CHAPITRE 19 JEUX DE HASARD ET DÉPENDANCE
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CHAPITRE 19 JEUX DE HASARD ET DÉPENDANCE
CHAPITRE 19 JEUX DE HASARD ET DÉPENDANCE Audrey VALIN* 1 Longtemps associée au monde des casinos, la figure du joueur « pathologique » investit désormais l’ensemble du marché des jeux d’argent et de hasard. Les modèles scientifiques qui étudient les excès d’un jeu compulsif sont historiquement issus du domaine médical et décrivent aujourd’hui des « addictions comportementales » comme phénomènes de dépendance sans substance psychotrope. Dans ce contexte, le gouvernement français a mis en place en 2006 un « protocole de jeu responsable » (Décret Loterie, 2006) signé par les trois opérateurs de jeux nationaux (Pari Mutuel Urbain, Casinos, Française des Jeux). Pour la société commerciale La Française des Jeux (FDJ), cette politique a donné lieu en 2007 à une campagne de « Jeu Responsable » dans un objectif affiché de « minimiser le plus possible les risques de dépendance aux jeux » (Site Internet de la FDJ, 2011). À lire son rapport annuel, la responsabilité invoquée concerne avant tout l’entreprise qui précise néanmoins sa volonté de « faire du Jeu Responsable un atout compétitif et différenciant » (Rapport d’activité FDJ 2009, p. 15.) Cette campagne invite donc ses consommateurs à s’autoévaluer, à l’aide d’un test en huit questions, et impute ainsi au joueur la charge d’une pratique, si ce n’est modérée, en tout cas autonome. On le voit, entre dépendance, pathologie, excès, compulsion, addiction, responsabilité, de nombreux termes animent les débats et demandent d’abord à être considérés si l’on veut comprendre comment le joueur peut être autonome des jeux de loterie de la FDJ. Dans ce sens, l’objet de la recherche est de concilier les études actuellement menées d’après une conception essentiellement binaire, qui pose la dépendance versus l’autonomie des joueurs, à une analyse ternaire selon les caractéristiques des produits de la FDJ : le jeu, l’argent et le hasard. Pour ce faire, nous approchons le phénomène par les critères fonctionnels du jeu ainsi que l’avait envisagé Roger Caillois lorsqu’il relevait quatre catégories de jeux comme des structurations sociales : la compétition (agôn), le simulacre (mimicry), le vertige (ilinx) et la chance (alea) (Caillois, 1967). Il s’agit ici de comprendre le pourquoi joue-t-on ?, qui relève de l’environnement social, du contexte, à travers le comment joue-ton ?, qui renvoie à une dimension individuelle. Autrement dit, la * Doctorante en sociologie à l’Université de Franche-Comté, LASA (laboratoire de socio-anthropologie). façon de jouer permet de prendre en compte le contexte parce que l’on joue différemment selon l’environnement dans lequel on se trouve et que cet environnement influe sur la structure. En établissant une typologie des jeux, notre objectif est de montrer que la dépendance aux jeux d’argent et de hasard tient fondamentalement au dispositif institutionnel d’une part et à la forme particulière de ludisme qui est créée par le dialogue entre l’individu et l’aléa de l’autre. * ** I. ÉTUDES ACTUELLES SUR LA DÉPENDANCE AUX JEUX Décrite depuis longtemps dans la littérature, la pratique « compulsive » des jeux d’argent et de hasard n’apparaît que tardivement dans le domaine scientifique, sous les traits d’une pathologie assimilée à la toxicomanie. Les premiers modèles d’analyse sont ainsi issus des milieux médicaux et traitent le phénomène comme ceux des dépendances aux substances psychotropes. Rapidement, les termes de « pathologie » et d’« addiction » envahissent le champ lexical des recherches et, actuellement, le gouvernement français parle même d’un problème de santé publique (Rapport INSERM, 2008). On note alors la réintroduction récente du terme d’addiction qui s’impose aujourd’hui en France comme un anglicisme dont la meilleure traduction serait l’« assuétude » pourtant absente des discours. Ce mot, issu du latin assuetudo (habitude), définit avant tout la tendance irrépressible à répéter un geste et, notamment, l’accoutumance à une drogue. Pourtant, avant de s’exporter outre-Manche et de perdre son existence sémantique en France, l’addiction était utilisée au Moyen Âge comme dérivé du latin ad-dictum, pour désigner un arrêt de justice qui obligeait l’individu incapable de remplir ses obligations envers un créancier, à