Discours d`Oskar Lafontaine : « La liberté par le socialisme

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Discours d`Oskar Lafontaine : « La liberté par le socialisme
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Lafontaine : « La liberté par le socialisme »
Allemagne
Discours d’Oskar Lafontaine : « La liberté par le
socialisme »
dimanche 29 juillet 2007, par KELLNER Manuel, LAFONTAINE Oskar (Date de rédaction antérieure : 16 juin 2007).
Présentation
Au congrès de fondation de Die Linke (La Gauche) à Berlin, deux présidents du nouveau parti ont été élu :
Lothar Byski de la Linkspartei.PDS avec 83,6 % des voix des délégués, et Oskar Lafontaine de la WASG
avec 87,9 %.
Ce dernier, politicien expérimenté largement médiatisé, orateur de talent, peut être considéré comme le
porte-parole numéro un du nouveau parti. Né en 1943 à Saarlouis, Lafontaine est devenu membre du SPD
en 1966. Il était ministre-président de la Sarre et membre dirigeant du SPD au niveau fédéral pendant
longtemps. Entré comme ministre des finances dans le gouvernement Schröder en octobre 1998,
président du SPD depuis 1995, il résigne spectaculairement ses deux postes en mars 1999 sans
explication publique. Avant, la presse européenne liée au grand capital l’avait nommé « l’homme le plus
dangereux d’Europe » parce qu’il plaidait pour un contrôle des marchés financiers internationaux et
d’autres mesures néokeynésiennes. Quelques mois après, Lafontaine explique ses motifs dans son livre «
Das Herz schlägt links » (Le Cœur bat à gauche), où il explique non sans raison — et non sans
embellissement des années sous sa direction — que le SPD sous Gerhard Schröder s’est éloigné des
principes sociaux-démocrates au profit d’une adaptation au néolibéralisme et de l’engagement dans des
guerres contraires au droit international.
Après la première petite percée électorale de la WASG en 2005 à l’occasion des élections régionales en
Rhénanie du Nord-Westphalie, Oskar Lafontaine a rejoint ce parti, devenant immédiatement sa vedette et
militant pour une fusion avec le Linkspartei.PDS.
Nous reproduisons ci-dessous son discours au congrès de fondation du parti Die Linke, qui est intéressant
à plusieurs égards. Outre sa rhétorique radicale anticapitaliste et antimilitariste, Lafontaine semble se
placer à gauche dans le cadre du Parti de la Gauche Européenne, critiquant de façon prudente mais
audible celles et ceux qui font aujourd’hui des politiques de co-gouvernance, car ce n’est pas conforme
avec la crédibilité d’un parti qui veut défendre les intérêts de celles et ceux d’en bas et qui veut lutter
contre les guerres interventionnistes. En même temps, il faut garder à l’esprit qu’Oskar Lafontaine vise
lui-même à une politique de co-gouvernance (mais plus tard, dans d’autres circonstances) et qu’il reste un
social-démocrate du style « réformiste » des années 1970 : Il ne pense aucunement à mettre en question
le système capitaliste, mais il cherche une place dans ce système pour un parti capable d’articuler les
sentiments des masses exploitées et piétinées par ce même système.
Manuel Kellner
Document
Le discours d’Oskar Lafontaine
Mesdames et messieurs, chers invités, chers amis, chers camarades, je sais que l’un ou l’autre d’entre
vous peut avoir des doutes quant au terme « camarade », mais je veux attirer votre attention sur le fait
qu’il n’y a aucune raison pour cela, car la célèbre phrase de la bible selon laquelle il faut « aimer son
prochain comme soi-même » devrait, en fait, être traduite par « tu dois bien aimer ton camarade, ton égal
». C’est pourquoi il était une fois un célèbre Allemand qui avait dit : « Un socialiste ne doit pas être
chrétien, mais un chrétien doit être socialiste ». C’est notre message d’aujourd’hui que nous adressons
aussi aux gens à l’esprit critiques dans les Églises.
