POUR UN THEATRE "DIALECTIQUE"

Transcription

POUR UN THEATRE "DIALECTIQUE"
(
POUR UN THEATRE "DIALECTIQUE"
Etude comparative de deux pratiques esthétiques:
Les Mains sales et Mère Courage et ses enfants
par
Maria Vinciquerra
A thesis submitted to the
Faculty of Graduate Studies and Research
in partial fulfillment of the requirements
for the deqree of Master of Arts
Comparative Literature proqram
MCGILL UNIVERSITY MONTREAL
SEPTEMBER 1989
,
"
c
Maria Vinciquerra, 1989
(
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS
......................
••••••••••••
u
•••••••••••••
.
1
..
RESUME/ ABSTRACT •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 11
INTRODUCTION ••••••••••••••••••••••••••.••••••.•••••••.•••••• 1
CHAPITRE I:
THEORIES ET PRATIQUES THEATRALES: SARTRE ET BRECHT
1.
Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.
Notions théoriques d'après Brecht .•••••.••••••••..•••. 13
3.
Notions théoriques d'après Sartre ..••••.••••••....•••. 23
4.
Sartre par rapport à Brecht: théâtre épique et
théâtre dramatique .•••••••.•••••.••••••.•••••••••••••. 27
CHAPITRE II:
ETUDE DE LES MAINS SALES •••••••••••••••••••••••••••• ••••••• 34
CHAPITRE III:
ETUDE DE MERE COURAGE ET SES ENFANTS •..•.••.•...•••....•... 61
CHAPITRE IV:
CONCLUSION ET PERSPECTIVES •••••••••••••••••.••••••••••••••. 82
NOTES •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 93
(
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
i
Remerciements
Je tiens à remercier ici ceux sans lesquels je n'aurais pu
mener à terme cette thèse et plus particulièrement. George H.
Szanto,
profe~seur
au Département de littérature comparée de
l'Université McGill, qui l'a dirigée.
Je remercie François Longpré et Donna Moraitis qui à
façon ont collaboré
à
la réalisation de cette recherche.
leur
ii
Résumé
Cette
thèse
étudie
"dialectique" ë
examinant
.1S
les
bases
pour
un
théâtre
les écrits de Brecht et de Sartre.
premièrement
importantes,
théoriques
elle
leurs
aborde
oeuvres
ensuite
théoriques
l'analyse
de
En
plus
pièces
représentatives --Mutter Courage und ihre Kinder et Les Mains
sales-- afin de rendre expli ..:ite la relation entre théorie et
pratique artistique.
textul'1.~lle
L'analyse
des pièces choisies
développe certains aspects de thématique, de structure et de
réception
lesquelles
contradictions
révèlent
signifiantes.
que
le
théâtre
différences
théê.\tre
Le
cr(~dtivité
Sartre en fait présente une
alors
des
"épique"
"dramatique"
communique
créativité artistique en quelque sorte plUt; primordiale.
conséquent,
quoique
le
concept
de
des
de
de type idéologique
Bre~cht
de
et
théâtre
une
Par
"dialectique"
(foncièrement théâtre politique et/ou historique) soit commun
aux deux dramaturges, sa réalisation diffère.
que nous défenderons est que les écrits de
un
processus
presque
artistique
inéluctable.
primordiale de
Brecht,
l'anagnorisis créative,
idéologiquement
D'autre
part,
Le point de vue
S~rtre
démontrent
prédéterminé
l'oeuvre
et
plutôt
rapproche le processus artistique à
étant
plus
immédiate
et
proche de
l'archétype.
Au dernier chapitre un survol des changements
de
résultant
conscience
de
"dialectique" sera revisé à
intéressé au sujet.
ces
approches
l'appui
des
pour un
théâtre
critiques
s'étant
------~--------
iii
Abstract
This thesis examines the theoretical fouildations of Brech t' s
and Sartre 1 s
"dialectical" theatre.
Proceeding first
from
their most significant theoretical writings, it then studies
representative plays --Hutter Courage un ihre Kinder and Les
Hains sales-- in an attempt to make explicit the relationship
between theory and artistic practice.
p oper
The textual analysis
develops
certain
aspects
reception which
in turn
reveal
contradictions.
Sartre's "dramatic" thl,atre in fact evidences
a
sort of
theatre
ideological
presents
Therefore,
though
a
of
theme,
structure
and
meaningful differences
and
creativity whe'l:"'eas
more
the
primordial
of
concept
Brecht's
artistic
"epic"
creativity.
dialectical
theatre
(essentially political and/or historie) is a common thoughtstructure to both dramatists, its actualization differs.
l
will argue that Sartre's work shows a view of t.he art process
as
ideologically
Brecht's more
process
as
archetypal.
a
predeter.nined
primordial
creative
work,
and
on
the
anagnorisis,
ineluctable.
almost
other
more
hand,
immediate
shows
and
In the last chapter, l will give an overview of
the changes in consciOUf3ness produced by these approaches of
"dialectical" theatre and substantiate these by criticism that
has dealt with the subject •
....
(
"De l'art est nécessaire pour que devienne humainement
exemplaire ce qui .st politiquement juste."
(Brecht, Ecrits sur le théAtr. 2, p. 258)
(
1
INTRODUCTION
De
manière
générale
on
peut
dire
que
la
réception
initiale d'une oeuvre artistique est investie, nécessairement,
d'une réponse qui relève de plusieurs facteurs, détérminés,
entre autre,
par
les
connaissances
et
la
perspective du
lecteur.
De
nombreux
problèmes
quant
notamment pour le théâtre se posent.
l'objet de discours?
du texte initial?
la
à
réception
et
Qu'est-ce qui constitue
Quand on parle de "théâtre", s'agit-il
S'agit-il d'une première ou de plusieurs
représentations, donc de la production proprement di te?
faut
croire
ce
que
texte,
et
représentation
Il
production
consti tuent des obj ets hétérogènes, discrètement liés entre
eux. Cependant,
ils
échappent à toute tentative cumulative
destinée à établir une interrelation d'ordre logique.
Donc la
totalité de ce qu'on désigne par le nom "théâtre" est élusive.
Signalons
à
titre d'exemple,
quelques
indications
d'ordre
étymologique: "theaterstück", de "theater", grec "theatron" =
le
lieu
où l'on
montre/regarde,
et
"stück"
de
l'allemand
ancien "stücki" = ce qui implique une notion de découpage
(littéralement: ce qui est brisé ou coupé de quelque chose).
D'autre
fragment
....
, "
part
"pièce
de
d'un ensemble
théâtre"
indique
ou d'un continuum.
continuum ou de quelle totalité?
une
partie,
Mais de
un
quel
Ce n'est certainement pas de
la notion de théâtre comme institution, d'un édifice
ou d'un
lieu de pratique culturelle bien que le sens étymologique de
2
(
"lieu" le précède et lui est propre. Pourtant il peut y avoir
de merveilleux édifices sans qu'il n'y ait théâtre, comme il
peut y avoir "théât .•:e" ailleurs que dans un lieu précis et
délimité.
L'expression courante "c'est du théâtre" renvoit à
un référant imprécis, mais communément entendu dans un sens,
sinon péjoratif,
tout du moins connotant une façon d'agir
partielle ou discrètement scbvertive.
Regardons
une
autre
définition
é~ymologique
qui
nous
parait plus révélatrice encore par rapport à ce qu'on entend
par le terme "théâtre".
dérivation
de
l'ancien
signifie exercice;
danse.
En anglais,
anglais
le terme "play",
"pleg(i)an"
ou
une
"plaegian"
en hollandais ancien "pleien" veut dire
Cela dépasse l'idée d'un fragment d'un continuum et
introduit un
principe
de
mouvement.
Est-il
légitime
de
conclure alors que le terme "théâtre" implique un mouvement
"entre" ou plutôt à travers le texte écrit et les événements
de la scène ainsi que toutes les variables en fonction de
cette transformation continuelle?
Un
retour
à
la
question
initiale:
"qu'est-ce
qui
constitue l'objet de discours?" en parlant de théâtre, indique
que cette proposition ne peut se limiter à définir, mais à
décrire.
Cette tentative de décrire ne se réfère pas à une
ontologie du théêltre mais plutôt à un mode de réfutation de
l'ontologie à l'égard du théâtre.
En étant conscient de cette problématique particulière au
(
théâtre (et peut-être aussi à tous les arts représentatifs),
un discours critique peut, en quelque sorte, être dispensé de
r
3
l'illusoire prétention de "rendre compte" de façon exhaustive
du "texte" et de ses variations
la~
(ex.
représentations).
Cela est d'autant plus vrai dans le cas da Brecht qui croyait,
en tant que metteu ~
discours théâtral
se
en scène et homme de
trouvait dans
faux-fuyant entre texte et
que
le
dans
un
th~âtre,
un "ailleurs",
produ~tion.
La scène doit devenir un espace de démonstration d'un
ailleurs
ouvert
social,
et
c'est-à-dire,
inachevé
d'illusionnisme
qui
brise
natura,liste.
e~pace
d'un
manqu~,
tout
effet
de
"nouveau
Le
espace
miroir
théâtre"
ou
pour
Brecht:
s'adresse à l'homme social, car l'homme s'aide lui-même
socialement, avec sa technique, sa science et sa
politique.
le
(sic)
type
individuel
et
son
comportement sont mis à nu pour faire apparai tre les
moteurs sociaux, car il faut maitriser ces derniers
pour avoir prise sur les premiers.
l'individu (sic)
reste l'individu mais devient un phénomène social, ses
passions par exemple deviennent des affaires d'ordre
social, ses destins aussi.
la (sic) position de
l'individu dans la socié'Cé perd son "caractère naturel"
et COfistit·le le point focal de l'intérêt
(Journal
91)1.
Ceci implique que Brecht entend rendre transparent au théâtre
le politique; en faisant en sorte que le "caractère naturel"
soit démasqué
et/ou
pour
rendre
économique,
bref,
transparent
ce
qui
le
caractère
conditionn~
social
le
soi-disant
~
ses pièces
caractère "naturel".
Brecht pensait toujours opportun que l'on
avant de voir les représentations car il
présent
------
que
les
pièces
de
Brecht
sont
faut aussi tenir
destinées
à
la
4
représentation tout
cette
d~rnière.
relative
dl.
finalement,
en
voulant
changer
les
con/entions
de
Donc ce point de vue réaffirme une autonomie
texte,
"relative"
et
non
plus
absolue,
car
une pièce de théâtre donnée s'intègre au projet
théâtral plm. global,
d'une société- ou d'une culture à une
époque part: culière.
"Théâtre"
d'un
continuum,
économiquement
alors
et
manifestation
comme
historiquement
déterminé
dont la pièce à l'étude ou une pièce en représentation en est
un fragment, une pratique.
Ces généralités indiquent une préoccupation de restituer
une perspective sociale et re.lative au théâtre,
perspective
faussée par l'idéologie des classes dominantes au XVIIIe et au
XIXe
siècles.
év~dence,
Cette
perspective
est
de
nos
jours
mais faut-il rappeler que jusqu'à l'immédiàt après-
guerre encore cela
était perçu comme étant
encore
"avant-
gardiste"?
T"es changements et les bouleversements sociaux,
progressifs
ou
les
nombreuses
découvertes dans les domaines scientifiques (p.e.
la théorie
de
la
etc.)
au
vertigineux,
relativité
radioactivité,
et
Guerre mondiale,
dans
des
de
de
ce
aussi
l~
découverte
technologiques
siècle,
de
signalent
"l'illusionnisme".
de
la
communications,
le
Après
déclin
la
du
Première
les années d'expérimentation et d'ouverture
domaines
révolutionnaires
comme
d'Einstein,
les moyens
tournant
"naturalisme"
diversifiés
(au sens propre)
de
la
connaissance
sont
et affirment la fin de la
domination culturelle par les classes privilégiées.
(
une
5
L'art en
partir
de
général
la
fin
et
des
le
théâtr.e
années
notamment,
vingt,
soit
aboutissant à la culture du prolétariat, soit
abstrait, en quête d'un Idéal intemporel.
devient,
"populaire",
surréaliste et
Les connotations de
ces deux tendances s'accentuent dans des cas-limites:
premier cas,
politique
à
dans le
l'art contribue à l'émergence de la propagande
et,
dans
le
deuxième
cas,
l'art
réaffirme
le
formalisme et verse dans l'expressionnisme ou dans l'''art pour
l'art".
Dans ce cadre de pensée le sujet de cette thèse trouvait
une première hypothè$e d'élaboration.
privilégié
pour
changeants
de
intervenant.
présenter
la
les
société.
Le théâtre est l'art
rapports
C'est
dynamiques
alors
qU'il
devient
Brecht et Sartre, artistes critiques à
de l'histoire et de
l'évolution dans
et
les rapports
l'égard
sociaux,
s'intéressent au théâtre justement comme expression et comme
moyen de transformer la conscience du public.
aux questions de la participation et de la
élaboré
des
théories
esthétiques.
théâtrales
comme
Susceptibles
~éc~ption,
manifestes
ils ont
de
leurs
Bien que celJ(s-ci diffèrent et sont issues de
préoccupations et de context.es idéologique .... particuliers,
le
dilemme de la théor.ie et de la pratique leur est commun.
Les
deux ont
des
souhait.é traduire
au théâtre
une
dialectique
classes sociales.
Jusqu 1 à
fréquemment
date la cri tique et les recherches se bornent
à
réitérer,
dans
le
cas
de
Brecht,
les
6
(
connotations de la théorie bien connue de "distanciation" et,
pour sartre, celle de l"'engagement" politique.
isolés
cependant,
ne
tiennent
pas
compte
de
Ces concepts
l'évolution
théorique des dramaturges.
Nous croyons que
la notion d'un théâtre dialectique,
commune aux dramaturges à l'étude, pourra expliquer:
Sartre
(1)
la fonction dialectique au théâtre
(2)
les procédés de la mise en pratique esthétique
(3)
la réception d'une oeuvre théâtrale.
et Brecht,
dans leurs écrits sur
attribuent une fonction dialectique.
et/ou
présenter
dialectalisable,
signifiante.
une
le théâtre,
lui
Le théâtre doit insister
condition
ou
situation
une
c'est-à-dire, historiquement et socialement
Le public doit apprendre à comprendre l'emploi
de la dialectique au théâtre (la fonction didactique).
Nous
théoriques,
d'évaluer
nous
proposons,
en
d'étudier deux pièces
quelles
sont
les
partant
de
ces
notions
représentatives
et enfin
du
théâtre
implications
"dialectique" respectivement pour Sartre et pour Brecht.
Les
pièces choisies sont Les Mains sales de Sartre et Mère Courage
et ses enfants de Brecht 2 .
La notion de "dialectique", à partir de Hegel,
dépassera
le sens primaire d'art argumentatif ou de logique discursive.
(~
7
Raymond Williams a donné, dans Keywords, une définition qui
montre l'évolution et l'étendue du terme:
"There was then a special and influential use of
dialectic in German idealist philosophy. This extended
the notion of contradiction in the course of discussion
or dispute to a notion of contradictions in reality.
For Hegel, such contradictions were surpassed, both in
thouqht and in the world-history which was i ts
objective character, in a higher and unified truth:
the dialectical
process was
then
the continual
unification of opposites, in the complex relation of
parts to a whole.
( • •. ) Hegel' s version of the
dialectical process had made spirit primary and world
secondary. This priority was reversed, and dialectics
was then "the science of the general laws of motion,
both of the external world and of human thought - two
sets of laws which are identical in their substance but
differ in their expression"
(Engels,
Essay on
Feuerbach) .
This was the "materialist dialectic",
later set out as dialectical materialism, and applied
both to history and to nature (in Dialectics of
Nature).
The formaI principles innecent in this
process are seen as the transformation of quantity into
guality, the identity of opposites and the negation of
the negation:
these are "lawc." of history and of
"nature" (91-92).
En
tenant
compte
du
cadre
socio-historique
condi tions de production des deux pièces,
et
des
Sartre et Brecht
présentent une visée artistique analogue sur plusieurs plans.
Les pièces posent le dilemme des moyens et des fins,
Dans les
elles tentent de démystifier l'efficace politique.
deux
pièces
réalisation
choisies
critique
la
qui
pratique
esthétique
s'inscrit
dans
comme
se
veut
l'optique
une
d'une
idéologie matérialiste.
Notre propos est donc d'étudier la question d'un théâtre
dialectique comme paramètre significatif dans Mère courage et
ses
enfants
et
dans
Les
Mains
sales.
Dans
le
premier
8
(
chapitre,
les
notamment
ceux
ayant
Les
d'analyse.
théoriques
écrits
trait
au
Brecht
théâtre,
primordiaux,
textes
L'àchat du cuivrEl,
de
le feti,t organon
de
Sartre,
feront
l'objet
et
pour
~our
seront
Brecht,
le théâtre et La
dialectique au théâtre (cf. Ecrits sur le théâtre 2).
Sartre,
Pour
elles seront notamment Un théâtre de situations et
Questions de méthode.
Deuxièmement,
mais dans une moindre
mesure, on fera également référence aux textes sartriens bien
connus,
au'est-ce
existentialisme.
de
travail,
gue
la
littérature'?
et
Marxisme
et
Pour Brecht, on aura recours à ses journaux
et au texte
Les
Les Arts et la révolution.
textes théoriques seront étudiés dans le but de cerner les
motivations idéologiques des auteurs.
On tiendra présent les
mouvements historiques et artistiques majeurs des années 19301950 par rapport aux pièces respectives,
pour déterminer de
quelle manière Brecht et Sartre rompent avec les courants de
pensée déterministes et/ou propagandistes.
toutefois
d'éviter
des
réductions
On prendra soin
heuristiques
en
se
rapportant méthodiquement aux textes des auteurs mêmes.
Dans le deuxième Chapitre, Les Mains sales de Sartre sera
abordée dans une perspective critique.
Paramètre de
analyse:
à
théorie
théâtrale
confrontée
f';)rmel1e de Sartre.
Le mot "pratique"
compris
"réalisation" ,
ici
comme
la
cette
réalisation
du titre doit être
donc
de
la
"pièce"
proprement.
De même, dans le troisième chapitre, on abordera la pièce
(
de Brecht Mère Courage et ses enfants, dans la perspective qui
9
-
fait l'objet de cette thèse: la
dialectique au théâtre.
On
fera allusion ici au cadre historique de la Guerre de Trente
Ans, métaphore souvent associée aux origines des conflits de
rapports de force dans le système capitaliste naissant.
qui
exemplifie
valeurs
finalement
économiques
Cadre
n'importe quelle guerre où
sont
présentées
par
des
les
prétextes
idéologiques ou épistémologiques (partis politiques, religion,
croyances) .
Par moments donc (ceci vaut également pour le
deuxième chapitre) on fera référence à des faits historiques
quand
ils
s'avèrent
des
éléments
complémentaires
l'évaluation critique des pièces concernées.
à
Sous-j acent à
l'exposé des faits historiques est la problématique du "lieu"
de la dialectique:
l'oeuvre immédiate?
évoquer
sont
se manifeste-t-il dans l'histoire ou dans
Les oppositions binaires qu'on pourrait
nombreuses~
chose
certaine,
"dialectique" se résout difficilement.
le
concept
de
Il est en même temps
"ceci" et "cela", "histoire" et "nature", et sa justification
découle de sa logique discursive dans un essai de saisir la
totalité objective.
La
dialectique devient alors un moyen
critique de connaissance en démontrant justement les limites
de la conscience subjective.
