LE FINANCEMENT DE LA RETRAITE DES POSTIERS

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LE FINANCEMENT DE LA RETRAITE DES POSTIERS
LE FINANCEMENT DE LA RETRAITE DES POSTIERS.
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La création de l’Établissement public national de financement des retraites de La
Poste ( décret n° 2006-1625 du 19 décembre 2006 ), et l’adoption par les parlementaires de
l’article 41 de la loi de finances rectificative pour 2006 qui ne fait plus désormais supporter
par le budget général le financement des retraites des postiers, marquent une profonde
évolution de la politique de l’État concernant le financement des retraites des fonctionnaires.
Cette décision est d’autant plus préoccupante que, jusqu’alors, l’inscription au Grand Livre de
la Dette Publique des pensions des fonctionnaires retraités consacrait l’engagement de la
Nation d’assurer leur financement sur le budget de l’État jusqu’à leur extinction. Par cet
engagement la Nation reconnaissait la dette qu’elle avait contractée à l’égard de ses serviteurs
au titre du temps passé par ces dernier à la servir !
Á ce stade, on peut penser que cela ne devrait pas changer grand chose à la situation des
postiers retraités. Toutefois, la hauteur de la dette publique ( 2000 milliards d’euros ) et
l’absence de mesures pour tenter de la réduire, chaque année en effet l’exercice budgétaire est
déficitaire, nous conduisent à nous demander si la mise en place de cette nouvelle
organisation de va pas se traduire, à terme, par la remise en cause de nos droits à pension et
aboutir à la substitution à notre régime de retraite du régime de retraite de la sécurité sociale.
Cette inquiétude semble d’autant plus fondée que l’établissement public national de
financement des retraites de La Poste est placé sous la tutelle conjointe du ministre chargé du
budget et du ministre chargé de la sécurité sociale et qu’il a pour mission principale de
négocier et de mettre en œuvre l’adossement des retraites des postiers aux régimes de retraite
de droit commun.
Le développement qui suit s’efforce de faire le point de la situation actuelle afin d’en mesurer
les éventuels impacts aussi bien sur les pensions déjà concédées que sur celles des retraités en
puissance.
L’article 41 de la loi de finances rectificative pour 2006 modifie les
conditions de financement des retraites des postiers.
Dans son exposé des motifs du projet de loi, le gouvernement déclare que cet « article [41]
vise à mettre un terme à [la] situation dérogatoire en modifiant le dispositif actuel de
financement des retraites des fonctionnaires rattachés à La Poste de manière à placer La
Poste en situation d’équité concurrentielle, afin que La Poste ait à acquitter un taux de
cotisation de retraite équivalent au droit commun ( dit « d’équité concurrentielle » ) et ne
supporte pas à son bilan l’intégralité des engagements de retraites ».
Cette démarche est justifiée par le passage aux nouvelles normes comptables internationales
à partir du 1er janvier 2007, qui imposent à La Poste de constituer des provisions pour
engagement de retraite estimées à 69,9 milliards d’euros.
Ainsi que le fait fort justement observer la Commission, « les capitaux propres du groupe ne
dépassant pas 4,26 milliards d’euros fin 2005, la comptabilisation des engagements de
retraite, qui placerait les fonds propres à un niveau négatif sans perspective crédible de
rétablissement à court ou même long terme, serait manifestement incompatible avec la
poursuite des activités économiques de La Poste ».
En clair, cela équivaudrait à reconnaître la faillite de l’exploitant !
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Un peu d’histoire !
Depuis la réforme de 1991, La Poste substitue progressivement aux fonctionnaires qui partent
à la retraite des salariés employés par contrat de droit privé, affiliés pour leur retraite au
régime général d’assurance vieillesse ( CNAV ). Elle n’a plus organisé de concours pour le
recrutement de fonctionnaires à partir de 2003.