Devant vous en tant qu’ancien président du SPD (Parti social-démocrate allemand) je dis : La Gauche se
situe dans la tradition du mouvement ouvrier allemand ! Elle se situe dans la tradition de celles et de ceux
qui étaient réprimés par les lois contre les socialistes sous Bismarck, dans la traditions de celles et de
ceux qui ont péri dans les camps de concentration d’Hitler, et elle se sent obligée par l’héritage de celles
et de ceux qui avaient été emprisonnés en RDA en tant que sociaux-démocrates comme par l’héritage des
communistes qui avaient été emprisonnés et poursuivis en République Fédérale Allemande, et il faut dire
les deux choses.
Je veux commémorer aujourd’hui trois figures de référence du mouvement ouvrier. Il y a là d’abord la
grande socialiste qu’était Rosa Luxemburg. Son héritage est le suivant : « La liberté est toujours la liberté
de celui qui pense autrement ». Il y a là Karl Liebknecht, qui a vraiment démontré par sa vie que rien n’est
plus difficile que de résister aux airs du temps, qui a confirmé le proverbe chinois : « Il n’y a que les
poissons morts qui nagent avec le courant ». Karl Liebknecht était un homme qui savait résister. Il a
inauguré l’héritage du mouvement ouvrier en se dressant contre la guerre, quand il avait voté contre les
crédits de guerre au Reichstag allemand. Et en ce sens là nous nous sentons aussi proche de l’homme qui,
dans le temps, m’avait incité à m’engager dans la politique, le porteur du prix Nobel de la paix, Willy
Brandt, et de ce qu’il a dit : « Plus jamais de guerre partant du sol allemand ! »
Nous, chers amis, sommes le parti du renouveau démocratique. La démocratie — comme le disait le grand
homme d’État Périclès — c’est un système politique dans lequel les affaires se décident dans l’intérêt de la
majorité. Dans le sens de cette très antique définition, notre système représentatif en Allemagne est en
crise. Qu’il s’agisse des retraites, de l’assurance-maladie, des impôts, de la Bundeswehr en Afghanistan,
du marché du travail — prenez n’importe quoi, à chaque coup une majorité de deux tiers du Bundestag
décide contre la grande majorité de la population allemande. La démocratie est en crise. C’est pourquoi,
en Allemagne, nous avons besoin d’un renouveau démocratique ! Nous voulons aider à ce que cela se
réalise, nous, La Gauche en Allemagne ! Et si le système représentatif est en crise, nous avons besoin de
plus de participation. Et avant que nous montrions d’autres du doigt et que nous réclamions des
référendums et des plébiscites, nous avons à nous engager nous-même. Les décisions stratégiques doivent
être soumises au vote des membres dans notre parti. Nous ne pouvons revendiquer la démocratie directe
que si nous commençons par nous-même !
Nous nous réjouissons de la présence de beaucoup de représentants syndicaux ici chez nous. Nous devons
en tant que syndicalistes — et c’est en tant que tel que j’aborde cette question maintenant — nous poser la
question, pourquoi les syndicats sont-ils sur la défensive en Allemagne depuis des années. Beaucoup de
collègues de la Telekom sont maintenant confrontés à la menace insolente d’un abaissement de leurs
revenus. On veut en chasser 50 000 pour les mettre dans des filiales et on les menace de gagner moins en
travaillant plus longtemps. Pourquoi en est-il ainsi ? Nous devons porter la réflexion sur de nouvelles
formes de lutte. C’est pourquoi je dis : Nous devons développer de nouvelles formes de lutte, et cela
signifie aussi, apprendre le français. Oui, La Gauche milite pour la grève générale, pour la grève politique
comme moyen dans les conflits démocratique.
