clauses abusives. interdiction. pouvoir du juge

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clauses abusives. interdiction. pouvoir du juge
GACIV/12/2008/0013
Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e édition 2008, p. 137
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: 159
Décision commentée : Cour de cassation, 1re civ., 14-05-1991 n° 89-20.999
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CONTRAT ET OBLIGATIONS
1.Clause abusive
2.Nullité
3.Clause limitative de responsabilité
4.Diapositive
5.Perte
Entrepreneur dépositaire * Avantage excessif
DEPOT
1.Dépositaire
2.Responsabilité
3.Perte de la chose
4.Clause limitative de responsabilité
5.Diapositive
Laboratoire de développement * Clause abusive
CLAUSES ABUSIVES. INTERDICTION. POUVOIR DU
JUGE
Civ. 1re, 14 mai 1991
(D. 1991. 449, note Ghestin et Som. com. 320, obs. Aubert, JCP 1991. II. 21763, note
Paisant, Contrats, conc. consom. 1991, n° 160, obs. Leveneur, Defrénois 1991. 1268, obs.
Aubert, RTD civ. 1991. 526, obs. Mestre)
François Terré, Membre de l'Institut ; Professeur émérite à
l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Yves Lequette, Professeur à l'Université Panthéon-Assas
(Paris II)
Lorthioir, Minit Foto c/ Baucheron
C'est à bon droit qu'un tribunal d'instance décide que revêt un caractère abusif, et doit
être réputée non écrite, la clause figurant sur un bulletin de dépôt de diapositives
exonérant le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, une
telle clause procurant un avantage excessif à l'entrepreneur dépositaire, celui-ci du fait
de sa position économique se trouvant en mesure de l'imposer à sa clientèle.
Faits. — Un particulier avait confié au magasin Minit Foto dix-huit diapositives en
vue de leur reproduction sur papier. Le reçu constatant le dépôt contenait une clause
exonérant le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des clichés. Cette
éventualité s'étant réalisée, le laboratoire entendait s'abriter derrière cette clause pour
faire échec à l'action en responsabilité introduite par son client devant le tribunal
d'instance de Béthune, compétent ratione materiae en raison de la modicité de l'enjeu
du procès. Le tribunal, après avoir constaté que cette clause procurait un avantage
excessif au laboratoire et revêtait un caractère abusif, la déclara non écrite et
condamna le laboratoire à réparer le préjudice subi par son client. Rendu en premier
et dernier ressort, ce jugement fut frappé d'un pourvoi en cassation.
Arrêt
La Cour ; — Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : — Attendu, selon les
énonciations des juges du fond, que, le 4 février 1989, M. Baucheron a confié au magasin Minit
Foto de Béthune, succursale de la société Minit France, dix-huit diapositives en vue de leur
reproduction sur papier ; que ces diapositives ayant été perdues, le jugement attaqué (TI Béthune,
28 sept. 1989) a condamné la société Minit France à payer à M. Baucheron la somme de 3 000 F
en réparation de son préjudice ; — Attendu que la société Minit France fait grief au jugement
d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, que l'entrepreneur-dépositaire est tenu d'une
obligation de moyen, en ce qui concerne la conservation de la chose qui lui a été confiée en vue de
l'exécution d'un travail ; qu'en se bornant à affirmer, sans s'expliquer sur ce point, que le magasin
Minit Foto était tenu d'une obligation de résultat, le jugement attaqué a privé sa décision de base
légale au regard des articles 1137, 1787 et 1927 et suivants du Code civil ; et alors, d'autre part,
que sont licites les clauses susceptibles d'atténuer ou de diminuer la responsabilité du locateur ;
qu'en se contentant d'affirmer, sans s'expliquer davantage sur ce second point, que la clause de
non-responsabilité, figurant sur le bulletin de dépôt des diapositives, apparaissait comme une
clause abusive, inopposable à un client de bonne foi, le tribunal d'instance n'a pas légalement
justifié sa décision au regard des mêmes textes ; — Mais attendu, d'abord, selon l'article 1789 du
Code civil, que le locateur d'ouvrage est tenu de restituer la chose qu'il a reçue et ne peut
s'exonérer de sa responsabilité que par la preuve de l'absence de faute ; que, dès lors, le jugement
attaqué, d'où il résulte que la cause de la disparition des diapositives est inconnue, est légalement
justifié, abstraction faite du motif surabondant relatif à l'obligation de résultat, critiqué par le moyen
; — Attendu, ensuite, qu'ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le
laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il
ressort qu'une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci,
du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l'imposer à sa clientèle, a décidé à
bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ; d'où il suit
que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches ; — Attendu que M. Baucheron
sollicite l'allocation d'une somme de 4 000 F, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande ; — Par ces motifs, rejette...
Observations
1 Conçu comme le fruit d'une libre discussion entre personnes égales, le contrat
ne pouvait, dans la conception des rédacteurs du Code civil, conduire qu'à des
rapports justes. Chaque individu étant le meilleur juge et donc le meilleur législateur
de ses intérêts, comment aurait-il pu consentir à un contrat qui lui porte préjudice ?
