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économie industrielle recherche hec Concurrence à deux niveaux Mettre un terme aux oligopoles Comment obtenir des marchés concurrentiels quand les entreprises qui y vendent un bien final maîtrisent aussi les facteurs de production (comme c’est le cas avec les poids lourds de la téléphonie mobile en France) ? Pour Johan Hombert et ses co-auteurs, la solution ne peut pas se résumer à forcer les firmes intégrées à fournir les facteurs de production à d’autres firmes isolées. Johan Hombert B IOGRAPHIE Johan Hombert a rejoint HEC Paris en 2010 après avoir travaillé pour l’INSEE et enseigné à l’ENSAE (Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique), dont il est diplômé. Titulaire d’un doctorat d’économie de la Toulouse School of Economics, il est aussi diplômé de l’Ecole Polytechnique. Ses recherches portent sur les frictions sur les marchés financiers, l’entrepreneuriat et l’organisation industrielle. 1 • avril-mai 2012 Johan Hombert et ses co-auteurs se sont intéressés à la concurrence sur les marchés où les firmes sont intégrées verticalement : elles produisent à la fois le facteur de production – le réseau qu’elles possèdent dans le cas de la téléphonie mobile – et le bien final – les forfaits qu’elles proposent. “Nous avions en tête l’industrie des télécoms quand nous avons commencé ce travail, autour de 2007, au moment où l’Internet à haut débit se développait en France, car il y avait beaucoup de questions de régulation et de politique de la concurrence qui se posaient : comment faire pour développer les télécoms et pour que les prix ne soient pas trop élevés pour le consommateur final ?, explique Johan Hombert. À l’époque et encore maintenant, ce marché était vraiment oligopolistique car il y a très peu d’acteurs. Mais cela peut s’appliquer à de nombreuses autres industries. ENCOURAGER LES NOUVEAUX ENTRANTS : INSUFFISANT ! Le secteur qui illustre le mieux cette recherche reste celui de la téléphonie mobile en France : avant l’arrivée de Free fin 2011, il existait trois opérateurs qui possédaient une infrastructure de réseau et des licences de téléphonie mobile – SFR, Bouygues Telecom et Orange. “Ce que voulait faire le régulateur depuis plusieurs années, et la Commission européenne a aussi beaucoup poussé dans cette direction, c’est d’avoir plus de concurrents. Mais l’entrée sur ce type de marchés est très coûteuse car il faut développer une nouvelle infrastructure de réseau, mettre des antennes… L’idée du régulateur a donc été de faire entrer de nouvelles firmes sans leur demander de construire leur propre réseau. Il s’agissait de forcer les opérateurs existants à sous-louer leur réseau à ces nouveaux entrants et donc de créer de la concurrence sans investissements.” Ainsi sont nés les MVNO (pour Mobile Virtual Network Operators) comme Virgin Mobile, Auchan ou Budget. COMPRENDRE LA PERSISTANCE DES OLIGOPOLES Les travaux de Johan Hombert et de ses coauteurs montrent néanmoins que cette solution n’aboutit pas à une concurrence digne de ce nom. “Les opérateurs existants ont peu d’incitations à aider leurs concurrents à produire des biens qui vont concurrencer les leurs”, estime-t-il. Les firmes intégrées verticalement tirent leurs profits de deux sources : en vendant des forfaits à leurs clients finaux, mais aussi en sous-louant une partie de leur réseau aux MVNO. “Il va donc y avoir une tension en permanence : d’un côté, elles vont avoir envie de baisser les prix sur les forfaits pour capturer plus de parts de marché ; mais en faisant cela, elles vont tuer les MVNO et réduire leur autre source de profit. “ recherche Les opérateurs ont peu d’incitations à ” aider leurs concurrents à produire des biens qui vont concurrencer les hec A PPLICATIONS PRATIQUES Les travaux de Johan Hombert et ses coauteurs montrent qu’une analyse