payer avec son corps et son comportement. Celui-ci devenait une sorte d’esclave : « Esclave de son créancier, tout comme aujourd’hui le toxicomane l’est de sa drogue » (Pierrard, 2001, p. 5.) Classiquement, les modèles médicaux et physiologiques observent la cause efficiente (un stimulus entraîne une réponse) d’un phénomène et induisent de ce fait un agent passif. À l’inverse, les modèles économiques sont basés sur la cause finale et considèrent ainsi un acteur dont le comportement est activement rattaché à un programme qui poursuit un but. Toutefois, aujourd’hui, la psychologie s’inspire de l’économie, notamment des théories du choix rationnel (TCR) qui mettent l’accent sur la dialectique comportementale entre « mélioration » et maximisation. La mélioration étant la tendance à privilégier 274 l’utilité à court terme, c’est elle qui entraîne l’addiction ; tandis que la maximisation caractérise une vision à long terme, soit une prise en compte des conséquences de la consommation. L’importance est alors donnée au choix d’un acteur conscient qui décide de ses préférences entre une utilité locale (à court terme) ou globale (à long terme). De cette façon, il est permis de parler d’addictions volontaires, à l’instar du psychologue Gene Heyman qui étudiait, en 1996, le caractère paradoxal des addictions entre la perte de contrôle involontaire (ce qu’étudie la médecine) et la consommation contrôlée d’individus prenants en compte les risques de l’addiction. Pour lui, le produit crée moins l’addiction que la personne influencée par certaines conditions susceptibles de la pousser ou non à privilégier les valeurs locales ou générales (Heyman, 1996). Auparavant, Stanton Peele avait déjà démontré que la consommation de psychotropes dépend de facteurs environnementaux (culturels, sociaux, situationnels, ritualistes, développementaux, cognitifs et de personnalité) qui induisent un rapport aux substances médiatisé par des variables de choix actifs (Peele, 1985). Récemment, le psychologue clinicien Éric Loonis a examiné un phénomène paradoxal valable pour toutes les addictions dont l’explication se trouverait dans un effet de renforcement positif ou négatif. En prenant l’exemple des fumeurs qui intentent ensuite des procès aux fabricants, il précise que les fumeurs s’adonnent d’abord librement et volontairement au tabagisme sur la base de multiples renforcements positifs liés à la pratique mais, dès lors qu’ils contractent un cancer, la contrainte à arrêter leur procure un manque entraînant cette fois un renforcement négatif (Loonis, 2005, p. 19.) En d’autres termes, comme le soulignait déjà le concept de dissonance cognitive de Léon Festinger, l’individu sait très bien se bercer d’illusions consciemment (Festinger, 1957). Aujourd’hui, la tendance est donc de considérer les addictions, non plus comme des maladies, mais en tant que comportements consommatoires susceptibles de dévier. D’ailleurs, le champ dit des addictions comportementales tente d’élargir le strict rapport organisme/substance et de prendre en compte toutes les activités compulsives à caractère addictif tels les achats, le travail, la boulimie, la sexualité ou encore les jeux compulsifs (Valleur et Velea, 2002). Cependant, par les termes qu’elles emploient, toutes ces études contribuent à véhiculer des images de jeu qui rappellent systématiquement celles des œuvres culturelles (littérature, cinéma, peinture, musique), présentant une sorte de joueur singulier et statique. Ce dernier fournit ainsi un contenu à un mode de compréhension binaire qui repose naturellement sur des oppositions entre le pathologique et le normal, l’excessif et le modéré, le responsable et l’irresponsable, le rationnel et l’irrationnel, la dépendance et l’autonomie. Les règles de normalisation utilisées agissent ainsi comme des cadres, des « structures extérieures » que viennent remplir des figures 275 archétypales : « L’imaginaire se structure selon des archétypes : il y a des patrons-modèles de l’esprit humain, qui ordonnent les rêves, et particulièrement les rêves rationalisés que sont les thèmes mythiques ou romanesques. Règles, conventions, genres artistiques imposent des structures extérieures aux œuvres, tandis que situations-types et personnages types en fournissent les structures internes » (Morin, 1962, p. 32.) En outre, ces sciences médicales sous-tendant encore les