Monstre: «J’ai défini tout le naturel en moi comme étant monstrueux; le rire, l’affect, l’irrationnel; il est la part humaine de ma personne.» La rage adolescente et ses envolées frondeuses côtoient ici une surprenante sagacité en un ensemble obsessif: «C’est absolument délicieux, j’ai affaibli mon cœur, l’organe le plus important, l’organe poétique, métaphorique, il pompe faiblement, il est plus calme, plus silencieux, comme si je lui avais injecté une faible dose de poison. Ça me rassure, au moins j’ai réussi quelque chose de vrai, de concret, j’ai affecté un organe.» L’ A R R O G A N C E D E S O U H A I T E R M O U R I R La froideur dans laquelle se complaît et s’enferme la patiente aura peu de brèches. Elle lutte, invariablement, contre chaque sursaut de sensibilité à l’égard des autres — patients, parents, médecins. S’en punit même. Et ces autres qui l’entourent sans pouvoir l’atteindre viennent révéler la souffrance de cette vie refusée. O L I V I A TA P I E R O pragmatisme froid dérange. Extrême, sans nuances, il demeure tristement plausible, porté par une écriture à la beauté froide, où les mots troublent sans émouvoir. Une écriture assurément maîtrisée, simple et percutante, qui dissèque ce mal-être sans jamais laisser entrevoir ses origines. Tour de force que celui de construire un être crédible dans son extrême dégoût de la vie. Toutefois, difficile de se laisser bouleverser par un personnage qui lutte contre chaque parcelle d’humanité en lui. On l’observe plutôt, plein d’un effroi plus intellectuel que physique, se faire saigner avec les ongles quand tous les objets contondants lui ont été retirés, s’empêcher de manger malgré la faim qui la tiraille, refuser l’aide des médecins et des psychologues malgré sa détresse. Un roman sombre et fascinant qui révèle avant tout une plume qui, ici, grave en nous cette image froide du désespoir. lettres québécoises • automne 2010 • 27 polar NORMAND CAZELAIS IIII 1/2 Jean-Pierre Charland, Haute-Ville, Basse-Ville, Montréal, Hurtubise, 2009, 600 p., 29,95 $. Les non-dits de la Haute Qu’est-ce que la pulsion criminelle ? La justice est-elle la même pour tous ? Et toutes ? Vaut-il toujours de connaître – et de faire connaître – toute la vérité ? n 1925, Renaud Daigle revient à Québec au terme d’un séjour de onze ans en Angleterre. Il y a étudié le droit à l’Université d’Oxford, tout particulièrement le droit constitutionnel, et a servi comme officier pendant la Grande Guer re où il a récolté blessures et médailles. Héritier de quelques centaines tée». À l’encontre d’Ellroy toutefois, qui plonge résolument dans le roman noir et les tréfonds les plus sordides de l’âme humaine, Charland braque plutôt son œil critique sur la société du temps et ses mœurs en soulignant de traits incisifs les travers et préjugés des bien-pensants, qu’ils soient issus de la bourgeoisie ou du clergé (qui en prend d’ailleurs pour son rhume…). Déjà, La rose et l’Irlande m’avait appris que lire Jean-Pierre Charland est un plaisir. Cet auteur écrit intelligemment, sachant ménager ses effets. Bien documenté, il développe son intrigue sans se perdre dans d’inutiles digressions et chemins de traverse, sans chercher à éblouir le lecteur par des artifices de style ou de psychologie à cinq cennes. D’une page à l’autre, l’intérêt est soutenu. Ce qui n’empêche pas Charland de poser un regard acide sur les inégalités sociales et les injustices qui en découlent; à cet égard, la tolérance que manifeste son héros envers des marginaux (homosexuels et prostituées, par exemple) en fait un être hors normes… plus ou moins crédible parfois. Haute-Ville, Basse-Ville amalgame roman historique et roman policier. L’un et l’autre sont réussis. E III 1/2 Maurice Gagnon, L’isle silencieuse, Montréal, Fides, 2010, 272 p., 24,95 $. Omerta insulaire de milliers de dollars, somme considérable pour l’époque, cet homme au début de la trentaine représente assurément un « beau parti » pour les familles de la Haute-Ville souc i e u s e s d e con c lu re d e s alliances avantageuses pour leur progéniture. Célibataire, Daigle est un esprit libre, réfractaire aux «codes de comportement étriqués de la communauté ambiante»; il se sent à l’étroit dans la ville qui l’a vu naître. On l’invite chez les notables, on lui présente des jeunes filles à marier, on le fait pénétrer dans les cercles du pouvoir; on l’embrigade presque à son corps défendant dans des campagnes électorales opposant libéraux et conservateurs. Il joue le jeu, non sans un certain agacement. JEAN-PIERRE CHARLAND « Messieurs, disait Napoléon à ses généraux, n’oubliez pas que l’Angleterre est une île. » Lui-même d’origine insulaire, il savait ce que signifie cette réalité géographique. l’automne de 1947, un enquêteur de la police provinciale accepte de faire un arrêt sur la route de ses vacances pour établir une formalité : dresser le constat de décès d’un noyé trouvé sur la batture d’une île au large de Montmagny. Il constate vite qu’il s’agit plutôt d’un meurtre déguisé en accident… et que trouver un coupable À Au moment de son retour, le meurtre crapuleux d’une jeune vendeuse sans instruction, pas particulièrement jolie et issue d’un milieu difficile, fait la une des journaux. En dépit des efforts du policier chargé de l’enquête (qui sera bientôt interné à l’asile), le ou les auteurs du crime courent toujours et restent impunis; la rumeur court que des fils de la Haute soient mêlés à ce forfait «révoltant» mais protégés par le pouvoir en place. Les faits voudront que Renaud Daigle s’intéresse activement à cette affaire. Comme Le dahlia noir de James Ellroy, Haute-Ville, Basse-Ville s’inspire d’un fait réel et, comme Ellroy, Jean-Pierre Charland livre sa propre «histoire inven- 28 • lettres québécoises • automne 2010 en ce milieu clos où pèsent les conventions et les diktats religieux n’est pas de tout repos. MAURICE GAGNON Tout le monde se connaît à l’île aux Grues et aussi à l’île aux Oies qui lui est reliée par un polar NORMAND CAZELAIS Maurice Gagnon a su construire une intrigue originale qui se tient, servie par une écriture efficace. Il en profite pour critiquer une société bien-pensante et une Église qui a longtemps étouffé des âmes. bras de terre. Une seule personne y possède le téléphone, mais les nouvelles passent rapidement de bouche à oreille entre insulaires… sans atteindre les intrus, fussent-ils sur place pour résoudre un crime. Passionné de cinéma, Gilbert Gauthier rêve de Casablanca au cours de son enquête et va croiser des personnages ambigus – y compris les fantômes de la mi-carême – dont l’existence soulève plus de questions que de réponses. Qui a pu tuer Pierre Duquet, jeune homme fantasque porté sur la bouteille? Et pourquoi ? Aidé des conclusions du médecin légiste, Gilbert Gauthier démêle les fils d’une trame qui n’est pas sans évoquer celle du Crime de l’Orient-Express. Un à un, des secrets se révèlent. Les vieilles rivalités, les jalousies apparaissent. Mais, malgré tensions et conflits latents, tout le monde est solidaire. Maurice Gagnon a su construire une intrigue originale qui se tient, servie par une écriture efficace. Il en profite pour critiquer une société bien-pensante et une Église qui a longtemps étouffé des âmes. Quelques bémols : pourquoi le recours à l’isle, cette graphie obsolète ? Pourquoi ne parler que d’une seule île alors qu’il y en a deux en réalité ? Pourquoi cette page couverture qui renvoie, par le demisourire d’une jeune femme, à un jeu anodin ? III Jacques Rousseau, ROM Read Only Memory, Montréal, Triptyque, coll. « L’épaulard », 2010, 214 p., 22 $. Secrets de jeunesse ROM Read Only Memory me laisse de guingois. Jacques Rousseau a concocté une intrigue singulière et dans l’ensemble bien écrite. Mais, tout au long, j’ai eu l’impression de me faire servir un cours de psychologie. e tout commence sur les chapeaux de roue. Une professeure distinguée de l’Université de TroisRivières est trouvée assassinée dans une L Enfin, contrairement à ce que soutient le dernier paragraphe du roman, les oies blanches ne partent pas à l’automne «vers le nord […] se reproduire avant de revenir au printemps […] lors de leur voyage de retour vers les contrées du sud». C’est exactement l’inverse qui se produit. info capsule Accord entre Leméac et Les Allusifs Les Éditions Leméac ont conclu une entente de collaboration avec les Éditions Les Allusifs. En fait, Leméac s’occupera de la production et de la diffusion. Seront sous la gouverne de Leméac la fabrication des livres, les relations de presse et la direction commerciale des Allusifs, maison dirigée par Brigitte Bouchard. Par ailleurs, tout le secteur éditorial restera sous la responsabilité de Mme Bouchard. Un poids de moins sur les épaules de la directrice: «J’avais vraiment besoin d’un appel d’air. Le marché est de plus en plus difficile, et Leméac m’offre une structure financière plus solide.» Les Allusifs profitera sans doute de l’occasion pour tenter de développer davantage le marché québécois. Car la maison a désormais des activités plus nombreuses en France qu’ici. Cette association devrait permettre aux Allusifs de maintenir ses deux pôles de développement et de compléter les activités de Leméac. Fondée en 2001, et réputée pour son choix éditorial et la qualité de son travail graphique, la maison d’édition Les Allusifs compte un peu moins d’une centaine de titres à son catalogue; les droits d’un certain nombre d’entre eux ont déjà été cédés à des collections de poche à grand rayonnement. Leméac s’appuie pour sa part sur près de 2000 titres. Fondée en 1957 à Montréal, Leméac partage une partie de son activité éditoriale avec son partenaire français Actes Sud. salle de bureautique adjacente à son laboratoire, transformée en l’équivalent d’une statue de sel grâce à l’injection de silicone dans ses veines. En raison d’un JACQUES ROUSSEAU conflit de travail à la Sûreté du Québec, l’enquête échoit à la police municipale et plus particulièrement à Agathe de Francheville, qui vient à peine d’obtenir son diplôme de l’Institut de police. Bien sûr, ce qui paraît simple au début se complique: le directeur du département et aussi amant de ladite victime n’est pas le meurtrier. Qui alors? Une collègue jalouse, un ex-conjoint devenu une vedette locale, quelqu’un de la parenté? Au fil des jours et des questions qu’elle pose, à l’aide également de sa mère (eh oui…), cette policière féministe, dotée d’une chevelure rousse « flamboyante » qui ne laisse personne indifférent et de qualités qui compensent son inexpérience, apprendra que les réponses se trouvent peut-être dans la «mémoire morte» des ordinateurs. Flanquée d’un collègue avare de mots et de paroles, Agathe de Francheville résoudra le mystère. Il lui faudra, pour ce, écouter une autre mère mettre au jour des souvenirs depuis longtemps enfouis. Entre-temps, nous apprendrons bien des choses sur diverses approches en psychologie, notamment dans le domaine de l’enfance et sur le plan des expériences menées chez les souris, même si nous aurions apprécié des personnages mieux étoffés. Nous verrons que l’auteur, comme d’autres issus du monde universitaire, en profite pour régler quelques comptes avec ce milieu. Et nous connaîtrons un happy end qu’Hollywood ne dédaignerait pas. lettres québécoises • automne 2010 • 29 traduction HÉLÈNE RIOUX IIII Margaret Laurence, Un oiseau dans la maison, traduit de l’anglais par Christine Klein-Lataud, Québec, Alto/Nota bene, 2010, 286 p., 17,95 $. Des nouvelles entrelacées Roman sous forme de nouvelles, Un oiseau dans la maison raconte l’histoire de la famille MacLeod telle qu’elle est vue par Vanessa, âgée de douze ans. t ce n’est pas une histoire heureuse, loin de là. Mais, on le savait déjà, celles de Margaret Laurence ne le sont jamais. Surtout quand elles font partie du cycle de Manawaka. Elles sont remplies de « bruit et de fureur», de frustrations et de rancœurs, de secrets étouffés. Un oiseau dans la maison ne fait pas exception. E Une évocation puissante et implacable. Comme toujours. dans une peau d’ours qu’il porte en hiver. Et à cause de son tempérament revêche, bien sûr. Il y a aussi la sœur de Beth, Edna, qui, après avoir travaillé comme sténodactylo à Winnipeg, a perdu son emploi et a dû, à son corps défendant, revenir vivre dans la «Maison de brique». Proche parente de plusieurs personnages féminins emblématiques de Margaret Laurence — la Rachel d’Une divine plaisanterie, ou même l’inoubliable Hagar de L’ange de pierre —, elle rue dans les brancards. Vanessa la décrit en train de fumer des cigarettes dans sa chambre malgré l’interdit. On apprend aussi qu’elle a eu un amant à Winnipeg. Il lui rendra d’ailleurs visite à Manawaka, un soir, une visite qui finit mal. L’oncle Dan, enfin, frère aîné du grand-père, bohème, vaguement alcoolique et perpétuellement fauché, fait parfois irruption au milieu des agapes familiales. N’oublions pas Titoiseau, le canari d’Agnès, qui donne en quelque sorte son titre au livre — un autre, un moineau égaré, viendra plus tard. Voilà le portrait d’ensemble. À la fois morne et coloré. Terrifiant par moments. Un petit frère, Roderick, voit bientôt le jour, la grand-mère meurt, suivie, contre toute attente, par Ewen. Puis, dans la nuit noire autour de moi, j’entendis un son. C’était ma mère, elle pleurait. Pas fort du tout, mais du tréfonds d’elle-même. Je m’assis dans mon lit. Tout semblait s’être arrêté, le temps, mon cœur, mon sang lui-même. (p. 152) Le livre commence par la description de la maison des grands-parents maternels, où, avec sa mère et son père — quand il n’est pas retenu au chevet d’un de ses patients —, Vanessa va souper tous les dimanches. Une corvée à laquelle il est impossible de se soustraire. Cette maison de Manawaka est celle qu’entre toutes je porte en moi. Appelée « la vieille maison Connor » par les gens de la ville et « la Maison de brique» par la famille, elle était laide comme les navets d’hiver entreposés dans sa cave à légumes. (p. 15) Beth et les enfants emménagent alors, pour le meilleur et surtout pour le pire, dans la «Maison de brique». Et la vie continuera, avec tout autant de bruit et de fureur, de frustrations et de rancœurs, jusqu’au départ des uns et des autres, jusqu’à la mort de Timothy, l’Ours, la terreur. Une évocation puissante et implacable. Comme toujours. Cela nous donne une idée de l’ambiance. III 1/2 L A FA M I L L E Kim Echlin, Un jour, même les pierres parleront, traduit de l’anglais par Sylvie Nicolas, Montréal, Québec Amérique, 2010, 248 p., 22,95 $. Bien que le père, Ewen, soit médecin, la famille vit plutôt pauvrement. Pas d’argent, par exemple, pour acheter une robe à Vanessa, même si celles qu’elle a lui arrivent «au nombril ». C’est la Crise, et les malades ne sont, MARGARET LAURENCE 30 • lettres québécoises • automne 2010 L’amour et la guerre pour la plupart, pas en mesure de payer pour leurs soins. Beth, la mère, est fragile, effacée, un peu dépressive. La grandmère, Agnès, est une femme paisible, ferme et droite, un « ange » ; Timothy, le grandpère, une terreur — dans sa tête, Vanessa l’appelle le « Grand Ours », à cause d’un affreux manteau hirsute taillé Anne Greeves a seize ans lorsque, à L’Air du temps, une boîte de jazz montréalaise, elle fait la connaissance de Serey, un étudiant cambodgien, également guitariste dans un groupe qui s’appelle No exit. Au premier regard — comme dans les romans —, ils tombent aussitôt sous le charme l’un de l’autre. Envoûtés. Un jour, même les pierres parleront raconte la déchirante histoire de leur amour. rpheline de mère, morte dans un accident de voiture quand elle avait deux ans, Anne vit avec son père, professeur à la Faculté de génie, spécialisé dans la conception de prothèses, un homme taciturne et timide qui ne voit pas d’un très bon œil cette relation. Il trouve sa fille trop jeune pour s’engager, craint pour son avenir — qu’elle abandonne ses études, fasse un mauvais mariage, rate sa vie. Mais Anne ne cède pas. Elle a appris de sa mère O traduction HÉLÈNE RIOUX III … que ceux qu’on aime peuvent disparaître soudainement, inexplicablement. Et qu’après, il ne reste rien. (p. 21) Contre la volonté de son père, elle emménage chez Serey. L’ A B S E N C E Un jour, les frontières du Cambodge sont rouvertes, et Serey s’en va. Seul. «Je dois retrouver ma famille », explique-t-il à Anne. Sa famille dont il est sans nouvelles depuis quatre ans. « Je vais t’écrire», promet-il. Tecia Werbowski, Chambre 26, traduit de l’anglais par Nicole et Émile Martel, Montréal, Les Allusifs, 2010, 88 p., 13,95 $. Petit polar Un homme est trouvé mort étranglé dans la baignoire de sa chambre, la 26, à l’hôtel Saint André des Arts, à Paris. C’est un jeune inspecteur, Patrick Vernier, qui est chargé de l’enquête. l lui faut commencer par découvrir l’identité de la victime. Un sans-abri, semblet-il. Un sans-papiers. Mais il avait deux chiens et c’est déjà une piste. I Mais les semaines et les mois passent. Anne écrit lettre sur lettre, mais ne reçoit jamais de réponse — nous apprendrons plus tard pourquoi. Elle s’installe dans l’ancien appartement de Serey, elle étudie les langues, dont le khmer, évidemment, elle a des amants éphémères — elle mentionne KIM ECHLIN un Haïtien qui la fait rire en lui disant qu’il veut écrire un roman intitulé Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Puis, une nuit, onze ans après le départ de Serey, elle allume la télévision et reconnaît le visage de son amant dans un reportage sur le Cambodge. Elle quitte aussitôt le pays pour aller le retrouver. L E S R E T R O U VA I L L E S Cela ne se fera pas sans peine. La deuxième partie du roman se déroule à Phnom Penh, où Anne débarque et entreprend ses recherches. Quelques personnes l’aideront dans sa quête: Mau, un chauffeur de taxi qui la conduira dans tous les bars et clubs de jazz de la ville, Sopheap, qui opère une cantine de nouilles, Will Maracle, un Amérindien de Kahnawake qui travaille à exhumer les ossements des victimes du régime de Pol Pot. Et un jour, elle retrouve Serey au Globe: appuyé au bar, il écoute un air d’Oscar Peterson. L’amour reprend où il avait été laissé. Reprend-il vraiment comme avant? Entre les deux épisodes, trop de blessures se sont glissées. Tu as dit que tu étais traducteur et je t’ai cru. Tu ne voulais pas parler de ta famille. Je t’ai fait confiance. Je me raisonnais: la souffrance avait été trop grande. Quand le téléphone sonnait, les seules intrusions dans ta chambre, tu disais que tu notais des rendez-vous pour le travail et, bien entendu, je te croyais. (p. 92) Le reste de l’histoire est, comme il fallait s’y attendre, pathétique. Nous saurons ce qui est arrivé à la famille de Serey, Anne mettra au monde un enfant mort, Serey disparaîtra, Anne apprendra sa mort, elle voudra désespérément l’enterrer, mais n’en aura pas le droit. Elle reviendra au pays, se mariera, aura des enfants, divorcera, enterrera son père. Et passera le reste de sa vie à se souvenir. En suivant cette piste, l’enquêteur apprend que l’homme assassiné s’appelait Josef Hlavaty, que c’était un Tchèque inoffensif et courtois, à qui l’on ne connaissait pas d’ennemis, et pas d’autre amour que ses chiens qui le suivaient partout. Les chiens en question, une vieille dame polonaise du nom de Maya Ney les a aussitôt pris sous son aile. Cliente de l’hôtel depuis nombre d’années, elle a également l’air d’en savoir plus qu’elle ne veut d’abord l’avouer sur cet assassinat. N’est-ce pas elle qui a convaincu le concierge de nuit de le laisser dormir dans la chambre 26 ? Vernier l’interroge sans beaucoup de succès. Son supérieur, Georges Laurier, aura plus de chance après avoir invité Maya dans un salon de thé. Nous retournerons alors plusieurs années en arrière, à Prague, quand « l’odeur de la peur » flottait, omniprésente, dans la ville, et apprendrons la sombre histoire de jalousie et de trahiTECIA WERBOWSKI son qui s’y est déroulée. Et qui a trouvé son dénouement tragique dans une chambre d’hôtel à Saint-Germaindes-Prés. Le roman est très court, plus une novella qu’un roman, ce qui explique peut-être que certains épisodes soient un peu flous, voire escamotés. On se demande, par exemple, comment cet homme, un SDF, a pu se payer un voyage à Montréal avec ses chiens. Surtout que ce séjour n’a absolument rien à voir avec la suite des événements. S’agissait-il de brouiller les pistes? Faisant alterner la narration de la première à la troisième personne, multipliant les points de vue — assassin, enquêteurs, témoins —, Chambre 26 renouvelle en quelque sorte le genre et permet au lecteur de passer quelques heures somme toute agréables. Auteure de courts romans, de nouvelles et d’un essai, Tecia Werbowski est née en Pologne et elle partage désormais son temps entre Montréal et Prague. lettres québécoises • automne 2010 • 31 récit Y V O N PA R É III Michel Faubert et Michel Hindenoch, Contes et complaintes. Deux voix contemporaines, Boisbriand, Planète rebelle, 2009, 96 p., 21,95 $. Le conte garde sa place dans le monde moderne Pour apprécier Contes et complaintes de Michel Faubert et Michel Hindenoch, il faut écouter le CD qui accompagne le livre. Il donne une couleur et une chaleur à ce voyage au pays de la tradition et de la découverte. enregistrement s’est fait en 2007, lors du festival Les jours sont contés d’Estrie. Des contes bien sûr et des complaintes que Michel Faubert rend toujours avec une justesse, une intensité qui lui est propre. Un climat musical qui pousse la parole dans des univers connus et étranges, familiers et déroutants. L’ Parce que les deux Michel savent renouveler le genre dans une époque où tout se bouscule. Voilà une fenêtre qui s’ouvre sur une parole qui garde sa couleur et son sens, fait fi des intentions commerciales et publicitaires. D É N O N C I AT I O N Le conte, depuis que la parole est donnée à l’humain, a su montrer les torts et les travers de la société, a permis la revanche du petit sur les grands. Il a aussi résolu certains mystères de la vie et de la mort, de Dieu et de tous les démons qui ont migré de la campagne vers la ville. Les vrais conteurs savent respecter cette tradition tout en apportant une nuance qui l’intègre dans une culture qui refuse tout ce qui n’est pas raisonnement et calcul. Faubert et Hindenoch explorent des lieux qui s’interpellent. Parfois on dirait que l’écho répond aux propos de l’un des Michel. Les voix s’harmonisent, nous plongent dans des ambiances étranges où Dieu se déguise en quêteux, où un prince serpent sème la terreur, où un chasseur se change en femme. L’imagination ne connaît pas de limites. Voilà une parole qui retrouve tout son poids et sa vérité. RENCONTRE Ce spectacle s’avère un moment unique avec des guides qui s’unissent parfois pour nous envoûter dans une complainte. Et comme l’affirme Petronella van Dijk dans sa préface, le conte est en quelque sorte le révélateur de la pensée, des croyances et de la civilisation. En effet, dès que l’on s’intéresse un tant soit peu à ce patrimoine dit immatériel, on se rend compte à quel point ces récits divers ont été fondateurs des peuples, des cultures, de la pensée et à quel point, malgré 32 • lettres québécoises • automne 2010 M I C H E L FA U B E R T nous et autant sans doute que l’histoire religieuse elle-même, ils sont présents dans nos manières de penser actuelles, dans nos manières d’être, dans nos symboles et nos abstractions, tout comme dans nos réalités les plus crues. (p. 10) Les conteurs ont bien changé dans cet univers de communications. Ils sont aussi des musiciens et des gens de scène. Faubert et Hindenoch sont de cette race. Un beau recueil, un disque à écouter et réécouter pour s’imprégner d’un monde où il est possible de triompher en disant la vérité, d’être récompensé pour son honnêteté. III Biz, Dérives, Montréal, Leméac, 2010, 94 p., 11,95 $. La dérive d’un nouveau père Biz est connu pour faire partie du groupe Loco Locass. Il présente ici, dans une première publication, un court récit qui témoigne du désarroi d’un nouveau père. Voilà, c’est fait, mon fils est né. Un accouchement comme tous les autres : dans les cris, les pleurs et le sang. Une révolution, en somme. Et pas vraiment tranquille… Mais une révolution à l’envers, qui aboutirait à l’installation d’un roi dans une république jusque-là plutôt pépère. Un petit tyran à l’ego hypertrophié dont les moindres caprices doivent être immédiatement satisfaits, sous peine de hurlements stridents. (p. 7) récit Y V O N PA R É ouaté avec les antidépresseurs qui empêchent de trop descendre et de ne pas trop s’élever. Je tentais d’avoir l’air détaché, mais je détestais cette consultation publique, où tous mes problèmes étaient révélés par cette maudite médication. Professionnelle, elle me regardait sans juger, avec juste ce qu’il fallait de compassion. (p. 93) Un sujet que peu d’hommes ont osé aborder. Interdit ou tabou? Biz le fait avec justesse. C’est un peu raboteux comme écriture, mais combien vrai et signifiant. II André Carpentier, Extraits de cafés, Montréal, Boréal, 2010, 344 p., 25,95 $. BIZ C’est un cliché de dire que l’arrivée d’un enfant chambarde la vie du couple. Certains ne s’en remettent jamais. Cette naissance longtemps rêvée est le début d’un long cheminement qui mène à la rupture. Le nouveau-né exige tout de la mère et du père. Les parents ont l’impression d’être aspirés par cette bouche dévoreuse qui demande soins et nourriture. Les heures du jour et de la nuit sont fragmentées, les horaires se plient aux caprices du nouvel arrivant. La merveilleuse aventure de la vie devient une épreuve pour plusieurs, surtout de nos jours où les enfants sont le centre du monde. DÉGRINGOLADE Biz perd ses habitudes qui étaient pourtant bien ancrées avant l’arrivée de son fils. Il aime ce petit garçon, là n’est pas la question, mais se retrouve devant un étranger quand il se regarde dans le miroir. Tout bascule. Les contacts avec les amis et sa femme qu’il agresse verbalement. Devant l’inévitable qui se profile, le couple décide de vivre une thérapie. À bout de ressources, ma mie m’avait intimé: C’est la psy ou je décrisse. Ça laisse peu de marge de manœuvre. On jouait carrément notre couple et on le savait tous les deux. On s’y rendait toujours dans un silence pesant et solennel. S’il fallait sombrer, ce serait avec la dignité des musiciens du Titanic, qui avaient persisté à jouer jusqu’aux derniers instants du naufrage. (p. 47) Un récit touchant qui déborde un peu sur la société et le monde politique. Le privé reflète souvent le public. Il y a aussi tout au long de ce récit une allusion à la figure du passeur qui incarne la mort. Carpentier explore la ville par ses cafés André Carpentier poursuit son exploration de Montréal à la manière d’un géographe, multipliant les arrêts et les regards, calepin en main. près Ruelles, jours ouvrables, il récidive avec Extraits de cafés où il s’attarde dans ces établissements qui prolifèrent dans tous les quartiers de la ville. Ces lieux ont leurs réguliers, leurs visiteurs occasionnels, des originaux qui attirent le regard selon les heures. A Voilà, c’est ainsi, je crois, qu’à mon totem de flâneries, j’ai ajouté les cafés, avec leurs personnages et leurs faits quotidiens, qui forment l’armature de ces pages. Je me croyais toujours obsédé par le réseau des ruelles; en fait, je nomadisais déjà d’un café à l’autre, comme qui s’éprend d’un nouveau territoire, et rapiéçais mes carnets à coups de notules, d’ajouts, de renvois. (p. 11) Des endroits où il est possible de refaire le monde, de retrouver des connaissances ou simplement de lire le journal en dégustant un espresso. Tout dépend de l’heure et du lieu. La clientèle, près de l’Université du Québec à Montréal ou dans le nord de la ville, n’est pas la même. DES MONDES Si cette image du navigateur qui s’enfonce dans un marais est un peu déroutante au début, les dernières pages deviennent lumineuses. Le passeur maintenant serait-il celui ou celle qui contrôle les médicaments? On bascule dans un mode Ces lieux de retrouvailles, de reconnaissances, de réconciliations, d’amours qui naissent ou s’effilochent au hasard d’un courant d’air ou d’un rayon de soleil sur lettres québécoises • automne 2010 • 33 Y V O N PA R É récit un coin de terrasse, fascinent. Chaque café a son petit quelque chose, un décor qui crée une ambiance, des arômes singuliers. Il y a dans l’aura des cafés, c’est-à-dire dans la constellation des traces humaines qui y sont associées, une chose singulière et enviable qui est la lenteur. Je veux dire cette disponibilité fluide qui est le fait de celui qui se donne le temps de regarder, d’écouter, de rêver, de maintenir ce que Pierre Sansot appelle un ennui de qualité. (p. 48) Regards échangés, sourires, dialogues qui s’engagent ou qui tombent dans l’oreille du solitaire. Dans un café qui baigne dans une ondée de sueurs chaudes, je m’installe sur une banquette latérale où je ne gênerai personne, les joueurs de dominos, les lecteurs de journaux, les ressasseurs de passé, les brasseurs de politique. J’aime ces angles d’où l’on peut tout voir d’un café, dans son ensemble comme dans ses détails, grignoter les schizos, se taquiner les serveuses, entrer les désenchantés, déguerpir les pressés… (p. 76) SUCCESSIONS Carpentier y retrouve des visages chaque jour. On s’y confie, on comble la solitude, on tente d’attirer l’attention quand on s’y glisse à l’heure de l’apéro. Le café connaît des marées, des reflux, des poussées fascinantes à observer et à décrypter. Dommage que Carpentier n’identifie jamais ces endroits. Nous apprenons parfois que nous sommes près de l’Université du Québec à Montréal ou dans tel quartier. Il lui arrive aussi de se faire la dent sur un écrivain ou un poète sans le nommer. Cette méchanceté anonyme est un peu agaçante. Bien sûr, nous sommes tous des inconnus dans ces endroits. Mais quand on choisit de s’y attarder et d’écrire, il faut le courage de dire ce qui doit être dit. Cette comédienne, qui, juste à commander un Perrier, prend l’allure d’une ANDRÉ CARPENTIER starlette qui s’ébroue les aigrettes. Elle paraît scruter tout un chacun à tour de rôle, mais en réalité, elle ne fait que vérifier si on ne la regarde pas. On dirait qu’elle ne paraît pas assez tranquille avec elle-même pour avoir ne serait-ce qu’un peu de curiosité pour les autres. (p. 191) 67DCC:B:CIEDJGFJ6IG:() CJBGDHE6G6CC:IG6CHEDGI>C8AJH I6G>; an ans ans G<JA>:G IG6C<:G (+ taxes) (sauf É.