En même temps une ouverture est
rendue possible; "ouverture" qui se situe, elle, dans un réel
social rendu intelligible par l'oeuvre artistique 3 •
Le concept de Brecht de l'effet de non-identification
(Verfremsdungeffekt) avec le personnage central, et qu'il nous
semble que Sartre ait repris, fournit une piste majeure quant
à notre discussion de théâtre
dialec~ique.
Par ce procédé de
10
(
la
dénégation,
s'identifie
le
destinataire
négativement
en
(lecteur
étant
critique
Courage (Mère Courage et ses enfants)
ou
spectateur)
l'égard
à
de
et de Hugo (Les Mains
sales). En conséquence, on peut s'interroger de quelle façon
se fait la résolution entre "oeuvre" et "réalité"?
Comment y
a-t-il intégration du formel au niveau de la conscience?
essayera
d'y
dégagera des
répondre
au
chapitre
final.
Le
On
chapitre
convergences et des divergences apparentes
au
moins dans les discours théoriques de Sartre et de Brecht,
discours à l'origine de leurs esthétiques et sous-jacents aux
pièces qui sont, plus exactement, une formalisation.
également au quatrième chapi tre que
perspective
pour
éclairer
le
C'est
l'on fera une mise
rapport
entre
le
en
théâtre
"dialectique" et les pratiques esthétiques des auteurs.
Une
mise en perspective préconise une appréciation sommaire et
pertinente des critiques qui ont abordé ce sujet.
(~
11
--
CHAPITRE l
Théories et pratiques théâtrales:
Sartre et Brecht
1.
Un grand nombre de critiques littéraires ayant une
tendance
pour
l'historiographie
décrivent Sartre et
Brecht
comme des épitomés de l'artiste du XXe siècle ayant franchi
les étapes
successives:
années mouvementées
contre
le
la
Première
Guerre mondiale,
les
de "l'avant-garde" après 1920, la lutte
naz isme,
communi~te,
la
vie
l'engagement
en
Amérique.
la
à
cause
L'engagement
pol i tique
critique
à
l'égard de le politique, permettra peut-être de répondre plus
loin à la question posée de manière pertinente par Jean-Paul
Sartre dans Qu'est-ce que la littérature? et repris dans Un
théâtre de situations:
"est-il souhaitable que l'écrivain s'y
engage dans le parti communiste?
S'il le
(Un théâtre 277).
fait par conviction de citoyen, c'est fort bien, il a choisi.
Mais peut-il devenir communiste en restant écrivain?
Sartre
du floins en 1948 --mais sa position changera quelques années
plus tard-- en vient à conclure que non.
Dans le cas de Brecht, c'est à partir de 1937,
les années d'exil
en Finlande et en
publiquement
limites
commence
à
les
écrire
une
de
la
suite
Suisse,
propagande
de
qu'il
pendant
rejette
politique
pièces
qui
incontestablement le faite de sa production artistique.
et
sont
12
(
vie
de
Galilée.
Le
procès
de
Lucullus.
La
bonne
âme
de
Setchouan, et Mère Courage et ses enfants sont écrites dans la
période 1937-40.
Sartre et Brecht ont suivi des démarches différentes en
tant que théoriciens et hommes de théâtre. Il est par ailleurs
connu
que
d'après
Sartre
lui,
"philosophe
et
n'en vint
que
au
théâtre
foncièrement
contemporain,
que
il
engagé
se
par
"défaut",
considérait
politiquement"
un
et
ajouterons-nous, pas toujours cohérent dans sa préoccupation
de faire de la "politique morale",
bien que toute politique
est nécessairement fondée sur une morale.
On conviendra que continuellement,
choix qui est,
en quelque sorte,
ambiantes,
le
appropriés
esthétiquement
vrai,
l'écrivain opère un
un impératif des réalités
contexte socio-historique
par
l'artiste.
l'écrivain choisit de marquer une
tel
que
conçus
Souvent,
nette
et
il
est
rupture
par
rapport aux tendances observées et il assume alors un rôle de
"penseur
intervenant"
(l'expression
Chiantaretto), de critique artistique.
est
de
J.-F.
Les valeurs critiques,
issues d'une confrontation avec les contingences historiques
et
de
l'interprétation que
leur
l'écrivain désigneront une démarche
(~
apporte
la
artisti~~e
conscience
donnée.
de
13
Pour Brecht,
2.
initialement,
c'est le dégagement de
l'expressionisme, l'opposition totale à ce mouvement défini et
élaboré en Allemagne entre 1912 et 1925.
était
essentiellement
conceptuel et
L'expressionisme
idéologique
ayant
pour
base un moralisme chrétien lequel véhiculait une croyance dans
la possibilité de régénération et de renaissance à travers des
valeurs
abstraItes
telles
structure dramatique
étapes dans
que
typique
la vie de
ou
(à
ou"-ertement
Une tendance vers
le
Bien.
l'origine des
capitalisme
et
Sa
scènes
le
ou
scènes du
l'allégorique
parvenait des pièces de moralité et enfin,
dénonçait
le
était une série de
l'homme
chemin de la cro LX) •
l'Amour
lui
l'expressionisme
marxisme
comme
étant, d'après Dukore, "l'affirmation de la haine de Mammon"
et "à l'origine du Mal" (141).
Le groupe le plus important en lettres et arts gravitait
autour de la revue "Der sturm" (L'Orage), fondée à Berlin en
1910 par Herwarth Walden (1878 - 1941).
Findlay,
D'après Brockett et
l'expressionisme fut un mouvement
"d'extrémisme et
d'extravagance qui aboutit dans le désillusionnement"
Les
auteurs
citent
le
passage
d'un
discours
(269).
typique
des
expressionistes, tel que l'exemplifie celui de Ludwig Rubiner:
Life has only moral purpose ..• We want to bring, for
one brief moment, intensity into human life.
We want
to arouse by means of heart-shaking assults, terrors,
threats,
the
indiv idual' s
awareness
of
his
responsibility in the community!
We do not want to
work because work is slow... progress does not exist
for us.
For us destroyer is a religious concept,
inseparable for us today from creator (271).
14
On peut convenir avec eux que l'expressionisme présente une
vision tragique et transcendante,
à
la fois
passionnée et
L'image prédominante est celle d'une
volubile.
emprisonnée dans un monde déshumanisé"
(273).
"humani té
Mentionnons
aussi que les récentes techniques en éclairage pendant les
années vingt, permettaient une forme de "chiaroscuro" théâtral
susceptible de favoriser une ambiance de rêverie ainsi qu'un
sentiment
de
l'abstraction
spatio-temporelle.
Le
résultat
était souvent rien d'autre qu'un indéterminisme regroupant des
masses sans visages, allusif d'un "nowhereland" ou d'une "lost
generation".
Bref, l'expressionisme représentait un dialogue
fragmentaire, elliptique et dissociatif avec le spectateur ou
le lecteur.
On
peut
donc
conclure
que
cette
tendance
vers
le
fantastique, l'emploi de costumes et de décors excentri.ques
font de l'expressionisme une esthétique de l'outrance.
Cette
outrance, en même temps formidable et angoissée, à notre avis,
fait
de
l'expressionisme,
une
variante
de
l'esthétique
gothique.
Dès les années trente, Brecht rejettera ouvertement ces
tendances,
comme il rejettera la dramaturgie individualiste
entièrement,
remontant
jusqu'au modèle
élisabéthain.
Les
éloges de Brecht à l'égard de ce dêrnier sont connus comme par
ailleurs le fait qu'il essayait d'adapter certaines de ses
conventions théâtrales dans ses écri ts théoriques.
{
En se
référant à des pièces de Shakespeare, Brecht écrivait dans ses
journaux et notes autobiographiques que l'intermédiare entre
15
spectateur et scène est "t'impatience de voir".
Il soutenait
que "plus précise est une fiqure dans les détails, plus mince
est
la
liaison avec
préférence
pour
"la
le spectateur"
généralisation
préconisant
du
donc
particulier".
typique est donc basilaire à la forme épique.
une
Le
La tentative
souhaitée par Brecht était de chercher un geste pouvant mettre
en
relief
r;on
penchant
pour
l'intensif
scénique:
son
orientation idéologique étant de "discuter" et de montrer un
processus ou "le moment où l'on enfonce son doigt dans sa
tempe", pour reprendre une "mage chère à Brecht.
Brecht est en faveur et se dit pour un théâtre du doute
lequel doit être associé à
la critique.
Dans L'Achat du
cuivre, qui présente des entretiens à quatre sur une nouvelle
manière
de
faire
du
Galilée, il procède
dramaturgiques.
à
Il
théâtre
inspiré
démystifier et
situe
la
à
des
"Dialogues"
de
redéfinir des notions
pratique théâtrale
un
Dans son exégèse,
rapport dynamique entre forme et contenu.
le rôle du dramaturge est de se mettre
dans
à
la disposition du
Philosophe et de s'engager à transformer le théâtre selon les
vues de celui-ci.
Adoptant
cette
forme
privilégiée
de
l'argumentation,
Brecht peut ainsi faire le point sur le théâtre bourgeois,
dénoncer ses 1 imi tes et ses présupposi tions et . ..,rocéder à
définir
une
théorie
nouvelle
caractérisée
par
la
non-
identification psychologique du spectateur.
C'est la visée de
l'effet de distanciation ou
Le but
l'effet-V.
principal
assigné dans ce théâtre à l'effet de distanciation, est celui
.
J
16
"d'historisation"
des
processus
bourgeois, d'après Brecht,
représentés.
à
théâtre
s'emploie à mettre en valeur ce
qu'il y a d'intemporel dans ses sujets.
l' homme s'en tient
Le
Sa représentation de
ce qu'on appelle "l'éternel humain".
La
fable (ou la trame) y est construite de façon à créer des
situations de vraisemblance, abstraction commode qui permet à
n'importe qui, de n' importe quel temps --mais est-ce vrai ?-de
s/exprime~·.
Le
"particulier", le "différent", peuvent être
pris en considération dans la question, la réponse est commune
à toutes les
questions, et ne contient rien de particul ier.
Même si cette manière de voir ne nie pas l'existence d'une
histoire,
elle
Brecht.
Un
n'en
certain
est
pas
moins
nombre de
ahistorique,
circonstances
soutient
extérieures
changent, les milieux varient, mais l 'homme, lui, ne change
pas.
Selon Brecht:
L'histoire concerne le milieu social, elle ne concerne
pas l'homme. Le milieu social perd ainsi curieusement
toute importance, on le considère un prétexte, c'est
une
donnée variable, quelque chose de curieusement
inhumain;
il
existe, à
proprement
parler,
indépendamment de l' homme, il se dresse en face de
l'homme, l'immuable à jamais, la donnée fixe, comme une
unité, un tout. La conception qui consiste à voir dans
1 'homme une variable du milieu et dans le milieu un~
variable de l 'homme (à dissoudre le milieu en un
ensemble de rapports entre individus), cette conception
est le fruit de la pensée historique, de la nouvelle
manière de penser (L'Achat du cuivre 150-51).
Et encore, pour Brecht, cette nouvelle dramaturgie doit être
"scientifique" ,
avec
ses moyens
propres,
et contribuer
à
l'accomplissement social qu'est l'intelligibilité de la vie.
(.
Pour le faire, le choix des sujets, mais aussi les techniques
17
dramatiques doivent être passés sous révision.
d'ailleuz~,
mur.
sur
Il convient,
de systématiquement abolir l'illusion du quatrième
comédien doit montrer "qu'il sait les regards dirigés
Le
lui":
autre
mesure
technique:
"l'artiste
s'observe
lui-même" (L'Achat du cuivre 142) •
Acte
empreint d'art et d'artifice,
ce comportement de
l'artiste qui s'observe lui-même comme un étranger empêche le
spectateur de s'envoûter totalement dans le
s'identifier
au
personnage
au
point
représenté,
d'oublier
sa
de
propre
personnalité, et il instaure une distance entre les processus
représentés et le spectateur.
tous
ses
entrer
mouvements
dans
la
observateur,
on
On ne censure pas pour autant
d'identification,
peau
du
comédien
mais
comme
entraine son attitude
en
dans
le
faisant
celle
d'un
de spectateur actif.
Alors le spectateur est amené à s'identifier au comédien qui
met
toute
son
énergie
à
se
métamorphoser
lui-même
aussi
complètement que possible en un autre type humain, celui du
rôle.
si la "métamorphose totale" est réussie, le comédien a
pour ainsi dire épuisé son art.
Une fois devenu le caissier,
le policier, le médecin ou le grand capitaine, il a aussi peu
besoin de
affirme
l'art
Brecht.
que ceux-ci en ont besoin
Le
comédien
devrait
"dans la
plutôt
vie",
s'efforcer à
développer ce que Stanislavski appelait la "creative mood" ou
1 'humeur
créatrice,
laquelle devrait
représentation (L'Achat du cuivre 142).
réapparaître à
chaque
Car enfin la création
du personnage est "intuitive", d'après stanislavski, et elle
se déroule au niveau du subconscient. Brecht,
contrairement,
18
(
affirme
qu'il
systématique
est
du
difficile
de
subconscient
mauvaise mémoire.
Ainsi
il
parvenir
qui
a,
s'oppose
si
une
à
l'on
~11
maîtrise
peut
dire,
"naturalisme"
que
Stanislavski prescrit pour les acteurs.
Brecht
entend
également
aristotélicienne
laquelle
d'identification.
Par
aristotélicienne,
ou
est
le
avec
la
tradition
fondée
sur
le
phénomène
biais
épique,
s'identifier aux personnages.
rompre
le
d'une
dramaturgie
spectateur
ne
peut
En d'autres termes,
nonplus
l'attitude
du spectateur devant les actes et les paroles des personnages,
son
adhésion
ou
son
refus,
ne
devraient
plus
relever
du
domaine du subconscient, mais bien de la lucidité et d'un sens
critique.
Le mode de
st yI istique
dans
aristotélicien.
jeu serait,
le
cadre
pour Brecht,
conceptuel
une affaire
du
théâtre
Car, selon les règles aristotéliciennes de la
composition dramatique et le mode de jeu qu'elles impliquent,
on donne au spectateur une fausse idée de la manière dont les
processus représentés à la scène se prOduisent et se déroulent
réellement.
On
encourage
cette
fausse
idée
l'exposé de la '':able forme un tout absolu.
peuvent pas être
conf~~ntés
du
fait
que
Les détails ne
séparément avec les événements qui
leur correspondent dans la réalité.
Le
mode
de
jeu
théâtral
particuliêr
distanciation rompt avec tout cela.
à
l'effet
de
Cet effet reproduit une
discontinui té dans le développement par rapport à la fable.
La force d'un tel mode de jeu est basée sur la comparaison
(
continuelle avec la réalité objective.
Le regard est attiré
19
-
sur
la
réalité
des
reproduits sur scène.
processus
grossissante,
sont
artistiquement
Il y a donc dépassement de l'idéalisme
ou de toute abstraction:
l'expressionisme.
qui
Brecht se situe aux antipodes de
théâtre
Le
minimisant
et
n'est
plus
banalisant
le
une
lentille
particulier.
L'action ne culmine plus dans une crise, mais se poursuit et
se prolonge; le drame enfin montre une métamorphose concrète
et spontanée.
Les écrits théoriques de Brecht sont caractérisés par la
volonté de restituer, au théâtre, la vie sociale non comme une
entité
organique
contradictoire,
et
mais
de
comme
donner
à
une
cette
vivante,
réalité
restitution
valeur
d'enseignement.
Il est totalement indifférent de savoir si l'objectif
principal du théâtre est d'offrir une connaissance de
l'univers, le fait demeure qu'il faut que le théâtre
donne des représentations de l'univers et que ces
représentations ne doivent pas induire en erreur (Petit
organon pour le théâtre 113).
Brecht
veut
composantes sont
déroulement
un
théâtre
où
plusieurs
présentes pour juxtaposer ou accentuer
dramaturgique:
commentaires,
collectif,
chants,
écriteaux,
le
musique,
effets d'éclairage, matériaux scéniques divers
qui peuvent parfois assumer une grande importance.
Il n'a
certainement pas la naiveté de croire qu'il s'agit seulement
de changer le contenu des oeuvres.
forme même de
-
Ce qui est en cause est la
la représentation théâtrale.
qu'il importe de changer.
C'est celle-ci
Le théâtre classique était celui
20
(
d'une société relativement stable; son public, tout au moins,
était
plus
Cela
homogène.
n'était
plus
le
cas
dans
l'Allemagne et dans l'Europe occidentale des années trente.
La matière première de la dramaturgie brechtienne, c'est
de montrer l'individu dans la société, notamment les rapports
que les hommes entretiennent entre eux.
Aussi, plutôt que de
reproduire les idées ou les sentiments des personnages, Brecht
s'attache-t-i1
opinions.
à
montrer
leurs
Donc
l'action
qui
comportements
résulte
de
ou
et
leurs
qui
forme
l'expérience intéresse davantage Brecht. Précisons: l'action
~<
J
sociale, historique.
A
la
notion
de
conflit,
Brecht
substitue celle de contradiction:
Tous les processus qui se produisent entre les hommes
seront étudiés, t2Yt devra être observé du point de vue
social. Pour sa critique de la société et sa relation
historique des transformations accomplies, un théâtre
nouveau aura besoin, entre autres effets, de l'effet de
distanciation (L'Achat du cuivre 153).
Le théatre traditionnellement ne permettait pas cette
notion; ainsi les conventions mêmes du théâtre individualiste
sont remises en question.
dans
Lecture de
Brecht,
Comme le souligne Bernard Dort,
au drame
clos
et
délimité
(qui
renvoit, symboliquement. à une situation plus large et qui en
exprime une vérité), l'action du théâtre épique substitue un
récit continu et
illimité.
langage, généralement
Les
événements
ainsi
que le
et intentionnellement désaccordés, ne
comportent pas de conclusion sur la scène.
Il est rare qu'une
pièce de Brecht se termine par la mort du protagoniste.
Mère
21
Courage, par exemple,
ne meurt pas en scène; elle continue,
elle repart exercer son commerce et, loin d'avoir résolu le
désaccord entre ce qu'elle voudrait être et ce qu'elle fait,
êlle est plus enfoncée que
Donc,
conclut
apaisement
Dort,
dans
définitif
rétablissement
d'un
jamais dans ses contradictions.
Lecture
ne
clôt
ordre
de Brecht,
l'oeuvre:
nouveau,
ni
nul
"fin"
n 'y
il
ou
a
ni
"réalisation
du
rationnel et du vrai en soi" (195).
Il
n'y
a
pas
(Brecht
veut
intentionnellement
cette
exclusion) un moment dramatique final, caractéristique de la
catharsis du théâtre bourqeois.
Ayant
plusieurs
à
reprises
mentionné
accordée par Brecht au terme "typique",
l'importance
voyons comme il
le
définit:
Historiquement siqnificatifs (typiques) sont des hommes
et des événements qui peuvent ne pas être les plus
fréquents en moyenne ou ceux qui frappent le plus les
yeux,
mais
dont
l'importance est
décisive
pour
l'évolution de la société. Le choix du typique doit se
faire
d'après
ce
qui
pour
nous
est
positif
(souhaitable) comme d'après ce qui est néqatif (non
souhaité) (Les Arts et la révolution 156-57).
Dans une certaine mesure cela inscrit
perspective
transformatrice,
qui
le théâtre dans une
reconnait
le
caractère
relatif et transitoire des phénomènes historiques objectifs.