recherches actuelles – ne serait-ce que dans le mode de compréhension normatif – sont historiquement imprégnées de considérations morales, a fortiori celle des Lumières. Or, la condamnation des jeux d’argent et de hasard était particulièrement virulente à cette époque. Dans ce sens, non seulement le principe des jeux d’aléa était inadmissible pour ses contre-valeurs que dénonçait déjà la Bible, mais encore des représentations de déchéance ont structuré un mythe de « l’univers des jeux » décadent, schizophrénique et morbide, qui persiste aujourd’hui dans toutes ses ambivalences. II. POUR UNE COMPRÉHENSION TERNAIRE DES JEUX Concernant les produits de la FDJ, il convient d’observer les trois caractéristiques qu’ils revêtent afin de comprendre les façons de jouer. D’abord, l’argent est le motif de jeu clairement invoqué par les joueurs rencontrés sur le terrain. Cette dimension pécuniaire renvoie directement à la société de consommation ; à ce titre, les techniques commerciales utilisées par la FDJ sont multiples pour, non seulement susciter, mais aussi entretenir et même donner toujours davantage l’envie de jouer. Un premier principe est celui de la redistribution qui consiste à distiller régulièrement de petits gains afin de ne pas lasser un joueur qui perdrait tout le temps ; d’une façon un peu similaire, les abonnés du site FDJ se voient parfois offrir des crédits de jeu sur leur compte. Ensuite, le procédé de la sur-médiatisation des grosses cagnottes et de leurs gagnants vise à maintenir dans les esprits l’idée que le jackpot est accessible à tous. Enfin, d’une manière générale, la publicité passe par les vecteurs habituels de la télévision, radio, affiches, courriers électroniques (dans les boîtes mail des clients du site internet) et l’on connaît la participation de la FDJ à de nombreux événements sportifs tels que le tour de France. Il est alors à noter, qu’en matière de communication, la FDJ utilise en priorité le procédé de l’humour pour la promotion de ses produits. Or, d’une manière générale, la publicité, outre son objectif de faire consommer, témoigne précisément d’un rapport ludique typique de la société de consommation. Ensuite, les jeux de la FDJ relèvent du gadget, petit objet inutile qui ne procure que le plaisir de sa consommation au 276 détriment de toute vocation utilitaire. Or, la forme de ludisme qu’il incarne est, tout comme le médium publicitaire, représentative d’un mode d’être en société : « C’est le ludique qui régit de plus en plus nos rapports aux objets, aux personnes, à la culture, au loisir, au travail parfois, à la politique aussi bien. C’est le ludique qui devient la tonalité dominante de notre habitus quotidien, dans la mesure précisément où tout, objets, biens, relations, services, y devient gadget » (Baudrillard, 1970, p. 170.) Créé par l’environnement, le ludisme revêt donc une dimension sociétale. Edgar Morin soulignait d’ailleurs combien l’aspect technique participe de notre appréhension du ludisme (Morin, 1956). À propos des jeux de la FDJ, on ne peut effectivement pas séparer la pratique du dispositif technique pour expliquer leur attractivité. Au Rapido, par exemple, le joueur est installé devant un écran dont l’effet hypnotique est renforcé par la rapidité des tirages qui tend à rendre élastiques les frontières du temps. Pour le LOTO® dont les tirages sont différés, on remarque d’ailleurs que l’effet de dépendance ne se manifeste pas de la même façon ; il est moins impulsif et plus « rationalisé », par exemple grâce aux abonnements proposés par la FDJ aux joueurs soucieux de ne manquer aucun tirage. Enfin, le support technique du ticket à gratter crée une dépendance à la consommation typique de ses qualités de gadget. En philosophie, Colas Duflo relève aussi la forme particulière de culture que constitue l’univers ludique (Duflo, 1997) et, en fait, comme le disent Louis-Jean Calvet et Jean-Marie Lhôte en s’inspirant de la sémiologie de Roland Barthes, « le jeu n’existe pas, il n’y a que des jeux » (Rapport INSERM, 2008, p. 6.) Ainsi, pour ce qui est des jeux de la FDJ, nous dirions que le ludisme revêt trois dimensions qui interagissent ensemble : un ludisme consommatoire tel que nous venons de l’appréhender ; un ludisme que nous qualifions de tribal au sens de la sociabilité telle que la conceptualise Michel Maffesoli sous les traits de la « tribu » (Maffesoli, 