-U. ) (64+ taxes) (sauf É.-U. ) (92+ taxes) nom adresse code poal téléphone télécopieur courriel veuillez m’abonner à partir du numéro Et il y a ces débuts de fragments qui jouent du «que» n’importe comment. «Un de ces jours que je mets trois secondes… Un jour que je suis disparu des…» Cette fréquence du «que» a fini par gâcher ma lecture. Pas parce qu’on est au café qu’on relâche la garde. Carpentier nous a habitués à mieux. Peut-être qu’il aurait fallu élaguer, resserrer et surtout s’attarder pour découvrir des hommes et des femmes qui vivent l’amour, la maladie, la vieillesse et la peur. Nous n’y parvenons jamais! 34 • lettres québécoises • automne 2010 67DCC:B:CI Euaire 8E , Outremont (F8) =KK nouvelle S É B A S T I E N L AV O I E III Camille Allaire, Celle qui manque, Montréal, Triptyque, 2010, 96 p., 18 $. Fragments d’existences doucereuses En exergue de la première nouvelle, la nouvelle éponyme, cette phrase de Camille Claudel qui rend bien l’esprit de ce recueil : « Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente. » es vingt-cinq nouvelles du recueil forment une courtepointe presque toute tissée d’humeur grise allant du renoncement de soi («Entre tes lèvres et les miennes») au sentiment de dépossession («Une chaleur sur mon ombre») ou d’abandon (« Celle qui manque »). Les L par le grand-père. Abandonnée enceinte, s’entend, et dès lors atteinte d’un déni qui l’emportera dans une quête éperdue du père indigne qui la mènera à sa recherche à travers l’Univers, c’est-à-dire l’Occident. L’événement aura des répercussions sur deux générations: Mon grand-père est parti en déchirant le cœur de ma grand-mère. Je sais qu’à la limite, rien de tout cela ne me regarde, mais je ne peux m’empêcher de me sentir concernée, parce que j’aurais voulu une vraie grandmère, pas une grand-mère amère, mais une qui donne des bonbons, chante des chansons, une qui a mangé trop de gâteaux et dont les seins ballottent, fatigués, quand elle ouvre les bras. (p. 85) Replions-nous sur notre nombril. Moi aussi, j’ai eu une grand-mère chiche d’ellemême, et je n’ai grandi, foin de nuances, qu’à travers des fictions où la grandmaman-gâteau était une incontournable… Force est de constater qu’il y a trop de Saintes et pas assez de Putains chez nos grands-mamans imaginaires. Remercions l’écrivaine de cet apport à l’imaginaire collectif. Je ne peux aussi que saluer l’avant-dernière nouvelle, «Deux ou trois livres», qui raconte l’histoire d’un Montréalais qui s’enfuit de sa ville, de sa femme et de son rôle de père. Une chose le retient, ses bibliothèques, qui le clouent sur place, finit-il par comprendre. Il ne peut se résoudre à vendre ses livres, est sûr de ne pouvoir les emporter avec lui, ne sait à qui les donner… Puis il comprend et claque la porte de son nouvel ancien appartement en ne laissant rien derrière lui sinon ses livres. On ne peut disposer d’une bibliothèque et être libre. J’en ai toujours été convaincu. III Dany Tremblay, Tous les chemins mènent à l’ombre, Montréal, La grenouille bleue, 2010, 140 p., 22,95 $. phrases y sont très dépouillées, quitte à manquer parfois de limpidité. Ou peut-être dame Allaire me penset-elle plus intelligent que je ne le suis vraiment ; elle use (mais n’abuse pas) de l’ellipse et de la fable allégorique. Dès lors, on a CAMILLE ALLAIRE beau jeu, comme lecteur paresseux, de soutenir que les évocations sont trop ou pas assez appuyées. Sans doute devrais-je me borner à dire que je n’ai pas réussi à m’approprier quelques univers. Le ton général est à la fois détaché et empathique. D’abord légèrement brinquebalant, puis de plus en plus efficace au fur et à mesure que l’on tourne les pages. Touchant, souvent; valant le détour, parfois, mais jamais insignifiant. Sous les poncifs ridicules, la plage « Des récits formellement sobres, mais d’une extravagance vivifiante, un auteur (sic) qui écrit avec la calme assurance du marin qui murmure ses confidences à la buvette à matelot… » e n’est pas moi qui le dis, mais l’«argumentaire» fourni par l’éditeur, «argumentaire» qui tient lieu ici de communiqué. Pour quiconque veut bien rendre compte de ce livre, l’affaire est doublement choquante. D’abord, c’est nous prendre pour des demeurés que de nous balancer une bullshit si pompeuse. Ensuite, ces quelques petites phrases m’ont mis dans de très mauvaises dispositions et ont porté ombrage à un livre qui a pourtant plus d’un mérite. Note à l’éditeur que je découvre: pourriez-vous rendre vos arguments dans une prose digne des récits que vous présentez, s’il vous plaît? C S OYO N S C O N C R E T S Je retiens les deux dernières nouvelles, «Deux ou trois livres» et «La tristesse qui nous sépare», atypiques parce que beaucoup plus longues que les autres avec respectivement cinq et dix pages. La dernière est à l’avenant du recueil. Elle présente trois générations de femmes, toutes marquées par l’abandon de la grand-mère Il s’agit d’un recueil de courtes nouvelles circulaires présenté en six parties, les quatre premières sous des thèmes qui ne sont pas nommés mais qu’on devine très vite être l’aliénation, le viol, les crimes violents et le suicide. L’avant-dernière nouvelle fait figure de synthèse et la dernière est une uchronie traitée à la manière d’une légende. La plume flirte négligemment avec le commun, probablement lettres québécoises • automne 2010 • 35 nouvelle S É B A S T I E N L AV O I E consciente qu’elle n’a pas à prouver qu’elle s’en démarque. Elle est discrète, aussi, peutêtre parce que la phrase se sait assise sur une construction solide et qu’elle connaît la vacuité relative de l’esbroufe langagière. Les textes savent aussi changer de couleur sans jurer avec l’ensemble. Puis vient le viol, en deuxième partie. Dans la première nouvelle, le viol d’une inconnue. Évidemment, me suis-je dit, cela confirmait à mes yeux le côté dérisoire de ces récits et fantasmes communs à toutes ces auteures grises qui pullulent. Je poursuivis ma lecture presque malgré moi et malgré l’«argumentaire». Ce qui est dommage, c’est qu’on comprend vite cette idée des thèmes et que ceux-ci viennent brûler les chutes des récits, chutes pourtant très bien amenées et parfois essentielles à certaines histoires. Dès la deuxième nouvelle, dans la quatrième partie, «BlackOut», je n’attendais que les suicides. D E L’ A G A C E M E N T A U R AV I S S E M E N T Je suis entré dans la première partie en réprimant aussi un sentiment d’agacement envers le premier thème abordé. Je me retrouve trop souvent, avec la littérature des femmes, dans un univers de petites chattes blessées qui lèchent encore et encore leurs plaies… II 1/2 Michèle Bourgon et Vincent Théberge (dir.), 30 – Trente — XXX, Gatineau, Vents d’Ouest, 2009, 140 p., 23,95 $. Délirer avec les Outaouaisiens À l’occasion du trentième anniversaire de l’Association des auteures et auteurs de l’Outaouais, vingt-quatre d’entre eux sont réunis sous le thème 30. association compte quelque 120 membres «titulaires» et plusieurs dizaines de membres «associés». Les premiers ont déjà publié au moins un titre, les seconds y aspirent et ce sont souvent eux, minoritaires, qui se tirent le plus mal de l’exercice. Vingt-quatre auteurs, c’est vingtquatre pieds de nez à toute tentative de généralisation. Disons simplement que les auteurs qui ont touché au drame n’ont pas toujours su le faire sans gros sabots, alors que les quelques rieurs ont su me mettre entièrement de leur bord. L’ STÉPHANE ALBERT BOULAIS, CELUI QUI MOURUT ET LE VIEUX RÉAC Pourquoi diantre n’ai-je jamais entendu ce nom-là avant? Ce qu’il nous livre ici m’a donné envie de me garrocher chez mon libraire. Cette nouvelle, («“Lui”»), est le seul conte du recueil, un conte mystique, profondément chrétien par le fond, mais où le Malin n’est pas. «Aux confins du nord de l’Outaouais» (p. 59), à l’Halloween, un étranger «bizarrement habillé, curieusement coiffé, droit comme une sentinelle» (p. 59) traverse un village, grimpe sur le palier d’une église luthérienne et s’y fige avec «dans ses mains un navet traversé d’un long cierge allumé» (p. 59). Chaque jour, il revient, 36 • lettres québécoises • automne 2010 C’est à la première nouvelle sur le suicide, «Par deux fois», que j’ai rendu les armes et que j’ai commencé à aborder l’auteure comme une écrivaine, que j’ai été vraiment touché. C’est au D A N Y T R E M B L AY moment de la chute que j’ai vécu une petite mort. J’ai eu beau, par la suite, avoir un mouvement d’humeur contre «Parenthèse», je l’ai finalement mis sur le compte d’un comportement masculin postcoïtal tout à fait normal. Tout compte fait, j’ai aimé mes aventures avec Dany Tremblay. se déshabillant deçà, delà. «Au rythme où il va, il sera complètement nu à Noël!» (p. 62) Ce texte a certaines des qualités qui me font tant aimer Fred Pellerin. J’ai aimé la truculence de la narration, compris quelques-unes des 95 thèses de Luther, et j’ai particulièrement apprécié l’excellence de l’auteur dans le maniement de la comparaison ainsi que sa manière de faire image: Ce sourire fut si inquiétant que même les nuages qu’avait sculptés autrefois le Signore Gargantini dans la mandorle de la Vierge se réfléchirent tout ballonnés dans les grands yeux bleus du célébrant qui, dès lors, proféra des paroles comme vent d’amont. (p.65) Claude Bolduc m’a aussi amusé avec «Les joyeux compagnons… de Word », l’histoire d’un auteur qui voit la date de tombée de la première nouvelle qu’on lui avait jamais commandée arriver à grands pas et qui doit se débrouiller avec un déversement de clones du Compagnon de Word après que celui-ci eut interdit à l’auteur d’écrire Il mourut en guise de conclusion à un paragraphe… Et, finalement, je constate que le monde de la littérature québécoise manque d’auteurs purs, de cette race qui charrie les vraies valeurs et qui est capable d’assumer pleinement une vision réactionnaire. Un nouveau champion se dresse à l’horizon, Gaston Therrien, qui sait dire les vraies affaires («Un souvenir du bon vieux temps!»): […] l’arrivée du rasoir électrique, et son usage à grande échelle, contribuèrent à l’élimination de ce joyau de pacification qu’était la «strappe»; ce qui, en retour, favorisa l’émergence de la Révolution tranquille et nous propulsa dans le libertinage et l’abandon de nos valeurs fondamentales. (p. 74) À quoi, en effet, sert de mettre le doigt sur le bobo quand on peut mettre la main sur ce qui cause le bobo? nouvelle MICHEL LORD II 1/2 Josée Bilodeau, Incertitudes, Montréal, Québec Amérique, 2010, 133 p., 16,95 $. Un regard trouble sur l’instable Dans son premier recueil, Josée Bilodeau a l’art de jouer avec les impondérables de la vie, surtout celle de femmes. Dans cet imaginaire ondoyant, rien n’est assuré, tout bouge, disparaît, réapparaît et souvent s’effondre. es lieux de passage (gare, train), de repos (chambres) et de diver tissement visuel (cinéma) servent de décor à ces étranges parcours existentiels. « Le dernier wagon» en est un bel exemple. La narratrice est en voyage en Suisse avec son amant et ses enfants (à lui). Heureuse, aux contours flous: «mon amant, comme poisson, ondule jusqu’à moi dans les vagues des couvertures […] Il est d’humeur et de taille variables.» (p.67) À la fin, elle s’évanouit dans un marché puis se liquéfie: «Je me répands, souterraine, jusqu’à la mer océane, où une huître m’avale.» (p. 72) C’est l’attente absurde qui est représentée dans « Clichés de gare », qui met en discours une narratrice ayant rendez-vous cette fois dans une gare de Paris avec un ancien amant qu’elle n’a pas revu depuis des années. Elle s’inquiète de son retard, perd sa valise, puis l’homme ne venant jamais, elle prend bizarrement le train où elle retrouve sa valise devant elle sur un banc et demande à sa voisine (son double ?) où elle va et se fait répondre : « À la maison, bien sûr. » (p. 84) Curieux. Une autre histoire de dépression clôt le recueil avec « L’arbre mort », où une femme s’enfonce dans la solitude, les larmes et la tristesse, pendant qu’une de ses plantes, un arbre, se régénère et envahit toute la maison. Un jour, elle se couche sur le plancher, là où on la retrouve presque brûlée par le froid hivernal. Même si la répétition du motif de l’effondrement confine au procédé, c’est tout de même avec doigté que Josée Bilodeau fignole ces nouvelles fondées sur une réalité aux assises instables, à l’image du monde contemporain. D I 1/2 Claude Vallières, J’attendais que tu oses un geste, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. « Rafales », 2009, 147 p., 18,95 $. « Je me dis intérieurement» Membre du groupe La Bande Magnétik, le chanteur Claude Vallières publie des nouvelles depuis 2005. Son deuxième recueil m’a souvent laissé songeur, tant on y remarque des incohérences et des passages à l’écriture douteuse. sa vie va bientôt basculer dans l’étrange. Elle se sent tout à coup angoissée, se retrouve brusquement devant presque rien, que des rails. Elle s’écroule. Depuis elle n’attend que la nuit « pour pouvoir enfin poursuivre ce cauchemar, à la recherche d’une JOSÉE BILODEAU issue» (p. 92). Ultimement, elle se réfugie dans le rêve: «Je […] m’abandonne au délice de ce songe, souhaite ne plus me réveiller.» (p. 94) Mystérieux. Dans «Lorsqu’une porte se ferme, ouvrezen une autre» (parue dans XYZ la revue de la nouvelle en 2008), sur un ton légèrement plus drolatique, une autre femme déprimée va au cinéma pour se distraire et y rencontre un très bel homme avec qui elle se livre à des attouchements, mais finit par se rendre compte qu’elle est seule et qu’elle n’embrasse qu’une vadrouille. Étrange. Ce regard incertain qui prend des ombres — ou même le néant — pour la réalité est exploité dans presque chaque nouvelle. «Dans la chambre andalouse», un texte aux accents poétiques, oniriques, la narratrice, qui dit devenir «sorcière» (p. 67), va à la corrida et trouve que le torero ressemble à son amant, un amant e premier texte, «Décalage», illustre le cas d’un homme pour qui tout va mal. Se jugeant trop sage jusqu’à ce jour, il décide de «saouler le quotidien à grands coups d’imprévus», et, du même coup, de ne faire de sa vie « qu’un élan retenu » (p. 15). Bizarre ! Pourquoi « retenu » ? Puis, il décrit une situation qui ressemble à une visite au bordel, mais, en fait, il est avec une «hôtesse de l’air» (p. 17), en voyage vers La Réunion… On a vu plus fou dans le dérèglement des sens. «Dédale (Huile et techniques mixtes)» est mieux tournée, mais non sans défauts. Un homme rend visite à une amie qui se meurt du cancer à l’hôpital et qui lui demande, elle, une simple amie, de la faire jouir une dernière fois. Certains passages sont moins jouissifs: «je me dis intérieurement» (p. 24), «c’est de ça dont tu voulais me parler?» (p. 32) L Dans «Plus tard, peut-être», le narrateur écrit à une femme aimée des choses comme ceci: «J’ai avancé vers toi, les paumes ouvertes sur le désir en cueillant sous ta chemise les fruits inconnus à ma bouche […] Dans la houle de tes hanches, je gaspillais quelques salives.» (p. 43) Éloquent… «La presque Garbo» est plus astucieuse par la superposition d’une double figure. Un homme a de la difficulté à se lever le jour de ses cinquante ans. Une femme se maquille et va dans un centre commercial. Les deux se détestent. À la fin, on croit comprendre que les deux ne font qu’un, que l’homme est un transsexuel qui disparaît «en silence dans le corps de la femme» (p. 88). lettres québécoises • automne 2010 • 37 nouvelle MICHEL LORD I « Comme un livre de Jacques Poulin » est au contraire remplie de ces bons sentiments dont on sait ce que Gide en dit. Le narrateur, un préposé aux bénéficiaires dans un centre hospitalier, aime donner de l’affection aux vieux dont il a la responsabilité. Sa logique est simple, Claude Forand, R. I. P. Histoires mourantes, Ottawa, David, 2009, 159 p., 18,95 $. Mieux vaut mourir On se demande parfois comment on fait pour passer au travers d’un livre. L’obligation professionnelle, sans doute. Toujours est-il que le deuxième recueil de Claude Forand contient des invraisemblances, du genre de celles qui tuent le bonheur de lire. Surtout une nouvelle criminelle. C L A U D E VA L L I È R E S voire simpliste, mais charmante: «Je sais que je peux le faire puisque je lis les romans de Jacques Poulin. Dans ses romans, je trouve la tendresse et la douceur dont j’ai besoin pour mon travail.» (p. 110) On se prend à rêver de l’influence de la littérature sur le monde. «À cause de la beauté» est une nouvelle «politique», contenant une séquence fort bizarre. Le narrateur arrive dans une île où il « passe le plus clair de [s] on temps» (p. 116), bien qu’il parle d’entrée de jeu de «longue absence» (p. 113). Il y va pour se détendre, car il souffre. Un nouveau voisin le dérange. Un jour, il va le voir et, au lieu de lui parler, il lui fait lire une longue lettre dans laquelle il l’accuse d’être responsable de ses maux : il a été victime d’une bombe posée en 1969 par l’homme en question, un felquiste. Il aimerait le tuer, mais lui dit qu’il est chanceux, car il ne veut pas souiller la beauté de l’île où ils se trouvent. Le motif de la beauté clôt le recueil avec « Bête sauvage », où un homme apprenant la mort de son beau-frère Jean-Guy se remémore quelques beaux instants vécus avec lui dans la forêt qu’il aimait tant. Il en tire une morale fort simple: «Il faut vivre à mort et s’émerveiller de la trace que laissent les bêtes sauvages comme Jean-Guy quand elles passent dans nos vies.» (p. 146) L’écriture incertaine du début du recueil se tasse un peu vers la fin, laissant espérer des jours meilleurs. info capsule Le Salon du livre de l’Outaouais respire… Le Salon du livre de l’Outaouais, qui vivait des temps difficiles depuis quelques années, connaîtra un nouveau départ. En effet, le Salon du livre de l’Outaouais vient de signer une entente de trois ans avec le Palais des congrès après des mois d’incertitude quant à sa survie. C’est le maire de Gatineau qui a pris la décision de s’impliquer dans le dossier et de signer une entente à long terme assurant ainsi un financement stable au salon. La Ville de Gatineau se portera garante du Salon du livre de l’Outaouais. Le maire a même indiqué que la Ville augmenterait le budget de fonctionnement du SLO. C’est donc un nouveau départ pour cet organisme qui en a profité aussi pour élire l’auteure Andrée Poulin présidente du salon, qui succède ainsi à Mme Estelle Desfossés. La communauté littéraire se réjouit de cette bonne nouvelle. C omme le titre l’indique, les histoires sont bel et bien «mourantes», elles agonisent dans leur matière même et m’ont mis à l’agonie. Je me contenterai de donner quelques exemples. Dans «Un tueur sentimental», un tueur à gages éprouve soudain de la sympathie pour ses victimes et les contacte pour leur demander de s’amender sinon il les tuera. Plus sentimental que ça, tu meurs. Nous sommes loin de Patricia Highsmith. «On fait quoi avec le cadavre?» est une autre histoire qui ne tient pas debout. Deux hommes volent une Mercedes et la vendent immédiatement à un client qui les rappelle pour leur dire qu’il y a un cadavre dans le coffre arrière. De nouveau en possession de la voiture volée, ils s’arrangent pour savoir à qui elle appartient et ils entrent en contact avec le mafioso en question. Brillant! L’un des deux est assassiné quelques jours plus tard. Dans «Les cinq étapes du chagrin», décidément, ça ne s’améliore pas. Un homme, très éprouvé par la mort de son jeune fils, ne veut voir personne, mais laisse deux évangélistes lui parler du Très-Haut. Ces derniers sont en fait de petits escrocs qui finissent par le voler. Mais, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ils reviennent comme si de rien n’était, acceptent l’invitation de l’homme à boire un café dans lequel le père éprouvé met une forte dose de somnifères. Puis il les enchaîne dans la cave et finit par laisser son chien les tuer. On se demande bien pourquoi Forand a repris « L’étrange maison de la veuve Boilard» parue dans son recueil précédent. Il s’agit d’une nouvelle à chute avec effets «fantastiques» qui se dégonflent à mesure. «La mort est pleine de surprises» est aussi un peu ridicule. Un homme, ayant peur qu’il n’y ait personne à ses funérailles, fait de généreux dons à son ex-femme, à un ex-ami et à sa mère pour s’assurer de leur présence. Puis il feint d’être mort pour voir si ça marche. À la fin, on referme le couvercle de la tombe sur lui… Le goût de refermer le livre n’est pas loin. On espère toujours naïvement que ça va s’améliorer, mais non. Ça sombre de plus en plus dans l’insensé, comme dans «Sur le pont des suicides», où un homme va sur un pont pour se suicider et y rencontre trois autres suicidaires (un attroupement!) à qui il demande de se confier pour savoir lequel a la vie la plus atroce et devrait se suicider en premier. Au secours! 38 • lettres québécoises • automne 2010 GEORGETTE LEBLANC JEAN-PAUL DAOUST AMÉDÉ DOMINIC LANGLOIS MENER DU TRAIN CARNETS DE MONCTON Scènes de la vie ordinaire PERCE-NEIGE PERCE-NEIGE CARNETS DE MONCTON JEANPAUL DAOUST PRIX 14,95 $ ISBN 9782922992588 AMÉDÉ GEORGETTE LEBLANC PRIX 14,95 $ ISBN 9782922992557 PERCE-NEIGE MENER DU TRAIN DOMINIC LANGLOIS PRIX 14,95 $ ISBN 9782922992564 Les Éditions Perce-Neige, 140 rue Botsford, bureau 22, Moncton N.