Avec le temps, elle va de ce fait être confrontée à une situation pour le moins paradoxale. Le
financement des retraites de ses anciens fonctionnaires, pourtant maintenu à un niveau
supportable pour l’entreprise en francs constants, va néanmoins peser de plus en plus lourd
sur son budget. Les cotisations de droit commun, qu’elle acquitte pour ses salariés sous le
régime des conventions collectives, estimées à 153 millions € en 2004, et qui ne cesseront de
progresser, sont en effet versées à la CNAV. Elles ne viennent donc pas alléger d’autant la
charge des pensions comme cela se passe avec les retenues pour pension prélevées sur le
traitement des actifs. Parallèlement, du fait de la réduction naturelle du nombre de postiers
fonctionnaires en activité, ces retenues diminueront inexorablement.
Le tableau ci-après illustre cette évolution.
1996
2002
2003
2004
2005
Fonctionnaires
146.566
171.706
177.580
185.151
189.988
retraités de La Poste
Fonctionnaires
en
activité de La Poste
250.565
216.507
204.929
196.185
186.004
Dans le contrat de plan le liant à La Poste, signé en 1997, l’État a donc décidé de prendre à
son compte, à partir de 1998, la part de la dérive de ces charges non imputable à l’inflation.
Cette participation est représentée dans le tableau ci-après, exprimé en millions €
1998
2002
2003
2004
2005
2020
16
151
191
298
414
1.036
Mise en œuvre des dispositions de l’article 41.
L’article 41 propose d’organiser, de manière pérenne, les modalités de contribution de La
Poste au financement des retraites de ses agents en créant :
- une « contribution employeur à caractère libératoire » qui a pour effet de libérer
l’entreprise de l’obligation de provisionner les engagements de retraite en limitant sa
responsabilité au seul versement de cotisations libératoires et de la placer dans une
situation d’équité concurrentielle ;
Cette situation est illustrée dans le tableau ci-après, exprimé en millions €
2005
2006
2007
2008
2009
Pensions versées 2.916
3.050
3.076
3.086
3.131
aux
fonctionnaires de
La Poste (A)
Contribution
versée par La
Poste ( libératoire
à partir de 2006)
(B)
Prise en charge
par l’État
(A)-(B)=(1)
Prise en charge
application
Contrat de Plan
(2)
Surcoût
pour
l’État
(1)-(2)
2010
3.158
2.502
2.535
2.523
2.379
2.224
2.122
414
515
553
707
907
1.036
414
515
553
569
625
661
0
0
0
138
282
375
2
-
une « contribution forfaitaire exceptionnelle de 2 milliards d’euros », qui est la
contrepartie à la charge ( surcoût pour l’État du tableau ci-dessus ) transférée dans un
premier temps à l’État en attendant, dans un second temps, une éventuelle prise en
charge par les organismes de droit commun de la sécurité sociale.
Comme le montre le tableau ci-dessus, la charge supplémentaire pour l’État, hors contrat de
plan, induite par le nouveau système de financement, qui devrait être nulle en 2007,
s’établirait à 138 millions € en 2008, 282 millions € en 2009 et 375 millions € en 2010. Á
moyen terme, elle pourrait atteindre près de 2 milliards €. Il ne fait aucun doute que c’est une
situation que l’État ne supportera pas très longtemps.
Ainsi qu’ il a été dit, cette charge ne devrait, en effet, être que provisoire. L’objectif de la
réforme est d’organiser, à brève échéance, l’adossement financier du régime de retraite des
postiers fonctionnaires aux régimes de droit commun de la sécurité sociale.
C’est à cet effet qu’a été crée l’établissement public national de financement des retraites
de La Poste.
Si la pérennité de La Poste semble ainsi garantie, sauf avis contraire de la Commission
Européenne à qui le dossier a été soumis, des incertitudes demeurent au sujet de la retraite des
postiers.
Vers l’adossement du régime des pensions des postiers fonctionnaires aux
régimes de droit commun de la sécurité sociale.