1988), le jeu induisant ici un plaisir de se lier à communauté (ne serait-ce que par le principe même de la cagnotte constituée des mises collectives) ; enfin, un ludisme anthropologique inhérent à la qualité ludens de l’homme « désorganisé » ou « désordonné » dans sa relation à la fois antagoniste mais complémentaire à l’homo faber (Morin, 1982). Ainsi, dans les jeux, le hasard est à la fois un motif d’action, notamment parce qu’il établit l’égalité des chances et que l’incertitude permet de ne pas être moins assuré de gagner que de perdre mais il est aussi, et surtout, un moteur de création dans l’action de jouer même si, dans la pratique, il est dissimulé par ses deux autres dimensions. En effet, les joueurs ne disent pas jouer pour le hasard, mais pour le jackpot (donc pour l’argent) et pour s’amuser (donc le ludisme). Pourtant, dans leur action, ils utilisent toujours le hasard : parfois, directement, notamment par le biais du système « flash », le tirage aléatoire par la machine ; et parfois plus indirectement, avec des 277 superstitions, dont la chance fait partie, mais aussi les portebonheur et les martingales. Dans tous les cas, les joueurs créent en fait un dialogue avec le hasard (qu’ils le considèrent comme allié ou comme adversaire) et ils traduisent cette communication à l’aléa de façon plus ou moins matérialisée. Le hasard est ainsi créateur de représentations (par exemple la chance), de pratiques (les martingales mais on pourrait aussi parler de la pratique scientifique des statistiques), de sens (les jeux relèvent en partie de l’ordalie), de concepts (la serendipity) et d’émotions tel le plaisir que nous donnent à voir les observations et qui relève bien du jeu avec l’aléa. En effet, dans la pratique, c’est l’incertitude quant au résultat qui est stimulante, « l’attrait excitant du probable, du pur peut-être », une « instabilité ludique » entre l’avoir et le ne pas avoir procurant un bonheur par anticipation (Simmel, 1986, p. 54.) Cependant, en tant qu’activité sociale, la pratique des jeux se heurte au dualisme de l’aléa. Positivé dans le dispositif ludique, celui-ci est en revanche déprécié dans l’ensemble des sphères sociales répondant à des valeurs de mérite, de compétition, et suivant une logique d’assurance et de prévention ; d’où le paradoxe du joueur qui, d’une part, décide de s’en remettre à l’aléa, de l’autre, tente d’avoir un contrôle dessus. Or, c’est à ce niveau que se situe la complexité de la dépendance au jeu, comme une analyse typologique permet de le constater. III. ANALYSE FONCTIONNELLE DE LA DÉPENDANCE ET DE L’AUTONOMIE AUX JEUX DE LA FDJ Le « tableau de pensée homogène » (Weber, 1992, pp. 172-173) que nous avons construit ici présente des types simplifiés et systématisés dont les frontières restent ouvertes si bien que, dans la réalité empirique, un joueur appartient le plus souvent à plusieurs d’entre eux à la fois. À noter ensuite qu’en nous focalisant sur les produits de la FDJ, la pratique professionnelle est exclue parce qu’elle concerne une forme de stratégie rationnelle, tandis que les jeux que nous étudions ne peuvent donner lieu qu’à des formes de stratégie superstitieuses, qualifiées de « martingales ». Ainsi, le Pari Mutuel Urbain (PMU) ou le poker n’entrent pas notre champ d’analyse, ni même les jeux de casino (y compris les machines à sous, roulette et boule) qui offrent un dispositif technique différent de ceux utilisés par la FDJ. A fortiori, cette typologie a été réalisée à partir d’une cinquantaine d’entretiens menés entre 2005 et 2011 suite à des observations dans des lieux de jeux diversifiés en termes de situation géographique et de débitants (boutiques FDJ, bar, tabac, presse). 278 Enfin, nous avons retenu deux critères d’analyse : le motif d’action interroge ce qui entraîne l’individu à jouer, et le ludisme révèle le plaisir effectivement retiré dans l’action. Chacun comprend trois dimensions : consommatoire, ludique et aléatoire et, chaque fois, un type de jeu correspond à une fonction sociale. Onze types se répartissent ainsi en trois catégories. Typologie des jeux d’argent et de hasard de la FDJ Types de jeu Motifs d’action Catégorie 1 : Jeu 1 Jeu impulsif Le jeu 2 Jeu-sociabilité Le jeu 3 Jeu régulier L’habitude, le rituel 4 Jeuconsommation Consommer 5 Jeu contextuel Le contexte, l’instant 6 Jeu-coutume 7 8 9 10 11 Ludisme Goût de