C'était oublier qu'égaux en droit, les hommes ne le sont pas en fait. Puissants et
humbles, riches et pauvres, habiles et maladroits, sachants et ignorants coexistent
dans toute société. La liberté contractuelle devient alors le moyen pour les premiers
d'imposer aux seconds des conditions draconiennes. Encore discret au début du siècle
dernier, ce danger n'a cessé de croître du fait d'une concentration industrielle et
commerciale toujours plus grande. C'est pourquoi, certains auteurs ont dénoncé, il y a
tout juste un siècle, la menace que représentaient pour la justice contractuelle les
contrats d'adhésion (Saleilles, De la déclaration de volonté, Contribution à l'étude de
l'acte juridique dans le Code civil allemand, 1901, nos 89 et s., p. 229 et s.). Bien loin
d'être précédée d'une libre discussion, comme le voulait la conception classique, la
conclusion du contrat résulte alors de l'adhésion, d'où son nom, de la partie
économiquement faible au projet prérédigé que lui présente la partie forte (sur cette
notion, v. not. G. Berlioz, Le contrat d'adhésion, 2e éd., Paris 1976 ; Flour, Aubert et
Savaux, Les obligations, vol. 1, nos 177 et s. ; Ghestin, La formation du contrat, nos 94
et s. ; Terré, Simler et Lequette, Les obligations, nos 188 et s.). Afin de lutter contre ce
danger, il a été suggéré que le juge devrait être investi, à propos de ces contrats, d'un
droit de contrôle qui lui permettrait de dénier effet aux dispositions abusives.
L'exemple de la jurisprudence allemande, qui a élaboré un système de protection
contre les clauses abusives (v. Rieg, « La lutte contre les clauses abusives des
contrats, Esquisse comparative des solutions allemande et française », Études Rodière,
1981, p. 221 et s.), était invoqué pour montrer que les juges français auraient sans
doute pu découvrir dans certaines dispositions du Code civil, et notamment dans
l'article 1134, alinéa 3 qui prévoit que les conventions doivent être exécutées de
bonne foi, la source d'un tel pouvoir. Mais, ici comme en d'autres domaines — révision
pour imprévision (infra, n° 165), clause pénale (infra, n° 168) —, la haute juridiction a
fait preuve d'une certaine timidité.
Face à ce constat, une intervention du législateur était souhaitée afin qu'il accorde
au juge les pouvoirs que celui-ci n'avait pas su découvrir dans les textes existants. Tel
fut, à propos des clauses pénales, l'objet de la loi du 9 juillet 1975 qui permet au juge
de « modérer ou (d') augmenter la peine (...) convenue, si elle est manifestement
excessive ou dérisoire ». Tel était également l'objet initial du projet qui devait aboutir
au vote de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 dont le chapitre IV traite de « la
protection des consommateurs contre les clauses abusives » et dont les dispositions
ont été ultérieurement codifiées dans les articles L. 132-1 et s. du Code de la
consommation. Mais, au cours des débats, l'économie du système fut profondément
modifiée. Alors que le projet confiait au juge la mission de caractériser et d'anéantir,
espèce par espèce, les clauses abusives, la loi dans sa rédaction définitive réserva ce
rôle au pouvoir réglementaire. Une clause ne pouvait être abusive que si elle avait été
déclarée telle par un décret. Mais moins soucieux, semble-t-il, de la protection des
consommateurs que des nécessités de l'économie, les gouvernements successifs
n'usèrent qu'avec une extrême parcimonie du pouvoir qui leur avait été reconnu.
Dénonçant cette carence, un courant doctrinal important invita les magistrats à saisir
le pouvoir que la loi de 1978 leur avait refusé. A la question de savoir si une clause
peut être déclarée abusive par les juges malgré l'absence d'un décret en prononçant
formellement l'interdiction (I), la Cour de cassation répondit positivement par une
série d'arrêts s'échelonnant de 1987 à 1991 (II). Cette jurisprudence doit aujourd'hui
être lue à la lumière de la loi du 1er février 1995 qui a mis le droit français en
conformité avec la directive européenne du 5 avril 1993 (III).
I. — Le rôle du juge en question
2 Après avoir décrit brièvement les traits essentiels du système mis en place par
la loi du 10 janvier 1978 (A), on rappellera les termes du débat qu'il a suscité (B).
A. — Le problème
3 Selon l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, devenu l'article L. 132-1 du Code
de la consommation, « dans les contrats conclus entre professionnels et
non-professionnels ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou
réglementées, par des décrets en Conseil d'État pris après avis de la commission
instituée par l'article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et
des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable
du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la
charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions
d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de
telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par
un abus de puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un
avantage excessif ».
C'est dire, tout d'abord, que le champ d'application de cette disposition était, et
reste d'ailleurs, circonscrit aux seuls contrats conclus entre professionnels et
non-professionnels ou consommateurs ; la notion de contrat d'adhésion jugée
insuffisamment précise a été écartée. C'est dire ensuite que, dans ces contrats, les
clauses qui pouvaient être déclarées non écrites parce qu'abusives étaient celles qui
étaient imposées au consommateur par un abus de puissance économique du
professionnel et qui conféraient à celui-ci un avantage excessif ; encore fallait-il que
ces clauses se référassent à certains aspects particuliers, limitativement énumérés, du
contenu ou de l'exécution du contrat. C'est dire enfin que ces clauses n'étaient
réputées non écrites qu'autant qu'elles avaient été l'objet d'une mesure d'interdiction
ou de réglementation par décret en Conseil d'État pris après avis de la commission des
clauses abusives.
