Le mahdi oublié de l`Inde britannique : Sayyid Ah·mad Barelwî

Transcription

Le mahdi oublié de l`Inde britannique : Sayyid Ah·mad Barelwî
Marc Gaborieau*
Le mahdi oublié de l’Inde britannique :
Sayyid Ah·mad Barelwî (1786-1831),
ses disciples, ses adversaires
Abstract: Leaving aside Indian and Pakistani nationalist interpretations, this paper reinstates the millenarian dimension of the career of Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831). This
Naqshbandi Sufi, who was successively a soldier and a religious reformer, launched a jihâd in
1826 against the Sikhs and the British presence in India: he mysteriously disappeared in a battle,
and his disciples awaited his reappearance as a mahdi for more than half of a century. Sayyid
AÌmad’s messianic career is reinterpreted here in four steps. It is shown how the political and
social context facilitated the development of millenarian ideas. Then the religious thought of
this period is examinated during a time when eschatological preoccupations were important.
In a third step, the posthumous career of Sayyid AÌmad as a mahdi is reconstitued through
colonial sources. Finally, a study of Persian documents written before the death of Sayyid
AÌmad corrects the colonial view, but also proves that, in his lifetime, Sayyid AÌmad was already
considered by his disciples as a mahdi « of the middle of the ages », akin in many ways to the
mujaddid as conceived by the Naqshbandis.
Résumé : Tournant le dos aux interprétations nationalistes indiennes et pakistanaises, cet
article restitue la dimension millénariste de la carrière de Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831).
Ce soufi naqshbandi, qui fut successivement soldat de fortune et réformateur religieux, lança
en 1826 un jihâd contre les Sikhs et contre la présence britannique en Inde. Il disparut mys* ÉHESS - CNRS, Centre d’Étude de l’Inde et de l’Asie du Sud.
REMMM 91-92-93-94, 257-274
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térieusement lors d’une bataille, et ses disciples attendirent son retour comme mahdi pendant
plus d’un demi-siècle. Cette ultime carrière messianique est interprétée en quatre étapes. Je montre
d’abord comment le contexte politique et social favorisait le développement d’idées millénaristes. La mentalité religieuse de l’époque et la place qu’y occupait l’eschatologie sont ensuite
étudiées. La carrière posthume de Sayyid AÌmad comme mahdi est ensuite restituée à travers
les sources coloniales. Enfin l’examen de documents originaux en persan écrit avant la mort de
Sayyid AÌmad corrigera cette image coloniale, tout en montrant que, déjà de son vivant, il était
bien perçu par ses disciples comme une sorte de mahdi du milieu des temps, analogue à certains égards au mujaddid tels que le concevaient les Naqshbandis.
Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831), soufi sunnite naqshbandî, eut une quadruple carrière : il fut maître soufi, réformateur religieux et soldat leader d’une
guerre sainte ; à la fin de sa vie et après sa mort, ses fidèles attendirent son retour
comme mahdi pour assurer la victoire de l’islam en Inde. Cette ultime carrière
messianique est oubliée des historiens occidentaux comme des musulmans indopakistanais qui se réclament de son héritage ; cet article, extrait d’un ouvrage en
cours d’écriture (M. Gaborieau, en préparation), tente de la restituer.
Campons d’abord le personnage (J. R. C., 1832; Hardy, 1972 : 50-55; Rizvi,
1982 : 473-497). Sayyid AÌmad naquit en 1786 à Rae Bareilly, près de Lucknow
dans la moyenne vallée du Gange, au sein d’une famille pratiquant à la fois la mystique et l’art de la guerre. Peu doué pour les études, il s’intéressa surtout aux arts martiaux; sans emploi comme soldat, il poursuivit son éducation mystique à Delhi entamant entre 1803 à 1812, sa carrière de guide mystique (Gaborieau, 1999a).
Entre 1812 et 1817, il s’engagea comme soldat au service du chef afghan Amîr Khân
(1768-1834) de la principauté de Tonk dans la Rajasthan. En 1817-1818 les Britanniques achevèrent de démilitariser l’Inde; Amîr Khân débanda son armée et
Sayyid AÌmad se mua en réformateur : en compagnie de son disciple préféré, le savant
Ismâ‘îl Shahîd (1779-1831), qui écrivit les principaux ouvrages de ce mouvement
de réforme, il parcourut de 1818 à 1821 la vallée du Gange de Delhi à Calcutta,
prêchant contre les cultes empruntés aux hindous (Gaborieau, 1997) et contre les
abus du soufisme comme le culte des saints (Gaborieau, 1999b). Il remit alors en
vigueur deux « obligations oubliées » : le pèlerinage et la guerre sainte (jihâd) (Gaborieau, 1996 et 1999c). Il fit un pèlerinage à La Mecque de 1821 à 1824 en compagnie de 700 disciples. Puis, renouant avec sa vocation militaire, qu’il combina désormais avec les rôles de soufi et de réformateur, il se lança en 1826 dans un audacieux
jihâd : avec des milliers de disciples recrutés dans l’Inde du Nord, il contourna par
l’Ouest le Panjab occupé par le royaume sikh et, à travers le Rajasthan, le Sind et
l’Afghanistan, il alla établir ses bases dans la région de Peshawar au Nord-Ouest de
l’actuel Pakistan. Se proclamant imam – nous verrons plus loin en quel sens – il déclara
la guerre sainte aux Sikhs, visant derrière eux les Anglais. Sayyid AÌmad, Ismâ‘îl Shahîd et des centaines de disciples furent finalement tués par une armée sikhe en
1831 à Balakot, près de la frontière du Cachemire où ils tentaient d’établir une nouvelle base. La guérilla continua à la frontière à une échelle moindre pendant des décennies, alimentée par des recrues et de l’argent levés dans la vallée du Gange jusque
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dans le delta du Bengale. Quant à Sayyid AÌmad, son corps ne fut pas retrouvé sur
le champ de bataille : une partie de ses disciples crurent qu’il n’était pas mort mais
en occultation (ghayba), qu’il allait revenir et donner aux musulmans la victoire sur
les Sikhs et sur les Britanniques. Cette carrière posthume de mahdi se prolongea pendant plus de quatre décennies. Quand, à partir de 1872, les Britanniques firent définitivement la paix avec les irrédentistes musulmans et mirent sur pied les institutions de l’Inde moderne, la croyance au retour de Sayyid AÌmad s’estompa, puis
tomba dans l’oubli 1.