La Commission estime qu’il s’agit d’un choix cohérent compte tenu de la « mixité » statutaire
des agents de La Poste. ( Á noter toutefois que la situation est encore plus marquée à France
Télécom sans que pour autant ce type d’évolution soit envisagé pour ses fonctionnaires…).
Aujourd’hui, environ un tiers des salariés de La Poste est sous contrat de droit privé et
acquitte par conséquent les cotisations de droit commun, cette proportion devant augmenter
très rapidement en raison de l’arrêt des recrutements de fonctionnaires.
Elle ajoute qu’il serait dans ce contexte d’autant plus cohérent que l’ensemble des postiers,
quel que soit leur statut, cotisent et reçoivent des pensions dans les mêmes conditions que les
salariés du secteur privé, que depuis la réforme de 2003, les droits des intéressés sont
désormais quasi équivalents à ceux des salariés du secteur privé. En effet, selon la
Commission les droits dits « reconstituables » en « droit de base » du régime général
représentent aujourd’hui 90 % du total des droits de retraite des fonctionnaires postaux.
Par ailleurs, l’adossement au régime général mettrait fin au paradoxe qui voit La Poste cotiser
aujourd’hui à la Caisse nationale d’assurance vieillesse ( CNAV ) comme l’ensemble des
entreprises françaises pour des contractuels de plus en plus nombreux, tandis que les
versements de la CNAV au titre des pensions de contractuels, recrutés depuis 1991 seulement,
sont très limités.
Toutefois, pour que l’adossement soit neutre pour les régimes de sécurité sociale, il serait
nécessaire de verser aux régimes d’accueil une « soulte » compensant le déséquilibre
démographique particulier à l’opérateur postal.
Qui versera cette soulte ? La Poste ? L’État ?
Si c’est La Poste, elle risque de mettre en péril le fragile équilibre financier de ses comptes.
Est-ce que l’État est disposé à participer à ce financement alors qu’il use de tous les moyens
pour réduire la charge des retraites sur le budget général ?
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Des négociations complexes qui réclament du temps.
L’établissement public national de financement des retraites de La Poste dispose d’un délai de
deux ans pour négocier la mise en œuvre de l’adossement des retraites des postiers aux
régimes de retraite de droit commun. En cas d’échec, le gouvernement remettra au parlement
un rapport qui examinera et proposera des modalités alternatives de financement.
Une première question porte sur l’étendue des droits repris et couverts par les éventuels
régimes d’accueil. Il n’existe aucun précédent d’intégration d’une population de
fonctionnaires aux régime sociaux de droit commun du secteur privé. Les pensions servies
aux fonctionnaires étant, selon la Commission, extrêmement proches de celles accordées aux
salariés, l’ensemble des droits de base des fonctionnaires devraient donc pouvoir être repris et
couverts sans difficulté.
Une telle affirmation est lourde de menaces sur l’évolution du régime de retraite des
fonctionnaires dans leur ensemble. Comme on sait que l’État attend la première occasion pour
se libérer de la charge du financement des retraites de ses agents, on n’a aucune peine à
imaginer dans quel sens est susceptible de s’orienter la prochaine réforme des retraites.
S’agissant des régimes complémentaires, il semblerait que la Commission se soit légèrement
fourvoyée. Dans sa réflexion, elle a en effet considéré que l’ensemble de la population postale
( fonctionnaires et contractuels ) adhère au régime complémentaire de l’IRCANTEC, alors
que celui-ci est exclusivement réservé aux agents non titulaires de l’État. Estimant que ce
régime est très généreux à l’égard de ses bénéficiaires, elle en conclut que l’opportunité
d’adosser le financement des retraites des fonctionnaires postaux aux régimes
complémentaires ARRCO et AGIRC n’apparaît pas manifeste.
Un second débat porte sur la détermination du montant de la soulte due à la CNAV au titre de
l’adossement des retraites des postiers fonctionnaires et sur les modalités de financement.