4 Ainsi, remettant en cause la conception libérale du contrat qui abandonnait à
chacun le soin de défendre lui-même ses propres intérêts, la loi nouvelle confiait, au
moins partiellement, à l'administration la tâche de faire régner une meilleure justice
contractuelle. L'objet de ces dispositions était, et reste, différent de celui de la lésion.
Il ne s'agit pas, en effet, de corriger un défaut d'équivalence entre l'objet de
l'obligation et son prix, mais d'éliminer des clauses qui, tout en paraissant accessoires,
sont susceptibles d'avoir une incidence importante sur l'exécution du contrat (Ghestin,
Le contrat, 2e éd., n° 590). Cette élimination nécessitant l'intervention d'un décret,
toute l'efficacité du système dépendait de la diligence du pouvoir réglementaire. Or, en
dépit d'un travail important de la commission des clauses abusives qui multiplia les
recommandations, un seul décret intervint le 24 mars 1978. Encore sa disposition la
plus importante, qui prohibait les clauses de référence à d'autres documents que l'écrit
signé, fut-elle annulée par le Conseil d'État (CE 13 déc. 1980, D. 1981. 228, note
Larroumet, JCP 1981. II. 19502, concl. Hagelstein). Actuellement, les clauses
interdites sont donc au nombre de deux : dans la vente, la clause limitant le droit à
dommages-intérêts de l'acheteur en cas de défaillance du vendeur (art. 2) ; dans tout
contrat, la clause permettant au professionnel de modifier unilatéralement les
caractéristiques du produit ou du service promis, sauf s'il s'agit d'un changement lié à
l'évolution de la technique sans incidence sur le prix ni altération de qualité (art. 3). La
portée modeste de ces dispositions qui laissent le juge désarmé face à de nombreuses
clauses abusives conduisit à se demander si une clause ne pourrait pas être jugée
telle, et par conséquent réputée non écrite, dès lors qu'elle répondrait à la définition
de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, même si elle n'a pas été interdite par
décret. En d'autres termes, le relais d'un décret était-il nécessaire ou les tribunaux
pouvaient-ils fonder directement sur la loi la condamnation des clauses abusives ?
B. — Le débat doctrinal
5 Faisant la part belle au pouvoir réglementaire et confinant le juge dans une
tâche d'application quasi-mécanique des textes, le système mis en place par la loi du
10 janvier 1978 a été, fort logiquement, approuvé par des auteurs dont on connaît
l'hostilité à la jurisprudence source de droit (Flour et Aubert, Les obligations, vol. 1, 4e
éd., n° 187-6, p. 41, note 3 ; rappr. Carbonnier, t. 4, n° 83). Selon cette doctrine, une
protection effective du consommateur ne saurait s'accommoder d'un détour par le
juge. La diversité des solutions adoptées par les tribunaux, la lenteur de la formation
de la jurisprudence, la difficulté de connaître ses solutions, l'effet trop limité de
l'invalidation d'une clause en raison de la relativité de la chose jugée, les hésitations
des particuliers à intenter des actions judiciaires contre leur puissant partenaire
constitueraient autant de freins à la mise en place d'une protection efficace tout en
générant un désordre économique important.
Mais raisonner ainsi, n'était-ce pas tout à la fois accentuer les défauts d'un des
systèmes et occulter ceux de l'autre ? Comme le soulignait M. Ghestin (Le contrat, 2e
éd., n° 604), « la perplexité générale des professionnels devant le premier décret
d'application permet de penser (...) qu'en définitive la difficulté a été repoussée, tant il
est vrai que l'interprétation judiciaire reste indispensable pour la solution des cas
d'espèce ». La lenteur de l'élaboration du droit par voie judiciaire ne saurait, au
demeurant, être exagérée. Comme on l'a justement noté à propos de la loi du 9 juillet
1975 qui a reconnu au juge le pouvoir de réviser les clauses pénales (infra, n° 168, §
5), la jurisprudence publiée de la Cour de cassation permettait dès la fin de l'année
1978 de répondre à la grande majorité des questions suscitées par la mise en oeuvre
de ce nouveau texte (Gridel, chr. D. 1984. 156). Et s'il est exact que les particuliers
ignorent pour la plupart la jurisprudence et se croient liés par le contrat, peut-on
prétendre sérieusement, ainsi que M. Rieg en fait la remarque, « que le citoyen moyen
aura assimilé les listes législatives de clauses abusives » ? (Mélanges Rodière, 1981, p.
245, note 100). Quant à la nécessité de saisir le juge, elle existe dans les deux
systèmes. Comme le note M. Calais-Auloy, « il ne suffit (...) pas que les clauses
abusives soient réputées non écrites. Il faut qu'elles soient matériellement éliminées
des modèles de contrats que rédigent les professionnels et qu'ils proposent aux
consommateurs » (note D. 1988. 52). A cet effet, il existe aujourd'hui un moyen
efficace qui résulte de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 lequel donne le pouvoir aux
associations de consommateurs de « demander à la juridiction civile d'ordonner, le cas
échéant sous astreinte, la suppression des clauses abusives dans les modèles de
conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs ».