Revenant ici sur cette ultime carrière de mahdi nous essaierons de voir comment elle s’articule avec les trois autres rôles de Sayyid AÌmad comme mystique, réformateur et guerrier. Les études publiées en Inde et au Pakistan depuis
soixante ans gomment soigneusement les aspects extrêmes du personnage, en particulier la prétention au titre de mahdi. Ainsi l’école de Sayyid Abû’l-Îasan ‘Alî
Nadwî (né en 1914), qui insiste pourtant sur la dimension religieuse du personnage, minimise ses expériences mystiques spectaculaires et sa carrière posthume de mahdi (M. Ahmad, 1975 : 40-41 et 285-286). Depuis l’indépendance,
des deux côtés de la nouvelle frontière séparant l’Inde du Pakistan, l’attribution
du rôle de mahdi à Sayyid AÌmad est prise à la légère, voire passe pour une supercherie. Il est plutôt considéré comme un leader politique fondant son action sur
une vision géo-politique réaliste : du côté indien Qeyamuddin AÌmad voit en
lui un précurseur du mouvement national indien (Q. Ahmad, 1966) ; de l’autre
côté de la frontière on en fait volontiers l’inspirateur de l’État musulman du Pakistan (Qureshi, 1962 : 195-198). Le dernier travail publié en Occident sur la
question prend en termes réalistes le qualificatif d’imâm appliqué à Sayyid
AÌmad, et voit en lui le premier des nouveaux leaders politiques que Shâh Walî
Allâh de Delhi (1703-1762) aurait appelé de ses vœux (Maiello, 1996 : 253-254).
Ces interprétations réalistes sont-elles à prendre au sérieux ?
Tournant le dos à ces vues réalistes, je prendrai au sérieux les aspects millénaristes de la carrière de Sayyid AÌmad pour voir s’ils ne donnent pas une toute
autre dimension au personnage. Ma démarche régressive se déroulera en quatre
étapes. Je restituerai d’abord le contexte politique et social dans lequel se déroula
la carrière publique puis posthume de Sayyid AÌmad : n’était-il pas propice au
développement d’idées millénaristes ? Je me pencherai ensuite sur la mentalité
religieuse de l’époque et sur la place qu’y occupait l’eschatologie. Puis je m’étendrai
sur la carrière de Sayyid AÌmad comme mahdi, telle qu’elle peut être restituée
1. Mais elle fut longue à mourir, comme la guérilla à la frontière qui se prolongea bien avant
dans le XXe siècle. Son dernier avatar connu date de 1935 : Sayyid ∑iddîq Îusayn (18861952), alias MuÌammad ∑adîq Dîndâr (de Hyderabad au sud de l’Inde) se proclama Mahdi,
déclara le jihâd et se proposa de convertir les hindous pour établir la domination musulmane sur l’Inde entière. Chassé de Hyderabad, il se réfugia dans la frontière du Nord-Ouest où
les derniers mujâhidîn de Sayyid AÌmad faisaient encore le coup de feu. Ils le reconnurent
comme une nouvelle manifestation de ce dernier, retrouvant en lui tous les signes de reconnaissance du mahdi attendu (Mathur, 1972 : 98-100 ; Sikand, 2000).
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à travers les sources coloniales. Enfin sur la base de documents originaux en
persan je poserai la question de fond, à savoir si l’image millénariste donnée de
lui est une invention de disciples dévoyés et d’administrateurs coloniaux malveillants ou si elle correspond au personnage qu’il fut de son vivant.
L’Inde des années de transition : 1818-1872
La carrière publique puis posthume de Sayyid AÌmad se déroula dans une
longue période de « transition » (Markovits, 1994 : 323-422 ; Bayly, 1988 :
106-206). Elle commença précisément au moment où les Britanniques achevaient
la conquête de l’Inde en abattant la confédération des Marathes en 1818 : seul
le territoire de l’actuel Pakistan restait indépendant à cette date, avec le royaume
musulman du Sind (annexé en 1843) et le royaume sikh du Panjab (tombé en
1849). La transition se termina en 1872 avec les derniers procès anti-musulmans,
l’instauration définitive de la Pax britannica et la mise sur pied progressive des
institutions représentatives qui devaient moderniser la vie politique indienne. De
cette histoire complexe nous retiendrons surtout les aspects qui concernent les
musulmans (Hardy, 1972 : 1-115).
Politiquement la situation est incertaine. Les Britanniques ont certes l’intention
de rester à la tête de l’Inde qu’ils administrent à partir de Calcutta; mais leur situation n’est pas stabilisée. Jusqu’en 1857 ils sont représentés par une compagnie de
marchands, la « East India Company », qui a en Inde un véritable État avec son armée;
elle est nominalement vassale de l’empereur moghol qui est artificiellement maintenu sur son trône à Delhi; elle dépend en réalité du gouvernement de Londres. L’Inde
sera rattachée à la couronne britannique en fait dès la fin de la révolte de 1857 avec
la déposition de l’empereur moghol, mais en droit seulement en 1877, année où la
reine Victoria fut solennellement proclamée impératrice des Indes (qaysar-i Hind).
La Compagnie hésite sur la politique à tenir : après avoir longtemps calqué ses
normes sur celles de l’empire moghol qu’elle a supplanté, elle se fait interventionniste à partir des années 1830 : le persan est remplacé par l’anglais et les langues vernaculaires; le prosélytisme chrétien naguère interdit est toléré, voire encouragé;
sous la pression des évangélistes certaines coutumes sont interdites (infanticide,
esclavage, crémation des veuves…). Les Britanniques sont sûrs de leur capacité à se
maintenir en Inde et à en réformer la société selon leurs normes. Mais ces prétentions sont mal acceptées par la population indienne qui n’est pas persuadée que la
présence coloniale est destinée à durer : les réformes, et plus particulièrement le prosélytisme protestant, inquiètent. Cette désaffection progressive culminera dans la
révolte de 1857, où la mutinerie d’un régiment indigène, mi-hindou, mi musulman, entraîne la révolte en chaîne des provinces centrales et le ralliement des élites
hindoues et musulmanes autour de l’empereur moghol qui réaffirme sa suprématie sur l’Inde. Après une répression brutale, les Britanniques, désormais sous l’égide
de la couronne d’Angleterre, auront une politique sociale plus prudente qui s’appuiera sur les élites conservatrices; pendant une quinzaine d’années les musulmans,
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soupçonnés à tort d’avoir eu une part prépondérante dans la révolte, seront suspectés,
du moins dans les échelons subalternes de l’administration. La peur des musulmans
sera entretenue de 1864 à 1871 par les procès anti-wahhabites (Wahabi trials) contre
les disciples de Sayyid AÌmad Barelwî (assimilés par les sources coloniales aux wahhabites arabes) qui financent et alimentent en recrues, à partir de la vallée du Gange
et du Bengale, une guérilla résiduelle à la frontière du Nord-Ouest (Hardy, 1972 :
84-91). Cette psychose sera orchestrée par les écrits de certains fonctionnaires
comme William Hunter (1871)2. La psychose sera portée à son comble en 1872
par l’assassinat du vice-roi Lord Mayo par un musulman.