l’aléa, dialogue avec le hasard Inhérent à la dimension sociable dans l’action de jouer Plaisir dans l’action de jouer Plaisir consommatoire inhérent aux qualités de gadget du jeu Plaisir mitigé, « moyen » L’habitude, le rituel, Uniquement dans l’attachement à la finalité de l’action coutume, la tradition Catégorie 2 : Hors-jeu Jeu-socialité Les rapports sociaux Par défaut, minimal Jeu-appartenance Rester dans le groupe Aucun Catégorie 3 : Jeu rationalisé Travailler le jeu (par Jeu stratégique Compétition avec un travail du hasard) hasard Jeu-dépendance Jouer Aucun « Militantisme » Non-jeu Aucun contre le système du jeu la le Nous ne reprendrons pas ici chacun des types pour les analyser un à un mais nous allons plutôt opérer un focus sur ceux qui permettent de comprendre le mieux la place du hasard dans le phénomène de dépendance. Dans le cas du « jeu-consommation », le joueur accepte le produit pour ce qu’il est : un article marchand, un objet ludique et une pratique aléatoire ; en conséquence, on peut considérer que le joueur est autonome dans sa pratique. Ainsi, nous avons rencontré de nombreux fumeurs achetant des tickets de grattage lorsqu’ils les voient en vitrine du comptoir sur lequel ils déposent leur argent ; souvent, quand ils manquent de monnaie et doivent payer par carte bancaire, ils atteignent le montant requis en prenant quelques tickets. Suivant une même logique consommatoire, ce type d’individus joue volontiers lorsqu’une cagnotte conséquente est annoncée pour le Loto ou l’Euro Millions. Dans tous ces cas, la médiatisation du produit, sa publicité et la mode de l’addict engendrent une dépendance consommatoire assimilable à d’autres produits et des pratiques 279 spécifiques telles que celles identifiées par les analystes des « addictions comportementales ». À ce titre, les publicitaires, ayant bien compris que l’on ne devient pas tributaire d’une consommation sans plaisir, utilisent particulièrement l’ambiguïté du phénomène de cette figure de l’addict construite dans une connotation positive par la société de consommation (Valleur et Velea, 2002). Le parfum de Christian Dior, Dior Addict, dans ses deux déclinaisons, en est une parfaite illustration. Toujours empruntes du luxe de la prestigieuse marque du créateur, les deux publicités mettent en scène successivement un décor d’enfer et de paradis. Images de luxure débridée pour la première, l’ambiance suggérée est celle de torrides nuits parisiennes aux couleurs rouges sang et noires charbon. Le flacon est bleu nuit et doré, les lumières sont éblouissantes (un projecteur braqué sur le spectateur au premier plan puis des néons d’enseignes au second plan) et un jeu de miroir ajoute le pêché d’orgueil à celui de la luxure que le parfum instrumentalise initialement. Les plaisirs de la chair sont incarnés par une femme brune, exhibant des sous-vêtements en cuir noir, seulement à moitié posés sur son corps mouillé. La tête renversée offre un cou dégagé, les yeux sont clos et la bouche, pulpeuse, est ouverte pour laisser découvrir des dents serrées qui évoquent une sensuelle volupté. En outre, le slogan « Admit it » est bref et engage sans détour à se laisser aller à ses passions, quelles qu’elles soient. À l’opposé, la deuxième édition du parfum (Dior Addict 2) présente une atmosphère candide rappelant le jardin d’Eden avec un cerisier en fleur et le physique doux d’une jeune fille blonde aux joues roses et aux yeux bleus, le tout sur fond lumineux aux couleurs pastel, principalement roses et bleues. Le flacon, de même design, est cette fois argenté, rose et transparent. Au flash aveuglant se substituent des raies de lumière venus du ciel pour caresser la silhouette angélique de la femme dont la bouche entrouverte dénote une sensualité à la fois provocante et innocente. L’air séraphin est accentué par la position de la tête inclinée vers le bas et dont les cheveux cachent une partie du visage, l’autre étant découverte grâce au jeu négligé des doigts qui enroulent une mèche et laissent ainsi apparaître un œil ouvert. Toutes proportions gardées, la campagne de la FDJ pour son Joker+® rappelle ce mode de promotion de l’addiction glamour. Lancés en septembre 2010, les spots publicitaires mettent en scène l’actrice Arielle Dombasle au milieu du célèbre Crazy Horse et de ses danseuses. La société de jeu, conservant néanmoins le procédé de l’humour