le tresor de la citadelle laferriere

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le tresor de la citadelle laferriere
Le trésor de la Citadelle Laferrière
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Margaret Papillon
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Le trésor
de la Citadelle Laferrière
Roman
Margaret Papillon
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Margaret Papillon
Du même auteur
La Marginale, roman, 1987
Martin Toma, roman, 1991
Passion Composée, nouvelles, 1997
La Saison du Pardon, roman, 1997
Manmzelle Natacha, nouvelle, 1997
La Légende de Quisqueya, roman, 1999
Terre Sauvage, nouvelles, 1999
Mathieu et le vieux mage au regard d’enfant, roman, 2000
La Légende de Quisqueya II, roman, 2001
Innocents Fantasmes, roman 2001
Saisie électronique
Yasmine Léger, Elisabeth Papillon Jaar
Illustration / conception couverture / mise en pages
Margaret Papillon
Correction et révision
Communication Plus
Distribution
Communication Plus / [email protected]
Plaza 32, angle autoroute de Delmas et Delmas 32
BP 13205 Delmas
HT 6120
Dépôt Légal 01-08-263
Bibliothèque Nationale d’Haïti
Achevé d’imprimer en mai 2001
Sur les presses de l’Imprimeur II
ISNB 99935-617-2-X
© Margaret Papillon, 2001
[email protected]
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Vous me disiez
que vous aimiez
La Citadelle
L’œuvre immortelle
Du Roi Henry
L’orgueil de l’Amérique et de la race noire
Qui sort de son manteau de brouillard et sourit
Au soleil qui l’anime et la couvre de gloire.
L'étranger vous a dit, étrange question :
« Connaissez-vous, enfant, la haute Citadelle,
Ce bloc majestueux, l’immortel bastion
Campé sur le sommet d’une pente rebelle ? »
… … …
– Oui, je connais, la Citadelle et Sans Souci,
Et c’est la main du roi qui forgea mon esprit.
Je suis du Nord, et j’ai humé dans mon enfance
Cet air royal si pur, si chargé de vaillance.
Et vous, petite enfant,
Dont l’image rappell
Le souvenir touchant :
Connaissez-vous la Citadelle ?…
Extraits de « La Citadelle »
poème de Lys Ambroise senior, 1941
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Margaret Papillon
Recommandation
Ce livre, bien que truffé de vraisemblances, n’en demeure pas
moins une pure fiction. Que le lecteur ne s’y trompe pas.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Chapitre 1
Le vrombissement de l’avion sur la piste provoqua
une excitation sans bornes chez les adolescents qui
avaient peine à contenir leur impatience. Ils nécoutaient déjà plus les recommandations de leurs parents,
tout à la joie de passer les grandes vacances au CapHaïtien.
Quel heureux jour avait été celui où le facteur
avait apporté le fameux télégramme de tante Berthe
chez les Sicard ! Il y était écrit : « Attends enfants
stop… pour l’été stop piscine terminée stop… achat
bateau à moteur par oncle Marcel stop… promenade
en mer assurée stop. »
Wally et Carole avaient sauté de joie quand leur
mère, Adrienne, leur avait communiqué cette merveilleuse nouvelle.
« Je n’appelle pas ça une bonne nouvelle du tout !
avait rouspété Walter Sicard, leur père, qui avait hor7
Margaret Papillon
reur de les savoir loin de lui. D’ailleurs, Ben doit
prendre des leçons de math cet été, ses notes ont été
désastreuses. Je ne vois vraiment pas comment il
pourra aborder sa seconde avec de si grosses lacunes,
avait-il ajouté. Et Carole va rater ses cours de
danse. »
– Mais non, Walter, voyons ! avait protesté Mme
Sicard. Tu ne vas tout de même pas leur interdire de
belles vacances à cause de cela. Ben pourra suivre
des cours de rattrapage à son retour et Carole dansera
l’été prochain. Ils partiront pour deux mois et le troisième sera consacré aux études.
À court d’arguments, Monsieur Sicard finit par
accepter l’idée de les voir partir loin de lui. Les enfants poussèrent un hourra de bonheur et s’en allèrent
tout de suite préparer leurs bagages tandis que
Adrienne Sicard appelait l’agence de voyage pour
l’achat des billets. Elle confirma leur départ pour le
lendemain.
Après mille et une recommandations de leurs parents, Ben et Carole purent enfin embarquer dans le
bimoteur. La famille Sicard avait toujours pris l’avion ensemble pour passer des vacances à New York,
à Montréal et au Kenya où résidait un frère d’Adrienne Sicard, mais c’était bien la première fois que les
gosses prenaient des vacances seuls, et c’est avec la
gorge nouée par l’émotion qu’ils prirent congé les
uns des autres.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
L’oiseau de fer pris son envol, et après quelques
minutes, il survola les hautes montagnes ; en particulier la chaîne de Saint-Raphaël dont fait partie le
Bonnet à l’Évêque au sommet duquel trône la Citadelle Laferrière.
L’atterrissage se fit sans encombre à l’aéroport du
Cap-Haïtien.
Wally et Carole avaient à peine débarqué qu’ils
entendirent crier leur nom. Ils saluèrent de la main.
Leurs cousins Kelly et Ben étaient venus les acceuillir à l’aéroport avec tante Berthe et l’oncle Marcel. Ils
prirent leurs bagages en toute hâte, le cœur gonflé de
bonheur. Cela faisait si longtemps qu’ils caressaient
le rêve de visiter la Citadelle Laferrière du grand roi
Henry Christophe, le bâtisseur.
Après moult accolades et embrassades, ils embarquèrent dans l’auto et commencèrent par faire un tour
de la ville afin de contempler les vieilles maisons coloniales. Quelques heures plus tard, épui- sés, ils rentrèrent Aux Trois Colombes, une ancienne bâtisse qui
avait abrité une pension de famille autrefois.
« Ce manoir avait appartenu à Mme Charles Menuau, expliqua l’oncle Marcel. Nous l’avons racheté
à ses héritiers pour en faire un vrai hôtel. »
Quand Wally et Carole pénétrèrent dans la cour,
ils furent tout de suite séduits par la beauté des lieux.
Une vraie petite forêt tropicale tenait lieu de jardin
orné de colonnades romaines, de bassins pleins de
poissons tropicaux et de jets d’eau.
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Margaret Papillon
« Alors ça vous plaît ? » demanda tante Berthe
après que les jeunes citadins eurent fait le tour du
propriétaire et vu la piscine. Et cette belle eau, elle
vous tente ?
Pour toute réponse elle lut dans leur regard brillant
une joie mal contenue.
« Baignez-vous tout de suite, alors ! » dit-elle,
contente de voir tant de bonheur sur leur visage.
Les quatre jeunes ne se firent pas prier, ils se déshabillèrent à la hâte (Wally et Carole avaient enfilé
leurs costumes de bain depuis Port-au-Prince) et
plongèrent dans l’eau claire en poussant des cris de
plaisir et en s’éclaboussant. Leur bonheur était à son
comble. Quelques heures avaient suffi pour leur faire
oublier totalement la capitale. Ils passèrent l’aprèsmidi entier dans la piscine à papoter, à nager, à plonger et à siroter les délicieux punchs tropicaux dont
Antoine, le barman, les gavaient.
Il était près de dix heures du soir quand ils gagnèrent enfin leur chambre respective, après avoir eu
droit à un festin royal dans la salle à manger principale. Le téléphone avait sonné vers neuf heures quarante-cinq. C’était la famille Sicard qui appelait pour
avoir des nouvelles.
« Plus tôt, cela n’avait pas été possible. La communication était trop mauvaise. Pas moyen de rejoindre la province », avait dit Mme Sicard.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Les enfants sautèrent sur l’occasion pour en dire
autant, ne pouvant avouer à leur mère qu’ils avaient
totalement oublié tout ce qui n’était pas le Cap.
***
Les filles occupaient l’aile droite du manoir et les
garçons celle opposée, mais cela ne les empêcha pas
d’être réunis dans la chambre de Carole et de Kelly
pour papoter jusqu’à une heure indue. La pièce était
spacieuse avec des fenêtres de jalousie aussi grandes
que les portes des maisons de Port-au-Prince. Un
grand ventilateur de plafond balayait l’air, de manière
tout à fait paresseuse, de ses immenses pâles blanches, s’obstinant à chasser une chaleur lourde qui ne
s’éclipserait que lorsque la brise de mer prendrait
possession des lieux, ceci fort tard dans la nuit.
« Je me sens comme dans un film, dit Carole à ses
cousins, regardez-moi ce ventilateur presque mourant
et cette énorme moustiquaire qui pend du plafond,
cela me rappelle le style des maisons coloniales visitées en Afrique, au Kenya plus précisément. Te souviens-tu, Wally, de Out of Africa, ce film magnifique
vu l’année dernière ? J’y retrouve pres- que la même
ambiance. »
– Oui, bien sûr, plaisanta Wally, encore un peu,
nous verrons des lions, des tigres et des éléphants
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Margaret Papillon
passer par la fenêtre quand sonneront les douze coups
de minuit.
– Vous aimez le cinéma ? questionna, à brûlepourpoint, Bernard, l’œil brillant.
– Oh oui, bien évidemment ! s’écrièrent les jeunes
citadins en chœur.
– Eh bien ! c’est formidable, car Kelly et moi
sommes des cinéphiles invétérés. Nous vous emmènerons. J’espère que vous avez pensé à emporter un
peu de fric avec vous.
– Et comment ! nous avons cassé notre tirelire en
vue de ces vacances.
– Alors, c’est parfait, déclara Kelly. Le ciné n’est
qu’à quelques rues d’ici, nous pour- rons nous y rendre à pied.
Ils bavardèrent ainsi à bâtons rompus jusqu’à ce
que la fatigue eût raison d’eux. Les garçons regagnèrent leur chambre, chassés par les filles, abruties de
sommeil.
***
Le lendemain matin, quand ils se réveillèrent, le
soleil avait déjà grimpé très haut dans le ciel. Les oiseaux pépiaient gaiement dans les arbres. Une bonne
odeur de café vint leur chatouiller les narines. Le
gong de l’horloge du vestibule leur fit pousser de
hauts cris, il était dix heures. Cela voulait dire deux
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
heures de perdues pour eux. Ils bondirent hors de leur
lit et se précipitèrent aux toilettes.
« Ah, bonjour ! dit Mme Ascencio, un sourire ravi
sur les lèvres, quand ils pénétrèrent dans la grande
salle à manger. Avez-vous bien dormi ? »
Ils l’embrassèrent tous en gloussant une réponse à
peine audible tant ils étaient attirés par les victuailles
qui paraient la table. Du pain grillé, des fruits : oranges, mangues, ananas, mandarines, un grand bol de
soupe de courges et un pot de jus de melon. Ils
s’assirent et dévorèrent toutes ces bonnes choses avec
un appétit gargantuesque.
Marcel Ascencio les regarda faire en souriant.
« Que c’est beau toute cette jeunesse dans la maison ! » lança-t-il à sa femme. Celle-ci acquiesça de la
tête, un ravissant sourire sur les lèvres.
« Avez-vous déjà programmé votre journée ? »
demanda-t-il aux jeunes alors qu’ils finissaient leur
jus de fruit.
– Oh, oui ! répondit Bernard. Nous voulions que
Carole et Wally puissent visiter la Citadelle ; ils en
rêvent depuis tant d’années, m’ont-ils avoué !
– Je comprends leur impatience. La perspective de
visiter ces sites doit les rendre fébriles. Le palais de
Sans Souci, achevé en 1819, occupe une superficie de
huit hectares. Les ruines subsistant du palais original
laissent aisément imaginer la splendeur du style architectural de l’époque. La Citadelle, de son côté, est
souvent citée comme la huitième merveille du monde
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Margaret Papillon
et est sans conteste le monument historique le plus
renommé d’Haïti, de la Caraïbe, et peut-être même
du continent américain. Un majestueux témoin de
notre glorieux passé. Aujourd’hui, il est classé patrimoine mondial. Par sa monumentalité et par l’esprit
de sacrifice qui a animé une telle réalisation, la Citadelle force l’admiration de tous. La Citadelle, Sans
Souci et Fort Ramier, établi à l’ouest de la Citadelle,
sont regroupés dans un ensemble dénom- mé : Parc
National Historique et Culturel. Le saviez-vous ?
– Oh, oui ! s’empressa de répondre Carole, notre
professeur d’histoire nous l’a appris récemment.
C’est merveilleux !
– Tout cela est bien beau. Toutefois, serait-ce prudent qu’ils y aillent seuls ? remarqua Adrienne Ascencio, légèrement inquiète.
– Bien sûr que nous pouvons le faire, répondit
Bernard. Nous sommes assez grands. Wally et moi
avons dix-sept ans, enfin presque, et ces demoiselles
ont quinze et seize ans.
– Bon, je vous fais confiance, dit Marcel Ascencio. J’avais fait réparer les motos qui avaient des crevaisons, vous pourrez les utiliser. Wally, montes-tu à
moto ?
– Oh, oui ! j’en raffole. Je possède même une Yamaha de 125 cc et Carole en fait aussi.
– C’est formidable ! Je suis rassuré. Vous êtes
bien des jeunes de cette fin de siècle, débrouillards et
intrépides.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Mais Marcel, intervint Mme Ascencio, je crois
que notre client, monsieur Fernando Cabral, doit se
rendre encore à la Citadelle aujourd’hui. Il y va dans
sa jeep de location. Celle-ci est climatisée et cela éviterait aux enfants toute cette poussière sur la route,
qui pourrait les rendre malade.
– Ça c’est une très bonne idée, renchérit Marcel
Ascencio, mais il faudrait prendre l’avis de monsieur
Cabral.
– Cé séra avec grand plaisir, répondit, dans un
fort accent espagnol, une voix grave venue du fond
de la salle.
– Ah ! Bonjour señor Cabral. ¿ Como esta usted ?
– Muy bien gracias, señor Ascencio ! Excousezmoi mais jé entendou la dernière partie dé votre
conversasion et jé souis d’accord. Céla mé féra un
pé dé compagnie.
Les jeunes gens dévisagèrent un instant ce gros
homme à la moustache épaisse qui ressemblait étonnamment à Fernando Sancho, un acteur mexicain qui
jouait dans les westerns d’autrefois.
Le señor Cabral avait la mine rosacée des amateurs de bonne bouffe et son accoutrement insolite fit
sourire les vacanciers. En effet, le señor Cabral portait une tenue de safari couleur kaki. Des chaussettes
écossaises, dont les talons dépassaient ses mocassins,
recouvraient ses gros mollets à la pilosité quelque
peu exagérée et il était coiffé d’un casque colonial
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Margaret Papillon
beige. Il leur parut tout à fait bizarre, presque anachronique.
« Cela vous convient-il, les enfants ? demanda la
maîtresse des lieux. Vous prendrez les motos pour
vous rendre à Labadie demain. »
– OK. C’est parfait, répondirent les jeunes gens
après une brève seconde d’hésitation.
– Allez-vite chercher vos casquettes, le señor Cabral est déjà prêt à partir. Ah, j’oubliais ! Il va faire
chaud là-haut, la météo a prévu une température de
36º à l’ombre, aussi vaut mieux troquer vos jeans et
vos tee-shirts contre des bermudas et des chemisettes
de coton. Et puis, pas de sneakers, des sandales de
cuir feront bien l’affaire.
***
Le señor Cabral conduisait à une allure régulière
permettant ainsi aux jeunes vacanciers d’admirer le
magnifique paysage qui défilait sous leurs yeux. La
nature était luxuriante. Le ciel avait gratifié la terre
d’une saison pluvieuse exceptionnelle. Et, cette terre,
grasse et belle, avait donné naissance à des champs
de maïs, de canne à sucre qui s’étalaient à perte de
vue. Dans les bananeraies, les bananiers ployaient
sous le poids de leurs régimes. Ah, la récolte sera
belle cette année !
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
« Cé la prémière fois qué vous allez à la Citadelle,
señorita ? » demanda le señor Cabral à Carole assise
à côté de lui.
– Oui ! C’est la toute première fois, et j’en suis
tout excitée. J’avais une telle hâte de voir arriver ce
jour. Kelly m’avait tant parlé de ce magnifique monument que j’en étais arrivée à en rêver. Quasiment
chaque soir, je me voyais en train de me promener à
travers ses longs corridors.
– Tu verras que j’avais raison, rétorqua Kelly. Je
sais que le chauvinisme capois est légendaire mais tu
constateras par toi-même que je n’ai pas du tout exagéré. Et vous, señor Cabral, combien de fois l’avezvous visitée ?
– Oh ! moi, jé crois qué jé né pé pli compté.
– Vous n’êtes jamais rassasié ?
– Ah, non, jamais ! C’est in patrimoine extra- ordinaire. Les Haïtiens né connaissent pas leur bonheur d’avoir dé si beaux sites.
– De quel pays êtes-vous, señor Cabral ? s’enquit
Bernard, surpris de cette inflexion jalouse perçue
dans la voix du señor.
– Jé souis Dominicain. Jé souis votre voisin. Jé
souis guide. Jé viens dans votre pays dé fois par semaine avec des touristes dé partout vénus en vacances à Santo Domingo. Nous n’avons pas dé monuments comme ici, aussi beau et aussi espectacular.
Alors comme c’est oune seule terre, nous les emmenons jousqu’ici, en bus. Ah! il faut les voir sé pâmer
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dévant lé palais dé Sans Souci, dévant la Citadelle.
Parfois, jé crois qué cé comme ine forme dé la dévotion. J’ai vu des peuples dé toutes les races
s’agenouiller aux portes de la Citadelle éblouis par
la magnificence dou monument. Un Africain un jour,
jé crois qu’il sé nommait Pius, a déclaré « J’en veux
à Césaire, j’en veux à Césaire ! » Il était très fâché.
Jé né sais pas qui est Césaire mais, il semble qué cé
monsieur a déçu Pius. « Il nous a fait croire, dans la
tragédie du Roi Christophe, qué la Citadelle était
comme un amas de pierres haut comme la tour Eiffel,
ne cessa-t-il de répéter toute la journée sour lé chémin di retour. Jé souis soure qué cé Césaire n’a jamais mis les pieds en Haïti ! »
En ajoutant ces mots, le señor Cabral éclata d’un
grand rire qui secoua le véhicule tout entier.
***
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent aux portes du palais de Sans Souci. D’un bond souple, Carole et Wally descendirent du véhicule. Ils
s’extasièrent devant la majesté du monument.
– Ces ruines sont magnifiques, s’exclama Carole
en se tournant vers ses cousins le visage radieux,
j’avais tant rêvé de ce moment.
– C’est extraordinaire, renchérit son frère visiblement sous le charme. J’ai comme l’impression d’être
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
déjà venu ici. Cette scène que nous vivons maintenant il me semble l’avoir déjà vécue.
Bernard et Kelly éclatèrent de rire.
« Bien sûr que tu l’as déjà vécue mon vieux, lui
répondit Bernard encore hilare. Tu es tout simplement la réincarnation du roi Henry Christophe, et ce
voyage décisif est en train de t’en apporter la preuve.