Le
théâtre
brechtien
transpositions.
ce
qui
est
adopte
souvent
des
En chanqeant le cadre historique du présent,
conceptualisé
contradictoire
d'ailleurs
des
par
relations
le
et
personnaqe
des
actions.
est
l'élément
Ainsi,
les
22
(
rapports sociaux sont, esthétiquement, investis d'un caractère
à la fois combatif et transitoire.
Brecht écrit:
Nous avons besoin d'un théâtre qui ne permette pas
seulement les sensations, les aperçus et les impulsions
qu'autorise à chaque fois le champ historique des
relations humaines sur lequel les diverses actions se
déroulent, mais qui emploie et enqendre les idées et
les
sentiments
qui
jouent
un
rôle
dans
la
transformation du champ lui-même (Petit organon pour le
théâtre 49).
Au plan du personnaqe, son unité est constituée par la manière
dont ses
différen~
caractéristiques se contredisent. Brecht
n'aborde pas la question de style du lanqaqe directement dans
ses écrits
théoriques.
A quelques
reprises cependant
il
préconise le style comique; il se dit favorable à l'humour, à
un style direct sensible à produire le rire "pur" ou déniaisé.
Quant à
la question du point de vue,
d'après Brecht,
celui-ci devrait être opéré en dehors du théâtre.
a compris
l'essentiel
théorique de
Brecht,
Et si l'on
cela
devient
opérant par la technique de distanciation:
La technique de distanciation permet au théâtre de
mettre à
prof i t, pour
ses
reproductions,
la
méthode de la
nouvelle science de la société, la
dialectique matérialiste.
Cette méthode traite, pour
comprendre la mobilité de la société, les situations
sociales comme des procès et sui t ceux-ci à travers
leurs contradictions.
Pour elle, tout n'existe qu'en
se transformant, qu'en étant donc en désaccord avec
soi-même (Petit organon pour le théâtre 61).
(~
23
1Ot,
2;
V
il:
A maintes reprises la critique littéraire a soutenu
3.
que les pièces de Jean-Paul Sartre étaient conçues comme des
pièces à
projet
lecture.
politique
Elles seraient en fonction plut6t d'un
et
philosophique
que
comme
expériences
scéniques destinées à renouveler le théâtre de l'après-guerre.
En nous basant sur les écrits théoriques de Sartre, notamment
Un théâtre de situations et des sections de Qu'est-ce que la
littérature?, nous entendons démontrer que cette affirmation
est incomplète et limitative. En fait, Sartre s'est beaucoup
intéressé à des questions de théâtre comme le témoignent Ees
nombreuses interventions sous forme d'essais, de conférences,
d'articles
théâtrales.
de
presse
D'autre
et
de
part,
critiques
il
est
de
vrai
représentations
qu'il
affirmait
lui-même que son théâtre présentait plutôt des élaborations du
contenu et non des formes dramaturgiques.
Par ailleurs, il
n'a jamais nié que son théâtre aborde la question du choix et
de l'engagement poli tique. Une question qu'on peut alors se
poser:
jusqu'à
quelle
politique" de Sartre?
mesure
se
vouait
"l'engagement
Est-ce alors légitime d'affirmer que
son théâtre se veut avant tout théâtre pragmatique plutôt que
théâtre théorique?
Une première observation s'impose.
Sartre
est préoccupé par un théâtre dont l'action est entièrement
centré sur un événement.
Il
passe
sous observation les
tendances au théâtre et essaie d'en cerner les motivations
premières:
24
des drames écrits dans un style clair et tendu
à l'extrême, comportant un petit nombre de personnages
qui ne sont pas présentés pour leurs caractères
individuels mais précipités dans une situation qui les
oblige à faire un choix --voilà, en bref, le théâtre
austère, moral, mythique et rituel d'aspect qui a donné
naissance à de nouvelles pièces à Paris durant
l'occupation et spécialement depuis la fin de la guerre
(Un théâtre de situations 65).
(
D'après Sartre, ces pièces correspondaient aux besoins d'un
peuple épuisé mais exigeant, pour qui la Libération n'avait
pas signifié un retour à l'abondance et qui ne pouvait vivre
qu'avec la plus sévère économie.
Or, Sartre atteste qu'un défi majeur qui se présentait au
dramaturge de l'époque était celui de la "clientèle".
Il
reconna1t qu'un public de théâtre devait être reconstitué.
Ce
dernier,
étant
composé
d'éléments
très
divers,
avec
une
société qui devenait de plus en plus hétérogène, est d'une
indéniable importance.
par
le paroxysme
aussitôt.
de
Sartre se laisse un moment entrainer
la
réification,
mais
il
se
reprend
Pour revenir donc au dilemme de la constitution
d'un public pour le dramaturge, Sartre dit:
Il lui faut créer son pUblic, fondre tous ces éléments
disparates en une seule unité en éveillant au fond des
esprits les choses dont tous les hommes d'une époque et
d'une communauté données se soucient (Un théâtre de
situations 62).
On peut décerner là la problématique de
Il
faire participer le
spectateur au libre choix que 1 'homme fait" dans certaines
situations.
(
Cette problématique
n'est pas centrale à
dramaturgie individualiste que Sartre tente de renouveler.
la
25
-
Pour
Sartre,
l'écrivain
ou
le
dramaturge
doivent
"manifester" un engagement à la fois éthique et pOlitique: le
deuxième
étant
première.
pour
souvent
la
conséquence de
L'artiste doit être en quel4Ue sorte celui qui
"récupère le sens"
~es
mots, donc le sens de la réalité.
préoccupation
première
devient
alors
démystifier certains présupposés de son temps.
celle
structure de la société.
de
De tout temps,
il y a des mystifications fondamentales qui tiennent
mesure,
la
Car, pour lui, une politique sans éthique ou morale
serait vaine.
Sa
Sartre
la
à
L'ordre social, dans une certaine
repose sur la mystification de la conscience.
Il
suffit de penser au nazisme, au gaullisme, et antérieures
ceux-ci aux croisades du christianisme.
à
A l'époque de Sartre,
le communisme français d'après lui, en était un autre exemple.
si Sartre accorde au rôle
de l'écrivain
le devoir d'une
"critique totale" (Qu'est-ce gue la littérature? 348), c'est
que celle-ci a pour fondement la liberté créatrice.
Pour
Sartre, le rôle de l'écrivain dans l'immédiat après-guerre se
résume à être un participant critique aux événements sociohistoriques.
Il envisage alors un projet de reconstruction artistique,
mais "cela ne signifie pas que nous devions prendre à tâche,
ensemble ou
(349).
isolément,
de
trouver une idéologie
nouvelle"
D'ailleurs la situation politique en Europe en 1947, à
l'instar de la guerre froide, au moment où Sartre s'interroge
sur le rôle de l'écrivain, est nettement partagée entre les
deux
blocs
de
superstructures.
Dès
lors
ce
n'est
plus
26
(
vraiment le cas de choisir, mais d'inventer une issue.
contre, et Sartre se pose la question:
choisissant
entre
des
ensembles
Par
"est-ce vraiment en
donnés,
simplement
parce
qu'ils sont donnés, et en se rangeant du côté du plus fort,
que l'on fait l'histoire?" (353).
Sartre croit que l'agent historique est presque toujours
l' homme
qui,
confronté
un
à
dilemme ,
fait
parai tre
soudainement un troisième terme,
jusque-là invisible.
troisième option
sur plusieurs pla:ls,
est "à
faire"
Cette
mais
surtout sur le plan esthétique. Sartre a raison de prévoir
l'avènement d'une Europe social iste uni fiée, dont "un groupe
d'Etats à structure démocratique et collectiviste, se serait,
en attendant mieux, dessaisi d'une partie de sa souveraineté
au profit de l'ensemble"
(354).
La visée de ce processus de
déstabilisation serait de peut-être réussir ainsi
guerre.
assurerait
Au plan
enfin,
culturel,
des
circulation des idées.
fins
cette hypothèse
réalisables
à
éviter la
d'association
et permettrait
la
Cela ferait retrouver ou reconstituer
un public ayant pour base une idéologie socialiste.
27
Dans "Théâtre épique et théâtre dramatique" (cf. Yn
4.
théâtre de situations 104-151), originalement une conférence
donnée
par Sartre
à
la Sorbonne
en 1960,
l'auteur entend
signaler un mal inhérent au théâtre bourgeois dès ses débuts
au XIXe siècle.
de dissocier
Ce malaise Sartre l'attribue à son incapacité
les concepts
"image"
bourgeois, idéologiquement,
réalités des personnages.
des
actes
représentés sur scène.
Le théâtre
ne peut représenter des plans de
Car une des fins préconisée par le
théâtre de l'identification,
récupérer
et "objet".
du
selon Sartre,
pUblic
par
c'est de vouloir
"l'image"
des
actes
Pour Sartre:
Il n' y a pas d'autre image du théâtre que l'image de,
l'acte, et si l'on veut savoir ce que c'est que le
théâtre, il faut se demander ce que c'est qu'un acte,
parce que le théâtre représente l'acte et il ne peut
rien représenter d'autre (119).
Quant à l'idée de récupération, elle ne peut être autre que
l'ambition de "nous récupérer en tant que nous agissons et que
nous travaillons et que nous rencontrons des difficultés et
que nous
des
somm~s
règles
des hommes qui avons des règles, c'est-à-dire
pour
ces
actions"
proposition est étrangère,
(119).
Cependant
cette
sauf dans quelques exceptions
(Le
théâtre d'Adamov et de Camus par exemple), au théâtre français
des années cinquante.
pratique de l'empathie.
ce procédé.
Sartre ne s'oppose pas entièrement à la
Le théâtre individualiste a fait sien
Evidemment le théâtre bourgeois est subjectif,
parce que la bourgeoisie veut une représentation subjective
d'elle-même
qui
reprodui t
l'image
de
la
société
sur
-
---~
28
f
scène d'après sa propre idéologie.
A éviter comme sujets des
individus qui
se voient
groupes
jugements les
uns sur les
ou
des
qui
forment
autres car alors ce
serait
des
un
renversement de valeurs ou tout au moins une contestation.
Sartre, dans ce même exposé, s'interroge sur la question
de
l'action,
centrale
au
théâtre.
Normalement,
l'action
dramatique est le récit d'une action ou la "mise en drame"
d'une action de quelques individus ou d'un groupe entier.
Une
action implique que l'on veuille quelque chose et qu'il y ait
tentative de la réaliser.
voir ce processus.
Donc le théâtre devrait donner à
Quand il s'agit de ce genre d'action, tout
à l'intérieur est action.
Mis à part l'échec ou la réussite
finale, Sartre insiste que:
"à l'intérieur d'un vrai théâtre
d'action, rien ne peut exister qui ne soit donné par l'action"
(130) •
Quant au langage, Sartre maintient qu'il ne doit pas être
descriptif comme il ne doit pas être banalisé et accessoire à
l'action.
,~
Le langage est pour Sartre un moment de l'action,
ayant pour ainsi dire, un but actif. L'emploi du langage doit
viser à convaincre, à défendre ou à dénoncer: le langage doit
1
aussi manifester des décisions, avouer ou refuser,
(
mais il
devrait être simultané à l'action. Le langage ennuie, soutient
sartre, à partir du moment où il n'est plus en acte.
enfin conclut que le langage est
comme l'est
f
Il
irréversible" au théâtre
semble
être schématisation du
l'action.
Le théâtre pour Sartre
mouvement
Sartre
radical
de
l'action.
Une
vraie
action
est
~---
29
irréversible et se radicalise tout le temps; il est exclu de
vouloir revenir en arrière, il faut continuer.
Pour faire le
point
d'une
sur
la
dramatique,
question
de
la
contradiction
oeuvre
Sartre sOllligne la différence entre le théâtre
épique et le théâtre dramatique de la tragédie classique.
Sartre qui s'inspirait largement des classiques
grec~
établit
des liens de contraste avec le théâtre moderne. L'Antigone de
Sophocle, par exemple, représente une Antigone aux prises avec
un terme de la contradiction.
l'autre côté c'est la cité.
serait
impossible
de
D'un côté c'est la famille, de
De la perspective de Sartre il
présenter
un
personnage
qui
appartiendrait à une grande famille et serait attiré par la
formation de la cité, ou qui serait citoyen et aurait des
1iaistlns avec des grandes familles et qui, par conséquent,
Al' époque de la
serait dans une instance contradictoire.
tragédie
représentaient
les
poursuit-il,
classique,
chacun
une
forme,
une
personnages
seule,
et
ils
manifestaient un certain droit à la passion, dans la mesure où
ils étaient, en quelque sorte, indivisibles.
Dans un contexte
complexifié des rapports entre individu et société,
il y a
quantification et dédoublements de la contradiction ou d'une
passion.
d'action
Les enjeux augmentent avec le nombre. Le théâtre
revendiqué
par
Sartre
devrait
actions:
-
(1)
naissent des contradictions
(2)
les reflètent
(3)
en créent de nouvelles.
montrer
que
les
30
(
En d'autres termes, un homme ou un groupe n'agit que dans la
mesure où ce sont des contradictions internes qui sont le
moteur de
son action.
Ensuite,
affirme Sartre,
il
s'en
arrache et ces contradictions premières vont donner le sens
même de l'acte qu'il veut faire et de sa fin.
Mais d'un autre
côté, en s'en arrachant, il les rend transparentes.
Ce double
point de vue (dépasser vers un but mais évidemment continuer
en soi puis
élément.
retourner pour le
préciser),
est
un premier
Deuxièmement, cette action même qui, par conséquent,
nait de contradictions, doit être elle-même contradictoire.
Cela signifie qu'au fond,
il y en a plusieurs à la fois,
réunies ensemble et indissolubles parce que plusieurs éléments
insistent
à
la fois.
Sartre procède alors à une démonstration de cette notion
en prenant comme exemple Une Vie de Galilée de Brecht.
admet que Brecht réus'.dt
à
Sartre
faire dans cette pièce tout le
contrepoint des contradictions des personnages, mais d'aprèslui, Brecht a très rarement montré comment une action change
"aussi"
le
monde.
Cette
omission
chez
Brecht,
Sartre
l'accepte sur la prémisse du primat brechtien que l'homme vit
dans
un
monde
qui
ne
lui
demande
pas
Mégalomane ou simplement plus idéaliste,
Sartre ambitionne un autre théâtre.
d'être
changé.
plus totalitaire,
Pour lui,
le théâtre
devrait montrer que l'engagement politique et/ou moral enfin
change le monde, qlte d'une certaine façon, les choses ne sont
plus ce qu'elles étaient avant une action quelconque.
Il y a
changement, pour Sartre, en même temps que l'on se change.
31
Sartre, contrairement à Brecht, ne croit pas qu'il soit
nécessaire de supprimer la participation du spectateur. Il est
d'accord avec un théâtre démonstratif à mesure qu'il soit sûr
de ce qu'il démontre et il reproche au théâtre épique d'être
idéologiquement trop effacé.
D'après Sartre le théâtre épiyue
tel que l'entendait Brecht serait révolu:
"ça va très bien
dans une période où Brecht peut s'estimer porte-parole des
classes défavorisées et juge explicateur à ces classes-là de
ce que c'est que la bourgeoisie" (148).
Sartre affirme en outre que le cadre politique étant
sensiblement modifié, si Brecht devait parler de l'Allemagne
de l'Est, ct disons, dénoncer le& contradictions aussi de la
société
socialiste,
la
même
méthode
serait-elle
(supposition hypothétique privé de
sens,
Brecht n'aurait pu y répondre).
discours de Sartre fait
Le
en
efficace?
1960,
puisque
allusion à l'impossibilité de l'effet de distanciation.
Il
croit qu'en témoignant des contradictions "du dedans", Brecht
l'aurait fait. avec sympathie.
Cela l'amène à la conclusion
qu'il Y aurait alors une autre forme de théâtre:
qui
essaie
dramatique.
de
"comprendre",
c'est-à-dire,
un théâtre
le
théâtre
La différence entre l'''épique'' et le "dramatique"
serait donc la suivante:
"dans le dramatique, on peut essayer
de comprendre, mais dans l'épique, tel qu'on nous le présente
actuellement, on explique ce qu'on ne comprend pas" (149).
En
fait
l'épique
veut
foncièrement
montrer
la
méconnaissance ou "l'aveuglement" du personnage en même temps
que
celui-ci
crée
ce
qui
transformera
sa
condition.
On
32
abordera cette question de manière plus spécifique dans
chapitre
traitant
Théoriquement,
l'après-guerrE.,
la
pièce
Mère
"jeune
le
selon
Courage
ses
le
théâtre" ,
Sartre peut
et
oser une
enfaùts.
théâtre
de
opposition
pièces bourgeoises en unifiant plusieurs forces.
le
aux
Ce qui le
fait conclure:
Il n'y a pas de vraie opposition entre la forme
dramatique et la forme épique, sinon que l'une tire
vers la quasi-objectivité de l'objet, c'est-à-dire, de
l'homme,et va ainsi vers l'échec ( ••••.•• ), tandis que
l'autre, si on ne la corrigeait pas par un peu
d'objectivité, irait trop vers le côté de la sympathie,
de l' E infühl ung, et risquera i t de tomber du côté du
théâtre bourgeois (150).
Cette
affirmation,
subjectivité
signale
de
bien
la
part de
sensiblement
les
pratiques théâtrales.
la
considérons
qu'elle
ne
Sartre
soit
à
pas
exempte
l'égard de
cas-limites
des
deux
de
l'épique,
genres
de
Nous la relevons pour cette raison et
préalablement
comme
un
critère
relatif
à
l'évaluation de la problématique qui nous concerne.
Dans les chapitres suivants, nous examinerons comment les
notions théoriques que nous avons présentées se concrétisent
dans les pièces:
enfants.
ce
Les Mains
sales et Mère Courage et ses
Tout d'abord, il nous semble essentiel de préciser
qu'on
entend
d'intelligibilité
par
et
la
de
dialectique
compréhension
comme
d'une
procédé
pratique
esthétique.
(
Par dialectique,
systématisation ou
de
on entend couramment,
résolution
des
un processus de
contraires
dans
leur
,
t\
33
transformation d'une chose "autre", d'une autre réalité.
La
dialectique
de
consiste
premièrement
dans
une
définition d'une situation ou d'un état donné.
éclatement de cet état premier pour
méthode
Ensuite il y a
dialectique des
de',~enir
classes sociales et de réalités historiquement signifiantes.
Le déplacement ou l'écart entre des éléments contradictoires
produit une compréhension ou un changement de conscience chez
l'interlocuteur.
L'utilisation
d'une
logique
dialectique
décrit donc un processus de désintégration et de réintégration
d'un
système
de
valeurs
que
le
texte,
qui
formalisation pratique, implique ou explicite.
en
est
la
34
(.
CHAPITRE II
Etude de Les Mains sales
Nous avons,
dans le premier chapitre,
"situation" qui revient souvent dans
Dans
l'immédiat
après-guerre,
les
défini le terme
les écrits de Sartre.
options
présentaient sous forme dichotomique:
artistiques
se
soit l'art véhiculait
des valeurs d'un monde "absurde" (exemplifié par le théâtre de
Ionesco,
et
celui
d'Adamov
au
début
artistique, et le théâtre de Beckett),
l'engagement socio-politique de
(par exemple Camus, Sartre et
de
sa
production
soit l'art véhiculait
l'écrivain ou du dramaturge
le groupe de
rédacteurs des
Temps Modernes).
L'engagement,
contrairement
désespoir,
se
voulait
textes
la
littérature et
de
au désillusionnement et au
positiviste
du
et
réactionnaire.
théâtre engagés
Les
sont des
oeuvres de circonstances, suscitées et jalonnées de références
au présent ou au passé immédiat qui les détérmine.