Enfin, s'agissant de l'insécurité juridique qu'engendrerait la reconnaissance aux
juges du fond d'un pouvoir propre de sanctionner les clauses qu'ils jugent abusives, il
convient là encore de relativiser la portée de cette critique. Dans plusieurs pays
européens, le législateur a abandonné au juge le pouvoir d'éliminer les clauses
abusives en se bornant à lui fournir, pour les identifier, des critères imprécis. En
France, la loi du 9 juillet 1975 a accordé aux tribunaux le pouvoir de modérer ou
augmenter les clauses pénales « manifestement excessives ou dérisoires » (infra, n°
168). Or, dans l'un et l'autre cas, les tribunaux ont usé avec modération des pouvoirs
qui leur étaient accordés ; aucun des dérapages redoutés ne s'est produit ; ceux-ci
surviendraient-ils, en notre domaine, que la Cour de cassation est là pour les
endiguer. En effet, alors que le pouvoir que confère l'article 1152 aux juges du fond
relève de leur appréciation souveraine, la notion de clause abusive est, on le verra
(II), une question de droit. Si l'on ajoute que les nombreuses recommandations
émises depuis maintenant une quinzaine d'années par la Commission des clauses
abusives sont là pour éclairer les magistrats et que ceux-ci peuvent, depuis un décret
du 10 mars 1993 (art. 4), demander à la Commission son avis sur le caractère abusif
d'une clause (L. Leveneur, « La commission des clauses abusives et le renouvellement
des sources du droit des obligations », in Le renouvellement des sources du droit des
obligations, 1996, p. 155 et s.), on conviendra que le danger dénoncé n'a rien
d'insurmontable.
6 En réalité le débat est plus profond. Faut-il « accélérer la « décrétomanie »
contemporaine et revenir aux beaux temps des actions de la loi de la Rome primitive,
minutieusement réglementaires, se perdant dans des détails qui ne peuvent tout
prévoir » (Malaurie, note D. 1989. 255) ou s'en tenir à un art législatif dont Portalis a
jadis énoncé les canons : « L'office de la loi est de fixer par de grandes vues les
maximes générales du droit ; d'établir des principes féconds en conséquence, non de
descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » ? A
notre sens, la seconde réponse s'impose d'autant plus que les juges français n'ont, en
matière contractuelle, jamais démérité dans leur tâche de mise en oeuvre et
d'adaptation des textes. Ils ont, en effet, dans l'ensemble su adapter avec succès aux
échanges modernes la plupart des notions contenues dans le titre III du livre III du
Code civil (Cornu, Regards sur le titre III du livre III du Code civil, Les Cours de droit,
1976). Que l'on songe par exemple à l'erreur sur la substance (supra, nos 147-148) ou
au dol (supra, n° 150). Quant au « risque de dévoiement de la volonté du législateur
par des initiatives judiciaires trop hardies » (Gridel, chr. D. 1984. 156), il paraît peu
redoutable. Tout aussi avertis des injustices, duplicités et déséquilibres contractuels
que les services ministériels, les juges du fond ne sont-ils pas les seuls à voir
concrètement de quel effet pratique sera suivie telle ou telle prohibition (Gridel, chr.
D. 1984. 155) ?
7 On le voit, il existait en la matière de bonnes raisons pour inciter les juges du
fond à résister à la tentative de marginalisation dont ils étaient l'objet. A cet effet,
deux voies s'offraient.
La première était que la Cour de cassation admette qu'une clause puisse être
jugée abusive, et par conséquent non écrite, dès lors qu'elle répondait à la définition
de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, même si elle n'avait pas été interdite par
décret (Calais-Auloy, note D. 1988. 50). Susceptible de trouver un support textuel
dans l'alinéa 2 de l'article 35 qui dispose « de telles clauses abusives, stipulées en
contradiction avec les dispositions qui précèdent, sont réputées non écrites », une telle
solution — que d'aucuns n'avaient pas hésité à qualifier de « coup d'État »
(Carbonnier, t. 4, n° 83) — pouvait s'autoriser de l'échec du système mis en place par
la loi du 10 janvier 1978 (v. par ex. Paisant, chr. D. 1986. 302), ainsi que du
vieillissement de la loi (supra, n° 49, § 2).
La seconde était que les juges usent plus largement des prérogatives que leur
reconnaît la théorie générale des contrats. Le pouvoir réglementaire ayant trait aux
clauses abusives vient, en effet, simplement se superposer au pouvoir général que le
juge a d'apprécier la validité d'une convention. On pouvait songer à utiliser à cet effet
la théorie de la cause (supra, n° 157) ou encore l'alinéa 3 de l'article 1134 prévoyant
que les contrats s'exécutent de bonne foi. Sans doute, ce texte vise-t-il la seule
exécution du contrat (Carbonnier, t. 4, n° 83), mais la bonne foi n'est nullement
absente de sa formation (Terré, Simler et Lequette, Les obligations, nos 40-2 ; P.
Jourdain, « La bonne foi dans la formation du contrat », Trav. Ass. H. Capitant 1992 ;
v. en ce sens, Rieg, art. préc., Études Rodière, p. 221 et s. ; J. Huet, obs. RTD civ.