– Moi, je suis la reine, plaisanta Kelly qui se prêta
tout de suite au jeu de son frère, et je vous salue, Ô
grand roi ! Cela fait au moins deux cents ans que
nous ne nous sommes vus.
Sur ce, elle allongea la jambe droite, fléchit le genou gauche et se pencha en avant dans une profonde
révérence. Ce qui provoqua l’hilarité géné- ral.
« Qué c’est beau la jénesse, déclara le señor Cabral. Ça rit et ça plaisante sire tout. Puisse la sainte
vierge Marie et son fils Jésous vous faire don dé cette
gaieté tout lé reste dé votre vie, amigos.
– Muchas gracias, señor Cabral, pour votre souhait. Puisse les dieux vous entendre et vous exaucer,
plaisanta à son tour Carole.
– Bon ! finie la plaisanterie, dit Wally qui avait les
larmes aux yeux tant il riait. Si nous voulons voir
cette citadelle aujourd’hui il faut y aller tout de suite.
Moi, je suis incapable de calmer mon impatience.
Venez-vous avec nous, señor Cabral ?
– No amigos, moi jé vais rester ici attendre lé
groupe qui arrive aujourd’hui dé Santo Domingo. On
sé verra peut-être là-haut.
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Margaret Papillon
– Très bien, señor. Alors, vamos muchachos ! ordonna Wally à ses cousins, choisissons un de ces
guides qui gravitent autour de nous et en route pour
la grande aventure.
***
Le guide choisi était un véritable pince-sans-rire.
Il avait un langage et une idée du palais de Sans Souci qui visiblement lui était propre. Aucun doute, ses
connaissances transmises dans la pure tradition orale
haïtienne laissèrent pantois les jeunes vacan- ciers qui
conclurent que de deux choses l’une : soit qu’ils
avaient appris totalement de travers leur manuel
d’histoire d’Haïti, soit qu’eux-mêmes ne se trouvaient plus sur cette terre qui leur avait donné naissance. Ils reçurent le coup de grâce au moment où ils
terminaient la visite du palais. Alors qu’ils
s’apprêtaient à enfourcher leur monture pour se rendre à la Citadelle qui se trouvait juchée tout en haut
de la montagne, le jeune guide déclara :
« Il y a un trésor caché dans l’un ou l’autre de ces
deux monuments construits par Henry Christophe.
C’est mon père et mon grand-père qui me l’ont dit ! »
– Ah, bon ! s’étonna Carole, et où est-il ce trésor ?
– Ça, personne ne le sait. Quand vous prenez des
jumelles pour regarder la Citadelle, de Sans Souci
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
étant, vous voyez le trésor dans la Citadelle et quand
vous faites le contraire, le trésor se trouve à Sans
Souci.
Le petit groupe ne put s’empêcher de pouffer de
rire, n’ayant jamais entendu de propos aussi ridicules.
– Moi, je sais où est caché le trésor, déclara pompeusement Wally qui n’arrêtait pas de se marrer.
Tous les regards convergèrent vers lui.
– Et il est où ? interrogea le jeune guide, le regard
soudain brillant, personne ne l’a jamais vu.
– Ah ! il faut être un grand initié pour connaître
ces choses, poursuivit Wally avec ostentation.
– Alors, le grand initié va-t-il enfin se résigner à
mettre le commun des mortels dans le secret des
dieux ? ironisa Carole faussement suppliante.
– Désirez-vous vraiment connaître la réponse à
cette délicate question ? insista Wally.
– Oui ! répondirent en chœur les autres, le jeune
guide compris.
Alors Wally simula un roulement de tambour et
d’une voix forte déclara pompeusement :
« Le trésor se trouve à l’intérieur même des jumelles ! »
La déception se peignit sur le visage de ses interlocuteurs qui, navrés, poussèrent un ooooooh ! de
protestation.
– C’est vrai puisque je vous le dis, reprit Wally en
pouffant de rire. Si le trésor semble être partout où
vous le regardez, c’est qu’il est dans les jumelles.
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Margaret Papillon
Moi, j’aimerais bien y jeter un coup d’œil afin de
m’en assurer.
Bernard qui riait toujours, rétorqua :
– Hélas, cher ami, il n’est même pas possible d’apercevoir la Citadelle de Sans Souci étant, et vice
versa. Car il y a une montagne entre les deux monuments qui rend toute vue impossible !
Le regard brillant du jeune guide s’éteignit soudain. Il venait de voir s’effondrer un de ses rêves les
plus fous : retrouver le trésor laissé par le roi Christophe comme le prétendait la légende vieille de deux
siècles.
***
Malgré le sol rendu glissant par la belle ondée de
la veille, l’ascension à dos de cheval se fit sans incident, tous ayant l’habitude de longues promenades
équestres dans la lande de Kenscoff, lors des grandes
vacances dans le département de l’Ouest.
Une heure plus tard, la Citadelle leur fit face dans
toute sa majesté. Carole et Wally en restèrent bouche
bée, et c’est avec un profond respect qu’ils en franchirent le seuil. Le jeune guide, dopé par l’atti- tude
admirative de ses petits clients, s’en donna à cœur
joie pour leur raconter toutes sorte de fadaises. Mais
les jeunes gens n’en tinrent pas compte, tout à la joie
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
d’avoir à visiter ce palais séculaire témoin d’un glorieux passé.
Après avoir, du haut de la forteresse, admiré la
plaine que celle-ci surplombait et qui comprenait la
Grande Rivière du Nord, le Bois-Caïman, Pignon,
Milot, Dondon et la Baie de L’Acul, ils se baladèrent
à travers les corridors humides, palpèrent les vieux
canons de bronze, surtout le Manman penba, encore
tout vibrants de leurs prouesses datant du XIXe siècle. Ils passèrent en revue la salle de garde, les écuries, les oubliettes, les appartements privés du roi et
de la reine. S’extasièrent sur le vieux système de refroidissement fait de conduits d’eau incrustés dans les
murs. Le jeune guide les gava encore une fois
d’histoires rocambolesques sur l’explosion qui survint un jour dans la poudrière et leur fit faire la
connaissance du quartier des officiers, de la batterie
royale, de la batterie Marie-Louise ainsi que celle de
la reine, du grand Boucan, celle aussi des ramiers,
des princesses. Puis, ce fut le tour du Bastion du
Pont-levis, de la rotonde et du palais des Gouverneurs
d’accueillir leur visite.
«Voyez-vous, ici, dit-il, en les entraînant à l’extérieur, c’est là où Christophe faisait tomber ses hommes dans le précipice.
– Et pourquoi faisait-il ça ? interrogea Wally
consterné.
– C’est pour faire une démonstration de sa force et
de sa puissance. Et puis aussi pour prouver à tous
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Margaret Papillon
qu’il était un chef à qui on devait une obéissance
aveugle. Il alignait ses hommes face au précipice et il
leur commandait de s’y jeter. Et ceux-ci obtempéraient sans rechigner.
– Oh, mon Dieu, quelle cruauté ! soupira Carole.
J’ai peine à croire que Christophe était aussi barbare.
– Barbare ? répéta le guide, ahuri, c’était un chef,
un grand chef ! Parfois c’est le prix à payer pour être
quelqu’un hors du commun.
– Être un grand chef ne justifie pas une si grande
cruauté.
– Un chef doit être obéi, même au prix de plusieurs vies, riposta le guide.
–Alors, je ne veux pas être un grand chef. Je déteste trop les abus, déclara pompeusement Kelly.
– Christophe, lui, ne se posait pas toutes ces questions, reconnut Ben.
– Tout ce qu’il voulait c’était une obéissance
aveugle, seule garantie de son succès dans sa lutte
contre le colon blanc, ajouta Bernard qui vouait une
profonde admiration au libérateur. Venez ! poursuivons notre visite, sans quoi la journée ne suffira pas
pour tout voir. Je viens d’apercevoir le señor Cabral
et son groupe de touristes. Dépêchons-nous si nous
voulons repartir avec lui !
Le jeune guide acheva son tour en leur parlant à
nouveau du célèbre canon dénommé Manman penba
qui tonnait plus fort que l’orage.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Quand la journée se termina, nos jeunes compagnons regagnèrent Aux Trois Colombes en bavardant
à tue-tête. En effet, la journée avait été fructueuse.
Carole et Wally pensèrent qu’ils avaient bien de quoi
alimenter l’imaginaire de leurs camarades de classe à
la prochaine rentrée scolaire.
***
À peine furent-ils Aux Trois Colombes qu'ils
se précipitèrent sur le téléphone afin de raconter leur
première visite de la citadelle à M. et Mme Sicard.
Un entretien qui dura plus d'une demi heure. Ils
avaient tant à dire. Quand ils descendirent après avoir
pris une bonne douche, le couvert était déjà mis pour
le repas du soir (ils avaient hâte de déguster ce délicieux bouillon de cabri que leur avait promis tante
Berthe) et un petit jazz, Banjo-tchatcha, animait la
soirée. Une sensation de bien être indicible les envahit soudain. Comme c'était bon ces vacances au goût
du terroir ! Cela n'avait rien à voir avec les précédentes passées à Miami entre quatre murs. Ils s'assirent à
la table de oncle Marcel et de tante Berthe en attendant que leurs cousins, qui piquaient un somme,
viennent les rejoindre. Sur la table voisine, le señor
Cabral s'entretenait avec un Américain aux cheveux
blonds comme des épis de maïs et un autre bonhomme très moustachu qui avait l'air d'être originaire
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Margaret Papillon
de l'Amérique du Sud car il avait le teint basané et
s'exprimait dans un espagnol qui n'avait rien à voir
avec celui de Cabral. Un parler à la fois beau et
fluide. Et, ce qui rendait cet homme encore plus fascinant c'était ce drôle de petit singe juché sur son
épaule.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Chapitre 2
Contrairement au matin précédent, les jeunes vacanciers se réveillèrent de bonne heure. Il faut dire
que, rompus de fatigue après cette journée extra- ordinaire passée à visiter la Citadelle, ils avaient gagné
leur chambre peu de temps après le souper, déclinant
l'offre de M. et Mme Ascencio de venir les rejoindre
dans la salle de billard.
Les filles, réveillées les premières, allèrent tambouriner à la porte des garçons qui leur ouvrirent de
mauvaise grâce. Ils désiraient tant s'attarder encore
un peu au lit et à se raconter des histoires "d'hommes". Les filles firent la sourde oreille à leurs arguments et s'installèrent sur les grands coussins qui
meublaient la chambre de Ben.
« Ici, pas de chaises ! » déclara Ben tout de go devançant la question de sa cousine.
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Margaret Papillon
Au regard interrogateur que lui jeta Carole, Kelly
répondit :
«Ah ! ma chère il faut s'y faire. Ben pense que
c'est beaucoup mieux pour écouter la musique avec
les copains. Alors, qu'allons-nous faire de cette longue et magnifique journée qui nous tend les bras ?
dit-elle, se tournant vers ces messieurs.
– Il n'y a aucun changement au programme, répondit Ben, bâillant encore, nous nous rendons à la plage
à Labadie. Wally a hâte de piquer une tête dans la
merveilleuse mer du Nord. Il ne fait qu'en parler. Je
n’aimerais surtout pas le voir déçu, plaisanta-t-il.
– Bon ! C'est bien alors. Il ne nous reste qu'à fixer
l'heure de notre départ.
– Et notre départ est fixé à tout de suite, rétorqua
Carole, taquine.
Les garçons se concertèrent du regard et pous- sèrent un soupir résigné.
«Ah, les femmes ! dit Ben, on ne peut vraiment
rien leur refuser. Rendez-vous dans cinq minutes
dans la salle à manger.
***
Quelques minutes plus tard, ils s’attablèrent et dévorèrent les œufs au bacon qu'on leur avait préparé
avec un appétit d’ogre et burent de grands verres de
jus de corossol.
28
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Au moment où ils allaient prendre congé, le señor
Cabral fit son entrée dans la pièce, accompagné de
l'Américain et de l'homme au singe.
«Ah ! bien dormi ? demanda Marcel Ascencio qui
se leva pour accueillir le trio.
– La nuit a été fraîche, et après cette belle ondée
dont nous a gratifié le ciel, c'était super, répondit
l'Américain qui cherchait toujours l'occasion de s'exprimer dans la langue de Molière qu'il adorait tant.
À Mme Ascencio qui le félicitait de la perfection
de son français, quoique teinté d'accent anglais, il répondit :
« J'ai passé une année entière à Paris. Pour moi, ce
fut inoubliable et je suis fier de ma french attitude et
de mon french language. »
Il eut un petit rire de gorge en ajoutant cette dernière phrase et envoya une grande claque dans le dos
du señor Cabral. Un rire qu'imita le singe, moqueur,
perché sur l'épaule du troisième homme en se grattant
les côtes par-dessus son gilet rouge aux grandes franges dorées.
– Qu'il est mignon ! s'exclama Carole en fixant le
curieux animal de ses grands yeux étonnés.
Ce dernier rit de nouveau, comme si il avait comprit l'admiration que lui vouait la jeune fille, puis sans
crier gare, il lui bondit dessus, lui vola sa casquette et
s'enfuit vers le jardin. Les jeunes vacanciers, ébahis,
furent séduits d'emblée. Ils éclatèrent de rire et se
lancèrent à sa poursuite.
29
Margaret Papillon
« Pablo, reviens tout de suite ! » cria son maître.
La demoiselle va croire que tu n'es qu'un sale petit
voleur.
Hélas ! Pablo resta sourd à ses appels. Il alla se réfugier dans un manguier en poussant des cris de plaisir stridents. Quand Ben, qui s'était porté volon- taire
pour grimper à sa suite dans l'arbre, put enfin le rejoindre, Pablo lui fit un grand sourire en lui montrant
sa "magnifique" denture. Il tenait l'objet du litige accroché à un seul doigt et sembla un instant narguer
Ben qui visiblement avait du mal à garder son équilibre sur la frêle branche qui menaçait de rompre.
«Allez, donne Pablo, donne ! »
Un autre rire strident lui répondit. Ben s'avança
encore un peu, bien que sentant son équilibre devenir
de plus en plus précaire. Au moment où il allait enfin
se saisir de la casquette, Pablo la laissa tout simplement choir dans le vide.
Alors que, découragé, le jeune homme poussait un
petit cri de protestation, le singe lui, heureux, se félicita de son geste en applaudissant à tout rompre.
Chaque battement de mains était ponctué de bruits
sonores et tonitruants. Visiblement, Pablo était très
satisfait de lui-même.
Ben redescendit bredouille mais quand même ravi
de l'espièglerie du petit singe.
– Excusez-le, il est un peu taquin mais pas du tout
méchant, dit son maître en ramassant la casquette. Il
l'épousseta et la tendit à Carole, l’air vraiment désolé.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
« Ne vous en faites pas, le rassura Carole après
l'avoir remercié. Je ne suis pas du tout fâchée. Au
contraire, il me plaît beaucoup votre… votre petit
« chenapan ».
– Je ne sais vraiment pas comment le faire pardonner ! insista le propriétaire de l’animal.
L’homme sembla réfléchir un instant. Puis, après
une subite illumination il demanda :
« Tiens, tiens… pendant que j’y pense, aimezvous les promenades en mer ? »
– Ah oui ! j'adore ça ! répondit Carole sans évoquer ce mal de mer qui immanquablement lui bouleverserait l’estomac.
– Alors, je vous invite tous à bord du Fantasia
pour une longue promenade en mer, amigos !
– C'est quoi le Fantasia ? interrogea Wally, perplexe.
– Le Fantasia est un magnifique yacht doté d'une
coque vitrée permettant ainsi aux visiteurs d'admirer
le paysage sous-marin en toute sécurité.
– Wouahou ! s'exclamèrent les jeunes gens, le regard déjà tout brillant rien qu’à l’idée de faire cette
balade.
– Alors, c'est parfait ! dit l'homme au singe. Mais,
au fait, je ne me suis pas encore présenté. Je m’appelle Raùl Cortez…
– Ah, oui ! intervint M. Ascencio en s'adressant
aux enfants, j’avais totalement oublié de faire les présentations. Monsieur Cortez est un océanographe en
31
Margaret Papillon
mission en Haïti pour le compte du gouvernement
français. Il faut que je vous dise tout de suite qu'il
accomplit un travail formidable pour sauvegarder notre faune et notre flore sous-marine. C'est un très
grand ami de notre pays. Ses parents sont originaires
du Brésil mais il est né et a vécu en France depuis sa
plus tendre enfance, c’est la raison pour laquelle il
parle si bien le français. D'ailleurs, il a adopté la nationalité française.
– Voilà ! monsieur Ascencio vous a tout dit de
moi, les enfants, ajouta Cortez un large sourire sur les
lèvres. Alors, à demain. Mon associé, mister Harry
Forester, et moi serons heureux de vous accueillir à
bord.
Sur ce, ils s'en furent laissant les jeunes vacanciers
tout excités, rêvant déjà de la journée du lendemain.
De loin, les enfants, qui n’avaient pas quitté le trio
des yeux, virent Pablo dépouiller le señor Cabral de
son casque colonial et s'en coiffer sans autre forme de
procès. Prompt comme l'éclair, le señor, en un tour
de main, récupéra son bien. Lui, il n'avait plus l'âge
de courir après un petit animal aussi vif, aussi habile
et aussi intrépide.
***
La journée à Labadie fut des plus formidable et
des plus agréable. La plage, l’une des plus fantastiques que les jeunes Port-au-Princiens eurent jamais
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
vue, était une merveille de beauté, de soleil et
d'odeurs enivrantes ! Nos jeunes vacanciers ne se firent pas prier pour piquer une tête dans l’eau. Sans
hésiter ils se précipitèrent dans la belle eau fraîche,
couleur d’émeraude, qui invitait tant à la baignade.
Ils barbotèrent pendant plus d'une heure, firent de la
plongée sous-marine (heureusement qu’ils avaient
pensé à prendre leurs masques et leurs tubas) afin
d’admirer le paysage aquatique, véritable régal pour
les yeux, avant de se décider à faire une balade à
pied le long de la côte.
Cette marche leur fit du bien, et ils purent admirer
de tout leur soûl la beauté du littoral avec son sable
blanc, ses cocotiers et ses amandiers magnifiques.
Deux heures plus tard ils s'en retournaient vers la
plage quand, au loin, ils virent passer un superbe
yacht d’un blanc immaculé qui tranchait sur le bleu
intense du ciel et de la mer.
« C'est le Fantasia, s'écria Wally. Ah ! comme il
est beau. »
Mains en visière et les yeux clignés sous l’effet
des ardents rayons du soleil, les jeunes gens suivirent
le bateau qui fonçait vers le large à toute allure, entraînant dans son sillage de bouillonnantes vagues
d'écumes blanches.
– Comment sais-tu que c'est le Fantasia ? demanda Kelly qui, à cause d'une légère myopie, ne distinguait pas très clairement les lettres au-delà d’une certaine distance.
33
Margaret Papillon
– Le nom est inscrit sur la coque, répondit Wally.
Veux-tu que je te prête mes lunettes ?
