Eloge d`André FABRE avec Photos

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Eloge d`André FABRE avec Photos
André avait laissé dans son dossier de l’Académie une lettre datée d’août 1998 qui m’était
adressée, « à n’ouvrir qu’à l’annonce de mon décès », lettre dans laquelle il souhaitait que je
prononce son éloge, me demandant de prévoir quelques vers « bien sentis » et ajoutant
« Merci d’avance, Tibi vale cum maxima amicitia, bien à toi, avec toute mon amitié », signée
André FABRE.
Merci à notre Président et à notre Secrétaire Général d’avoir accédé à son souhait.
Chère Madame FABRE, chère Catherine CARRON, cher Monsieur CARRON et votre
famille, c’est une très ancienne et fidèle amitié qui me vaut l’honneur d’évoquer, aujourd’hui
devant vous, la mémoire de notre ancien Président, votre époux, père et grand-père qui nous a
quittés, il y a maintenant un an et demi, le 3 mai 2009.
Chers Collègues, chers amis, Mesdames, Messieurs,
C’est, en effet, une amitié de plus de soixante ans, qui est née lorsque je rentrais, en 1948,
comme interne à la Pharmacie du Groupe Hospitalier Necker-Enfants Malades chez le Doyen
René FABRE. Je venais remplacer notre regretté collègue Georges LE MOAN qui était luimême appelé à remplacer André dans les fonctions de Chef de Laboratoire. André avait, en
effet, pris la décision de quitter la Biologie hospitalière pour la Biologie de ville.
La vie d’André a été profondément marquée par la personnalité et l’exemple de son père et
par un virus particulièrement contagieux que son père lui a transmis, la passion du rugby !
André a gardé toute sa vie l’esprit du « trois quarts aile » qu’il a été, sous le n°14 de l’équipe
de l’ASM, la toujours célèbre Association Sportive Montferrandaise. Il était très attaché à
l’Auvergne, berceau de sa famille paternelle. « Grattez le Parisien, vous trouverez
l’Auvergnat » se plaisait-il à dire souvent. De plus, des ciconstances exceptionnelles ont fait
qu’André, Jean, Marcellin FABRE est né au pays de Vercingétorix le 21 juin 1918 : ses
parents habitaient Paris, mais les bombardements allemands de la « grosse Bertha » sur notre
Capitale décident sa mère, alors enceinte, à se replier sur Clermont-Ferrand auprès de sa
belle-sœur Madame Louise BLANQUET. Sa mère le ramène à Paris dès la fin de la guerre
alors que son père prépare le Pharmacopat et prend en 1920 le poste de Pharmacien-Chef au
GHNEM, où il habitera et fera toute sa carrière hospitalière jusqu’à sa retraite en 1960.
Les résultats des études primaires d’André au lycée Montaigne puis au lycée Buffon ne
donnent pas tous les résultats escomptés par son père, qui décide alors de l’envoyer
pensionnaire dans une école diocésaine de Clermont-Ferrand, le Collège Massillon, sous la
bienveillante protection de sa sœur, Madame Louise BLANQUET.
L’éducation y est solide, stricte et même sévère : la messe tous les matins à 7h et une sortie
par mois, quand on n’était pas puni. André était un meneur dans sa classe et m’a avoué qu’il
avait été souvent privé de sortie. Sa forte personnalité semble s’en être malgré tout fort bien
accomodée, car il y restera huit ans, de la 7ème au Baccalauréat et les souvenirs qu’il en a
gardés ont toujours été aussi enthousiastes. Il reconnaissait avoir bien profité de
l’enseignement de haute qualité, en particulier en littérature latine ou française et de
l’excellente formation générale dont il a pu bénéficier.
Cependant, les meilleurs souvenirs qu’il a gardés, il les doit au sport qui occupait tous ses
temps libres : champion d’Auvergne junior du 100 m plat et membre particulièrement actif de
l’équipe de rugby de l’ASM, où a pu s’exprimer toute sa fougue. La pratique de ce sport
correspondait tout à fait à son tempérament de fonceur, de battant et a ancré en lui toutes les
valeurs de ce sport : esprit de compétition, fair-play, effort sur soi-même, amitié solide et
sincère qui se crée entre membres de l’équipe.
Une fois bachelier il décide, sans oublier le rugby, de faire sa pharmacie et revient chez ses
parents à Paris. Il s’inscrit à la Faculté et après son stage d’une année à la Pharmacie Ravaud,
comme le cursus universtaire le prévoyait autrefois, il poursuit brillamment ses études, il est
plusieurs fois lauréats, et passe le concours de l’internat, promotion 1938, dont le major n’est
autre que son grand ami Robert Moreau. Ils rentrent tous les deux au GHNEM mais la
déclaration de guerre les prend en fin de 3ème année. Ils sont appelés début septembre et
affectés, tous les deux, au Laboratoire de Toxicologie de l’Hôpital de Compiègne. André y
restera les quelques mois de la « drôle de guerre », mais participera ensuite activement à la
« Bataille de France », lors de l’invasion allemande, dans un groupe chirurgical mobile
comme transfuseur. La signature de l’armistice en juin 1940 le prend à Cazals dans le Lot
d’où il est transféré à Clermont-Ferrand située alors en « zone dite libre ». Il y sera démobilisé
en 1941, après avoir fait sa dernière année, obtenu son diplôme de pharmacien et passé un
certificat de Chimie biologique à la Faculté des Sciences de l’Université de Strasbourg qui
s’était repliée sur Clermont. Il revient à Paris et reprend sa place d’interne au GHNEM,
termine sa licence de Sciences à la Sorbonne et passe les certificats de Bactériologie et de
Sérologie.