1987. 563 ; A. Sinay-Cytermann, « La commission des clauses abusives et le droit
commun des obligations », RTD civ. 1985. 475 et s., spéc. p. 515).
II. — Le « coup d'État » jurisprudentiel
8 Cédant aux instances pressantes dont elle était l'objet, la Cour de cassation a
progressivement reconnu aux juges le pouvoir de réputer une clause non écrite pour «
abus de puissance économique ayant procuré un avantage excessif ». Cette création
prétorienne s'est opérée par touches successives, la Cour de cassation ayant admis ce
pouvoir « d'abord par allusion, ensuite implicitement, enfin explicitement »
(Carbonnier, t. 4, n° 83). On retracera ici les principales étapes de l'élaboration de
cette jurisprudence, car elle illustre à la perfection la manière, toute de souplesse et
de persuasion, parfois employée par la haute juridiction pour opérer au sein de notre
droit d'importantes mutations.
9 Premier temps fort de cette construction, un arrêt rendu par la première
chambre civile le 16 juillet 1987 (D. 1988. 49, note Calais-Auloy, JCP 1988. II. 21001,
note Paisant, RTD civ. 1988. 14, obs. Mestre). La question étudiée se posait, dans
cette espèce en termes un peu particuliers dans la mesure où le contrat mêlait
étroitement dispositions prohibées et dispositions non prohibées. L'acheteur d'objets
d'ameublement avait signé un bon de commande qui indiquait, au recto et en
caractères apparents, un délai de livraison de deux mois, suivi en petits caractères de
la mention « Prévu à titre indicatif ». Au verso figurait, parmi de nombreuses autres
clauses, l'article suivant : « les dates de livraison que nous nous efforçons toujours de
respecter, ne sont données qu'à titre indicatif, et il est bien évident qu'un retard dans
la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni
ouvrir droit à des dommages-intérêts. Toutefois l'acheteur pourra demander
l'annulation de sa commande et la restitution, sans intérêts autres que ceux prévus
par la loi, des sommes versées si la marchandise n'est pas livrée dans les 90 jours
d'une mise en demeure restée sans effet, étant entendu que cette mise en demeure
ne pourra être faite qu'après la date de livraison prévue à titre indicatif ».
Si l'on simplifie quelque peu, il en résultait, d'une part, une clause prévoyant que
le délai de livraison est donné à titre indicatif — la troisième clause autorisant une
mise en demeure laissait en fait au vendeur la possibilité de fixer quasi
discrétionnairement la date de livraison en raison de la disproportion considérable
entre le délai annoncé de deux mois et celui laissé au professionnel de cinq mois
minimum — d'autre part, une clause réduisant ou supprimant le droit du
consommateur à réparation en cas de dépassement du délai. Constatant que ces
clauses conféraient au professionnel un avantage excessif en ce qu'elles lui laissaient
l'appréciation du délai de livraison et réduisaient le droit à réparation en cas de
manquement à son obligation essentielle de délivrance, la haute juridiction les réputa
non écrites et leur substitua les dispositions du Code civil qui permettent à l'acheteur
de demander soit l'exécution, soit la résolution et d'obtenir des dommages-intérêts.
L'équilibre voulu par le Code civil se substitue ainsi au déséquilibre du contrat
prérédigé (Calais-Auloy, note D. 1988. 50 ; Ghestin, Le contrat, 2e éd., n° 588).
De fait, l'abus était, en la circonstance, manifeste. Il ne résulte pas seulement du
sens de la clause, mais aussi de sa typographie et de sa place dans le document : le
vendeur mentionne au contrat de façon apparente un bref délai de livraison qui lui sert
d'argument publicitaire, tout en se donnant, grâce aux clauses écrites au verso en
petits caractères, le moyen de ne pas respecter le délai mentionné. Est-ce à dire pour
autant qu'elles tombaient sous le coup des dispositions du décret du 24 mars 1978 ?
Affirmative pour la clause limitant la garantie, la réponse était négative pour celle qui
avait trait au délai indicatif, au point d'ailleurs que la Commission des clauses abusives
a estimé nécessaire de stigmatiser celle-ci dans plusieurs recommandations de 1980,
1982 et 1985. Partant, les arguments se balançaient. Pour limiter la portée de la
décision, on faisait valoir que les deux clauses étaient en l'espèce indivisibles et que la
haute juridiction avait pris le soin de viser les articles 2 et 3 du décret du 24 mars
1978. En sens inverse, on relevait que la Cour, après s'être référée à l'article 35 et
avoir rappelé la définition qu'il donne de la clause abusive, n'avait pas hésité à
déclarer que la clause en question « conférait au vendeur un avantage excessif ».
