Mortalité et causes de déc`es dans la schizophrénie : étude
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Mortalité et causes de déc`es dans la schizophrénie : étude
L’Encéphale (2008) 34, 54—60 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep ÉPIDÉMIOLOGIE Mortalité et causes de décès dans la schizophrénie : étude prospective entre dix et 14 ans d’une cohorte de 150 sujets Mortality among chronic schizophrenic patients: A prospective 14-year follow-up study of 150 schizophrenic patients G. Loas ∗, A. Azi, C. Noisette, V. Yon Service universitaire de psychiatrie, hôpital Pinel, 80044 Amiens cedex 01, France Reçu le 13 novembre 2006 ; accepté le 7 mars 2007 Disponible sur Internet le 5 septembre 2007 MOTS CLÉS Mortalité ; Schizophrénie ; Suicide ; Symptômes négatifs ; Étude prospective ; Neuroleptiques ∗ Résumé L’objectif de l’étude est, d’une part, d’étudier la mortalité d’une cohorte de 150 sujets présentant une schizophrénie chronique suivis pendant 14 ans et, d’autre part, de rechercher des variables prédictives de la survie. Cent cinquante sujets présentant une schizophrénie chronique (research diagnostic criteria, RDC) ont été inclus entre 1991 et 1995 et réévalués en mai 2005. À l’inclusion, la symptomatologie clinique a été évaluée par l’échelle brève d’évaluation psychiatrique (BPRS), l’échelle d’évaluation des syndromes positifs et négatifs (PANSS) et l’inventaire abrégé de dépression de Beck (BDI). Différents taux de mortalité ont été calculés dont le taux absolu à partir de la méthode de Kaplan-Meier et le ratio de mortalité standardisé (RSM). La valeur prédictive de différentes variables a été testée par une régression multiple selon le modèle de Cox. Dans les analyses ont été distinguées la mortalité globale et celle par suicide. Le taux de mortalité absolu est de 18,57 % avec un RSM de 4,83. Le taux de mortalité absolu par suicide est de 6,98 %. Une proportion élevée de sujets masculins, une dose importante en neuroleptiques expliquent notamment la mortalité globale des schizophrènes. Une dose élevée de neuroleptiques et une proportion élevée de sujets classés « positifs » selon l’indice composite de la PANSS sont prédictives de la mortalité par suicide. Cette étude de suivi d’une cohorte de sujets ayant une schizophrénie chronique montre une surmortalité importante d’origine naturelle et non naturelle. © L’Encéphale, Paris, 2008. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Loas). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2007.07.005 Mortalité et causes de décès dans la schizophrénie : étude prospective KEYWORDS Schizophrenia; Mortality; Suicide; Negative symptoms; Prospective study; Neuroleptics 55 Summary Objective. — The aim of this study was to quantify the mortality risk in chronic schizophrenic patients, ten to 14 years after the initial evaluation. Furthermore, using sociodemographical, clinical and psychometrical variables evaluated at inclusion, predictors of global or mortality by suicide were explored. Methods. — One hundred and fifty subjects meeting the research diagnostic criteria (RDC) for chronic schizophrenia were included in the study between 1991 and 1995. At the initial assessment, the following variables were assessed: sex, age, level of education, number of hospitalisations, mean duration of the illness, scores on the physical anhedonia scale, the brief psychiatric rating scale (BPRS), the positive and negative syndrome scale (PANSS), and Beck’s depression inventory (BDI). In May 2005, all the subjects were assessed using direct or indirect methods. Survival analysis was conducted using the Kaplan—Meier product-limit estimator and a standardized mortality ratio (SMR) was calculated. Multivariate Cox regression was performed to detect predictive factors associated with mortality. Results. — The absolute mortality rate was of 18.57% and the RSM of 4.83. The absolute mortality rate for suicide was 6.98%. Multivariate Cox regression analyses showed that two factors (high rate of males, high dose of