En 1944, il est nommé Chef de Laboratoire de Chimie pathologique au GHNEM puis passe sa
Thèse de Sciences en Toxicologie à la Sorbonne, intitulée : « Contribution à l’étude du
métabolisme des hydrocarbures cycliques et, en particulier du benzène et du toluène ». A côté
de ses activités hospitalières le matin, il prend l’après-midi la direction du laboratoire de
Toxicologie et d’Hygiène industrielle à la SNECMA de Paris.
Bien qu’inscrit depuis deux ans sur la liste d’aptitude à l’enseignement supérieur pour les
Facultés de Pharmacie qui lui ouvrait une carrière universitaire, il s’oriente en 1949 vers la
Biologie de ville, en reprenant, après le décès de notre ancien collègue de l’Académie Charles
GUILLAUMIN, son Laboratoire d’Analyses médicales situé au 4 de la rue Richer à Paris. Il
le dirigera jusqu’à sa retraite en 1983. Mais la biologie hospitalière lui manque. Il prend alors
en 1958, à mi-temps l’après-midi, la direction du Laboratoire de bactériologie, hémostase et
hématologie, comme Biologiste des Hôpitaux de Paris, dans le Service du Professeur Lucien
LEGER à Lariboisière puis à Cochin. Il y restera 22 ans et finira sa carrière hospitalière après
trois années dans le Laboratoire Central de Bactériologie du Professeur P.NEVOT. Ses
activités de recherches toxicologiques puis de Biologie clinique l’ont conduit à faire une
quarantaine de publications scientifiques et à publier deux ouvrages dans la Collection
« Techniques de base » Dujaric de la Rivière sur « L’analyse bactériologique des liquides et
sérosités pathologiques ».
Malgré cette intense vie professionnelle, et peut-être à cause d’elle, il est appelé à participer
aux activités de nombreuses Sociétés savantes, parmi lesquelles, la société de Chimie
biologique, la société de Médecine et d’Hygiène industrielles, la société des Experts
chimistes, la société de Biologie clinique… et en juillet 1956, l’Académie de Pharmacie qui
n’était pas encore nationale à cette époque, reconnait tous ses mérites et l’élit membre
résidant, avec le parrainage du Professeur Marius PICON et de Ludovic DAVID.
Dès son élection, André sera un membre actif et, oh combien assidu. Il n’aura pas manqué
beaucoup de séances pendant ses 53 ans de vie académique, si ce n’est les derniers mois de sa
vie. Il s’y trouvait très heureux et y avait beaucoup de bons amis. André disait volontiers que
l’Académie était sa seconde famille. Il faut dire aussi que quatre autres membres de sa famille
directe ont fait partie de notre Compagnie : son grand-père maternel Radjik LACROIXHUNKIARBEYENDIAN, pharmacien militaire d’origine arménienne, élu Membre résidant
en 1910, son père, le Doyen René FABRE, élu en 1920 et qui fut Secrétaire général de
l’Académie de 1947 à 1966, sa tante Madame Louise BLANQUET, Professeur de Physique à
la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Clermont-Ferrand, élue Membre correspondant en
1947, et son cousin germain, Paul BLANQUET, Professeur de Physique nucléaire à la Faculté
de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux, élu Membre correspondant en 1964 !
André a participé activement aux travaux de l’Académie, en particulier dans les Commissions
de Biologie et de l’Information, il a assuré la charge de Secrétaire de séances au cours de
l’année 1969, sous la présidence du Professeur Marcel GUILLOT, il a siégé au titre de
l’Académie au Conseil Supérieur d’Hygiène publique de France et à la Commission nationale
de Biologie et surtout, ce qu’il a considéré comme un honneur suprême, il a été élu VicePrésident de l’Académie en 1986, élection le portant de droit à la Présidence en 1987. Il a mis
tous ses talents au service de notre Compagnie, tout son dynamisme, maitrisant bien sa fougue
spontanée, présidant nos séances avec une autorité souriante, en particulier pour que soient
respectés les temps de parole et l’assiduité de nos membres. C’est lui qui a introduit, à la fin
de sa présidence, la carte d’identité académique tricolore que reçoit, depuis, chaque membre à
l’occasion de son élection.