– Ah, non ! Ce n'est pas la peine, j’ai une entière
confiance en toi. Tu ne saurais me mentir. Désormais,
je tâcherai de prendre mes lunettes avant de sortir. Je
les ai en horreur mais, il faudra bien que je m’y fasse.
Ben resta un instant rêveur jusqu'à ce que le Fantasia ait disparu à l'horizon.
« Je ne sais trop pourquoi mais, j'ai comme l'impression qu'il y a quelque chose de louche concernant ce trio du Fantasia, dit-il tout haut. »
– Je suis de ton avis, s'exclama Carole. Je croyais
être la seule à avoir ce drôle de pressentiment.
– Oh, oh ! n'exagérez pas, nous les avons à peine
vus ! protesta Wally.
– Bah ! ce n'est pas une question de temps ! Moi,
mon flair ne me trompe jamais et papa dit toujours
qu'il faut se méfier des étrangers qui sillonnent nos
terres et nos eaux au nom de l'amitié entre les peuples. Il y a toujours quelque chose de pas très catholique derrière tout ça.
Kelly éclata de rire.
– Allons, Carole ! toi qui est toujours bouillante
d'idées, raconte-nous le dernier film que tu as déjà
échafaudé sur ces messieurs.
– Ne te moque pas, Kelly. Ce ne sont pas des histoires. Disons… juste un pres- sentiment, C'est tout.
Je trouve que ces messieurs sont de drôles de babas
cool.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Babas cool, c'est quoi ce mot ? questionna Wally, sourire aux lèvres, est-il français ?
– Bien évidemment cher frère. Ce n'est certai- nement pas du chinois. Un baba cool est un marginal
des années 70, antimilitariste et écologiste.
– Je comprends la raison pour laquelle tu es toujours en train de consulter le dictionnaire. Je crois
que tu as la passion des mots.
– C'est exact ! Pour avoir enfin compris ça, te voilà devenu un vrai petit sorcier, ironisa Carole. D'ailleurs, j’ai besoin de cette passion car, devenue adulte,
je veux être écrivain.
– Heureusement, ma grande. Ce sera formidable
d'avoir quelqu'un à domicile pour écrire mes mémoires…
– Nageons jusqu'à la plage, proposa soudain Kelly, pressentant que cet échange entre ses cousins risquait de dégénérer en vraie chicane.
Ils se jetèrent tous à l'eau et firent la course jusqu'à
leurs effets abandonnés sur la plage de sable fin et
blanc, d’une pureté rarissime.
Il était quatre heures de l'après-midi quand, repus,
Gilbert les ramena à la marina où ils enfourchèrent
leurs motos et rentrèrent Aux Trois Colombes.
Dans la soirée, ils dégustèrent de délicieuses crevettes à l'ail qu'on leur avait servies avec du riz blanc
et de l'avocat haché en salade. Puis, ils passèrent la
soirée à jouer aux dames jusqu'à ce que la fatigue eut
raison d'eux.
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Margaret Papillon
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Chapitre 3
Un ciel d'un bleu éclatant dans lequel les mouettes
dansaient une merveilleuse valse les attendait le lendemain. Une journée magnifique s'annonçait, et les
jeunes vacanciers étaient prêts à en profiter au maximum. Les garçons grimpèrent d'abord sur le pont du
Fantasia puis les filles tenant Pablo, le singe, par la
main montèrent à leur tour. Visiblement Pablo était
amoureux fou des deux demoiselles qui avaient fait
une provision de fruits rien que pour lui. Il n'avait fait
qu'une bouchée des délicieuses bananes achetées au
marché de la ville.
Le grand yacht quitta le port en glissant silencieusement sur les flots. Le sieur Cortez leur fit visiter les lieux avec un souci du détail qui démontrait sa
fierté d'être le capitaine de ce splendide bateau tout
plein d'appareils extrêmement sophis- tiqués. Il y
avait même une cage métallique pour se protéger des
requins.
– Vous faites aussi de la plongée ? demanda Ben
au sieur Cortez.
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Margaret Papillon
– De temps à autre, quand nous remarquons quelque chose d'intéressant, nous sortons voir cela de plus
près. N'est-ce pas, Harry ?
Mister Forester hocha la tête en signe d’appro- bation. Décidément il n'était pas très bavard.
– C'est Harry, l'expert en plongée, reprit le sieur
Cortez. C'est lui qui utilise la cage.
– Au fait, vous cherchez quoi au fond de l'océan ?
demanda Wally perplexe face à tout cet attirail.
– Nous localisons les endroits où l'érosion fait plus
de dégâts puis, nous y remédions en nettoyant et en
semant dans l'eau d'autres espèces de plantes aquatiques qui pourront mieux faire face à une éventuelle
dégradation de l'environnement. Ainsi nous sauvons
des centaines d'espèces animales qui se nourrissent de
plantes sous-marines. En quelque sorte, nous sommes
les anges gardiens de la mer. De plus, nous permettons la sauvegarde de l'industrie de la pêche qui génère des milliers d'emplois.
Le señor Cabral arriva à ce moment-là.
– Nous sommes en haute mer, déclara-t-il à voix
haute, ces jeunes personnes peuvent descendre dans
la sphère vitrée, ajouta-t-il s'adressant à Cortez.
– Ah ! ce moment tant attendu est enfin arrivé, les
enfants ! s’exclama celui-ci. Suivez-moi, un spectacle
extraordinaire vous attend.
Les nouveaux plaisanciers eurent le choc de leur
vie en pénétrant dans la sphère. Ils se retrouvèrent
comme face à un aquarium géant. Le paysage qui
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
s'offrait à leur vue était à couper le souffle. Des coraux magnifiques couvraient le fond de l'océan, et des
milliers de poissons de toutes les tailles, de toutes les
espèces, de tous les coloris passaient et repassaient
devant eux dans une danse lascive et silencieuse. De
temps à autre, l'un d’eux s’approchait de la vitre et
semblait leur faire la grimace, la gueule ouverte,
soufflant des dizaines de bulles d'air. Des algues marines, longues, souples et flottantes semblaient caresser paresseusement la coque du bateau. Une armée de
méduses les encercla puis poursuivit son chemin, les
trouvant fort peu intéressants. De grands homards
rouges semblaient jouer à se battre au fond sur le sable blanc. Une pieuvre posa ses tentacules sur la vitre, obstruant ainsi leur vue pendant de longues minutes. Elle ne se décida à partir que quand Pablo, excédé de ne plus jouir du spectacle, se précipita et lui
tapa dessus à travers la vitre. La bête gigantesque,
effrayée, se détacha et prit la fuite.
« Ne vous inquiétez pas, dit le sieur Cortez. Cette
pieuvre fait toujours son cirque chaque fois que nous
pénétrons dans ce lagon. C’est peut-être le sien, et
cela doit l'énerver de nous voir dans les parages aussi
souvent ces jours-ci. »
– Juste au moment où elle s'est détachée, j'ai vu un
bateau au fond de l'océan, s’exclama Carole, le visage tout illuminé. Un bateau magnifique qui ressemblerait à un ancien corsaire.
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Margaret Papillon
Le sieur Cortez sembla paralysé par cette déclaration.
– Qu'avez-vous dit, mademoiselle ? questionna-t-il
incrédule, le visage transfiguré par l’émotion.
– Ah ! Il ne faut pas trop prêter foi à ce qu'elle raconte, monsieur Cortez. Vous savez, elle a une imagination débordante. D'ailleurs, elle ne rêve que de
devenir écrivain, auteur de romans d'aventures.
– Non, Wally ! Ce n'est pas du tout mon imagination, répondit vivement Carole à son frère. J'ai vu
ce corsaire, et une fraction de seconde a suffi.
Le sieur Cortez devint blême. Il avala péniblement
sa salive et dit lentement :
« Je vous crois, mademoiselle. Vous n'avez pas
l'air d'une menteuse. Les écrivains sont peut-être des
rêveurs, de grands affabulateurs mais surtout pas des
menteurs. Machine arrière toute ! cria-t-il à l'endroit
du señor Cabral et de Forester.
Ceux-ci s'exécutèrent à la vitesse de l'éclair, et lentement le Fantasia fit marche arrière.
C'est le cœur battant que le groupe attendit l’apparition de l'épave.
Leur attente ne fut pas veine. En effet, sous leurs
yeux émerveillés apparut le vieux corsaire gisant au
fond de l'océan tout couvert de mousse et de coquillages.
« Bravo mademoiselle Carole ! vous serez un
écrivain célèbre. Foi de Raùl Cortez, s’écria le capi-
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
taine visiblement heureux, le nez collé à la vitre de la
sphère.
Puis, se tournant vers la jeune fille, il ajouta, la
face hilare :
« Vous avez des visions extra-lucides mademoiselle, et ceci est une grande qualité et un atout majeur
pour qui veut se lancer dans ce beau et prestigieux
métier d’écrivain. »
Les enfants poussèrent des cris de plaisir et embrassèrent Carole tout à la joie de cette merveil-leuse
découverte. Et Wally regrettait déjà de s'être moqué
d'elle.
– Savez-vous depuis quand je cherche ce bateau,
mademoiselle Carole ? demanda Cortez à l'héroïne du
jour.
– Non ! je l'ignore, monsieur Cortez.
– Cela fait plus de deux ans, ma chère enfant.
– C'est normal que vous ne l'ayez jamais trouvé
car la grande pieuvre qui en est, sans nul doute, la
gardienne doit certainement barrer la vue aux curieux
qui approchent l'épave de trop près.
Le sieur Cortez éclata de rire.
– Ah ! ah ! ah ! ah ! j'adore les écrivains. Ils ont
une imagination pétillante comme du champagne. Je
crois que je devrais vous demander de m'accompagner à chaque mission. Cela m'éviterait beaucoup de
temps et d'argent perdus. Chaque expédition devrait
avoir son romancier à bord. Ah, comme c'est merveilleux ! Vous êtes tout simple- ment géniale !
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Margaret Papillon
Ben intrigué et excité en même temps demanda :
« Mais pourquoi recherchez-vous ce bateau ? Y at-il à bord une cargaison d'or ?
– Ah ça ! c'est fort peu probable qu'il y ait de l'or à
bord, répondit le capitaine visiblement confus de
cette question. Mais, à lui tout seul, ce vieux corsaire
vaut la peine d'être repêché. Il peut devenir une attraction touristique extraordinaire.
À ces mots, le peu loquace mister Forester, la
mine fermée, prit la parole.
« J'aimerais vous parler, Cortez ! » dit-il, légèrement énervé, comme sur le qui-vive.
– Excusez-moi, les amis, je vous reviens dans
quelques instants.
Restés seuls, les jeunes vacanciers laissèrent libre
cours à leur imagination et échafaudèrent toutes sortes d'histoires autour du vieux corsaire, rejoignant
ainsi Carole dans ses délires d'écrivain en herbe.
Dix minutes plus tard, ne voyant pas revenir ces
messieurs, Ben décida d'aller voir où ils étaient passés.
« Sais-tu où ils sont ? demanda-t-il, à tout hasard,
à Pablo.
Pour toute réponse, le singe lui lança un regard
plein de sagacité. Puis, il lui prit la main et le conduisit là-haut.
Ben longeait le couloir menant aux cabines de
couchage quand il entendit un bruit de dispute. Il
s'approcha de l'endroit d'où provenaient les voix. Pas
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
de doute, le sieur Cortez et mister Forester étaient en
pleine discussion.
Le jeune homme allait se retirer discrètement
quand il entendit prononcer les mots : trésor, corsaire,
citadelle. Intrigué, il colla son oreille à la porte et il
perçut clairement la voix de Forester qui vociférait :
« Je vous le répète, Cortez, nous avons eu une
chance inouïe d'avoir cette gamine avec nous aujourd'hui. Sans elle, nous n'aurions jamais décou- vert
l'épave. Deux ans de recherches infructueuses, c'est
quand même beaucoup. Je ne vous conseille pas de
remettre à demain notre visite dans les ruines. Cela
doit se faire tout de suite. Plus tard, il sera trop tard.
Le corsaire risque de nous échapper. »
– Allons, allons, Forester vous n'allez tout de
même pas prêter foi aux propos de cette gamine
concernant cette pieuvre gardienne d'épave. Ce n'est
pas sérieux, voyons !
– Et pourtant oui, j'y crois, figurez-vous. Elle a
l'air de raconter des histoires mais c'est vrai qu'à chaque visite dans les parages, la pieuvre venait s'accoler
à la vitre, nous empêchant ainsi de voir ce qui se passait autour de nous. Je vous le répète à nouveau, Cortez, c'est maintenant ou jamais.
– Écoutez, Forester, je comprends très bien votre
empressement à mettre la main sur ce que peut
contenir cette vieille épave. Mais, la présence de ses
gosses à bord me gêne quelque peu. Mettons une balise au-dessus de ce corsaire. Il ne va tout de même
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Margaret Papillon
pas s'envoler ou s'évaporer dans la nature, cela fait
déjà près de deux cents ans qu'il gît au fond de
l'océan, entouré d'une paix royale.
– J'ai peur, Cortez ! Comprenez-moi, c'est le rêve
de toute une vie qui m'est aujourd'hui accessible. Je
ne vais tout de même pas manquer ça. Je ne me le
pardonnerais jamais, vous entendez, jamais !
Un profond silence suivit ces mots. Puis, Ben entendit Cortez demander :
« Que proposez-vous, Forester ? Nous n'allons
tout de même pas fouiller ce vieux corsaire sous l’œil
admiratif de ces gosses hilares qui se précipiteront
dans toute la ville pour raconter leur aventure. Je ne
suis quand même pas fou !
– Demandons à Cabral de les ramener avec le canot à moteur. Moi, je ne bougerai pas d'ici tant que je
ne serai pas rentré dans cette vieille épave.
– Allons, allons vous divaguez ! Ce serait le meilleur moyen d'attirer leur curiosité. Et ils risquent de
répéter à leurs parents que nous les avons fait partir
parce que nous avons trouvé quelque chose d’intéressant. Il ne faut surtout pas que les autorités locales
soient mises au courant de notre découverte.
– Alors, que pouvons-nous faire ?
– Bon, voilà ! Nous allons fouiller l'épave comme
si de rien n'était, pour ne pas attirer leur attention,
puis nous minimiserons nos éventuelles découvertes.
Ce ne sont que des gamins avant tout. En constatant
notre froideur, ils ne verront aucun intérêt à l'affaire.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
Si leurs parents nous posent des questions à propos
de cette découverte, nous leur dirons que ce n'était
qu'un vieux vaisseau sans importance. Bon, maintenant je vais les rejoindre. Ils doivent s'inquiéter de ma
trop longue absence. En attendant, toi, prépare ta
combinaison de plongée et fais descendre la cage
anti-requins. L'entreprise est plutôt risquée.
En entendant ces mots, Ben se saisit de la main de
Pablo et sans faire de bruit ils regagnèrent la sphère
vitrée où les autres s'extasiaient encore devant le
paysage aquatique. Le vieux corsaire était-il prêt à
livrer ses secrets ?
Brusquement un grand requin gris, à la peau luisante, surgi de nulle part, se mit à faire le tour du corsaire. Les jeunes vacanciers eurent un mouvement de
recul. C'était la première fois qu'il découvrait le grand
prédateur dans son élément.
Ben, le cœur battant, se dit que ce devait être terriblement important pour le trio pseudo babas cool,
dixit Carole, de se rendre à l'intérieur du vieux corsaire pour oser braver de grands prédateurs tels que
les requins.
Il tremblait d'émotion mal contenue. Il se demanda
dans quel genre de guêpier s'étaient fourrés ses cousins et lui. Cette situation le fatiguait d'autant plus
que, dans l'immédiat, il se trouvait dans l’impossibilité de leur faire part de ce qu'il avait entendu. Le
sieur Cortez le suivait de quelques secondes.
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Margaret Papillon
En effet, déjà la voix de Cortez se faisait entendre
dans son dos :
« Chers amis, vous excuserez ce petit contretemps
mais j'avais à régler quelques petits détails techniques. Maintenant, veuillez passer sur le pont. Je vais
vous montrer les combinaisons de plongée, et vous
pourrez voir de plus près la cage anti-requins.
Un murmure de protestation s'éleva du petit
groupe qui aurait préféré regarder le spectacle de la
sphère vitrée du yacht et profiter ainsi de la magnifique vue sous-marine.
« Allez, allez, reprit Cortez, tout le monde sur le
pont ! Eh ! toi, jeune homme, tu fais une drôle de
tête. Quelque chose ne va pas ? dit-il, en s'adressant à
Ben.
– Euh !… non, non… pas du tout, balbutia celuici, désemparé. Je souffre un peu du mal de mer. Et
surtout, la vue de ce requin m'a quelque peu effrayé.
– Bah ! ne t'en fais pas, mon vieux, il ne vous arrivera rien sur ce bateau. Vous êtes en de bonnes
mains.
À ces mots, le cœur de Ben cogna un peu plus fort
dans sa poitrine. Ces paroles qui se voulaient rassurantes ne produisirent que l'effet contraire. Le jeune
homme était sous la torture.
Sur le pont, le señor Cabral vérifiait la cage de
métal tandis que Forester enfilait déjà ses habits
d'homme-grenouille. Il repoussa de la main Pablo
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
qui, tout heureux, poussait des cris de plaisir en tentant de lui chiper ses palmes.
Mortifié, le petit singe, avec une vivacité étonnante, s'empara du masque de plongée, s'en coiffa et
se mit à faire des cabrioles. Forester s'énerva et lui
intima l'ordre de le lui rapporter tout de suite. Visiblement il n'était pas d'humeur à s'amuser.
Carole, sentant l'impatience de mister Forester, récupéra le masque des mains de Pablo qui, toujours
amoureux d'elle, se laissa faire en ayant une mine de
clown triste. Pour se faire pardonner, elle lui offrit le
chapeau de paille dont elle s'était munie pour se protéger des rayons ardents du soleil. Pablo lui envoya
un baiser du bout des doigts en guise de remerciements.
« Qu'il est mignon ! » s'exclama Kelly, séduite, en
éclatant de rire.
Quelques minutes plus tard, Forester pénétrait
dans la cage métallique. Cabral fit glisser celle-ci à
l’aide de la poulie, et doucement Forester s'enfonça
dans l'océan.
Puis, ce fut le silence. On n'entendit plus que le
clapotis de l'eau contre les flancs du yacht.
De longues minutes s'écoulèrent sans que personne n'osât bouger. Ben jeta un coup d’œil discret vers
Cortez. Ce dernier avait allumé une cigarette qu'il
avait oublié de porter à ses lèvres, tant il était anxieux.
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Margaret Papillon
« Jé crois qu'il faudrait descendre voir cé qui sé
passe, proposa brusquement le señor Cabral, incapable de maîtriser son impatience. Il est pé-être en
train dé sé battre contre les requins. Nous né pouvons pas rester ici sans bouger. »
Le sieur Cortez acquiesça de la tête mais, hésitait
encore à descendre dans la sphère. Ben comprit qu'il
ne voulait pas que ses cousins et lui sachent ce que
Forester pourrait bien découvrir dans la vieille épave.