au premier plan, introduit le charme et la séduction que l’on retrouve chez Dior comme participant à la connotation méliorative de l’addiction. Dans ce cadre de la « fashion addict », la dépendance du consommateur apparaît ainsi de façon flagrante. Toutefois, le principe du Joker+®, relayé par son slogan, alerte sur le mécanisme 280 dépassant le seul domaine consommatoire : « Avec la nouvelle option "plus ou moins un", quand vous avez perdu à un numéro près, vous avez gagné. » De cette façon, si le consommateur choisit l’option, il devient évident que le joueur cherche aussi à retourner un hasard qui lui aurait été défavorable. En cas de perte, un contrôle peut s’opérer, par le bais de l’option, afin d’effacer les effets de l’aléa. Le « joueur-dépendant » se distingue en cela du « joueur-consommateur » qui s’amuse de l’option dans sa qualité de gadget (Baudrillard, 1957) : en tentant de maîtriser les coups du sort, il joue toujours avec et préserve le dialogue. D’une autre manière, le « jeu stratégique » suit le même raisonnement de rationalisation ludique de l’aléa. Le plus souvent, ces joueurs usent de martingales telles que des combinaisons « fétiches ». De nombreux enquêtés expliquent ainsi avoir établi une grille de LOTO® ou d’Euro Millions en fonction des numéros qui sortent le plus souvent dans les tirages, et ce d’après une étude des statistiques fournies par la FDJ sur plusieurs années. Comme ces numéros sortent souvent, ils se disent certains de gagner, si ce n’est le jackpot, au moins de petites sommes régulières qui remboursent la mise hebdomadaire. Dans un souci de rentabilité, ces joueurs sont aussi ceux qui choisissent des tickets à gratter en fonction des taux de redistributions que la FDJ fait figurer au dos de chaque jeu. Paradoxalement, ces joueurs restent autonomes dans leur pratique parce qu’ils acceptent les règles fixées par le jeu. Concrètement, ces joueurs s’allouent souvent un budget qu’ils ne dépassent pas car ils savent que leur stratégie ne peut finalement pas lutter contre les « caprices » du hasard. En d’autres termes, ils se savent dépendants de la dimension aléatoire du jeu comme de sa dimension commerciale : leur abandon du jeu en cas de perte est d’ailleurs souvent justifié par une volonté de ne pas enrichir la FDJ. Dans leurs particularités, ces deux types de jeux révèlent donc la dépendance inhérente au contexte large de la société de consommation et plus restreint du marché des jeux en France. Surtout, cette dépendance est comprise dans les règles du jeu ; quiconque achète un produit de la FDJ se soumet irrémédiablement aux lois de la consommation à laquelle il participe, à l’absolutisme de l’argent qu’il convoite et à l’arbitraire qui décide de l’issue de l’action. Mais cette dépendance aux caractéristiques du jeu confère précisément son autonomie au joueur dans l’action. En particulier, les « zones d’incertitude » offrent à l’individu les marges d’autonomie nécessaires pour affirmer sa liberté face aux contraintes du système de règles et finalement s’émanciper de sa pratique (Crozier et Friedberg, 1997). Dès lors, le joueur qui rejette l’incertitude en se détournant du hasard renonce finalement à ses 281 propres marges d’autonomie et c’est ainsi que se crée une situation de dépendance. IV. LA DÉPENDANCE AUX JEUX PAR AUTONOMIE DU HASARD À un niveau bien supérieur de rationalisation que dans le cas précédent du « jeu stratégique », le joueur dépendant n’est plus qu’un compétiteur. Concrètement, les gains sont sa seule préoccupation et il ne compte que sur sa chance de gagner comme si celle-ci relevait d’une compétence personnelle. Sur le terrain, nous entendons souvent que la chance « se travaille », qu’elle « s’attire », qu’il faut « la provoquer » ; en un mot, qu’il faut jouer et « ne pas se décourager » ; en cas de perte, ces joueurs ne s’avouent pas vaincus, ils jouent de nouveau pour regagner leur mise, pour « se refaire ». « La chance finit toujours par revenir », nous disent-il encore, en énonçant des preuves telles que les gains perçus par des proches ou de simples connaissances, jusqu’aux gagnants de jackpot, des gens « comme eux » qui ont tous en commun de ne pas avoir attendu que le hasard « les frappe » sans rien faire. D’où le discours de ces joueurs qui n’envisagent plus de s’arrêter de jouer avant d’avoir eux-mêmes remporté ce qu’ils estiment