isolée du marché en amont (celui des réseaux dans le cas de la téléphonie mobile) peut être trompeuse et que les Etats ou la Commission européenne doivent également prendre en compte les caractéristiques du marché en aval (les forfaits dans cet exemple) pour déterminer si la concurrence va être effective, et quelle solution (prix fixé ou plafonné, séparation structurelle des firmes intégrées ou entrée d’un nouveau concurrent) sera la mieux adaptée. leurs. Elles peuvent également essayer de faire beaucoup de profits en sous-louant leur réseau à un maximum de concurrents, mais ce faisant elles augmentent la concurrence sur le marché des forfaits et réduisent leur profit de ce côté. En fait, à chaque fois qu’une firme intégrée veut être un peu plus agressive sur l’un des deux marchés, elle impacte négativement son autre source de profit. Au final, elles n’ont envie de faire baisser les prix sur aucun de ces deux marchés.” Cela explique que la grosse trentaine de MVNO français n’est jamais parvenue à capter plus de 6-7 % de parts de marché… ACCROITRE LA CONCURRENCE Quelles sont les solutions alternatives ? La plus brutale consiste à imposer aux opérateurs mobiles le prix de location du réseau aux MVNO. “C’est très difficile à mettre en place dans la téléphonie mobile car le régulateur subit des pressions importantes de la part des gros opérateurs”, explique Johan Hombert. Il est aussi possible de plafonner les prix: ni trop bas pour ne pas décourager l’investissement, ni trop haut pour permettre aux MVNO d’entrer sur le marché. “C’est également difficile car le régulateur ne connaît pas bien les coûts de maintenance, d’entretien et de développement des réseaux, ce qui rend sa tâche plus compliquée.” Une troisième solution consiste à forcer des struc- M ÉTHODOLOGIE tures intégrées à se séparer en deux, comme cela a été fait dans d’autres industries et notamment le rail, puisque Réseau Ferré de France loue ses rails à la SNCF et à d’autres sociétés. “La SNCF n’aurait jamais accepté de louer son réseau à des concurrents, ou alors à des tarifs très élevés, poursuit Johan Hombert. Et c’est encore plus compliqué dans la téléphonie mobile : il y a plus de synergies entre la vente de forfaits et l’opération de réseaux.” Dernière solution, et c’est précisément celle qui a été retenue sur ce marché : l’arrivée d’un nouveau concurrent qui possède une infrastructure de réseau, même réduite. Car s’il loue une partie de son réseau à Orange, Free couvre d’après Johan Hombert une grande partie du territoire avec son propre réseau, contre 0 % pour les MVNO. “On est en train de voir que les prix, qui se situaient à un niveau très stable, se sont effondrés brutalement, se réjouit-il. Ce qui se passe confirme les prédictions de notre modèle : seule la présence d’un opérateur qui n’est pas totalement dépendant de ses concurrents crée une vraie situation de concurrence sur le marché.” ■ D’après une interview de Johan Hombert, professeur de finance, et l’article “Upsteam competition with vertically integrated firms” (Journal of Industrial Economics, vol. 59, No 4, décembre 2011, pp 677-713), coécrit avec Marc Bourreau, Jérôme Pouyet et Nicolas Schutz. Les chercheurs ont élaboré un modèle de concurrence à deux niveaux entre des sociétés intégrées verticalement et des sociétés isolées en aval. Ils ont ainsi montré que quand les firmes intégrées se battent sur les prix afin de proposer un produit homogène, il est possible que l’analyse de Bertrand (qui régit les situations de concurrence dans lesquelles la variable stratégique est le prix) ne soit plus valable et qu’à l’équilibre, le prix se situe au-dessus du coût marginal. Ces équilibres faiblement concurrentiels sont plus susceptibles d’avoir lieu quand la compétition en aval est féroce ou quand les entrants sont relativement inefficaces. avril-mai 2012 • 2