Mais si je parle de renouveau démocratique, je pense aussi à la tâche centrale que la démocratie doit
viser, c’est la tâche du contrôle du pouvoir. Et s’il faut réfléchir sur les déficits de systèmes passés, il se
situaient précisément sur ce terrain, c’est-à-dire qu’il y avait trop peu de contrôle du pouvoir dans le
système politique. C’est le cas pour les systèmes à l’Est, mais aussi à l’Ouest. Le contrôle du pouvoir est
un critère de la démocratie, et le contrôle du pouvoir était aussi jadis un critère du libéralisme. C’est
pourquoi les pères du néolibéralisme, de l’ordolibéralisme [1], disaient : « Nous ne voulons pas le contrôle
du pouvoir économique. Nous voulons la suppression du pouvoir économique ! » C’est le point de jonction
de la théorie politique du socialisme et de celle du libéralisme. Empêcher l’installation du pouvoir
économique est aussi une tâche de la Gauche. Et s’il n’est pas possible d’empêcher l’installation de
pouvoir économique, il faut le contrôler démocratiquement, sinon nous n’aurons pas de société
démocratique ! C’est pourquoi nous soutenons — et je reprends ici ce qu’ont dit Gregor Gysi et Lothar
Bisky — les trois millions de petites entreprises avec moins que dix salariés et moins de dix millions
d’euros de chiffre d’affaires. Ces entreprises importantes pour notre économie nationale sont nos
premiers partenaires auxquels nous nous adressons dans le monde de l’économie, parce que chez eux
aussi il y a de l’exploitation et de l’auto-exploitation. Pour cela, laissez-nous soigner en premier lieux les
petites entreprises.
Nous sommes la nouvelle force qui veut réintroduire le droit international dans la politique extérieure
allemande. Depuis des années le droit international n’est plus la base des décisions ni au niveau mondial
ni dans la politique extérieure allemande. C’est un scandale, car, comme à l’intérieur des États seul le
droit crée la paix, entre les États seul le droit international peut créer la paix. Et si par exemple le
Tribunal d’administration suprême (Bundesverwaltungsgericht) de la République Fédérale a constaté que
nous sommes partie prenante de la guerre contre l’Irak, que nous avons ainsi violé le droit international,
et si le gouvernement actuel ne rompt pas avec cela, c’est une situation absolument intolérable. La
démocratie présuppose aussi le respect du droit et le respect de l’État de droit ! Nous pensons que les
guerres dans ce monde posent aussi la question du système. C’est pourquoi, après Rosa Luxemburg, Karl
Liebknecht et Willy Brandt, j’invoque tout à faire consciemment le grand socialiste français Jean Jaurès,
qui a été assassiné à l’aube de la première guerre mondiale parce qu’il s’engageait passionnellement pour
la paix et appelait les travailleuses et travailleurs d’Europe à ne pas s’entre-tuer et à ne pas mener la
guerre l’un contre l’autre. Jean Jaurès, le grand socialiste, disait : « Le capitalisme porte en soi la guerre
comme la nuée porte l’orage ! » C’est à cela que nous avons à réfléchir, chers camarades. Et si une classe
d’école aurait à écrire un essai sur cette phrase, il faudrait l’emmener au Proche et Moyen-Orient et poser
la question : Pourquoi mène-t-on des guerres là-bas ? Nous sommes la seule force politique qui dit : Ce
n’est pas pour la liberté ni pour la démocratie, ni pour imposer les droits de l’homme, mais pour conquérir
des marchés de matières premières et des débouchés commerciaux. Il faut que nous le disions en toute
clarté. C’est une conséquence du système mondial du capital financier.
Et c’est aussi une donnée navrante que dans le monde occidental — et avant tout en Allemagne — on dise
« Nous voulons combattre le terrorisme international » sans que les participants au débat mettent en
lumière ce qu’est, en fait, le terrorisme. Je suis fier du fait que la Gauche est revenue de façon répétée làdessus au Bundestag. Et je dis aussi ici, à notre congrès de fondation : On ne peut pas combattre le
terrorisme, si on ne sait pas ce que c’est ! Et si nous disons : Le terrorisme, c’est tuer des êtres humains
de façon illégale, pour imposer des fins politiques, alors il faut en finir avec la double morale occidentale.
Car alors Bush, Blair et beaucoup d’autres qui portent la responsabilité des guerres à l’encontre du droit
international, sont aussi des terroristes ! Nous avons à le dire en toute clarté.
Nous n’allons pas, chers amis, vivre en paix dans le monde, si les choses suivent la logique selon laquelle
un musulman qui jette des bombes est un terroriste, alors qu’un chrétien qui jette des bombes, se bat
pour la liberté et pour la démocratie. Avec cette double morale nous contribuons à saper la paix dans le
monde. C’est la morale dominante dans les États industrialisés de l’Occident.