On sait que la CNAV, si elle est favorable à l’adossement, rappelle toutefois que cela ne peut
se faire sans un strict respect de la neutralité financière pour le régime d’accueil et ses assurés,
et qu’un droit d’entrée doit compenser le déséquilibre éventuel induit par l’adossement ( cf :
« Retraite et Société » n° 49 du mois d’octobre 2006 ).
Pour ce qui concerne l’éventuelle participation de La Poste à cette soulte, la Commission
estime qu’ « il serait inéquitable de ne pas tenir compte, dans le calcul de la soulte, des forts
excédents apportés par La Poste au régime général en raison de la démographie des agents
sous contrat privé. Ces excédents sont évalués par l’entreprise à près de 185 millions € par
an ».
La Commission ajoute que l’État, qui a assumé la maîtrise directe des recrutements postaux
jusqu’en 1991, doit jouer un rôle financier important dans cet adossement en prenant en
charge une partie du montant de cette soulte correspondant aux droits acquis avant 1991,
lorsque les PTT étaient directement intégrés à l’administration.
Elle conclut que « l’objet de l’adossement aux régimes de droit commun est double. Il
rapprocherait la situation des postiers fonctionnaires de celles des autres salariés de La
Poste sous le régime des conventions collectives du point de vue du régime de retraite. Et,
surtout, il permettrait de mutualiser le régime des fonctionnaires de La Poste afin,
notamment, de limiter la charge subie à ce titre par l’État ».
Quelques remarques.
Pour le moment, rien ne garantit la pérennité du financement des retraites des postiers, cela
devant être négocié avec les différents partenaires dans les deux ans à venir.
La contribution de La Poste restera à un niveau lui assurant l’équité concurrentielle, à savoir
un taux de cotisation global compris entre 35 % et 37 % de la masse salariale. Lorsque l’on
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sait que sans cette réforme, ce taux aurait représenté 55 % de la masse salariale en 2015, il ne
fait aucun doute que cette contribution sera insuffisante pour assurer le financement des
retraites des postiers.
Les engagements pris par l’État à l’égard de La Poste en 1997 aboutissent à des niveaux de
prises en charges des retraites que les pouvoirs publics vont très rapidement estimer
insupportables.
On risque, dès lors, d’assister à une remise en cause fondamentale de nos droits, y compris
sans doute celui des agents retraités, afin que le régime d’accueil, à savoir la CNAV, puisse
maintenir en toute équité l’équilibre de ses comptes.
Car ce qui interpelle plus particulièrement est l’analyse de la Commission des finances
lorsqu’elle estime que les droits « reconstituables » en « droit de base » du régime général
représentent aujourd’hui 90 % du total des droits de retraite des fonctionnaires postaux.
C’est une analyse d’autant plus surprenante que le taux maximum d’une pension du régime
général de la sécurité sociale représente, sans les régimes complémentaires, 50 % des 25
meilleures années de cotisations, alors que le taux maximum d’une retraite de fonctionnaire
est égal à 75 % des émoluments qu’il a effectivement perçus pendant les 6 derniers mois de
son activité.
Aujourd’hui il est bien difficile de savoir comment vont évoluer nos pensions. Une chose est
indubitable, la machine à remettre en cause le régime de retraite des fonctionnaires est lancée.
Á nous d’être vigilants et de rechercher les pistes d’actions qui pourraient nous permettre de
défendre autant que faire se peut nos droits acquis.
Dans l’immédiat, l’établissement public national de financement des retraites de La Poste sera
chargé de centraliser l’ensemble des contributions versées par La Poste au titre des retraites de
ses postiers fonctionnaires et de reverser à l’État les contributions employeurs, dans l’attente
de l’adoption des conventions financières d’adossement aux régimes de retraite de droit
commun.
Gérard Bourachot
Le 29 décembre 2006
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