10 L'ambiguïté qui entourait la portée de cet arrêt ne fut que partiellement
dissipée par les décisions ultérieures. Dans un arrêt du 25 janvier 1989, la haute
juridiction eut à connaître d'une question qui avait déjà donné lieu à un important
contentieux devant les juges du fond et qui n'est pas sans rappeler l'espèce qui est à
l'origine de l'arrêt reproduit (Civ. 1re, 25 janv. 1989, D. 1989. 253, note Malaurie). Un
particulier avait acquis des films pour diapositive ; le prix de ces films incluait leur
développement et une clause du contrat stipulait qu'en cas de perte du film, la
responsabilité du professionnel serait limitée à son remplacement. Ces films ayant été
perdus par le laboratoire photographique auquel ils avaient été confiés pour leur
traitement, celui-ci fut, malgré cette clause, condamné par les juges du fond à réparer
l'intégralité du préjudice. Un pourvoi ayant été formé, la Cour de cassation approuva
les juges du fond d'avoir déclaré la clause non écrite par application de l'article 2 du
décret de 1978, lequel prohibe les clauses limitatives ou exonératoires de
responsabilité uniquement dans les ventes conclues entre professionnels et
non-professionnels, au motif que l'acte en question était indivisiblement une vente et
un louage d'ouvrage (v. aussi Civ. 1re, 6 juin 1990, Bull. civ. I, n° 145, Defrénois
1991. 367, obs. Aubert). Le fait que la Cour de cassation prit le soin de relever que le
contrat était indivisible et présentait pour partie les traits d'une vente afin d'étendre la
portée de la prohibition, indiquait-il qu'elle n'était pas prête à se libérer du carcan du
décret de 1978 ou était-il une simple manifestation de l'économie de moyens si chère
à la haute juridiction ? Les deux lectures étaient possibles. L'incertitude devait être
partiellement dissipée par un arrêt du 6 décembre 1989 (D. 1990. 289, note Ghestin,
JCP 1990. II. 21534, note Delebecque, Defrénois 1991. 366, obs. Aubert, RTD civ.
1990. 277, obs. Mestre). La Cour de cassation ayant censuré un jugement qui avait
refusé d'appliquer une clause au motif qu'elle était abusive, « sans caractériser en quoi
elle serait constitutive d'un abus de nature à la priver d'effet », il semblait en résulter
tout à la fois que les juges du fond pouvaient annuler une clause en la qualifiant
d'abusive, alors même qu'elle n'a été prohibée par aucun décret particulier et que la
haute juridiction entendait contrôler strictement cette qualification afin d'éviter tout
débordement. Néanmoins, un doute subsistait, la Cour de cassation n'ayant encore
approuvé aucune décision ayant fait usage du pouvoir ainsi reconnu aux juges.
11 C'est tout l'intérêt de l'arrêt reproduit que de le lever. L'espèce, il est vrai, s'y
prêtait. Selon un schéma connu, un laboratoire avait perdu les diapositives qui lui
avaient été confiées et entendait s'abriter derrière une clause exonératoire de
responsabilité. Mais, à la différence d'espèces précédentes, aucune vente ne venait
interférer avec le contrat d'entreprise, le client ayant confié au laboratoire des
diapositives qui étaient sa propriété, afin de les tirer sur papier. Partant, aucune
indivisibilité ne pouvait être invoquée entre le contrat d'entreprise et un contrat de
vente pour justifier l'application de l'article 2 du décret du 24 mars 1978. Saisissant
l'occasion qui lui était ainsi offerte, la première chambre civile se prononce avec une
particulière netteté puisqu'elle énonce que c'est « à bon droit » que « le jugement
attaqué, dont il ressort qu'une telle clause procurait un avantage excessif » au
laboratoire, lequel se trouvait « du fait de sa position économique (...) en mesure de
l'imposer à sa clientèle », a décidé que « cette clause revêtait un caractère abusif et
devait être réputée non écrite » (v. Rapport Cour de cassation 1991, p. 347). Bien que
la haute juridiction ne vise dans sa décision aucun texte, celle-ci est manifestement
sous-tendue par l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978. Sont, en effet, repris tous les
éléments constitutifs des clauses abusives au sens de ce texte — avantage excessif,
clause imposée par un abus de puissance économique — ainsi que la sanction
spécifique — clause réputée non écrite — qu'il édicte.
12 Illustrant ainsi une fois de plus la justesse de la remarque de
Lerebours-Pigeonnière, selon qui la jurisprudence progresse en « dents de scie », la
haute juridiction a paru ensuite vouloir faire machine arrière (Civ. 1re, 24 févr. 1993,
D. 1994. Jur. 6, note X. Agostinelli). Mais les craintes suscitées par cette décision (J.
Huet, « Pour le contrôle des clauses abusives par le juge judiciaire », D. 1993. 331)
ont été très rapidement dissipées par un arrêt du 26 mai 1993, réaffirmant que le
caractère abusif d'une stipulation peut être apprécié par le juge au regard du seul
article 35 de la loi du 10 janvier 1978 (Civ. 1 re, 26 mai 1993, Bull. civ. I, n° 192, p.
132, D. 1993. 568, note Paisant, JCP 1993. II. 22158, note E. Bazin, Defrénois 1994.
352, obs. Delebecque, RTD civ. 1994. 97, obs. Mestre).
Censurant les juges du fond pour avoir déclaré abusive une clause qui ne l'était
pas, la Cour de cassation marque nettement que la qualification de clause abusive
constitue une question de droit qui n'est pas abandonnée à l'appréciation souveraine
des juges du fond. Ceux-ci ont, au reste, fait usage depuis à de multiples reprises du
pouvoir qui leur a été accordé sous le contrôle de la haute juridiction (Civ. 1re, 6 janv.