Ces textes
semblent imposés par leur situation historique:
la récente
découverte de l'historicité dans la guerre, la responsabilité
de
l'écrivain
sous
l'Occupation,
son
rôle
premier
de
"témoigner" (comme disait Sartre) de son temps, de lui rendre
son
actual i té.
Médiateur,
dans un autre sens,
l' écr i va in
lorsqu'il
engagé
l' était
encore
servait de porte-parOle, non
35
,
plus pour dénoncer les injustices, les oppressions, mais pour
prêter sa voix à ceux qui ne l'élevaient pas, à la majorité
silencieuse parce qu'elle n'avait pas de langage.
qui
aujourd'hui
parait
un
lieu
commun,
a
l'originalité de la revue Les Temps Modernes.
de
la
revue
devait
contenir
autobiographique anonyme,
des
Cette idée,
contribué
à
Chaque numéro
témoignages,
un
récit
ou signé par des citoyens voulant
expr imer un po int de vue sur l' actual i té.
Mais ces textes
étaient presque toujours réécrits par un des membres de la
rédaction 1 .
Le
théâtre --et la représentation théâtrale davantage--
est une
réalités
pratique
et
en
culturelle
même
temps
privilégiée
évoque
qui
le
préservation ou le changement de celles-ci.
"montre"
des
dépassement,
la
Les réalités sont
présentées par une situation ou des situations où des agents
(groupes
ou
individus)
sont
en
conflit
(individuel
ou
collectif) •
Avec Les Mains sales, le contexte de la situation choisi
par Jean-Paul Sartre est celui d'une collectivité cherchant à
se libérer de l'oppression qui pèse sur elle:
prolétarienne qui
servira,
ici,
c'est la classe
de cadre historique
à
la
pièce.
Le conflit présenté est simple,
tout au moins en
aperçu:
Hoederer, leader du Parti prolétarien, est convaincu
d'une entente à réaliser avec les autres partis politiques de
la France contre l'occupant éventuel.
du Parti,
au comité central
Les autres dirigeants
(toute liaison avec L'U.R.S.S.
ayant été coupée) ignorent la ligne marquante de la politique
36
(
de l'ensemble du Parti prolétarien et redoutent l'initiative
de
Hoederer
Parti.
comme
contraire aux
finalités
idéologiques
du
On décide donc de supprimer Hoederer, et c'est Hugo,
jeune intellectuel venu au communisme après avoir renié ses
origines bourgeoises,
qui sera désigné pour accomplir cette
fonction.
La pièce a pour référent des faits historiques dont le
public
de
1948,
L'Illyrie,
notamment,
pays
ressemblait
où
se
fortement
à
comprenait
passe
la
bien
l'action
Hongrie.
des
1944.
Quand
mouvement
d'abord
de
l'occupation allemande
l'occupation
résistance.
légalisé
se
produisit,
Le
Régent
l'Occupation,
Mains
sales,
Historiquement,
participant à la lutte contre L'U.R.S.S.,
épargnait au pays
l'actualité.
l'armée hongroise
jusqu'en début de
elle
suscita
Horthy,
s'apprêta
en
à
après
un
avoir
conclure
un
armistice avec les Russes en octobre 1944, tandis que la Ile
armée hongroise passa aux Russes.
En
l'armée
1945,
le
rouge,
parti
se
communiste
reconstitua,
hongrois,
forma
favorisé
avec
les
par
partis
socialiste et agrarien (ou parti des petits propriétaires) une
coalition appelée
Front national
d'indépendance.
Mais
aux
élections de novembre 1945, le parti communiste obtint peu de
voix.
Aux élections d'août 1947, le P.C. obtint plus de voix,
il resta donc minoritaire, mais la coalition qu'il dirigea en
avait la majorité.
(~
voie de réalisation.
A partir de 1948, le socialisme était en
37
-
Dès le début de la pièce, la situation de Hugo, nouveau
membre volontaire du Parti prolétarien, est une situation en
suspens.
Dans la chambre d'olga,
sa camarade, Hugo Barine
"qui fait le journal", se sent coupé des hommes, réduit à la
fluidité de l'être. Il voudrait "agir" de façon plus directe
et matérialiste; possiblement, même, risquer de "se salir les
mains", en passant de l'idéologie creuse à la praxis. Son nom
d'ailleurs lui va mal:
temps des tsars.
un "barine" était un seigneur russe au
Quant au nom de guerre de Raskolnikoff,
choisi par Hugo, c'est celui du héros de Crime et Châtiment de
Dostoïevski.
Malgré les différences considérables entre le
héros russe et celui de Sartre, on est frappé par plus d'une
analogie.
"Raskol"
en
russe,
signifie
"schisme",
et
un
raskolnik est un rebelle, un insurgé, un homme "séparé".
Le
premier acte d'engagement au Parti était pour Hugo, un
acte de pure réflexion, un acte intellectuel.
Fils unique
d'une famille d'aristocrates, il a choisi, par principe, de
passer au mouvement communiste.
"J'ai déjà quitté ma famille
et ma classe", dit-il, "le jour où j'ai compris ce que c'était
que l'oppression,,2.
Le trait essentiel du personnage central
de Jean-Paul Sartre est d'être un homme de tête:
son approche
du monde et des hommes demeure une approche intellectuelle.
Hugo n'a jamais vécu les problèmes de ses camarades: il les a
pensés. De là, ce sentiment constant de l'irréalité de son
être
qui
Hoederer.
s'oppose
et contraste
nettement
la
présence
de
38
(
Intellectuelle aussi
demande qu'il fait à Olga:
rappelons
sera sa réaction:
la
"convaincre Louis qu'il me fasse
faire de l'action directe" (Les Mains sales 44).
Et lorsque
Louis lui proposera de devenir le secrétaire de Hoederer pour
surveiller la maison et favoriser l'entrée de trois camarades
qui devraient tuer Hoederer, comment ne pas se suprendre de
cette réaction?:
Hugo ---
C'est donc ça? Ce n'est que ça?
tu me juges capable?
Voilà ce dont
Louis --- Tu n'es pas d'accord?
Hugo ---
Non.
Pas du tout: je ne veux pas faire
le mouton. On a des manières, nous autres. Un
intellectuel anarchiste n'accepte pas n'importe
quelle besogne.
Olga
Hugo!
Hugo
Mais voici ce que je propose:
pas besoin de
liaison, ni d'espionnage. Je ferai l'affaire
moi-même (52).
Le mal dont Hugo est affecté, c'est de ne pas être capable de
se prendre au sérieux, de ne pas être capable de se sentir
adulte dans l'application de la praxis quotidienne.
Passif et
pensif, Hugo, se reconnait comme tel puisqu'il dit: "j'en ai
assez d'écrire pendant que les copains se font tuer" (44).
se
propose,
par
compensation,
impl ique deux choses:
des
tout d'abord,
actes
extrêmes.
Il
Ceci
que celui qui souffre
d'être irréalisé, ressent ce besoin d'affirmer sa réalité en
se faisant saisir d'un seul coup par le destin le plus lourd
(~
ou par l'action la plus difficile et ensuite que, se sentant
39
~.
iJ.
rejeté par les autres, Hugo imagine les comportements les plus
spectaculaires, dans sa hâte de se faire reconnaître par eux.
Louis accepte sa demande.
Avec les mots de Hugo:
"compter
pour autrui" se termine le second tableau du premier acte.
Initialement,
ce
choix
de
s'engager
trouve
sa
justification dans le fait d'avoir compris (cérébralement et
non empiriquement) ce que c'était que l'oppression. Pourtant,
c'est cet aspect "intellectuel" qu'il cherchera à nier dès sa
première rencontre avec Hoederer.
rencontre:
"mais
je lui
A Jessica, il dira après la
ai bien fait
comprendre que
je
n'étais pas un intellectuel" (61-62).
Pièce
d'après
~
Sartre,
la
politique
Les
Mains
et
non
sales,
pas
plus
pièce
que
politique,
d'aborder
la
question de la révolte individuelle, implique les personnages
dans une révolution.
Or toute révolution, avant de se penser,
commence par se vivre.
Hugo, d'origine bourgeoise (il a son
doctorat et traine dans les valises des photos d'enfance) se
défend
de
cet
intellectualisme,
parce
que
précisément
l'intellectualisme l'empêche de devenir un homme parmi les
autres.
Entendons-nous qu'il s'agit ici,
tout, d'une vision sartrienne du monde.
d'abord et avant
C'est par son choix
d'entrer au Parti que Hugo est appellé à donner une réalité au
mot "homme".
Ayant opté pour la classe prolétarienne contre
la classe aristocratique,
parmi d'autres prolétaires.
il a choisi d'être un prolétaire
Les Mains sales précise ce point:
le prolétariat, en soi, n'existe pas concrètement:
que des prolétaires.
n'existent
40
(
En conséquence, on ne travaille pas pour le prolétariat,
mais pour et avec des prolétaires qui le composent.
Hugo ne
se sent pas homme prolétaire parce qu'il n'a pas encore réussi
à n'être plus en question pour lui-même,
Se défendre d'être un intellectuel,
choix
(intellectuel)
d'accéder
activement jour après jour.
à devenir objectif.
c'est vouloir abolir ce
au
Parti,
pour
s'engager
Le désir de mettre en action ce
choix est résumé dans la phrase:
Hugo ---
Mais je lui ai bien fait comprendre que je
n'étais pas un
intellectuel et
que je ne
rougissais pas de faire un travail de copiste
et
que
je mettais mon point d' honneur dans
l'obéissance et la discipline la plus stricte
(61-62) •
Un "point d'honneur dans l'obéissance et la discipline la plus
stricte" pour tenter de transcender le subjectif d'une morale
individualiste passant par la dénégation de ses valeurs et des
mérites "hérités".
Le conflit émerge alors que Hugo est incapable de cet
oubli dans l'engagement politique qu'il a choisi.
ait
quitté
le
milieu
bourgeois,
il
Bien qu'il
demeure
cependant
prisonnier des catégories de la culture de ce milieu.
Hugo
qui joue au dur, Hugo le révolutionnaire, se révèle un enfant
face à
Hoederer.
Hugo dit
à
(~
pois"
Parlant de Hoederer à
sa femme,
Jessica,
qu'il est "vulgaire --parce qu'il porte une cravate
(63) •
Voilà
alors
ce
caractéristique de l'âge de l'enfance.
manque
de
sérieux,
Cette enfance propre,
Hugo n'a jamais su l'oublier complètement.
Il a quitté son
41
milieu, par idéalisme, mais il n'a jamais consenti à déchirer
les photographies de sa jeunesse.
Là est bien tout le mal dont souffre Hugo:
d'une
part,
exclu d'un
monde
bourgeois
truquées lui sont devenues odieuses:
il s'est vu,
dont
les
valeurs
et simultanément, il est
venu au monde prolétarien. Ce déplacement à la fois moral et
politique crée cette "crise" qui aboutit dans le sentiment
d'irréalité et ultimement dans le suicide.
Ne sachant se
réclamer d'une collectivité détérminée, il doit supporter ce
manque de sérieux auquel le condamne cette "bâtardise".
Un
signe indéniable, nous le répétons (Sartre y fait référence à
trois reprises dans la pièce):
que Hugo
emmène avec
ces photographies d'enfance
lui rappellent
souvent son
origine,
origine qu'il a reniée intellectuellement, non de fait! (C'est
pourquoi il ne peut s'en défaire:
qu'il le veuille ou non, il
doit reconnaître dans cet enfant celui qu'il fut jadis).
la sui te,
étant venu aux hommes,
Parti qu'intellectuellement.
fut qu'un "geste":
Par
il n'est encore entré au
Aux yeux des autres, cet acte ne
d'après Georges et Slick, prototypes des
hommes prolétaires:
Hoederer ---
Dites-lui donc ce qu'il faut qu'il fasse.
Slick! Que lui demandes-tu? Qu'il se
coupe une main? Qu'il se crève un oeil?
Qu'il t'offre sa femme? Quel prix doit-il
payer pour que vous lui pardonniez?
Slick ---
Je n'ai rien à lui pardonner.
Hoederer ---
si:
d'être entré au
Parti
être poussé par la misère.
sans
y
42
On ne lui reproche pas. Seulement il y a
lui,
c'est un
un monde entre nous:
il y est entré parce qu'il
amateur,
trouvait ça bien, pour faire un geste.
Nous on ne pouvai t pas faire autrement
Georges ---
(
(93) •
Le geste,
dans l'épistémologie de Sartre, est une atti tude
extérieure, une comédie qu'on joue pour les autres et pour
soi-même.
La comédie dans
Les Mains sales, notamment dans la
relation conjugale Hugo/Jessica, est un élément constant. Le
geste doit donc être associé à la problématique du "paraitre".
Dans le meilleur des cas, le geste se transformera en "être",
soi t
en acte authentique.
échoue,
Or le crime politique de Hugo
car d'après les situations qui donnent lieu à
réalisation,
il ne s'intègre pas
à
sa
l'acte, un acte extrême
qui, théoriquement, pourrait le libérer.
En fait, au moment
où Hugo accomplit "la besogne politique" de tuer Hoederer, il
le fait par hasard,
le type même de l'acte non voulu,
paradoxalement, dans le développement
que
les autres
~ramatique,
voudraient faire passer pour authentique.
Dans la scène IV du troisième tableau, Hugo explique à
Hoederer qu'il "est dans le Parti pour s'oublier".
Ce à quoi
son interlocuteur répond sardoniquement:
Hoederer ---
(
Et tu te rappelles à chaque minute qu'il
faut que tu t'oublies. Enfin! Chacun se
débrouille comme il peut.
(Il lui rend
les photos.) Cache-les bien (106).
Cela rappelle le "cercle pirandellien" où "réalité" et
"miroir" miment à
tour de rôle
leurs vérités
respectives.
43
Dans cette optique,
il est alors
impossible pour Hugo de
s'oublier, car ce "je" qui se rappelle n'est pas différent du
"je"
qu'il
faut oublier.
Penser
l
s'oublier --c'est
au
contraire, un perpétuel retour en arrière, un état en suspens
de l'existence.
Mais Hugo, qui pense à chaque instant qu'il
faut s'OUblier, s'enlise et trimbale tout son passé dans une
valise.
De plus, à son insu et malgré lui, il accorde valeur
à ce passé. Au moment de la fouille
IV) Hugo réussit mal
à
(troisième tableau, scène
dissimuler son mépris de Georges et de
Slick:
Ces
Hoederer ---
Les voilà donc, ces affaires strictement
personnelles. Tu avais peur qu'ilS ne les
trouvent.
Hugo ---
S'ils avaient mis dessus leurs sales
pattes, s'ils avaient ricané en les
regardant, je •••
Hoederer ---
Eh bien, le mystère est éclairci.
Voilà
ce que c'est que de porter le crime sur sa
figure: j'aurais juré que tu cachais au
moins une grenade (105-106).
paroles
"situation".
sont
celles
d'un
homme
qui
n'est
Hugo n'a pas encore rejeté son passé:
pas
en
ce qu'il
pense, enfin, c'est que son entrée au Parti le transformera.
Hugo se trouve alors positionné dans l'irréel.
Car, irréelle
est sa position auprès de ceux qu'il a choisis
(Olga/Louis),
mais irréelle aussi sera cette valeur accordée au monde de son
enfance.
Enfin, Hugo a rejeté non pas lui-même, Hugo-enfant,
mais la classe sociale dont il est issu et les valeurs de
44
(
Hugo dira de l'enfance:
celle-ci.
(Il rit.)
bourgeoise.
(132) •
"elle est une maladie
Il Y en a beaucoup qui en meurent"
En suspens entre les deux mondes de l'enfance et de
l'âge adulte, Hugo finalement souffre de ce manque de réalité
qu'il ne parvient pas à dissimuler à sa femme, après la visite
de Hoederer:
Jessica ---
Tu as eu bien peur.
Hugo ---
Tout à l'heure?
Non.
Je n'y croyais
pas.
Je les regardais fouiller et je me
disais:
"Nous jouons la comédie".
Rien
ne me semble jamais tout à fait vrai
(109) •
Hoederer, pour Jessica comme pour le lecteur ou le spectateur,
représente l'homme consistant et détérminé.
SUbstantiel,
il
est le contraire de Hugo, qui confond le "geste" avec l'action
politique.
Une attraction pour la
théâtr~lité
de laquelle le
révolutionnaire Hugo ne parviendra pas à se défaire, l'oppose
à Hoederer, l'être en contrôle de lui-même, de ses idées et de
son action politique.
solutions
de
assassinats.
violence:
Hoederer semble avoir horreur des
répressions,
dictatures
Il n'est pas un idéologue arrogant:
ou
il dit
aimer les hommes et la réalité de la société la plus humble.
Nous avons défini l'acte de Hugo comme un acte extrême,
proposé comme compensation par un "lâche" qui se reconnait
(
comme tel
et dont le but est de se dépasser et/ou de se
réaliser.
Or, l'acte qu'il doit accomplir, aussi "héroique"
soit-il, aussi longtemps qu'il ne demeure qu'un acte idéalisé,
conserve son caractère d'irréalité pour Hugo: "Bon Dieu, quand
45
-0
j
on va tuer un homme, on devrait se sentir lourd comme une
pierre" (111).
Se sentir lourd comme une pierre, c'est-à-dire
pouvoir s'assurer de soi, devenir objectif.
Mais Hugo ajoute
aussi, et c'est ce qui définit son malaise:
avoir un
silence dans
silence, en effet:
dédoublement
(la
ma tête.
Du
"Il devrait y
silence!"
(111).
Du
il voudrait supprimer en lui ce pouvoir de
réflexion)
qui
l'obsède
et
ne
cesse de
contester et de dissoudre ses sentiments, ses projets.
L'impasse d'une conscience petite bourgeoise à la Hugo
est donné comme un cercle vicieux:
voulant se délivrer de la
pensée réflexive, il attend ce pouvoir d'un acte qui n'est que
rêve.
Seule l'action le libérerait de cette "décadence", mal
qui précisément rend le sujet incapable d'agir objectivement.
Aussi est-il obligé, pour croire en son acte, de se répéter
trois fois:
le tuer!"
"C'est vrai, c'est vrai, c'est vrai que je vais
Mais ce futur, "je vais", laisse toute sa place à
l'irréelle éventualité.
Le
jeune homme ajoute:
"Quelle
comédie!", et la parole de Jessica, "tu joues mal ton rôle"
(111), sur qu:>i se clôt la scène V du troisième tableau, ne
saurait, ici encore, être plus exacte.
Dans l'esthétique de Sartre, le dramatique est lié à une
tension, à une dialectique des actions:
46
La situation est un appel; elle nous cerne; elle nous
propose des solutions, à nous de décider.
Et pour que
la
décision
soit
profondément
humaine,
pour qu'elle mette en jeu la totalité de l'homme, à
chaque fois il faut porter à la scène des situations
limites, c'est-à-dire qui présentent des alternatives
dont la mort est l'un des termes (Un théâtre de
situations 20).
Ainsi, et c'est le point capital de la vision de Sartre:
"la
liberté se découvre à son plus haut degré puisqu'elle accepte
de se perdre pour pouvoir s'affirmer" (20).
Nous avons déj à
affirmé que d'après Jean-Paul Sartre le théâtre a la capacité
"d'émouvoir" dans la mesure où il montre un caractère en train
de se faire, soit, le moment du choix.
se
posaient
journ~listes
d'ailleurs
grand
nombre
Alors la question que
d'intellectuels
et
contemporains de Sartre, à savoir qui --Hoederer
ou Hugo-- présentait un intérêt majeur pour le public, semble
une question aléatoire.