Une effervescence sociale accompagna ces incertitudes politiques. Les musulmans constituaient à cette époque moins de 20 % de la population totale ; ils
avaient été sur-représentés dans l’administration moghole, et le restaient au
milieu du XIXe siècle ; mais ils perdaient du terrain et le vivaient mal. La démilitarisation de l’Inde avait supprimé l’emploi de nombreux soldats de fortune qui
cherchent à se recaser : Sayyid AÌmad en est le meilleur exemple, car c’est le démantèlement de l’armée d’Amîr Khân qui l’a poussé à se faire réformateur, puis à entreprendre la guerre sainte sur la frontière. Les oulémas et les lettrés, qui avaient perdu
le soutien de l’État moghol, ainsi que la plupart des fonctions officielles qu’ils y
remplissaient comme l’administration de la justice, étaient aussi désemparés ; ils
se retirèrent souvent à la campagne. Ce n’est que dans les trente dernières années
du XIXe siècle qu’ils devaient reconstruire des institutions adaptées au nouveau
contexte, comme le « Dâr al-‘ulûm » traditionaliste de Deoband (Metcalf, 1982)
ou le « College Anglo-oriental » moderniste d’Aligarh (Lelyveld, 1978).
Enfin le monde paysan avait ses soubresauts : pour maximiser la rente foncière,
les Britanniques s’appuyèrent sur l’élite rurale dont ils transformèrent les prérogatives coutumières en droit de propriété aux dépens des cultivateurs qui se virent ravaler au rang de tenanciers. Ces transformations furent mal ressenties par la petite paysannerie musulmane du Bengale oriental (actuel Bangladesh) qui se trouvait assujettie
à de grands propriétaires hindous; sa révolte fut orchestrée, à partir de 1818 encore,
par le mouvement des Farâ’idî (Khan, 1965). Nous retrouverons infra ces paysans
bengalis parmi ceux qui croyaient au retour de Sayyid AÌmad comme mahdi.
Cette croyance a donc pu trouver un terrain favorable dans un contexte social
de transformations déroutantes ; et dans une conjoncture politique où, le maintien des Britanniques restant encore problématique, les musulmans pouvaient
se laisser séduire par un mythe messianiste magnifiant le passé.
2. Sir William Wilson Hunter (1840-1900) appartenait à l’administration civile du Bengale.
Il commentait les procès anti-Wahhabites dans les journaux depuis 1864 ; son livre, écrit
hâtivement en 1871, reflète, plus qu’il n’analyse, les préjugés courants dans l’administration
britannique à l’époque. Il avait été promu en 1871 directeur général des statistiques ; il
deviendra en 1882 président de la commission de l’éducation et s’intéressera à la modernisation des établissements d’enseignement des musulmans (Hardy, 1972 : 85-93 ; Lelyveld,
1978 : 10-12 ; Mohar Ali, 1980).
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Prégnance des préoccupations eschatologiques
dans l’Inde du XIXe siècle
La mentalité religieuse offrait-elle les instruments pour construire un tel mythe?
La notion de mahdi est restée familière dans tout le XIXe siècle, non seulement chez
les chiites où elle était de règle, mais aussi chez les sunnites qui nous intéressent
ici. La preuve en est fournie par deux textes apparentés qui encadrent notre
période : à la fin du XVIIIe siècle, Shâh Rafî‘ al-Dîn (1750-1818), le premier traducteur du Coran en ourdou, écrivit le Âthâr-qiyâmat, appelé aussi Qiyâmat
nâma, opuscule de vulgarisation en persan sur la fin du monde et l’arrivée du Mahdi
(Rizvi, 1982 : 101 ; Friedmann, 1989 : 172). Il connut plusieurs traductions ou
adaptations en ourdou : la plus célèbre est contenue dans le Bihishtî Zewar d’Ashrâf ‘Alî Thânawî (1863-1943), datant du début de ce siècle et constamment réimprimé jusqu’à nos jours (Metcalf, 1990 : 222-228, 323, 377).
Entre ces deux textes, tout au long du XIXe siècle, la fin du monde est une préoccupation constamment attestée chez les poètes (Friedmann, 1989 : 172 n. 46)
et surtout chez les théologiens : ainsi Siddîq Îasan Khân (1832-1890), qui
croyait la fin du monde proche, écrivit plusieurs ouvrages d’eschatologie où il y
décrivait en détail les signes par lesquels on reconnaîtra le Mahdi et ses hauts faits
(Ahmad & von Grünebaum, 1970 : 7 et 85-88; Saeedullah, 1973 : 63, 164-173;
Friedmann, 1989 : 172). Enfin Mirzâ Ghulâm AÌmad (c. 1838-1908), le fondateur de la secte AÌmadiyya, surenchérissant sur les croyances de son époque
pour en neutraliser les aspects les plus agressifs, se présenta lui-même comme un
mahdi d’un nouveau genre venu abolir la guerre pour se consacrer à ce jihâd pacifique qu’est le prosélytisme (Friedmann, 1989 : 111, 149, 167-176)3.