-B. • http://perceneige.recf.ca • [email protected] Téléphone : 506-383-4446 • Télécopieur : 506-857-2064 DISTRIBUTION PROLOGUE lettres québécoises • automne 2010 • 39 poésie HUGUES CORRIVEAU III Les mots des autres deviennent des amertumes Alors on finit dans un Disneyland encore plus synthétique On pense que la fête très Louis XIV commence Alors qu’elle finit Quand vous n’avez plus le guts de vivre Ne pensez surtout pas que les mots le feront à votre place (p. 33) Jean-Paul Daoust, Carnets de Moncton. Scènes de la vie ordinaire, Moncton, Perce-Neige, 2010, 66 p., 14,95 $. Vadrouilleur urbain Trois mois d’hiver à Moncton, autant dire trois mois d’errance sentimentale et nostalgique dans une ville au bout de la tranquillité pour quelqu’un qui n’aime rien tant que les rencontres festives et les débordements. n 1996, Jean-Paul Daoust nous avait donné son très beau 111 Wooster Street (VLB éditeur), après un séjour de six mois à New York. On le savait donc capable de tenir un journal poétique de haut niveau au fil des rencontres et des moments d’espérance. Cette fois, il revient à ce métier du journal presque quotidien, mais dans un contexte fort E J E A N - PA U L D A O U S T Ce recueil met en jeu un poète qui, devant ses propres mots, les craint et les polit pour que d’eux exultent la vie crue et l’effervescence des sentiments troublés. II Frans Ben Callado, Faire confiance à un animal, postface de Jean-Paul Daoust, dessins d’Arnaud Soly, Montréal, Poètes de brousse, 2010, 104 p., 15 $. Les trous de la terre chez Frans Ben Callado L’art d’aller dans les entournures d’une complexité qui s’égare un tantinet est poussé assez loin dans les textes de Callado. Peu s’en faut qu’on ne distingue pas bien l’avancée du propos. différent. Aux prises avec sa propre solitude, il va passer cette parenthèse temporelle avec la figure à la fois tutélaire et fantomatique de Gérald L e bla n c , s on « t i - f r è re » (comme se plaisait à l’appeler le poète décédé). Cela donne les plus belles pages, le plus beau moment de cette œuvre q u i d é r i ve , q u i s’ e s s a i e constamment au jeu de la vérité la plus exacte, mêlant bonheur et angoisse. omme toujours, chez les Poètes de brousse, le livre est laid, fidèle en cela à l’esthétique obstinée de la maison. Les esquisses qui parsèment les textes de Faire confiance à un animal n’y remédient pas non plus. Retenons aussi les navrantes dédicaces C LE CŒUR EN ÉMOI Entre la solitude de sa chambre, les promenades sur le boulevard, les arrêts inévitables aux bars qui l’interpellent, Jean-Paul Daoust nous convie à ce parcours tremblé qui met l’âme à bout de souffle, les mots au bord des confidences alarmées, pleines de larmes justement, tant la confrontation à soi-même ou à l’absence creuse la conscience: À vivre avec les mots on risque de trop les aimer On se les greffe au cœur En pensant qu’ils nous donneront le leur On va même jusqu’à se les enrouler autour du cou¸ Comme des boas affectueux 40 • lettres québécoises • automne 2010 du recueil qui feraient fuir le plus acharné amateur de poésie, dont celle-ci : « aux nombreux sosies banlieusards de Zac Étron [sic] (parce que j’ai les goûts d’une petite sotte de Laval).» Quant à la poésie de M. Callado, dès les textes iniFRANS BEN CALLADO tiaux, on y décèle l’influence du courant des « listes » qui sévit dans la production hyper-actuelle. Le premier accumule les compléments à «Nous allons naître de…» (p. 13-14), le second à «Nous naissons de…» (p. 15-16), sans compter le «C’est dangereux de…» (p. 37). poésie HUGUES CORRIVEAU On a craint que ça n’en finisse pas mais, ailleurs, on va du côté d’une «surréalisation» des images: «L’argile en jonction crépusculaire se déchire immonde, rompt la boue.» rais ce que j’eusse dû écrire si j’avais écouté ma religieuse bien-aimée. Avec l’auteur, je dévalerais les pentes enneigées des douces montagnes québécoises, me dis-je! Des heures de plaisir! Hélas! Mes espoirs furent trompés. CHERCHER SON CHEMIN MÉTIER : « GROGNASSON » Bon, je me dis que je comprends mal le projet, je me replonge au cœur du poétique: «Dans le Nord obscène, autant on fait traire toute la mélancolie hors de la goutte de sang estampée sur le toit du Japon, autant on dévie de la romance vile et espiègle de Marco Polo […]» (p. 23); autant dire que je reste pantois de perplexité. J’ai eu beau lire et relire la postface admirative que signe Jean-Paul Daoust, rien à faire, je me retrouve baba comme devant. Voyons ceci: «Perce et parais; parlement de pores. Austère, parle-moi des palestres, des lieux à échine. Par le musc enfin la reconnaissance. Ne miroite pas. Le prix se paie mal. Toujours. Et par l’asphyxie la plus belle (ton entrecôte est succulente lorsque tu sautes les barbelés).» (p. 45) Malgré tout, je ne dis pas que c’est sans qualité, loin de là. On reconnaît indéniablement une recherche très poussée du côté de la langue et de ses effets, mais ce qu’il y a à comprendre à la lettre des textes, je n’en suis pas certain. Or, nous sommes plutôt devant une suite de textes de genre: soit une suite de conseils pour attaquer, ou se défendre, ou provoquer en toutes circonstances, soit une description d’un événement particulier qui tombe plutôt sur les nerfs, soit un «mode d’emploi». C’est très souvent ludique et réjouissant mais, surtout, obsessionnel. Le jeu est simple: il suffit de retenir un mot, D E S É C L AT S D E V O I X Soit, il faut «mutiner plutôt, se munir de futur» (p. 38), ou encore saisir que «tous [s] es efforts sont des machines fabuleuses» (p. 50), mais je ne sais trop quoi faire quand le poète me confie: «seul l’espace me fustige clamant l’accalmie de mes membres, la fainéantise de mes organes» (p. 48) ou qu’il veut me traduire «les sourires pariétaux du pergélisol» (p. 22). Si on doit donner raison à Jean-Paul Daoust quand il dit que «[…] le poète jouit. La luxure des mots gicle» («Les fleurs de Caïn», p. 98), encore faut-il être capable d’accompagner cette jouissance. Quant à moi, j’ai dû attendre la seconde moitié du recueil pour me laisser saisir, car «c’est aussi une voix qui nous exhorte de graviter: “Ne meurs surtout pas.” » (p. 52) Les trois dernières parties, « Renforts », « L’antenne de l’humanité» et «Langues maternelles», valent à elles seules le recueil. L’auteur y atteint la densité propre aux textes qui comptent. II Pierre Demers, La bénédiction des skidoos. Poèmes enragés, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2010, 80 p., 17,95 $. « Chialer pour chialer » Avoir les nerfs à vif, et pouvoir rouspéter un bon coup : voilà le programme de ce recueil inclassable et acide. Voilà une voix qui s’élève pour hurler dans le désert. Même le jour où les « skidoosmen » sont réunis pour la bénédiction du curé. n courte introduction, une anecdote: au cours de ma scolarité de doctorat à l’Université Laval, je suivais un atelier d’écriture en compagnie, entre autres, d’une «consœur sœur». Comme elle détestait ce que j’écrivais, un soir elle m’invectiva de la sorte: «Au moins, si vous alliez vous promener en “skidoo” dans la forêt, vous écririez des poèmes plus incarnés.» Je ne tins pas compte de la suggestion. Or, voici que les Éditions Trois-Pistoles publient (pour moi seul, j’en étais certain), La bénédiction des skidoos du poète Pierre Demers. Imaginez un peu. J’ai cru pouvoir enfin tenir mon livre de référence; enfin, je sau- E comme le premier du recueil, à savoir «roches», et laisser son imagination faire le nécessaire pour multiplier les jeux et les usages suscités par un objet quelconque. Comptez sur l’auteur pour vous donner les conseils indispensables à leur utilisation ou aux comportements recommandés dans une situation spécifique. Les textes PIERRE DEMERS sont parfois écrits à l’infinitif et accumulent alors le procédé propre aux dépliants explicatifs qui accompagnent tout achat d’un nouvel appareil nécessitant telle ou telle recommandation préalable à son bon fonctionnement, ou même tout comportement indispensable dans une situation donnée. Par exemple, face au «Vide» dégagé par des importuns, l’auteur nous susurre: «Plus capable de les souffrir. Plus capable de les entendre parler de tout et de rien n’importe comment. […] Sentir le désir profond monter de les engueuler comme de la viande avariée. […] À me donner l’envie spontanée de régurgiter mes deux toasts du matin au beurre d’arachide. Tirer la chasse d’eau pour les voir disparaître tous dans le tourbillon des os usés.» (p. 13) LA LANGUE DANS LE VINAIGRE En si bon chemin, l’auteur s’autorise quelques petits jeux de mots guillerets. Par exemple, dans «Rouler», il s’impatiente du bruit que fait une Harley, et nous confie son « […] goût de la pousser à terre juste pour voir la fraise du gros motard moutarde fulminer en sortant en trombe de son bar-salon. Rager. […] Pomper comme un porc gonflé aux côtes levées.» (p. 14) Je me désopile à qui mieux mieux. Et ainsi de suite avec «Le flo», l’«Eau potable», les «Rapaces» ou le « Major ». Le procédé étant toujours le même, on feuillette, on glane ou on glande, c’est selon. Mais chose certaine, on a droit à l’impatience forcenée de l’auteur au bord de la crise de nerfs: «Faire le pari des chiens. […] Japper contre tout, contre rien. Faire de son passage un lancinant aboiement. Pour signaler que la terre ne tourne pas à la bonne vitesse. […] Attraper la rage des chiens qui veulent mordre. Japper contre la grande noirceur, le sommeil destructeur, les âmes bienpensantes. Appeler le désordre, japper pour qu’il s’installe enfin. Déchiqueter les niches. Avaler toutes les laisses.» («Japper», p. 50) Poésie cela? Je n’en suis pas certain. Jouissif, assez souvent. Goguenard. Et libérateur. lettres québécoises • automne 2010 • 41 poésie RACHEL LECLERC IIIII réserve d’indulgence — inutile réserve — face à un éventuel trébuchement. L’abrupt, c’est la répétition générale que s’offre le poète devant l’idée de sa propre mort. Fernand Ouellette, L’abrupt, tomes I et II, Montréal, l’Hexagone, coll. « L’appel des mots », 2009, 205 et 207 p., 24,95 $ chacun. « Le nombre sacré du large » Comme un testament poétique, L’abrupt nous livre, en deux forts volumes, toutes les coordonnées d’une Voie lumineuse dont Fernand Ouellette sent, souhaite et appréhende peutêtre l’imminence. La dernière falaise, pourrait-on appeler cette somme dont les quatre cents pages d’abandon et de lucidité ont été écrites, transcrites en une année à peine. ier soir, devant le téléviseur, j’étais happée par la musique d’André Mathieu enfin arrachée au marais de l’indifférence nationale par Alain Lefèvre, me trouvant fascinée par les mains de l’interprète, broyée par les notes du 4e concerto. À l’aube, j’ai repensé à ce compositeur né quelques mois avant le poète et me suit dit qu’une force essentielle lui a fait défaut, un solide espoir, un espoir aveugle. Il aurait eu cette foi, cet appui, cette balise, il était peut-être sauvé. H Or il faut en passer par le natal, par l’origine, et Ouellette n’esquive pas la tâche de désempierrer sa propre préhistoire. Le premier volume se fait le plus sombre des deux, si cela se peut. C’ e st qu’ on e st e n core à s’ébrouer pour se dégager de l’expérience terrestre, qu’elle soit individuelle ou collective, et de FERNAND OUELLETTE toutes les épreuves, de toutes les images aimées ou haïes, de tous les visages tenus ou perdus. Puis il y a l’élan final, la beauté du silence qui va bientôt nous saisir, qui est aussi le silence dans lequel sont abandonnés les témoins parce que tout est dit, tout est traversé du chagrin à la confiance, de la confiance à la foi, de la foi à l’éblouissement (plutôt que l’illumination). Cet éblouissement, on le retrouve dans le second tome, étrangement le plus concret des deux, car on y est engagé dans le mouvement, dans l’accélération et l’entropie, dans la transformation. On traverse des nuées, des paysages, on aperçoit des oiseaux. Quelque part il est dit qu’on atteint le plateau. Bientôt on s’y trouvera, «à contre-Dieu» (p.181, tome II). Qui saurait déchiffrer, qui pourrait sonder le mystère dans le cœur de l’immense poète qu’est Fernand Ouellette — lequel a bien dû croiser Mathieu un jour ? Inaccessible pour la plupart d’entre nous, la vraie foi ne peut que faire envie, surtout quand on a parlé ne serait-ce qu’un instant avec cet octogénaire qui porte en lui quelque chose d’inusable, de juvénile et qui semble bien être le seul à croire venue l’heure de la grande montée. Certains poètes transforment en or tout ce qu’ils touchent avec une aisance, une grâce d’enfant. On voudrait pouvoir citer la plupart de ces vers qui entrent dans la vie par une majuscule dont on ne songe même pas à interroger la pertinence tant elle semble aller de soi. À peine en équilibre, visant Le sommet d’une solitude que nul Ne sait escalader (…) Je laisse les formes et les sons M’entamer, me rougir. (p. 55, tome I) UNE POÉSIE SOLAIRE C’est peut-être une posture de l’effroi qui sert de prémices à ce livre et qui donnera lieu, au fil des pages, à une telle fluidité, à une telle qualité poétique. Mais, à l’envers de l’effroi, il y a une joie toute solaire, il y a aussi la verticalité (d’où le titre), non plus la verticalité comme pulsion de vie, mais comme force d’attraction vers le haut, comme anti-gravité. Rendu à un certain niveau dans l’ascension, on écrit avec aisance, en battant doucement des ailes, sans faux pas mais avec une 42 • lettres québécoises • automne 2010 Le grand art et la force de Fernand Ouellette pourraient bien résider dans cette seule idée qu’il a tenue à bout de cœur, ce vœu cristallisé dans la métaphore de l’escarpement, d’une interminable paroi où s’agripper, mot après mot, page après page, pour voir enfin ce en quoi il a cru aveuglément et pour y prendre demeure. IIII Margaret Atwood, La porte, traduction de Louise Desjardins, Québec, Le lézard amoureux, 2009, 152 p., 18,95 $. Du roman dans le poème Retirez du cerveau de Margaret Atwood, romancière de Toronto mondialement célébrée, le fantastique qu’elle cultive si bien dans ses histoires, et il en restera des vers d’un pragmatisme halluciné, inquiétant et efficace, avec un doigt d’ironie allongée d’humanisme. oilà une poésie qui gravite à des années-lumière du maniérisme hésitant des débutants, de la métaphore échevelée et des transpositions ambiguës ou narcissiques. Il faudrait relire le traité de Fontanier pour comprendre à quelles figures de rhétorique carbure l’auteure de La servante V poésie RACHEL LECLERC écarlate et du Tueur aveugle dans ce livre admirablement traduit par Louise Desjardins. mité, si habituelle aux poètes. Très vite, on est happé par l’étrangeté, l’atmosphère de ces narrations débouchant souvent sur une sombre intériorité, tout empathique et jamais cynique. Que Margaret Atwood prête seulement son attention au criquet ou à l’ours, elle pénètre dans notre tête à petits pas furtifs et déterminés. On voit alors, comme on l’a vu dans ses romans, à quel point elle possède le don de mettre le feu à la broussaille de notre existence convenable et convenue. Le dernier texte, qui donne son titre au livre, ramasse en trois pages une vie entière, avec l’ultime porte qui se referme sur votre stupeur d’avoir déjà passé le Seuil. C’est bel et bien un recueil, cette collection de longs poèmes unifiés par un ton et un style propres à une certaine poésie canadienne-anglaise, laquelle excelle souvent dans l’art du vers narratif. Que l’auteure raconte le quotidien des habitants d’une maison de poupée, qu’elle rédige une épitaphe pour le chat Blackie — une bête assoiffée de justice —, qu’elle décrive les suées d’angoisse du dernier homme raisonnable siégeant au sénat romain alors que Caligula cède au caprice de nommer son propre cheval sénateur, qu’elle fasse dire à l’oracle qu’il est devenu trop épuisant de transformer les calories en mots, qu’elle donne la parole aux naufragés d’un paquebot — rappelant par là le très beau Naufrage du Titanic de l’ A l l e m a n d Ha n s Ma g nu s Enzensberger —, on ne peut qu’apprécier. On voudra relire cette poésie d’une grande romancière comme la chronique douceamère de nos destins étriqués, aussi comme un hommage à la grandeur et à la vanité de nos rêves, relire notamment l’un de ces longs textes bavards comme elle sait en produire, «Le hibou et le minou, quelques années plus tard», car il contient lui aussi les braises tranquilles, rougeoyantes, de nos cœurs d’artistes et d’écrivains. M A R G A R E T AT W O O D Pourtant, les premières pages laissent pantois un lecteur parti à la recherche d’une autre inti- III Étienne Lalonde, Histoires naturelles, Montréal, Les Herbes rouges, 2010, 72 p., 14,95 $. Apparitions Dans une maison délabrée non loin de la mer, là-bas dans un Nord innommé, un jeune homme marche à l’intérieur de luimême, à petits pas dans la poussière et les toiles d’araignée de sa naissance. ivre grave que celui-ci, chargé d’ellipses et de sous-entendus. Normal, puisque le personnage ne sait pas où regarder ni lequel de ses fantômes questionner. Il veut, exige de revenir sur le drame de ses origines, car il voudrait vivre sans le poids de la souffrance de ceux qui l’ont précédé. Et l’homme aura besoin de se mettre en état de faiblesse. «Je suis ce qui crie famine, une proie faite pour la peau.» (p. 13) On n’entre pas au cœur de soi, tout près de ce qui nous a mis au monde, sans lever le voile sur la fragilité: avant l’équilibre et la maturité de l’homme écrivant, il y a eu le petit garçon avec son mal-être et sa difficulté à grandir, et puis cette lettre mystérieuse que le père ne veut pas expliquer, lui qui se contente de caresser «les cheveux comme on brosse le trait d’une dernière nature morte» (p. 59). L Or rien n’est plus générateur d’angoisse pour l’enfant qu’une absence de réponse. Si chacun comprenait cela, les psychanalystes tomberaient en faillite. On pourrait presque dire que le livre tourne autour de cette donnée, un ancien refus de révéler. Et aussi de celle qui veut qu’un adulte n’est parfois qu’un enfant coupable qui a grandi. Mais il y a ici et là une belle sollicitude, toute filiale: «Tu es mort, des outils plein la voix.» (p. 57) Q U I E S T PA R T I ? Qui, de la mère, du père, du grand-père, a fait défaut ? Qui est la victime ? Qui persécute ? On ne sait pas bien, mais parions que, tour à tour, chacun fait défection un jour ou l’autre. C’est peut-être le prinÉTIENNE LALONDE cipal reproche qu’adresse le « narrateur » à ce petit groupe de fantômes et ce qui le justifie de trancher dans la chair du souvenir. « Je pense que je vis les bienfaits de mon meurtre. » (p. 29) Le plus réussi de l’ensemble est l’atmosphère, souvent à deux pas de l’épouvante pour peu qu’on veuille entrer dans le mystère du livre. Et aussi le paysage qu’on arrive à imaginer parce qu’il ne nous est donné qu’à dose minimale. Cela se passe à des centaines de kilomètres du bitume, et l’on sent l’air, le lac, la baie, on sent le bois de la demeure, tout l’ensablement qu’elle a dû subir. Mais, surtout, ces spectres à l’intérieur, ces visions… Il ne faut pas lire ce livre, comme je le fais, avant d’aller passer quelques semaines dans une maison en bardeaux, isolée au fond d’une vallée. «Une forme s’est mise à courir derrière moi. Une forme indistincte, à demi vêtue, plus pâle que le reste. » (p. 41) On s’en reparle dans quelques mois. Si je reviens. lettres québécoises • automne 2010 • 43 poésie J A C Q U E S PA Q U I N III 1/2 Carole David, Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles, Montréal, Les Herbes rouges, 2010, 75 p., 14,95 $. « Le dragon de soi » Le dernier titre de Carole David rappelle par sa formulation les manuels qui étaient à l’usage des jeunes filles et qui servaient à prémunir la génération des années soixante des dangers d’une sexualité trop précoce. avid retourne comme un gant les visées de ces petits ouvrages en invitant ses lectrices (mais aussi ses lecteurs) à admirer ses icônes. Oui, des icônes, c’est bien le mot qu’elle utilise pour coiffer le titre d’une des sections du recueil, tout comme « Les pieuses domestiques » ou «Trois jours de pèlerinage». On ne doit donc pas s’étonner de ces résonances religieuses, car David a déjà publié des nouvel le s qu i r a conte nt des Histoires saintes (Herbes rouges). Et elle affichait autrefois un nom qui dévoile son italianité : Carole Fioramore. Ce sont des icônes féminines qui ornent les frontons de chacun des poèmes, et la poète leur rend hommage à sa façon, ce qui est peut-être aussi une C A R O L E D AV I D manière de se mesurer bien humblement à elles: sainte Lucie, Mary Shelley, Maria Goretti, Jean Seberg, Emily Dickinson. La liste serait trop longue à énumérer. Pour chacune, une forme de définition, de petites étiquettes, certaines très fantaisistes. Unica Zürn est «maîtresse des anagrammes», Louisa May Alcott, «déesse de la fiction domestique», Amelia Rosselli, «libellule et aphasique». Pour chacune d’elles, la poète a prélevé de leur œuvre une petite citation. Puis vient le poème, qui peut se lire comme une forme de lecture, d’appropriation de l’univers de cette icône. Que le lecteur connaisse ou non les noms alignés au fil des pages n’a que peu d’importance, car il conviendra que ce qu’il lit, ce qu’il veut lire avant tout, c’est du David. Voici son Shelley: D Dans sa cuisine, Mary a arraché des têtes, recousu des ailes, rapiécé des membres, des chaussettes en cuisinant le rosbif. Elle a créé un monstre fracturé, objet menaçant à la recherche d’une âme et d’un cercueil; il est apparu par une chaude journée d’été devant le barbecue, les instruments à la main […] (p. 15) 44 • lettres québécoises • automne 2010 Les textes les plus étranges, mais, à mon avis, les plus réussis sont les « kitchen songs », petites narrations qui sortent de l’ordinaire […]. L’assemblage des objets familiers et du fantastique dans cette scène mi-bucolique mi-loufoque est bien de la palette de David, reconnaissable entre toutes. Sa poésie mélange le kitsch et le sublime. La poète maintient son lecteur dans l’entre-deux, comme dans la section «Études» où elle déstabilise sa classe d’étudiants en trafiquant un bout de vers de Paul-Marie Lapointe «Kimono de fleurs blanches» pour forger à son tour une «bouche truite rouge» (p. 51). Les poèmes sont souvent des leçons de poésie. Les textes les plus étranges, mais, à mon avis, les plus réussis sont les « kitchen songs », petites narrations qui sortent de l’ordinaire et qui décrivent en quelques touches un univers où l’incertitude, celle du locuteur surtout, se donne comme une règle de vie. « La commode, la coiffeuse, la cage, sont mes seuls repères dans cette histoire de la poésie», écrit-elle. «J’insiste sur ce qui est faux pour faire à ma tête.» (p. 66) Il faut lire aussi le magnifique poème qui ouvre le recueil, qui parle de la lecture publique: quand je suis assise, je pense, j’écris, je rature; quand je me lève, je tremble, toussote, m’emballe parce qu’entre ma voix écrite et ma voix réelle, il y a le dragon de soi. La couverture est joliment illustrée d’une enluminure qui représente «Christine de Pisan écrivant dans sa chambre». Bel autoportrait ressemblant de la poète en femme érudite du Moyen Âge, considérée aujourd’hui comme une féministe avant la lettre. III Serge Murphy, La vie quotidienne est éternelle, Montréal, l’Hexagone, 2010, 88 p., 16,95 $. La mesure du menu quotidien S’il en est à son premier recueil, Serge Murphy n’est pas un inconnu pour autant, puisqu’il a obtenu le prestigieux prix Ozias-Leduc pour l’ensemble de son œuvre artistique. n pourrait croire que l’intitulé du recueil est une réponse à la plainte lancée par Jules Laforgue: «Ah! que la Vie quotidienne…» Et pour cause, car l’univers dont nous fait part Murphy est fait d’un inventaire de choses, de gestes qui associent le quotidien au banal. Rien de plus répétitif, de plus prévisible que le quotidien. Et le recueil se garde bien de le magnifier comme on a pu le voir dans certains recueils où l’espace privé du sujet dévoilait tout autre chose que le banal. Le parcours de Murphy prend une tout autre direction. Chez lui, c’est l’accumulation de petits faits, de gestes anodins, d’un fragment de vie qui finit par créer, peut-être inspiré en cela par ses installations composées d’objets hétéroclites. J’ai écrit «inventaire»: effectivement le poète a une lubie, il compte, tout et tout le temps. À Marseille, il donne le compte exact des mouettes qu’il aperçoit, il fait de même avec une rangée de voitures garées dans une rue de Montréal, il «arpente les secondes/l’une après l’autre» (p.19). Il aime l’ordre, c’est O poésie J A C Q U E S PA Q U I N la mesure du quotidien, mais il se considère en contrepartie comme un «mol inventeur du désordre» (p. 31). On l’a déjà, avec raison, associé à la poésie de Gilles Cyr qui pratique lui L’émotion, l’épanchement sont exclus de ces poèmes sans titre qui composent une trame décousue, mais à la tonalité constante. N’ayant ni l’esprit du collectionneur ni celui de l’herboriste, le poète ne dit que ce qu’il trouve, sans maquiller la réalité. Si celle-ci le «happe» (p. 85), elle n’entraîne pas d’effet autre que du factuel. Le lecteur est laissé à sa liberté, on ne lui indiquera nul fil, nulle thématique, rien qui puisse dénaturer le simple fait de recueillir des bouts de quotidien. Les « choses vues » sont « choses à voir » (p. 62). Serge Murphy ne cherche pas la poésie, cette question n’a pas de sens pour lui, je pense, il saisit les objets de son entourage et les dispose sur le papier. Mais parfois, il s’offre le plaisir d’un petit bricolage: au s s i l a s a i s i e d e p e t i t s moments, de déplacements sans but et sans motifs apparents, qui finissent par prendre sens dans un paysage toujours ch a n ge a nt , qu e l e p o è te arpente avec minutie. Mais le pari est risqué, il ne faut pas SERGE MURPHY que ça crée du sens, justement, et accepter que les choses en elles-mêmes ne valent pas (nécessairement) pour leur attrait : « Je montre/une vie/sans apprêt/livrée aux secondes » (p. 12). II 1/2 Jean-Marc La Frenière, Un feu me hante, illustrations de Lino, Trois-Rivières, Le Sabord, coll. « Excentriq », 2009, 96 p., 24,95 $. Entre le rêve et le dépit je creuse un trou à la fourchette plante la branche dépose l’oiseau son chant est le mien dans la forêt souveraine (p. 37) Le regard de l’artiste n’est pas absent dans ce premier recueil où la peinture, le tracé sont présents, mais sans être auréolés d’aucune signification supérieure; ils sont le produit d’un geste comme un autre. Seule exception, une concession peut-être, qu’on devine à la fin du recueil, où le poète affirme (ou reconnaît?) que «tout se lie dans l’œuvre ultime» (p.84). Je ne crois pas que Murphy adopterait la suite du vers de Laforgue: «Et, du plus vrai qu’on se souvienne — Comme on fut piètre et sans génie…» Et on lui donne parfaitement raison. Malgré une ou deux bavures, qui font tache dans un recueil aussi minimaliste (répétition de «escorte» et «apprêter»), La vie quotidienne est éternelle invite à une belle flânerie. d’avoir été enfant» (p. 68). On peut s’en moquer, mais puisque cette posture est assumée pleinement, on songe soudain à Prévert et alors on finit par emboîter le pas, on envoie au diable les clichés. D’autre part, cela ne lui suffit pas, au poète, le voilà qui se fait sentencieux, lui qui pourtant dit se tenir à distance des Comme le suggère son recueil, Un feu me hante, Jean-Marc La Frenière a « [d]e l’émotion à revendre ». Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le poète a du bagout. a centaine de pages de prose, engoncée dans une typographie un peu rebutante, représente un défi de taille pour qui est habitué à une écriture plus aérée. Mais malgré cette masse textuelle, on peut aisément repérer des thèmes récurrents. D’abord, le poète aime bien parler de lui, il a un petit côté narcissique — mais quel poète ne l’est pas, me direz-vous —, qui révèle une personnalité quelque peu misanthrope. «Écrire est mon dernier refuge contre la perdition » (p. 23), lance celui qui dit « marcher toujours du côté des parias » (p. 59). Il a des lettres, ce poète, c’est un grand lecteur, mais ses propos rappellent aussi sa filiation avec ceux qu’on a appelés les poètes du pays. On croirait entendre l’agonique Miron et sa pauvreté anthropos à certains tournants de phrase, ou la complainte de Gérald Godin à qui La Frenière dédicace l’un de ses poèmes. L’échec du référendum de 1980 a laissé de brûlantes cicatrices: «J’habite un pays qui ne veut pas de lui et se refuse à naître.» (p. 80) Le recueil se partage entre deux registres. D’une part, une «écriture légère», naïve même, qui, aux yeux du locuteur, fait écran à la déroute générale. Bien qu’il en ait conscience, le poète se soucie peu de paraître mièvre à quelques occasions puisque, confie-t-il, «je n’ai jamais guéri L «vérités hautaines» (p. 101), le voilà maintenant accroupi comme un vieil enfant boudeur qui chantonne la rengaine du bon vieux temps, la nostalgie de la maison natale, son aversion pour la vie urbaine. Les illustrations de Lino valent le coup d’œil, de même que les segments de phrases peintes en JEAN-MARC LA FRENIÈRE rouge qui percent la monotonie de ces textes qui n’évitent pas toujours le ressassement. Le poète a beau ne pas parler seul quand il marche dans les rues, on peut s’interroger: est-il bien notre contemporain, celui qui s’entoure de «mille fantômes» et de «dieux déchus» (p. 124)? lettres québécoises • automne 2010 • 45 essai CLAUDINE POTVIN IIII position sur la politique et la société sont rares […] Prendre position suppose reconnaître publiquement des solidarités, suppose aussi un savoir et un souci de la chose publique. » (p. 88) D’où la nécessité d’explorer, d’où ce qu’elle nomme les marginaux littéraires et le fait que «[l]eurs textes s’adressent à l’imagination et contribuent à accroître le chant des possibles » (p. 89), d’où la démarche de certaines femmes qui font l’histoire et le corps politique. France Théoret, Écrits au noir, Montréal, Remue-ménage, 2009, 168 p., 21,95 $. Œuvre au noir : noir comme l’encre, noir comme du charbon L’écriture de France Théoret passe par la parole sans compromis, les savoirs féministes, les vibrantes prises de position culturelles, la pensée politique, l’action, le langage et le littéraire. FRANCE THÉORET L’ É C R I T U R E A V A N T T O U T ans son dernier ouvrage intitulé Écrits au noir, France Théoret s’engage à la fois sur la piste de l’art et de la littérature et sur celle de la mémoire passée et présente de l’écriture. L’auteure y pense le langage en termes d’un «projet d’une esthétique et d’un art à la recherche du délire littéraire qui invente quelque chose au féminin» (p.9). Dans Écrits au noir, elle affiche quatre volets qui se développent autour du parti pris d’écriture, du féminisme, de la scène sociale et politique, enfin du littéraire. Écrits au noir constitue une forme de manifeste. Ce livre, rafraîchissant à plus d’un titre, ramène sur le tapis la parole d’une intellectuelle qui se déclare une écrivaine politisée, connue pour ses positions, sa force et son travail de réflexion. De plus, ce livre débouche sur la pensée critique de toute une génération d’écrivaines et de philosophes axée sur des formes de métissage, une esthétique et une éthique de la littérature. Dans ce contexte, imaginer le retour à la liberté individuelle, au réel et à la solidarité des femmes, à l’exercice de l’autonomie, signifie revenir aux sources d’une toile noire et blanche, voire d’un «refus global». D IIII F E M M E , Q U É B É C O I S E , É C R I VA I N E En premier lieu, Théoret signe un parti pris qui repense le texte à ras du corps et nous entretient de l’émergence d’un sujet féminin situé en dehors de la langue patriarcale. Suivent alors une série de notes sur des textes antérieurs qui renvoient précisément au travail de la langue et de la représentation, et au concept d’engagement politique. Les allusions aux romans, aux études littéraires, à la poésie permettent à celle qui écrit et qui lit de s’interroger «sur le double point de vue, d’où [elle] parle et d’où [elle] écri[t]» (p. 25). Par ailleurs, un commentaire fort intéressant sur L’Homme qui peignait Staline nous ramène à l’art comme asservissement et comme outil de domination, au fantasme du vainqueur. Écrire, c’est lire et fixer son regard sur le mot, et dans ce cas sur la pratique stalinienne de l’art. L’ É D U C AT I O N D E S F I L L E S «Le féminisme est une œuvre au noir, secrète et en progrès», affirme France Théoret, et elle ajoute que « [d]es livres de femmes transmettent un langage fondé sur la complexité des signes» (p. 49). Celle-ci fait un survol de moments historiques, de lieux, de noms, et ouvre un débat sur la féminisation de la langue et de la phrase, débat articulé dans le cadre d’une référence aux mouvements littéraire et féministe. TOUT EST POLITIQUE ? ÉMOTION OU PRISE DE POSITION France Théoret parle avec justesse d’un savoir-vivre politique, désir d’insérer la pensée politique dans le vécu et d’affirmer son discours comme un apprentissage et une connaissance de ce qui s’entend, se parle et témoigne de la présence de l’autre car « [l]’ignorance en politique est grande. Si tel n’était pas le cas, les femmes écriraient davantage et elles auraient de l’influence. Leurs prises de 46 • lettres québécoises • automne 2010 Lucie Hotte et Guy Poirier (dir.), Habiter la distance. Études en marge de La distance habitée, Sudbury, Prise de parole, coll. « Agora », 2009, 191 p., 23,95 $. Sur la piste de François Paré Un peu à la manière des protagonistes de Volkswagen Blues, huit chercheurs s’engagent sur la piste du dernier ouvrage de François Paré, La distance habitée, afin de retrouver la route des cultures et des littératures minoritaires. ans un premier temps, Lucie Hotte et Guy Poirier revisitent les r é f l ex i ons de Par é su r l e s «petites» littératures, la langue, le déplacement, la mémoire, les frontières culturelles, la distance, l’espace, et sollicitent des collaborations basées sur la pensée de Paré, plus particulièrement La distance D essai CLAUDINE POTVIN « La distance est bel et bien le lieu d’une domiciliation du fils éperdu. C’est bien là que ça parle parmi, dans, à travers, et malgré nous. » habitée. Cet ouvrage de François Paré servira donc ici de point de départ aux différentes études qui constituent la collection. Ainsi, perçus comme incontournables, les travaux critiques de Paré donnent lieu à une analyse littéraire inscrite dans la lignée de son livre Les littératures de l’exiguïté. qui se penche sur l’écriture «bi-langue» dans des romans de l’Ouest canadien, alors que Guy Poirier traite de la francophonie en Colombie-Britannique. Les directeurs de Habiter la distance, Hotte et Poirier, soulignent dans leur introduction que les textes qui suivent se centrent sur l’espace et la résistance comme l’indiquent les articles sur la science-fiction (Sophie Beaulé), la distance chez Michel Ouellette (Lucie Hotte), la filiation identitaire et la mémoire du Canada français (Jean Morency), les «identités flottantes» chez Daniel Poliquin (Kathleen Kellet-Betsos). Bref, ces études montrent que «[h]abiter la distance, c’est aussi regarder de plus près, et pour lui-même, l’espace existant entre des entités aisément discernables et distinguables» (p. 36). D E L’ A C A D I E À L’ O N TA R I O , D U FA R W E S T A U PA C I F I Q U E U N E P O S T FA C E À T I T R E D ’ I N T R O D U C T I O N Selon Catherine Leclerc, Paré s’interroge «sur les structures d’accommodement propres aux cultures de l’exiguïté, tout en refusant d’en faire des signes de capitulation» (quatrième de couverture). Leclerc s’intéresse en ce sens à la question de la langue, au français et à l’anglais et à la place qu’occupe le chiac dans quelques œuvres acadiennes. Pratiques diglossiques reprises dans l’article de Johanne Melançon sur la chanson franco-ontarienne et dans celui de Pamela Sing Paré reprend brièvement les concepts de diaspora et d’itinéraire, le sujet minorisé aux prises avec un sentiment de perte et un désir d’espace, et termine par ces mots auxquels les analyses font écho: «La distance est bel et bien le lieu d’une domiciliation du fils éperdu. C’est bien là que ça parle parmi, dans, à travers, et malgré nous. C’est là qu’il faut continuer à chercher, dans l’éloignement des premiers gestes.» (p. 189) IIII de visibilité» de l’aventure intellectuelle, subjective, du paysage et de la manière unique de Garneau à la limite de l’inconscient, à la voyance, au champ du visible et aux espaces de Giguère. L’auteur de L’École du regard souligne que ce qui intéresse Giguère dans la transparence du geste artistique (poésie et arts visuels confondus) « repose notamment sur la possibilité de donner corps aux images du “pays perdu” que constitue l’inconscient» (p. 245). En troisième lieu, Antoine Boisclair s’attarde à l’esthétique et à la poétique de Robert Melançon, auteur de Peinture aveugle, chez qui «tout pourrait être peint, et le seul fait de le dire suffit» (p. 387). Bien que, dans le cas de ce dernier, l’écriture ne s’accompagne pas d’une pratique de la peinture fondée sur une expérience personnelle, Melançon n’en a pas moins intégré le lexique pictural dans sa poésie, considérant que «la poésie est une peinture – une “peinture aveugle”». Histoire de la correspondance contemporaine entre la peinture la littérature, L’École du regard porte un regard judicieux sur la poésie et l’art visuel, véritable éducation sur le sujet, un regard neuf sur une dimension en grande partie ignorée par la critique. Antoine Boisclair, L’École du regard. Poésie et peinture chez Saint-Denys Garneau, Roland Giguère et Robert Melançon, Montréal, Fides, coll. « Nouvelles études québécoises », 2009, 432 p., 29,95 $. Le visuel et le textuel Quand le poète se fait peintre, le regard se transforme en langage et le mot devient l’image qui se glisse entre les lignes. ans L’École du regard, Antoine Boisclair offre non seulement un ouvrage d’une grande érudition et d’une forte rigueur, mais il renouvelle également l’étude des arts visuels à la lumière de la poésie québécoise moderne. Dans ce contexte, le critique réapprend à voir la lumière de la toile et du poème, reformulant «l’éducation esthétique». Boisclair s’attarde donc au dialogue entre l’écriture et la peinture tout en amorçant sa propre conversation avec l’artiste, le peintre et l’écrivain. D « UN PINCEAU QUI PENSE » En quatrième de couverture, nous lisons que «[e] n commentant des tableaux ou des dessins, en les interrogeant dans le cadre de poèmes, d’essais ou de chroniques d’art, les poètes ont développé de nouvelles sensibilités…». Ce livre propose donc d’examiner de quelle façon la peinture a agi comme une «école du regard » chez certains auteurs québécois, soit Garneau, Giguère, Melançon et quelques autres (Gauvreau, Ouellette, Brault, Hénault, Grandbois, etc.). La contemplation d’une toile débouche nécessairement sur la lecture du mouvement artistique et du signifiant pictural, méditation sur la forme, la couleur et la représentation abstraite ou figurative. DE GARNEAU À MELANÇON L’École du regard se divise en trois parties que l’auteur décrit comme «apprendre à voir», «donner à voir», «faire voir», catégories qui correspondent à des «modes infocapsule De Marque à l’honneur Le créateur de la plateforme de distribution de livres numériques québécois, un projet réalisé avec le concours de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), a reçu l’Octas d’excellence pour sa réalisation. Cet agrégateur permet à tout utilisateur d’Internet de se procurer les livres québécois qui l’intéressent où qu’il soit dans le monde. La plateforme développée par De Marque semble si performante qu’elle a été adoptée en France par Gallimard, De Martinière et Flammarion. Ici, au Québec, Daniel Desjardins de la maison Ulysse est enchanté: «Bravo à De Marque grâce à qui nous avons vendu des guides Ulysse numériques dans 22 pays, de l’Algérie à Singapour en passant par le Québec, la France et la Nouvelle-Calédonie!»par le Québec, la France et la Nouvelle-Calédonie!» lettres québécoises • automne 2010 • 47 essai JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU IIIII Madeleine Ouellette-Michalska, Imaginaire sans frontières. Les lieux de l’écriture, l’écriture des lieux, Montréal, Les Éditions XYZ, coll. « Documents », 2010, 216 p., 22 $. Fiction et réalité : même combat ? Lorsque la fiction m’ennuie, j’ouvre un recueil de poésie ou les pages d’un essai, certain d’y trouver beauté et passion. Imaginaire sans frontières : les lieux de l’écriture, l’écriture des lieux, de Madeleine Ouellette-Michalska, m’est parvenu un de ces jours, m’apportant la plénitude du cœur et de l’esprit. a grande dame de la littérature québécoise y explore les sentiers qu’emprunte l’écriture pour arriver à son plein épanouissement, ce qu’elle nomme « les lieux de l’écriture ». Elle aborde ensuite l’influence que les lieux où l’écrivain s’arrête exercent sur son œuvre. L L’ I N S O N D A B L E R O U T E D E L’ É C R I T U R E Elle se demande d’abord qu’est-ce qu’écrire, pourquoi et quel genre privilégier: «On écrit pour se nommer, se connaître, se construire…, pour abolir les frontières du temps et de l’espace, pour jeter des ponts entre le provisoire et le durable, la possession et la perte, la jouissance et le désespoir…» Elle explique aussi ce qui l’a conduite à diversifier ses modes d’expression : « Opposer les genres littéraires entre eux perpétue d’anciennes querelles qui entretiennent d’inutiles confusions entre la critique littéraire et le jugement de valeur… Quel que soit le genre littéraire pratiqué, écrire c’est d’abord faire silence en soi et prêter oreille à ce qui ne s’entend que dans un certain recueillement.» Elle rappelle que l’écriture exige la solitude et «oblige à aller au plus près de soi, au cœur de ses limites, de ses peurs, de ses manques». C’est aussi un acte de mémoire, la sienne comme celle de la collectivité que les écrivains dérangent parfois. «De la cyberculture au cellu-roman» rappelle qu’en une quinzaine d’années les nouvelles technologies ont métamorphosé nos rapports au message littéraire, mais tous ne peuvent être écrivains ou éditeurs. De plus, la diffusion erratique des œuvres sur le Web affaiblit la production des plus petits pays, les nations dominatrices n’ayant que faire de ces tiers-mondes culturels. MADELEINE OUELLETTE-MICHALSKA voit forcée d’endosser la livrée des minorités de service.» Il y a pire, sinon plus pervers: «On peut se demander à qui serait préjudiciable la connaissance du français dans un territoire, issu de l’ancien régime français d’Amérique, qui a résisté à la double assimilation britannique et américaine. Dans ce pays ouvert à l’immigration et aux droits de la personne, aurait-on tort de vouloir préserver, par des mesures légales et pacifiques, une langue, une culture, des institutions que des siècles de résistance ont sauvées de l’anéantissement?» Dans «Méconnaissance du monde arabe», elle brosse un tableau où apparaît nettement le rôle primordial que cette société a joué avant que l’Occident et les pays d’Europe ne la fassent taire. L’essayiste fait comprendre le jugement trop rapide que plusieurs portent en confondant monde arabe, religion de l’Islam et islamisation des zones publiques. Imaginaire sans frontières est, à mon avis, un des essais marquants de l’œuvre de cette écrivaine. Elle y a consigné ses observations, ses analyses et fait la synthèse de plusieurs de ses opinions. En toile de fond, les couleurs de la vie d’une femme du XXIe siècle qui assume ses expériences existentielles. En considérant tout de ce livre, je suis certain d’être témoin d’un ensemble de mouvements d’une pensée qui reflète une sagesse chèrement acquise et qui éclôt maintenant sous la forme d’une grande sérénité. infocapsule Josée Bonneville, nouvelle directrice littéraire aux Éditions XYZ Les Éditions XYZ annonçaient, il y a quelque temps, la nomination de Mme Josée Bonneville au poste de directrice littéraire de la maison d’édition. Déjà présente au sein de l’entreprise en tant qu’adjointe au directeur André Vanasse de septembre 2007 à décembre 2009, Mme Bonneville prend les rênes éditoriales tout en conservant la direction de la collection «Romanichels Plus». André Vanasse quant à lui garde des liens avec les Éditions XYZ à titre de conseiller littéraire. L À O Ù V A L’ É C R I V A I N E La seconde partie d’Imaginaire sans frontières nous guide dans les contrées qu’a visitées ou habitées l’auteure. Ainsi, elle a découvert, dans «Saint-Malo et le goût de l’origine», la cité d’où est venu René Hoûallet, son ancêtre, et y a puisé l’essence de sa propre existence. Dans «Les dessous des accommodements raisonnables», elle résume ce que sont pour elle les compromis: «Le multiculturalisme, credo de l’effacement identitaire, est l’auberge espagnole où la culture du pays d’accueil se 48 • lettres québécoises • automne 2010 Collaboratrice aux revues Arcade, de 1984 à 1991, et Lettres québécoises, de 2005 à 2009, Josée Bonneville a aussi tenu, de 2007 à 2009, des chroniques littéraires à l’émission «Arts et lettres», sur les ondes de Radio Ville-Marie, ainsi que sur le Web, à «France-Québec-tv», en 2009. Elle a publié plusieurs ouvrages, seule ou en collaboration. Elle est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois. essai JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU III 1/2 Victor-Lévy Beaulieu, La Reine-Nègre et autres textes vaguement polémiques, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 450 p., 29,95 $. De quelques textes vaguement polémiques Les idées de gauche n’ayant plus vraiment cours chez nous, dès qu’un tribun défend un tel point de vue, on n’écoute plus son opinion. Cela n’est pas une attitude frileuse, mais de la couardise. Pas étonnant alors que La Reine-Nègre et autres textes vaguement polémiques, le plus récent recueil de textes d’opinion, de chroniques et de causeries de Victor-Lévy Beaulieu, soit resté presque sans écho. ue ce soit dans des médias nationaux ou la presse parallèle, VLB s’exprime sur la place publique depuis plus de quarante ans. Il a ainsi rassemblé sous forme de livre des textes traitant de société, de politique et de culture, et dont il a voulu assurer la pérennité. Ainsi sont parus Entre la sainteté et le terrorisme (1984), Chroniques polissonnes d’un téléphage enragé (1986) et Chroniques du pays malaisé, 1970-1979 (1996). V I CTO R- L É V Y B E AU L I E U lettre de Josée Blanchette (Le Devoir, 28 novembre 2008) suivie de la réponse de VLB. Je crois que tous ceux qui ne craignent pas le choc des idées et détestent la langue de bois auront plaisir à lire ce recueil, un exercice qui se fait lentement, en appréciant pleinement aussi bien la franchise que la dérive du grand Beaulieu. Q Il a emprunté le titre de ce nouvel essai à un texte d’opinion, paru en mai 2008 dans L’aut’journal, qui a soulevé les passions. S’en est alors suivie une dérive verbale faisant oublier que la locution vilipendée fait référence à l’engagement d’individus par-devers une minorité dont ils sont les guignols. P E N S É E S O C I É TA L E Ce dernier des miscellanées propose des chroniques politiques dans lesquelles VLB exprime sans ambages son point de vue sur des événements de l’actualité et ceux qui font la nouvelle. Le sens et la portée de ses proses corrosives ainsi rassemblées vont au delà de la colère du moment, car les textes dégagent une réelle pensée sociale et politique. Celle-ci se retrouve aussi dans les billets traitant de la télé québécoise dont la qualité régresse comme peau de chagrin depuis qu’elle est régie par l’applaudimètre. Quant aux nombreuses chroniques littéraires, elles rappellent que Beaulieu est un lecteur boulimique dont la critique de la littérature et de ceux qui la font est éclairée. III Gaston Miron, L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1993, Montréal, l’Hexagone, 2010, 432 p., 29,95 $. Gaston Miron : l’homme qui parle Depuis son décès en décembre 1996, Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu ont effectué du « rapaillage » dans l’œuvre de Gaston Miron. Ils ont ainsi publié l’édition définitive de L’homme rapaillé, Poèmes épars et Un long chemin. Proses 1953-1996. Quant à l’homme de parole que fut Miron, on le retrouve maintenant dans L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1993. En outre, il fait bon relire l’adresse qu’il a faite à Michel Chartrand à l’occasion de ses quatre-vingt-dix ans, ainsi que l’hommage rendu à la mémoire de Marc Veilleux, son ami imprimeur. es rencontres médiatiques et ces entretiens me semblent représentatifs d’une part importante du riche patrimoine que le poète a laissé en héritage, c’est-à-dire son verbe. En effet, on lui a souvent reproché de s’épivarder sur la place publique au lieu d’écrire. J’ai été de ceux qui ne comprenaient pas bien sa démarche, mais j’ai fini par comprendre la raison profonde de ce comportement: le combat intérieur que se livraient constamment le poète et l’homme d’action qu’était Miron. Enfin, trois textes de chroniqueurs s’adressant à VLB complètent l’ouvrage : «L’Irlande trop tôt», une entrevue réalisée par Lise Gauvin et Robert Laplante en 1981; «La spirale Victor-Lévy Beaulieu», une entrevue de Francine Bordeleau (Lettres québécoises, no 105, printemps 2002) ; et « Souveraine solitude », une Dans l’entretien qu’il accorde à Jean Larose en 1990, il résume clairement sa position: «… le temps que je passais à écrire, je me sentais coupable de ne pas être sur le front de lutte.» L’échange entre Larose et Miron me semble d’ailleurs un des entretiens les plus significatifs du recueil, laissant l’impression que le HOMMAGES À DES MAÎTRES C lettres québécoises • automne 2010 • 49 essai JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU Si l’homme d’action s’intéresse à la justice sociale et à l’indépendance du Québec, il se préoccupe également du rôle de l’éditeur dans la chaîne du livre. Pour s’en convaincre, l’entretien entre Miron et Réjean Beaudoin est d’un intérêt particulier, rappelant ce qui a poussé Miron à créer la collection «Rétrospective» à l’Hexagone. D’autres entretiens sont également remarquables, qui nous apprennent que le poète n’est pas seulement celui qui s’astreint à l’écriture, mais aussi celui qui intègre son art à sa vie quotidienne. Il faut s’arrêter sur la rencontre avec Jean Royer, tout en se rappelant Gaston Miron sur parole. Un portait et sept entretiens (BQ, 2007) qui regroupe les principaux échanges entre les deux amis. poète est arrivé à un moment de sa carrière, de sa vie, où une forme de sérénité s’installait. GASTON MIRON D’autres entretiens sont également remarquables, qui nous apprennent que le poète n’est pas seulement celui qui s’astreint à l’écriture, mais aussi celui qui intègre son art à sa vie quotidienne. Je pense ici aux entrevues qu’il accorde à Michel Roy et à Pierre Paquette. J’insiste sur «Malmener la langue», un entretien intimiste entre Lise Gauvin et Miron, qui, ensemble, portèrent dans ses grosseurs un livre important: Écrivains contemporains du Québec. Anthologie (l’Hexagone, Typo, 1998). En refermant ce recueil, je me suis mis à espérer que l’équipe Beaudet-Nepveu ressuscite le documentaire d’André Gladu, Les outils du poète (1994), car on y voit et entend Miron dire l’essentiel de son cheminement de sa voix tonitruante. Annie Lafleur Handkerchief Une écriture qui «participe du caractère profondément irrésolu de la poésie, ne cesse d'en témoigner, de l'illustrer.» Jonathan Lamy, Spirale La porte poèmes de Margaret Atwood, dans une superbe traduction de Louise Desjardins « Rares sont les auteurs qui parviennent à tisser une poésie à la fois intemporelle et profondément ancrée dans leur époque. » Tristan Malavoy-Racine, Voir 50 • lettres québécoises • automne 2010 François Charron La difficulté d’apparaître « Même le plus grand amour n'échappe pas à la séparation de la mort » RENALD BÉRUBÉ littérature et sport IIII Todd Denault, Jacques Plante. L’homme qui a changé la face du hockey, traduit de l’anglais par Serge Rivest, avec la collaboration de Claude Papineau et Guy Rivest, préface de Jean Béliveau, Montréal, L’Homme, 2009, 448 p., 34,95 $. De la tuque, du masque et du CH Parcours menant d’une épigraphe à la quatrième de couverture. L’épigraphe: «Il y a plein de bons gardiens ; il y a même bon nombre de grands gardiens. Mais il n’y a pas beaucoup de gardiens essentiels. Jacques Plante a été un gardien essentiel. » (Ken Dryden) Extrait de la quatrième : « Jacques Plante était […] talentueux, téméraire, mystérieux et complexe. » e voulant pas raconter d’histoire, ce qui revient à dire qu’il tient à souligner depuis quel point de vue il va raconter, Todd Denault avouera d’abord que Jacques Plante fut un héros de son enfance, un membre «essentiel» de «son» CH qui remporta la coupe Stanley pendant cinq années d’affilée, de 1956 à 1960. Il rappellera ensuite que, pourtant, Jacques Plante avait des détracteurs, même chez des partisans du Canadien. Genre: «Il peut bien remporter le Vézina du meilleur gardien de l’année avec les défenseurs qu’il a devant lui.» N Rappel 2: un adage veut que Montréal soit un «cimetière de gardiens de buts», de Bill Durnan à Patrick Roy (oh, Carey Price), tous ayant subi des huées malgré les trophées remportés. Ajouter la phrase suivante, qui joue de l’euphémisme: Jacques Plante n’était pas du genre à ne pas se faire remarquer. Sens du spectacle et de la controverse, ça le connaissait. Admettons donc d’emblée que l’histoire, les circonstances et sa personnalité faisaient de lui une grosse cible, facile à atteindre, mais pas facile à abattre. Que non. D U C L U B D E L’ U S I N E A U C H À quinze ans, le jeune résidant de Shawinigan, né en 1929, « gardait les buts pour des équipes de trois catégories […]: midget, juvénile et junior» (p. 28) et pour le club de l’usine où travaillait son père. «À 50 cents par match à condition de ne pas le dire aux autres joueurs.» (p. 29) Les Leafs et les Canadiens se disputeront bientôt ses services, belle bagarre entre le gros ego des Leafs, Connie Smythe, et Frank Selke des Canadiens que venait de «sacrifier» Connie S. pour cause de trop grande efficacité, ce qui ombrageait Monsieur Leaf. Vite embauché par le Canadien, Selke va construire la formidable équipe des années cinquante. C’est le «17 août 1949» (p. 53) que Plante s’engage avec le CH après avoir brillé avec les Citadelles de Québec et avoir affronté un jeune centre de Victoriaville qui deviendra son coéquipier à Québec puis à Montréal, Jean Béliveau. Disons, alors, que Plante joue dans la LNH, ce qui prendra plus de