De toute évidence celui qui engage
davantage sa morale et sa vie est bien le personnage de Hugo.
Quant
au
rôle
de
Hoederer
dans
Les
Mains
sales,
nous
y
reviendrons.
La
structure
de
la
pièce,
structure
enchâssée,
indéniablement centrée autour du personnage Hugo.
est
C'est bien
ce que remarquait Paolo Caruso, traducteur de la Critique de
la Raison dialectique lorsque,
1964, il déclarait:
s'entretenant avec Sartre en
47
La pièce elle-même est construite de façon telle que,
par
nécessité
interne,
elle
conduit
le
public
~ s'identifier avec Hugo.
Non pas ~ "sympathü,er" avec
lui, et encore moins à lui donner raison ( .••• ),
d'adhérer de quelque façon à son drame et de ressentir
ses contradictions, tout en éprouvant de l'antipathie
pour le personnage. ( ••.• ) car Hugo n'était que l'arme
du crime; ce qui compte plutôt, c'est le sens que lui
donnaient les dirigeants, ceux qui ensuite ont remplacé
Hoederer au pouvoir.
Ce
sens est désormais
indissociable de la mort de Hoederer.
Le changer est
une falsification, et le public condamne non pas Hugo
qui veut l'empêcher, mais les autres qui veulent la
perpétrer (Un théâtre de situations 258).
On sait que Sartre fut
accusé d'anticommunisme; peut-être,
il dit dans ce même entretien, parce que Les Mains sales
com~e
rappelait le cas analogue à celui de Hoederer:
Homme politique
le cas Doriot.
français des années trente, Doriot voulait un
rapprochement du P.C. avec les sociaux-démocrates,
cette raison il fut exclu du parti.
et pour
Un an après, pour éviter
que la situation politique ne dégénère en fascisme et en se
basant
sur
le
P.C.
indiqué,
mais
sans
pourtant reconnaître que celui-ci avait raison;
et
il a
parcourait
des
directives
le chemin que
soviétiques
Doriot avait
précises,
établi les bases du Front populaire en 1936 (Un théâtre de
Ce
qui
intéresse
Sartre,
situations
256-58).
montrer,
travers une pratique artistique,
à
c'est
de
la dialectique
d'une situation spécifique et, par surcroît, historique.
Revenons un instant à la structure enchâssée de la pièce.
Divisée en sept tableaux,
schématiquement, on peut, dol'après
son organisation spatio-agentielle, la représenter de la façon
suivante:
48
(
Tableau l
Tableau VII
1945:
Hugo acceptera-t-il la récupération
première
question:
-tentée par Olga?
-tentée par Olga?
1943:
deuxième
question:
Hugo pourra-t-il par l'acte
d'éliminer Hoederer, accéder
à l'Age adulte?
Tableau II à Tableau VI
Par le procédé du retour en arrière, Les Mains sales développe
les contingences (Tableau II à Tableau VI) de l'acte politique
et le met en perspective dans le dernier tableau. Bagot et
Kail dans Jean-Paul Sartre:
Les Mains sales, soulignent que
cette deuxième question n'est pas résolue par le coup de
revolver du tableau VI
(41-42).
Cette question,
notamment
dans la seconde proposition "accéder à l'âge adulte", reste
deux ans sans réponse.
Hugo,
au sortant de deux ans de
prison, refuse la récupération tentée par Olga.
meurtre de Hoederer un sens politigue,
Il donne au
non pas de "geste
passionnel" et revit en quelque sorte un assassinat dont la
contingence
lui avait
échappée
antérieurement.
En
tuant
Hoederer "pour de vrai" (non par hasard) Hugo s'empa]:e de son
(~
geste,
lui
authentique.
donne
consciemment
un
sens
"héroïque"
et
Mais cela n'a plus de valeur que pour lui:
le
49
"non récupérable" final est enfin conforme à la linéarité de
Hugo qui ne comprend rien à
fins.
la question des moyens et des
Hugo demeure un individualiste "englué":
c'est une des
réalités que la pièce met en évidence.
A l'encontre de la morale individualiste, typifiée par
Hugo, lequel ne se préoccupe que de sa valeur propre et de ses
mérites ("Si on me remplace, je quitterai le Parti", dit-il).
A l'encontre de ce raisonnement d'intellectuel utopique, Olga,
communiste véritable, défend une morale de l'efficacité:
Olga ---
Ce n'est rien de mourir.
Mais mourir
si bêtement, après avoir tout raté;
se faire
buter comme une donneuse, pis encore comme un
petit imbécile dont on se débarasse par crainte
de ses maladresses (168).
Pragmatique, réaliste, elle sait que la cause prime sur la
personne.
L'individu doit renier, dans l'intérêt de la cause,
l'orgueilleux
souci
justifie à Hugo:
le Parti n'a
d'héroïsme.
fait.
de se
mettre
à
l'épreuve.
Elle
le
"Mais nous ne sommes pas des boy-scouts et
pas été créé pour te fournir des
occasions
Il y a un travail à faire et il faut qu'il soit
Peu importe par qui" ( 168) •
détérminisme de
la
ligne du
Parti,
Son discours s'aligne au
détérminisme
farouche,
parfois excédant dans le dogmatisme.
Contrairement
énigmatique;
Hugo.
à
olga,
Jessica
demeure
un
personnage
elle est à la fois complice et adversaire de
Dû au fait qu'on ait "décidé pour elle",
épouse malgré elle.
elle est
Tout laisse à supposer que ce mariage
insubstantiel ne l'implique pas en tant que femme:
tout au
50
plus c'est une comédie enjouée.
de mots
tels
que
"petite
Si l'on regarde la répétition
abeille"
ou
"louve",
dits
par
Jessica, on constate qu'ils soulignent l'envergure affective
de
Jessica
contraire
Cependant,
pour Hugo.
de
la
"saleté" ,
par
le
Jessica,
qui
maniement
de
est
le
l'ironie
affectueuse ou de la caricature décapante, se montre capable
Par moments,
d'autonomie.
fouille
et
de
la visite
sa ruse subversive (lors de la
de
Hoederer)
l'embarras et indique qu'elle peut,
tire
son
mari
de
en toute lucidité,
se
distancier de la comédie familiale et politique dans laquelle
on l'a installée:
Pourquoi ne m'a-t-on rien appris? Tu as
entendu ce qu'il a dit?
Que j'étais ton
luxe. ( •••• ) Je ne veux pas choisir: je
ne veux pas que tu te laisses tuer, je ne
veux pas que tu te tues. Pourquoi m'a-t-on
mis ce fardeau sur les épaules?
Je ne
connais rien à vos histoires et je m'en
lave les mains. Je ne suis ni oppresseur,
ni social-traitre, ni révolutionnaire, je
n'ai rien fait, je suis innocente de tout
Jessica ---
(178-79).
En outre, le ton d'intimité et de connivence que les surnoms
établissent dans la relation de Hugo et de Jessica indiquent
qu'elle est autre chose qu'un "obstacle" ou qu'une "suffisance
à
domicile"
Hoederer)
(d'après Olga)
un
développement
solitaire que
instrument
de
la
et dans un autre sens
de
pièce).
son mari,
dont
la
Moins
contingence
narcissique
le réalisme
(d'après
(pour
le
et moins
de l'engagement
politique s'anéantit par la visée de tout faire coïncider avec
51
--
lui-même, Jessica représente, pour emprunter l'expression de
Bagot et
(85) .
Kail,
"l'unification possible de
la temporalité"
Quant à Hoederer, il serait "l'unification réussie de
la temporalité" (85).
Ayant "dépassé" l'idéalisme, il adopte
d'emblée une attitude réaliste vis-à-vis les hommes:
qu'il
les
aime,
cependant:
il
leur fait
confiance.
Pas
parce
naïvement,
tacticien, Hoederer maintient que la fin justifie
les moyens, à l'inverse de son secrétaire Hugo et davantage à
l'inverse du groupe de Louis.
convient
parfois
compromis.
de
mentir
Hoederer est de l'avis qu'il
aux troupes et
Soucieux de l'efficacité, il veut amener le parti
prolétarien au pouvoir, tôt ou tard.
doit tenir compte des
cette fin.
absolue
d'accepter un
En tant que leader, il
meilleures stratégies pour
réaliser
A différence de Hugo qui croit détenir la vérité
(corollaire
d'un
idéal
abstrait),
Hoederer
est
conscient de choisir la solution pratique qui a le plus de
chance de réussir.
qui
est
En plus, il estime (contrairement
un adepte
du
manichéisme)
que
toute
à Hugo
morale
est
impossible parce qu'on est obligé, empiriquement, d'avoir "les
mains sales".
A
la morale de l'être, à la morale du Bien,
Hoederer substitue une éthique de la praxis, du relatif, du
travail qu'il y a à
faire pour le moment.
s'il décide de
conclure une alliance avec d'autres partis, ce n'est pas pour
des
raisons de
principe,
mais
par
opportunité.
Dans
la
logique interne de la pièce, tout comme dans le développement
structurel, il aura raison.
52
De plus, Hoederer est le seul à avoir deviné le mal de
Hugo,
le seul qui a compris les symptômes de sa mauvaise
conscience et,
paradoxalement, celui qui aurait pu l'aider
(mais il est tué par Huqo) et qui, de son vivant, l'aide (mais
à quoi bon puisque cela aboutit à l'anéantissement total,
au
suicide de Hugo?).
Dans les pages qui suivent,
nous essayerons de suivre
l'aboutissement "libérateur" de Hugo par l' intérmédiaire de
Hoederer.
Une première fois, Hoederer va faire un pas vers
lui:
Hugo ---
Des fois, je donnerais ma main à couper
pour devenir tout de sui te un homme et
d'autre fois il me semble que je ne
voudrais pas survivre à ma jeunesse.
Hoederer ---
Je ne sais pas ce que c'est.
(
... )
Hugo ---
Hein?
Hoederer
( ••• ) Veux-tu que je t'aide?
Hugo, dans un sursaut.
Pas vous! (Il se reprend très
Personne ne peut m'aider (133).
C'est
un moment
important
totalement opposées.
Les
traduisent cette opposition.
qui
rapproche
deux
vite.)
consciences
indications textuelles/scéniques
D'une part il y a Hugo qui n'a
connu que la jeunesse et d'autre part Hoederer qui, lui, est
passé directement de l'enfance a l ' âge adulte.
Hoederer n'a
jamais eu à choisir d'une façon idéale la vie, il n'a jamais
eu à choisir de devenir un homme, ayant été forcé, très tôt,
53
de l'être.
mais par
adulte,
Il fut adulte non pas par principe ou par choix,
obligation.
Et
s'il
est
demeuré
si
totalement
c'est que sa situation ne fut jamais faussée, qu'il
est réellement engagé dans une action et non dans la défense
d'un principe.
souligne
Cette distance entre lui et cet homme, Hugo la
bien
antérieurement)
(nous
l'avons
déjà
d'ailleurs
signalée
lorsqu'il s'exclame avec une ironie nerveuse:
"oui, c'est une maladie bourgeoise.
Il y en a beaucoup qui en
meurent" (132).
De cette ironie, Hoederer n'est pas dupe.
les
motivations
toutes
individualistes
pour
Il a compris
lesquelles
le
jeune homme s'oppose a lui:
Hoederer ---
De notre Parti?
Mais on y a toujours
un peu menti.
Comme partout ailleurs.
Et toi, Hugo, tu es sûr que tu ne t'es
jamais menti, que tu ne te mens pas à
cette minute-même?
(
..
n
.... )
Hugo ---
Tous les moyens ne sont pas bons.
Hoederer
Tous les moyens
sont efficaces.
Hoederer
Comme tu tiens à ta pureté, mon petit
gars!
Comme tu as peur de te salir les
mains.
Eh bien, reste pur!
A qui cela
servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi
nous?
La pureté,
c'est une idée de
fakir et de
moine.
Vous
autres, les
intellecteuls, les anarchistes
bourgeois,
vous en tirez prétexte pour ne rien faire.
Ne rien faire, rester immobile, serrer les
coudes contre le corps, porter des gants.
Moi, j'ai les mains sales.
(
....
)
sont
bons
quand
ils
54
(~
Hoederer ---
Alors
pourquoi es-tu
on n'aime pas les hommes
lutter pour eux.
chez
nous? si
on ne peut pas
Hugo ---
Je suis entré ~u Parti parce que sa
cause est juste et j'en sortirai quand
elle
cessera de l'être.
Quant aux
hommes, ce n'est pas ce au' ils sont qui
m'intéresse
mais
ce
qu'ils
pourront
devenir (nous soulignons).
Hoederer ---
( ..•• )
Ce n'est pas ta faute:
vous êtes tous
pareils.
Un intellectuel, ça n'est pas
un
vrai
révolutionnaire;
c'est
tout
juste bon à faire un assassin (193-96).
C'est à une justice absolue, à une justice idéale ou utopique
que Hugo,
rejeté par les hommes,
a choisi de s'en remettre
pour retrouver le sentiment de la réalité des choses et de son
être.
En se réclamant de cette pureté irrémédiable
--une
pureté qui ne souffre pas qu'on ait les mains sales (d'où le
titre de la pièce), il espère parvenir à se prendre enfin au
sérieux.
faire
Et c'est bien parce que Hugo ne se préoccupe que de
t~iompher
des idées totalitaires et inhumaines qu'il ne
peut supporter de voir Hoederer
appuyer sa politique.
recourir au mensonge
pour
Hugo lui demande: "A quoi ça sert de
lutter pour la libération des hommes, si on les méprise assez
pour
leur
bourrer
le
crâne?"
(192).
Mais
du
mensonge,
Hoederer se lave les mains:
(.
"Le mensonge, ce n'est pas moi qui l'ai inventé:
il
est né dans une société divisée en classes et chacun de
nous l'a hérité en naissant. Ce n'est pas en refusant
de mentir que nous abolirons le mensonge:
c'est en
usant de tous les moyens pour supprimer les classes"
(193).
55
Cela met en confrontation deux attitudes ou points de vue
divergeants.
Hoederer signale qu'il est inutile, en pratique,
,
~I
(
face à des maux sociaux véritables, de défendre une morale de
bien fictif ou abstrait.
l'esprit,
de
Le
la pensée pure,
permettre l'action directe.
bien abstrait serait celui de
beaucoup trop critique pour
La morale de Hoederer,
basée sur
des principes des résultats à atteindre à long terme, accepte
le mensonge (ou les compromis politiques que Hugo appelle "les
cOmbines") .
Le mensonge, par opposition à la dissimulation
ou à la mystification des rapports de force,
justification
toute
non
simple:
trouve même une
seulement
le
mensonge
implique-t-il un principe de causalité, mais il est aussi de
tout temps.
Par ce fait, la vision du monde de Hoederer lui
permet de composer avec le relatif humain qui pour Hugo, n'est
pas possible.
(Hoederer explique:
"Et moi, j'aime les hommes
Avec leurs saloperies et tous leurs
pour ce qu'ils sont.
vices" (196).
Concerné par l'efficacité politique, Hoederer est comme
immergé dans le réel
réels.
autant qu'il
se préoccupe des hommes
C'est pourquoi un homme de plus ou de moins dans le
monde compte pour lui.
Loin de vouloir faire tout sauter,
Hoederer envisage une révolution qui tenterait de reconstruire
la société, tandis que Hugo idéalise le "devenir" et par ce
fait,
ignore l ' "être"
d'ailleurs à
o
faire
au "présent".
confiance
à
Hugo.
Hoederer est
Dans une
manifestation de confiance que Hoederer adresse à
précise justement les modalités de celle-ci:
le seul
deuxième
Hugo,
il
l
,J
56
Hoederer ---
Nous
touchons
Il n' y a rien à prouver, tu sais, la
Révolution
n'est
pas une
question
de
mérite mais d'efficacité; et il n'y a pas
de ciel.
Il y a du travail à faire,
c'est tout. Et il faut faire celui pour
lequel on est doué:
tant mieux s'il est
facile.
Le meilleur travail n'est pas
celui qui te colltera le plus: c'est celui
que tu réussiras le mieux" (218).
là
à
un
des
thèmes
essentiels
sartriens.
S'arranger avec soi -même, d'après Sartre, c'est accepter la
situation qui est la nôtre, c'est s'engager dans la réalité du
monde telle qu'elle est, et non telle qu'on désirerait qu'elle
fût.
C'est en partant de certains déterminismes et avec eux
qU'on doit s'engager et agir:
être q1.:e négative et vaine.
donnée sépare l'attitude
toute autre attitudo ne peut
L'acceptation de la situation
réaliste de
l'attitude idéaliste:
les désirs de chaque individu transcendent son être, certes;
s'il s'arrête à
l'insatisfaction de
ces multiples
désirs,
l'individu verse dans l'absurde de vivre ou, au contraire, met
son espoir dans un au-delà absolu.
c iel", d'une part,
rien de positif.
et,
d'autre part,
Mais, "il n'y a pas de
le désespoir ne donne
L'attitude réaliste alors, représentée par
Hoederer, est celle de l'être qui se choisit en situation.
Qu'est-ce qu'il Y a de commun entre les hommes?
Plus
qu'une nature, Hoederer y voit une condition, c'est-à-dire un
ensemble de limites et de contraintes.
au
fond
que l'ensemble des caractères
toutes les situations.
<:
insensé:
Cette condition n'est
abstraits communs à
Ainsi, lorsque Hugo formule ce souhait
57
Hoederer
( •.•. ) et puis,
la même espèce.
Hugo ---
Je voudrais être de la v6tre:
sentir bien dans sa peau (219).
nous
ne sommes
pas
de
on doit se
il traduit tout aussit6t ce caractère absurde de son dire:
effectivement, Hugo n'est pas et ne sera jamais Hoederer.
Hugo
veut
savoir
qui
il
est
et
s'il
veut
agir,
si
--agir
véritablement ou porter son être vers l'action-- il
doit,
puisqu'il est un être en situation, interroger et accepter
tout d'abord cette situation.
On constatera que dans Les Mains sales les personnages
passent leur temps à s'enfermer et l'on frappe beaucoup à la
porte.
La porte (ou la fenêtre) est un lieu de passage entre
deux états:
elle suggère ou invite à être franchie.
Il y a
la porte de la prison, la porte de la chambre d'Olga, la porte
au-delà de
laquelle se tiennent
les négociations que
Hoederer avec le Prince et avec Karsky.
mène
Ce sont toujours des
lieux fermés où se déroule l'action alors que les quelques
allusions
à
l'extérieur
(souvent
pour
prendre
de
l'air)
entrainent des changements significatifs.
A la scène IV du sixième tableau, Hugo, sorti quelques
minutes pour
prendre
Hoederer pour lui
l'air,
reviendra
vers
le
bureau
de
dire qu'il accepte son aide.
Mais
il
trouvera sa femme avec Hoederer, attirée à celui-ci et en qui
elle voyait la possibilité d'accéder à sa réalité de femme
(possibilité manquée avec Hugo).
Hugo trouvera dans cette
"déception" personnelle (bien que Jessica lui en avait parlé),
58
la force ou le courage d'accomplir cet acte qui devait le
valoriser en tant que militant:
Vous voyez, Hoederer, je vous regarde dans
les yeux et je vise et ma main ne
tremble pas et je me fous de ce que vous
avez dans la tête (226).
Hugo ---
Les derniers mots de Hoederer anticipent la sui te de façon
dramatique.