Nous sommes le parti de l’État social. S’il y a un résultat de la fausse politique des dernières années, c’est
la destruction de l’État social, qui pourtant avait créé une identification de millions d’Allemands avec leur
État. Si on leur avait demandé : quelles sont les qualités de votre État ou même de votre nation que vous
appréciez, alors ils auraient évoqué l’État social en premier lieu. Et maintenant ils ont réussi ces dernières
années à détruire complètement cet État social, en mettant par exemple au monde des monstres
terminologiques néolibéraux qui sont répétés sans réfléchir par les non-penseurs des partis concurrents,
comme par exemple « L’État social prévoyant ». Quel vocable incroyable ! « État social prévoyant » ceux
qui ont détruit la caisse des retraites et l’assurance du travail et qui ont gravement endommagé
l’assurance maladie ? Comment peut-on duper ainsi la population avec un seule terme ?! Un « État social
prévoyant » signifie des retraites protégeant le troisième âge de la pauvreté, et rien d’autre !
C’est incroyable, ce que les chaotiques faiseurs de réformes ont fait ces dernières années, ils en ont fait
des belles. Ils ont détruit notre État social stable, qui avait garanti à tant d’êtres humains en Allemagne
une stabilité et une sécurité. Ils ont détruit quelque chose que nous avions conquis de haute lutte dans le
siècle passé, des retraites décentes pour celles et ceux qui ont travaillé pendant toute leur vie. Beaucoup
de salariés s’attendent maintenant à des retraites qui impliquent la misère. Et cela a été constaté non
seulement par des gens qui critiquent l’épanouissement du néolibéralisme, mais aussi par les hauts
fonctionnaires de l’OCDE très bien payés qui sont assis dans le XVIe arrondissement de Paris et s’occupent
à inventer des recettes très intelligemment sans jamais devoir subir leurs conséquences. Mais quand
même, ils ont constaté que l’Allemagne a réussi à faire en sorte que celles et ceux aux revenus bas auront
des retraites les plus misérables de tous les pays industrialisés. Je n’aurais jamais cru que cela puisse être
possible. Cela montre dans quelle mesure ont mentalement dérapé ceux qui, en politique, en positions
responsables et dans les médias se positionnent pour la retraite à 67 ans sans bien regarder ce que cela
signifie pour ceux qui sont concernés dans notre pays. Et c’est pourquoi il faut une nouvelle force, La
Gauche, qui dise : oui, nous voulons restaurer l’État social ! Nous combattrons ces prochains mois et ces
prochaines années pour que l’ancienne formule des retraites soit rétablie et pour que les gens âgés
puissent jouir d’une pension garantissant un troisième âge décent et digne !
Nous voulons aussi, et peut-être à la surprise de tel ou tel observateur, être un parti du renouveau
écologique. Et ceci précisément parce que nous sommes le seul parti qui pose la question de système,
comme l’ont fait Lothar Bisky et Gregor Gysi hier dans leurs discours. Un système qui ne s’oriente que sur
plus de consommation, sur de plus grands chiffres d’affaires et sur plus de profits ne peut pas résoudre la
question écologique. C’est pourquoi la formule des Verts qui parlent d’une économie de marché
écologique est bidon. Non, la question de l’environnement pose la question du système. Nous le savons,
nous, La Gauche. Les autres ne le savent pas.
Et la question écologique recoupe la question sociale, c’était toujours ainsi. Comme la question de la
guerre et de la paix, comme je viens de l’expliquer. Au Moyen-Orient, les guerres sont menées pour le
pétrole et pour le gaz naturel.
Mais maintenant, je parle de la question sociale. Que s’était-il donc passé quand on avait, soi-disant,
libéralisé les marchés de l’énergie. Nous avons maintenant des monopoles qui pillent les gens. Et c’est
pourquoi nous demandons la nationalisation des réseaux et la régulation étatique des prix dans les
marchés énergétiques. Nous, La Gauche, opposons cela au délire des privatisations du néolibéralisme.
Et puisque nous avons vu — je nomme seulement les mots vedettes : privatisations et dérégulation — ces
dernières années comment un nombre croissant de centrales électriques et de gaz ont été vendues à des
grands trusts, nous disons : Nous somme le parti de la recommunalisation de l’approvisionnement en
énergie, car la décentralisation est un principe écologique.