temps qu’on ne croit, qu’il a atteint son… but. L’homme n’était pas sans défauts ; un ego de forte taille, proche de ses sous, solitaire, etc. Il détonnait, pour tout dire. Il tiendra sa vie personnelle, non exempte de drames (dépression de sa première épouse, suicide d’un de ses deux fils), à l’abri des potins. Notons donc quelques innovations et audaces de Jacques Plante, ce qui permet d’écrire qu’il fut «téméraire, mystérieux et complexe», le «talentueux» étant acquis. Il fut d’abord le gardien qui portait une tuque (il avait joué «au frette») qu’il tricotait lui-même (un plus vieux de famille, on sait ben…), est-ce possible? Belle «une»: allait-il porter une tuque dans un aréna? Le folklore, ancêtre du people, a ses droits. Bon. Jacques Plante n’hésitait pas à quitter ses filets, à rediriger vers un coéquipier des rondelles rôdant dans les parages de sa cage: danger invraisemblable, il laissait son but sans protection. «Non, j’agis comme un défenseur de plus, je remets l’attaque plus vite en marche.» Demandez à Martin Brodeur, aujourd’hui, si Plante avait raison contre tous ou à peu près. DES FILETS INÉGAUX ? Quand Plante, qui disputait année après année le Vézina à Glenn Hall du Chicago, sèmera la controverse sinon la consternation dans la LNH en 1963 en déclarant que les filets, à Chicago et dans deux autres villes, n’étaient pas de hauteur réglementaire, que seuls ceux de Montréal, Toronto et Detroit l’étaient (la ligue comptait six clubs alors), l’état-major de la LNH devra étudier le bien-fondé de l’assertion (p. 17-20). Et donner raison à Plante: «C’est simple, la barre transversale du filet était, dans mon dos, de deux pouces plus basse à Chicago qu’à Montréal» — c’est qu’elle était placée entre les deux poteaux des buts plutôt qu’au sommet de ceux-ci. Jacques Plante: une institution dans l’Institution, le gardien qui imposa le port du masque (p. 193 sq.), qui fut non seulement «un étudiant de notre sport» (p. 346), mais le «maître [qui] enseignait tout en jouant» (p. 407), selon Dickie Moore, ce qui explique son influence sur Bernard Parent ou Vladimir Tretiak ; ce qui explique que les médias s’arrachaient ses services comme analyste. IL DÉTONNAIT L’homme n’était pas sans défauts; un ego de forte taille, proche de ses sous, solitaire, etc. Il détonnait, pour tout dire. Il tiendra sa vie personnelle, non exempte de drames (dépression de sa première épouse, suicide d’un de ses deux fils), à l’abri des potins. Le grand Jean B., capitaine du CH et ici préfacier, le comprendra mieux que personne. Il verra à prendre part aux funérailles de Plante décédé (1986) en Suisse et à organiser ici une cérémonie en son honneur. Une biographie menée selon les règles de l’art, passionnante et intelligente, avec notes abondantes, pertinentes et bibliographie. Détail: en page 388, il faudrait lire Dave plutôt que Ken Dryden. lettres québécoises • automne 2010 • 51 littérature et sport RENALD BÉRUBÉ III Bob Sirois, Le Québec mis en échec. La discrimination envers les Québécois dans la LNH, Montréal, L’Homme, 2009, 288 p., 22,95 $. Une autre mise en échec joueurs par année (soit 105 joueurs au total)» (p. 84). Cela donne le ton, on devine combien de Québécois sont sélectionnés par le club qui arrive au dernier rang. On s’en doutait depuis longtemps, les statistiques de cet ouvrage ne laissent aucun doute : dans la LNH (NHL ?) comme dans le Canada selon le British North American Act (BNAA), le Québec n’a la partie ni belle ni facile. Sirois sait de quoi il parle: il a évolué dans la NHL entre 1974 et 1980 d’une part, il a été agent de joueurs et a patiemment accumulé ses statistiques d’autre part. Celles-ci sont aussi claires qu’acérées : les hockeyeurs québécois sont des handicapés de naissance géolinguistique. On regrette seulement que Sirois ne fasse pas BOB SIROIS lui-même parler davantage ses chiffres, laissant beaucoup à ceux-ci le soin du message. Il n’empêche: pour qui sait lire, ces chiffres parlent. es Canadiens de Montréal, entre 1970 et 2009, arrivent en tête «en ce qui concerne le nombre de Québécois francophones […] repêchés, avec 2,63 Détails: José Théodore n’a certes pas remporté le trophée Vézina en 1991-1992 (p. 183) et il aurait sans doute fallu mentionner le nom de Jean-Guy Morissette dans le tableau 4.10 (p. 205). L II 1/2 Alain Usereau, L’époque glorieuse des Expos, Montréal, Les Éditeurs réunis, 2009, 344 p., 24,95 $. Quand Expos et Zamours étaient synonymes Coup de foudre : les Expos furent nos Amours dès la création de Jonesville au parc Jarry. Nous les aimions comme New York aima ses Mets originels : ils n’étaient pas forts, mais chaleureux et sympathiques, attachants. Puis ils grandirent et devinrent pleins de promesses, costauds même, ils s’installèrent dans le Stade olympique. Mais de promesse non tenue en désenchantement puis en rupture… lle a été brève, l’histoire des Expos de Montréal (1969-2004). Pourtant, ce club fut, à divers moments, plus populaire que les Canadiens, ben oui. Ses finances étaient un exemple pour le baseball majeur; le présent et l’avenir, vu les succès dans la sélection des jeunes joueurs, semblaient d’un blindage absolu. Et les amateurs étaient au rendezvous, qui pourrait souhaiter davantage? E 52 • lettres québécoises • automne 2010 Alain Usereau raconte dix années (1976-1984) de la vie des Expos, années qui mènent de la médiocrité reléguée dans l’ombre par les Jeux olympiques de Montréal (1976) jusqu’à la démission du premier D.G. des Expos, John McHale, et à l’échange qui cède Gary Carter aux Mets de New York (1984). Entre ces deux dates, les Expos auront engendré tous les rêves et (presque) toutes les déceptions. Ils auront sélectionné des athlètes de très grand talent, en auront «brûlé» certains pour cause d’arrivée trop hâtive dans les Majeures (Balor Moore), en auront développé plusieurs (Parrish, Carter, Valentine, Dawson, Rodgers, etc.) dont certains se seront eux-mêmes «brûlés» pour cause de dope (ah, Ellis Valentine). L’ É C H E C , ENTRE MARKETING ET DIRECTION Le livre d’Usereau fait ressortir ceci, qui explique en grande partie pourquoi les Expos n’ont pas tenu leurs promesses: la machine marketing des Zamours avait beaucoup et bien vite fait rêver, sans penser aux conséquences des revers possibles; surtout, le tandem composé de John McHale et de Jim Fanning, son assistant, plein de bonnes intentions, ne fut ni bon lecteur de l’évolution du baseball ni connaisseur du milieu où évoluaient les Expos. Les échanges de Rusty Staub (1972) et de Larry Parrish (1982) témoignent d’une mauvaise évaluation de l’attitude des amateurs et du rôle de ces joueurs au sein de l’équipe. Le marketing, à la fin, a nui aux Expos; quand la quatrième de couverture de ce livre affirme que « L’époque glorieuse des Expos se présente comme la référence absolue de l’équipe qui…», on se dit que la pub n’en finit pas de se mimer. Car L’époque glorieuse et ses résumés de matchs d’époque «couverts» par Usereau est souvent d’une lecture fastidieuse ; par ailleurs, les « Sources » accompagnant l’ouvrage ne sont pas d’usage commode. Sans oublier que l’assertion de la quatrième pâlit à la lecture du premier tome (1969-1984) de l’ouvrage de Jacques Doucet et Marc Robitaille, Il était une fois les Expos (Hurtubise, 2009). DANS LA MÉMOIRE DE QUÉBEC Les fossoyeurs André Lamontagne N O U V E AUT É roman 160 p. / 20,95 $ Un journaliste établi à Vancouver profite d’un séjour à Québec pour faire des recherches, à la demande d’une amie, sur le passé de son aïeul chinois. Il découvrira un visage méconnu de sa ville natale : celui des sépultures de la communauté chinoise, celui d’un tunnel inachevé et des marginaux qui s’y retrouvent et celui des tragiques incendies, nombreux, qui ont stigmatisé la vieille capitale. Zirval design En librairie le 25 août Mise en pages • Livres • Revues • Journaux www.lesfossoyeurs.ca N O U V E AUT É essai Appartenances Jean-Louis Major Dans le présent ouvrage, Jean-Louis Major revoit avec brio et une ironie constante, amicale ou féroce, mais avec style toujours, son cheminement dans les hauts lieux de la littérature. Il nous livre, à l’appui de ses expériences, des réflexions sévères et souvent mordantes sur « l’institution littéraire » : universitaires, critiques et journalistes, libraires, sans oublier même les éditeurs. LIBRE 306 p. / 22,95 $ [email protected] • 1.450.292.0637 En librairie le 1er septembre E D I T I O NS DAV I D . C O M lettres québécoises • automne 2010 • 53 FR ANÇOIS CLOUTIER des images, des mots IIII Daniel Rondeau, J’écris parce que je chante mal, Québec, Septentrion, coll. « Hamac-carnets », 2010, 210 p., 19,95 $. Quand le virtuel devient papier Le Petit Robert 2009 définit le blog (la terminaison « ue » s’est ajoutée au Québec) ainsi : « Site Internet animé par un individu ou une communauté qui s’exprime régulièrement dans un journal, des billets. » Pedro», deux des plus longs récits du recueil. Le premier est un ouvrier russe qui sable des planchers, le second est un fou qui souffre de l’être. L’auteur tombe un peu dans le maniérisme dans ces récits, en particulier es blogues foisonnent sur la Toile depuis quelques années déjà. Les sujets y sont variés et parfois surprenants. Le blogue littéraire tient une place de choix dans la blogosphère (nom donné à cet univers virtuel). Critiques, discussions et créations s’y retrouvent. Tout un chacun peut s’improviser blogueur, certains ne sont que de passage, d’autres expérimentent la forme, tandis que quelques-uns y écrivent avec rigueur et style. Le dernier cas de figure représente bien l’univers de Daniel Rondeau, auteur du recueil de textes J’écris parce que je chante mal (www.danielrondeau.com). L dans des passages comme celui-ci, tiré de «Don Pedro»: «Pierrot. C’est son nom. Pas à la mode. À contretemps. C’est un nom bémol, qui sonne un peu plus petit. Jamais tout à fait à la hauteur, jamais la note juste. Un nom qui n’évoque rien d’intelligent. Un plomb au DANIEL RONDEAU bout d’une ligne, un pois dans une tête, une ancre à bateau. Une ancre avec deux pieds de chaîne. Deux pieds idiots, inutiles, car il navigue en eaux profondes, en eaux creuses. Pierrot. » (p. 147) À force de trop en mettre, la coupe déborde. Publiés dans «Hamac-carnets», collection spécialisée dans la publication d’écrits provenant de la blogosphère québécoise, qui nous a déjà donné les deux tomes des Chroniques d’une mère indigne et ceux de Un taxi la nuit, les récits de Daniel Rondeau sauront émouvoir et faire sourire les lecteurs, amateurs ou non de ces écrits de la Toile. C’est dans les récits les plus courts que l’écriture de Daniel Rondeau s’avère la plus efficace. Ces nouvelles vont d’ailleurs à l’essentiel, l’économie de style de l’auteur laisse davantage place à l’émotion. Certains textes sont douloureusement beaux, comme «Fast Food» qui, en quelques lignes, fait le portrait peu flatteur d’une fille en quête d’attention lors d’une soirée bien arrosée dans un bar. UN UNIVERS SENSIBLE ET MASCULIN Soulignons que le recueil contient aussi quelques «pensées», soit une phrasechoc occupant une mince partie d’une page blanche, qui cherchent à déstabiliser le lecteur, à le faire rire et à le faire réfléchir, comme le démontre celle-ci: «La foi a cette curieuse propension à nous quitter pour les mêmes raisons qu’elle vient à nous, comme beaucoup de femmes que j’ai connues.» (p. 97) Le blogue de l’auteur contient bon nombre de ce genre de petits bijoux. Alors que son blogue se promène du quotidien du prof de français à celui de papa, du billet à saveur politique à la «pensée du jour», le recueil s’en tient principalement aux nouvelles littéraires. Les récits tournent souvent autour d’un narrateur principal, qui traverse péniblement une peine d’amour, et qui renaîtra complètement à l’arrivée de son enfant. Même dans ses passages les plus autobiographiques, l’auteur nous raconte une histoire, on sent dans cette écriture le romancier qui prend une distance par rapport à sa réalité. Ce sont d’ailleurs ces récits qui sont le plus réussis. En étant témoin et acteur de ses histoires, Rondeau se les approprie avec une économie de moyens stylistiques. Les nouvelles qui mettent à l’avant-plan le personnage d’Ariane, l’ex-copine que le narrateur a tant aimée, en sont le meilleur exemple. Il écrira à son sujet, dans la nouvelle « L’antichambre » : « Elle dit “définitivement”, alors que son énoncé n’a rien de définitif et possède un joli accent de la Beauce qu’elle traîne en tout temps, sauf quand elle parle à des Européens ou à des gays.» (p. 50) LA PENSÉE ASSASSINE On croise aussi un lot de personnages esseulés dans ce recueil, dont le mal de vivre semble être le seul lien qui les unisse. Certains sont attachants (Ti-Gus, entre autres, un sourd-muet qui connaît une fin tragique), d’autres par contre ne réussissent pas vraiment à nous émouvoir. Pensons ici à « Mstislav » ou à « Don 54 • lettres québécoises • automne 2010 Bref, la lecture de ce recueil confirme que la littérature a sa place dans la blogosphère et qu’une fois extirpée de celle-ci, elle peut se trouver une place «réelle». Un espace publicitaire dans lettres québécoises ? C o n t a c t e z M I C H È L E VA NA S S E Responsable de la publicité mvanasse@lett resqueb ecoises.qc.ca FR ANÇOIS CLOUTIER des images, des mots IIII Stéphane Dompierre et Pascal Girard, Jeunauteur, Tome 2, Gloire et crachats, Montréal, Québec Amérique, coll. « Code Bar », 2010, 144 p., 12,95 $. Le bonheur d’écrire La bédé humoristique québécoise, qui fut très populaire à une certaine époque, entre autres grâce à des revues comme Croc ou Safarir, connaît depuis quelques années un deuxième souffle. téphane Dompierre, dont le roman Un petit pas pour l’homme a connu un grand succès en 2005, récidive à la scénarisation de Jeunauteur, Tome 2, Gloire et crachats, une bande dessinée humoristique illustrant les affres du quotidien d’un auteur qui publie son premier roman. Les dessins sont réalisés par Pascal S UNE PLANCHE, UN GAG On rit beaucoup dans Jeunauteur, Tome 2, Gloire et crachats. Les auteurs reprennent là où ils avaient laissé au tome I, soit la publication du roman du personnage principal. La difficile gestation de l’œuvre passée, notre Jeunauteur apprivoise maintenant la mise en marché de son roman, de la quatrième de couverture aux entrevues avec des journalistes. L’humour est parfois un peu gras, à la limite scatologique, mais il n’enlève rien au charme de l’œuvre. Le lecteur rira à haute voix à certains passages, notamment ceux où le personnage collectionne les amis Facebook, ce grand réseau social virtuel, sans savoir qui ils sont réellement. Les séances de dédicaces dans un salon du livre amusent tout autant, entre autres quand le personnage est incapable de saisir le nom d’une lectrice en quête d’une signature. Les dernières planches de l’album laissent cependant présager un certain épuisement de leur matière première, la création littéraire. Souhaitons qu’ils arrivent à trouver d’autres idées de scénarios mettant en vedette le même personnage, sans tomber dans le piège de la répétition. L I T T É R AT U R E E T N O U V E A U X M É D I A S PA S C A L G I R A R D STÉPHANE DOMPIERRE Girard, lui-même auteur accompli de bon nombre de bédés. Les auteurs réussissent encore une fois leur mission première : amuser le lecteur. La forme minimaliste de l’album rappelle certains strips américains publiés quotidiennement dans les journaux. Chaque planche comporte quatre cases, avec une chute à la fin. Le dessin est simple, mais efficace. Pascal Girard campe les décors avec un ou deux objets, et les traits de visage du personnage, même s’ils ne sont pas nombreux, lui permettent d’ajouter à l’humour d’un scénario déjà bien étoffé. Le dessinateur joue beaucoup avec la répétition de cases dans une même planche, créant ainsi un rythme propice à ce genre de bédés. L’importance que prend la Toile dans le paysage médiatique ne cesse de grimper. Les puristes de la littérature pourront hurler à la trahison, que l’écran cathodique ne remplacera jamais le papier, l’arrivée d’Internet a démocratisé le monde en général, celui de l’information et des arts en particulier. Certains auteurs utilisent cet outil de façon surprenante. C’est le cas de Jean-Simon Desrochers et Patrick Dion, deux auteurs ayant conçu des bandes-annonces pour annoncer leur roman. Le premier, avec son roman La canicule des pauvres, livre une bande-annonce qui est en fait une succession d’images présentant les divers personnages et l’intrigue du livre, sur fond de musique techno (http://jsdrblog.blogspot.com). La bande-annonce de Fol allié, roman de Patrick Dion, est beaucoup plus élaborée (http://www.youtube.com/watch?v=ZTuFCV7z7gM). Cette production se veut plus près du court-métrage ou de la bandeannonce traditionnelle utilisée au cinéma. Des comédiens jouent certains passages du roman, de nombreuses séquences, tournées à l’intérieur comme à l’extérieur, se succèdent au son d’une guitare déchirante et d’un narrateur livrant quelques états d’âme. Reste à voir si ce nouveau genre de promotion réussira à frapper l’imaginaire de lecteurs potentiels. Le mélange des genres peut parfois s’avérer complexe. La bande-annonce deviendra-t-elle un complément à la littérature? Pouvons-nous espérer lire un chapitre de roman et regarder ensuite le chapitre suivant? Les possibilités de la Toile sont énormes. ROMAN EN LIGNE Nous ne pouvons passer sous silence l’expérimentation de Louis Émond, romancier et fondateur des Éditions le Scripte, qui a mis en ligne un roman complet, L’aide-mémoire. Le récit, disponible en format PDF ou EPUB, format privilégié par le livre électronique, a réussi à trouver un certain public. En effet, le nombre de téléchargements a dépassé les ventes totales des deux premiers romans de l’auteur. Avec l’explosion des ventes de livres électroniques, il ne serait pas surprenant que d’autres auteurs tentent leur chance avec de pareilles expérimentations. Il reste à voir si la qualité de ces écrits pourra se comparer à ce que peuvent offrir les éditeurs actuels. lettres québécoises • automne 2010 • 55 les revues en revue CARLOS BERGERON Exit • revue de poésie no 58, « Poésie catalane : les voix ne dorment jamais », Montréal, Gaz Moutarde, 2010, 96 p., 10 $. Rappelons-nous d’abord qu’Exit, revue de poésie, est un «espace de création et de liberté»: c’est exactement l’esprit dans lequel baigne ce numéro. Il y a cette présentation de Stéphane Despatie, le directeur, qui salue de façon bien sentie la mémoire de Bruno Roy. Comment aurait-il pu en être autrement quand on sait que le grand Bruno a placé la poésie au cœur de son univers littéraire et en a été le chantre qui doutait de son talent comme Miron, l’homme rapaillé? L’un et l’autre avaient compris que le don de la poésie ne valait rien s’il ne se perpétuait pas dans le travail des vers comme le font le peintre ou le sculpteur afin qu’un jour l’œuvre soit achevée. Cet Exit donne aussi à lire des suites poétiques de cinq écrivains, plusieurs appartenant à la nouvelle génération, tels Francis Catalano et Simon Boulerice. Cristina Montescu propose «Des soleils dans les arbres», un poème en douze strophes où elle écrit, entre autres: «Le sens de la vie est tombé / sous la table / parmi les miettes du petit-déjeuner». Simon Boulerice écrit également un seul poème fait de trente-trois strophes de longueur variable; l’image qui me semble ici les résumer toutes est la suivante: «je suis jeune / je suis né de l’avant-dernière pluie / j’ai parfois vu neiger / j’ai vécu dans des igloos / à chacune de mes récréations». Outre ces primeurs poétiques, Exit, sous la direction de Francis Catalano, propose un minirecueil de poètes catalans intitulé «Poésie catalane: les voix ne dorment jamais». Les huit écrivains ainsi réunis nous font entrer de plain-pied dans cet univers sociopolitique dont le territoire est reconnu par l’Espagne. Les vers qu’on y lit ne sont pas sans rappeler une période de notre propre poésie, quand le rêve d’une nation autonome et reconnue servait de toile de fond à la majorité de la poésie qui s’écrivait chez nous. Spirale no 231, « Hélène Cixous, ou la fiction du rêver vrai », mars-avril 2010, 66 p., 9,25 $. Campeau. Elle rappelle ainsi l’importance de cet art, victime comme d’autres de l’arrivée du numérique, rappelant qu’il va bien au delà du simple fait d’appuyer sur le déclencheur d’un appareil photo, la dimension artistique de l’image étant beaucoup plus exigeante. Virages • la revue de la nouvelle en Ontario français no 52, « Thème libre », Toronto, L’Interligne, été 2010, 104 p., 7 $. J’ai toujours beaucoup de respect et d’admiration pour les éditeurs de revues dont l’objectif est de publier des œuvres de création, poésies et nouvelles, rarement autre chose. Même lorsqu’ils balisent un numéro en imposant un thème, j’imagine aisément l’immensité de la tâche lorsque sonne l’heure de choisir dans la masse informe d’œuvres reçues. Alors, quand le sujet est libre, ce doit être une véritable avalanche. C’est ce que semble avoir vécu Marguerite Andersen, directrice de Virages, la nouvelle en revue en Ontario français, lors de la préparation de ce numéro. Soixante-cinq textes proposés, c’est beaucoup de lecture et des choix parfois déchirants puisque, parmi ces appelés, il fallait retenir quinze candidats. Des thèmes semblent se dégager de l’ensemble — enfance, inceste, jalousie fraternelle, etc. —, mais cela n’est pas évident à la première lecture. Un autre facteur, important, déjoue le pronostic d’unité: les nouvellistes, femmes et hommes, ne sont pas de même niveau. J’ai apprécié les deux textes écrits par des élèves du secondaire, sous la direction de leur enseignante; si ce sont là des travaux scolaires réussis — écrire à quatre mains demande des habiletés de partage que les adolescents sont à acquérir —, cela n’en fait pas pour autant des nouvelles du calibre de la revue. En outre, j’ai aimé retrouver la nouvellière Suzanne Myre dans «Bête à mort», un texte plein d’humour et d’ironie; cela m’a rappelé que l’écrivaine a publié un premier roman, Dans sa bulle (Marchand de feuilles, 2010), qu’on comparera sans nul doute à ses si nombreuses nouvelles. Surtout, n’hésitez pas à parcourir ce numéro de Virages, vous y trouverez quelques coquilles non réclamées. Voix et images « De l’anthologie » Le dossier de ce numéro de Spirale est consacré à l’œuvre récente d’Hélène Cixous, et le portfolio, au travail photographique de Michel Campeau et de sa série intitulée Chambres noires, 2005-2009. Est-il nécessaire de rappeler qui est Hélène Cixous? Née à Oran en Algérie, elle est une féministe française. Professeure, écrivaine, poète, auteure dramatique, philosophe, critique littéraire et rhétoricienne, elle s’est fait connaître en France comme essayiste avec L’Exil de James Joyce ou L’art du remplacement (Grasset, 1968). L’année suivante, elle publie Dedans (Grasset, 1969), roman autobiographique qui a obtenu le prix Médicis. C’est l’une des porteuses de l’idée d’«écriture féminine». Le dossier qui nous est proposé est composé de textes écrits par Ginette Michaud, Elsa Laflamme et Sarah-Anaïs Crevier Goulet. En introduction, Ginette Michaud précise l’objectif: «L’œuvre de Cixous pour laquelle [Jacques] Derrida a voulu réinventer, ressourcer les vieux mots de “puissance” et de “génie” (Genèses, généalogies, genres et le génie, Galilée, 2003) a de fait connu une croissance extraordinaire depuis cette dernière décennie […] confirmant l’inépuisable énergie de l’écrivain qui tient une part essentielle à son indéfectible croyance de la grandeur de la littérature, dans quelque chose de cette étrange chose appelée littérature et qui est, pour le dire d’un mot, l’événement de la lettre “qui fait venir, advenir, arriver”.» À voir et à comprendre également: «Photogénie du laboratorium», le portfolio dans lequel Céline Mayrand met en perspective des travaux du photographe Michel 56 • lettres québécoises • automne 2010 vol. XXXV, no 2 (104), hiver 2010, 160 p., 19 $. «Au Québec, les chercheurs s’interrogent depuis plusieurs décennies déjà sur la production et les modes de circulation des discours de l’histoire et de la critique littéraires, notamment à travers le manuel d’histoire littéraire, où se côtoient discours critique et discours historique, mais aussi des extraits de textes littéraires. On se serait donc peut-être attendu à ce qu’une proche cousine, l’anthologie littéraire, surtout celle à vocation pédagogique, attire elle aussi l’intérêt des chercheurs. Toutefois, alors que l’anthologie considérée comme genre et comme pratique a fait l’objet de nombreuses études, sous forme de monographies, d’ouvrages collectifs, de numéros et d’articles de revues savantes, pour ce qui concerne les littératures britannique, canadienne-anglaise et américaine (pour ne nommer que celles-là), elle n’a pas suscité autant d’enthousiasme, semble-t-il, chez ceux et celles qui s’intéressent aux littératures francophones. Certes, bon nombre d’anthologistes québécois ont commenté les buts ostensibles et l’apport souhaité de leur projet, de même que leur méthode et les contraintes ayant motivé leurs choix (de textes, d’auteurs, d’époques, de genre, d’ordre de présentation, de format, d’appareil…). Peu d’entre eux cependant tiennent un discours proprement critique sur leur pratique. Le dossier “De l’anthologie” vise non pas à expliquer cette pénurie relative, mais plutôt à démontrer l’intérêt de l’anthologie comme objet de réflexion et comme composante importante du champ littéraire québécois.» MARQUIS À P O S I T I O N N E R PA R E U X AT T E N T I O N G A R D E R L E FO L I O lettres québécoises • automne 2010 • 57 S É B A S T I E N L AV O I E événement Ils se multiplient Ils reviennent chaque automne depuis neuf ans, avec toujours les mêmes intentions monstrueuses et ce slogan provocateur : Tout ce qui n’est pas donné est perdu. ait-on assez bien ce qu’est l’événement les Donneurs et sait-on assez qu’il est en train de se répandre? Les Donneurs, c’est d’abord un événement annuel qui se déroule à Joliette, à l’automne. L’événement a été mis sur pied par Jean Pierre Girard et le CEL, le Collectif d’écrivains de Lanaudière. Il a pour but de «contribuer à modifier la perception de l’écriture et de la littérature en établissant des points de passage entre celle-ci et la vie de tous les jours. Happening, performance, accident et entraide, tout à la fois, les foyers d’écriture publique permettent des rapprochements audacieux, des rencontres inattendues, et, surtout, une démythification du geste d’écriture1.» Pendant un