1994, JCP 1994. II. 22237, note Paisant, CCC 1994. 58, obs. Raymond : est abusive la
clause prévoyant que les améliorations apportées par le locataire d'une automobile à
la chose louée sont acquises au bailleur sans indemnité ; Civ. 1re, 13 nov. 1996, Bull.
civ. I, n° 399, p. 279, D. 1997. Somm. 174, obs. Delebecque, JCP 1997. I. 4015, n° 1,
obs. C. Jamin, CCC 1997, n° 32, obs. Raymond : n'est pas abusive la clause imposant
au client la confidentialité de son code secret et dégageant la responsabilité de France
Télécom en cas de divulgation ; Civ. 1re, 10 févr. 1998, JCP 1998. II. 10124, note G.
Paisant, I. 155, n° 12, obs. C. Jamin, CCC 1998, n° 70, note Leveneur, Defrénois
1998. 1051, obs. D. Mazeaud, RTD civ. 1998. 674, obs. Mestre : dans un contrat
conclu avec un établissement d'enseignement, est abusive la clause prévoyant que
l'élève doit payer la totalité de la scolarité, alors même qu'une maladie ferait obstacle
à l'exécution de celui-ci ; Civ. 1re, 17 mars 1998, CCC 1998, n° 104 : dans un contrat
de location de véhicule est abusive la clause qui impose au preneur de s'assurer contre
les risques de perte et de détérioration du véhicule, y compris par force majeure et cas
fortuit ; Civ. 1re, 17 nov. 1998, D. 1998. IR. 20 : dans un contrat de crédit-bail, est
abusive la clause qui prévoit, en cas de perte totale du matériel par cas fortuit, que le
preneur doit verser une indemnité égale aux loyers restant à courir et que le
crédit-bailleur n'a pas à fournir de matériel de remplacement ; Civ. 1re, 14 nov. 2006,
JCP 2007. II. 10056, note G. Paisant : dans un contrat conclu avec un constructeur ou
un concessionnaire automobile, sont abusives la clause ayant pour objet d'accorder au
constructeur le droit de s'exonérer de sa garantie de prix sans que le consommateur
ait le droit correspondant de rompre le contrat, la clause réservant au professionnel le
droit de se substituer un autre client quand l'acquéreur initial n'a pas pris livraison
dans un délai déterminé alors que le consommateur ne peut se dégager du contrat en
se substituant un autre acquéreur aux conditions initiales, la clause autorisant le
professionnel à retenir des sommes versées par le consommateur lorsque celui ci
renonce à exécuter le contrat, sans prévoir le droit pour le consommateur de percevoir
une indemnité équivalente en cas de manquement du professionnel). Sur les critères
qui guident les magistrats, v. M.-S. Payet, Droit de la concurrence et droit de la
consommation, thèse Paris IX, 2000, nos 135 et s. ; comp. X. Lagarde, « Qu'est ce
qu'une clause abusive ? », JCP 2006. I. 110.
III. — L'incidence de la loi du 1er février 1995
13 Désireux d'harmoniser les différentes législations nationales et d'entraîner les
États membres retardataires dans le mouvement de protection des consommateurs, le
Conseil des Communautés européennes a adopté, le 5 avril 1993, une directive
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (M.
Terneiro, « Les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs »,
Europe, mai 1993, p. 1 ; Trochu, chr. D. 1993. 315 ; J. Huet, « Propos amers sur la
directive du 5 avril 1993 », JCP E 1994. 309). Afin de mettre le droit français en
harmonie avec cette directive, une loi du 1er février 1995 a entièrement refondu
l'article L. 132-1 du Code de la consommation, lequel dispose désormais :
« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou
consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer,
au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif
entre les droits et obligations des parties au contrat.
Des décrets en Conseil d'État, pris après avis de la commission instituée à l'article
L. 132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme
abusives au sens du premier alinéa.
Une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de
clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions
posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle
clause, le demandeur n'est pas dispensé d'apporter la preuve du caractère abusif de
cette clause. V. l'annexe sous le présent article.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du
contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie,
bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations
négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163
et 1164 du Code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au
moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa
conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également
au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou
l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte
ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la
rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient
rédigées de façon claire et compréhensible.
Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées
abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.
Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »
14 L'analyse d'une telle disposition excédant, à l'évidence, les limites d'un
ouvrage consacré à l'étude de la jurisprudence française, on se contentera de
souligner l'incidence de cette nouvelle disposition sur le problème qui nous occupe.
Après avoir reconduit le pouvoir réglementaire dans ses prérogatives et dressé une
liste purement indicative des clauses abusives, le législateur n'a traité que par
prétérition des pouvoirs du juge. Alors même que la nouvelle définition des clauses
abusives qu'elle énonce se prête tout particulièrement à une mise en oeuvre judiciaire
(Terré, Lequette et Simler, Les obligations, n° 307), elle ne consacre celle-ci
qu'implicitement. On peut, en effet, déduire l'existence d'un tel pouvoir de l'alinéa 2 de
l'article L. 132-1 qui précise que le pouvoir reconnu au gouvernement pour déterminer
les clauses abusives est purement facultatif et plus encore de l'alinéa 3 qui prévoit que
la liste annexée est « indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être
regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa
», ce qui postule l'intervention des tribunaux (comp. A. Sériaux, Mélanges Mouly,
1998, p. 180 et note 52).