Il ose mentir:
"je couchais avec la petite",
enfin pour préserver l'unité du parti et, paradoxalement, la
liberté de Hugo.
septième tableau explique
Le
celui-ci
le
comprend
après
deux
l'acte de Hugo tel
ans
passés
en
prison.
Désormais Hugo devient nostalgique,
exaltant davantage
mérites de Hoederer qui n'est plus:
encore une fois,
n'est pas à
que
les
Hugo
temps et manque l'occasion d'être lui-même en
choisissant le suicide.
Il voit, en rétrospective, comment
son geste de pouvoir se réclamer du meurtre de Hoederer "n'a
pas de poids" parce que motivé par le hasard (il avait ouvert
la porte trop tôt).
double
aspect
de
Cet anachronisme met en évidence le
son acte.
Extérieurement,
Hugo est
un
assassin, bien sûr, --en ce sens qu'il a tué Hoederer et qu'il
subit les conséquences de son geste-- mais intérieurement, ce
geste ne résulte pas d'un libre choix.
Olga lui formule une dernière chance pour qu'il puisse
s'identifier à lui-même.
•••• qu'est-ce à dire?
Elle lui demande d'oublier.
Oublier
Accepter de nouveau une "situation"?
Hugo aura tué Hoederer, mais à présent le motif n'était pas
59
valable.
Peu importe le sens de cet acte passé, peu importent
les raisons qui l'ont poussé à agir.
La
réalité seule demeure
de quelque importance.
L'histoire, ayant donné raison
à
la politique prémature
de Hoederer, adopte et met en pratique ses idées. L'U.R.S.S.,
pour
des
raisons
militaires,
souhaitait
qu'il
y
ait
rapprochement avec les autres partis du Pentagone pour former
une coalition.
C'était ce que Hoederer soutenait:
alors
évidemment la mémoire de Hoederer doit être réhabilitée.
Sa
mort aurait été expliquée par ce crime passionnel: justement
celui que Hugo essaye d'oublier.
Si le sens de son acte lui a échappé au moment opportun,
à présent Hugo constate et saisit la possibilité de récupérer
cet acte après coup,
et découvre l'occasion d'en
faire
à
jamais son acte:
Hugo ---
Pas de grands mots, Olga.
Il Y a eu trop de
grands mots dans cette histoire et ils ont fait
beaucoup de mal.
Ecoute: je ne sais pas
pourquoi j'ai tué Hoederer mais je sais
pourquoi j'aurais dû le tuer:
parce qu'il
faisait de mauvaise politique,
parce
qu'il
mentait à ses camarades et parce qu'il risquait
de pourrir
le
Parti.
si j'avais
eu
le
courage de tirer quand j'étais seul avec lui
dans le bureau, il serait mort à cause de cela
et je
pourrais penser à moi sans honte.
J'ai honte de moi parce que je l'ai tué
••• après.
Et vous, vous me demandez d'avoir
encore plus honte et de décider que je l'ai tué
pour rien (243-44).
Il reste à se demander quelle est la valeur du suicide de
Hugo.
Ce dernier geste peut être envisagé sur deux plans.
En
60
(
se donnant la mort, Hugo choisit bien une vision du monde:
accepte et attribue un sens à son acte.
il
s'il a tué Hoederer,
c'est parce qu'il avait raison de le faire et en mourant à son
tour,
il revendique ces raisons.
devient
inutile et
prolongement
de
sa
faux:
D'une part,
c'est tout
"mauvaise
"sauver", ne sauve rien.
Mais en soi,
foi" •
au plus
Hugo,
dOline à voir cela.
croyant
tout
contredit par
la
si Hugo choisit de se l'alléguer,
c'est par pur choix intellectuel et subjectif.
ramène au point de départ.
un piètre
L'attitude, ici encore, est faussée.
le meurtre de Hoederer est
réalité socio-politique.
ce suicide
HUI~o
Cela nous
n'a rien appris, et la pièce
Alors que le spectateur ou le lecteur
comprend que ce sont les faits qui ont raison et non pas Hugo,
qui lui, par contre, n'évolue pas.
Par ailleurs Hugo ne pourra jamais être "admiré" par les
autres (du Parti).
La mort de Hoederer continuera à avoir été
motivée par la jalousie, et il n'y aura plus personne pour
soutenir par des actes le sens que Hugo prétend donner à son
geste fatidique.
--~---------------------------.
61
CHAPITRE I I I
Etude de Mère Courage et ses enfants
A maintes reprises dans les écrits théoriques de Brecht
on retrouve les termes "fable" et "histoire".
La notion de
fable ou d'histoire se veut différente de la notion d'intrigue
dramatique.
L'intrigue
dramatique
est
essentiellement
la
relation d'une crise, avec exposition, noeud et dénouement; le
tout se jouant dans url laps de temps assez court.
s'étend
Slr
épisodes
une
qui
longue
lui
donne
durée
et
un
sens
c'est
la
large,
La fable
succession
alors
que
des
dans
l'intrigue dramatique le sens peut être donné par une scèneclé.
La fable est, pour Brecht, plutôt une biographie avec une
juxtaposition d'épisodes liés au comportement d'un personnage
face à un problème qui est permanent, qui le
que personnage.
c~nstitue
en tant
Dans Mère Courage et ses enfants le dilemme
de Courage c'est de croire pouvoir profiter de la guerre sans
rien lui donner.
seulement
une
A travers la fable, Brecht veut signaler non
nature
contradictoire
du
personnage,
davantage l'origine sociale de ses contradictions.
mais
Dans le
cas de Mère Courage, sa mentalité mercantile est l'issue d'une
société fondée sur les "affaires" faites au dépens d'autrui.
Mère
Courage
est
immergée
dans
le
concret
du
quotidien,
62
(
contrainte, en quelque sorte,
de guerre.
à
se débrouiller dans un monde
D'autre part, elle nt) condamne pas la guerre car
elle vit dans une société qui lui fait croire qu'elle en
tirera prof i t.
Mais en dernière analyse, ce qui n'est pas
montré ou écrit,
ce que la pièce implique c'est que Mère
courage n'est qu'Yn produit des circonstances
à
prive tout profit d'ordre personnel ou humain.
qui la société
Cependant son
intelligence, son langage et un sens du sardonique (qui n'est
pourtant pas acerbe) lui fait observer:
"Les pauvres ont besoin de courage.
Pourquoi, parce
qu'ils ne savent pas où ils en sont.
Dans leur
situation, il leur en faut, rien que parce qu'ils se
lèvent au petit matin ( •••• ).
Ils doivent être le
bourreau les uns des autres et s'entre-gorger, du coup,
s'ils veulent se regarder dans les yeux, il leur en
faut du courage" (56).
C'est une intéressante réplique à l'aumônier et une métabole
de son nom "Courage".
A la date de composition de la pièce (1939), alors que
Brecht était en exil au Danemark, l'Allemagne vivait en état
de guerre civile sous l'emprise de l'Anschluss hitlérien.
En
novembre 1937, Hitler annonçait à une réunion de militaires et
de représentants gouvernementaux que l'Allemagne avait besoin
de
plus
de
territoire:
seulement
la
guerre,
prévue
initialement pour le début de 1940, pouvait le lui procurer.
{
l
Conforme à l'idée de l'épique, Brecht situe la fable dans
le cadre de la Guerre de Trente Ans.
Cela dans le but de
63
--
montrer une conduite ancienne ou intemporelle et des réalités
socio-historiquement détérminées.
Mais la pièce se si tue
aussi d'un point de vue du présent -Brecht écrivant dans des
conditions
temporelles
et
historiques-
de
présente un sujet d'une situation imminente:
sorte
qu'elle
les Allemands
avant la Deuxième Guerre mondiale.
La
pièce fut présentée à
Berlin de l'Est, en 1949 et
Brecht signait la mise en scène.
Auparavant et après cette
année, elle fut présentée à Londres et en d'autres capitales
d'Europe ainsi qu'aux Etats-Unis.
Il est compréhensible que
la réception du pUblic fut différente.
Signalons à titre
d'exemple celle de Zurich en 1941 laq'.Jelle se caractérisait
par
un
conSt!nsus
décadent.
Mère
d 'y
voir
Courage
une
dans
idéologie
cette
du
libéralisme
perspective
était
emblématique d'une attitude de "petite bourgeoisie" qui croit
que la guerre est l'occasion d'un répandu "enrichissez-vous",
mais qui n'a pourtant pas les moyens correspondants à cette
visée.
La
contradiction
inhérente
à
ce
point
de
vue
s'instaure avec la conviction qu'elle peut tout de même tenter
sa chance.
guerre.
A partir de là, l'antagoniste véritable devient la
Jean-Claude Françol!:> s'est intéressé à démontrer le
peu d'intérêt que l'on accordait aux détails de la mise en
scène en se basant sur les recensements et les critiques des
représentations.
nuancées,
Brecht.
Il conclut que les représentations étant peu
n'interprétaient
que
moindrement
les
idées
de
64
(
En 1949, alors que Brecht disposait de moyens matériels
importants
pour la
production,
il
mise
prit
un
en scène
grand
et
signait
Eouci
lui-même
d'éviter
chez
la
les
spectateurs un sentiment de pathos pour les méfaits de la
guerre.
Au plan de la mise en jeu, Mère Courage
(Hélène
Weigel) devait faire appel au gestus social et susciter le
public à une activité intellectuelle.
L'intervention critique
du publ ic devait saisir, sous les apparences de la guerre,
prof i table à ceux qui ont les grands moyens, la réal i té de
l'opposition des
classes qui
remonte à
l'origine même
du
système capitaliste.
La Guerre de Trente Ans, procédé formel de distanciation,
n'est pas une incidence gratuite.
politique et religieux,
1618 à 1648.
Exemplaire d'un conflit
cette guerre divisa l'Allemagne de
Les princes allemands protestants se trouvaient
dans un antagonisme avec l'autorité impériale catholique.
Le
conflit assuma une ampleur européene du fait de l'intervention
des grandes puissances étrangères {la Pologne, la Suède,
Suisse, l'Espagne, la France).
l'origine de la guerre:
1618.
la
Un incident religieux était à
la Défenestration de Prague le 23 mai
A Prague, un temple avait été fermé et on interdisait
de cette manière le culte protestant dans la ville.
Le palais
royal de l'empereur Mathias fut envahi: deux lieutenants et un
secrétaire
furent
jetés
par
les
rapportent qu'aucun ne fut tué).
fenêtres
(les
Avec cet attentat manqué,
c'était le début de la Guerre de Trente Ans.
premier de
cette
longue guerre,
historiens
qui
se
Le résultat
conclut
avec
les
65
traités de Westphalie, produisit l'affaiblissement du pouvoir
impérial et la division en provinces de l'Allemagne.
grands bénéficiaires
Suède,
étaient
la
France,
la
Suisse,
ainsi que l'électorat de Brandebourg,
à
Les
et
la
l'ouest de
Berlin.
Cette guerre longue et dévastatrice fut évoquée par les
fameux
documents
Grimmelshausen:
littéraires
(romans
picaresques)
de
Simplicissimus (paru en 1669) suivi par La
Vagabonde Courage qui aurait inspiré Brecht tant dans le cadre
que dans les idées.
homologue du
La
clochard
vagabonde Courage de Grimmelshausen,
et paria
illégitime d'un comte.
batailles,
connait
Simplicissimus,
est
fille
Elle va son chemin au milieu des
d'innombrables
amoureuses que picaresques.
aventures,
aussi
bien
Elle vole, triche, se bat comme
un soldat, fait la putain, devient cantinière et bohémienne.
La Courage de Grimmelshausen rencontre Simplicissimus et a une
mauvaise influence sur lui.
Le
point de vue de l'auteur était
de déplorer l'état de guerre et de montrer les limites de la
tolérance et du fanatisme.
Le cadre de la pièce de Brecht,
plutôt que les événements ou des
incidents spécifiques,
y
trouvent une lointaine origine.
La
mise en oeuvre de Mère Courage et ses enfants se
déroule dans un temps historique précis:
printemps 1624 à
janvier 1636 et comprend douze tableaux ou scènes.
Le
titre
de scène indique la date et situe la scène par rapport à ses
coordonnées temps-espace,
mais
aussi
et
surtout
(dans
le
----------
66
(
résumé du contenu) par rapport t l'histoire de Mère Courage et
de ses enfants.
La
succession des époques ne se réfère pas à la Guerre de
Trente Ans, à son déroulement ou à ses problèmes, mais indique
les incidences que ceux-ci ont sur la vie de Mère Courage.
La
guerre est un processus; on n' y aperçoit ni le début ni la
fin.
Les événements historiques mentionnés (victoire et mort
du capitaine cathOlique Tilly, mort de Gustave-Adolphe) sont
opposés à des événements privés,
individuels.
"moment historique" est renversée,
La notion de
détruite.
La scène VI
(1632) oppose la mort du capitaine Tilly à la défiguration de
Catherine qui a été agressée par un soldat.
A l'enterrement
du "héros de guerre" le canon est entendu, ce qui fait dire à
l'éloquent aumônier que "c'est un moment historique".
contredit par Mère Courage:
Il est
"Ils ont cogné sur l'oeil de ma
fille, pour moi, c'est ça un moment historique" (60).
Cela
montre bien que sa préoccupation plus immédiate et subjective
(sa
réalité
de
"mère")
des
l'emporte
objectif,
ayant
incidences
C'est en
même temps une
sur
un
politiques
événement
ou
plus
économiques.
indication du caractère partagé,
divisé de Mère Courage qui est montré non comme une curiosité
tragique
mais
comme
une
nécessité
d'origine
sociale.
Le personnage central devient alors emblème d'une réalité
objective inéluctable:
l'impuissance des "petits", des gens
"d'en bas" qui croient pouvoir profiter de la guerre.
constante
et
actuelle:
les
petites
Réalité
associations
ou
67
regroupements
sociaux
s'''illusionnent''
de
pouvoir
changer
l'état de l'idéologie prédominante.
Cela nous amène à
petite
association
Courage pour
une analyse plus minutieuse de la
familiale
"avoir eu
d'Anna
peur de
la
Fierling,
ruine"
et
surnommée
pOl;'
"traversé le feu des canons de Riga avec cinquante
pain dans la carriole" (9).
avoir
micI~es
de
L'association commerciale de Mère
Courage regroupe quelques membres dont
ses trois enfants,
l'aumônier, le cuisinier, et Yvette; elle est centrée autour
du chariot qui constitue l'élément polyvalent et peut-être
bien la seule constante scénique de cette pièce.
fois
comme
abri
commercial.
et
comme
lieu
ambulant
Il sert à la
de
l'exercice
Souvent, il devient un lieu de rencontre où se
déroulent des conversations et des échanges animés entre les
personnages,
et/ou lieu de rencontre entre ceux-ci et des
représentants de l'ordre social (le recruteur, l'adjudant, les
soldats).
Le chariot, avec la marchandise (dont la quantité
varie selon
le déroulement de
la guerre)
occupe
l'espace
scénique central à l'exception de la scène 2 et de la scène 4
(où la tente du grand capitaine et celle de l'officier sont
mises en relief).
L'action dans Mère Courage et ses enfants se passe à
l'extérieur,
en plein air:
sur la route, dans des
camps
militaires, dans les espaces ouverts devant fermes ou maisons.
La
ville
avec
les
magasins
et
une
structurée n'est jamais à l'avant-scène.
organisation
spatiale
De plus, quand on y
va pour les affaires, généralement, un malheur ou une tragédie
68
(
survient aux lieux domiciliaires.
D'autres lieux fixes et
permanents sont une ferme prospère, le village, le presbytère
et enfin l'auberge du cuisinier Lamb.
inaccessibles pour Mère Courage.
Mais ceux-ci demeurent
Ces lieux, d'après elle,
sont occupés par les pauvres, les faibles ou les démunis.
Les
"forts", les "intelligents" sont ceux qui se débrouillent avec
peu de moyens et qui survivent dans un cadre privé de confort
matériel.
C'est une logique de l'adaptation, de la mobilité,
et de l'initiative inconditionnée que défend Mère Courage.
Regardons
de
plus
Courage et ses enfants.
près
les
Les deux
d'adaptation aux circonstances.
détruisent:
meurt:
le
interrelations
dans Mère
fils n'ont aucun sens
Ultimement, leurs vertus les
Eilif aspire A l'honneur et à l'héroïsme et en
sort
de
Schweizerkas
est
semblable
car
son
insistance à être honnête au moment inopportun le trahit.
Quant
à
Catherine,
la
fille
muette,
elle
se
situe
aux
antipodes de sa mère, intelligente et loquace.
Elle n'a pour
ainsi dire aucune arme, aucune débrouillardise.
passive, elle
est pour Mère Courage une "croix" pendant cette guerre de
religion; sa passivité, son accessibilité à la pitié et son
engouement affectif (causes de sa mort) sont lourds à porter
par la cantinière.
Catherine,
sans aucune exception,
contrainte à mimer ce qu'elle ne connaîtra pas -
est
l'amour
(scène 3), la maternité (scène 5), la révolte (scène 11).
De
façon générale, les enfants de Mère Courage sont faibles et
(
mal
armés,
comme
nous
venons
de
le
voir.
Ils
ressemblent pas comme ils n'ont pas ses qualités.
ne
lui
Quant à
69
o
elle,
Mère
propriété:
Courage
ce sont
entretient
~
avec
eux
des
rapports
de
enfants, d'autant plus qu'ils sont de
pères différents et que les pères ne jouent dans la pièce
aucun rôle.
Avec le chariot, ils forment un
~
indistinct
pour elle, un tout qui comprend biens et enfants.
L'aumônier et le cuisinier,
compagnons de route,
presque aussi étroitement liés à la cantinière.
sont
L'aumônier
fait la liaison entre l'histoire de Mère Courage et le cadre
de la chronique.
Il sert de faire-valoir,
de repoussoir.
Elevé et éduqué dans le culte de la spiritualité, il a le
mépris du travail manuel, de la gaucherie dans le maniement
des choses ou des objets (scène 3 et scène 6).
Par contre il
ma1trise le verbe, il est à l'aise dans le langage.
heurte souvent au monde,
instincts -
Il se
notamment par ses pulsions,
ses
il est défini comme un jouisseur (scène 3:
il
détecte la bonne viande; scène 8: souvenirs culinaires), et
comme un libertin que la guerre expose à la tentation.
Elevé
dans l'idée que les vicaires de Dieu ont part à sa puissance,
il
se
trouve
dans
une
situation
de
dépendance.
Pour
l'aumônier la vie devient une sorte de "capitulation" qu'il
subit plus ou moins passivement.
La façon dont il s'accomode
de son statut est au début propre
à
susciter les réponses
acerbes du cuisinier et de Mère Courage.
son rôle de "soldat de Dieu",
sainte.
de croisé menant la guerre
Mais en fait il est traité avec dédain par les
puissants qui l'emploient.
2)
C'est qu'il croit à
dans un
sens
favorable
Quand il commente la Bible (scène
aux
idées
peu évangéliques du
-
--
70
(
capitaine,
il
n'est
"recruteur d'âmes".
déjà
plus
utile,
même
en
tant
que
Son cynisme est en partie la conséquence
de sa sujétion Cà partir de la scène 3 il change d'employeur,
il est au service de Mère Courage et abonde dans son sens, il
ne
fait
rien
pour
sauver
Schweizerkas).
Il
a
y
chez
l'aumônier une véritable "angoisse" de se trouver sans pain.
Mais
peu
à
lucidité:
peu
cette attitude
cynique
se
transforme
il aide les paysans dans la scène 5 et dans la
scène 6, ses propos évoquent les causes de la guerre.
une
en
première
tirade
il
attribue
aux
Dans
puissants
la
responsabilité de la guerre, dans une seconde, il impute son
acceptation
à
la
faiblesse
humaine.