Ces propos ne restaient pas confinés dans les mosquées ou les maisons des théologiens et des lettrés. Ils étaient portés sur la place publique. Lors de la révolte
de 1857 – qui n’eut pas cependant d’idéologie cohérente et organisée – une
composante millénariste islamique, mineure certes mais réelle, a été remarquée :
les musulmans attendaient depuis 1856 une grande guerre islamique venant de
Perse et destinée à chasser les Anglais ; des milliers de ghâzî, sans doute liés au
mouvement de Sayyid AÌmad, arrivèrent des principautés musulmanes de
Bhopal et de Tonk et périrent dans des attaques-suicides contre les Britanniques
sous les murs de Delhi (Hardy, 1972 : 65 ; Bayly, 1988 : 185-188). Cependant
3. Pour faire bonne mesure, n’oublions pas la contribution chrétienne à la prégnance de
l’eschatologie. En 1832-1833 un missionnaire allemand d’origine juive du nom de Joseph
Wolff – qui bénéficiait du patronage des plus hautes autorités britanniques – parcourut l’Inde
du Nord en annonçant la fin du monde pour 1847. Il engagea des « disputations » à la mode
médiévale avec les autorités islamiques dans le cadre de deux cours royales. D’abord dans le
palais de l’empereur moghol à Delhi où l’accueil d’un grand ‘âlim sunnite fut plutôt réservé ;
puis à la cour du Nawab de Lucknow avec des mujtahid chiites qui, croyant au Mahdi, furent
intéressés par ses spéculations (Powell, 1993 : 117-128).
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c’est au cours des années 1860 que les idées millénaristes défrayèrent le plus la
chronique. Selon un rapport publié par le Church Missionary Intelligencer (n° 13,
novembre 1862, cité dans Pearson 1979 : 211-212) une proclamation fut lancée
à tous les fidèles du monde par des oulémas de La Mecque ; elle fut imprimée à
Bombay en arabe, avec traduction en persan et en ourdou, par la « Mahumdee
(sic = MuÌammadî) Press » ; elle fut reprise par plusieurs journaux indiens. Elle
annonçait l’apparition prochaine du Mahdi et invitait les pécheurs à se repentir.
Ce manifeste fut suivi d’appels à la révolte, dont le jour fut prédit. Il y eut un
vent de panique à la bourse de Calcutta… mais rien n’arriva.
Les musulmans indiens proférèrent aussi des prophéties : comme il arrive
périodiquement en Iran et en Inde4, ils remirent à la mode les odes du poète et
mystique persan Shâh Ni‘matullâh Walî (1330-1431), sorte de Nostradamus
de l’Orient musulman, qui annonçait aussi la fin du monde. Le préfacier d’une
récente édition indienne (Ni‘matullâh Walî, 1991 : 6-7) raconte que ces vers étaient
fréquemment cités au moment de la révolte de 1857 et utilisés pour annoncer
le retour de Sayyid AÌmad.
La mentalité religieuse du XIXe siècle était donc bien préparée à accepter
l’apparition d’un mahdi dont la notion était familière.
Le retour de Sayyid AÌmad dans les sources coloniales
Mais comment s’est développé le mythe du retour de Sayyid AÌmad ? Nous
le savons d’abord par des sources coloniales qui sont de trois sortes : des annonces
sensationnelles de missionnaires protestants ou d’administrateurs britanniques
en mal de publicité, les minutes des procès anti-wahhabites et un savant essai émanant d’un juge anglais.
Des annonces sensationnelles
L’usage des prophéties de Shâh Ni‘matullâh Walî pour annoncer le retour de
Sayyid AÌmad est attesté indépendamment par des sources coloniales et missionnaires : le Church Missionary Intelligencer cité plus haut d’une part, et William
Hunter d’autre part.
Hunter, qui puisait dans les dossiers des procès anti-wahhabites (Hunter,
1871 : 55-56) cite d’abord un poème de l’époque attribué à un autre auteur :
4. J’ai pu encore observer le phénomène en Inde dans les années quatre-vingt-dix. L’édition ici
citée des prophéties de Shâh Ni‘matullâh fut publiée en Inde en 1991 avec une traduction ourdoue à l’occasion de la guerre du Golfe : le préfacier lisait rétrospectivement dans ce texte une
annonce de ladite guerre. Pour le futur il y voyait une issue heureuse dans l’affaire de la mosquée d’Ayodhya dont l’extrême droite hindoue réclamait déjà la destruction ; il pensait que les
musulmans d’Iran et du Pakistan, déjà actifs en Afghanistan et au Cachemire, ne manqueraient
pas de venir en aide aux musulmans de l’Inde en cas d’attaque de la mosquée et assureraient le
triomphe de l’islam en Inde… Ce n’est pas tout à fait ce qui se passa : quand la mosquée fut
détruite en décembre 1992, les musulmans indiens, menacés, durent adopter un profil bas.
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« Je vois qu’après 1200 ans écoulés (= 1785-6, date de naissance de Sayyid AÌmad)
des événements extraordinaires se passeront […]
L’Imam (= Mahdi) apparaîtra et règnera sur la terre.
Je vois et lis A.Î.M.D. (AÌmad), les lettres qui désignent le nom de ce souverain ».
On remarquera que la naissance en début de siècle convient aussi aux mujaddid-s,
rénovateurs dont les fonctions sont liées à celle du mahdi (Friedmann, 1989 : 9497); dans d’autres contextes Sayyid AÌmad a aussi été déclaré mujaddid, (Maiello,
1996 : 255). Hunter mentionne ensuite l’utilisation des vers Shâh Ni‘matullâh
Walî pour annoncer le retour de Sayyid AÌmad en donnant la version suivante, manifestement mise au point avant la révolte de 1857 :
« Pour chasser ces tyrans Jésus reviendra, et le Mahdi attendu apparaîtra.
Ces événements se produiront à la fin du monde […]
En 1270 (= 1853-1854) le Roi de l’Ouest apparaîtra.
Ni‘matullâh connaissait les secrets de Dieu.
Ses prophéties se réaliseront pour les hommes ».
Cette prophétie a été remise en circulation après 1857, en reculant la date :
le Church Missionary Intelligencer (n° 13, novembre 1862) offre une version
annonçant désormais le Mahdi pour 1280/1863-4. Ces annonces sensationnelles attestent seulement l’attente du Mahdi sans beaucoup de précisions sur ce
que les fidèles attendent de sa venue.