antipsychotics) were related to an increase in global mortality risk. Moreover, high dose of antipsychotics and a high rate of ‘‘positive’’ subjects, as evaluated by the PANSS, were related to an increase in mortality risk by suicide. Conclusion. — High dose of neuroleptics could characterize the severe form of schizophrenia, the risk of mortality of which was higher than that of the less severe forms. Another explanation was that high doses of neuroleptics could lead to severe side effects and thus an increase in the vulnerability of schizophrenics to organic diseases. Positive, contrary to negative, symptoms could increase the risk of suicide. This 14-year follow-up study confirmed the increased mortality rates by natural and non natural causes observed in chronic schizophrenic subjects. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction De nombreuses études effectuées dans des pays différents ont montré une mortalité deux à trois fois plus importante chez les sujets schizophrènes par rapport à la population générale [4,20]. Cette surmortalité est attribuée aux causes non naturelles, essentiellement le suicide, mais aussi aux causes naturelles comme les maladies cardiovasculaires, cérébrovasculaires ou les maladies des voies respiratoires [4]. Parmi les causes des morts naturelles, les auteurs ont notamment proposé la méconnaissance d’une maladie somatique, l’existence d’une addiction (alcool ou drogues), un style de vie malsain, un refus ou une mauvaise compliance au traitement d’une pathologie somatique et le traitement par neuroleptiques [3]. La majorité des études sur la mortalité de la schizophrénie présentent l’inconvénient de ne pas inclure une évaluation de la symptomatologie utilisant les techniques de la psychopathologie quantitative (échelles ou questionnaires) lors de l’inclusion des patients. Par ailleurs, certaines études utilisent exclusivement des certificats ou registres de décès pour en connaître les causes, l’information donnée par ces derniers pouvant ne pas toujours être fiable. Nous avons constitué, entre 1991 et 1995, une cohorte de 150 sujets schizophrènes chroniques afin d’étudier plusieurs dimensions en psychopathologie, notamment l’anhédonie. Les sujets ont fait l’objet d’une évaluation clinique approfondie basée notamment sur des échelles d’évaluation. Suivie régulièrement, nous nous sommes intéressés à la mortalité de cette cohorte en mai 1999 avec pour principal résultat une mortalité 3,8 fois supérieure à celle de la population générale de référence [2]. Poursuivant le suivi, nous avons décidé de nous intéresser au taux de mortalité de cette cohorte en prenant comme date point le mois de mai 2005. L’inconvénient de la non-représentativité de la cohorte quant à la population des sujets schizophrènes chroniques nous a semblé compensé par la possibilité d’étudier le caractère prédictif des variables cliniques et psychométriques recueillies à l’admission et par la fiabilité de l’information des causes de décès obtenues par plusieurs sources. L’objet de la présente étude est, d’une part, d’étudier la mortalité d’une cohorte de 150 sujets ayant une schizophrénie chronique suivis pendant une durée de 10 à 14 ans et, d’autre part, de préciser si certaines variables cliniques et psychométriques recueillies à l’inclusion constituent des variables prédictives. Méthode Sujets La cohorte ayant été décrite à plusieurs reprises [2] nous en présenterons les caractéristiques principales. Entre 1991 et 1995, 150 sujets présentant une schizophrénie chronique selon les critères diagnostiques de recherche de Spitzer et al. (research diagnostic criteria [RDC], [23]) ont été inclus. Les sujets étaient, soit hospitalisés, soit suivis en consultation à partir de la file active de plusieurs services sectorisés de psychiatrie de deux hôpitaux psychiatriques situés à Amiens ou à Clermont-de-l’Oise. Les critères d’exclusion 56 G. Loas et al. étaient les suivants (selon les RDC) : un trouble dépressif majeur, un trouble schizo-affectif, une dépendance à l’alcool