C’est le moment pour moi de saluer un invité — Rüdiger Sagel, qui était jusqu’à maintenant député des
Verts et porte-parole sur les finances dans le Landtag de Rhénanie du Nord-Westphalie et qui a quitté son
parti, parce que celui-ci s’est éloigné des principes écologiques et sociaux. Chaleureusement bienvenu,
Rüdiger Sagel ! Nous vous invitons à travailler ensemble avec nous. Nous sommes une Gauche ouverte !
Nous voulons mettre la question écologique à l’ordre du jour de la nouvelle Gauche ! En toute puissance
et en toute force ! Et nous avons bien besoin de camarades de combat.
Mais nous sommes aussi le parti de la mondialisation à visage humain. Nous donnons des réponses aux
péripéties malsaines de la mondialisation. Et nous savons que la mondialisation à besoin de règles,
auxquelles le processus économique doit être soumis. Il est intolérable que le capitalisme rapace, le
capitalisme financier opère sur toute la planète sans que les États nationaux puissent mettre un terme à
ses agissements et y mettre des bornes.
Et nous savons que ceci a aussi des conséquences à l’intérieur de la société, et c’est pourquoi je dis : Nous
voulons collaborer à la construction du socialisme du XXIe siècle et nous soutenons les tentatives de
socialisme en Amérique Latine. Elles nous donnent de l’espérance en Europe et dans le monde entier !
Et si, par exemple, là-bas les sources énergétiques nationales, la télécommunication et les réseaux
énergétiques sont socialisés, cela est bien. Parce que nous avons plus de démocratie quand les États et les
sociétés décident ce qui se passe avec leurs richesses au lieu de ce que des grands trusts américains
règlent tout et encaissent leurs profits. Cette dernière chose, pour nous, ce n’est pas la démocratie. Je sais
que pour beaucoup Hugo Chávez est le héros du socialisme sud-américain. Mais je veux dire quand même
que pour moi Evo Morales est tout aussi important, sinon plus important. Le plus important pour moi,
c’est qu’Evo Morales a restitué l’idiome des Indigènes comme langue d’État de la Bolivie. C’était pour moi
la décision la plus importante de ce président Indien. Elle est de grande portée.
Nous aurons à travailler pour concrétiser nos concepts depuis la régulation des échanges monétaires en
passant par le contrôle des marchés financiers jusqu’à l’assèchement des bases fiscales. Il y a en fait
énormément de propositions de la Gauche, jusqu’à la taxe Tobin. Oui, nous voulons être au coude à coude
avec les altermondialistes qui veulent donner un visage humain à la mondialisation. Dans ce contexte je
salue un vieil ami — Edelbert Richter, ancien député du Parti social-démocrate allemand, qui pendant
longtemps avait collaboré avec moi sur des thèmes programmatiques et des principes pour former
autrement la mondialisation sur cette planète. Chaleureusement bienvenu, Edelbert, dans notre nouvelle
Gauche !
Oui, c’était un grand événement, le sommet [des G8 à Heiligendamm du 6 au 8 juin 2007] et les réactions
des gens au sommet. Et c’était bien que beaucoup d’entre-nous ici étaient de celles et ceux que se sont
réunis là-bas, et que nous y avons été acceptés comme partenaire de dialogue. C’était pour moi l’élément
décisif de ces protestations contre le sommet. Et je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à cette
réussite. Mais je me suis aussi réjoui, par concurrence partidaire, du fait que, quand le président des
Verts voulait se placer en tête du cortège de la manifestation, il s’est fait huer par les présents, parce
qu’ils ont dit : ceux qui votent pour la guerre ne doivent pas nous mener. C’était correct, il fallait le mettre
en lumière.