Les perceptions populaires d’après les minutes des procès
Les minutes des procès anti-wahhabites sont plus précises. Elles forment la base
essentielle du livre de William Hunter ; mais, trop préoccupé de sensationnel, il
n’en a pas vraiment exploité le contenu. Laissant maintenant de côté cet auteur
souvent brouillon et violemment anti-musulman, suivons un magistrat moins
célèbre, plus soigneux et moins hostile aux musulmans : James O’Kinealy5.
Il a recueilli dans le district de Maldah au Bengale oriental (actuel Bangladesh)
les dépositions de paysans qui avaient un moment participé au jihâd sur la frontière du Nord-Ouest, et les a consignées dans une série d’archives éditées seulement après la partition (Khan, 1961). Deux thèmes y sont récurrents. D’abord
la guerre sainte victorieuse contre les Britanniques sous la houlette de Sayyid
AÌmad réapparu comme mahdi. Ainsi un certain Sadru’d-din Shaykh raconte
que son recruteur, Nazir Sardar,
5. James O’Kinealy (1837-1903), membre de l’administration civile du Bengale fut procureur (prosecutor) chargé d’instruire le procès des Wahhabites de Maldah au Bengale. Il était
moins hostile aux musulmans que Hunter : il avait certes reçu en 1871 du Gouverneur
Général une somme de 3 000 roupies « en reconnaissance des excellents services rendus par
lui en rapport avec les procès anti-wahhabites » ; mais en 1882 il était « Mr Justice » et intercéda pour la libération des derniers condamnés wahhabites (Khan, 1961 : 204, 256-258).
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« répétait que je devais aller au Nord-Ouest, car l’Imam Mahdi apparaîtrait là-bas ;
il y aurait alors une guerre contre le gouvernement anglais ; les Européens seraient
chassés du pays et la domination des musulmans serait rétablie » (op. cit. : 283).
Quand il fut arrivé à Malka, près de Sittana, le nouveau quartier général des
Mujâhidîn, il assista à leur endoctrinement :
« On faisait comprendre à ces hommes que, dès que le Sayyid apparaîtrait, il chasserait les Anglais et conquerrait l’Inde. Alors tout homme obtiendrait un jâgîr6 »
(op. cit. : 284).
Cette citation nous conduit au deuxième thème de ces dépositions : l’abondance. Un autre paysan, Panch Kari Kabiraj (un musulman malgré son nom) dit
que le même recruteur
« me racontait toujours que le résultat du jihâd serait un royaume musulman ;
que les Anglais seraient chassés ; qu’il n’y aurait plus d’impôt foncier (rent) et que
des jâgîr seraient distribués » (op. cit. : 283).
Selon Rungu Manda, le même recruteur disait aussi :
« Quand le gouvernement anglais sera renversé, et que le gouvernement musulman
le remplacera, il n’y aura plus d’impôts à payer et la religion musulmane sera exaltée » (op. cit. : 285).
Enfin Palu Shaykh rapporte des paroles semblables du même recruteur :
« Nazir collectait l’argent pour soutenir le jihâd contre la Reine (Victoria) en vue
de renverser le gouvernement et d’établir un royaume musulman. Alors les musulmans n’auront plus à payer d’impôts. Ils obtiendront de la terre, et ils seront
riches » (op. cit. : 288).
Ces citations épuisent les thèmes de la perception populaire transmise par les
archives judiciaires britanniques. Elles peuvent paraître simplistes ; elles résument cependant les deux axes importants des conceptions classiques du Mahdi :
c’est un personnage belliqueux qui doit éliminer les infidèles ; son règne doit
apporter l’abondance.
Les conceptions savantes
O’Kinealy ne s’est pas contenté de ces conceptions frustes. Il a exploré aussi
la doctrine savante et l’a exposée en 1870 dans le premier des trois articles qu’il
a consacrés aux Wahhabites dans la Calcutta Review : c’est à ce jour l’étude la mieux
documentée sur les idées savantes concernant le retour de Sayyid AÌmad comme
Mahdî (O’Kinealy, 1870). L’auteur ne donne malheureusement pas ses sources,
6. Le persan jâgîr, introduit par les Moghols comme synonyme de l’arabe iq†â‘, signifie une
prébende, c’est-à-dire l’attribution du revenu de certaines terres en échange de services.
266 / Marc Gaborieau
sur lesquelles nous nous interrogerons plus loin. Il commence en affirmant que
Sayyid AÌmad avait été proclamé mahdi dès le commencement du jihâd en
1826 (O’Kinealy, 1870 : 95). Il rappelle la conception classique du mahdi :
signes petits et grands qui l’annoncent, son arrivée et sa conquête de Constantinople, l’apparition du Dajjâl (l’Anté-Christ) et de Jésus, puis la fin du monde.
Entrant alors dans le vif du sujet, O’Kinealy, se démarquant sur un point de
tous les autres auteurs : il est le premier – et le seul à ce jour – à remarquer que
les disciples de Sayyid AÌmad s’écartent de cette conception classique. Ils placent le retour de Sayyid AÌmad comme Mahdi non pas à la fin, mais au milieu
des temps (op. cit. : 96) : il est le « Mahdi du milieu », notion exprimée aussi dans
la profession de foi prononcée dans les années 1860, devant le tribunal qui le
condamna au bagne, par Muhammad Thânesarî (1832-1905), l’auteur de la
première biographie de Sayyid AÌmad en ourdou :
« En ce moment, je crois en Sayyid AÌmad ∑âhib, le Mahdi du milieu; je crois qu’il
est vivant conformément aux Traditions du Prophète qui disent que celui qui
meurt sans reconnaître l’Imam du temps meurt dans l’ignorance ; et je considère
comme réprouvés ceux qui nient l’imamat de Sayyid AÌmad. Que Dieu conduise
les pécheurs dans la voie droite, et que la lumière de la manifestation de l’Imam
les entoure quand ils seront sur cette voie » (op. cit. : 102).