week-end, Joliette est tout croche. S OUI OUI, TOUT CROCHE Tout croche en ce sens que rien, dans la démarche des Donneurs, ne semble aller de soi. Ni l’association des écrivains avec les marchands, qui leur permettent non seulement de venir s’installer dans leurs commerces mais aussi de tapisser leurs devantures de citations littéraires, ni cette démythification de l’écrivain placé en position de vulnérabilité, réduit à être le camarade d’écriture du badaud, badaud lui aussi tout croche parce qu’il ne sait plus recevoir (au dire de M. Girard). premier mandat «de favoriser la visibilité des écrivains et des écrivaines de la région à l’intérieur des frontières de Lanaudière, et à l’extérieur de celles-ci3 », mais sont aussi recrutés des auteurs des autres régions et parfois des représentants de toute la francophonie. Bien que, avec les Donneurs, tout soit gratuit, tous sont toutefois rétribués. Mal, bien sûr, mais, au moins, «ça paie l’essence…». VIVEZ DANS LE VRAI MONDE, MAUDITS ANARCHISTES ! Cela étant, il est facile d’imaginer la tête des subventionneurs quand le sieur Girard débarque auprès de leur organisme afin de leur demander une contribution. La démarche des Donneurs a beau être des plus pertinentes, la logique bureaucratique est tout de même soumise aux impératifs marchands et ce sont ceux-ci qui orientent les questions des subventionneurs: Combien de personnes vont bénéficier de l’initiative? Les besoins étant illimités et les ressources, limitées, ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux consacrer ces sommes à des événements à caractère grand public? «Je n’enseigne au cégep qu’à mi-temps afin de pouvoir écrire plus, car je suis d’abord un écrivain, mais ce projet est si important à mes yeux, ce don est si important, que je me retrouve à travailler sur les Donneurs deux jours par Concrètement. Les écrivains s’installent (avec semaine…», me dit avec une pointe de lassitude un monun ordinateur portable, une tablette à écrire, sieur Girard qui rêve de recevoir le plein montant un silex et une plaque de granit, qu’importe) et demandé aux gouvernements afin de pouvoir payer un JEAN PIERRE GIRARD reçoivent une personne pour une séance d’écriemployé qui le libérera d’une partie du fardeau qu’il porte ture qui pourra durer dix, quinze, soixante minutes. (Déjà, à nouveau, depuis déjà un long moment. Et puis d’ailleurs, rappelle-t-il, question nombre: forme bouleversée: les écrivains ne sont pas les vedettes médiatiques qui avec le sentier des 400 citations en vitrine, c’est plus de 100000 personnes qui signent une dédicace en quarante secondes: ce sont des hommes, des sont en contact avec la littérature, qu’ils rencontrent un écrivain ou pas. femmes qui vont essayer avec le lecteur, qui vont se tromper ou réussir, GENÈSE ou rester muets pendant dix minutes devant la page.) En ce sens, et c’est unilatéralement réjouissant, c’est parfois le fait de ne pas écrire L’aventure a débuté à une époque où le Conseil des arts et des lettres du Québec qui aidera l’autre dans sa relation à l’écriture, en dégommant cette distribuait des enveloppes par région. M. Girard a conséquemment réalisé que petite merde qui peut tous nous coller à la peau et qui nous fait croire Lanaudière était la seule région à ne pas présenter de projets. Il a alors concocté qu’écrire est un tour de vélo, qu’il s’agit de pédaler, que la maîtrise du celui-ci, et à son image (me suis-je laissé préciser). langage, à elle seule, ouvre la porte de la pertinence: autre mythe solide à déboulonner. (Quand ce n’est pas l’écrivain lui-même, habitué et Le premier événement extérieur auquel ont participé les Donneurs s’est déroulé jouisseur dans son rôle de pontife, de «créateur», qu’on déboulonne. Les en 1994, au Salon du livre de Québec. «On a été un peu le hit du Salon», se félicite fats ne font d’ailleurs pas d’écriture publique, tiens donc2 ?) encore M. Girard. Drôle de paradoxe, tout de même, puisqu’il a conçu les Difficile, donc, pour certains auteurs de se sortir de la logique du salon du livre: Donneurs en grande partie en réaction aux salons du livre. «Je suis stupéfait. J’ai « À leur première année de participation, me dira M. Girard, certains débarfait beaucoup de salons du livre, ici et à l’étranger, et je trouve très inquiétante quent avec leurs livres, qu’ils mettent sur leur table… S’ils reviennent avec des l’uniformisation de cette formule qui est la même partout.» exemplaires les années subséquentes, ce sera pour les offrir au commerçant.» Chaque année, quelques dizaines d’auteurs sont mobilisés (selon les années, de Ce qui ne l’empêche pas de souhaiter que celle des Donneurs soit reprise, ici et 16 à 76 écrivains ont été invités). Plusieurs sont de la région, le CEL ayant pour partout dans le monde. De fait, l’idée a été adaptée quelques fois: à Saguenay, en 58 • lettres québécoises • automne 2010 événement S É B A S T I E N L AV O I E croisière sur le fleuve du même nom; aux Ailleurs Poétiques de Charleville-Mézière, ville natale de Rimbaud; à Barcelone; à Magog; à Liège… Depuis quelque temps, l’événement se greffe à d’autres manifestations. Pour ma part, j’ai participé aux Donneurs — en tant que badaud — au cinéma Parallèle, à Montréal, le 18 mai dernier, lors de la présentation d’un documentaire de Lucie Lambert, Aimer, Finir. portaient sur les cinq qualités primordiales d’un écrivain (selon M. Girard): la bonté, le don, la compassion, la dignité et l’intégrité. Cette année, pour la dixième édition, on change de paradigmes avec une conférence sur la volupté. Dans la boîte à fantaisies du sieur Girard se trouve aussi l’idée d’un défilé de mode et d’écrivains. Il imagine, par exemple, Dany Laferrière en train de parader devant la galerie pendant que Jean-Paul Daoust commente tout autant l’œuvre du romancier japonais que son costume de suède blanc crème… C’est après la projection qu’Élaine Turgeon, au comptoir du Café Méliès, a reçu ma demande d’un mot doux. Elle m’a d’abord interrogé délicatement, sans insister après que j’ai refusé de répondre à l’une de ses questions («Pourquoi tu l’aimes?», à laquelle je réponds déjà assez souvent à la maison, merci). Elle m’a ensuite demandé de me retirer et j’ai attendu, j’ai attendu. C’est finalement les deux écrivains, Turgeon et Girard, qui se sont entraidés pour rédiger la lettre à ma dulcinée. Entre-temps, la destinataire de ma lettre s’est décidée à aller voir le Belge Jack Keguenne, en résidence à Montréal, afin de me rendre la pareille. Ce qui fut expédié. Le résultat de nos deux démarches, c’est deux pages manuscrites, de jolis textes qui n’auraient pu être écrits pour personne d’autre que pour leur destinataire. Je n’ai pas flairé l’odeur de ma JEAN PIERRE douce à la lecture de sa lettre. Par contre, dans le rôle de l’expéditeur, j’ai trouvé intéressant d’entendre l’écho déformé de ma propre voix. L’opération donne un bon aperçu de l’acte de création. On sent bien la chimie opérer pour la simple et bonne raison qu’on est un élément de ce processus chimique. Après tout, ex nihilo nihil, in nihilum posse reverti4. Soulignons, en terminant, que tout un chacun est invité à reprendre ce concept dans sa communauté. À la seule condition de répandre aussi le slogan de l’événement: Tout ce qui n’est pas donné est perdu. Ne nous reste plus qu’à souhaiter aux Donneurs un déluge de subventions afin qu’ils puissent nous contaminer autant que possible. On en a bien besoin. 1. http://www.lesdonneurs.ca/ecribel07jpg.htm 2. ibid. 3. http://www.lesdonneurs.ca/cel.htm 4. Rien ne vient de rien, ni ne retourne à rien. 5. http://www.lesdonneurs.ca/ecribel07jpg.htm GIRARD L I T T É R AT U R E Q U É B É C O I S E D E S E N FA N T S , D E S V I E U X E T D E S FO U S B R AQ U E S Dame Turgeon est aussi celle qui est chargée de faire entrer les Donneurs à l’école, de me dire ce soir-là M. Girard. Ce volet du projet ne s’est pas encore concrétisé, bien que des incursions ont eu lieu au fil des ans. Les Donneurs, c’est encore beaucoup de bonnes idées qui n’ont pas pris leur envol. C’est une «action tentaculaire », d’imager M. Girard afin de bien montrer que la démarche des Donneurs tient tout à la fois de la création littéraire, de la campagne d’alphabétisation, qu’elle peut être instrumentalisée par le monde de l’éducation et qu’elle trouve même un sens dans le vaste monde de la santé et des services sociaux. Gérontologue, M. Girard voudrait que les Donneurs se rendent dans les résidences pour personnes âgées. Des démarches ont aussi été entreprises avec l’institut Philippe-Pinel, démarches qui ont fortement intéressé les médecins de l’institut, au dire de l’initiateur du projet. Ce projet consiste à offrir à une clientèle hospitalisée à l’intérieur d’une unité de soins de courte durée de psychiatrie les services et l’assistance, sur une base régulière, d’un écrivain professionnel déjà familiarisé à une relation d’aide de ce type. […] Nous croyons que chaque individu se verrait offrir […] une occasion de passer à la parole, et peut-être de clarifier le chaos de sa propre pensée, avec le soutien conjoint d’un psychiatre et d’un écrivain5. [email protected] www.voixetimages.uqam.ca La revue Voix et Images publie trois numéros par année qui comprennent des analyses approfondies et variées sur la production ancienne et contemporaine, des textes inédits et des entrevues avec des écrivains du Québec ainsi que des chroniques sur l’actualité. Chaque numéro de Voix et Images comprend trois rubriques principales : un dossier, des études et des chroniques. DOSSIER « LOUISE DUPRÉ », vol. XXXIV, n o 2 (101), hiver 2008 Le sujet féminin : de l’intime à la mémoire ¶ JANET M. PATERSON et NATHALIE WATTEYNE Entretien avec Louise Dupré ¶ JANET M. PATERSON Inédit. La porte fermée ¶ LOUISE DUPRÉ De la maturité à l’accomplissement. La trajectoire poétique de Louise Dupré ¶ ANDRÉ BROCHU Fenêtre sur corps. L’esthétique du recueillement dans la poésie de Louise Dupré ¶ DENISE BRASSARD Narration, temps et espace dans les romans de Louise Dupré ¶ JAAP LINTVELT Dans les moindres détails. La fiction de Louise Dupré ¶ SANDRINA JOSEPH Tout comme elle. L’intime et le non-dit ¶ NATHALIE WATTEYNE Bibliographie de Louise Dupré ¶ MÉLANIE BEAUCHEMIN et NATHALIE WATTEYNE ABONNEMENT (INCLUANT LES TAXES ET/OU LES FRAIS DE PORT ET DE MANUTENTION) Q U É B E C / C A NA DA 1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 29 $ individu 45 $ institution 90 $ ÉTRANGER 1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 35 $ individu 55 $ institution 95 $ Lors de l’événement annuel, à Joliette, les Donneurs organisent une conférence avec des intervenants provenant de tous les milieux. Les cinq premiers thèmes lettres québécoises • automne 2010 • 59 COUPES FÉDÉRALES Les revues culturelles en péril Depuis la série de coupes amorcées en 2008, le gouvernement Harper continue de saborder des programmes essentiels à la survie des organismes culturels. C’est maintenant au tour du ministère du Patrimoine canadien de priver la majorité des revues culturelles québécoises d’une aide à l’édition, en remplaçant le Fonds du Canada pour les magazines (FCM) par le Fonds du Canada pour les périodiques (FCP). Ce qui devait être une refonte de programmes s’est conclu, dans les faits, par une mutation idéologique inacceptable. Désormais, Patrimoine canadien ne se souciera plus des publications à petit tirage; il soutiendra « l’industrie du magazine ». La Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP) dénonce vivement les critères d’admissibilité du nouveau FCP. Parmi ses 44 membres, lesquels publient les plus importantes revues culturelles de langue française au pays, 75 % sont exclus du programme « Aide aux éditeurs », tout simplement parce qu’ils vendent moins de 5000 exemplaires par année, peu importe leur périodicité, leur mandat ou la qualité de leur contenu. Le budget du FCP, en vigueur depuis le 1er avril, s’élève à 75,5 millions de dollars, dont 72 millions sont consacrés à l’aide aux éditeurs. Les magazines canadiens à grand et moyen tirage, qui comptent sur des revenus publicitaires substantiels, peuvent recevoir jusqu’à 1,5 million par année. Mais rien, ou presque, pour les revues à petit tirage, ces revues qui diffusent notre littérature, commentent nos productions théâtrales ou analysent notre cinéma. Pour aider les 44 membres de la SODEP réunis, il suffisait pourtant d’un budget de 800 000 $, soit près de la moitié d’une subvention accordée à un grand magazine! Et que dire de l’argent que les éditeurs de revues culturelles retournent néanmoins au gouvernement, par la TPS payée sur les coûts de production de leur revue, celle perçue sur les ventes de numéros, des abonnements et leurs impôts? La pérennité et la diversité des revues culturelles seront mises en péril par les décisions de Patrimoine canadien. Quand des revues culturelles disparaissent, ce sont des espaces de réflexion qui disparaissent avec elles, un patrimoine écrit qui meurt. Elles servent souvent de tremplin aux futurs journalistes et écrivains qui y font leurs premières armes. Permettre à ces revues de subsister, c’est créer les conditions d’émergence de la relève. Patrimoine canadien souhaite-t-il vraiment préserver notre culture ou cherchet-il à bâillonner nos écrivains et penseurs? Que l’argent du patrimoine revienne au patrimoine et que les publications de qualité reçoivent leur juste part. La SODEP et ses membres demandent à tous ceux et celles qui tiennent à la survie des revues d’art, de littérature, de théâtre, de cinéma, d’histoire et d’idées, de faire circuler cette lettre pour protester contre la décision inique de Patrimoine canadien. POUR SIGNER LA PÉTITION : http://www.sodep.qc.ca/DerniereHeureDetails.aspx?ID=64 LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE VOUS PASSIONNE ? A B O N N E Z -V O U S À lettres québécoises Entrevues, portraits d’auteurs, critiques et comptes rendus de romans, de recueils de nouvelles et de poésie, d’essais et plus ! 1 AN / 4 NUMÉROS INDIVIDU INSTITUTION Canada 30 $ États-Unis 45 $ Étranger 60 $ Canada 40 $ États-Unis 60 $ Étranger 80 $ Nom 2 ANS / 8 NUMÉROS Adresse Ville Code postal Tél. INDIVIDU INSTITUTION Canada 50 $ États-Unis 75 $ Étranger 100 $ Canada 70 $ États-Unis 100 $ Étranger 135 $ Courriel Ci-joint ❑ Chèque ❑ Visa 3 ANS / 12 NUMÉROS ❑ Mastercard INDIVIDU N0 Exp. Signature Date ATTENTION : SVP libeller votre chèque à : SODEP / Lettres québécoises INSTITUTION Canada 72 $ Canada 95 $ États-Unis 108 $ États-Unis 144 $ Étranger 144 $ Étranger 192 $ Les prix sont toutes taxes comprises et sont sujets à changement sans préavis. RETOURNER À : SODEP • Service d’abonnement • Lettres québécoises • C.P. 786, succ. Place d’Armes, Montréal (Québec) H2Y 3J2 tél. : 514-397-8670 • téléc. : 514-397-6887 • [email protected] 60 • lettres québécoises • automne 2010 nous ont quittés Marcel Bélanger 1943-2010 L’écrivain Marcel Bélanger est décédé le 11 mai 2010 à l’âge de 66 ans. Il a également été connu sous le nom de plume Kraxi. Marcel Bélanger a occupé, jusqu’aux débuts des années quatre-vingt, plusieurs postes d’homme de lettres, comme il se plaisait ironiquement à le dire. Directeur de revues littéraires, fondateur d’une maison d’édition, il a aussi travaillé à la radio FM de Radio-Canada et a été professeur à l’Université Laval, à Québec, où il a mis sur pied un programme de création littéraire. Après de nombreux voyages aux connotations initiatiques, il avait choisi de se consacrer uniquement à l’écriture dans un petit village de Lanaudière. Madeleine Ferron 1922-2010 La femme de lettres Madeleine Ferron est morte le 27 février, à Québec, à l’âge de 87 ans. Elle souffrait de la maladie d’Alzheimer. Épouse de l’avocat Robert Cliche, Madeleine Ferron était la sœur de l’écrivain Jacques Ferron et de la peintre Marcelle Ferron, tous trois aujourd’hui décédés. Elle a été faite Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1992 et a reçu de nombreux prix littéraires, dont celui du journal La Presse, celui de la Ville de Montréal et le prix France-Québec. Née le 24 juillet 1922, à Louiseville, elle a été auditrice libre à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Avec son mari Robert Cliche, elle a écrit un essai ethnographique, Quand le peuple fait la loi, en 1972, et Les Beaucerons, ces insoumis, en 1974. L’écrivaine a publié, en 1966, un premier recueil de contes, Cœur de sucre. En 1971 paraît son premier roman, La fin des loups-garous, et son deuxième roman, Le baron écarlate. En 1977, elle publie Le chemin des dames et, en 1981, Histoires édifiantes, deux recueils de nouvelles. En 1982, elle écrit un roman historique, Sur le chemin Craig, portant sur le chemin créé au début du XIXe siècle à l’instigation du gouverneur James Henry Craig et qui devait relier la ville de Québec aux États-Unis afin de favoriser la colonisation des Cantons-de-l’Est. Elle rédige de nombreux articles pour des revues, magazines et journaux. Madeleine Ferron était engagée dans la vie culturelle et sociale du Québec. En 1979, elle est nommée présidente de la fondation Robert-Cliche pour la protection du patrimoine des Beaucerons. Pierre Hébert 1927-2010 La ville de Québec vient de perdre un de ses plus fervents amateurs de théâtre en la personne de Pierre Hébert. Fils du critique littéraire Maurice Hébert et petit-fils du sculpteur Louis-Philippe Hébert à qui l’on doit la statuaire du Parlement, il était le frère d’Anne Hébert et le cousin de Saint-Denys Garneau. Il était également le dernier descendant de la lignée info capsule Prix du Canada : nouveau départ Plusieurs se souviennent du cafouillage à propos du Prix du Canada doté d’une bourse de 25 millions de dollars. Ce prix, qui avait vraiment l’air improvisé, devait être remis à des personnalités internationales, comme si le Canada pouvait se permettre de jouer les mécènes alors que Stephen Harper, pendant la même période, coupait dans les programmes de subventions pour de raisons qui personne n’a jamais vraiment comprises sinon que ces programmes n’étaient pas efficaces. Efficaces pour qui ? On ne l’a jamais su, bien que plusieurs – Lettres québécoises en tête – trouvaient que les programmes en question avaient leur raison d’être. Ironie du sort, pendant qu’on coupait 45 millions des sommes allouées aux tournées internatio- de Louis Hébert, le premier colon de NouvelleFrance. On se souvient surtout de lui parce qu’il a fondé et dirigé deux troupes de théâtre d’avant-garde dans la ville de Québec durant les années cinquante ; la plus connue, le Théâtre de la Basoche, s’était installée dans le sous-sol de l’église SaintDominique et comptait Gilles Vigneault dans ses rangs. C’est là que, de 1955 à 1960 et dans bien des cas pour la première fois en Amérique du Nord, l’on présenta L’alouette de Jean Anouilh, Fin de partie de Beckett, La leçon de Ionesco, tout comme La cerisaie de Tchekhov et des pièces de Jean Tardieu. Clément Moisan 1933-2010 Clément Moisan est décédé à la Maison MichelSarrazin, le lundi 12 avril 2010 ; il était âgé de 76 ans. Chercheur reconnu internationalement, professeur émérite de l’Université Laval et docteur en littérature de l’Université la Sorbonne, il demeurait à Québec. Auteur de nombreuses publications, Clément Moisan a signé une dizaine d’essais parus aux Éditions Hurtubise, à l’Hexagone, aux Presses universitaires de France ainsi que chez Nota bene. Il était membre de l’Académie des lettres et sciences humaines de la Société royale du Canada depuis 1980, membre honoraire du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises et conseiller scientifique au Fonds québécois de recherche sur la société et la culture. Son dernier essai, Kerouac. L’écriture comme errance, où l’auteur fait redécouvrir l’œuvre de Kerouac sous un nouvel angle, a été publié chez Hurtubise au printemps 2010. nales, on proposait d’injecter 25 millions pour faire venir et récompenser des artistes internationaux ! Quoi qu’il en soit, devant le tollé de la presse qui jugeait que cette initiative sentait la pure improvisation, le ministre de la Culture James Moore avait fait marche arrière. Rétrogradé à l’état de projet, le prix refait surface. Cette foisci, l’administration du prix (toujours de 25 millions) a été confiée au Conseil des Arts du Canada (CAC). Bonne décision, diront certains, sauf qu’on peut s’inquiéter du fait que, parmi les membres du groupe d’experts chargés d’élaborer des recommandations et de proposer des paramètres, se trouve nul autre que Tony Gagliano, président du festival torontois Luminato, celui-là même qui avait «monté» ce prix. Souhaitons que Simon Brault (Culture Montréal et membre du CAC) et Joseph Rotman (président du CAC) sauront freiner les ardeurs de M. Gagliano. lettres québécoises • automne 2010 • 61 informations express JAC Q U E S , M I C H E L Carnets de la Beauce avec des tableaux de Gaétane Boucher, Martine Chassé, Marylène Faucher, Guylaine Jacques et Julie Morin Montréal, Les Heures bleues, coll. « Carnets », 2010, 128 p., 29,95 $. « Coda » propose des textes en provenance du Québec, du Canada et du reste du monde. Les livres parus à ce jour dans «Coda» sont les suivants : Nikolski de Nicolas Dickner, Un jardin de papier de Thomas Wharton, Les carnets de Douglas de Christine Eddie, Parfum de poussière de Rawi Hage, Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier et les quatre titres du Cycle de Manawaka de Margaret Laurence. Alto, collection « On a tous les jours 5 ans » Dans le cadre des célébrations entourant son cinquième anniversaire, Alto a lancé la collection «On a tous les jours 5 ans», constituée de cinq inédits, afin de remercier les lecteurs, libraires et autres amis des Bien des gens ont entendu parler de la Beauce et s’en sont fait une certaine idée. Les Carnets de la Beauce, par ses nombreux tableaux et ses textes, présentent un bon aperçu des caractéristiques de ce pays haut en couleur. Cinq peintres de la région — Gaétane Boucher, Martine Chassé, Marylène Faucher, Guylaine Jacques et Julie Morin — conjuguent leurs talents pour illustrer l’essence même de la Beauce. Des photographies d’époque, des textes informatifs et des haïkus écrits par Michel Jacques complètent ce treizième ouvrage de la collection. Les scènes champêtres et urbaines telles que la rivière Chaudière et ses débordements, les maisons de campagne, les érablières et les Beaucerons au travail sont autant d’éléments évoqués dans le livre. C’est un beau voyage dans dix-sept villes et villages qui permettra de mieux connaître la Beauce et de succomber à son charme. Alto, collection « Coda » livres de leur fidélité au fil des ans. Depuis le 2 juin dernier, un exemplaire de l’un de ces livres à tirage limité est offert gratuitement dans les librairies du Québec à l’achat de n’importe quel titre publié chez Alto. Les cinq auteurs de la maison qui ont généreusement accepté d’écrire un texte pour l’occasion sont Nicolas Dickner (DaNse Contact – CuisiN3 familial – TV Satellite), Christine Eddie (Le cœur de la crevette), Martine Desjardins (Grotto), Max Férandon (La roue et autres descentes) et Serge Lamothe (Projet Perfecto). Tous les titres de la collection «On a tous les jours 5 ans» sont aussi offerts en format numérique et téléchargeables gratuitement en ligne, entre autres sur les sites www.livresquebecois.com et www.jelis.ca. 62 • lettres québécoises • automne 2010 Enfin, François Watier traite d’un sujet d’actualité dans Stéroïdes pour comprendre le réchauffement climatique. Le livre fournit la dose de connaissances nécessaires pour répondre aux interrogations auxquelles la science a des réponses. On y apprend si le réchauffement climatique est scientifiquement prouvé, si ses conséquences sont une fatalité et même pourquoi il menace les ours polaires. « KompaK » : une nouvelle collection chez XYZ Amérik Média, collection « Stéroïdes pour comprendre » Amérik Média a lancé une nouvelle collection d’essais, «Stéroïdes pour comprendre». Faisant le pari qu’aucun sujet n’est trop complexe pour être expliqué simplement, cette collection offre des concentrés permettant d’aborder une question sans grand effort. C’est en avril 2007 que les Éditions Alto ont lancé une collection de livres dans un format alternatif, une présentation revue et un prix abordable: Coda. Plus grandes qu’un livre compact ou un livre de poche, mais légèrement plus petites que la plupart des formats réguliers, les œuvres publiées dans cette collection permettent de donner une véritable «seconde vie» à des œuvres reconnues. La collection Stéroïdes pour comprendre les OGM est le second titre paru. Selon Valérie Levée, l’auteure, les OGM ne sont pas toujours où on le croit. Quelque 99 % des plantes génétiquement modifiées commercialisées sont du coton, du soja, du colza et du maïs. Encore absents de l’alimentation, les animaux transgéniques font peu de bruit. Ils sont pourtant légion dans les laboratoires de recherche, où ils servent de modèles d’étude. Plus petites et discrètes, les bactéries transgéniques servent quant à elles à fabriquer l’insuline depuis les années quatre-vingt. Le premier ouvrage paru s’intitule Stéroïdes pour comprendre la philosophie. Écrit par Normand Baillargeon, l’essai constitue une initiation aux grands systèmes philosophiques. L’auteur y montre à quel point, que ce soit en matière de politique, d’art ou d’éthique, les débats qui font aujourd’hui rage prennent leur source dans la philosophie. La dose de philosophie concentrée proposée dans ce livre est tout sauf superflue. Les Éditions XYZ ont lancé, en avril dernier, la collection «KompaK». Prenant la forme d’une pochette de disque compact, cette «irrévérencieuse» collection présentera des novellas traitant de sujets non conventionnels, populaires et littéraires, centrés sur un récit intense ou une intrigue dynamique. «KompaK» propose une littérature qui sort des sentiers battus sans être un lieu d’écriture expérimentale. Cette collection ne cherche pas le scandale mais la surprise, le rire, l’étonnement, l’audace. L’auteur Jean-Pierre April agira en tant que directeur de collection. L’herbe est meilleure à Lemieux est le premier titre paru, il a été écrit par Jean-Pierre April. Dire que informations express l’action de ce récit se passe à l’époque du peace and love, des Beatles et des années soixante serait un mensonge. Ce temps merveilleux où l’on croyait refaire le monde en faisant l’amour est bien révolu. Pourtant, la bande des quatre (Marie-Hélène, Geneviève, Phil et Ti-Bill, le narrateur) savait que Julie, le Volkswagen Camper, rendrait l’âme incessamment. Cela arrivera à Lemieux, un