Et, en même temps, cela lui coûtait de les laisser
seuls craignant, très certainement, que ces jeunes
gens intrépides ne découvrent d'autres secrets gardés
sur ce yacht. Un bien drôle de dilemme que Cortez se
devait de résoudre tout de suite. Le temps passait.
« Bon, nous descendons dans la sphère ! décida-til soudain, au grand soulagement des jeunes plaisanciers.
Ils arrivèrent à temps pour voir Forester ressortir
de l'épave et réintégrer son abri de fer avec sous les
bras une caissette. Il était poursuivi par deux requins
gris qui, furieux du viol de leur territoire, venaient
heurter sauvagement la cage métallique de leur museau.
Le señor Cabral se rongeait les ongles, et Cortez
se tordait les mains. Des deux, Cortez était le plus
calme. Mais Ben, qui prêtait particulièrement attention à lui, vit ses mâchoires se contracter nerveusement.
Puis brusquement, n’y tenant plus :
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
« Il faut le remonter tout de suite ! ordonna-t-il à
Cabral. Il est trop occupé à éviter les coups de boutoirs des requins pour actionner le système automatique. Courez vite !
Le señor Cabral ne se le fit pas dire deux fois. Les
enfants, apeurés et fascinés à la fois, ne pouvaient
quitter des yeux la scène.
La longue chaîne au bout de laquelle était accrochée la cage se tendit, et celle-ci commença à s'élever. Les requins la poursuivirent encore, refusant de
lâcher prise.
Quand les spectateurs ne virent plus la nuée de
bulles d'air qui accompagnait l’ascension de la cage,
ils se précipitèrent sur le pont.
Dehors, Cabral ramenait Forester à la surface non
sans peine car l'émotion lui faisait perdre ses moyens.
Enfin, Forester foula le pont du Fantasia au grand
soulagement de tous. Il s’affala sur le plancher de
bois, le souffle court, le cœur battant la chamade et
poussant la drôle de petite caisse devant lui.
Cortez se précipita sur la caissette. Que lui importait les états d'âme de Forester ! Ce dernier qui commençait à se dépouiller de sa combinaison de plongée
le stoppa dans sa course en posant ferme- ment la
main sur le précieux objet.
« Patience Cortez ! je crois que j'ai bien droit à la
primeur ! J'ai failli mourir pour récupérer ce petit coffret. »
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Margaret Papillon
– Il y avait-il quelque chose d'autre dans ce bateau ? questionna Cortez résigné.
– Non, rien ! D'ailleurs, je pensais qu'il était tout à
fait vide. J'étais en train de repartir bredouille lorsque
je heurtai ce petit coffre de mes palmes. C'est une
chance inouïe.
– Allez Forester ! ne me faites pas languir plus
longtemps ! Ouvrez-le !
Forester s'exécuta. Autour de lui le silence se fit
total.
Au prime abord, le couvercle refusa de bouger.
« Il fallait s'y attendre ! grogna Cortez. Tenez,
prenez ce couteau de pêche et faites sauter la serrure » proposa-t-il en dégainant l’objet métallique qui
pendait à sa ceinture.
Cette fois-ci fut la bonne. Forester eut raison de la
rouille qui causait la résistance du couvercle. Il souleva lentement celui-ci, le cœur cognant très fort dans
sa poitrine.
Le petit groupe retint son souffle.
Bientôt la déception se peignit sur tous les visages
tandis qu'un murmure de déconvenue parcourait le
groupe. À l'intérieur du coffret, il n'y avait qu'une
vieille lunette de pirates.
– Bon Dieu de bon sang ! jura Forester, deux ans
de travail pour une longue-vue. Dire que j'aurais pu
m'en procurer une chez l'antiquaire du coin.
Il s'empara de l'objet, le tourna, le retourna entre
ses mains. Il égratigna le vieux métal avec la pointe
50
Le trésor de la Citadelle Laferrière
de son couteau et ne sembla pas satisfait de son examen. Il le tendit à Cabral qui, à son tour, constata la
banalité de la lunette.
De son côté, le sieur Cortez était effondré, totalement dépité. Las, il s'était assis en se prenant la tête
entre les mains.
Au regard interrogateur des jeunes aventuriers,
Forester se reprit.
« Ce n'est pas si grave que ça. D'ailleurs nous
n'espérions vraiment pas grand-chose en découvrant
ce vieux corsaire. N'est-ce pas, les amis ? jeta-t-il à
l'adresse de Cabral et de Cortez.
Ces derniers comprirent tout de suite qu'ils avaient
un peu trop dévoilé de leurs espoirs devant les adolescents.
« C'est bien vrai, reprit Cortez, feignant subitement d'être détendu. Les vieux corsaires ne renferment de trésors que dans les productions holly- woodiennes. Allez, nous rentrons au port ! Vous devez
avoir faim, n'est-ce pas les enfants ? »
Ce fut au tour des gosses d'être déçus. Ils trouvaient dommage d'interrompre une si belle promenade. Seul Ben avait hâte d'être chez lui. Il déclara :
« Oui, il est temps pour nous de rentrer. Nous
avions programmé de nous rendre au cinéma cet
après-midi. Il serait bon que nous nous reposions un
peu.
En disant cela son cœur n'arrêtait pas de cogner
dans sa poitrine. Il avait la désagréable impression
51
Margaret Papillon
que ces messieurs pouvaient lire dans ses pensées et
découvrir qu'il les avait espionnés. Il en tremblait.
Le cap fut mis vers la marina du port, et une demi
heure plus tard ils mettaient pied sur la terre ferme.
Au moment où ils finissaient de franchir la passerelle, Cortez, un sourire doucereux sur les lèvres, leur
susurra sur un ton qu’il voulait confi- dentiel :
« Soyez gentils, les enfants, ne parlez à personne
de notre déconvenue. »
– Déconvenue ? interrogea Kelly intriguée.
– Euh ! Bon… disons… que ce n'est pas nécéssaire de raconter notre petite matinée. Vous savez, il
y a des espèces de flibustiers qui n'hésiteront pas à
saccager cet endroit magnifique s'ils étaient mis au
courant de la présence de l'épave. Vous comprenez,
nous, nous sommes des écologistes, grands amis de la
nature, et nous voulons la protéger autant que possible. Nous nous érigeons contre toutes sortes de reportages ou de propagandes présentés à la manière de
documentaires et qui pourtant indiquent aux gens mal
intentionnés l'emplacement de sites magnifiques.
Nous disons non au pillage et au vandalisme.
Les jeunes gens l'écoutèrent débiter son discours
d'un air perplexe. Toutefois, ils lui promirent formellement de garder le secret de leur découverte.
« N'en parlez à personne, même pas à vos parents » insista-t-il, aggravant ainsi le malaise de Ben
qui commençait sérieusement à avoir peur. Ces types
étaient peut-être des mercenaires sans scrupules.
52
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Ne vous inquiétez-pas, le rassura Wally. Nous
savons garder un secret. « Motus et bouche cousue »,
telle sera notre devise.
– Bien parler, jeune homme ! Tenez… j'ai une
vieille collection de pièces de monnaie du monde entier dont je ne m'occupe plus, seriez-vous intéressé à
l'avoir ?
Wally bondit de joie.
– Bien sûr que ça m'intéresse. Je demanderai à
mon père, dès ce soir, la permission d'accepter votre
offre.
– Alors, c'est d'accord. Plus tard je vous la montrerai et vous pourrez l'avoir dès la permission paternelle obtenue.
– Est-ce que par hasard vous voudriez aussi vous
débarrasser de votre petit singe ? demanda Carole qui
tenait Pablo par la main.
Cortez éclata de rire.
– Ah, non ! Pablo, surtout pas ! c'est mon bébé, la
prunelle de mes yeux. Pas question que je m'en débarrasse.
***
Deux heures sonnaient à l'horloge de l'église voisine quand ils pénétrèrent dans la cour du petit hôtel.
La table était servie pour le déjeuner. Au menu : du
53
Margaret Papillon
lambi en sauce, des aubergines frites, du riz au champignon que l'on avait cuit avec des crevettes et une
magnifique salade du chef. Et pour couronner le
tout : du jus de grenadine. « Le jus du bon Dieu ! »
disait Mme Ascencio tant elle trouvait celui-ci merveilleux.
Marcel Ascencio, amphitryon magnifique, faisait
goûter les délices de la cuisine haïtienne à un groupe
de clients européens qui en était fort heureux.
Mme Ascencio vint à la rencontre des enfants :
« Alors, cette journée ? demanda-t-elle.
« Merveilleuse ! » répondit Ben avec précipitation. Il se sentait mieux depuis qu'il avait foulé le sol
de la propriété familiale.
– Extra ! renchérit Carole, la mer était magnifique.
– Comme je suis contente. Je ne sais vraiment pas
comment vous remercier, monsieur Cortez, dit Mme
Ascencio en se tournant vers le trio de babas cool.
– Tout le plaisir a été pour moi, madame. Et un
merveilleux repas suffira à me récompenser. Je meurs
de faim !
– Alors, je vous invite à passer à table tout de suite
! Les enfants, lavez-vous les mains… ajouta-t-elle en
souriant.
– Maman, pourrions-nous nous baigner à la piscine avant de déjeuner ? Il fait une de ces chaleurs,
l’interrompit Ben, l’air légèrement contrarié.
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Mais bien sûr, chéri. Allez tous vous baigner,
faites vite sans quoi le repas sera froid au moment où
vous passerez à table.
– Moi, j'ai faim ! décréta Carole, je me baignerai
plus tard.
Visiblement, elle n’avait pas compris la démarche
de son cousin.
– Ah non, pas question ! protesta Ben. Tu ne dois
surtout pas te désolidariser de nous, voyons ! Sans
quoi le moment risque de manquer d'attrait. Et que
ferons-nous sans notre romancière adorée, hein ? sinon nous ennuyer mortellement !
Face à un tel argument, Carole, charmée de l'importance qu'on accordait à sa personne, accepta de se
rafraîchir avant de pouvoir apaiser son appétit gargantuesque.
À peine furent-ils dans l'eau, loin du trio de babas
cool et à l'abri des regards indiscrets, que Ben lâcha
la bombe.
« Mes amis, faites semblant de nager, de dormir
ou de lire. Mais de grâce, n'ayez pas l'air de conspirateurs.
– Qu'est-ce qui te prends, Ben ? s'étonna Wally,
contre quoi ou contre qui pourrions-nous conspirer.
Contre la sûreté de l'État, comme je l’entends dire à
la radio ?
– Ah ! maintenant, c'est toi le romancier faiseur
d'histoires ! se moqua Carole.
55
Margaret Papillon
– Ce que je vais vous révéler n'a rien d'un roman,
croyez-moi. Je commence par m'excuser d’avoir insister pour que nous nous baignons, mais l'affaire est
d'importance !
– Je l'espère vivement. Dans le cas contraire, je
vais te bouffer tout cru car la promenade de ce matin
m'a totalement creusée, rouspéta Kelly entre ses
dents.
– Petite sœur, je t'assure que l'instant est grave !
À ces mots, les jeunes éclatèrent de rire et ironisèrent en répétant :
« L'instant est grave ! ».
Ben s’énerva.
– Les babas cool sont de vrais pirates ! » jeta-t-il
tout de go afin de faire taire ses cousins.
Hélas ! il ne put obtenir que l'effet contraire.
– Arrêtez de ricaner ! insista-t-il, ce que je suis en
train de vous dire est très sérieux. Nos vies sont en
danger !
Toutes les moqueries cessèrent d'un coup.
« En danger ! mais tu veux rire ou quoi ? »
s’inquiéta Wally.
– Malheureusement non ! Lorsque je suis parti
chercher Cortez, trouvant son absence un peu longue,
vous souvenez-vous ? eh bien ! je l'ai surpris en
pleine discussion avec ses deux autres acolytes…
Et Ben leur narra tout ce qu'il avait entendu de la
discussion du trio, sans omettre le moindre détail.
56
Le trésor de la Citadelle Laferrière
La consternation puis la stupéfaction se peignit
sur le visage de ses petits camarades.
« Mais qu'est-ce qu'ils espéraient trouver exactement ? » s'exclama Kelly.
– Un trésor, voyons ! suggéra Carole, le regard
brillant. Qu'est-ce qu'on peut bien chercher dans une
vieille épave échouée au fond de la mer il y a deux
siècles si ce n'est un fabuleux trésor ? Ces messieurs
se font passer pour des écologistes et pourtant leur
boulot consiste à ratisser le fond de l'océan à la recherche de vieux galions espagnols ou autres corsaires transportant des coffres entiers pleins d'objets en
or. Je crois que je tiens là le sujet d'un premier et
merveilleux roman.
– J'espère que tu auras le temps de l'écrire, ton roman, remarqua Ben, car nous sommes dans un drôle
de pétrin. Nul ne sait si on s'en sortira. Maintenant
vous comprenez pourquoi le sieur Cortez a insisté
pour que nous n'en parlions à personne ?
– Tu crois qu'ils vont le trouver, ce trésor ? interrogea Wally, sur un ton rêveur.
– En tout cas, ils vont continuer leurs recherches.
Peut-être qu'ils retourneront dans l'épave demain.
Sans nous cette fois, pour être plus à l'aise.
– Eh oui ! comme ça, ils pourront voler tous les
trésors d’Haïti sans que personne ne bouge le petit
doigt, observa Kelly sur un ton rageur.
– Kelly a raison de s'énerver, dit Carole. Je crois
que notre pays ne peut pas toujours être le dindon de
57
Margaret Papillon
la farce ! Moi, je suis d'avis qu'il ne faut pas les laisser faire.
– Eh, tu plaisantes ! s'exclama Ben. Et comment
allons-nous nous y prendre pour les empêcher de
faire leur affreux boulot ?
– En les espionnant tout bonnement ! répondit Carole comme si cela allait de soi.
Ben éclata franchement de rire cette fois.
– Mademoiselle vit toujours en plein roman, à ce
que je vois ? Alors, tu crois que ce sera facile de
jouer aux espions quand de toute évidence nous
avons peut-être affaire à de vrais bandits, des voleurs
de grands chemins ? Nous risquons nos vies à vouloir
jouer aux apprentis sorciers ou aux apprentis policiers. De plus, nous ne pouvons pas en parler à nos
parents de peur des représailles.
– Il ne faut surtout pas les mettre au courant de
cette histoire, reprit Carole totalement transportée. Ils
risqueraient de nous expédier illico à Port-au-Prince,
question de nous mettre à l'abri du danger. Et nous
raterons, d'entrée de jeu peut-être, la chance de pouvoir être utile à notre pays. En même temps, si nous
ne faisons rien, nous serons accusés de complicité.
– Ah, quels grands mots ! renchérit son frère,
complices, complices c'est vite dit. Nous n'avons qu'à
nous rendre au commissariat de police et raconter ce
que nous avons vu !
58
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Et qu'avons-nous vu ? questionna sa sœur, moqueuse, en penchant la tête d'un côté comme pour
mieux entendre la réponse de Wally.
– Euh !… je ne sais pas moi… le vieux corsaire…
– Et puis ?… un coffret pratiquement vide qui ne
contenait qu'une lunette de pirates. Et tu penses que
c'est avec de tels arguments que nous serons crédibles ? Du reste, notre police, sous-équipée, sera dans
l’impossibilité de vérifier nos dires. Allons, allons !
on ne va tout de même pas s'exposer aux moqueries
de ces messieurs les babas cool ! Nous risquons de
gâcher nos vacances pour rien.
– Carole à raison ! il serait préférable que nous
fassions, seuls, le jour sur cette affaire.
– Bien parler, Ben ! s'exclama Carole qui nageait
en plein bonheur. J'ai déjà trouvé un titre qui irait
comme un gant à cette histoire : « Le trésor du vieux
corsaire ». Comment le trouvez-vous ?
– Ah, toi ! tu ne penses qu’à ton roman ! protesta
Wally.
Sourde à sa protestation, Carole poursuivit :
– … ou, tout simplement : « Le secret du vieux
corsaire ».
Les autres firent la moue, peu convaincus.
– Allez, Carole ! tu peux faire mieux que ça, soupira Kelly, ce titre est beaucoup trop banal.
– C'est tout à fait moche ! renchérit Wally en faisant une drôle de grimace.
– Et toi, Ben ? interrogea Carole, anxieuse.
59
Margaret Papillon
Ben hésita quelques secondes et ne voulant pas
décevoir sa cousine dit tout de go :
« Je crois que euh… c'est un titre… disons… assez crédible… et… »
– … ça va j'ai compris, l'interrompit sa cousine,
j'aurai bien le temps d'en trouver un autre dans les
jours à venir.
Brusquement, Wally s'écria :
« Voilà le señor Cabral, dispersons-nous ! »
Carole et Ben simulèrent une course, tandis que
Wally courut jusqu'au tremplin et s'essaya au double
saut périlleux. Kelly, elle, s'étendit sur le rebord de la
piscine après s'être enduite d'huile solaire, faisant
semblant de vouloir parfaire son bronzage.
Du coin de l’œil, ils observèrent Cabral qui s'éloignait, ses gros bras ballants et son corps ondulant
d'une démarche reptilienne.
Quelques secondes plus tard, Pablo surgit à son
tour et fila droit vers Carole qui se hissait hors de
l'eau. Celle-ci était à peine assise que le singe tira de
la poche de son veston le porte-feuille du señor Cabral et le tendit à la jeune fille comme on offre un
bouquet de fleurs.
Carole éclata de rire joyeusement, le remercia tout
en se promettant de rapporter au plus vite l'objet volé
à son propriétaire.
Pablo, tout heureux, poussa des cris perçants
ponctués d'applaudissements. Il s'en allait retrouver
60
Le trésor de la Citadelle Laferrière
son maître, satisfait de lui même, quand il vit Kelly
se mettre de l'huile à nouveau.
D'un geste prompt, il prit le flacon des mains de sa
dulcinée, dévissa le capuchon et en huma le contenu.
Satisfait de son examen, il versa la bouteille entière
sur sa tête tout en frottant de l’autre main.
« Oh non ! hurla Kelly, vexée, cette huile m'a coûté six dollars. J'ai cassé ma tirelire pour me la procurer ! »
Elle se levait d'un bond souple pour reprendre son
bien quand Pablo, plus rapide qu'elle, s'en fut en
poussant des cris de joie, le corps dégoulinant d'huile
solaire, les bras s'agitant au-dessus de sa tête. Il courait aussi vite que lui permettaient ses jambes torses.
61
Margaret Papillon
Chapitre 4
La semaine qui suivit, se passa en jeux d'espionnage. Mais, hélas, rien n'avait percé du trio de babas
cool. Les jeunes vacanciers n'avaient pas ménagé
leurs efforts pour les prendre en filature jusqu'à la
marina du port car il n'y avait pas moyen de le faire
jusqu'au lagon, de peur de se faire repérer. Toutefois,
les ayant vu en revenir deux jours de suite sans aucune satisfaction éclairant leur visage, la petite
équipe en déduisit que leurs recherches s'étaient avérées vaines.