O’Kinealy analyse longuement (op. cit. : 96-98) cette doctrine. Le personnage
qui viendra à la fin des temps n’est pas le Mahdi, mais un calife. Le véritable Mahdi
viendra à mi-chemin entre la mort du Prophète MuÌammad et la fin du monde
comme le prouve une tradition du Prophète qui dit :
« Recevez de bonnes nouvelles : ma religion est comme la pluie. On ne sait d’avance
si la première ou la dernière est la meilleure ; ou comme un jardin qui nourrit une
multitude une année, puis une autre multitude une autre année; on ne sait laquelle
des deux est la plus grande. Cette religion ne sera pas détruite dont je suis le commencement, le Mahdi le milieu, et le Christ la fin. »
Selon une autre tradition, ce Mahdi du milieu viendra de l’Est :
« Un peuple viendra de l’est ; il accueillera le Mahdi qui règnera sur l’Est. »
Il conquerra l’Inde selon une autre tradition qui dit :
« J’ai promis un jihâd dans l’Inde. Quand il arrivera, offrez votre vie et vos biens.
Si vous êtes tués, vous serez les martyrs ; si vous survivez, vous atteindrez le salut. »
Le Mahdi conquerra la Perse pour arriver victorieux à Jérusalem, cela en vertu
de traditions plus classiques annonçant l’arrivée d’un drapeau du Khorasan, et
avec lui du Mahdi qui ira planter son drapeau victorieux sur Jérusalem :
« Quand vous verrez des drapeaux noirs venant du Khorassan, suivez-les, car avec
eux est un calife, le Mahdi de Dieu »
« Rien ne pourra arrêter les drapeaux noirs venus du Khorasan, jusqu’à ce qu’ils soient
plantés à Jérusalem ».
Le mahdi oublié de l’Inde britannique : Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831)… / 267
La seconde étape du raisonnement des disciples de Sayyid AÌmad, poursuit
O’Kinealy, consiste à prouver qu’il est bien le Mahdi du milieu annoncé par ces
Traditions. De nombreux signes le prouvent, disent-ils : il est né en 1200 de l’Hégire comme il convient, avons-nous vu, à un mujaddid ou à un mahdi ; il s’appelle AÌmad ; il est Sayyid, donc descendant du Prophète ; il s’est manifesté par
un jihâd dans le Khorasan car la frontière du Nord-Ouest proche de l’Afghanistan
où Sayyid AÌmad faisait la guerre sainte est comptée comme faisant partie du
Khorasan (voir Gaborieau, 1996 : 279) ; et il s’est lancé à la conquête de l’Inde.
Cette théorie repose certes, comme le fait remarquer O’Kinealy (op. cit. : 9899), sur une manipulation de Traditions. Mais elle est argumentée et cohérente.
D’où vient-elle ?
Sayyid AÌmad fut-il proclamé mahdi de son vivant ?
Cette théorie a souvent été prise à la légère ; Sayyid AÌmad Khân (18171898), le fondateur du Collège musulman moderniste Aligarh, dit dans la revue
critique qu’il a faite du livre de William Hunter :
« Le Dr Hunter a perverti le sens des croyances en représentant la génération présente
des Wahhabis comme dans l’attente de l’Imam qui devait les conduire à la victoire
contre les Britanniques » (Sir Ahmad Khan 1872 : 8; cf. Pearson 1979 : 64).
Il présente la croyance au mahdi comme une pure invention de Hunter. Au
vu de la partie précédente, il est évident qu’une théorie aussi largement répandue
et aussi sophistiquée ne peut être une invention britannique. Mais de multiples
facteurs ont contribué à la minorer. D’abord une partie des disciples de Sayyid
AÌmad n’ont pas cru à sa mission d’imam de la guerre sainte et de mahdi et s’en
sont tenus à ses deux premiers rôles de soufi et de réformateur ; Sayyid AÌmad
Khân était de ceux-là. Ensuite beaucoup de ceux qui y avaient adhéré abandonnèrent cette croyance avant 1857, comme l’école de Patna animée par Wilâyat
‘Alî (1790-1852) qui cessa d’en faire un article de foi en 1839. Enfin, parmi ceux
qui continuèrent à y adhérer, tous n’eurent pas le courage de la proclamer devant
le tribunal comme le fit MuÌammad Thânesarî qui fut condamné au bagne, car
cette croyance était retenue comme preuve à charge dans les procès antiwahhabites : pour cette raison, comme l’appel au jihâd – qui était aussi une
preuve à charge – elle fut systématiquement censurée dans les textes de la seconde
moitié du XIXe siècle qui constituent l’essentiel de nos sources sur Sayyid AÌmad.
Les sources
O’Kinealy ne mentionne pas ses sources, avons-nous vu. On peut spéculer
cependant, comme il cite beaucoup de Ìadîth, qu’il a pu avoir accès à des ouvrages
en ourdou comme ceux qui étaient distribués par l’école de Patna sous la direction
de Wilâyat ‘Alî ; l’un d’eux, comme le dit son titre, contenait « Quarante
268 / Marc Gaborieau
[Traditions] sur les Mahdis »7. Mais comme O’Kinealy entre aussi dans des spéculations savantes, il n’est pas exclu qu’il ne se soit pas contenté de ces opuscules
populaires et qu’il ait consulté (ou fait consulter) les textes persans d’avant 1831.
Nous nous tournons maintenant vers eux pour voir si cette croyance avait déjà
cours à l’époque ; nous saurons alors si nous devons suivre O’Kinealy qui, avonsnous vu, la fait remonter à 1826, c’est-à-dire au lancement du jihâd contre les
Sikhs. Toute l’hagiographie de Sayyid AÌmad est postérieure à sa mort et fut écrite
presque exclusivement après 1857. De son vivant datent deux types de textes originaux en persan : premièrement les correspondances de Sayyid AÌmad luimême et de son principal disciple, Ismâ‘îl Shahîd ; et d’autre part un traité écrit
par ce dernier vers 1827, juste après le lancement du jihâd contre les Sikhs, et
intitulé Mansab-i imâmat, « La fonction de l’imamat ».
Sayyid AÌmad comme imam
La correspondance de Sayyid AÌmad (Ahmad Shahîd Barelwî, 1975; Gaborieau,
1996 : 267-268) et celle d’Ismâ‘îl Shahîd (Maiello, 1996) sont encore trop mal
connues : et dans ce qui en a été dépouillé on n’a, pour le moment, repéré qu’une
allusion, d’ailleurs peu claire, au Mahdi (Ahmad Shahîd Barelwî, 1975 : 126).