ou à une substance psycho-active, une maladie organique sévère et une oligophrénie. Les sujets hospitalisés étaient rencontrés vers la fin du séjour hospitalier afin de n’évaluer que des sujets stabilisés sur le plan clinique. Échelles et questionnaires Un certain nombre de variables cliniques étaient recueillies (Tableau 1) et les sujets remplissaient plusieurs échelles : l’échelle d’anhédonie physique de Chapman et al. (PAS, [7]), l’échelle de plaisir physique (FCPCS-PP, [16]), l’échelle de déplaisir physique (HDCS-PD, [16]), l’inventaire abrégé de dépression de Beck (BDI, [1]). La symptomatologie schizophrénique était évaluée par l’échelle brève d’évaluation psychiatrique (BPRS, [21]) et par l’échelle d’évaluation des syndromes positifs et négatifs (PANSS, [13]). En utilisant l’indice composite de la PANSS (score positif—score Tableau 1 Caractéristiques sociodémographiques, cliniques et psychométriques de la cohorte (n = 150) au moment de l’inclusion. Sexe Femmes Hommes Âge (an) 63 (41,89 %) 87 (58,11 %) 38,88 (ET = 10,23) Statut Hospitalisés Ambulatoires 123 (82 %) 27 (18 %) Niveau éducatif Inférieur au baccalauréat Supérieur au baccalauréat 131 (87,33 %) 19 (12,67 %) Âge de début (an) Durée de la maladie (an) Nombre d’hospitalisations PAS FCPCS-PP HDCS-PD BPRS PANSS-positif PANSS-négatif PANSS-général BDI 24,11 (ET = 7,32) 14,80 (ET = 9,66) 9,60 (ET = 9,89) 22,93 (ET = 8,79) 79,33 (ET = 14,74) 25,84 (ET = 8,84) 43,94 (ET = 9,96) 17,4 (ET = 5,98) 21,95 (ET = 6,61) 10,54 (ET = 3,55) 9,96 (ET = 8,17) Sous-groupe Positif Négatif 34 (23,45 %) 111 (76,55 %) Sous-groupe Non déficitaire Déficitaire 119 (80,41 %) 29 (19,59 %) Neuroleptiques (équivalent chlorpromazine en mg/l) 384 (ET = 371,23) PAS : échelle d’anhédonie physique de Chapman ; FCPCS-PP : échelle de plaisir physique ; HDCS-PD : échelle de déplaisir physique ; BPRS : échelle brève d’appréciation psychiatrique ; PANSS : échelle d’évaluation du syndrome positif et négatif ; BDI : inventaire abrégé de dépression de Beck. négatif), les sujets étaient dichotomisés en « positifs » ou en « négatifs ». Par ailleurs, à partir de la BPRS, un sous-score proposé par Kirkpatrick et al. (proxy deficit syndrome, PDS, [14]) permettait de diagnostiquer le syndrome déficitaire selon Carpenter et al. [5]. L’ensemble des échelles utilisées présentaient des propriétés psychométriques satisfaisantes (validité et fidélité) pour les versions françaises. En mai 2005, des informations sur le statut (vivant ou décédé) pour l’ensemble de la cohorte ont été recherchées. Un psychiatre en fin de formation (A.A) a effectué l’ensemble du travail de recueil de ces données. Pour une majorité de patients, les informations étaient disponibles, soit parce qu’ils étaient toujours suivis par le service de psychiatrie dans lequel ils se trouvaient à l’inclusion, soit parce que leurs décès avaient été documentés notamment lorsqu’ils étaient survenus à l’hôpital. Pour certains patients qui n’étaient plus suivis par les différents services, nous avons eu recours à la mairie de naissance qui permet, à partir de l’acte de naissance, de savoir si un sujet est vivant ou décédé. Ce dernier recours nous a permis d’avoir une exhaustivité de 100 % quant au statut des sujets schizophrènes. Les causes de décès ont été déterminées à partir des certificats de décès avec un recoupement systématique en utilisant les informations de l’entourage. En cas de décès à l’hôpital, le psychiatre traitant et le personnel infirmier ont été interrogés. Pour les décès en dehors de l’hôpital, les personnes proches et les médecins traitants ont été interrogés. L’ensemble des décès a pu être réparti en décès non naturels et en décès de causes naturelles. Dans ce dernier cas, la cause du décès n’a pu être confirmée par un examen anatomopathologique, ces derniers étant rarement pratiqués en dehors des situations médicolégales. Analyses statistiques Taux de mortalité Il peut être déterminé par plusieurs indices. Taux absolu de mortalité. Il correspond au pourcentage de décès obtenu