Wally, plus tôt que ses camarades, commença à en
avoir marre de ce petit jeu de cache-cache qui ne portait pas de fruits. Il en voulut à sa sœur d'avoir déclenché toute cette histoire qui leur gâchait l'existence
et leurs belles vacances.
62
Le trésor de la Citadelle Laferrière
« Bien sûr que c'est toi la responsable de tout
ça ! » s'écria-t-il, le cinquième jour, suite à une
énième filature infructueuse.
– Moi ? mais… je n'y suis pour rien !
– C'est toi qui a découvert la vieille épave ! En outre, c'est toi qui a imaginé, sous prétexte d'une future
carrière d'écrivain, tout une histoire de trésor qui réduit à néant nos vacances que nous voulions formidables. Bon, alors ? tu es contente ? Nous sommes
contraints de faire le guet à longueur de journée. Tout
ça pour rien. Tu trouves ça intéressant, toi ?
Carole ne sut quoi répondre, incapable de
convaincre son frère du bien-fondé de ses appréhensions.
« Écoute, Wally, je suis sincèrement désolée. Je
crois qu'il serait préférable d’abandonner ce jeu stérile. Quand j'écrirai ce bouquin, je trouverai toute
seule la fin. Dès demain, nous recommencerons à vivre comme si le vieux corsaire n’avait jamais existé.
Direction Cormier Beach, et à nous l'eau bleue, les
plages de sable et la belle vie. »
Wally poussa un soupir de soulagement et lança
gaiement :
«Très bien, petite sœur ! je suis heureux de te voir
revenir à de meilleurs sentiments. Du reste, un bon
écrivain fait sa propre histoire, inventant sa propre
fiction. Cela lui permet de dépasser la réalité et de
mieux faire rêver les lecteurs. »
63
Margaret Papillon
– Bon, ça va ! pas la peine d'argumenter davantage ! Sherlock Holmes lui-même se serait lassé de
ces filatures stériles, répliqua Carole.
Les jeunes gens poussèrent des hourras de plaisir
et, pour fêter l'heureux événement, ils passèrent
l'après-midi entier dans la piscine à déguster des noix
de coco.
Ils éclatèrent de rire à l'unisson quand ils virent
passer le trio, l’air toujours conspirateur. Et, chose
drôle, cette fois-ci l’adjoint du maire, Arthur Laroche, faisait partie de la bande.
« Que fait monsieur Laroche avec cette équipe de
flibustiers ? s’étonna, Carole un pli soucieux lui barrant le front.
La mine superbe, Pablo vint leur dire un petit bonjour et en profita pour offrir à Carole un petit médaillon. À qui l'avait-il volé ? Nul ne le savait. En réponse à leur interrogation muette, le petit singe leur
montra toutes ses dents, et Carole lui caressa la tête
pour le remercier.
Heureux, il se mit à courir dans tous les sens en
faisant mille cabrioles.
Très vite, le sieur Cortez vint le récupérer. Il le réprimanda comme on le fait pour un enfant turbulent.
Il salua les jeunes gens d'un geste de la main.
– Excusez-le, comme vous le savez déjà, il est un
peu fou ! déclara-t-il un vague sourire sur les lèvres.
64
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Sur ce, il l’attrapa par le col de son gilet et l'entraîna vers la véranda. Pablo le suivit en poussant des
cris stridents.
« Tiens ! le sieur Cortez n'aime pas que Pablo
nous tienne compagnie, pensa Carole, rêveuse.
Mais, elle n'osa exprimer tout haut cette pensée, de
peur de se faire chahuter par ses cousins. Après les
bonnes résolutions de tout à l'heure, pas question de
faire allusion à quoi que ce soit concernant le vieux
corsaire ou le trio de babas cool.
***
Quand elle fut seule dans sa chambre (les autres
s’étaient installés au bord de la piscine pour jouer au
monopoly), elle s’arma d’une grosse loupe et se mit à
observer minutieusement le médaillon. Au bout de
quelques minutes elle découvrit que les armes de la
République y étaient gravées. « Ah ! se dit-elle, ceci
est un précieux indice ! Mais c’est dommage que je
ne doive plus m’occuper de cette affaire. »
Elle ne sortit de son antre qu’en début de soirée
lorsque Elda, la cuisinière, un véritable cordon bleu,
vint l’avertir que le repas était servi. Cette dernière
était fière de lui avoir préparé un délicieux riz créole
avec du griot de porc accompagné de bananes pesées.
65
Margaret Papillon
***
Ce soir-là, Carole ne put s'endormir que fort tard.
Mille questions se bousculaient dans sa tête après
qu’elle eut passé la soirée à étudier le médaillon remis par Pablo.
Au prime abord, elle avait voulu le remettre tout
de suite au trio de babas cool mais, elle ne les avait
pas revus de toute la soirée. Et impossible de le rendre ni à la réception de l'hôtel ni aux Ascencio qui,
eux, risquaient de poser trop de questions. C'était un
si beau médaillon, si ancien, si travaillé. Elle le passa
autour de son cou en se promettant de le restituer à
ses présumés propriétaires, à la première heure le
lendemain.
Elle avait à peine pu fermer les yeux qu'elle se mit
à faire un drôle de rêve. Le roi Henry Christophe en
personne vint lui rendre visite. Il était vêtu de ses habits des grands jours et il lui parla d'une voix gutturale :
«Tu es celle qui saura trouver le trésor que j'ai
moi-même caché dans la Citadelle. Le jour est arrivé
où tous les mystères seront élucidés. Laisse ton flair
te guider. Sois à l'écoute de tes sens et suis tous les
indices dont ton parcours sera jonché. Alors, tu découvriras ce qui a été trop longtemps soustrait au
regard des mortels. »
66
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Ces derniers mots se répétèrent en écho une bonne
dizaine de fois, effrayant Carole qui se réveilla en
sursaut en criant de toutes ses forces.
Elle était en nage, et le médaillon à son cou semblait vouloir l'étouffer. Elle l'arracha et l'expédia le
plus loin possible d'elle, consciente du rôle qu'il avait
dû jouer dans son cauchemar.
L'objet s’en alla heurter le mur d’en face.
Kelly, que son cri avait fait sursauter, fit promptement de la lumière et la regarda de ses grands yeux
étonnés.
« Qu'est-ce qui se passe, Carole, as-tu fait un cauchemar ? » interrogea-t-elle, inquiè- te.
Carole, rassurée d'entendre la voix de sa cousine,
porta la main à son cœur comme pour en réprimer les
furieux battements.
« J'ai fait un terrible cauchemar. Ou plutôt, je crois
que j'ai eu une vision. Le roi Henry Christophe en
personne se tenait au pied de mon lit, et voilà ce qu'il
m'a dit… »
Carole répéta à sa cousine, mot pour mot, les paroles entendues.
Cette dernière lui sourit et répondit :
« Je crois que tu penses trop à cette affaire de trésor. Cela va te jouer de drôles de tours. Tu finiras par
confondre rêve et réalité.
Sans plus prêter attention à elle, Carole se leva et
alla ramasser le médaillon qui gisait dans un coin de
la pièce. Elle le tourna et le retourna entre ses doigts
67
Margaret Papillon
comme si elle voulait percer un quelconque mystère
que renfermerait celui-ci.
Son regard s'illumina soudain. Le choc contre le
mur avait commencé à ouvrir le médaillon. Carole
poussa un cri de joie et tenta, à l'aide de ses ongles,
de poursuivre le travail mais ses efforts furent vains.
« Le médaillon est à deux doigts de nous livrer son
secret, passe-moi un canif, des ciseaux, n'importe
quoi, vite ! » ordonna-t-elle, fébrile, à Kelly qui la
regardait, fascinée.
Comme une automate, cette dernière se dirigea
vers son armoire et dénicha une paire de petits ciseaux qui se trouvait dans sa trousse à manucure et la
lança, question d’économiser du temps, à sa cousine.
Quelques secondes plus tard le médaillon s'ouvrait
à la grande satisfaction de Carole qui poussa un petit
cri victorieux.
Kelly, d'un bond souple, la rejoignit. Elles se
concertèrent du regard après avoir vu le contenu du
médaillon.
« Il faut tout de suite appeler les garçons ! » observa Kelly, le premier moment de surprise passé.
Carole jeta un coup d’œil à sa montre.
– Tu crois que cela leur fera plaisir, remarqua-telle anxieuse, d'être réveillés à minuit un quart quand
je leur ai promis de ne plus parler de cette histoire ?
Demain nous devons nous rendre à Cormier Beach…
– Ah ! tu sais, je crois que ce médaillon est la
preuve qu'il y a peut-être un trésor dans cette Cita68
Le trésor de la Citadelle Laferrière
delle. Il faut que Wally et Ben voient ça tout de suite.
À quatre, ce sera peut-être plus facile d'élucider le
mystère.
Elle revint, quelques minutes plus tard, avec ces
messieurs, grognons et rébarbatifs. Visiblement ils
n'appréciaient pas d'avoir été réveillés pour des broutilles et des peccadilles comme le dit tout de suite
Ben.
Aussi furent-ils surpris quand ils virent le médaillon ouvert sur le lit de Carole. Cette dernière poussa
celui-ci vers eux et leur tendit la grosse loupe qu'elle
avait utilisée pour mieux observer les détails de la
toile miniaturisée.
Les garçons attrapèrent la loupe et plongèrent à
leur tour dans la contemplation de la peinture en
miniature qui tapissait le fond du bijou.
La stupéfaction et la joie se relayèrent tour à tour
sur leur visage.
« Cette peinture est très ancienne, déclara Wally.
Et, elle n'a pas l'air d'être fausse ! »
Ben, perplexe, répondit :
– Qui aurait eu l'idée de peindre le roi Henry
Christophe posant à coté d'un trésor. Moi, je crois en
l'authenticité de ce tableau. D'ailleurs, le médaillon
est très ancien lui aussi.
– Le trésor de la Citadelle Laferrière existe bel et
bien, s'écria Wally tout joyeux en se tournant vers
Carole. Ah ! petite sœur, tu avais raison, ton flair est
vraiment infaillible.
69
Margaret Papillon
– Qu'allons-nous faire maintenant ? s'inquiéta Kelly.
– Maintenant, il nous faudra surtout être très prudents. Le trio de babas cool ne doit pas se douter un
instant que Pablo nous a remis ce médaillon, répondit
Ben.
– Il ne faudra plus les lâcher d'une semelle, non
plus. Ils sont, certainement, déjà sur une bonne piste
pour retrouver le trésor. Et, si nous ne nous montrons
pas vigilants, ils risquent de nous échapper et de nous
damer le pion, renchérit Wally, tout excité. Nous devons découvrir, à tout prix, où se cache le trésor
avant eux. Mais, comment ferons-nous pour explorer
le vieux corsaire sans équipements adéquats, alors
que celui-ci se trouve au fond de l'océan ?
– Tu dérailles, Wally, s’écria Carole, le trésor ne
se trouve ni au fond de l'océan ni dans le vieux corsaire mais à la Citadelle !
– Quel rapport avec le vieux corsaire alors ?
– En faisant travailler un peu mon imagination, je
présume que quelqu'un qui connaissait le secret de la
Citadelle a péri en mer et…
Carole ne put achever sa phrase. Quelqu'un tambourinait à la fenêtre de la chambre. Les quatre cousins eurent d'un coup la même pensée. Le trio de babas cool les avait surpris en flagrant délit de complot.
Effrayés, ils éteignirent la lumière et se réfugièrent
sous les lits, le cœur battant la chamade.
70
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Le bruit se répéta et se fit de plus en plus insistant.
Le souffle court, les jeunes vacanciers ne savaient
plus que faire. Ils prirent soudain conscience du danger qu'ils couraient dans cette affaire.
Le verrou de la fenêtre finit par céder. Celui-ci
était un peu disloqué depuis longtemps et Kelly avait
oublié d'en parler à ses parents.
Les jeunes gens, tapis dans l'ombre, étaient au
bord de la syncope.
L'intrus poussa les deux battants de la fenêtre, sans
ménagements, et d'un seul bond souple se retrouva
dans la pièce en poussant des grognements sourds.
Le quatuor ne bougea pas, paralysé par l'effroi. Il
leur sembla entendre leur cœur cogner contre leur
poitrine.
Un cri strident accompagné d'une longue ovation
leur glaça le sang. Les jeunes gens se virent déjà enfermés dans un cachot, quand tout à coup Carole
poussa un cri de bonheur :
« C'est Pablo ! » s'exclama-t-elle en sortant de sa
cachette, tandis que les autres, mal remis de leur
frayeur, hésitaient encore.
Ben la suivit quelques secondes plus tard accompagné des deux autres. Et, dans la chambre qui n'était
éclairée que par un mince rayon de lune, ils virent en
effet Pablo avec un objet qu’il tendait encore à Carole.
71
Margaret Papillon
« N'allumez surtout pas ! ordonna Ben, pressentant
le geste de Wally et de Kelly. Faut pas se faire repérer. Où sont vos lampes de poches, les filles ? »
– Dans nos sacs à dos, répondit Kelly qui ne se fit
pas prier pour aller les chercher.
Dans le rayon lumineux des lampes de poche, apparut le caisson repêché par les babas cool dans la
cale du vieux corsaire.
Un murmure d'étonnement parcourut la petite
troupe qui lança un regard interrogateur à Pablo. Celui-ci se contenta de leur montrer toutes ses dents en
tapant toujours des mains.
« Mon Dieu ! si les babas cool apprennent que le
caisson est ici, dans cette chambre, nous sommes
morts ! » murmura Wally de peur d'être entendu.
– Mais pourquoi Pablo nous apporte-t-il tout ça ?
questionna Kelly.
– Je crois qu'il veut absolument nous faire comprendre quelque chose, en déduisit Carole, un pli
soucieux lui barrant le front.
Ben souleva le couvercle du coffret et en balaya
l'intérieur de son rayon lumineux. Rien de plus que ce
qu'ils avaient déjà vu au lagon si ce n’est que la
vieille lunette de pirate. Il s'assura de l'absence d'un
double fond et n'ayant trouvé aucun élément nouveau, il poussa un long soupir de déception.
« Ç'aurait été trop beau pour être vrai, de trouver
un quelconque indice nous permet- tant de découvrir
72
Le trésor de la Citadelle Laferrière
la cachette du trésor dans ce coffre. Mais bon Dieu !
qu'est-ce que Pablo essaie de nous dire ? »
– Posons-lui la question ! déclara Wally en éclatant de rire, c'est bien plus simple que de nous casser
la tête.
– Ah ! facile à dire, répliqua Kelly. Autant lui demander, tout de suite, ce qu'il sait sur ces messieurs
pas très catholiques et de leurs petits manèges, pendant que nous y sommes. Là, nous serons sûrs d'avoir
de bonnes réponses. Quand le commissaire Walter
Sicard junior mène l'enquête, c'est sûr que celle-ci
aboutira, ironisa-t-elle.
Les rires fusèrent de toutes parts.
– Assez plaisanter les enfants ! intervint Ben. Allons-nous garder ce coffre ou allons-nous le rendre à
ses possesseurs ? Nous ne pourrons pas passer la nuit
à deviser sans nous faire remarquer.
Pablo les regardait tour à tour avec une drôle de
mimique. Puis, d'un geste plutôt brusque, il tira la
lunette des mains de Ben et la remis à Carole. Celleci la prit machinalement.
– Merci Pablo, chuchota-t-elle, mais ceci n'est pas
à nous. Et, il vaudrait mieux que tu repartes avec tout
ça, de peur qu'on ne nous accuse de vol.
Et elle replaça la lunette dans le coffre avec un air
un peu découragé.
Pablo poussa un grognement sourd, s'empara de la
lunette et la lui tendit à nouveau.
73
Margaret Papillon
– C'est clair, il essaie de nous dire quelque chose,
triompha Wally, heureux. Le commissaire Walter
Sicard junior n'est pas si fou que ça. Alors Pablo, que
veux-tu que nous fassions de cet objet ?
Et, sous le regard ébahi des jeunes vacanciers, Pablo attrapa la lunette que lui tendait Wally et la dévissa tout bonnement. Il colla un œil à l'intérieur puis,
satisfait de son examen, il en renversa le contenu sur
le lit.
« Aaaaaah ! un vieux parchemin !!!! s’exclama
Wally.
Le quatuor terrible faillit tomber à la renverse.
L'étonnement les laissa sans voix.
C'est d'une main tremblante que Carole s'empara
du vieux parchemin dont les bords s'effritaient.
« Je suis sûre que c'est un testament ! », murmura
Kelly dans un souffle.
Avec mille précautions, Carole déroula le parchemin. Les autres retenaient leur respiration.
Les yeux agrandis de stupeur de la jeune fille, tandis qu'elle prenait connaissance du contenu du vélin,
les persuadèrent d'une découverte importante.
Sans mot dire, Carole déposa le parchemin sur le
lit afin de satisfaire la curiosité de ses cousins. Ben le
balaya du rayon de sa lampe de poche.
« C'est le plan de la cachette du trésor ! s'écria-t-il,
excité au possible. Nous l'avons trouvé ! »
Ils poussèrent tous des hourras de victoire.
74
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Voyant leur joie, Pablo se mit à applaudir, heureux
que son cadeau ait plut.
– Bravo Pablo ! le félicita Ben en lui lançant une
claque affectueuse dans le dos pour le remercier.
– Examinons le plan en profondeur, proposa Carole. Ceci est passionnant comme aventure. Et il ne
faut rien rater de ce qui est indiqué, si nous voulons
parvenir jusqu'au trésor.
Puis, ils se plongèrent tous dans l’étude du document.
Au bout d’un moment :
– Tenez, ici ! voyez cette peinture ! elle est semblable à celle du médaillon, s'écria Wally surexcité en
fixant le coin gauche du parchemin.
– Tu as bien raison, reconnut Carole en posant le
médaillon sur la carte juste à côté de l'autre figure.
C'est le roi Christophe toujours posant à côté de son
trésor.
– Mais, qui vous dit que c'est le roi Christophe,
pouffa Kelly. Vous n'avez jamais vu son vrai visage,
je présume !
La petite troupe eut tout à coup l'air totalement
déboussolé. Mais, heureusement, Ben sauva la situation :
« À cause des armoiries, ma cocotte ! ironisa-t-il.
Si tu prenais un peu le temps de lire les bouquins de
papa traitant du sujet, cela t'aurait évité de poser ce
genre de questions. »
75
Margaret Papillon
Sur ce, pour mieux convaincre sa sœur, il sortit de
la chambre à pas de loup et revint, victorieux, quelques minutes plus tard avec un livre aussi volumineux qu’une bible.
« Ce bouquin, ô ! combien précieux, du nom de
Drums of Destiny, a été écrit par mister Peter Bourne.
Il relate la vie de Duncan Stewart qui fut le médecin
personnel du roi Christophe. Là-dedans il y a une
foule de détails susceptibles de nous intéresser.
Les yeux de Carole se firent de plus en plus brillants. Cela lui arrivait chaque fois qu'elle était en présence d’un ouvrage. Plus passionnée de lecture
qu’elle, tu meurs.
Ben feuilleta quelques pages, puis, arrivé à la cinquante-deuxième, il poussa un petit cri et se tapa le
front da sa main libre.