L’Académie n’a pas été la seule à reconnaître ses mérites : les services rendus comme
transfuseur, au cours de la « Bataille de France » en 1940, lui ont valu une citation à l’ordre
de son régiment et l’attribution, après la victoire, de la Croix de guerre 39/45. Il a été fait
Chevalier de l’Ordre national du Mérite, promu Officier en 1994 et notre regretté Collègue
Pierre POTIER lui remit, en 2005, la cravate de Commandeur de l’Ordre national du Mérite
pour honorer sa cinquantième année d’Académie. Il en a été à la fois très honoré, très fier et
très touché.
J’ai dit très touché, car dans le cœur du fougueux rugbyman, il y avait un grand sentimental,
faisant de lui une personnalité très attachante. Fils unique, il avait pour son père une grande
admiration. Quand il nous parlait de son père, il l’appelait affectueusement « le Patron » qui
avait été toujours pour lui un exemple de travail et de droiture et un guide pour sa carrière.
Belle carrière de Biologiste que celle d’André, fruit en effet, de sa compétence, de sa rigueur,
de son sens du devoir et du travail bien fait, prenant tout au sérieux, sauf lui-même. Oui, tout
au sérieux, sauf lui-même : par exemple, André retrouvait régulièrement des anciens de
Massillon et, pour lui témoigner l’amitié qu’ils lui portaient, ils lui ont attribué, il y a juste
quelques années, le poste de « n° 14 dans l’équipe des FOSSILES ANTEDILUVIENS de
l’ASM ». Vous voyez que même plus que séniors, ils ne manquaient pas d’humour et ne se
prenaient pas trop au sérieux, André le premier, à qui ce geste avait fait un immense plaisir.
Grande sensibilité aussi car il aimait la littérature, la poésie, récitant tirades ou poèmes ou
faisant des citations latines qu’il avait si bien assimilées pendant ses études au Collège
Massillon. Il aimait aussi taquiner la muse et a écrit quelques poèmes surtout à l’occasion des
rencontres avec ses anciens amis de Clermont-Ferrand. Je ne résiste pas à vous citer le dernier
quatrain d’un poême sur l’amitié particulièrement de circonstance en ce jour :
« Si nous sommes ensemble, étant là aujourd’hui »
« A partager l’instant d’une pensée fidèle, »
« Nous sommes très heureux, car il n’est pas d’oubli, »
« Une amitié sincère est vraiment éternelle. »
L’amitié était pour lui une valeur fondamentale, qu’il a mise en pratique et partagée au cours
des différentes étapes de sa vie, avec sincérité et fidélité. Avec André, les relations amicales
étaient toujours directes ; il avait son franc-parler, parfois son très franc-parler, sans langue
de bois, sans concession mais sans rancune. L’amitié était pour lui une de ses joies de vivre.
En salle de garde, où il revenait de temps en temps après avoir quitté l’hôpital, en particulier,
chaque année, pour le tonus du Patron, il était heureux de retrouver l’ambiance amicale et
chaleureuse dans laquelle il avait vécu quelques années auparavant. Alors, nul n’avait son
pareil pour animer le tonus. Doué d’une grande mémoire, il connaissait tous ses classiques et
remportait un franc succès lorsqu’il racontait les prouesses de Madame FURINA,
démonstrations à l’appui.
Nous évoquions tous ces souvenirs quand je venais le voir à l’Hôpital Henri Dunant où il a
passé les derniers mois de sa vie. Mais nous parlions aussi de choses plus sérieuses. Il
abordait avec beaucoup de lucidité et de sérénité son départ pour l’au-delà. Ultimes gestes de
générosité, il avait décidé de faire un legs à l’Académie pour créer le Prix René et André
FABRE, récompensant des travaux de Toxicologie et de Biologie médicale, mais aussi
immense générosité de faire don de son corps à la Science. Il avait lui-même rédigé son fairepart de décès, il ne manquait que la date. Ce faire-part se terminait par une citation latine :
« In paradisum deducant te angeli »
« Que les anges te conduisent au Paradis ».
Tous les amis d’André sont persuadés que les anges ont bien fait leur travail !
Cher André,
« Tu souhaitais que j’écrive quelques vers bien sentis, »
« Et je vais, pour ce faire, laisser parler mon cœur, »
« Je n’ai pas ton talent…, j’ai voulu aujourd’hui »
« D’abord, te rendre hommage, et te dire grand merci »
« Hommage à ta carrière, brillante, en Biologie. »
« Tu lui as consacré le plus clair de ta vie, »
« Suivant avec bonheur l’exemple de ton père, »
« Rigueur pour le travail…, passion pour le rugby »
« A toi, un grand merci de notre Académie, »
« Ta seconde famille. Tu l’as fièrement servie : »
« Actif Président, souriante autorité, »
« Certes aussi franc-parler, mais fidèle amitié. »
« Tu nous laisses un message : Servir l’Académie, »
« Unir nos compétences comme nos convictions, »
« Le faire dans l’amitié, c’est ce que tu nous dis. »
« Ton message, cher André, nous nous en souviendrons. »
François BOURILLET
Séance du 6 octobre 2010