Cette
conception
pessimiste rejette toute illusion sur la nature "réelle" de la
guerre.
Une autre tirade dans la scène 6, cependant, où il
évoque ses "dons de prédicateur", est une auto-dénonciation.
L'évolution est telle que dans la scène 8, lorsqu'il remet son
habit ecclésiastique, cela n'a plus aucun sens.
Il dit être
"devenu meilleur", et il se sent "incapable de prêcher".
rejet
de
la
guerre
s'oppose
à
l'infatigabilité
de
Son
la
vivandière Courage, qu'il traite alors de "hyène du champ de
bataille", s'excluant ainsi de la place.
de
Son dernier acte est
pur "altruisme": il accompagne Eilif lors de sa mort.
Au début, le cuisinier est dans une situation analogue à
celle de l'aumônier:
directement.
(~
Alors
il vit de la guerre sans
que
dans
la
scène
2
la faire
l'utilité
des
"services psychologiques" de l'aumônier est contestée, celle
des services d'intendance est réhaussée.
Etant donné que
---
-----
71
o
l'essentiel est de manger, c'est encore le cuisinier Lamb qui
a la meilleure place à l'armée.
prOfession
qu'il
historiques.
a
cette
C'est presque en vertu de sa
vision
matérialiste
des
faits
Il réfute de croire aux "nobles motifs" de la
guerre, il est d'un anticléricalisme constant, dans la mesure
où, d'après lui, les "papes" répandent des illusions.
Ce qui
séduit (pour un instant) Mère Courage en lui, c'est qu'ils
sont de la même trempe:
Ce cuisinier si
lucidité, cynisme, sens des affaires.
lucide est par ailleurs un égoïste,
qui
satisfait ses ambitions et ses désirs sans scrupules.
Il
n'est adepte d'aucune idéologie ni en politique, ni en amour.
Ce qui peut-être excuse ou explique davantage Lamb, c'est la
conscience qu'il a de lui-même et de ses actions.
Et cette
conscience à son tour produit son sens critique et le fait
accuser le monde tel qu'il est.
A l'aumônier il dit:
si pendant la guerre vous n'étiez pas
une canaille sans foi, maintenant,
vous pourriez facilement ravoir un
cuisiniers, on n'en aura pas besoin,
cuisiner, mais on continue de croire,
de changé (29).
Ou encore, plus profane:
devenu à ce point
pendant la paix,
presbytère.
Des
il n'y a rien à
là il n'y a rien
"L'humanité doit périr par le feu et
par l'épée, parce qu'elle est pécheresse depuis sa plus tendre
enfance" (53).
Par une attentive observation du langage de la pièce, on
constate que plusieurs éléments disjonctifs en forment un tout
qui peut être ainsi réparti:
72
(
l - le langage de l'action proprement dit
2 - le langage schweykien ou la verve
plébéienne qui
caractérise les dialogues subversifs
3 -
La
les chants.
discontinuité, comme les autres éléments dans la structure
de la pièce, a pour but d'éviter la participation totale ou
hypnot.ique du spectateur 2 •
(luant au
langage
nous savons qu'on en
perd par les
traductions du fait qu'en allemand, on y retrouve un élément
archelisant, constitué par des tournures grammaticales et un
vocabulaire empruntés il l'allemand du XVIIe siècle.
Il Y a
aussi l'aspect dialectal, lui aussi quasiment intraduisible,
mais qui évoque le brassage des populations.
un
dialecte
néerlandais, l'aumônier parodie la langue de Luther.
Commun à
parle
tous
un
les
dialecte
bavarois,
personnages
le
cependant,
cuisinier
Mère Courage
c'est
lapidaire, parfois vert du langage.
le
côté
direct,
ceci correspond à la
fragmentation de l'action, qui ne laisse pas aux personnages
le temps de se livrer
à
de longues effusions discursives.
On connait
l'admiration de Brecht pour le personnage
Schweyk, crée par Hasek 3 • D'ailleurs dès le début des années
vingt le personnage schweykien s'introduisait dans le domaine
culturel
allemand.
Par
ailleurs
nombreuses dans les écrits de Brecht.
les
Le
références
sont
langage schweykien
73
utilise plusieurs procédés de démystification.
Il y a d'abord
la technique du faux plaidoyer, qui consiste a développer une
position que l'on ne partage pas jusque dans ses conséquences
les plus extrêmes, afin d'en faire éclater l'absurdité.
ce que font le caporal et le recruteur, par exemple,
première scène.
C'est
à
la
Ils commencent par se disqualifier en donnant
l'exemple de la malhonnêteté pour se plaindre ensui te de la
disparition
du
veulent enrôler.
"sentiment de
1 'honneur"
chez
ceux
qu'ils
Et leur éloge de la guerre est fondé sur une
critique de la paix qui en fait ressortir toutes les vertus.
C'est aussi la technique de Mère Courage quand elle défend la
politique du roi de Suède:
C'est vrai que notre looi est entré chez eux avec
chevaux, hommes et équipages, mais au lieu de maintenir
la paix, les Polonais se sont mêlés de leurs propres
affaires et ont attaqué le roi, alors qu'il passait
tout tranquillement. Ils se sont donc rendus coupables
d'une violence de paix et tout le sang retombe sur
leurs têtes (29).
On retrouve le même procédé quand Mère Courage déplore la mort
de Tilly:
En un mot, il (un grand capitaine) s'échine, et alors
ça rate à cause de la populace, ce qu'elle veut, c'est
peut-être un pot de bière et un pot de compagnie, rien
de plus noble. Les plus beaux projets ont été ruinés
par la petitesse de ceux qui avaient à les exécuter,
car les empereurs ne peuvent rien faire par eux-mêmes,
c'est sûr, ils dépendent du soutien de leurs soldats et
du peuple, là où ils se trouvent, j'ai pas raison?
(53) •
74
(
Un autre procédé utilisé par Brecht est celui de la "mise
à l'envers des formules":
c'est l'expression du point de vue
plébéien, qui se sert des mots et des concepts véhiculés par
l'idéologie de
différent.
ceux
au
pouvoir pour
Quelques exemples:
leur
donner
un
sens
la guerre de religion est
définie essentiellement comme une guerre, la défaite du roi
peut représenter une v ictoire de ses suj ets,
les vertus des
simples gens ne résultent pas d'une élévation morale,
d'un besoin de
d' espri t
Parfois ces paradoxes et
défense.
mais
traits
demandent pour ainsi dire à être consommés à part.
Ils contribuent par leur caractère comique et incisif à la
nature du spectacle.
Leur valeur est davantage réhaussée car
ils ne vont pas toujours de pair avec l'action.
Souvent ils
entrent en contradiction avec l'action dans la mesure où Mère
Courage
notamment
(tout
comme
l'aumônier
et
d'autres
personnages), n'agit pas aussi lucidement que certains de ses
propos pourraient le laisser croire.
Les chants consti tuent douze morceaux tranchant sur le
texte environnant par leur formes (ce sont des vers, avec des
rimes,
un refrain, une division en strophes)
leur contenu et leur rapport avec l'action.
ainsi que par
Ils sont à peu
près également répartis, un par scène, en général au début ou
à la fin de la scène 4 .
Les scènes 5 et 11 ne comptent aucun
chant, la scène 12 en compte deux.
réduites à un chant.
situé
au
milieu.
Les scènes 7 et 10 sont
Dans les scènes 3, 6 et 9, le chant est
Cet
emplacement
"irrégulier",
car
------------------
--
,"
75
généralement les chants se situent au début ou
scène,
introduit
scénique.
vue
d'une
rupture
avec
la fin d'une
la
"fable"
Cette fonction s'éclaire surtout par le contenu des
chants.
de
l'idée
à
Celui-ci est la plupart du temps le résumé du point
d'un
personnage,
une sorte de
confidence,
ou
de
soliloque versé, par lequel le personnage précise soit son
être soit ses rapports sociaux.
Particulièrement exact,
notre avis,
à
est le Chant de
Mère Courage qui comprend les strophes chantées des scènes l,
7, 8 et 12.
Elle y exprime avec cynisme toute son idéologie
de vivandière qui se nourrit de la guerre.
Elle vante ses
,
services aux "capitaines"
(scène 1), elle est fière de son
sens des "affaires" et se gausse des "faibles" qui ont peur de
participer à la guerre (scène 7).
A la scène 8, le chant de
Mère Courage appelle les gens à s'engager pour perpétuer la
guerre, et à la scène 12, Mère Courage croit que des miracles
vont rétablir la situation.
Mais cette expression du point de
vue de la cantinière ne naît pas de l'action et ne la prolonge
pas.
Il ne s'agit pas d'un passage à un autre régistre d'un
même contenu, mais de quelque chose de différent par rapport à
ce qui précède ou à ce qui suit.
ou
la
liaison
significative.
entre
Le
le
plus
C'est donc aussi la relation
chant
souvent,
et
l'action
cette
liaiso.:
est
conséquence d'un effet de contraste, de discontinuité
scène 10:
est
qui
la
(voir
l'effet est apparent avec le "Chant de l'abri").
Le cynisme joyeux du chant de la scène 1:
76
Laissez d'abord Courage avec son vin
Faire que de corps et d'âme ils guérissent.
capitaines, vraiment, ce n'est pas sain
Quand le canon frappe l'estomac vide.
Mais s'ils sont rassasiés, vos fantassins,
Je vous bénis. Vers l'enfer qu'on les guide (8),
(
est démenti par le premier échec de Mère Courage â retenir son
fils.
La condamnation de la guerre à la fin de la scène 6 est
niée par le chant de la scène 7.
Celui de la scène 8 (la
guerre a besoin de troupes fraîches) vient après la mort de
Eilif.
Les promesses et le côté rassurant de la
démentis par tout ce qui s'est passé:
b~rceuse
sont
les promesses jamais
tenues et la mort effective d'Eilif (que Mère Courage ignore
encore) .
avec
Le chant final
l'état
(l'espoir d'un miracle)
d'abaissement,
d'usure
où
se
contraste
trouvent
les
personnages et les faits sociaux après douze années de guerre,
et ce contraste est rendu plus saisissant par la reprise du
refrain de la scène 1
("le printemps vient"),
de même que
l'action est une reprise de l'action initiale (le chariot sur
,;r
la grande route).
cl
l'
Le "Chant de Salomon" est à première vue un chant destiné
à provoquer la compassion des habitants du presbytère.
Mais
le contenu du chant - les vertus ne servent à rien dans ce
monde - entre en conflit avec l'action telle qu'elle s'est
déroulée.
Car le cuisinier n'est pas un modèle de vertu et
s'il est réduit à la mendicité, la cause en est la guerre et
ses peu de moyens à lui, cuisinier, pour y faire son chemin.
On pense en l'écoutant â
Eilif et à
Schwe1zerkas.
pratiquait l'héroïsme et le courage, l'autre l'honnêteté.
L'un
77
--
Mais ces mêmes
qualités ont entrainé
leur mort parce
qu'ils ne disposaient ni de la position de force ni du sens de
l'adaptation, nécessaires dans les rapports sociaux.
Il y a
dans ce Chant une rupture, un vide à combler entre l'action et
le chant:
premièrement,
une fausse liaison avec l'action,
destinée à provoquer l'étonnement, puis un effort pour relier
le chant à l'ensemble de l'action.
Soulignons que c'est aussi
le cas du "Chant de la Grande Capitulation" qui s'oppose au
"Chant de Mère Courage".
Dans ce dernier Mère Courage dit la
vérité, mais cette vérité ne doit pas apparaître comme une
vérité absolue, elle est la vérité d'un moment historique, que
le rassemblement des "petits" et la disparition des classes
peuvent justement faire accéder à ce statut "historique".
On
retrouve dans une telle réflexion le schéma ternaire de la
dialectique hégelienne:
thèse
(grâce à
la guerre je peux
tirer mon épingle du jeu), antithèse (en fait je ne peux rien
faire), synthèse (la société sans classes - et sans guerre supprime et annulle
l'ambition de
la réussite
individuelle
dans le sens matérialiste de la petite bourgeoisie) .
On peut alors affirmer que la pièce dans son ensemble
devient
une mise
en
oeuvre
de
cette problématique:
Courage veut jouer sur les deux régistres.
Mère
Elle veut à la
fois être "mère" et "commerçante" dans une tentative de tout
conserver:
-as
enfants et
ses affaires.
négation de cette possibilité est montrée.
donnée à
Ultimement,
Elle nous
être pensée dans un cadre qui est au-delà de
la
est
la
78
Cette
scène.
prise
de
conscience,
résultant
de
ce
que
Chiantaretto a défini comme "l'esthétisation du pOlitique",
est rendue possible par la pensée "intervenante" de Brecht.
Elle s'actualise, pour ainsi dire, chez le public destinataire
dans un
réel
social avec des
variantes
qui
sont,
elles,
nécessairement liées à des systèmes idéologiques.
Bernard Dort, lecteur et critique attentif de Brecht, a
été parmi ceux à mettre en évidence la contradiction interne
de
la
pièce,
caractérise
tableaux
et
(ou
en
à
démontrant
laquelle
scènes)
la
on
double
se
présentent
alternance
référait
d'une
qui
ci-haut.
part
famille, et d'autre part, l'extérieur/la guerre.
la
Les
l'immédiat/la
Le conflit
s'introduit dès la première scène quand Eilif s'enrôle.
De
c~
fait, l'unité du commerce familial est modifiée, diminuée d'un
membre.
L'observation de l'adjudant:
Vouloir vivre de la guerre
Ne va pas sans payer cher (17).
expose d'emblée un message préliminaire que la pièce confirme.
La guerre n'est pas une activité forfaitaire ou profitable car
inévitablement l'individu y perd (valeurs, biens, commodités,
personnes
démasquée.
proches).
A
la
scène
12
cette
réalité
est
Les trois enfants sont morts mais la guerre se
poursuit et donc l'impératif de continuer pour Mère Courage
demeure:
(
79
Pourvu que j'arrive à tirer la carriole toute seule.
ça devrait aller, il y a pas grand-chose dedans.
Il
faut que je me remette au commerce (86).
Les propos contenus dans le chant des soldats
équi valent ou rej oignent,
paradoxalement,
(même scène)
le chant de Mère
Courage au sommet de ses profits commerciaux (scène 7).
Mais
ici le chant des soldats mine cette attitude "d'entrepreneur"
en rappelant qu'on n'y gagne pas avec la guerre:
Et ce qui n'est pas mort encor (sic)
Maintenant part à fond de train (86).
Signifiant enfin que le cours des événements échappe à
conscience subjective,
la
le chant indique que le dynamisme du
sentiment de préservation subsiste cependant et résiste à la
réalité objective.
des
gens
Mère Courage a beau dire:
paisibles",
elle a
besoin de
la guerre,
valeurs "hérolques" qu'elle refuse à priori.
c'est son
recruteur à
gagne-pain
(comme
lui
la première scène).
fait
"nous sommes
de
ses
Car la guerre
observer
le
caporal
La contradiction émerge du
fait que bien qu'elle refuse de consentir à la guerre, de la
reconnaître et de lui payer son dO, elle refuse aussi de ne
pas en profiter.
Or elle n'a ni la force, ni l'argent de son
côté, alors que:
Qui veut déj euner avec le diable,
longue cuiller (sic) (65).
il
lui
L'aumônier pose le proverbial dilemme des moyens.
personnage
central
prend
conscience de
cette
faut
~arfois
une
le
contradiction
80
essentielle:
que trop peu
"je ne tiens pas
à
moi"
~
la guerre, et elle ne tient
Lorsqu'elle se rend
(65).
chez
le
capitaine pour porter plainte contre les soldats qui ont pillé
et qu'elle se trouve face
~
face avec le jeune soldat venu
réclamer la prime qui lui a été promise pour avoir repêché la
monture du capitaine, elle comprend néanmoins qu'elle doit ou
se révolter,
ou tout accepter.
Elle accepte:
notre énergie, ils nous l'ont achetée.
".
..
toute
Pourquoi, parce que si
je bronchais, ça pourrait contrarier le commerce" (47).
A un autre moment, quand sa fille revient défigurée, le
jour de
l'enterrement
du Maréchal
Tilly,
elle
récapitule
lucidement:
si elle est muette, c'est seulement à cause de la
guerre, quand elle était petite un soldat lui a
fourré quelque chose dans la bouche.
Schweizerkas,
je ne le verrai plus, et Dieu sait où est Eilif.
La
guerre doit être maudite (60).
Cette prise de conscience n'est qu'un éclair.
Sur ce, Brecht
fait subitement succéder un dialogue qui en constitue
nég~tion
(l'écriteau de la scène 7 indique:
un~
"Mère Courage au
faîte de sa carrière commerciale"):
Vous n'arriverez pas à me dégoûter de la guerre.
On
dit qu'elle détruit les faibles, mais fichus, ils le
sont aussi pendant la paix.
Seulement, la guerre
nourrit mieux ses gens (60).
Foncièrement,
Mère
Courage
n'a
rien
"aveuglée" par un idéalisme précaire.
compris
et
demeure
Elle croit pouvoir
impunément être "Mère" d'Eilif, de Schweizerkas (qu'elle perd
81
en marchandant quelques
Catherine
(qui
instants de trop sa
meurt,
s'occupe des affaires)
elle
n
aussi
"Courage"
alors
rançon)
que
le
conserver,
l'augmenter).
futile où sombrent à la fois
lucidité.
A lê'
toute
fin,
quoi qu'il en
Entreprise
ses enfants,
Mère
Courage
(c'est-à-dire "la femme
qui a peur de perdre son bien" et qui veut,
coûte,
Mère
et de
insensée,
ses biens et sa
Courage
n'est
plus
que
Courage, vieillie, ruinée et écrasée sous le poids des années
de la guerre qui n'en finit plus.
être mère d'un fils.
scèn~,
à
la
traine
Elle croit cependant encore
Quand elle quitte définitivement la
de
l'Armée,
c'est
avec
l'espoir
de
retrouver son fils Eilif dont elle ignore encore qu'il est
mort
--ce
destinataire.
-
qui
est
connu
par
le
lecteur/spectateur
82
(~
CHAPITRE IV
Conclusion et Perspectives
Les Mains sales et Mère Courage et ses enfants faisaient
l'objet d'étude
textu,~lle
des chapitres précédents.
Dans les
pages qui suivent, notre propos sera de reprendre l'idée de
dialectique au théâtre, à présent comme étant une catégorie
d'intelligibilité de la réalité sociale et humaine que
pièce de Brecht tout comme celle de sartre représentent.
la
Dans
une optique comparative on fera ressortir les convergences et
les divergences des pratiques esthétiques des dramaturges 1 •
Comme on l'a démontré au Chapitre II,
~~,
advient
dans Les Mains
le développement de la conscience chez l'agent central,
"après-coup".
l'envergure
du
complot
"entièrement responsable".
Hugo
reconstruit,
politique,
pour
idéologiquement,
en
devenir
enfin
Dans le langage et la philosophie
de Sartre cette intégration suit un déploiement dialectique
progressif
et
régressif
dans
le
sens
que
la
conscience
SUbjective s'objectivise et se relativise par la confrontation
"existentielle" des faits ou des événements extérieurs à elle.
Il y a un lien direct entre l'action (l'assassinat politique)
et le
devenir de
l'agent central.