« Que je suis bête ! dit-il en dépouillant frénétiquement le livre de sa jaquette pour en explorer la
couverture cartonnée. Les armoiries ne peuvent se
trouver qu’en première de couverture ! »
Il eut raison.
En effet, sur un fond rouge vin, le dessin des armoiries trônait. C’était la réplique parfaite des deux
autres.
« Et basta ! nous sommes sur la bonne voie ! affirma Carole. Poursuivons notre examen. Ici, je vois,
à gauche, une grande bâtisse comme point de départ.
Là, un chemin au dessus duquel est inscrit « souterrain », et le souterrain en question aboutit jusqu'à la
76
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Citadelle. Le plan est clair, mais il part d'où, ce chemin ? Cette grande bâtisse ne me dit rien du tout,
ajouta-t-elle perplexe.
– Cherchons dans notre livre magique, gloussa
Kelly légèrement ironique. Celui qui traite du sujet,
ma cocotte, ajouta-t-elle pour parodier Ben.
Ils rirent, et Ben s'exécuta à nouveau.
– La voilà ! triompha-t-il soudain.
– Mais, c'est le Palais de Sans Souci ! s'exclama
Carole. Qu'est-ce que nous pouvons êtres bornés ! Ce
plan date de près de deux cents ans. Alors, en ce
temps-là, la bâtisse était neuve. Rien à voir avec le
monument vétuste que nous connaissons !
– Dieu ! que c'était beau, commenta Wally, séduit.
Qu'est-ce que j'aurais aimé vivre à cette époque ! Regardez combien les chevaux sont magnifiques !
Quelle allure ! Ah, moi, j'aurais pu être un héros de la
guerre de l'Indépendance !
– Ou, tout simplement, un esclave rivé à ses chaînes, plaisanta Kelly.
– Qu'est-ce que tu racontes ? N'ai-je pas l'étoffe
d'un homme exceptionnel ? Si tu ne le savais pas, je
te l’apprends : je suis la réincarnation d'un grand
guerrier qui ne se faisait pas prier pour botter les fesses des envahisseurs.
– Vous deux, ça suffit ! intervint Carole en riant.
Vous aurez bien le temps de laisser libre cours à votre imagination. En attendant, nous avons une énigme
à résoudre : Comment retrouver ce fameux trésor ?
77
Margaret Papillon
Pablo approuva Carole en tapant des mains. À
croire qu'il comprenait tout ce qui se disait et avait
pour mission d'amener les jeunes gens jusqu'au fabuleux trésor.
Et le petit groupe reprit son examen.
Quelques minutes plus tard, nos vacanciers
conclurent que l'aventure valait la peine d'être tentée,
ceci malgré le danger qu'ils pouvaient encourir.
« Vous souvenez-vous du petit guide qui nous fit
visiter ces monuments ? demanda Carole.
– Oui ! répondirent les autres en chœur.
– Il avait parlé de l'existence d'un trésor qui serait
soit dans la Citadelle soit dans le Palais de Sans Souci, dépendant de l'endroit où l’on se tenait en regardant par les jumelles. Nous nous étions moqués de
lui, le pauvre…
– Oui, et alors ? questionna Ben.
– Je crois que nous lui devons des excuses !
– Ce n'est vraiment pas le moment de penser à ça,
Caro. Nous devons nous dépêcher de trouver le trésor, avant le trio de babas cool.
– Je crois qu'il faudrait avertir papa et maman,
proposa Kelly qui commençait à flairer un grand
danger.
– Jamais de la vie ! répliqua son frère. D'ailleurs,
ils ne nous croirons pas et risqueraient de faire
échouer nos plans et faciliter ainsi la fuite du trio
avec le butin. Ce qui serait vraiment dommage. Le
pays en ferait les frais encore une fois.
78
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Mais, ces types sont de vrais pirates, des flibustiers, des voleurs de grands chemins sous des airs innocents. Ils pourraient nous faire du mal si nous leur
entravons le pas, répliqua Kelly, alors que les larmes
lui piquaient déjà les yeux.
– Allez, allez, n'exagère pas. Nous allons être, tout
simplement, plus futés qu'eux. Quatre as contre trois
babas ce n'est pas la mer à boire. À l’instar du roi
Christophe, nous défendrons nos terres et notre patrimoine contre les usurpateurs.
– Maintenant, il nous faut dresser un plan d'attaque point par point, suggéra Wally. Quelle sera la
marche à suivre ?
Ben se tourna vers Carole :
– Alors, mademoiselle la romancière à l'imagination fertile, par quoi devons-nous commencer ?
Carole, charmée d'être prise à ce point au sérieux,
réfléchit une fraction de seconde :
« La première chose à faire, c'est de remettre la
lunette vide à sa place dans le coffret et de rendre celui-ci à Pablo qui va gentiment le replacer là où il
l’avait pris. Pas une seconde, Cortez et sa bande ne
doivent se douter que la carte du trésor se trouve en
notre possession. Secundo : Nous devons faire semblant de rien afin de courir le moins de risques possibles. Tercio : Avertir nos vieux que nous partons en
excursion dès les premières lueurs de l'aube, et ceci
pour la journée entière. Je suis sûre que nous n'aurons
aucune peine à retrouver le point de départ mentionné
79
Margaret Papillon
sur le parchemin au Palais de Sans Souci. Si le ciel
est avec nous, nous aboutirons sans peine au trésor.
Nous confisquerons celui-ci et le mettrons en sécurité
jusqu'à ce que nous puissions avertir nos parents. Ces
derniers se chargeront d'appeler la police. Face au fait
accompli, les gendarmes ne pourront que nous
croire… »
– Mais je rêve ! intervint Kelly, incrédule. Je crois
que vous avez vu trop de films. Une chose d'une telle
importance, cachée depuis des siècles, ne doit pas
être aussi facile à découvrir et à mettre au grand jour.
– Pourquoi pas, ma vieille ? répliqua Wally. Ce
trésor nous attendait tout simplement. Nous sommes
ceux qui ont été choisis pour accomplir cette mission.
Ceux qui possèdent l'intelligence, le sens pratique et
l'habilité qu'il faut pour venir à bout des babas cool,
ces pirates des temps modernes…
– Ça va, ça va, j'ai compris ! l’interrompit Kelly,
rien ne vous empêchera d'aller jusqu'au bout de vos
projets. Surtout pas mes faibles arguments, ajouta-telle, en ayant un geste las de la main.
– Bon, récapitulons ! reprit Carole. Primo : renvoyer le coffret via Pablo, secundo : regagner nos
pénates afin de ne pas attirer l'attention et tercio…
Soudain, un claquement de porte se fit entendre,
empêchant Carole de terminer sa phrase.
Une profonde stupeur se peignit sur le visage des
quatre as. Des pas dans le couloir et hop ! les garçons
étaient déjà enfermés dans l'armoire et les filles sous
80
Le trésor de la Citadelle Laferrière
les draps faisaient semblant de dormir. La peur leur
glaçait le sang, et c'est le cœur battant qu'ils attendirent l'irruption du trio de babas cool venant récupérer
le caisson. Seul Pablo, oublié dans la panique, campait toujours au milieu de la chambre, jouant avec la
lampe de poche qu'il pouvait allumer et éteindre à sa
guise.
La porte s'ouvrit doucement sur la pièce plongée
dans la pénombre et la silhouette d'un homme se dessina sur le pas. C'est ce moment que choisit Pablo
pour rallumer la lampe de poche sur son visage hideux, toutes dents dehors.
Un long cri de terreur déchira le silence de la nuit,
et l'homme s'écroula sur le sol. En tombant, sa tête
heurta le chambranle de la porte et il perdit connaissance.
Pablo, lui-même effrayé par le cri de l’intrus, courut se réfugier au-dessus de l'armoire en criant lui
aussi.
« Papa ! » hurla Kelly, sautant de son lit en reconnaissant son père.
Carole rejoignit sa cousine près de son oncle :
« Oncle Marcel, oncle Marcel, supplia cette dernière, tu nous entends ? »
Les garçons, angoissés par la tournure des événements, sortirent de leur cachette à leur tour, pour se
pencher eux aussi sur le visage livide du maître de
céans.
81
Margaret Papillon
Kelly alla s'emparer de la bouteille d'eau de Cologne qui trônait sur sa coiffeuse, en versa généreusement dans sa main et en tapota le visage paternel.
Tous, ils attendirent la « résurrection » de Marcel
Ascencio. Y compris Pablo descendu de son perchoir
pour assister, lui aussi, le malade en penchant la tête
d’un côté puis de l’autre d’un air compatissant.
Lentement, Marcel Ascencio ouvrit les yeux. Il
reprenait à peine ses esprits quand son regard croisa
celui de Pablo. Au souvenir de sa frousse de tout à
l'heure, il hurla à nouveau, imité par Pablo qui partit
se percher pour la seconde fois au-dessus de l'armoire, en poussant des cris stridents.
Adrienne Ascencio, réveillée par le tapage nocturne, accourue. Elle s'affola à la vue de Marcel allongé par terre.
« T’en fais pas maman, ce n’est pas bien grave ! la
rassura précipitamment sa fille.
Quelques minutes plus tard Marcel Ascencio, totalement remis de ses émotions, s’exclamait :
« Mais qu'est-ce que fait ce macaque dans votre
chambre, les filles ? » s’emporta-t-il en tenant une
compresse d'eau tiède salée contre son front.
– Rien du tout ! s'empressa de répondre Kelly.
D'ailleurs, Caro et moi nous étions profondément endormies. Il a dû pénétrer par la fenêtre laissée grande
ouverte à cause de la chaleur.
– Ah, je vois ! Mais grand Dieu, j'ai eu la frousse
de ma vie ! Ouvrir la porte en m'attendant à voir ma
82
Le trésor de la Citadelle Laferrière
merveilleuse petite fille endormie et tomber sur cette
fausse couche de macaque, toutes dents dehors…
– Oh, papa ! protesta Kelly, ce pauvre Pablo ne
mérite pas cette appellation, voyons !
– Bon, si tu veux ! En tout cas, c'était pas beau à
voir, et n'importe qui à ma place serait tombé en syncope. Vous vous imaginez ? le rayon de la lampe de
poche faisait briller son joli visage et sa magnifique
denture d'un éclat tout à fait particulier, ironisa-t-il à
l'adresse de ses neveux. C’est à vous arrêter le cœur .
Tout le monde riait tandis que Kelly caressait la
tête de Pablo. Ce dernier, entre-temps, était redescendu de son perchoir, coiffé d'une casquette de capitaine de bateau trouvée là-haut, qu'il avait enfoncé de
travers sur sa tête.
Le calme revenu, Monsieur et Madame Ascencio
allaient repartir vers leur suite quand Ben en profita
pour déclarer tout de go :
« Au fait papa, demain nous partons tous les quatre pour une excursion aux premières lueurs de
l’aube. Nous avions omis de t'en parler hier soir. »
Monsieur Ascencio parut surpris :
– Pourquoi aussi tôt ? Il n'y a pas le feu, sept heures serait, sans nul doute, une bonne heure.
– Euh, non ! nous voulons… photographier le lever du soleil du côté du Palais de Sans Souci.
– Ah, bon je vois ! Alors, c'est parfait. Bonne
journée je vous souhaite. Moi, je vais dormir au
moins jusqu'à huit heures afin de me remettre de mes
83
Margaret Papillon
émotions. Tu viens, chérie ? demanda-t-il avec impatience à sa femme qui, elle aussi, s'était mise à caresser Pablo.
Ils s'en furent enfin. Les enfants poussèrent un
grand ouf de soulagement en pensant que c'était
vraiment une chance que le trio de babas cool soit
logé dans l'aile de l'hôtel opposée à la leur. Visiblement, les néo-flibustiers n'avaient rien entendu de
tout ce tohu-bohu.
84
Le trésor de la Citadelle Laferrière
85
Margaret Papillon
Chapitre 5
Quatre heures trente sonnaient. L'aube pointait à
peine quand les jeunes vacanciers furent prêts à partir. Madame Ascencio, qui les regardait par la fenêtre
de sa chambre à coucher, s'étonna de les voir pousser
leurs motos au lieu de les faire tout simplement démarrer. Quelle idée ! alors qu'ils étaient déjà alourdis
par leurs sacs à dos pleins à craquer d’un matériel
d'alpiniste. Les garçons poussèrent longtemps, et le
plus loin possible de Aux Trois Colombes. Puis, elles
les vit partir à toute vitesse. Tout d'abord perplexe,
elle finit par croire à une quelconque délicatesse de
leur part.
En effet, il eut été fort indélicat, à cette heure matinale, de réveiller les clients de l'hôtel avec leur pétarade. Elle haussa les épaules, poussa un long soupir et
86
Le trésor de la Citadelle Laferrière
regagna son lit avec un léger pressentiment qu'elle
s'empressa de chasser.
***
Les chevaux de fer filaient à vive allure, fendant
allègrement l'air frais du petit matin. Le quatuor terrible avait hâte d'être sur place. Une sourde angoisse
lui broyait le cœur face à ce grand inconnu qui les
attendait. Mais, en même temps, la perspective de
découvrir le fabuleux trésor du roi Christophe était si
grisante que ce jour-là rien n'aurait pu les arrêter.
Une demi-heure plus tard ils arrivèrent au Palais
de Sans Souci. Bien évidemment, à cette heure matinale, le lieu était totalement désert. Point de trace,
non plus, du trio de babas cool. Cortez devait dormir
à poings fermés, sûr que son secret se trouvait bien
gardé entre les quatre murs de sa chambre.
« Nous voilà arrivés ! s'exclama Carole, heureuse.
Nous n'avons pas une minute à perdre si nous voulons conserver l'avance prise sur ces messieurs. »
Ils descendirent tous de leurs motos en respirant
l’air frais. Qui sait ? c’était peut-être la dernière fois
qu’il éprouvaient cette sensation.
Ben tira le parchemin de son blouson et l'étala sur
le parquet.
Après une étude minutieuse, il dit :
« À mon avis, l'entrée du souterrain se trouve dans
l'aile nord de l'édifice. Plus exactement, dans la
87
Margaret Papillon
chambre royale. Suivez-moi ! nous nous y rendons
tout de suite.
Quelques minutes plus tard :
« Voilà, nous y sommes ! commenta Wally, et je
ne vois pas la moindre trace d'un quelconque indice
prouvant l'existence d'un souterrain.
– Chuuuuutttttttt !… intima Kelly, ne confondons
surtout pas vitesse et précipitation, voyons ! Prenons
le temps de bien chercher.
Ils inspectèrent les murs vétustes, le sol craquelé.
Peine perdue.
« Il y a, quelque part, un passage secret qui donne
accès au souterrain, déclara Carole pensive, après
maintes recherches infructueuses. Cela ne doit pas
être facile à trouver, sinon on aurait volé le trésor depuis longtemps. Il y a un indice qui nous échappe.
Tout cela est un puzzle dont il nous manque une
pièce ! »
– Au fait, à quoi sert le médaillon ? demanda soudain Kelly.
– Le médaillon ! C’est ça, c’est le médaillon !
s'exclama Ben tout joyeux, bien sûr voyons ! c'est lui
la pièce manquante.
Wally, peu convaincu, fit la moue.
– Allez, Carole, passe-moi le médaillon ! ordonna
Ben.
Ce dernier passa le médaillon à son cou, consulta à
nouveau le parchemin et alla se placer au centre de la
salle marquée d'une croix sur la carte. Et là, les bras
88
Le trésor de la Citadelle Laferrière
en croix, la tête levée vers le ciel il sembla adresser
une prière au créateur.
Wally, toujours septique, éclata de rire en voyant
la mine sérieuse de son cousin..
– Oh là là ! vous regardez tous trop la télé ! se
moqua-t-il. Et je vous assure…
Soudain, un rayon lumineux sorti du médaillon
suivit d’un tremblement de terre d'une moyenne intensité le fit taire.
Le tremblement ne dura que quelques secondes.
Puis, les jeunes vacanciers entendirent un léger déclic, et sous leurs yeux ébahis, une trappe s'ouvrit à
quelques mètres d'eux.
La consternation et l'émerveillement se relayèrent
sur leur visage.
– Nous l'avons trouvé, nous l'avons trouvé ! s'écria
Carole qui trépignait sur place.
– Allons-y ! engouffrons-nous, nous n'avons pas
une minute à perdre ! décida Ben qui pourtant ne
bougeait pas.
Les jeunes vacanciers se concertèrent du regard,
conscients du réel danger qu'ils courraient en empruntant le passage souterrain.
– Comment allons-nous en ressortir en cas de grabuge ? questionna Kelly, visiblement apeurée. Nous
pouvons rester enfermés là-dedans. Je crois qu'il vaudrait mieux avertir nos parents et la police.
– Mais, nous n'avons pas une minute à perdre, protesta Carole fébrile. Les babas cool ne tarderont pas à
89
Margaret Papillon
se rendre compte que leur coffret est vide et ils se
précipiteront ici. Le temps pour nous d’avertir la police et nos parents, et de convaincre tout ce beau
monde du bien-fondé de notre histoire, il n'y aura
plus de trésor. Allez, courage ! nous sommes si près
du but !
– Carole a raison, reconnut Ben, nous ne pouvons
plus reculer. Je suggère que nous bloquions l'entrée
du souterrain à l'aide d'un morceau de bois pour éviter que la trappe ne se referme sur nous après notre
passage. Comme ça, nous serons assurés de pouvoir
ressortir en cas de pépins. Mais, il faudra faire vite
car, au lever du soleil, nous pourrons être à la merci
de n'importe qui.
– Me voilà plus quiète, souffla Kelly, soulagée,
maintenant dépêchons-nous.
Wally, qui s'était penché au-dessus du trou, annonça :
« Cette fosse est très profonde, il nous faudra une
corde pour descendre là-dedans. Nous ne pourrons
pas sauter sans risque de nous faire mal en tombant.
Carole, qui s’était penchée à son tour, l'appuya :
– C'est tout à fait vrai, Wally a raison. Ce n'est
vraiment pas le moment de se briser un membre.
D'ailleurs, quand il nous faudra remonter cela sera
impossible sans corde.
Kelly ne se fit pas prier. Elle prit sa corde dans son
sac à dos et la fixa autour d'une poutre. Ben, à qui
elle la lança, l'attrapa, s'assura que sa lampe de poche
90
Le trésor de la Citadelle Laferrière
fonctionnait parfaitement, se signa et amorça la descente.
« Ça y est, vous pouvez descendre ! » intima-t-il à
ses cousins quand il eut touché la terre ferme à plus
de six mètres plus bas.
Quand les autres le rejoignirent, ils furent stupéfaits de se rendre compte qu'ils se trouvaient dans une
galerie pareille à celle que l'on construit dans les mines.
« Incroyable ! » s'écria Wally.
L'écho le relaya et quelques pierres se détachèrent
de la galerie pour s'écraser contre le sol.