mériter. Le type du « jeu-dépendance » est une forme extrême de rationalisation du jeu ; précisément, l’individu rationalise son activité en rationalisant l’aléa. Dans la typologie, le motif d’action n’est pas « le jeu », mais « jouer », qui traduit en fait une notion de « travail » : jouer, signifie travailler le jeu, par un travail du hasard chez un individu qui ne se place alors plus en joueur, mais en compétiteur ou artisan d’un hasard. Le jeu s’en trouve « corrompu » par l’action laborieuse de celui qui cesse de respecter le hasard en tant que tel ; dans ce cas, la pratique se met à déborder le cadre qui la maintient habituellement à l’écart de la vie courante, elle en vient à investir et « contaminer » le monde réel (Caillois, 1957) ; d’où, d’ailleurs, les problèmes du jeu via la technologie de l’internet qui outrepasse les limites instituées par une conduite « étanche » aux sphères sociales prioritaires ayant justement pour but de limiter le jeu à une pratique récréative. Ainsi, la perte du sens du jeu, telle qu’elle est identifiée dans les études traditionnelles, résulte en réalité d’un éloignement du sens du hasard. L’aléa, qui est à la fois positif et négatif, n’est plus perçu que sous les traits positifs de la chance parce que sa dimension imprévisible a disparu au profit d’un travail de rationalisation. En se focalisant sur sa seule fonction d’égalité – qui induit la possibilité de gagner – et sur leur aptitude à « se refaire », les joueurs expriment ainsi une dissimulation de la fonction de liberté du hasard qui crée l’ouverture dans une activité fermée par les règles. En d’autres termes, c’est quand le joueur s’autonomise de l’aléa – pour ce qu’il est – que la 282 dépendance s’installe : la dépendance au jeu provient de l’autonomie au hasard. Le « jeu-appartenance » nous renseigne encore sur ce processus. Dans ce cas, le joueur s’inscrit dans un mouvement collectif de jeu qu’il n’a pas et qu’il n’aurait pas choisi pour ne pas rester en marge du groupe. Il peut s’agir du LOTO® ou de l’Euro Millions joués en commun par des collègues de travail. L’individu qui ne porte aucune affection au jeu sait, en revanche, en apprécier la convivialité mais sa participation est essentiellement financière et il confie volontiers le choix des numéros au système « flash » de la machine. Son autonomie dépend alors de celle du groupe et en aucun cas du jeu puisque l’action est dénuée de ludisme. L’individu est donc susceptible d’entrer en état de dépendance si le groupe l’est lui-même : la problématique n’est plus celle du jeu mais de la socialisation qui amène un individu à suivre son groupe de pair dans une pratique, même déviante, par souci d’intégration et suivant une logique d’initiation (Becker, 1985). De nombreux modèles psychologiques et économiques présentent, à ce titre, la notion de « carrière » du joueur excessif, à l’instar de Robert Custer, décrivant en 1984, l’évolution clinique du joueur pathologique en termes d’une trajectoire suivant trois phases-types : la phase de « gain », celle de « perte » et de « chasse », enfin le « désespoir » (Custer, 1984). Pour lui, la dépendance participe moins des critères d’ordre purement cliniques que de la gratification ressentie par le joueur en cas de gain ou de perte, de la satisfaction qu’il éprouve dans les autres sphères de sa vie ou encore de la somme gagnée lors des premières expériences de jeu. Dans une autre perspective, Georges Stigler et Gary Becker établissaient en 1977 un modèle économique dit de l’« addiction rationnelle » selon lequel l’acteur établirait un plan consistant à maximiser une fonction d’utilité U(C ; Y), où C représente la consommation d’un bien composite et Y celle d’un bien addictif. Dans ce cadre, l’addiction proviendrait d’un apprentissage de la consommation du bien qui génèrerait un stock de capital addictif agissant dans le présent par un effet rétroactif : un bien serait donc addictif quand sa consommation présente dépend de la consommation passée apprise (Becker et Stigler, 1977). En outre, la satisfaction future, parce qu’elle doit s’ajouter à celles immédiate et passée, implique de parler d’un investissement en capital de consommation (Becker et Murphy, 1988). La notion de carrière apparaît dès lors complète et dans ce sens le modèle économique permet de comprendre le phénomène de la dépendance par appartenance et consommation. Il