en faisant le rapport entre le nombre de décès et le nombre de sujets de la cohorte. Il est possible de déterminer un taux absolu déduit par soustraction de 1 du taux de survie obtenu par la méthode de Kaplan-Meier. Taux brut de mortalité. Il est obtenu en divisant le nombre de décès au cours d’une période de temps divisé par l’effectif moyen de la population étudiée pendant cette période. Il est estimé en taux pour mille habitants. Ce taux brut de mortalité peut aussi être calculé par le principe du nombre de personnes années. Pour pouvoir, d’une part, tenir compte des caractéristiques des cohortes, notamment en âge et en sexe, et d’autre part, comparer la mortalité des cohortes par rapport à celles des populations de référence les auteurs ont développé des méthodes de standardisation directe ou indirecte. Méthode de standardisation directe. Elle permet de calculer le taux théorique de mortalité de la population générale de référence en appliquant le taux de mortalité par classe d’âge de la cohorte à chaque classe de la population de référence. Mortalité et causes de décès dans la schizophrénie : étude prospective 57 Méthode de standardisation indirecte. Elle est appelée aussi ratio de mortalité standardisé (RSM) et donne le rapport entre les décès observés et les décès théoriques dans la cohorte. Étude de l’influence potentielle de certaines variables sur le taux de mortalité Dans un premier temps, nous avons effectué des tests univariés (khi carré ou t de Student) pour repérer les variables différenciant les groupes. Les comparaisons ont concerné, d’une part, les sujets vivants comparés à l’ensemble des sujets décédés et, d’autre part, les sujets vivants comparés aux sujets morts par suicide. Dans un second temps, les variables significatives à p < 0,1 ont été introduites dans une analyse en régression multiple selon le modèle de Cox (proportional hazard Cox regression). Ce modèle de régression multiple est basé sur l’analyse de la survie et tient compte de la durée d’observation. Les statistiques ont été effectuées en utilisant le logiciel Statistica (version 4,1 pour Macintosh). Résultats Vingt-cinq sujets sont décédés dont huit par suicide sur les 150 de la cohorte. Le pourcentage de décès est de 16,67 % ce qui correspond aux taux absolu de mortalité. Le taux absolu de mortalité par suicide est de 5,33 %. Le taux de survie est de 81,43 % à 14 ans selon l’analyse en Kaplan-Meier ce qui correspond à un taux absolu de mortalité de 18,57 % (Fig. 1). En ce qui concerne le suicide, le taux de survie est de 93,02 % à 14 ans ce qui correspond à un taux absolu de mortalité de 6,98 % (Fig. 2). Nous retiendrons les valeurs de 18,57 % et de 6,98 % pour la discussion. Le taux brut de mortalité est de 12,30 pour mille. Le taux brut de mortalité par suicide est de 3,81 pour mille. Les taux bruts de mortalité des hommes est de 16,42 pour mille et celui des femmes est de 5,67 pour mille. Les taux bruts de mortalité des hommes et des femmes en population française sont respectivement de 7,7 pour mille et 3,9 pour mille. La différence est significative pour les hommes mais pas pour les femmes entre les taux bruts de mortalité de la cohorte et celui de la France. Figure 2 Courbe de survie selon la méthode de Kaplan-Meier pour les décès par suicide. La méthode de standardisation directe donne un taux théorique de mortalité de 28,76 pour mille alors que le taux de mortalité de la population française est de 9,2 pour mille (en 1991). Le rapport entre les deux taux est de 3,13, ce qui montre qu’en appliquant la répartition en classes d’âge de notre cohorte à celle de la population française on obtient un taux de mortalité dans notre cohorte supérieur à trois fois le taux officiel de la population française. Le ratio de mortalité standardisé (RSM) est de 4,83. Les 25 décès (20 hommes, cinq femmes) se répartissent en 15 causes naturelles (60 %) et dix non naturelles (40 %). Les 15 morts par causes naturelles (12 hommes, trois femmes) se répartissent en sept pathologies cardiovasculaires, trois