« Chuuuuuttttttt ! s'empressa d'ordonner Ben. La
galerie est vieille, et il y a de gros risques d'éboulements. Alors, faites gaffe sans quoi en six, quatre,
deux, nous serons enterrés vivants. »
– D'accord, capitaine, chuchota Carole qui n'avait
qu'une idée en tête : retrouver le trésor avant les babas cool.
Ils marchèrent pendant près d'une heure, gravissant avec peine la pente qui se faisait de plus en plus
raide.
Quelle ne fut pas leur surprise, alors qu'ils se
croyaient au bout de leurs efforts, de se retrouver nez
à nez avec un mur.
– Qu'est ce que cela signifie ? s’étonna Wally, ne
me dites pas que nous avons fait tout ce chemin pour
rien. C'est pas vrai ! je rêve ?
91
Margaret Papillon
Quatre faisceaux lumineux balayèrent la paroi de
béton, se croisèrent et se recroisèrent cherchant un
démenti aux appréhensions de nos jeunes aventuriers.
« Ici ! Il y a une empreinte sur une plaque de métal ! » s'écria soudain Kelly.
Tous les faisceaux convergèrent vers celui de Kelly.
En effet, il y avait bien une plaque de métal de
forme ovale sur laquelle était inscrit : « Citadelle Laferrière, propriété du roi Henry Christophe ».
– Ça, on le savait déjà, ironisa Carole.
– Mais, ce qu'on ne sait toujours pas c'est comment aller au-delà de ce mur, renchérit Wally.
Carole laissa glisser ses doigts doucement sur la
plaque métallique.
– Mais, l’empreinte… l’empreinte à la forme du
médaillon ! s'exclama-t-elle soudain, triomphante.
Vite, passe-moi le médaillon, Ben, question de vérifier tout de suite mes soupçons.»
Le jeune homme enleva le médaillon de son cou
et le tendit à sa cousine.
Un simple coup d’œil convainquit celle-ci.
« C'est bien ce que je pensais, la plaque et le médaillon sont faits pour s'emboîter, murmura-t-elle
heureuse. »
– C'est la clé, jubila Kelly en tapant des mains
comme une gamine. Il suffit de les superposer l’un à
l’autre en disant : « Sésame ouvre-toi ! » et comme
par magie, le mur s'effacera.
92
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Quelle imagination ! soupira Wally, après un sifflement d'admiration, si cela pouvait être aussi facile.
– Il ne dépend que de nous de le vérifier tout de
suite ! répliqua Ben.
– Attendez ! Et si au lieu de permettre l'ouverture
du passage, notre clé provoque un éboulement qui
nous maintiendra prisonniers dans cette galerie jusqu'à ce que mort s'en suive ?
– Carole a raison, acquiesça Wally. Il nous faut
être très prudents. Il y a peut-être une formule magique à prononcer pour accompagner notre geste. Quiconque ne la connaîtrait pas sera condamné à mourir
dans le souterrain.
– Formule magique, formule magique, c'est vite
dit, maugréa Ben. Mais où allons-nous trouver une
formule magique ? Peut-être au fond de l'océan dans
l'épave du vieux corsaire ? Ou bien faut-il faire chercher les babas cool et leur demander gentiment si par
hasard, tout à fait par hasard, ils n'auraient pas trouvé
la formule qui va avec le médaillon. Allons, allons,
vous plaisantez ! Je comprends vos peurs, elles sont
légitimes, néanmoins nous n'avons plus de choix. Il
nous faut prendre une décision rapidement.
Les autres reconnurent la justesse de ces arguments, et Carole prit la responsabilité de ce geste
d’emboîter le médaillon dans l’empreinte. Geste qui
pourrait peut-être leur coûter la vie.
Un silence pesant s’installa parmi nos jeunes
aventuriers.
93
Margaret Papillon
C'est d'une main tremblante que Carole approcha
le médaillon lentement de la plaque métallique. Les
jeunes vacanciers retinrent leur souffle tandis que
leur cœur battaient la chamade. De grosses gouttes de
sueur perlèrent sur leur front malgré le froid qui régnait dans le souterrain.
Quand le médaillon toucha la plaque, qui l’avait
attiré comme un aimant, un sourd grondement se fit
entendre, et la terre trembla légèrement. Une angoisse
sans pareille se lut dans le regard du quatuor intrépide. Puis, contrairement à ce à quoi ils s'attendaient,
la lourde muraille s'ébranla, se hissa vers le haut, découvrant ainsi une pièce pleine de lingots, de pierres
précieuses et de pièces d'or entassés dans de grandes
malles.
Les jeunes vacanciers en franchirent le pas tout
ébahis. Le rayonnement des lingots étaient tel qu'ils
durent cligner les yeux. Jamais ils n'avaient vu pareil
spectacle.
« Nous l'avons trouvé, nous l'avons trouvé, ce fameux trésor de la Citadelle Laferrière. Désormais notre pays sera à nouveau riche. Il va retrouver sa
splendeur d'antan grâce au roi Christophe ! » s'écria
Carole, au comble de la joie, tandis qu'elle faisait
glisser des pièces d'or entre ses doigts. »
– Quel bonheur, renchérit Kelly. Nos parents vont
avoir la surprise de leur vie. Ils seront fiers de nous.
– Est-ce que vous vous imaginez l'importance de
notre découverte ? demanda à son tour Ben qui cares94
Le trésor de la Citadelle Laferrière
sait de la main le précieux métal brillant et froid d’un
lingot.
– Bien sûr, répondit Wally, là, il y en a pour des
milliards de dollars. De quoi reconstruire notre pays
en un rien de temps.
– Tu n'as encore rien compris, Wally, poursuivit
Ben. Nous sommes sur une vraie mine d'or !
– Ça, nous le savions déjà !
– Non ! ce que je veux dire c'est que l'or que nous
voyons ici a été extrait de la montagne même sur laquelle la Citadelle a été construite. C'est la raison de
cette galerie souterraine avec des rails et des wagonnets.
– Bien sûr, s'écria Carole qui eut brusquement
comme un déclic. Nous sommes en plein dans la
mine. Cela veut dire que celle-ci pourra reprendre ses
activités après presque deux siècles de fermeture.
C'est extraordinaire !
– Et puis, il y aura un troisième filon, déclara Kelly, toute fière d'avoir compris une chose à laquelle les
autres n'avaient pas pensé. Quand cette histoire sera
connue, des millions de curieux, de touristes, afflueront de tous les coins de la terre, et ce sera encore une
manne du ciel. Le Cap-Haïtien deviendra une ville
reine, adulée et admirée.
– Ah ! comme je suis heureux d'être le héros de
cette grande aventure ! chantonna Ben. Quand je raconterai ça à mes amis, ils m'envieront.
95
Margaret Papillon
– Je ne crois pas que vous aurez le temps de raconter quoi que ce soit ! tonna une voix qui les fit
sursauter.
Ils se retournèrent et, à la stupéfaction générale, ils
constatèrent la présence du trio infernal et chose
curieuse, de l'adjoint du maire.
« Monsieur Laroche ! » s’écrièrent les jeunes
aventuriers en remarquant ce dernier, une vague lueur
d’espoir au fond de l’œil.
L’interpellé ne broncha pas.
Le sieur Cortez, le visage dur, pointait vers eux le
canon d'un revolver. Il n'avait pas l'air de vouloir
plaisanter. Derrière lui les trois autres étaient eux
aussi armés.
Pablo, surgi de nulle part, vint prendre refuge dans
les jambes de Carole.
« Alors, sale petits gredins ! c'est ainsi que l'on
vole les affaires des autres ! » vociféra Forester.
Les jeunes vacanciers tremblaient de tous leurs
membres. Le trio de babas cool n'avait pas l'air d'être
cool du tout. Visiblement furieux, le goût de la plaisanterie leur était passé.
Ben, énervé, fit mine de vouloir riposter à l'apostrophe tant celle-ci l’avait touché.
« Inutile ! le stoppa Carole, pressentant son geste.
Il ne faut pas céder à la provocation. Cela risque de
nous être fatal. »
– Alors, jeune homme vous vous croyez assez fort
pour vous attaquer à nous ? Ah, ah, ah ! Quoi qu’il en
96
Le trésor de la Citadelle Laferrière
soit, vous ne sortirez pas vivants de ce tunnel ! gronda Cortez, toujours menaçant. Vous êtes des garnements impolis, qui vous occupez de choses qui ne
vous regardent pas.
– Excusez-moi, protesta Wally qui s'enhardissait,
mais il me semble que vous inversez les rôles. Cette
citadelle est bien sur le territoire haïtien, et ce trésor
est bien dans la Citadelle. Alors, celui-ci revient de
droit aux Haïtiens. C'est un héritage que nous a légué
le roi Christophe. Aucun étranger ne saurait nous le
ravir.
– Ah, ah, ah ! ricana de nouveau Cortez. Ce n'est
sûrement pas quatre petits fripons qui pourront nous
en empêcher.
– Nous dirons tout à la police ! s'écria Kelly,
vexée.
– C'est pas sûr que vous en aurez le temps ! marmonna Cortez entre ses dents.
Son ton devenait de plus en plus menaçant et mordant.
– D'ailleurs, nos parents savent où nous sommes.
Ils ne tarderont pas à nous porter secours et découvrir
quels tristes individus vous êtes ! ajouta Carole.
– Ah, ah, ah ! ils ne trouveront rien, rien du tout !
Et puis, ce ne sera pas la première fois que de jeunes
chiens fous disparaîtraient dans la nature. N'est-ce
pas, Forester ?
– Bien sûr, répondit ce dernier, sur un ton fielleux.
Fugueurs, on l'a tous été à seize ans.
97
Margaret Papillon
À ces mots, les jeunes vacanciers pâlirent.
« Espèces de flibustiers ! cria Ben, furieux, je vous
interdis de tenter quoi que ce soit contre nous ! Et
dire que c'est grâce à Carole que vous avez pu rentrer
en possession de la carte qui mène au trésor. »
– Nous l'en remercions vivement, car elle nous a
épargné de longues recherches de plus en plus coûteuses et fastidieuses.
– Drôle de manière de remercier les gens !
s’indigna Carole.
– Écoutez, de nous avoir aidé ne vous donne aucun droit sur le trésor, précisa Cortez. Nous, cela fait
plusieurs années que nous sommes sur l'affaire. Pendant que j’y pense, ce serait peut-être une bonne
chose que de vous raconter toute l'histoire, puisque de
toute évidence vous ne pourrez plus jamais la colporter. Qu'en pensez-vous señor Cabral ? demanda-t-il,
en se tournant vers son complice.
Le señor Cabral acquiesça en bafouillant :
– Jé crois qué cé ine bonne idée. Mais… sé sont
tout dé même des enfants et…
– La ferme Cabral ! s’emporta Cortez, nous sommes des pirates, des flibustiers comme l'a dit ce jeune
homme tout à l'heure. Il n'y a pas beaucoup de place
dans nos cœurs pour les sentiments.
– Cortez a raison, observa l'adjoint du maire, monsieur Laroche, qui ouvrait la bouche pour la première
fois. Au point où nous en sommes, nous ne pouvons
pas nous permettre de nous laisser aller à des senti98
Le trésor de la Citadelle Laferrière
mentalités. Ce serait bien trop dangereux. Nous risquerions de tout perdre.
– N'avez-vous pas honte, vous, tonna Kelly à
l’adresse de l’adjoint, de vous associer ainsi à des
brigands pour piller le patrimoine de votre propre
pays ?
– Excusez-moi mademoiselle, rétorqua Laroche,
vous êtes peut-être trop jeune pour savoir ce que c’est
que l’appât du gain. En tout cas, je vous l’apprends :
c’est le moteur le plus puissant que je connaisse…
– Vous êtes répugnant, l’interrompit la jeune fille,
le visage tordu par une grimace de dégoût.
–Vos états d’âme m’importe peu, mademoiselle
Ascencio. Bien que je sois un ami de votre père, je
n’hésiterai pas une seconde à défendre ce trésor
même au prix de vos vies à tous. Voyez-vous, chers
amis, dit-il sur un ton inquiétant en se tournant vers
les autres jeunes aventuriers, cette Citadelle regorge
d'oubliettes, il nous suffira de vous oublier dans l'une
d'elles, et le tour sera joué. Ni vu ni connu !
– C'est affreux ! cria Wally, horrifié. Vous êtes des
monstres !
– Hélas, non ! c'est la dure réalité de la vie. Malheureusement, votre jeunesse vous égare, elle vous
rend incapables de juger avec discernement, et des
fois cela peut vous jouer de bien vilains tours.
Les jeunes aventuriers le regardèrent, perplexes.
99
Margaret Papillon
– Pour qu'ils comprennent, monsieur Laroche, il
faudrait peut-être vraiment leur raconter toute l'histoire, proposa Forester, un brin sarcastique.
– Ça, c'est une très bonne idée ! répondit Cortez,
un sourire narquois sur les lèvres.
Ce dernier prit une profonde inspiration et raconta
l'histoire la plus rocambolesque que nos détectives en
herbe aient jamais entendue :
« Il y a quelques années, j'étais tranquillement assis sur la véranda de mon ranch quand je reçus un
appel d’un ancien camarade de régiment. En effet,
Hannibal Forester et moi avions lié connaissance en
Angola où, tous les deux, avions été engagés comme
mercenaires pour le compte de la guérilla. Forester
me parla longuement d’un vieil oncle qui lui avait
laissé une vieille bicoque vétuste en héritage. Jusquelà je ne trouvais aucun intérêt à la conversation.
Brusquement, j'eus un haut le corps quand il me parla
d'une lettre trouvée dans la maison du dit aïeul. Celleci dévoilait un secret. Le grand-père du vieil oncle
avait fait naufrage dans les eaux de la Caraïbe non
loin du Cap-Français (à l'époque cette ville portait
encore ce nom). Il y échappa comme par miracle
mais ses bagages restèrent au fond de l'eau avec le
plan du trésor de la Citadelle Laferrière qui s’y trouvait. Le grand-père du vieil oncle fut le médecin personnel du roi Henry Christophe, l’homme le mieux
placé pour connaître tous les secrets de la famille
royale. Point n’est besoin de vous dire combien mon
100
Le trésor de la Citadelle Laferrière
émoi fut grand. Quelques heures plus tard j'avais le
plan en main. En effet, il indiquait l'endroit où le
vieux corsaire avait coulé. Forester savait que j'étais
un expert en exploration sous-marine. Partir à la recherche du vieux corsaire ne serait pour moi qu'un
jeu d'enfant. Il ne nous restait plus qu'à avoir des alliés sûrs en terre haïtienne pour finaliser notre délicate mission. C'est ainsi que Forester et moi nous débarquâmes dans ce pays qui nous était tout à fait inconnu. Heureusement que nous fîmes tout de suite la
connaissance de l'adjoint du maire, Monsieur Arthur
Laroche qui, séduit à l'idée du trésor, nous accorda
tout le support dont nous avions besoin. Il nous présenta à Cabral qui connaissait cette Citadelle mieux
que quiconque. Laroche et Cabral avait déjà un projet
commun; vendre aux Dominicains des terres haïtiennes jusqu'à reculer les limites de la frontière qui sépare les deux pays ; permettant ainsi à la Citadelle
Christophe de se retrouver en territoire voisin. Les
Dominicains auraient été heureux de pouvoir annexer
ce magnifique monument à leur patrimoine. Cela aurait rendu leur tourisme encore plus florissant. Ils reçoivent des millions de touristes chaque année, ce qui
n'est pas le cas d'Haïti depuis des lustres, à cause du
climat politique toujours instable. D'ailleurs, les dépliants vantant aux étrangers les charmes de la république voisine parlent de la Citadelle comme d'un
monument dominicain à cent pour cent. Grâce à Arthur Laroche nous eûmes toutes les autorisations né101
Margaret Papillon
cessaires à nos fouilles, moyennant un partage du butin en cas de découverte. Cabral était celui qui nous
mènerait jusqu'au trésor mais c'était sans compter
avec de petits futés comme vous, qui avez volé les
plans… »
– Nous n'avons rien volé du tout, l'interrompit
Ben, furieux.
– Ah oui ! Et comment êtes-vous rentrés en possession de ce plan qui se trouvait dans ce coffret qui
n'a pas quitté ma chambre ?
Les jeunes estivants se tournèrent, involontairement, d'un bloc, vers Pablo. Celui-ci, sentant la réprobation dans le regard de son maître, s'arrêta de
jouer avec les pièces d'or pour se couvrir les yeux de
ses mains tout en souriant de toutes ses dents à Cortez.
– Je vois ! lâcha Cortez, vous avez trouvé un
grand complice en mon petit singe ! Au fait, je devrais le remercier d'avoir cette fâcheuse habitude de
chiper mes affaires pour les offrir à d'autres. Grâce à
lui vous nous avez menés droit au but. Et voilà ! vous
connaissez toute l'histoire maintenant ! Il est temps
pour nous de vous dire merci et adieu. Votre
concours nous a été précieux tout au long de cette
aventure. Croyez-moi, je ne savais vraiment pas quoi
faire du médaillon. Je n'aurais jamais pu percer son
mystère.
102
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– C'est Carole qui a su le faire, précisa Wally, très
fière de sa sœur, grâce à son imagination débordante
et à son flair infaillible.
– Alors, je lui dois aussi un grand merci. Son imagination est un don du ciel. Elle aurait pu devenir un
très, très grand écrivain. C'est dommage que nous
devions… disons… vous laisser ici.
– Drôle de reconnaissance ! s'écria Ben qui voulait
encore gagner du temps, et dire que vous vouliez
nous offrir une vulgaire collection de pièces anciennes pour acheter notre silence !
– Cela en valait bien la peine, non ? observa Cortez, en montrant de la main le magnifique trésor étalé
à ses pieds. Un grand dictateur de chez vous, poursuivit-il, disait toujours que « la reconnaissance est
une lâcheté » ! Il avait bien raison. Il ne faut jamais
s'embarrasser de ce genre de choses. Allez, Cabral !
ligotez-les !
Le señor Cabral, la mine déconfite, déposa son
arme sur l'une des grandes malles et s’apprêtait à se
servir d’une corde trouvée dans l’un des sacs à dos
des adolescents pour exécuter les ordres de son chef.
Vif comme l'éclair, Pablo, toujours aussi turbulent,
s'empara du revolver abandonné quelques secondes
plus tôt par Cabral, le tourna dans tous les sens entre
ses mains malhabiles.
Les jeunes vacanciers poussèrent de hauts cris
quand ils l'aperçurent.
103
Margaret Papillon
« Non, arrête Pablo ! » cria Forester, quand il le
vit regarder par le trou du canon, tandis que son doigt
était déjà sur la gâchette.
Au cri de Forester, Pablo rit de toutes ses dents et
poussa des hurlements stridents. Puis sans crier gare,
il pointa l'arme, qu'il tenait maintenant des deux
mains, vers les agresseurs des jeunes vacanciers.
Ceux-ci poussèrent, en même temps, un long cri
d'effroi.
Avec l'agilité d'un félin, Cortez lui sauta dessus et
tenta de le désarmer. Trop tard, il appuyait déjà sur la
gâchette.
Trois coups de feu claquèrent dans le tunnel,
ébranlant celui-ci. Les risques d’éboulements
s’accentuaient de manière terrifiante.