bled si plat que les mouches s’y endorment, même en été. L’herbe est-elle meilleure à Lemieux? Oui, diront en chœur les membres de la bande des quatre, qui s’y établiront en achetant une maison grâce à mille et un subterfuges, pas toujours très catholiques. Cependant, personne ne sait pourquoi l’herbe y est si bonne. Les quatre membres le devraient pourtant, mais ils sont trop occupés à fumer comme des défoncés pour se poser des questions. On voit là que le peace and love a été remplacé par piastre and bof. Dates des prochains salons du livre au Québec Le deuxième titre paru s’intitule Le seul défaut de la neige et il est signé François Barcelo. On y retrouve Yannick, vingt-deux ans, célibataire, préposé au déneigement à Saint-Christophe-de-Bougainville. Il reçoit un appel de sa tante Estelle, une belle femme à son goût. L’auto d’Estelle est prise dans la neige près du dépotoir. Yannick part à son secours au volant de son tracteur. Sur place, il découvre un cadavre. Se débarrasser d’un cadavre, passe encore, mais un cadavre en appelle un autre. Yannick, pas si bête qu’on pouvait le croire, redouble d’ingéniosité pour plaire à sa tante en se débarrassant des cadavres qu’elle sème dans son sillage. Voici des rebondissements et des scènes colorées comme Barcelo sait si bien en susciter. Montréal 17 au 22 novembre 2010 514 845 2365 Saguenay-Lac Saint-Jean 30 septembre au 3 octobre 2010 418-542 7294 Estrie • 14 au 17 octobre 2010 819 563 0744 Rimouski • 4 au 7 novembre 2010 418 723 7456 Outaouais • 24 au 27 février 2011 819 775 4873 Trois-Rivières • 24 au 27 mars 2011 819 376 5308 Québec • 13 au 17avril 2011 418 692 0010 Côte-Nord • 5 au 8 mai 2011 418 968 4636 lettres québécoises • automne 2010 • 63 livres en format poche A L A R I E , D O NA L D Écrire comme on joue du piano Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, coll. « Écrire », 2010, 128 p., 19,95 $. Cet essai doit se trouver dans toutes les bibliothèques, publiques ou privées. Il est, à ce jour, la référence la plus complète sur notre patrimoine littéraire. Suivre pas à pas une telle évolution exige qu’au delà des faits répertoriés les auteurs posent des jugements éditoriaux. Or, le trio d’auteurs a fait preuve de grande rigueur intellectuelle et posé des jugements éclairés en retenant les événements marquants et les écrivains aux œuvres significatives, tant à l’époque de leur publication qu’aujourd’hui. resté quotidien, des airs traditionnels et des chansons de travail aux succès internationaux des auteurs-compositeurs et interprètes de maintenant, ceci sans exclure les volets plus commerciaux. FORTIER, DOMINIQUE Du bon usage des étoiles Québec, Alto, coll. « Coda », 2010, 445 p., 17,95 $. B O UC H A R D , H E RV É Mailloux, histoire de novembre à juin, réédition en poche Le Quartanier, coll. « Ovni », 2010, 168 p., 13 $. La participation de Donald Alarie à la collection «Écrire» est menée avec un grand sérieux. L’essai permet de voir et de comprendre, jusque dans les détails du quotidien, le meilleur et le pire, si tant est, du métier d’écrivain. Il est, me semble-t-il, le seul de sa confrérie qui raconte sans ambages ses rapports avec ses éditeurs, ce qui est d’un grand intérêt pour ceux qui sont dans l’urgence de publier. Le passage éponyme est sans aucun doute celui qui reflète le mieux l’atmosphère de plénitude qui se dégage du livre. B I R O N, M I C H E L , É L I S A B E T H NA R D O U T - L A FA R G E ET FRANÇOIS DUMONT Histoire de la littérature québécoise Montréal, Boréal, coll. « Boréal compact », 2010, 688 p., 19,95 $. D’abord parues à L’effet pourpre en 2002, les aventures du jeune Mailloux sont portées par un sens du désastre qui transforme l’existence en angoisse et en jeux vilains. Tout se déroule selon le désordre d’une mémoire où s’entrelacent épisodes funestes ou joyeux, dans un Jonquière où tout passe et coule avec les flots et les flots. Ce monde inouï, mais presque familier dans son étrangeté même, Mailloux sait le rendre par la grâce d’une écriture fiévreuse et physique, toute traversée de mélancolie, de fantasmes et de mort. BROSSARD, NICOLE Le désert mauve Montréal, Typo, 2010, 304 p., 14,95 $. Considéré comme l’un des plus importants de la littérature québécoise, ce premier roman postmoderne 64 • lettres québécoises • automne 2010 est un incontournable pour quiconque souhaite plonger dans un univers de création. Un univers porté dans ce roman par le personnage de Maude Laures qui s’attelle, un jour, à la traduction du récit de Laure Angstelle. Cette histoire, qui l’a littéralement éblouie, raconte le destin d’une jeune fille qui décide de tout quitter et de partir à la découverte du désert de l’Arizona. Dans un style élégant et surprenant, la romancière propose une réflexion sur l’art d’écrire et de traduire. Mai 1845, les navires Terror et Erebus partent à la conquête du mythique passage du Nord-Ouest. Commence alors un voyage au cœur de la nuit polaire et vers les profondeurs de l’être, dont Francis Crozier, commandant du Terror, rend compte dans son journal. Inspiré de la dernière expédition de Franklin, Du bon usage des étoiles brosse un tableau foisonnant des lubies de la société victorienne, dans un patchwork qui mêle avec bonheur le roman au journal, l’histoire, la poésie, le théâtre, le récit d’aventures, le traité scientifique et la recette d’un plum-pudding réussi. D E S U R M O N T, J A S M I N, C L A U D E JEAN-NICOLAS La corde au cou La poésie vocale et la chanson québécoise Québec, L’instant même, coll. « Connaître », 2010, 168 p., 15 $. Cet essai a d’évidentes qualités pédagogiques. Il propose des outils d’analyse et une médiagraphie qui tient compte de la nature complexe du sujet et des moyens et circonstances par lesquels on y a accès (disques, livres, sites Internet, festivals). Il est le vade-mecum d’un art ancestral Montréal, Pierre Tisseyre, coll. « Littérature québécoise », 2010, 194 p., 10,95 $. Ce roman de Jasmin est un classique de la littérature québécoise; lors de sa parution, l’ouvrage a reçu le Prix du Cercle du livre de France. L’édition du roman proposée par les Éditions Pierre Tisseyre et ERPI participe d’une volonté de rayonnement de la littérature par la diffusion des classiques auprès des jeunes. L’intégration livres en format poche Sept ans après les sordides événements qui ont secoué Saint-Clovis, Francis est de retour dans son patelin. Il a reçu son congé de l’institution psychiatrique, il est prêt à réintégrer la société. En plus des fantômes de son enfance meurtrie, il devra affronter ses anciens tortionnaires. Mais Francis n’est plus — ne sera jamais plus — le souffre-douleur de quiconque. Or, quand un premier étudiant est assassiné, puis un deuxième, les soupçons se portent aussitôt sur Francis… qui sait pertinemment que l’horreur ne fait que (re) commencer. de l’œuvre à une collection à large diffusion dans le milieu scolaire et des études postsecondaires offre également au livre une vitrine exceptionnelle qui interpellera une nouvelle génération de lecteurs. fabulatrice de premier rang. Son récit, alerte et souriant, évoque des scènes cocasses et tragiques du roman familial, au cœur des éphémérides de Cacouna et de Montréal. Sans fard, avec ce qu’il faut d’humour pour avaler quelques couleuvres, elle refait le parcours de sa vie avec sa mère, sa «plus-que-mère», la «parfaite», devenue toute sa référence, sa bible. d’Anthony Phelps fait refleurir les grands sortilèges de l’enfance et ce goût pour l’aventure qui transporte avec fine malice le réel aux antipodes du réalisme. P O T V I N, C H A N TA L E Le pensionnaire Chicoutimi, JCL, coll. « Romanvérité », 2010, 186 p., 14,95 $. PHELPS, ANTHONY Et moi je suis une île Montréal, Bibliothèque québécoise, 2010, 80 p., 8,95 $. NOËL, FRANCINE La femme de ma vie Montréal, Bibliothèque québécoise, 2010, 192 p., 9,95 $. LÉVE SQUE, FRANÇOIS Les visages de la vengeance Au début du XXe siècle, une loi oblige les enfants autochtones à fréquenter des pensionnats dirigés conjointement par le fédéral et par l’Église. Cette volonté d’assimilation cause des débordements qui auront des conséquences tragiques sur plus de 150000 jeunes. Les rescapés encore vivants parlent peu de leur triste expérience. À partir de témoignages et de documents patiemment recueillis, l’auteure a façonné un personnage fictif qui, très jeune, est enlevé de force à sa famille et envoyé dans un pensionnat où il se retrouvera à la merci des autorités. Québec, Alire, 2010, 320 p., 14,95 $. Quand la romancière, plusieurs années après le décès de sa mère, entreprend de remonter le cours de son enfance, une surprise l’attend : son œuvre se situe dans le droit fil de la parole de sa mère, Jeanne Pelletier, info capsule Suzanne Richard, nouvelle directrice générale des Éditions L’Interligne Directrice intérimaire depuis 2009, Mme Suzanne Richard prend officiellement la direction de cette maison d’édition dont les bureaux sont situés à Ottawa. Titulaire d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), Suzanne Richard a oeuvré aux communications dans les centres d’artistes et d’exposition de la région de 1998 à 2003. Entrée au service des Éditions L‘Interligne en 2003, d’abord comme agente en communication puis à titre de responsable des communications, elle a été membre du comité de rédaction de la revue Liaison de 2003 à 2007. Depuis 2007, elle est aussi directrice de la collection de livres d’art «Synapses» des Éditions L’Interligne. Qu’arrive-t-il à l’île de Montréal quand elle se détache de ses amarres et remonte le fleuve Saint-Laurent, s’engage sur la mer, pique vers le sud et rend visite, entre autres îles, à celle d’Haït i, le temps d’une fin de semaine ? Qu’arrive-t-il quand Moly le petit poisson rouge saute de son bocal et s’enfuit, lorsqu’une roue se détache de la voiture et prend le large ? La narration enchantée FRANCE THÉORET : rétractation de Lettres québécoises Dans la chronique de « La revue des revues » (Été 2010, p. 56) signée par Carlos Bergeron, il s’est glissé un commentaire au sujet du texte de France Théoret (« Pourquoi je dirai oui une troisième fois à un prochain référendum national. ») que la rédaction juge inapproprié et injustifié. M. Bergeron écrit: «La finale qui détonne, et dont le propos presque antisémite nous laisse sans mots, mérite d’être citée: ‘‘Si les Québécois de souche donnent un appui massif, plébiscitent le oui, notre force d’attraction aura une influence irréversible sur l’ensemble de la population québécoise’’. » La rédaction de Lettres québécoises veut offrir ses excuses à Mme Théoret, car il est clair que la phrase incriminée ne contient ni propos ni allusions antisémites pas plus du reste que cette même phrase pourrait avoir une connotation raciste. La rédaction lettres québécoises • automne 2010 • 65 dits et faits L’ASSOCIATION DES LIBRAIRES : 40 ANS Créée en 1969, l’Association des libraires du Québec est un acteur majeur dans l’industrie du livre. Elle a pour mission de contribuer au développement professionnel des libraires et à l’essor économique de la librairie comme lieu essentiel de diffusion de la culture. Pour souligner cet anniversaire, un recueil de textes inédits, Ma librairie indépendante — auquel JeanFrançois Beauchemin, Pascal Blanchet, Nicolas Dickner, Robert Lalonde, Stanley Péan, Jean-Jacques Pelletier, Marie Hélène Poitras et Michel Tremblay ont accepté de participer —, sera lancé. NORMAND DE BELLEFEUILLE QUITTE QUÉBEC AMÉRIQUE Normand de Bellefeuille, l’un des plus prestigieux directeurs littéraires au Québec — en plus d’être un superbe écrivain —, a annoncé au printemps dernier qu’il prenait sa retraite du monde de l’édition. C’est un peu dommage, car Normand de Bellefeuille a vraiment été un éditeur marquant en faisant entrer la poésie chez Québec Amérique et en choisissant des auteurs qui se sont imposés avec éclat sur la scène littéraire. Prix du Gouverneur général en 2000 pour La marche de l’aveugle sans son chien, Normand de Bellefeuille se consacrera à son écriture tout en restant attentif à tout ce qui se passe dans le monde des lettres, lui qui se réjouit de la venue de jeunes éditeurs qui marquent un temps nouveau dans notre paysage littéraire. FICHTRE ! FERME SES PORTES La bande dessinée – qui semble connaître un regain au Québec depuis plusieurs années — aurait dû permettre à la librairie Fichtre!, située rue De Bienville à Montréal, de connaître un essor mérité. Ce n’est malheureusement pas le cas, le propriétaire Yves Millet ayant dû déclarer forfait et fermer ses portes il y a quelques mois. Dommage, car cette librairie, qui était devenue un must pour les bédéistes, était vraiment un carrefour où se retrouvaient les amateurs de bulles tout autant que les jeunes bédéistes qui se servaient de la librairie pour faire la vente de leurs autopublications. En somme, Fichtre! agissait comme on le faisait autrefois. Ainsi faisaient la librairie Crémazie au XIXe siècle ou encore Deom dans les années cinquante. Une perte à n’en pas douter. 66 • lettres québécoises • automne 2010 LE DEVOIR : FORTE PROGRESSION Le Devoir a affiché la plus forte progression au pays pour la période de six mois qui s’est terminée au 3 mars de cette année. Alors que les journaux et périodiques affichent en général des pertes depuis quelques années, Le Devoir, lui, progresse de 1,4 % en semaine et de 8,3 % durant le week-end. Les ventes de La Presse et du Soleil (propriétés de Gesca de Power Corporation) ont diminué, mais ce n’est pas le cas des journaux régionaux tels La Tribune de Serbrooke, Le Nouvelliste de Trois-Rivières et Le Droit d’Ottawa qui connaissent tous trois de légères hausses. Il faut se réjouir de cette nouvelle concernant Le Devoir dont le cahier du livre en week-end est fort bien documenté. Beaucoup mieux que celui de La Presse. QUÉBEC EN TOUTES LETTRES Résultat d’un échange entre Paris («Paris en toutes lettres») et la ville de Québec, «Québec en toutes lettres» proposera au grand public une programmation d’activités placée sous le signe de la curiosité et de l’inusité. Le choix de Jorge Luis Borges, cette année, semble surprenant de prime abord, mais les organisateurs trouvent en lui un auteur non seulement majeur, mais dont l’influence est immense. Par exemple, elle s’est fait sentir autant dans Le nom de la rose d’Umberto Eco que dans Donjons et dragons. L’événement se déroulera du 14 au 24 octobre 2010. C’est Gilles Pellerin, auteur et éditeur de grande réputation, qui en assurera la direction artistique. À ce jour, le festival a reçu plus de cinquante projets liés au thème choisi. CANAL SAVOIR : AUTEURS EN VEDETTE L’animatrice Aline Apostolska recevra treize écrivains québécois aux « Midis littéraires de la Grande Bibliothèque», rencontres qui seront diffusées au Canal Savoir en mai, juin et juillet. La liste est fort intéressante parce qu’elle met en vedette des auteurs qui travaillent dans plusieurs genres. Ce sont Catherine Mav r ikak is (roman), Stéphane Bourguignon (télé), Gilles Tibo (auteur-illustrateur), Évelyne de la Chenelière (théâtre), Hélène Dorion (poésie), Jacques Godbout (roman, cinéma), India Desjardins (roman ados), Robert Lalonde (roman, acteur), Nicole Brossard (poète), Michel Tremblay (roman, théâtre), Neil Bissoondath (roman angloquébécois), Andrée Laberge (roman) et Gaétan Soucy (roman). prix et distinctions PRIX LITTÉRAIRE LE DROIT L’écrivaine Sylvie-Maria Filion, originaire de Pontiac, a reçu le Prix littéraire du journal Le Droit 2009 pour son recueil La nébuleuse du Celte (Vermillon, coll. « Parole vivante »). Dans ce livre, une jeune femme souffre — elle aime un homme qui s’en est allé sur un autre continent. Un petit crabe tombe amoureux d’elle et vit lui aussi un amour malheureux. Au fil d’échanges colorés entre ces deux personnages sont traversées différentes situations : aimer, ne pas aimer, ne pas être aimé, amour-tendresse-bonté, amour-désir… PRIX HUGUETTE-PARENT aujourd’hui, de Lyon à la Gaspésie. Le prix littéraire France-Québec a été créé en 1998 à l’occasion du 30e anniversaire de l’Association France-Québec. Il a pour objectif de favoriser la diffusion et la connaissance en France de romans publiés au Québec. Il est accompagné d’une bourse de 5000 $. PRIX RTL-LIRE AU SALON DU LIVRE DE PARIS Sauvageau, les Prix de création littéraire — Ville de Québec et Salon international du livre de Québec. Sylvain Hotte a été récompensé pour son roman jeunesse Panache (Les Intouchables) et Jean Lemieux a obtenu la distinction grâce à son roman policier Le mort du chemin des Arsène (La courte échelle). Les prix soulignent l’excellence et le talent d’auteurs de la région de Québec. Les lauréats reçoivent chacun une bourse de 5000 $. 2010 : ANNÉE DANY LAFERRIÈRE neurs du «Canada Reads», l’équivalent du « Combat des livres » au Canada anglais. Le roman se voit consacré œuvre de fiction canadienne incontournable. C’est l’auteur et commentateur culturel Michel Vézina qui a défendu le Dickner avec passion. PRIX LITTÉRAIRES RADIO-CANADA 2009 Le prix Huguette-Parent a été est remis à Nicole V. Champeau pour Pointe Maligne. L’infiniment oubliée (Vermillon). Cet ouvrage met en situation le fleuve Saint-Laurent dans sa partie ontarienne, à partir du lac Saint-François en remontant vers Cornwall (Pointe Maligne) jusqu’aux Mille-Îles. L’auteure nous invite à la suivre dans son périple d’où se dégage, à travers les écrits, les cartes, les siècles et les personnes, une poésie de l’histoire. Elle ravive le souvenir de sites engloutis depuis la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent et l’aménagement des rapides du Long Sault. CANADA READS Au terme de cinq jours de débats animés, le roman de Nicolas Dickner, Nikolski (Alto), traduit par Lazer Lederhendler, a remporté les hon- Les six lauréats francophones 2009 sont les suivants: catégorie «Récit»: premier prix : Flo de Stéphane Bigras (Saint-Colomban) ; second prix : Au fond de Sylvie Mayrand (Saint-Blaise-sur-R ichelieu). Catégorie « Poésie » : premier prix : était une bête de Laurence Ouellet Tremblay (Montréal) ; second prix : 24/7 de Mathieu Croisetière (TroisRivières). Catégorie «Nouvelle»: premier prix: Magnum opus de Philippe Chartier (Montréal) ; second prix : Un hombre solo de Jérémie LeducLeblanc (Montréal). PRIX FRANCE-QUÉBEC L’écrivaine québécoise Kim Thuy, dont nous évoquions la rentrée littéraire remarquée en début d’année, a reçu le prix RTL-Lire au Salon du livre de Paris pour son roman Ru (Libre Expression). Ce prix lui a été décerné par 100 lecteurs sélectionnés par 20 libraires, qui l’ont choisie parmi les cinq finalistes proposés par les rédactions de la télévision RTL et du magazine Lire. Au cours des dernières années, ce prix, qui existe depuis 1975, a été remis notamment à Anna Gavalda et à Olivier Adam. C’est la première fois qu’il est remis à un auteur québécois. LA VILLE DE QUÉBEC CÉLÈBRE SES ÉCRIVAINS Après le Médicis et le Grand Prix du livre de Montréal, on a remis à Dany Laferrière la Médaille d’honneur de l’Assemblée nationale du Québec. De plus, le Prix de la personnalité internationale de l’année, attribué par le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et l’émission Une heure sur terre (Radio-Canada), lui a été décerné. Enfin, pour l’instant du moins, il a remporté le Prix des libraires du Québec 2010, catégorie « roman québécois », pour L’énigme du retour (Boréal, 2009); ce prix est accompagné d’un montant de 2000 $ et d’une œuvre de l’artiste LouisGeorges L’Écuyer. L’Association internationale des études québécoises (AIEQ) lui offre la possibilité de faire une tournée de promotion dans l’un des pays étrangers où elle a des membres. PRIX BÉNINOIS Le prix France-Québec a été remis à Paris, le 24 mars, à Marie-Christine Bernard, pour son recueil de nouvelles Sombre peuple (Hurtubise). Ces nouvelles traitent de la marginalité à différentes époques, du Moyen Âge à Sylvain Hotte et Jean Lemieux ont reçu des mains de la conseillère municipale Julie Lemieux et du président du Salon du livre, Philippe Claudine Bertrand a remporté, pour l’ensemble de sa carrière, le Grand Prix du Salon international des poètes francophones 2010 remis à l’occasion de la 4e édition du Salon lettres québécoises • automne 2010 • 67 prix et distinctions Prix de la relève, décerné par un comité de lecture formé de lecteurs choisis par Archambault, pour son premier roman Ilû: l’homme venu de nulle part (VLB éditeur). BOURSE GABRIELLE-ROY 2010 le prix a été remis par les Écrivains francophones d’Amérique et le Centre Aude d’études sur la nouvelle (CAEN). PRIX DE LITTÉRATURE GÉRALD-GODIN au prix France-Québec et, à deux occasions, au Prix du Gouverneur général, Mme Saucier est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois. Elle a aussi été consultante en communication pour divers organismes et associations de la région. PRIX JASMIN international des poètes francophones du Bénin. PRIX BÉDÉLYS Les honneurs s’abattent en rafale sur la série Paul de Michel Rabagliati. Le bédéiste a vu son travail une nouvelle fois salué par le milieu de la bande dessinée qui lui a décerné un doublé: le prix Bédélys d’or et le prix Bédélys Québec cuvée 2009. Remis annuellement, ces prix célèbrent les meilleures bandes dessinées francophones vendues ou produites au Québec. L’écrivaine Andrée A. Michaud, lauréate du prix Ringuet pour Mirror Lake et du Prix du Gouverneur général pour Le ravissement, a reçu la bourse d’écriture Gabrielle-Roy 2010. Cela lui permettra une retraite créatrice à la résidence d’été de Gabrielle Roy à Petite-Rivière-Saint-François pendant deux mois. Andrée A. Michaud succède ainsi à Madeleine Monette, Élise Turcotte, Monique LaRue, Roland Giguère, Suzanne Jacob, Gilles Cyr, Monique Proulx, Yvon Rivard et Diane-Monique Daviau. Patrick Boulanger s’est vu décerner le Prix de littérature Gérald-Godin pour son roman Selon Mathieu paru aux Éditions Triptyque. Ce prix fait partie des Grands Prix culturels remis par la Ville de Trois-Rivières aux artistes qui se sont démarqués par leur œuvre ou leur implication dans le paysage culturel, artistique et patrimonial de la ville. PRIX À LA CRÉATION ARTISTIQUE DU CALQ PRIX ADRIENNECHOQUETTE PRIX ARCHAMBAULT PRIX ÉMILE-NELLIGAN Les auteurs Isa-Belle Granger et Pierre Barthe ont reçu le Prix du public et le Prix de la relève des 10e Grands Prix littéraires Archambault. Isa-Belle Granger a recueilli le plus grand nombre de votes du public pour son roman Les 7 filles d’Avalon (Éditions Michel Quintin), aux accents historiques et fantastiques. Pour sa part, Pierre Barthe a reçu le 68 • lettres québécoises • automne 2010 « Notre collaborateur Naïm Kattan vient de se voir décerner le prix Jasmin d’argent dans la ville d’Agen en France. Ce prix de la francophonie, placé sous la présidence de Patrick Poivre d’Arvor, lui a été remis en mai dernier. Dans son discours, le journaliste Poivre d’Arvor a fait état de l’œuvre de Naïm Kattan, et le poète Salah Stétié a lu un poème composé en son honneur. Le maire d’Agen, Dionis du Séjour, en a profité pour rappeler l’importance du Québec au sein de la francophonie et de la place qu’y occupe Naïm Kattan.» Le Devoir Le prix Adrienne-Choquette de la nouvelle a été attribué à Stéphanie Kaufmann pour son recueil intitulé Ici et là (L’instant même) à l’occasion du Salon international du livre de Québec. Doté d’une bourse de 1000 $, Jocelyne Saucier, lauréate du Prix à la création artistique du CALQ pour la région de l’Abitibi-Témiscamingue, prix accompagné d’une bourse de 5000$, et Stéphan La Roche, directeur de la Danse, de la Musique et de l’Action territoriale au CALQ, lors de la remise du prix. L’auteure de La vie comme une image (XYZ), Les héritiers de la mine (XYZ) et Jeanne sur les routes (XYZ) a reçu son prix le 19 avril dernier à Rouyn-Noranda. Finaliste Le jury du prix Émile-Nelligan a décerné son prix pour l’année 2009 à François Turcot pour son recueil intitulé Cette maison n’est pas la mienne (La Peuplade). «D’une sensibilité singulière et d’une belle fermeté d’écriture, Cette maison n’est pas la mienne donne à entendre un ton neuf dans la poésie québécoise actuelle», souligne le jury présidé par Pierre Nepveu et composé également de Nicole Brossard et d’Élise Turcotte. Les deux autres finalistes étaient Geneviève Blais pour Le manège a lieu (Poètes de brousse) et François Guerrette pour Les oiseaux parlent au passé (Poètes de brousse). livres reçus ROMAN Alarie, Donald, Thomas est de retour, Montréal, XYZ, coll. « Romanichels », 2010, 128 p., 20 $. Arseneau Basque, Joseph Gaétan, Le PDG, Saint-Pie, JKA, 2010, 392 p., 25,95 $. Beaulieu, Lison, Les noces de l’agneau, Notre-Dame-desNeiges, Trois-Pistoles, 2010, 216 p., 24,95 $. Beaulieu, Natasha, Le deuxième gant, Québec, Alire, coll. « GF », 2010, 548 p., 29,95 $. Beausoleil, Jean-Marc, Utopie taxi, Montréal, Triptyque, 2010, 200 p., 19 $. Bellavance, Dominic, Toi et moi, it’s complicated, Montréal, Coups de tête, 2010, 128 p., 14,95 $. Benlabed, Salah, Ô combien de marins, combien de capitaines, Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2010, 192 p., 22,95 $. Berrubey, Isabelle, Les seigneurs de Mornepierre, Montréal, VLB éditeur, coll. « Roman », 2010, 856 p., 32,95 $. Blais, Marie-Claire, Mai au bal des prédateurs, Montréal, Boréal, 2010, 330 p., 27,95 $. Boivin, Henri-B., Le naufrage de l’Audacieuse, Varennes, AdA, coll. « Romans et inspiration », 2009, 200 p., 14,95 $. Bouraoui, Hédi, Les aléas d’une odyssée, Ottawa, Vermillon, coll. « Romans », 2009, 392 p., 25 $. Caron, Jean-François, Nos échoueries, Saint-Fulgence, La Peuplade, 2010, 154 p., 19,95 $. Caron, Pierre, Letendre et les âmes mortes, Montréal, Fides, 2010, 352 p., 24,95 $. Cassa, Alessandro, Le chant des fées, Tome 2, Un dernier opéra, Laval, Guy Saint-Jean éditeur, 2010, 244 p., 24,95 $. Castéran, Nicole, Les saisons du destin. Une année en Nouvelle-France, Montréal, Libre Expression, 2010, 248 p., 24,95 $. Catellier, Maxime, Le corps de la Deneuve, Montréal, Coups de tête, 2010, 120 p., 14,95 $. Charland, Jean-Pierre, Les folles années, Tome 1, Les héritiers, Montréal, Hurtubise, 2010, 560 p., 29,95 $. Courtemanche, Gil, Je ne veux pas mourir seul, Montréal, Boréal, 2010, 168 p., 19,95 $. Couturier, Gracia, Chacal, mon frère, Ottawa, David, coll. « Voix narratives », 2010, 270 p., 22,95 $. D’Auteuil, Sylvain, Mystique blues, Montréal, Québec Amérique, coll. « Tous continents », 2010, 456 p., 26,95 $. David, Michel, Un bonheur si fragile, Tome 2, Le drame, Montréal, Hurtubise, coll. « Roman historique », 2010, 512 p., 29,95 $. Denys, Marie-Claude, Un certain 3 juillet avec