néoplasies, une pathologie infectieuse (sida), un état de mal épileptique, une asphyxie par fausse route, une hypothermie et une pathologie digestive. Parmi les dix causes non naturelles, on observe huit suicides (six hommes, deux femmes), un accident de la voie publique et un homicide. Les méthodes pour le suicide sont : trois noyades, deux intoxications volontaires (médicaments ou gaz), une pendaison, une arme à feu, une indéterminée. Nous avons comparé, d’une part, l’ensemble des sujets décédés aux vivants, et d’autre part, les sujets suicidés par rapport aux vivants pour l’ensemble des variables sociodémographiques, cliniques et psychométriques du Tableau 1. Comparaison des 25 sujets décédés aux 125 sujets survivants Figure 1 Courbe de survie selon la méthode de Kaplan-Meier pour l’ensemble des décès. Les sujets décédés ont reçu un traitement neuroleptique plus important que les survivants. Les valeurs sont respectivement de 631,84 (ET = 659,11) et de 334,43 (ET = 258,17) (t (148) = 3,82 ; p = 0,0002). La proportion d’hommes parmi les sujets décédés est plus importante que chez les survivants. Les pourcentages respectifs sont de 80 % et de 53,6 % (2 (1) = 5,96 ; p = 0,015). Deux autres différences n’atteignent pas la significativité : les sujet décédés ont une durée d’évolution de la maladie plus élevée que les survivants, les valeurs sont respectivement de 17,75 (ET = 11,71) et de 14,24 (ET = 9,16) (t (148) = 1,64 ; p = 0,10). Les scores à la BPRS des sujets décédés sont plus faibles que ceux des survivants. Les 58 valeurs sont respectivement de 40,88 (ET = 10,77) et de 44,55 (ET = 9,72) (t (148) = 1,69 ; p = 0,09). Nous avons introduit les quatre précédentes variables dans le modèle de Cox qui permet d’étudier l’influence respective de chaque variable sur la survie. Le test est significatif (2 (4) = 24,91 ; p = 0,00005). À l’exception de la durée d’évolution, les variables sont significatives. La proportion plus élevée d’hommes, une dose plus importante de neuroleptiques, un score faible à la BPRS sont associés significativement à une survie plus faible. Comparaison des huit sujets décédés par suicide aux 125 survivants Les sujets suicidés ont reçu un traitement neuroleptique plus important que les survivants. Les valeurs sont respectivement de 529 (ET = 310,85) et de 334,43 (ET = 258,17) (t (131) = 2,04 ; p = 0,04). La proportion de sujets classés « positifs » selon l’indice composite de la PANSS est significativement plus importante chez les sujets suicidés que chez les sujets survivants. Les valeurs sont respectivement de 62,5 % et de 22,1 % (2 (1) = 4,59 ; p = 0,0032). Une autre différence n’atteint pas la significativité. Les sujets suicidés ont un score plus faible à l’échelle négative de la PANSS par rapport aux survivants. Les valeurs sont respectivement de 17,87 (ET = 5,19) et de 22,25 (ET = 6,64) (t (131) = 1,83 ; p = 0,07). Nous avons introduit les précédentes variables, à l’exception du score négatif à la PANSS redondant par rapport à l’indice composite, dans le modèle de Cox qui permet d’étudier l’influence respective de chaque variable sur la survie. Le test est significatif (2 (2) = 8,73 ; p = 0,013). Les deux variables sont significatives. Ainsi, pour les décès par suicide, une proportion plus importante de sujets « positifs » et une dose élevée en neuroleptiques sont associées à une survie plus faible. Discussion Notre étude montre une surmortalité de notre cohorte de sujets schizophrènes par rapport à la population générale avec un RSM de 4,83. Ces valeurs sont plus élevées que celles notées dans de nombreuses études. Une méta-analyse publiée en 1997 sur la mortalité de la schizophrénie objectivait un RSM de 1,5 pour toutes les causes de décès [4]. Des études plus récentes notaient un RSM de 2,4 pour les femmes et 2,8 pour les hommes lors d’une étude de la mortalité de la schizophrénie de la ville de Stockholm [20]. En Italie, la mortalité étudiée de cinq à 21 ans après l’admission à hôpital d’un groupe de 655 sujets présentant une