Les parties analysées qui concernent notre propos établissent le droit de Sayyid
AÌmad au titre d’imam. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce terme. L’on
dit souvent aujourd’hui, en pensant au Pakistan qui a fait sienne cette théorie,
que Sayyid AÌmad avait bâti, à la frontière du Nord-Ouest, un État islamique
théocratique. Or ce n’est pas du tout le cas : il s’est toujours défendu de vouloir
se substituer aux chefs d’État musulmans de la région à qui il avait promis qu’ils
conserveraient leur royaume. La mission de Sayyid AÌmad, qui appartient à un
ordre supérieur à celui de ces roitelets, est purement religieuse :
« Le seul but de ce mouvement et de cette guerre, écrivait-il à l’émir de Boukhara,
est de glorifier le nom de Dieu, de revivifier la sunna du plus noble des Prophètes
et de libérer les villes des musulmans des mains des infidèles. Je n’ai pas d’autres
dessein » (AÌmad Shahîd Barelwî, 1975 : 26b ; Rizvi, 1982 : 491-492 ; Gaborieau, 1996 : 273).
Cette mission est définie en deux étapes. Elle est d’abord présentée comme
purement technique : pour que le jihâd contre les infidèles (les Sikhs puis, éventuellement, les Anglais) soit valable selon la Loi, il faut qu’il soit commencé et
conduit sous la direction d’un imam, qui déclare formellement la guerre en
lançant aux ennemis de l’islam l’invitation (da‘wa) à se soumettre à l’islam ou à
accepter le combat (Gaborieau, 1999c). Mais – et c’est la seconde étape de la
définition – en se posant ainsi au-dessus des rois, Sayyid AÌmad se trouve dans
la position du calife, chef spirituel au-dessus des sultans qui exercent la réalité
du pouvoir temporel. Il écrit au sultan d’Hérat :
7. Wilâyat ‘Alî, s.d., noter le pluriel ; voir Q. Ahmad, 1966 : 97 et 2e éd., 1994 : 28 ; Gaborieau,
1994 : 177 et 191 pour une description de ces ouvrages qui ne me sont pas accessibles.
Le mahdi oublié de l’Inde britannique : Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831)… / 269
« Il y a une grande différence entre l’imamat et le sultanat. L’imam est nommé pour
conduire la guerre sainte et déraciner la rébellion et l’insurrection. Le but véritable
de l’imam n’est pas de gouverner les pays, les villes et les districts. Son but réel est
de transférer le sultanat à celui à qui il appartient légitimement. Inversement le but
réel de ceux qui gouvernent un sultanat est de consolider leur pouvoir, de gouverner,
de conquérir d’autres pays et d’élargir leurs frontières » (AÌmad Shahîd Barelwî,
1975 : 17b ; Rizvi, 1982 : 491 ; Gaborieau 1996 : 278).
Et de fait, nous dit son hagiographie, il a assumé cette dignité en se faisant
proclamer « Commandeur des croyants » (amîr al-mu’minîn), en faisant lire la
khu†ba de la prière du vendredi à son nom, et en faisant battre monnaie en son
nom, tous privilèges réservés au calife. Nous sommes donc revenus ici en pleine
théorie politique médiévale, et le terme imâm est ici à prendre ici au sens des traités de théologie médiévaux ; de la même façon jihâd garde ici sa signification traditionnelle de guerre sainte menée contre les infidèles dans ce dâr al-Ìarb qu’est
redevenue l’Inde dominée par les sikhs et les chrétiens. Voilà ce qu’on a trouvé
pour le moment dans la correspondance de Sayyid AÌmad et d’Ismâ‘îl Shahîd.
Sayyid AÌmad comme mahdi du milieu
Il manque encore à cet imam le charisme qui va mobiliser ses fidèles. Sur quoi
repose-t-il? L’on argue généralement que c’est le statut de Sayyid AÌmad en tant que
maître soufi qui l’a fourni. Ce n’est pas faux : on trouve dans les œuvres d’Ismâ‘îl
Shahîd ample matière à conforter cette explication (Gaborieau, 1999a). Mais le Mansab-i imâmat ajoute une dimension nouvelle. Ce bref traité (résumé dans Rizvi, 1982 :
514-517) rappelle d’abord les fonctions de l’imam selon la théologie classique, ce
qui n’a rien d’original. En second lieu, il insiste en conclusion sur le principal rôle
de l’imam : être le sâhib-i da‘wat, celui qui appelle à la guerre sainte – et c’est une
petite originalité à l’adresse de Sayyid AÌmad que l’auteur souligne (Ismâ‘îl Shahîd,
s. d., B : 126-142) et que S.A.A. Rizvi (1982 : 515-517) a relevée.
Mais la véritable originalité du texte est de donner à l’imamat une profondeur
ésotérique. La première division de la seconde section (op. cit. A, 46-75 / B, 5987), qui traite de l’imamat dans sa réalité spirituelle (imâma Ìaqîqiyya), comporte
trois subdivisions : l’imâmat caché (khufiyya) comme celui du qu†b qui coiffe la
hiérarchie invisible des saints ; l’imamat ésotérique (bâ†iniyya) comme celui
d’Abraham qui guide les hommes sans avoir de pouvoir politique ; enfin l’imamat parfait (tâmma) dont le modèle est celui des califes bien guidés (op. cit. A,
58-75 / B, 74-87). Dans ces pages l’auteur fait une série de distinctions qui
l’amènent à parler de Sayyid AÌmad. Il ne faut pas croire, dit-il, que les califes
bien guidés sont seulement les quatre successeurs du Prophète. Il y a, argue-t-il
sur la base de Traditions, au moins un autre calife bien guidé :
« Le califat du Mahdi de la fin des temps est la plus prestigieuse des formes du califat bien guidé. Le Prophète a dit : “Même s’il ne reste plus qu’un seul jour, Dieu
270 / Marc Gaborieau
le prolongera jusqu’à ce qu’il fasse se lever parmi les gens de ma maison un homme
qui portera mon nom, et dont le père aura mon nom, et il établira la justice sur la
terre” » (op. cit. : B, 78-79).