Au quatrième coup, la balle fit plusieurs ricochets
sur les lingots d'or et termina sa course sur un petit
bouton presque invisible sur le mur du fond.
Il y eut un bruit sourd, pareil à celui d'une porte
qu'on déverrouille alors qu’elle n’a pas servi depuis
longtemps, puis la grande muraille s'ouvrit sous le
regard ahuri des personnes présentes.
« Laissez ces enfants tranquilles ! » tonna une
voix gutturale qui semblait venir du centre de la terre.
– Qui êtes-vous ? questionna Forester, tremblant,
quand il vit apparaître un bonhomme tout à fait transparent, vêtu d'habits royaux et coiffé d'une couronne
sertie de mille et une pierres précieuses.
104
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Pablo, effrayé, se couvrit le visage de ses mains et
n'émit qu'un grognement sourd.
Le silence se fit total, gêné par moment par le claquement des genoux de Laroche et de Cabral.
L'être se déplaça en flottant, léger comme un
voile. Il s'approcha du trio de babas cool qui, tétanisé,
restait coit.
« Je suis le roi Henry Christophe, dit la forme en
se tournant vers les jeunes vacanciers médusés, ou
plutôt son fantôme ! »
À ces mots, un long frémissement agita les spectateurs. La peur se lut sur tous les visages.
Le fantôme reprit :
« Cela fait près de deux cents ans que j'attends ma
délivrance. Deux siècles que je ne puis quitter cette
terre parce que personne n'avait pu découvrir ce trésor que j'avais si bien caché. Ce trésor qui devait servir à développer ce pays que j'aime tant et pour lequel
je me suis tant battu. Ce fabuleux trésor, que voici,
est l'héritage que j'ai légué à mes frères haïtiens. Eux
seuls, ont le droit de s'en servir. Quiconque ne serait
pas haïtien ne saurait prétendre à cet héritage et serait victime de la malédiction du roi Henry, c’est-àdire se retrouver frappé d’apoplexie.
Brusquement, il s’arrêta de parler et, soupçonneux, il renifla l’air.
« Mais que font ses étrangers ici ? s'écria le roi
avec un frémissement de narines. Ça sent le rapace et
le flibustier ! dit-il en se dirigeant vers les babas cool.
105
Margaret Papillon
Moi, je les reconnais à l'odeur, et ces hommes ont
une odeur de chacals, une odeur de prédateurs prêts à
bondir sur de faibles proies. »
Ce disant, il tournoya autour de la bande à Cortez,
flottant au-dessus du sol et humant ces messieurs
avec un réel dédain et un dégoût certain.
« Est-ce que je me trompe ? » demanda-t-il,
s'adressant aux jeunes vacanciers.
Ceux-ci avalèrent péniblement leur salive tout en
se demandant s'il fallait répondre à la question posée.
La pomme d’Adam proéminente de Forester faisait un va-et-vient incessant dans sa gorge. La peur
glaçait le sang des babas cool.
– Est-ce que je me trompe, jeune gens ? répéta le
roi, sur le ton ferme d'un homme habitué à commander et à se faire obéir.
– Euh !… non, Sire ! se risqua à répondre Carole,
toute tremblante. Ces hommes ne sont vraiment pas
d'ici.
– C'est bien ce que je pensais. Malgré les siècles
écoulés, mon flair ne m'a pas trahi. Mais que font-ils
en ces lieux ? Que cherchent-ils dans ma Citadelle ?
Leur présence même, dans ma tombe, est un sacrilège
! tonna-t-il en élevant brusquement la voix, ce qui fit
sursauter tout le monde.
Cortez prit peur.
« Laissez-moi vous expliquer, Sire… »
– Taisez-vous ! Vous ai-je autorisé à parler ? J'ai
horreur des lâches. Et c'est lâche de s'attaquer à plus
106
Le trésor de la Citadelle Laferrière
faible que soi. Quand je pense que vous alliez enfermer ces pauvres enfants dans un cachot, il me prend
l'envie de vous étrangleeerrrrr !
Il appuya sur le dernier mot avec une telle force,
que les babas cool blêmirent.
– Excusez-nous, Sire, se risqua Forester, en avalant péniblement sa salive, mais tout cela n'était
qu'une plaisanterie. Jamais, au grand jamais nous
n'aurions fait de mal à ces gosses. Nous ne voulions
que les effrayer un peu afin qu'ils ne parlent pas du
trésor.
– Mais, bon Dieu de bon sang ! ce trésor est à eux,
espèce de fumier ! Aucun étranger à cette terre ne
saurait rentrer en sa possession. Nul ne saurait prétendre y avoir droit sans la nationalité haïtienne.
– Mais, Sire, mon lointain aïeul… tenta de protester Forester.
– Taisez-vous ! Votre aïeul n'était qu'un voleur.
J'avais confié la carte du trésor à mon médecin personnel, le dénommé Duncan Stewart, pour être remise à mes compatriotes. Votre aïeul l’a dérobée
dans le but inavoué de s'accaparer du butin à son propre profit. À cause de lui, le pays n'a pu bénéficier de
ce qui lui était dû. Tous les pirates et les flibustiers de
votre acabit méritent un bien sévère châtiment…
– Pitié, Sire, pitié, hurla Cabral, désespéré, en se
mettant à genoux, les mains jointes, dans un geste de
prière. Jé né souis qu'in pauvre guide. J'ai ine femme
107
Margaret Papillon
et cinq enfants et jé né voulais qué ler rendre la vie
meilleure.
– Mais taisez-vous, grand Dieu ! vous n'êtes qu'un
pauvre pleurnichard ! Et je n'aime pas les pleurnichards !
– Qu'allez-vous faire de nous ? demanda l'adjoint
du maire, livide.
– Je ne sais pas encore. Il faudra que je me
concerte avec ces jeunes amis ici présents, et…
Le roi Henry ne put terminer sa phrase. Un petit
sifflement se fit entendre, et à la surprise générale, le
fantôme fut privé de ses jambes. Disparues, évaporées comme par enchantement.
« Mes petits amis, j'ai à vous parler tout de suite
! » chuchota le roi Christophe aux jeunes aventuriers.
Et il les entraîna au fond de son tombeau.
– Écoutez, chers petits compatriotes, murmura-t-il,
quand ils furent à l'abri des oreilles indiscrètes. Je
n'en ai plus pour longtemps. D'après la légende, je
dois regagner les limbes dès la découverte du trésor,
ce qui est chose faite. Alors, ma disparition est imminente. C’est une affaire de secondes.
Un murmure de surprise s'éleva du petit groupe.
– Si vous n'êtes plus là, ces messieurs vont s'empresser de nous faire disparaître afin de s'approprier
le trésor, souffla Kelly.
– Ça, je l'ai compris ! répondit le roi Christophe,
alors il faudra ruser et déguerpir d'ici au plus vite.
Ces messieurs croient que j'ai encore quelques pou108
Le trésor de la Citadelle Laferrière
voirs c'est ce qui les tient en respect. Mais ce n'est
nullement le cas.
Une profonde surprise mêlée de désarroi se lut sur
le visage des jeunes vacanciers.
– Alors, vous ne pouvez rien pour nous ? questionna Carole.
– Hélas non ! regardez, voilà, je viens de perdre
mes bras.
Les jeunes gens constatèrent le fait.
« Il faut sortir d'ici tout de suite, suggéra Wally.
Dans quelques secondes il sera trop tard. »
Soudain, le visage du roi Christophe s'illumina.
« J'ai une idée, dit-il, je vais ordonner à ces messieurs de se prosterner à mes pieds, et quand ils auront la tête penchée vers le sol, vous filerez à vive
allure. J'espère qu'à votre âge vous avez de bonnes
jambes. Vous en aurez besoin. »
– Moi qui vous croyais encore un grand roi toutpuissant, opina Ben un tant soit peu déçu.
– Ah, ça ! c'était du temps où j'étais bien vivant et
que je pouvais faire tonner mes canons ou cliqueter
mon sabre ! Hélas ! cette époque est à jamais révolue ! Maintenant je vais peut-être régner sur le
royaume des morts puisque je n'aurai plus à garder ce
trésor. Ma mission sur terre s'achève enfin, et ceci
grâce à vous. À partir de ce jour, vous aurez la lourde
responsabilité de veiller à ce que cette fortune ne soit
ni dilapidée ni remise entre des mains étrangères.
109
Margaret Papillon
Vous êtes jeunes, et l'avenir appartient à la jeunesse.
Bonne chance chers amis !
Le roi leur tournait déjà le dos, lorsqu’il se ravisa.
Il sembla réfléchir un instant, puis, il leur confia sur
un ton de confidence :
« Mes chers enfants, sachez avant tout que le plus
merveilleux des trésors reste encore tout l’amour que
l’on voue à son pays. Alors, celui-ci vous le rendra au
centuple en vous faisant don de ce qu’il a de meilleur.
Vous savez, les pays c’est comme les enfants, ils ont
besoin de beaucoup d’amour pour pouvoir mieux
s’épanouir et devenir beaux. Le secret c’est qu’il faut
s’en occuper sans désemparer. Et pour finir, je dirais
encore que la plus belle des richesses reste encore ces
magnifiques monuments historiques que vos ancêtres
vous ont légués. Prenez le trésor ici présent et faites
réparer tous les patrimoines de ce pays et, vous verrez, les gens viendront de par le vaste monde pour
admirer ces merveilles. Et, je vous assure que vous ne
manquerez plus jamais d’argent. Allez, maintenant il
ne me reste que très peu de temps. Adieu et encore
bonne chance ! »
À ces mots, le roi, au garde à vous, leur fit un salut
militaire à l’aide de sa main en visière sur son front.
Quand les enfants, la mine triste, le lui rendirent,
alors il se dirigea vers les babas cool.
De lui, il ne restait plus qu'un tronc.
«Vous avez profané ces lieux étrangers, gronda-til, l’air furieux, et les dieux sont très mécontents. Ils
110
Le trésor de la Citadelle Laferrière
me demandent de vous châtier. Ah ! craignez leur
courroux car ils n'auront aucune pitié pour les flibustiers que vous êtes ! Ces dieux sont les mêmes que
ceux de la cérémonie du Bois-Caïman. Ceux qui
avaient procédé à la mise à mort des colons. »
– Que devons-nous faire pour implorer leur pardon ? supplia Cortez, abasourdi, craignant une très
lourde peine.
– Vous devez vous prosterner à mes pieds, icimême, face contre terre et prier pour qu'ils vous accordent leur pardon et fassent preuve de beaucoup de
magnanimité.
Forester, plus futé que les autres, flaira l’arnaque.
Il se révolta un instant :
– Ne l'écoutez pas, messieurs, il n’a plus aucun
pouvoir. Ne voyez-vous pas qu'il est en train de disparaître ? Il ne lui reste que la tête maintenant. Ces
vêtements flottent dans le vide. Il ne peut plus rien
contre nous. Sa mission a pris fin.
Un coup de tonnerre éclata.
– Pas de bêtises, Forester ! hurla Arthur Laroche.
Nous devons lui obéir. Moi, je ne veux pas mourir
dans ce trou.
Forester, toujours incrédule, s'obstinait à garder la
tête relevée. Cortez se précipitait vers lui afin de le
forcer à plus d’humilité quand retentit un second
coup de tonnerre.
111
Margaret Papillon
« Couchez-vous, Forester, vous avez compris ! ordonna-t-il, furieux. C’est le Manman penba qui tonne
de la sorte. »
Pablo poussait de petits cris apeurés et tournait en
rond, cherchant désespérément une cachette.
Les jeunes aventuriers attendaient le moment propice pour fuir. Ils étaient tous aux aguets.
Le Manman penba tonna encore plus fort. Les flibustiers, couchés à plat ventre, n’osaient plus relever
la tête.
Voilà, c’était le moment !
Carole s’assura que les babas cool avaient bien le
visage contre terre, attrapa Pablo par la main et donna
le signal du départ au moment même ou éclatait un
troisième coup de tonnerre qui entraîna la disparition
totale du fantôme du roi Christophe.
Les jeunes vacanciers prirent leurs jambes à leur
cou, gagnant de précieuses secondes sur les babas
cool.
Forester, toujours sceptique, releva la tête le premier et les vit prendre la poudre d'escampette. Un
simple coup d’œil l'informa de la disparition du roi.
« Ils s'enfuient ! cria-t-il à ses camarades, et le roi
Christophe est parti pour les limbes. Vite, il faut les
rattraper ! »
Les autres flibustiers se relevèrent, ahuris, et, sans
plus hésiter, se lancèrent à la poursuite des jeunes
aventuriers.
112
Le trésor de la Citadelle Laferrière
Ceux-ci couraient aussi vite qu'ils pouvaient. Mais
la rage, la vexation et la fureur avaient donné des ailes à Cortez et à Forester, et ces derniers étaient sur le
point de les rattraper.
Ben avisa un wagonnet à l'entrée du tunnel.
«Tous, dans le wagonnet ! » cria-t-il à ses cousins
qui ne se firent pas prier.
Les filles embarquèrent les premières tandis que
les garçons débarrassaient les roues des pierres qui
les bloquaient.
« Vite, vite, vite, cria Carole aux garçons pas assez rapides à son goût, ils vont nous mettre la main
dessus !
Les messieurs poussèrent le wagonnet de toutes
leurs forces avant d’y grimper à leur tour.
Malgré les siècles d'inactivité, le petit wagon,
comme par miracle, glissa aisément sur ses rails emporté par la pente et le poids de ses occupants.
Les doigts de Forester allaient s'agripper à son
bord quand celui-ci prit de l'allure, rendant impossible toute poursuite et emportant dans sa course nos
jeunes estivants hurlant d’effroi.
Forester et Cortez persistèrent à vouloir les rattraper, courant à s'époumoner.
Les jeunes aventuriers, enivrés par leur victoire et
par la vitesse, éclatèrent de rire quand ils virent, de
loin, Cortez lancer une taloche à Cabral et un coup de
pied à Forester comme s'ils avaient été les seuls responsables de l'échec de leur entreprise.
113
Margaret Papillon
Quelques minutes plus tard, les jeunes gens accompagnés de Pablo atteignirent l'entrée du souterrain. L'avance prise sur les babas cool était plus que
confortable. Pourtant, cela ne les empêcha pas de se
précipiter vers l'extérieur comme s'ils avaient le diable aux trousses.
« Ben, le médaillon est-il à ton cou ? » s’inquiéta
Carole avant d'ôter la planche qui empêchait l'entrée
de la trappe de se refermer.
– Oui, il est bien là ! Heureusement d’ailleurs !
Nous pouvons, sans crainte, refermer le tunnel. Nous
sommes les seuls à pouvoir ouvrir cette trappe. Maintenant, courons vite avertir nos parents et la police.
– Bien fait, pour les babas cool ! s'écria Wally. Les
voilà piégés, faits comme des rats !
– Hourra ! Hourra ! hurla Kelly en gesticulant,
nous avons gagné. Grâce à nous, notre pays retrouvera son titre de Perle des Antilles, surnom qu’on lui
avait donné à cause de sa beauté. Il va redevenir riche
et magnifique, et plus jamais nous n'aurons besoin de
quémander quoi que ce soit aux puissances étrangères.
– C'est le plus beau jour de ma vie ! s’exclama à
son tour Carole, le visage radieux.
– Ah, ma chère cousine, je crois que tu tiens là une
magnifique idée pour ton roman d'aventure, la taquina Ben.
– Ça, tu peux le dire, cher cousin ! J'ai même trouvé un titre super qui lui ira comme un gant.
114
Le trésor de la Citadelle Laferrière
– Dites toujours mademoiselle la romancière ! la
taquina-t-il de nouveau.
– Je l'intitulerai Le trésor de la Citadelle Laferrière. N'est-ce pas beau ?
– Formidable ! Je suis sûr qu'il sera un best-seller,
l'encouragea son frère. Papa et maman auront encore
une autre occasion d'être fiers de toi.
– Hé, les amis ! ils ne faut pas oublier de dire merci à Pablo. Sans lui, le trésor nous aurait filé sous le
nez, leur rappela Kelly, en brandissant le bras de Pablo comme on le fait pour le vainqueur d’un match de
boxe.
« Vive Pablo ! Vive Pablo ! » crièrent-ils tous
d'une seule voix.
Puis, ils enfourchèrent leurs motos. Pablo embarqua avec Ben et Carole. Légèrement apeuré par ce
drôle d'engin sur deux roues, il s'agrippa au cou de
cette dernière.
Nos jeunes aventuriers s'en furent, heureux et excités d'avoir réussi ce formidable coup de filet
115
Margaret Papillon
Chapitre 6
La mairie de la ville avait été repeinte pour la circonstance. Des ballons blancs et roses accrochés un
peu partout lui donnaient un air de fête. Un grand
évènement devait avoir lieu. Pour la première fois
dans la ville, Son Excellence le Président de la République en personne allait décorer nos quatre jeunes
aventuriers qui avaient fait preuve de tant de courage.
La cérémonie commença par une grande ovation
du public à qui le maire de la ville du Cap présentait
les héros de cette aventure palpitante.
Puis, le Président de la République fit un élogieux
discours qu'il termina ainsi :
«…Alors nous pouvons dire, mesdames et messieurs, que les jeunes de chez nous sont à l'image de
nos héros de la guerre de l'Indépendance : fiers, vaillants, courageux et intrépides. Grâce à leur bravoure,
la ville du Cap et le pays tout entier sont devenus des
vedettes tant sur la scène nationale qu’internationale.
Ce trésor va nous permettre de faire des pas de
géants. Désormais, c'est la tête haute que nous entrerons dans le troisième millénaire. Mesdames et messieurs, sablons le champagne en leur honneur tout en
leur disant merci de tout cœur. Ces médailles d'honneur que nous allons leur attribuer, ils les méritent
bien. »
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Le trésor de la Citadelle Laferrière
La foule applaudit à tout rompre.
Le Président allait procéder à la distribution des
dites médailles, quand il se rendit compte, tout à
coup, de la disparition de celles-ci.
« Les médailles ont disparu ! » s'exclama-t-il, affolé, en levant les bras au ciel.
Un murmure de déception parcourut l’assistance.
« C'est le singe qui les a ! » cria quelqu'un dans la
foule.
En effet, Pablo avait eu le temps de les subtiliser,
comme à son habitude, pour les offrir à Carole.
Celle-ci le gronda et rapporta les médailles au
maire, dans l'hilarité générale.
Nos jeunes aventuriers furent décorés sous l’œil
fier de monsieur et madame Ascencio et aussi de
monsieur et madame Sicard qui avaient fait le déplacement spécialement de Port-au-Prince pour l'occasion.
Quand Pablo reçut sa médaille à lui, il battit des
mains, montrant à la foule ses dents magnifiques. Ses
petits cris stridents en disaient long sur sa joie d'être
aussi le héros de cette grande aventure qui se terminait par une si jolie cérémonie ; et son bonheur d'habiter désormais Aux Trois Colombes en attendant que
son maître ait purgé sa peine.
18 juillet 2000
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Margaret Papillon
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