serait alors permis de parler d’« addictions volontaires », à l’instar de Gene Heyman qui étudiait, en 1996, le 283 caractère paradoxal des addictions entre la perte de contrôle involontaire (ce qu’étudie la médecine) et la consommation contrôlée d’individus qui prennent en compte les risques de l’addiction. Le produit créait ainsi moins l’addiction que les conditions susceptibles d’inciter un individu à privilégier ou non les valeurs locales ou générales (Heyman, 1996). À l’inverse, le « non-jeu » pourrait représenter une attitude de maximisation, c’est-à-dire une vision à long terme et une prise en compte des conséquences de la consommation, de la part d’individus privilégiant l’unité globale à l’unité locale, soit la mélioration qui entraîne l’addiction (Herrnstein et Vaughan, 1980). Toutefois, les observations donnent surtout à voir des individus tout autant dépendants de leur refus de jouer que le « joueur-dépendant » l’est de son jeu. Le plus souvent, les « nonjoueurs » excluent absolument de donner leur argent à la FDJ, critiquant la manipulation de cette firme qui « truque » le hasard et s’enrichit de la crédulité des joueurs. Ceux-ci nous parlent volontiers de « ludictature » dirigée uniquement par le profit et ils fustigent l’État complice tout en moralisant les joueurs qui leur proposent de se joindre à eux. C’est dans ce sens que nous rapprochons le type de « jeu-dépendance » et le « non-jeu » comme deux expressions d’une même dépendance au jeu. Si l’une s’illustre dans l’incapacité à cesser de jouer et l’autre dans la rigidité qui ne permet pas de commencer, dans les deux cas aucune entrave n’est permise, sinon un non-joueur pourrait parfois accepter d’accompagner des partenaires qui le sollicitent ; mais dans ce cas, il entrerait dans le type du « jeuappartenance ». En fait, ces deux types de pratiques se caractérisent par une négation des marges de libertés permises par l’incertitude pourtant inhérente aux jeux. * ** Finalement, les figures du joueur pathologique, compulsif ou excessif, ainsi que la notion d’addiction sont des modèles d’explication médicaux, économiques et consommatoires expliquant seulement en partie le phénomène de la dépendance aux jeux d’argent et d’aléa. Pour une entière compréhension, il convient d’ajouter le rapport au hasard dont l’alternance entre « l’avoir et le ne pas avoir » maintient l’individu dans une pratique autonome. En premier lieu, une dépendance d’ordre consommatoire repose sur la logique du besoin inassouvi, engendrant un irrémédiable malaise de manque dans notre société de consommation de masse (Baudrillard, 1970). Ensuite, la culture ludique – au-delà même de la société de loisirs – participe d’un mode d’appréhension du ludisme dont l’individu dépend de façon inéluctable ; les rêves d’argent et de changement de vie 284 traduisent ainsi des aspirations narcissiques issues d’un mode d’existence du paraître reposant sur la possession (Lasch, 2006). Le jeu répond alors à un double objectif : celui d’exister dans l’instant (quand j’achète mon ticket de grattage ou ma grille de LOTO®, je consomme, donc j’existe) et celui de pérenniser son existence (en gagnant, je pourrais consommer davantage, donc posséder et continuer à paraître). C’est ainsi la peur d’une mort symbolique (on pourrait dire « consommatoire ») qui motive l’action du joueur. En outre, ce ludisme instauré par le jeu d’argent et de hasard repose sur la communauté (celle des joueurs et de la société de jeu) et se trouve englobé dans la forme sociale plus générale de « la dépendance de l’individu à l’égard du groupe » (Simmel, 1991, pp. 165-166.) Enfin, une dépendance au hasard est inéluctable, de par le dispositif même de la pratique puisque, dès lors qu’il s’engage dans un jeu de hasard, le joueur choisit délibérément de s’en remettre à une autorité supérieure qui décide pour lui de l’issue de son activité. Le paradoxe de la dépendance au jeu est en fait celui de la dualité du hasard dans la pratique. L’aléa socialement structurée dans une activité ludique et consommatoire confère inexorablement une dépendance au joueur tandis que sa propre incertitude quant à la finalité de l’action lui garantit son autonomie. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BAUDRILLARD Jean (1970), La Société de consommation, Paris, Denoël. 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