schizophrénie ou un autre trouble psychotique se caractérisait par un SMR de 3,11 [22]. En France, une étude de suivi sur trois ans d’une cohorte de 3500 sujets schizophrènes répondant aux critères de la catégorie F20 de la CIM-10 trouvait une valeur proche de la notre (RSM = 4,5) [6]. Plusieurs auteurs ont critiqué l’utilisation des RSM car ces indices sont liés, par définition, aux taux de mortalité dans la population générale [8]. Le taux absolu de mortalité de notre cohorte est de 18,57 %. G. Loas et al. Ces taux sont plus élevés que ceux observés dans les différents pays étudiés lors de l’étude internationale sur la schizophrénie [10]. Dans cette étude utilisant des courbes de survie, la mortalité absolue variait entre 3 et 14 % à dix ans dans différents pays d’Europe, des États-Unis ou de l’Asie. Une étude sur la mortalité des schizophrènes après une première hospitalisation notait une mortalité absolue selon la courbe de survie de 5,5 % sur dix ans [8]. Deux études récentes effectuées dans des pays en voie de développement objectivaient des taux de mortalité absolue de 20,3 % sur 11 ans à Bali [15] et de 17 % sur un suivi de 20 ans en Inde [24]. Il est important de noter que les taux plus élevés observés dans notre cohorte peuvent s’expliquer par notre recrutement de sujets chroniques dont la durée de la maladie à la date d’inclusion dans l’étude était de plus de 14 ans en moyenne. La proportion de décès par causes naturelles (60 %) est proche de celle mentionnée par d’autres études. Une métaanalyse publiée en 1997 objectivait 59 % de causes naturelles parmi les décès observés chez les schizophrènes [4]. Des études plus récentes [20,3,6,12] notaient de 47 à 75 % de décès pour causes naturelles. Parmi les causes de morts naturelles, nous retrouvons surtout les affections cardiovasculaires avec une proportion de 40 % (six sur 15). Cette proportion est comparable à celles de nombreuses études avec des taux entre 50 et 60 % [4,20,12]. L’intérêt principal de notre étude est l’étude du caractère prédictif de certaines variables. En ce qui concerne la mortalité globale, trois variables sont indépendamment associées à une mortalité plus élevée. La proportion élevée d’hommes est associée à une mortalité élevée. Alors que cette proportion représente 58,11 % de la cohorte, elle passe à 80 % parmi les sujets décédés. Cette surreprésentation masculine concerne toutes les causes de décès. Ce résultat confirme ceux de nombreuses études [3,22,12]. Il est intéressant de noter que la première étude de notre cohorte [2] après un recul de huit ans ne montrait pas de différence significative selon le sexe. Ce résultat négatif pourrait s’expliquer par un manque de puissance des tests étant donné le faible nombre de sujets de la cohorte, la durée faible de suivi et, corrélativement, le faible nombre de décès. Une dose moyenne importante en neuroleptiques est associée à une mortalité plus élevée. Plusieurs explications peuvent être proposées. Une dose importante en neuroleptiques pourrait être liée à une plus grande sévérité de la maladie, cette sévérité expliquant à elle seule la surmortalité. Le traitement neuroleptique peut être un facteur contributif à la mortalité dans le cas des décès par fausse route ou par épilepsie [19]. Dans les affections respiratoires, les décompensations de la fonction ventilatoire sont favorisées par les neuroleptiques [19]. Enfin, des décès par arythmies, spasmes laryngés peuvent être imputés aux neuroleptiques [18]. Notre étude ne nous a pas permis d’étudier l’effet potentiel différentiel des différents types de neuroleptiques sur la mortalité. Une étude sur quatre ans de 3474 sujets schizophrènes a montré que le groupe des thioxanthènes était associé à une surmortalité globale [18]. Mortalité et causes de décès dans la schizophrénie : étude prospective Un score plus faible à la BPRS est associé à une mortalité plus importante. Ce résultat est difficile à interpréter, notamment lorsque l’on prend en compte le peu de différence en valeur absolue entre