Chers amis, nous avons certainement déçu beaucoup de gens qui s’attendaient à ce que la nouvelle
Gauche ne se réalise pas. Nous pouvons certes comprendre l’espérance des autres, mais il fallait les
décevoir, parce que nous n’avons pas le droit de décevoir les espérances de 4,1 millions d’électrices et
d’électeurs, qui nous ont — déjà dans les élections fédérales de 2005 — chargé de créer cette nouvelle
Gauche. Nous aurions échoué devant l’histoire si nous n’avions pas enfoncé le clou ! Et les nombreux
invités de par le monde ainsi que d’Europe montrent que le monde observe cette tentative ici en
Allemagne. Pas en dernier lieu parce qu’ils savent que le berceau du mouvement ouvrier se trouvait ici en
Allemagne. Et alors que la gauche est en crise également en Europe, comme vient de me le redire mon
ami Fausto Bertinotti, on regarde l’Allemagne et on est en suspens pour savoir ce que devient la nouvelle
Gauche. C’est notre grande responsabilité. Par ailleurs, je veux dire quelque chose sur une mission
historique que nous avons, parce que c’est souvent oublié dans le débat public. Nous sommes la seule voix
au sein du parlement et dans la vie politique, qui redonne de l’espérance à celles et ceux qui n’étaient plus
allés aux urnes, parce qu’ils ont dit, ça ne sert à rien, ils décident quand même toujours contre nous. Sans
nous, l’extrême droite serait forte en Allemagne. C’est déjà un acquis historique de la nouvelle Gauche.
Chers amis, nous nous trouvons devant une tâche importante. Nous pouvons devenir encore beaucoup
plus forts. Mais nous ne voulons pas devenir plus forts pour nous-mêmes. Cela aussi je veux le répéter
tout à fait clairement vu les changements organisationnels dans le mouvement ouvrier pendant la dernière
centaine d’années. Des organisations, des syndicats, des partis ne sont jamais des fins en soi. Ils ne sont
toujours que des moyens afin de donner une voix aux gens dépourvus de pouvoir, qui doivent donc se
mettre ensemble pour faire valoir leurs intérêts. C’est pourquoi nous pouvons devenir encore beaucoup
plus forts ! Et nous invitons tout le monde qui veut participer à la construction du socialisme
démocratique. Oui, ce n’est pas liberté au lieu du socialisme, mais la liberté et le socialisme, ou mieux
encore, la liberté par le socialisme ! Voilà la formule derrière laquelle nous nous regroupons ici !
Et, chers amis, vu nos nombreuses erreurs et les fautes que nous commettons tous, je veux dire une chose
: Si nous savons que beaucoup de gens en Allemagne disent, ceux d’en haut font quand même toujours ce
qu’ils veulent, ça ne sert à rien de s’engager, nous devons nous opposer à cela par la démocratie directe,
par les décisions au vote général, par la grève générale, etc. Mais nous devons aussi nous y opposer par la
crédibilité. La crédibilité, c’est le plus difficile. Essayons d’y arriver, à l’encontre de toutes les fautes et de
toutes les erreurs inévitables, et à en faire un signe de marque de la nouvelle Gauche !
Et si nous voulons cela, chers amis, laissez-moi conclure par un mot du poète de la révolution d’octobre,
Maiakowski. Dans le temps, il disait : Nous allons être crédibles « si nous ne piétinons pas la gorge de
notre propre chanson ».
En ce sens : Au bonheur ! [« Glück auf », exclamation traditionnelle dans le mouvement ouvrier allemand]
P.-S.
* Paru dans Inprecor n° 528/529 de juin-juillet 2007. Le discours de Lafontaine a été reproduit par
quotidien de gauche Berlinois « Junge Welt » et traduit de l’allemand par notre correspondant de Cologne,
Manuel Kellner.
* Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, a été élu président du parti Die Linke (La Gauche) au
congrès de fondation à Berlin, le 16 juin 2007, par 87,9 % des 800 délégués, tandis que son co-président
Lothar Bisky a obtenu 83,6 %.
Notes
[1] De Ordoliberalismus en allemand. Courant de pensée économique bourgeoise développé en
Allemagne dans les années 1930-1950. Selon la théorie ordolibérale, l’État doit créer à l’économie un
cadre légal et institutionnel et maintenir un niveau sain de concurrence « libre et non faussée », pour
empêcher la naissance des monopoles ou des oligopoles. Sinon, ces derniers pourraient à terme saper
la démocratie, le pouvoir économique étant capable de se transformer en pouvoir politique. L’État a
donc un rôle d’« ordonnateur ».