Arrive alors la troisième étape décisive du raisonnement : montrer qu’entre les
califes bien guidés du début de l’histoire islamique, et le Mahdi de la fin des temps
il y a place pour un autre calife bien guidé qui soit aussi une sorte de mahdi :
« Il ne faut pas prétendre que le temps d’entre les deux est vide, et qu’un califat bien
guidé n’y puisse pas apparaître. Cette prétention n’est pas juste. Bien des Compagnons du Prophète ont compté comme califat bien guidé celui de [l’Omeyyade]
‘Umar bin ‘Abd al-‘Azîz […] Le Prophète a dit aussi : “Quand vous verrez des drapeaux noirs venant du côté du Khorassan, il faut les suivre, même si vous devez marcher sur de la neige, car le calife d’Allah (la traduction ourdoue dit : ‘Le Mahdi,
calife d’Allah’) est parmi eux. Il est clair que ce Mahdi est différent du Mahdi
attendu, car ce dernier apparaîtra à Médine, et non au Khorasan ; mais c’est aussi
un calife d’Allah à qui tous les musulmans ont reçu l’ordre de venir en aide”. Le
Prophète a dit encore : “Un homme de l’autre côté du fleuve, un laboureur parmi
le laboureurs, ira au-devant de lui. On le déclarera vainqueur. Il rendra son honneur à la famille de MuÌammad, comme les Qurayshites ont fait honneur à l’Envoyé de Dieu. Tous les musulmans doivent l’aider”. Il est clair que ce grand homme
qui est de la maison du Prophète dont parle ce hadîth est différent du Mahdi
attendu à la fin des temps, car ce dernier sera aidé d’une armée d’Arabes et non d’une
armée de Transoxiane » (op. cit. : B, 79-80).
Donc, conclut l’auteur, un Mahdi qui soit un calife bien guidé peut apparaître
au milieu de nous : ouvrez les yeux (op. cit., B, 80-81). Il ne faut pas être grand
clerc pour deviner que c’est de Sayyid AÌmad qu’il s’agit.
Si mon interprétation est exacte, cette subdivision du traité, jusqu’ici négligée des commentateurs, prouve que Sayyid AÌmad a bien été déclaré mahdi de
son vivant comme le disait O’Kinealy. Ce dernier devait avoir eu accès à ce texte
ou à des textes similaires.
La dimension millénariste fait donc bien partie intégrante du personnage de Sayyid
AÌmad Barelwî dès avant sa mort : ce n’est pas une invention d’administrateurs
britanniques mal intentionnés ou de disciples dévoyés. Cette constatation condamne
les interprétations réalistes de sa carrière : loin d’être un leader d’un type nouveau
pour un nouvel âge, Sayyid AÌmad fonde sa mission sur la doctrine classique du
calife, chef religieux suprême qui défend par les armes le dâr al-islâm, doctrine augmentée d’une bonne dose de mystique. Il devient ainsi ce mahdi d’un type spécial qui, pendant des décennies, soulèvera l’enthousiasme de gens aussi divers que
les paysans illettrés du Bengale et de fins lettrés comme MuÌammad Thânesarî.
Ce destin hors du commun pose deux questions. L’une concerne la conception du mahdi impliquée dans cette carrière. Le début de cet article, jusqu’à
l’évocation de la lecture de Hunter incluse, a affaire à la doctrine classique du
Le mahdi oublié de l’Inde britannique : Sayyid AÌmad Barelwî (1786-1831)… / 271
Mahdi avec l’attente de la fin du monde. Une conception spécifique, qui recrée
un âge d’or au milieu des temps, apparaît avec l’interprétation de O’Kinealy qui
s’était déjà posé la question de son origine (O’Kinealy, 1970 : 102-103) : citant
un auteur du début du XIXe siècle (Herklots, 1921 : 208-209), il avait fait un rapprochement avec la secte indienne des Mahdawî fondée à la fin du XVe siècle
(MacLean, infra). On a remarqué aussi que l’« occultation » (ghayba) de Sayyid
AÌmad après la bataille de Balakot, et l’attente de son « retour » présentent des
analogies de vocabulaire et de doctrine avec le mythe chiite du douzième imam,
qui est aussi le mahdi (Qureshi, 1962 : 207). Mais une autre ressemblance plus
frappante n’a pas, jusqu’à maintenant, retenu l’attention : cette conception d’un
retour à l’âge d’or au milieu du temps est formellement analogue à la conception du mujaddid du second millénaire développée par AÌmad Sirhindî (15641624 ; voir Friedmann, 1971 : 13-21). La principale affiliation mystique de
Sayyid AÌmad Barelwî était à la Naqshbandiyya Mujaddidiyya fondée par
Sirhindî (Gaborieau, 1999a) : il ne serait pas étonnant que la doctrine du mahdi
du milieu y ait son origine.
L’autre question concerne les motifs de l’adhésion d’une fraction des musulmans indiens aux prétentions millénaristes de Sayyid AÌmad. On a généralement
vu en lui une préfiguration de l’avenir. Il est présenté comme le catalyseur des
aspirations des nouvelles classes montantes, notamment de la petite bourgeoisie (Hardy, 1972) et surtout de la paysannerie : William Hunter le regarde
comme un dangereux révolutionnaire prêt à soulever le monde rural et inspirant
une grande peur aux possédants ; O’Kinealy, bien que plus nuancé, adhère à
des vue similaires :
« Sans aucun doute, l’une des plus grandes raisons de la popularité de cette doctrine auprès de la masse du peuple, était que les Maulavis prêchaient l’égalité et l’unité
religieuse » (O’Kinealy, 1870 : 104).
De même H. O. Pearson a fondé toute sa thèse sur le thème de l’égalitarisme
qui représente selon lui la nouveauté de Sayyid AÌmad par rapport au XVIIIe siècle
où prévalait la hiérarchie (Pearson, 1979 : 291-297). Mais ce sont là des interprétations réalistes et téléogiques.
Comme j’espère le montrer ailleurs (Gaborieau, en préparation), plus que l’égalité, qui est rarement un réel enjeu dans l’islam, deux autres motivations signalées aussi par O’Kinealy ont favorisé l’adhésion au mythe du retour de Sayyid
AÌmad : la solidarité qui unissait les musulmans à travers tout le sous-continent
indien pour mener et financer la guerre sainte à la frontière ; et la nostalgie de
la grandeur perdue et de la pureté de l’islam. L’utopie millénariste de Sayyid AÌmad
est un retour au passé médiéval pour retrouver la splendeur passée, et l’exaltation des chevauchées et des coups d’épée plus exaltants que la grisaille de l’Inde
britannique démilitarisée.
272 / Marc Gaborieau
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