les deux scores moyens (44 et 41, respectivement) pour les sujets survivants et décédés. En ce qui concerne la mortalité par suicide, nous observons, comme pour la mortalité globale, un effet d’une dose élevée de neuroleptiques. Deux explications semblent plausibles : d’une part, cette dose élevée pourrait être à l’origine de syndromes dépressifs à l’origine d’une augmentation du risque suicidaire ; d’autre part, les sujets recevant une dose élevée pourraient être les plus symptomatiques ce qui renvoie au second facteur prédictif. Une étude prospective de 4,5 ans chez 75 sujets présentant une schizophrénie ou un trouble schizo-affectif et chez 32 patients bipolaires a montré que les sujets schizophrènes recevant des neuroleptiques présentaient plus de syndromes dépressifs que ceux n’en prenant pas [11]. La proportion, selon l’indice composite de la PANSS, de sujets classés « positifs » à l’inclusion parmi les sujets suicidés était de 62,5 % pour une valeur de 22,1 % chez les sujets survivants. Ce résultat original confirme plusieurs études montrant que le risque de suicide est plus élevé dans les formes productives que dans les formes déficitaires de la schizophrénie. Une étude prospective sur 19 ans [9] sur un groupe de sujets présentant une schizophrénie ou un trouble apparenté a montré que les sujets suicidés présentaient à l’inclusion un score significativement plus bas à l’échelle négative de la PANSS par rapport aux sujets toujours vivants. L’une des limites de cette étude était liée au remplissage rétrospectif de la PANSS. Une étude récente d’autopsie psychologique a comparé, parmi un groupe de 81 sujets présentant une schizophrénie ou un trouble psychotique chronique, les 45 sujets morts par suicide aux 36 sujets toujours vivants. Les sujets morts par suicide étaient significativement moins négatifs, selon le score à une échelle issue de l’axe I du DSM-IV, que les survivants [17]. Notre étude présente plusieurs insuffisances. La cohorte n’est pas représentative de l’ensemble des schizophrènes. Ainsi, les critères d’exclusion ont éliminé à l’admission les sujets présentant une addiction. Nous n’avons inclus que des sujets schizophrènes chroniques pouvant remplir des autoquestionnaires. Par ailleurs, notre cohorte présente une surreprésentation des niveaux éducatifs faibles ou moyens comme cela est caractéristique des hôpitaux psychiatriques en France. Certaines variables n’ont pas été étudiées, comme le tabagisme. Le traitement a été évalué à l’admission alors que des modifications postérieures ont vraisemblablement été effectuées. Nous avons utilisé la conversion en équivalent chlorpromazine des différents neuroleptiques ce qui peut être contesté au profit d’une répartition en classes de ces mé dicaments. La faiblesse de l’effectif (150) et la durée de suivi, de dix à 14 ans, explique la faiblesse en valeur absolue du nombre de morts et, corrélativement, la possibilité de faux négatifs par manque de puissance statistique des tests. Enfin, aucune évaluation anatomopathologique n’a été faite ce qui aurait 59 permis en dehors des morts non naturelles d’affirmer de manière certaine la cause de la mort. Remerciements Nous remercions l’ensemble des chefs de service des deux hôpitaux (Pinel et Clermont-de-l’Oise) qui nous ont permis de mener à bien cette étude. Références [1] Beck AT, Beamesderfer A. Assessment of depression: the depression inventory. Mod Probl Pharmacopsychiatry 1974;7:151—69. [2] Bralet MC, Yon V, Loas G, et al. Cause de la mortalité chez les schizophrènes : étude prospective sur huit ans d’une cohorte de 150 schizophrènes. Encéphale 2000;26:32—41. [3] Brown S, Inskip H, Barraclough B. Causes of the excess mortality in schizophrenia. Br J Psychiatry 2000;177:212—7. [4] Brown S. Excess mortality of schizophrenia: a meta-analysis. Br J Psychiatry 1997;171:502—8. [5] Carpenter WT, Heinrichs DW, Wagman AMI. Deficit and nondeficit forms of schizophrenia: the concept. Am J Psychiatry 1988;145:578—83. 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