Le système ainsi mis en place conduit à la coexistence de trois séries de clauses
abusives :
1°) les clauses déclarées abusives par un décret du gouvernement qui sont,
de ce fait, réputées non écrites ;
2°) les clauses réputées abusives qui sont mentionnées dans la liste blanche
reproduite en annexe ou qui ont été reconnues telles par la commission des
clauses abusives, mais non par un décret du Gouvernement ;
3°) les clauses virtuellement abusives qui répondent au critère matériel défini
par l'article L. 132-1 du Code de la consommation mais qui n'ont été
répertoriées ni par la liste blanche ni par la commission des clauses abusives.
15 Ajoutons pour clore ce commentaire que la définition même de la notion de
consommateur qui conditionne l'application de cette législation, a donné lieu en
jurisprudence à un mouvement de balancier entre la conception stricte du
consommateur, entendu comme le particulier qui conclut un contrat de fourniture de
biens ou de services pour la satisfaction d'un besoin personnel ou familial, et la
conception large qui englobe dans la catégorie des personnes protégées, les
professionnels qui, tout en poursuivant la satisfaction d'un intérêt professionnel, sont
dépourvus de compétence quant au contrat qu'ils concluent. Initialement favorable à
la conception stricte (Civ. 1re, 15 avr. 1986, Bull. civ. I, n° 90, p. 91, Defrénois 1986.
787, obs. Aubert, RTD civ. 1987. 86, obs. Mestre), la Cour de cassation s'est ensuite
prononcée pour la conception extensive (Civ. 1 re, 28 avr. 1987, D. 1988. 1, note
Delebecque, JCP 1987. II. 20893, note Paisant, RTD civ. 1987. 548, obs. Mestre),
avant de revenir vers sa position initiale. S'inspirant, semble-t-il, de l'article L.
122-22-4° du Code de la consommation qui traite du démarchage, elle décide
aujourd'hui qu'un professionnel ne peut se prévaloir de la législation sur les clauses
abusives dès lors que le contrat qu'il a conclu a un « rapport direct » avec son activité
professionnelle (Civ. 1re, 24 janv. 1995, D. 1995. 327, note Paisant, CCC 1995, n° 84,
note Leveneur ; 3 et 30 janv. 1996, D. 1996. 228, note Paisant, JCP 1996. II. 22654,
note Leveneur, 1996. I. 3929, n° 1, obs. Labarthe, Defrénois 1996. 766, obs. D.
Mazeaud ; 5 nov. 1996, CCC 1997, n° 12, obs. Raymond, n° 23, obs. Leveneur ; Civ.
1re, 27 sept. 2005, JCP 2006. I. 123, n° 1, obs. Sauphanor-Brouillaud, Defrénois 2005.
2004, obs. Savaux). Bien que la formule n'aille pas sans incertitudes (D. Mazeaud,
Defrénois 1996. 766 ; Leveneur, JCP 1996. II. 22654, n° 3), la jurisprudence semble
considérer qu'un tel rapport existe dès lors que le contrat a été conclu à des fins
professionnelles. Cette solution est critiquée par certains qui soulignent que le « label
de professionnel n'est pas un antidote à l'inégalité et à l'injustice contractuelles » et
qu'il est des professionnels — sous-traitants, franchisés... — qui, pas plus que les
consommateurs, n'apprécient exactement la portée des clauses qui leur sont imposées
par leurs cocontractants (D. Mazeaud, « L'attraction du droit de la consommation »,
RTD com. 1998. 104). Mais il est difficile de dégager un critère permettant d'identifier
les professionnels qui méritent protection. Au reste, les professionnels ne sont pas, en
la matière, dépourvus de toute protection. Le droit civil leur offre, en effet, un certain
nombre de remèdes qui ont été soigneusement recensés (D. Mazeaud, « La protection
par le droit commun », in Les clauses abusives entre professionnels, 1998, p. 161).
Parmi ceux-ci, il convient de citer tout particulièrement la jurisprudence qui, prenant
appui sur la cause, répute non écrites les clauses d'un contrat dès lors qu'elles sont
contraires à l'économie d'ensemble de celui-ci parce qu'elles remettent en cause une
obligation essentielle de celui-ci (Civ. 1re, 22 oct. 1996, supra, n° 157). Différence
importante avec la jurisprudence Chronopost (supra, n° 157), la théorie des clauses
abusives s'applique entre professionnel et consommateurs, sans qu'il y ait lieu de
prendre en compte le « caractère principal ou accessoire de l'obligation contractuelle
concernée » (Civ. 1re, 3 mai 2006, D. 2006. 2743, note Dagorne-Labbe).
Précisons encore qu'écartée dans les contrats conclus entre professionnels, la
théorie des clauses abusives l'est également dans les contrats conclus entre
particuliers (Civ. 1re, 4 mai 1999, JCP 1999. I. 171, n° 1, obs. C. Jamin, CCC 1999, n°
124, obs. Leveneur, Defrénois 1999. 1004, obs. Delebecque).
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