Champlain, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. « Azimuts », 2010, 196 p., 21,95 $. Désilets, Luc, Les quatre saisons. Didier, Laval, Guy SaintJean éditeur, 2010, 184 p., 19,95 $. Dion, Patrick, Fol allié, Montréal, La grenouille bleue, 2010, 216 p., 22,95 $. Dupuy, Marie-Bernadette, Les ravages de la passion, Chicoutimi, JCL, 2010, 638 p., 26,95 $. Dutremble, Lucy-France, La rue Royale, Tome 2, Au fil de la vie, Saint-Pie, JKA, 2010, 372 p., 24,95 $. Echlin, Kim, Un jour, même les pierres parleront, traduit de l’anglais par Sylvie Nicolas, Montréal, Québec Amérique, coll. « Tous continents », 2010, 256 p., 22,95 $. Fortier, Denis, La disparition du mercure, Montréal, Stanké, 2010, 175 p., 22,95 $. Fortier, Dominique, Les larmes de saint Laurent, Québec, Alto, 2010, 344 p., 24,95 $. Gag non-Thibaudeau, Mar the, Bonheurs dérobés, Chicoutimi, JCL, 2010, 232 p., 14,95 $. Gagnon-Thibaudeau, Marthe, Le bal de coton, Chicoutimi, JCL, 2010, 440 p., 15,95 $. Gallant, Mavis, Rencontres fortuites, traduit de l’anglais par Geneviève Letarte et Alison Strayer, Montréal, Les Allusifs, 2009, 368 p., 24,95 $. Greif, Hans-Jürgen, M., Québec, L’instant même, 2010, 200 p., 24 $. Humphreys, Helen, Conventry, traduit de l’anglais par Louis Tremblay et André Gagnon, Montréal, Hurtubise, 2010, 240 p., 19,95 $. Huston, Nanc y, Inf rarouge, Arles/Montréal, Actes Sud/Leméac, 2010, 320 p., 32,95 $. Kaye, Véronique-Marie, Eulalie la cigogne, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. « Azimuts », 2010, 152 p., 18,95 $. Lacasse, Lise, Pour qui tu te prends, ma fille ?, Montréal, Du Marais, 2010, 308 p., 28 $. Lachance, Micheline, Les filles tombées, Tome 2, Les fantômes de mon père, Montréal, Québec Amérique, coll. « Tous continents », 2010, 408 p., 27,95 $. Lafond, Jérôme, Brigitte des Colères, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 224 p., 19,95 $. Lalancette, Stéphane, Errata, Saint-Pie, JKA, 2010, 240 p., 20,95 $. Lamontagne, Yves, La cinquantaine en Provence, Montréal, Québec Amérique, coll. « Tous continents », 2010, 184 p., 18,95 $. Langlois, Michel, La force de vivre, Tome 2, Les combats de Nicolas et Bernadette, Montréal, Hurtubise, coll. « Roman historique », 2010, 484 p., 27,95 $. Lapierre, Frédéric, La fin de la peur, Montréal, Compte d’auteur ([email protected]), 2010, 140 p., 20 $. Lavoie, Marie-René, La petite et le vieux, Montréal, XYZ, coll. « Romanichels », 2010, 238 p., 24 $. Lewycka, Marina, Deux caravanes, Québec, Alto, 2010, 456 p., 29,95 $. Locas, Janis, La maudite Québécoise. Roman nationaliste, Montréal, Triptyque, 2010, 220 p., 22 $. Lord, Jean-Claude, Parfaitement imparfait, accompagné d’un DVD, Montréal, Libre Expression, 2010, 240 p., 24,95 $. Major, Ginette, Napoléon, Tome 1, L’exil en Amérique, Montréal, VLB éditeur, coll. « Roman », 2010, 334 p., 29,95 $. Michaels, Anne, Le tombeau d’hiver, traduit de l’anglais par Dominique Fortier, Québec, Alto, 2010, 432 p., 27,95 $. Monfils, Nadine, Les fantômes de Mont-Tremblant, Montréal, Québec Amérique, coll. « QS compact », 2010, 240 p., 14,95 $. Mouton, Guy, Confidences en trompe-l’œil, Montréal, Québec Amérique, coll. « Première impression », 2010, 312 p., 19,95 $. Myre, Suzanne, Dans sa bulle, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 416 p., 27,95 $. Nantel, Dominique, L’humain de trop, Montréal, Coups de tête, 2010, 104 p., 14,95 $. Ouellette, Michel, Fractures du dimanche, Sudbury, Prise de parole, 2010,150 p., 16,95 $. Painchaud, Sophie-Julie, Racines du faubourg, Tome 1, L’envol, Laval, Guy Saint-Jean éditeur, 2010, 368 p., 24,95 $. Pelletier, Jean-Jacques, Les Gestionnaires de l’Apocalypse, Tome1, La chair disparue, réédition en grand format, Québec, Alire, 2010, 494 p., 29,95 $. Perron, Jean, Le convoi des nuages, Ottawa, L’Interligne, coll. « Vertiges », 2010, 160 p., 18,95. Picout, Mélanie, Loana, Saint-Pie, JKA, 2010, 496 p., 29,95 $. Pigeon, Daniel, Chutes libres, Montréal, XYZ, coll. « Romanichels », 2010, 160 p., 22 $. Poirier, Philippe Jean, Jos, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 222 p., 19,95 $. Pothier, Johanne, 1779. Tome 2, Trois bêtes à sept têtes, Longueuil, de la Bagnole, coll. « Parking », 2010, 330 p., 24,95 $. Régnier, Michel, Les galets de Hualien, Montréal, Fides, 2010, 200 p., 22,95 $. Segura, Mauricio, Eucalyptus, Montréal, Boréal, 2010, 176 p., 21,95 $. Théoret, France, La femme du stalinien, Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2010, 156 p., 21,95 $. Thúy, Kim, Ru, Montréal, Libre Expression, 2009, 152 p., 19,95 $. Tremblay, Alain Ulysse, Big Will, Montréal, Coups de tête, 2010, 154 p., 16,95 $. Tremblay-D’Essiambre, Louise, Mémoires d’un quartier, tome V, Adrien, Laval, Guy Saint-Jean éditeur, 2010, 320 p., 24,95 $. Vadeboncœur, François, Maria De Colores, Montréal, La grenouille bleue, 2010, 92 p., 22,95 $. Vaillancourt, Isabel, Dans les pas de Caïn, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. « Azimuts », 2010, 176 p., 19,95 $. Verdier, Vic, L’appartement du clown, Montréal, XYZ, 2010, 330 p., 26 $. Werbowski, Tecia, Chambre 26, traduit de l’anglais par Nicole et Émile Martel, Montréal, Les Allusifs, 2010, 80 p., 13,95 $. Werbowski, Tecia, Entre espoir et nostalgie, traduit de l’anglais par Nicole et Émile Martel, Montréal, Les Allusifs, 2009, 120 p., 16,95 $. Yaccarini, Antoine, Magouille au Manoir, Montréal, VLB éditeur, coll. « Roman », 2010, 400 p., 28,95 $. NOUVELLES Allaire, Camille, Celle qui manque, Montréal, Triptyque, 2010, 96 p., 18 $. Bernard, Marie Christine, Sombre peuple, Montréal, Hurtubise, coll. « AmÉrica », 2010, 200 p., 19,95 $. Gruda, Agnès, Onze petites trahisons, Montréal, Boréal, 2010, 296 p., 24,95 $. Lepage, Françoise, Soudain l’étrangeté, Ottawa, David, coll. « Voix narratives », 2010, 132 p., 18,95 $. Thibault, Vincent, Les mémoires du docteur Wilkinson, Montréal, Pleine lune, 2010, 138 p., 20,95 $. CONTES/RÉCITS Allard, Jacques (dir.), Histoires de livres, Montréal, Hurtubise, 2010, 248 p., 19,95 $. Biz, Dérives, Montréal, Leméac, 2010, 94 p., 11,95 $. Bureau, Luc, Il faut me prendre aux maux, Québec, L’instant même, 2010, 180 p., 22 $. Fortin, Arlette, Clara Tremblay chesseldéenne, Longueuil, de la Bagnole, coll. « Parking », 2010, 150 p., 16,95 $. Mc Murray, Line, Sacacomie, Montréal, Québec Amérique, coll. « Mains libres », 2010, 328 p., 27,95 $. Ouimet, Raymond, Crimes, mystères et passions oubliées, Gatineau, Vents d’Ouest, coll. « Asticou », 2010, 264 p., 24,95 $. Raimbault, Alain, Inventaire du Sud, Québec, L’instant même, 2010, 120 p., 18 $. Renaud, Thérèse, L’horizon déployé. Récit d’une quête, Montréal, Fides, 2010, 180 p., 24,95 $. Poésie Belleau, Janick, D’âmes et d’ailes/Of souls and wings, Laval, Éditions du tanka francophone, 2010, 160 p., 20 $. Blanchet, Michel, L’heure mauve, Ottawa, David, coll. « Voix intérieures », 2010, 76 p., 17,95 $. Caccia, Fulvio, Italie et autres voyages, avec des œuvres de François Morelli, Montréal/Paris, Le Noroît/Bruno Doucey, 2010, 88 p., 19,95 $. Callado, Frans Ben, Faire confiance à un animal, Montréal, Poètes de brousse, 2010, 104 p., 15 $. Charlebois, Jean, S’interrompre à tout coup au beau milieu d’une phrase, Montréal, Les Heures bleues, 2010, 110 p., 19,95 $. Christensen, Andrée et Jacques Flamand, Géologie de l’intime, Ottawa, Vermillon, coll. « Rameau du ciel », 2010, 88 p., 14 $. Claer, José, Squatteur d’imaginaire, Ottawa, L’Interligne, coll. « Fugues/Paroles », 2010, 88 p., 12,95 $. Cloutier, Guy, Ces bois qui pleurent, Montréal, Le Noroît, coll. « Lieu dit », 2010, 64 p., 20,95 $. Daoust, Jean-Paul, Carnets de Moncton. Scènes de la vie ordinaire, Moncton, Perce-Neige, coll. « Poésie », 2010, 66 p., 14,95 $. David, Carole, Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles, Montréal, Les Herbes rouges, 2010, 84 p., 14,95 $. Demers, Pierre, La bénédiction des skidoos, Notre-Damedes-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 108 p., 18,95 $. Fave, Nathalie, Un jour derrière l’horizon, Ottawa, L’Interligne, coll. « Fugues/Paroles », 2010, 144 p., 13,95 $. Fréchette, Jean-Marc, Hyacinthe et Apollôn, Montréal, Le Noroît, 2010, 128 p., 19,95 $. Garneau, Michel, Les chevaux approximatifs. Un hommage aux formes, Montréal, l’Hexagone, 2010, 336 p., 29,95 $. Germain, Christine, Soirs menteurs, accompagné sur CD de musiques originales de Martin Tétreault, Montréal, Planète rebelle, coll. « Poésie », 2010, 54 p., 21,95 $. Labrie, Pierre, Mémoires analogues, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 108 p., 18,95 $. Lacombe, Gilles, Les figures résiduelles, Ottawa, L’Interligne, coll. « Fugues/Paroles », 2010, 152 p., 14,95 $. Lalonde, Étienne, Histoires naturelles, Montréal, Les Herbes rouges, 2010, 78 p., 14,95 $. Lamarre, Suzanne, À pieds joints dans la flaque, Ottawa, David, coll. « Voix intérieures Haïkus », 2010, 80 p., 12,95 $. Langlois, Dominique, Mener du train, Moncton, Perce-Neige, coll. « Poésie », 2010, 56 p., 14,95 $. lettres québécoises • automne 2010 • 69 livres reçus Latif-Ghattas, Mona, Miniatures sidérales, avec des œuvres de Teymour Toutounji, Montréal, Le Noroît, 2010, 64 p., 23,95 $. Leblanc, Carmen, Fragments de ciel, Ottawa, David, coll. «Voix intérieures Haïkus », 2010, 72 p., 12,95 $. Leblanc, Georgette, Amédé, Moncton, Perce-Neige, coll. « Poésie », 2010, 88 p., 14,95 $. Létourneau, Michel, Les marges du désert, Montréal, Triptyque, 2010, 65 p., 15 $. Longchamps, Renaud, Visions, Notre-Dame-des-Neiges, TroisPistoles, 2010, 96 p., 18,95 $. Ltaif, Nadine, Ce que vous ne lirez pas, Montréal, Le Noroît, 2010, 104 p., 18,95 $. Malenfant, Paul Chanel, Tombeaux, Montréal, l’Hexagone, coll. « Écritures », 2010, 112 p., 17,95 $. Melançon, Robert, Peinture aveugle, édition revue, Montréal, Le Noroît, 2010, 68 p., 15,95 $. Neveu, Chantal, Coït, Saint-Fulgence, La Peuplade, 2010, 96 p., 19,95 $. Orcel, Makenzy, À l’aube des traversées et autres poèmes, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Poésie », 2010, 120 p., 15 $. Poliquin, Laurent, Orpailleur de bisous, Ottawa, L’Interligne, coll. « Fugues/Paroles », 2010, 80 p., 12,95 $. Quinn, Judy, Six heures vingt, Montréal, Le Noroît, 2010, 66 p., 15,95 $. Rancourt, Jacques, Veilleur sans sommeil, choix de poèmes 1974-2008, Montréal/Paris, Le Noroît, coll. « Ovale »/Le temps des cerises, 2010, 208 p., 19,95 $. Ringuet, Chantal, Le sang des ruines, Prix littéraire JacquesPoirier 2009, Gatineau, Coopérative des Écrits des Hautes Terres, coll. « Cimes », 2010, 112 p., n.d. Rioux, François, Soleils suspendus, Montréal, Le Quartanier, coll. « Série QR », 2010, 104 p., 17,95 $. Simon, Patrick (dir.), Anthologie du tanka francophone, Laval, Éditions du tanka francophone, 2010, 124 p., 20 $. Soucy, Erika, Cochonner le plancher quand la terre est rouge, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 80 p., 17,95 $. Soudeyns, Maurice, Temporel, Saint-Mathias-sur-Richelieu, SGE, 2009, 64 p., 15,95 $. Sylvestre, Robert, Carnet de Miserabilis le Qibis (2001-2009), Montréal, Triptyque, 2010, 64 p., 15 $. Turcotte, Élise, Ce qu’elle voit, Montréal, Le Noroît, 2010, 64 p., 15,95 $. T H É ÂT R E Bisson Rodriguez, Martine, Comédies et plaisir, Ottawa, L’Interligne, coll. « Cavales », 2010, 128 p., 11,95 $. ESSAIS, ÉTUDES LITTÉRAIRES Aird, Robert, Histoire politique du comique au Québec, Montréal, VLB éditeur, coll. « Études québécoises », 2010, 300 p., 29,95 $. Alarie, Donald, Comme on joue du piano, Notre-Dame-desNeiges, Trois-Pistoles, coll. « Écrire », 2010, 128 p., 19,95 $. Almeida, Lilian Pestre de, Aimé Césaire. Une saison en Haïti, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Essai », 2010, 240 p., 24,50 $. Anctil, Pierre, Fais ce que dois. 60 éditoriaux pour comprendre Le Devoir sous Henri Bourassa (1910-1932), Québec, Septentrion, 2010, 392 p., 34,95 $. Baillargeon, Normand, Stéroïdes pour comprendre la philosophie, Montréal, Amérik média, coll. « Stéroïdes pour comprendre », 2010, 280 p., 15,95 $. Beaulieu, Victor-Lévy, La Reine-Nègre et autres textes vaguement polémiques, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 450 p., 29,95 $. Caccia, Fulvio (dir.), La transculture et ViceVersa, Montréal, Triptyque, 2010, 185 p., 26 $. Corten, André et Vanessa Molina, Images incandescentes. Amérique latine. Violence et expression politique de la souffrance, Québec, Nota bene, coll. « Essais critiques », 2010, 212 p., 26,95 $. Désy, Jean, L’esprit du Nord. Propos sur l’autochtonie québécoise, le nomadisme et la nordicité, Montréal, XYZ, coll. « Étoiles variables », 2010, 225 p., 21 $. Gauvin, Lise (dir.), Les littératures de langue française à l’heure de la mondialisation, Montréal, Hurtubise, coll. « Constantes », 2010, 192 p., 19,95 $. 70 • lettres québécoises • automne 2010 Harvey, Valérie, Passion Japon, Québec, Septentrion, coll. « Hamac-carnets », 2010, 190 p., 19,95 $. Julien, Jacques, Archiver l’anarchie. Le capital de 1969, Montréal, Triptyque, 2010, 150 p., 22 $. Leblanc, Carmen, France Martineau et Yves Frenette (dir.), Vues sur les Français d’ici, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Les voies du français », 2010, 286 p., 39,95 $. Levée, Valérie, Stéroïdes pour comprendre les OGM, Montréal, Amérik média, coll. « Stéroïdes pour comprendre », 2010, 192 p., 14,95 $. Meney, Florence, Se réinventer. Visage de la vitalité humaine, Montréal, Québec Amérique, coll. « Dossiers et documents », 2010, 208 p., 19,95 $. Minelle, Christina, La nouvelle québécoise, 1980-1995. Portions d’univers, fragments de récits, Québec, L’instant même, 2010, 240 p., 29,95 $. Miron, Gaston, L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1993, Montréal, l’Hexagone, 2010, 432 p., 29,95 $. Moisan, Clément, Kerouac. L’écriture comme errance, Montréal, Hurtubise, coll. « Constances », 2010, 156 p., 19,95 $. Nadeau, Jean-François, Adrien Arcand, führer canadien, Montréal, Lux éditeur, 2010, 408 p., 29,95 $. Ouellette-Michalska, Madeleine, Imaginaire sans frontières. Des lieux de l’écriture, l’écriture des lieux, Montréal, XYZ, coll. « Documents », 2010, 216 p., 22 $. Pelletier-Baillargeon, Hélène, Olivar Asselin et son temps, Tome 3, Le maître, Montréal, Fides, 2010, 416 p., 34,95 $. Potvin, Carole, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Deux solitudes et un duo, Québec, Nota bene, 2010, 170 p., 23,95 $. Rivard, Yvon, Une idée simple, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2010, 496 p., 25,95 $. Vigneault, Robert, Dialogue sur l’essai et la culture, Québec, PUL, coll. « Cultures québécoises », 2008, 78 p., 26,95 $. Vincent, Sébastien, Ils ont écrit la guerre, Montréal, VLB éditeur, coll. « Études québécoises », 2010, 336 p., 32,95 $. Warren, Louise, Attachements. Observation d’une bibliothèque, Montréal, l’Hexagone, 2010, 184 p., 17,95 $. Watier, François, Stéroïdes pour comprendre le réchauffement climatique, Montréal, Amérik média, coll. « Stéroïdes pour comprendre », 2010, 208 p., 14,95 $. CHRONIQUES Désy, Jean et Rita Mestokosho, Uashtessiu/Lumière d’automne, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Chronique », 2010, 112 p., 19 $. Jack, Joe, L’aveugle aux mille destins, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Chronique », 2010, 160 p., 19,50 $. Laferrière, Dany, Tout bouge autour de moi, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Chronique », 2010, 160 p., 19 $. ENTRETIENS Brezault, Éloïse, Afrique. Paroles d’écrivains, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. « Entretiens », 2010, 412 p., 29,95 $. Bandes dessinées et autres littératures Dompierre, Stéphane et Pascal Girard, Jeunauteur, Tome 2, Gloire et crachats, Montréal, Québec Amérique, coll. « Code Bar », 2010, 144 p., 12,95 $. BIOGRAPHIES Desjardins, Sergine, Robertine Barry, Tome 1, La femme nouvelle, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 450 p., 26,95 $. Nicholson, Georges, André Mathieu, Montréal, Québec Amérique, coll. « Biographie », 2010, 600 p., 29,95 $. BEAUX LIVRES Jacques, Michel, Carnets de la Beauce, avec des tableaux de Gaétane Boucher, Martine Chassé, Marylène Faucher, Guylaine Jacques et Julie Morin, Montréal, Les Heures bleues, coll. « Carnets », 2010, 128 p., 29,95 $. LIVRES DE POCHE Acquelin, José, L’Inconscient du soleil précédé de Chien d’azur, Montréal, Les Herbes rouges, coll. « Territoires », 2010, 192 p., 11,95 $. April, Jean-Pierre, L’herbe est meilleure à Lemieux, Montréal, XYZ, coll. « KompaK », 2010, 142 p., 14,95 $. Barcelo, François, Le seul défaut de la neige, Montréal, XYZ, coll. « KompaK », 2010, 146 p., 14,95 $. Biron, Michel, Élisabeth Nardout-Lafarge et François Dumont, Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, coll. « Boréal compact », 2010, 688 p., 19,95 $. Bouchard, Hervé, Mailloux, histoire de novembre à juin, réédition en poche, Montréal, Le Quartanier, coll. « Ovni », 2010, 168 p., 13 $. Brossard, Nicole, Le désert mauve, Montréal, Typo, 2010, 304 p., 14,95 $. Caron, Pierre, Émilienne, Tome 3, La naissance d’une nation, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2010, 528 p., 14,95 $. David, Michel, À l’ombre du clocher, Tome 1, Les années folles, Montréal, Hurtubise, coll. « Format compact », 2010, 576 p., 16,95 $. De Surmont, Jean-Nicolas, La poésie vocale et la chanson québécoise, Québec, L’instant même, coll. «Connaître», 2010, 168 p., 15 $. Fortier, Dominique, Du bon usage des étoiles, Québec, Alto, coll. « Coda », 2010, 445 p., 17,95 $. Hage, Rawi, Parfum de poussière, traduit de l’anglais par Sophie Voillot, Québec, Alto, coll. « Coda », 2010, 360 p., 17,95 $. Jasmin, Claude, La corde au cou, Montréal, Pierre Tisseyre, coll. « Littérature québécoise », 2010, 194 p., 10,95 $. Laurence, Margaret, Un oiseau dans la maison. Le cycle de Manawaka, traduit de l’anglais par Christine Klein-Lataud, Québec, Alto, coll. « Coda », en collaboration avec Nota bene, 2010, 296 p., 17,95 $. Lévesque, François, Les visages de la vengeance, Québec, Alire, 2010, 320 p., 14,95 $. Noël, Francine, La femme de ma vie, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2010, 192 p., 9,95 $. Phelps, Anthony, Et moi je suis une île, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2010, 80 p., 8,95 $. Potvin, Chantale, Le pensionnaire, Chicoutimi, JCL, coll. « Roman-vérité », 2010, 186 p., 14,95 $. Wright, Eric, La dernière main. Une enquête de Charlie Salter, traduit de l’anglais par Isabelle Collombat, Québec, Alire, coll. « Polar », 2010, 352 p., 14,95 $. REVUES Alibis. Polar, Noir et Mystère, no 34, vol. 9, no 2, «La guerre des ombres », Québec, printemps 2010, 144 p., 10 $. Art Le Sabord, no 85, « Non », deuxième volet du triptyque « Oui, Non, Peut-être », Trois-Rivières, hiver 2010, 64 p., 9,95 $. Cahiers Charlevoix, études franco-ontariennes, no 8, Ottawa, La Société Charlevoix/Les presses de l’Université d’Ottawa, 2010, 254 p., 29,95 $. Contre jour, cahiers littéraires, no 20, « Écrire la pulsion », hiver 2009-2010, 174 p., 12 $. Estuaire, no 140, « Genres, styles. Comme », 2010, 120 p., 10 $. Exit, revue de poésie, no 58, « Poésie catalane : les voix ne dorment jamais », Montréal, Gaz moutarde, 2010, 96 p., 10 $. Globe, revue internationale d’études québécoises, «Images et représentations de la sexualité au Québec », vol. 12, no 2, 2009, 274 p., 20 $. Mœbius, no 124, « Amérindiens », Montréal, automne 2009, 166 p., 10 $. Nuit blanche, no 118, « Le projet de Victor-Lévy Beaulieu : ambitieux, risqué, terrible », Québec, avril, mai, juin 2010, 8,95 $. Ovni magazine, littérature, art, cinéma, bd, no 04, printemps 2010, 72 p., 12 $. Québec français, no 157, « Sport et littérature », Sainte-Foy, printemps 2010, 112 p., 7,95 $. Solaris, Science-fiction et fantastique, no 174, vol. 35, no 4, Québec, printemps 2010, 160 p., 10 $. Spirale, no 231, « Hélène Cixous, ou la fiction du rêver vrai », mars-avril 2010, 66 p., 9,25 $. Virage, la nouvelle en revue, no 51, «Le tiroir secret», Toronto, L’Interligne, printemps 2010, 104 p., 7 $. Virage, la nouvelle en revue, no 52, « Thème libre », Toronto, L’Interligne, été 2010, 104 p., 7 $. Voix et images, « De l’anthologie », vol. XXXV, no 2 (104), hiver 2010, 160 p., 19 $. XYZ. la revue de la nouvelle, « Anthologie : les meilleures d’XYZ depuis un quart de siècle », no 101, printemps 2010, 102 p., 10 $. XYZ. la revue de la nouvelle, « Char : l’automobile comme objet de fiction », no 102, été 2010, 102 p., 10 $. lettres québécoises • automne 2010 • 71 index INDEX DES AUTEURS INDEX DES PHOTOGRAPHES Alarie, Donald, Écrire comme on joue du piano, p. 64 • Allaire, Camille, Celle qui manque, p. 35 • Alto, p. 62 • Amérik Média, p. 62 • Atwood, Margaret, La porte, p. 42 • Beaulieu, Victor-Lévy, La Reine-Nègre et autres textes vaguement polémiques, p. 49 • Bellefeuille, Normand de, Un poker à Lascaux, p. 20 • Ben Callado, Frans, Faire confiance à un animal, p. 40 • Bilodeau, Josée, Incertitudes, p.37 • Biron, Michel, Élisabeth Nardout-Lafarge et François Dumont, Histoire de la littérature québécoise, p. 64 • Biz, Dérives, p. 32 • Boisclair, Antoine, L’École du regard. Poésie et peinture chez Saint-Denys Garneau, • Roland Giguère et Robert Melançon, p. 47 • Bouchard, Hervé, Mailloux, histoire de novembre à juin, p. 64 • Bourgon, Michèle et Vincent Théberge, 30 – Trente — XXX, p. 36 • Brossard, Nicole, Le désert mauve, p. 64 • Caron, Jean-François, Nos échoueries, p. 21 • Carpentier, André, Extraits de café, p. 33 • Charland, Jean-Pierre, Haute-Ville, Basse-Ville, p. 28 • Chassay, Jean-François, Sous pression, p. 22 • Cloutier, Annie, La chute du mur, p. 25 • Corbeil, Guillaume, Pleurer comme dans les films, p. 26 • Courtemanche, Gil, Je ne veux pas mourir, p. 24 • Courtemanche, Gil, Le monde, le lézard et moi, p. 24 • Daoust, Jean-Paul, Carnets de Moncton. Scènes de la vie ordinaire, p. 40 • David, Carole, Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles, p. 44 • Demers, Pierre, La bénédiction des skidoos. Poèmes enragés, p. 41 • Denault, Todd, Jacques Plante. L’homme qui a changé la face du hockey, p. 51 • De Surmont, Jean-Nicolas, La poésie vocale et la chanson québécoise, p. 64 • Dompierre, Stéphane et Pascal Girard, Jeunauteur, tome II, Gloire et crachats, p. 55 • Duhamel-Noyer, Olga, Destin, p. 23 • Echlin, Kim, Un jour, même les pierres parleront, p. 30 • Exit, p. 56 • Faubert, Michel et Michel Hindenoch, Contes et complaintes. Deux voix contemporaines, p. 32 • Forand, Claude, R. I. P. Histoires mourantes, p. 38 • Fortier, Dominique, Du bon usage des étoiles, p. 64 • Gagnon, Maurice, L’Isle silencieuse, p. 28 • Hébert, Louis-Philippe, Buddha Airlines, ou Comment je suis devenu un surhomme, p. 19 • Hotte, Lucie et Guy Poirier (dir.), Habiter la distance. Études en marge de La distance habitée, p. 46 • Jasmin, Claude, La corde au cou, p. 64 • KompaK, p. 62 • La Frenière, JeanMarc, Un feu me hante, p. 45 • Lalonde, Étienne, Histoires naturelles, p. 43 • Laurence, Margaret, Un oiseau dans la maison, p. 30 • Les Donneurs, p. 58 • Lévesque, François, Les visages de la vengeance, p. 65 • Massé, Carole, L’arrivée au monde, p. 22 • Michel, Jacques, Carnets de la Beauce, p. 62 • Miron, Gaston, L’avenir dégagé. Entretiens 1959-1993, p. 49 • Murphy, Serge, La vie quotidienne est éternelle, p. 44 • Noël, Francine, La femme de ma vie, p. 65 • Ouellette, Fernand, L’Abrupt, p. 42 • Ouellette-Michalska, Madeleine, Imaginaire sans frontières. Des lieux de l’écriture, l’écriture des lieux, p.48 • Pelletier, Jean-Jacques, p. 5 • Phelps, Anthony, Et moi je suis une île, p. 65 • Potvin, Chantale, Le pensionnaire, p. 65 • Rondeau, Daniel, J’écris parce que je chante mal, p. 54 • Rousseau, Jacques, ROM Read Only Memory, p. 29 • Sirois, Bob, Le Québec mis en échec. La discrimination envers les Québécois dans la LNH, p. 52 • Spirale, p. 56 • Tapiero, Olivia, Les murs, p. 27 • Théoret, France, Écrits au noir, p. 46 • Tremblay, Dany, Tous les chemins mènent à l’ombre, p. 35 • Tremblay, Michel, La traversée des sentiments, p. 19 • Usereau, Alain, L’époque glorieuse des Expos, p. 52 • Vallières, Claude, J’attendais que tu oses un geste, p. 37 • Vigo, Hector, À la poursuite de Jonas 1, Belle-Bite le hobo, p. 26 • Virages, p. 56 • Voix et images, p. 56 • Werbowski, Tecia, Chambre 26, p. 31 Apostolska, Aline, Martine Doyon, p. 66 • Bellefeuille, Normand de, Martine Doyon, p. 20, 66 • Ben Callado, Frans, Joachim Raginel, p. 40 • Bernard, MarieChristine, Martine Doyon, p. 16, 67 • Bertrand, Claudine, Josée Lambert, p. 68 • Bilodeau, Josée, Martine Doyon, p. 37 • Biz, Chafiik, p. 2, 33 • Caron, JeanFrançois, Nicolas Longpré, p. 2, 21 • Carpentier, André, Martine Doyon, p. 34 • Champeau, Nicole V., Thomas Champeau, p. 67 • Charland, Jean-Pierre, Martine Doyon, p. 2, 28 • Chassay, Jean-François, Martine Doyon, p. 22 • Cloutier, Annie, Sophie Grenier, p. 25 • Corbeil, Guillaume, Jean-Marie Lanlo, p. 26 • Courtemanche, Gil, Dominique Thibodeau, p. 2, 24 • Daoust, Jean-Paul, Robert Houle, p. 40 • David, Carole, Martine Doyon, p. 44 • Dickner, Nicolas, Idra Labrie, p. 67 • Dompierre, Stéphane, Martine Doyon, p. 55 • DuhamelNoyer, Olga, Marie-Reine Mattera, p. 23 • Echlin, Kim, Janet Bailey, p. 31 • Faubert, Michel, Georges Dutil, p. 32 • Gagnon, Maurice, Pilar Macias, p. 28 • Girard, Jean Pierre, Marie Doucet, p. 58; Ysabelle Forest, p. 59 • Girard, Pascal, Martine Doyon, p. 55 • Granger, Isa-Belle, Jean René, p. 68 • Hébert, LouisPhilippe, Christian Hébert, p. 19 • Kaufmann, Stéphanie, Alexandre Parent, p. 68 • Laferrière, Dany, Éléonor Le Gresley, p. 67 • Lalonde, Étienne, Vincent Lafrance, p. 43 • Laurence, Margaret, Ashi Crippen, p. 30 • Lemieux, Jean, Céline Lalonde, p. 67 • Michaud, Andrée A., Martine Doyon, p. 68 • Miron, Gaston, Josée Lambert, p. 15, 50 • Ouellette-Michalska, Madeleine, Alexis K. Laflamme, p. 2, 48, 72 • Pellerin, Gilles, Idra Labrie, p. 16, 66 • Pelletier, Jean-Jacques, Alexis K. Laflamme, page couverture, 1, 5, 8, 11 • Rabagliati, Michel, Jacques Grenier, p. 68 • Rondeau, Daniel, Dominique Lafond, p. 54 • Sirois, Bob, Oliver Hanigan, p. 2, 52 • Tapiero, Olivia, Oliver Hanigan, p. 1, 27 • Thuy, Kim, Benoît Levac, p. 67 • Tremblay, Dany, La grenouille bleue, p. 36 • Tremblay, Michel, Joshua Kessler, p. 19 • Vallières, Claude, Pierrette Lessard, p. 38 • Vigo, Hector, Alexandra Rouleau, p. 26 • Werbowski, Tecia, Marie-Reine Materra, p. 31 Un espace publicitaire dans lettres québécoises ? Contactez MICHÈLE VANASSE, responsable de la publicité [email protected] 72 • lettres québécoises • automne 2010 lettres québécoises À N E PA S M A N Q U E R D A N S LE PROCHAIN NUMÉRO : une entrevue avec MADELEINE no 140 OUELLETTE-MICHALSKA