les dents de la mer en antarctique - Centre d`Etudes Biologique de
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les dents de la mer en antarctique - Centre d`Etudes Biologique de
LES DENTS DE LA MER EN ANTARCTIQUE Les requins dormeurs se nourrissent de calmars géants dans les eaux froides de l'archipel des Kerguelen. L’épouvantable bête ! s’écria-t-il. Je regardai à mon tour et ne pus réprimer un mouvement de répulsion. Devant mes yeux s’agitait un monstre horrible, digne de figurer dans les légendes tératologiques. C’était un calmar de dimensions colossales, ayant huit mètres de longueur... Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne oulpes et calmars géants fascinent les marins et les écrivains. Dans l'imaginaire populaire, ils sont associés à des combats titanesques contre des navires, réflétant notre ignorance et notre peur des animaux des grandes profondeurs. Les cachalots sont connus pour pêcher ces géants des mer dans les abysses, et les cicatrices des ventouses retrouvées sur leur peau témoignent de l'âpreté de ces rencontres sous-marines. La biologie de ces animaux est mal connue,notamment parce que la plupart des informations proviennent d’animaux échoués, capturés dans les filets de pêche ou retrouvés dans l'estomac de cachalots, leur seul prédateur connu à ce jour. Nous venons de montrer qu'une deuxième espèce de prédateur marin de P grande taille, le requin dormeur, se nourrit également de calmars géants dans le Sud de l'océan Indien. Les requins dormeurs du genre Somniosus sont parmi les plus grands poissons existants (jusqu’à sept mètres de longueur pour une masse de 800 kilogrammes).Ce sont des requins des eaux froides fréquents en Arctique et dans le Pacifique et l'Atlantique Nord.Ils sont considérés comme des prédateurs et des charognards se nourrissant surtout de poissons et de mammifères marins, de phoques et de dauphins ainsi que de carcasses de cétacés.Seulement trois espèces de requins vivent dans l'océan Austral, dont une espèce de requin dormeur qui fréquente les eaux poissonneuses de l'Archipel de Kerguelen. Dans cette région, des requins dormeurs sont régulièrement capturés dans les filets des chalutiers pêchant par 350 à 900 mètres de fond. L'analyse du régime alimentaire de 36 de ces animaux capturés entre 1997 et 2001 a montré que les requins dormeurs de Kerguelen se nourrissent de poissons de fond (raies, légines) notamment, ainsi que de mammifères marins (otaries). Cependant, les proies les plus fréquentes sont des céphalopodes, mal conservés, et, par conséquent, © POUR LA SCIENCE - N° 307 MAI 2003 18 Guy Duhamel pour reconstituer ses réserves d'oxygène. Kerguelen est l’un des rares endroits au monde où les deux espèces de calmars géants cohabitent sur les pentes du plateau péri-insulaire. Nous avons identifié 19 espèces différentes de céphalopodes dans le régime alimentaire du requin dormeur, ce qui souligne l'importance de la communauté, encore méconnue, de calmars et de poulpes dans les eaux entourant les îles et les archipels de l'océan Austral. Ces espèces ne sont que rarement capturées dans les filets et n'ont jamais été observées in situ, ce qui souligne notre méconnaissance de la vie dans les eaux marines profondes. Yves CHEREL et Guy DUHAMEL Centre d'études biologiques de Chizé, CNRS – MNHN, Paris – IPEV – TAAF Un requin dormeur sur le pont d'un chalutier, à Kerguelen, dans les quarantièmes rugissants. D. Bonn/CNRS difficilement identifiables. On peut cependant caractériser les céphalopodes d’après leurs becs, situés au milieu de la couronne des bras et des tentacules qui leur permettent de dilacérer leurs proies.Ces becs résistent très bien à la digestion et leur morphologie est spécifique, leur taille permettant d'estimer celle de l'animal entier. Nous avons ainsi montré que quatre espèces de calmars dominent l'alimentation des requins de Kerguelen.L'espèce la plus commune est une espèce endémique de l'océan Austral, de grande taille, Kondakovia longimana, qui est également la proie principale du plus grand oiseau volant, l’albatros hurleur. Une deuxième espèce commune est un grand calmar présent dans toutes les mers du globe, Taningia danae.Nous avons surtout découvert que le requin dormeur se nourrit des deux plus grandes espèce d'invertébrés actuels, le calmar géant Architeuthis dux et une deuxième espèce de calmar géant, endémique de l'Antarctique, Mesonychoteuthis hamiltoni. Nous avons estimé que certains specimens avaient un manteau (le corps du calmar) dépassant deux mètres (sans compter la tête ni les tentacules). La longueur totale des plus grands spécimens dépassait 12 mètres : ils étaient plus grands que les requins qui les avaient engloutis ! Il n'existe pas d'autres prédateurs de calmars géants, exception faite du cachalot. En Antarctique, celui-ci se nourrit majoritairement de Kondakovia longimana et Mesonychoteuthis hamiltoni, alors que Taningia danae et Architeuthis dux sont consommés dans d'autres parties du globe. Ainsi, le requin dormeur de Kerguelen est un poisson, mais il a les habitudes alimentaires du cachalot, même si leurs techniques de pêche diffèrent sûrement. Le requin dormeur est une espèce indolente à respiration aquatique vivant en permanence près du fond, alors que le cachalot, à respiration aérienne, se nourrit en plongeant et doit remonter régulièrement à la surface © POUR LA SCIENCE - Perspectives scientifiques 19