Paradoxalement,
c'est
l'ambiguïté même de l'événement (Hugo tue Hoederer à un moment
"involontaire") qui en établit sa validité ou justification
83
historique
(dans
d'autres termes,
indépendante pour
le
cadre de
l'idéologie du parti).
l'acte politique
le
sujet
fétichisation immédiate.
ne s'établit en
(l'individu Hugo)
que
En
réalité
par une
Le projet politique et idéologique
de l'individu ou du groupe est assimilé et réapproprié de
façon détérministe par la superstructure.
De là, l'aliénation et l'anéantissement final du sujet
qui refuse un statut "d'intermédiaire", tout comme il refuse
le mensonge et le compromis.
cette
contradiction
L'impossibilité de réconcilier
( accepter
ou
s'accommoder
de
ces
changements idéologiques dans le devenir historique du Parti)
résout négativement l'événement.
En termes de participation
théâtrale, il est légitime de conclure que la pièce dénote une
impossible réconciliation avec les partis politiques.
Dans la
négation finale (négation de la négation par Hugo), dans le
refus du sujet de devenir objet, Sartre réaffirme une certaine
continuité en se positionnant du côté des valeurs abstraites.
Le théâtre "dramatique" de Sartre suscite une participation
typiquement individualiste où l'on "sympathise" avec la nature
idéaliste (en l'approuvant ou moins) et en même temps nature
aliénée de l'agent dramaturgique.
Jameson,
dans Sartre:
The Origins of a stYa,
étudie
l'interrelation du langage et de l'action dans le théâtre
sartrien
ainsi
philosophiques
que
les
au théâtre.
transformations
Quant
à
des
"idées"
la nature aliénée de
l'action dans LeS Mains sales, Jameson peut ainsi l'expliquer:
84
This unsubstantial, a1ienated nature of human action is
a category imposed on our attention by plays; and it is
the stage itself that is partly responsible for the
terms in which we have had to think the problem. For
the theater is a kind of mixture of language on the one
hand, and the merely seen, sets and gestures, on the
other. Things can take place before our eyes, and then
be discussed as weIl and enter a purely verbal mode of
existence. It is thus possible for a play to have its
area of facticity: the brute visual facts, the moments
of pure happening; and its area of assumption: the
speeches in which these events are taken up into the
language.
And once an aesthetic of the theater is
established on the basis of this opposition, the events
themselves begin to come loose from the play and slide
out of it:
dialogue establishes itself on the stage
before us and the Off-stage becomes the place in which
things "really" happen.
Or in another sense it is in
the language that things are really taking place, and
the events themselves, off-stage or on, become merely
necessary and not sufficient (17).
Quoique un peu longue, cette citation explicite bien le rôle
social du langage théâtral.
En fait l'action, l'événement
théâtral est langage verbal et visuel.
Jameson souligne bien
sûr cet aspect "immédiat" propre au théâtre et estime que le
langage
(notamment
composante.
le
dialogue)
langage de la scène.
et donc
acquiert
importante
s'approprie le
une
amplitude
Par ce fait, en faisant prendre conscience au public
destinataire de réalités sociales, celui-ci
(ne fût-ce que
verbalement) devient participant.
ceci réitère en quelque
sorte ce
l'introduction de
thèse:
{
une
Autrement dit, l'événement scénique, en
signifiant dialectisable,
sociale.
est
Mais le théâtre rejoint une dynamique sociale
alors que le spectateur dit/redit,
tant que
en
que nous avancions
à
savoir,
dans
cette
l'étroite interdépendance des phénomènes
culturels spécifiques du théâtre: re-présentation/-idéologie/réception.
85
-
nans l'introduction encore nous faisions allusion au fait
de
"théâtralité"
que par
pièces différenciait.
la suite,
l'étude textuelle
des
Le propos essentiel du premier chapitre
était donc de relever,
textuellement,
esthétiques de Brecht et de Sartre.
les notions-clés des
De manière sommaire, nous
avons démontré que l'idée d'un théâtre socio-politique était
centrale dans leurs écrits théoriques.
Toutefois alors que
Sartre est en faveur d'un théâtre d'idées (où la philosophie
d'une
dialectique
détérminante),
Brecht
philosophe.
écrits
du
Nous
justifié
respectives
nous
matérialisme
est
avons,
cette
a
plus
historique
difficilement/explicitement
l'appui de
à
affirmation.
permis,
est
·~n
en
citations de
L'étude
outre,
de
des
leurs
pièces
vérifier
que
l'hypothèse première que Sartre et Brecht réalisent un théâtre
dialectique devait être nuancée.
Bien que les deux voient le théâtre comme un processus
social,
susceptible
culturels
de "créer" des changements
importants,
Sartre
demeure
sociaux et
philosophique
et
idéologique alors que Brecht, nous le réitérons, manifeste une
Preuve en est que dans
sensibilité théâtrale plus marquée.
leurs vies, les deux eurent des expériences de plus longue ou
de plus courte durée avec le théâtre.
est passé
scène
à
l 'histoire comme homme de théâtre,
habile,
indéniablement
-
Brecht, indéniablement,
ses
Modellbucher
dialectique
excellence 2 • Brecht écrivait:
et
font
d'une
d'un
art
ouverte"
par
preuve
"oeuvre
metteur en
86
"De la vue et de l'expérience de la réalité, l'artiste
a fait une reproduction, destinée à être vue et
expéI'imentée, et qui restitue sa sensibilité et sa
pensée" (Ecrits sur le théâtre 1, 613).
(
En ce sens, le point de vue de l'artiste réaliste suppose et
traduit une mise en perspective de l'ensemble des rapports
sociaux, saisis dans le mouvement de leur transformation, qui
en lui permettant de s'y saisir et d'y saisir ceux à qui il
s'adresse,
délimite
les
conditions
de
son
intervention
artistique, son effectivité pratique et sa fonction.
Revenons
Bernard
Dort,
brièvement
nous
au
l'avons
concept
de
signalé
"théâtralité"
antérieurement,
axiomatiquement élaboré à travers plusieurs écrits.
que
a
Voyons à
présent comment le même concept est aperçu dans la pièce de
Sartre.
Le sémioticien Jean Al ter, dans son étude "Les Mains
sales« ou la clôture du verbe" estime que la pièce se prête
peu à la mise en scène et que c'est surtout "le souci de la
précision" qui prime dans le texte.
Cette précision selon
Alter:
"va même plus loin, dans le cas des mots qui ne sont
pas opaques mais, au contrai,re, trop ouverts vers les
grands espaces paradigmatiques, et qui cependant se
recommandent par leur fonction rhétorique de clichés -"intellectuel", "bourgeois'" , "confiance" , "trahison" ,
etc.
Que veulent-ils exactement dire?
Le texte se
substitue au dictionnaire pour préciser leur sens"
(81).
i
:'
Cette
critique
peu
éloquente
contre
la
cohérence
et
la
précision de la pièce qui résiste presque à toute créativité
dans la "re-présentation", dans la mise en scène, doit être
mise en perspective.
Le théâtre de Sartre, nous l'avons dit,
87
est un théâtre d' idées sur la situation de classes et de
complexes détérminés.
On peut convenir avec Alter que les dispositifs scéniques
empruntés
par
Sartre
sont
plus
ou
moins
dramaturgiques.
Cependant, en se rapportant aux écrits théoriques sartriens à
ce sujet, nous avons vu qu'il était conscient d'adapter à la
scène des
procédés conventionnels.
Il
n'avait donc aucune
prétention de vouloir, formellement, changer le théâtre. Sa
créativité est, de toute évidence, d'un autre ordre que celle
de Brecht.
En dernière analyse,
distinguent
le
théâtre/poète.
les pratiques esthétiques
philosophe/écrivain
de
de
l'homme
Sartre d'ailleurs se limitait, avec Les Mains
sales, à une pièce sur la politique destinée à démasquer des
prédéterminations idéologiques (parce qu'elles échappent à une
saisie complète ou totale de la part du partisan).
Contrairement à Brecht, Sartre ne montre pas un processus
organique,
une condi tion,
de nature socio-économique,
base de la vie en commun des hommes.
à
la
Une autre limite par
rapport au langage théâtral de Sartre peut s'expliquer par le
fait
que
cette
pièce
a
fonction
soit
d'expliquer
les
motivations psychologiques des personnages, soit d'expliciter
leurs actions.
comprendre",
annulés.
En d'autres termes, dans le but de
1 'humour
et
l'ingéniosité
Il
subvertive
faire
sont
Pour répliquer à Alter: est-ce uniquement en raison
du langage ou encore un défaut cartésien propre à Sartre?
Nous avons vu au premier chapitre que pour Sartre être en
faveur
d'un
théâtre
dialectique
signifiait
l'engagement
88
d'intellectuels
ayant
un
rôle
politique
dans
l'histoire.
Quant à Brecht, nous constations que la dialectique l'attirait
comme "méthode" de pensée révolutionnaire dans les arts pour
comprendre les rapports de classes sociales.
Il s'opposait
farouchement aux principes de l'empathie et de l'imitation au
théâtre.
Quant
nécessairement
Sartre,
à
ces
procédés
n'étaient
pas
écarter systématiquement.
Dans la pièce que
nous avons analysée, le jeu des acteurs,
les choeurs et la
à
musique s'adressent de manière plus directe au public et ainsi
rompent
l'illusion
aristotélicienne,
théâtre depuis le XVIIIe siècle.
moyens
le
théâtre
illusionniste
procédé
employé
au
Brecht soutenait que par ces
promouvait
une
passivité
certaine dont l'utilité pratique se résumait à la conservation
d'un conformisme ou d'un réactionnaire social et culturel.
théâtre désormais,
devait devenir dialectique,
Le
politisé et
critique.
Possiblement,
le succès d'un théâtre dialectique, pour
Brecht et par la suite pour Sartre, adviendrait seulement avec
la dialectique dans l'histoire, C'est-à-dire, dans les années
de reconstruction après la
création
et
le
continuel
dont
succès
les
Deuxième Guerre
du
Berliner
productions
de
mondiale.
Ensemble,
ses
pièces
La
l'attrait
ne
cessent
d'exercer, et l'intérêt soutenu des critiques à l'égard de sa
dramaturgie en sont des indications sûres.
Nous passerons à présent à un regroupement schématique
des
courants
l'esthétique
majeurs
et
à
de
critiques
l'oeuvre
s'étant
brechtienne.
Un
intéressés
des
à
premiers
89
académiques
notamment
avoir
à
en
contribué
Amérique,
est
la
à
John
notoriété
Willett.
de
Brecht
Willett,
par
certains aspects, se situe dans une tradition critique ayant À
priori un penchant pour la continuité culturelle humaniste.
Frédérick
était
un
Ewen,
autre
historien
tenant
du
et
critique
conservatisme
littéraire. Willett, cependant,
anti-communiste
dans
la
critique
a le mérite d'avoir beaucoup
insisté sur l'aspect poétique de l'oeuvre de Brecht.
a aussi été un des premiers interprètes du
conc~pt
Willett
bien connu
de Verfremsdungeffekt et il essaya de le faire coïncider avec
une tradition humaniste.
Willett soutenait que Brecht entendit le terme pour la
première
fois
en
1935,
comme
par
hasard,
en
présence
de
Tretiakov (alors Ministre délégué de la Société des relations
culturelles à Moscou).
Par la suite, d'après willett, Brecht
aurait librement adapté le terme et le sens original que les
formalistes
accordait
russes
(approximativement:
à
ostrannenija"
"priem
effet d'étrangement ou de distanciation)
de Viktor Shklovski j 3.
Même
si
controverses
désaccord),
cette
idée
critiques
elle
est
a
(Walter
fait
l'objet
Benjamin,
indéniablement
devenue
discussion sur le sens du verfremsdungeffekt.
de
quelques
p.e.
était
en
un
élément
de
De nos jours,
avec ou sans référence à ce que suggérait Willett, plusieurs
critiques
-
unanimes à
de
Brecht
(notamment
Eagleton
et
Brooker),
sont
reconnaitre la validité de ce procédé artistique
90
pour analyser et/ou décomposer les apparences des systèmes de
valeurs socio-culturels 4 •
Quant
l'approche
à
défenseurs
d'une
critique
esthétique
de
Wil1ett
l".'lmaniste
et
d'autres
traditionnelle,
le
danger qui leur incombe est de se situer dans cet univers de
clichés
où
les
arts
aspireraient,
par
de
"nouvelles"
variations à représenter une "nature humaine intemporelle".
Jean-Claude François, adhérent du courant de sémiotique
théâtrale,
accorde une grande importance tant aux procédés
techniques qu'à la réalisation scénique.
Enfin le courant
socio-historique auquel se rattache Bernard Dort, par exemple,
accorde une attention particulière à l'analyse textuelle comme
au contexte d'émergence, de distribution et de réception d'une
oeuvre.
Les
contributions
critiques
de
littéraires orientaient, en grande partie,
ces
tendances
l'élaboration de
cette recherche.
Nous abordions,
au premier chapitre,
dans une
.",~tique
d'analyse sur le sens d'un théâtre dialectique, les notions de
Gestus
et
de
Verfremsdungeffekt
et
"situation", "action" pour Sartre.
Le
celles
de
"geste" ,
résultat de l'analyse
était que lesdits procédés et/ou notions sont consistants avec
les propos de Brecht pour un théâtre critique ainsi qu'avec la
philosophie du matérialisme dialectique, primat idéologique de
l'esthétique de Sartre et du réalisme social de Brecht.
avons
enfin
soutenu
que
le
projet
sartrien
d'un
Nous
théâtre
dialectique demeure valide en tant que complexe idéologique,
mais que somme toute, sa dramaturgie présente une linéarité
91
limité au plan artistique.
Ce phénomène tient possiblement de
contingences historiques ainsi que du rôle social et de la
pratique que les intellectuels de "l'engagement" assumaier:t.
A ce sujet, Raymond Williams, écrivait:
"all practice is still specifie, and in the most
serious and genuinely commi tted wri ting , in which the
writer's whole being, and thus, necessarily, his real
social existence, is inevi tably being drawn upon, at
every level from the most manifest to the most
intangible, it is literally unconceivable that practice
can be separated from situation ... Yet as we have seen,
real social relations are deeply embedded within the
practice of writing itself, as weIl as in the relations
within which writing is read" (Marxism 204-5).
En résumé, dans le premier chapitre nous avons fait le
point sur la question du rapport entre. théorie et pratiq'..1e
esthétique en relevant l'essentiel des écrits des dramatu't'ges
à l'étude.
Leurs esthétiques présentent de multiples volets;
d'une part, il y a orientation vers le monde et d'autre part,
la conscience
reproduction
se replie vers elle-même en tant
de
la
subjectivité.
Nous
avons
que autoindiqué
à
plusieurs reprises que la théorie théâtrale n'organise pas la
pratique artistique dans un sens à priori.
Mais plutôt le
processus de discussion --et il est important que ce soit
présenté comme un processus-- conf irme à nouveau la val idi té
de l'approche dialectique.
Indéniablement Sartre, et Brecht davantage, anticipaient
par cette approche des changements sociaux par le théâtre. A
savoir: que sa fonction culturelle soit "réaliste" et concède
à la vie collective, à la dimension politique et historique un
92
rôle premier.
A ce propos, citons Brecht dans "La dialectique
au théâtre":
"l'oeuvre d'art réaliste socialiste met au jour les
lois dialectiques du mouvement des rouages sociaux,
dont la connaissance facilite la maîtrise de la
destinée humaine. Elle donne plaisir à leur découverte
et à leur observation.
L'oeuvre d'art réaliste
socialiste
montre
caractères
et processus
comme
historiques
et
transformables,
et
comme
contradictoires" (Ecrits sur le théâtre 2, 260).
En outre, d'après Brecht, pour que la proposition d'actualiser
un théâtre dialectique soit véritable,
la forme aussi doit
être innovative, décomposable ou "scientifique".
Les
propos
troisième
théoriques
chapitres,
perspective
par
représentatives
foncièrement
au
systématiquement
des
études
choisies.
pour
étaient,
un
Notre
théâtre
deuxième
éclairés
et
textuelles
des
conclusion
donc,
dialectique,
et
au
mis
en
pièces
est
que
l'esthétique
dramatique de décomposer des situations sociales en processus
et d'en tracer les inconsistences internes met en rapport et
situe
l'art
conséquence,
analytique
dans
favorise
des
Le
l'histoire.
une
conditions
approche
de
sa
théâtre
plus
mise
en
dialectique
en
scientifique
ou
production.
Le
théâtre dialectique enfin a pour prémisse que tout n'existe
qu'en mouvement continuel, évolutif et/ou régressif.
vrai
surtout
pour
les
sentiments,
les
Ceci est
opinions
et
les
attitudes humaines auxquelles, à un moment historique donné,
l'art
--ici
d'expression.
le
spectacle
théâtral--
leur
prête
forme
93
(
NOTES
Introduction
1 Toutes les références ultérieures seront mises entre
parenthèses dans le corps du texte.
Sauf indication
contraire, les parties soulignées d'une citation le sont par
l'auteur. Quoique nous ayons suivi dans l'ensemble les règles
de présentation du MIA, nous n'avons pas négligé de les
adapter où nécessaire, aux conventions françaises, notamment
pour l'ordre des guillemets et autres signes de ponctuation.
2 Pour des raisons d'ordre pratique, les titres en
allemand seront omis dans le texte de ce travail.
Bien que
nous nous soyons fiés aux traductions françaises indiquées,
nous avons cru opportun les inclure dans la bibliographie.
3 Dans un sens cela anticipe les recherches
du
sémioticien Umberto Eco (cf. L'oeuvre ouverte).
Dans un
passage de l'introduction Eco précise que l'emploi du terme
"oeuvre ouverte" se situe par rapport à la complexe question
de la réception et de l'interprétation d'une oeuvre.
Selon
Eco, parler d'oeuvres "ouvertes" est possible selon une
convention où l'on fait "abstraction des autres acceptions du
mot pour en faire l'expression d'une dialectique nouvelle
entre l'oeuvre et son interprète" (p. 17).
Chapitre II
1 Pour un compte rendu plus exhaustif se référer à
l'ouvrage de A. Boschetti et à celui de A. Cohen-Sol al (voir
bibliographie).
Cette question
fait également l'objet
d'analyse de l'article de Geneviève Idt.
2 Jean-Paul Sartre. Les Mains sales (Paris: Gallimard,
1948) 49. Dans ce chapitre toute citation sera indiquée entre
parenthèses avec la (les) page(s) correspondante(s).
94
Chapitre III
1 Bertolt Brecht.
L'Arche, 1975) 56.
2
voir la partie
Mère Courage et ses enfants (paris:
~héorique
au premier chapitre.
3 Hasek
(Jaroslav) :
écrivain tchèque (1863-1923).
Auteur de récits satiriques et humoristiques, Hasek créa le
type populaire du solda~ Schiveyk (Svejk).
4
Les chants sont des intermèdes constitutifs d'une
progression "par bonds" de l'action et dont le but théâtral
vise l'anéantissement de l'illusion mimétique. Les chants et.
les rapports musicaux-textuals ont fait l'objet de recherche
de Fowler.
Fowlor ët.rgumente qu'une
théorie
de
la
signification musicah~ pé'tr rapport à celle, dramaturgique de
Brecht, pourrait éclairer davantage des concepts-clés tels la
distanciation et le gestus.
Un autre élément intér~ssant de
ce travail de recherche est l'inventaire, copieux, de
l'occurrence du mot "Gest" dans les écrits théoriques de
Brecht.
Chapitre IV
1 Méthodiquement, dans ce chapitre final, des points
relatifs aux analyses textuelles seront rééxaminés et
confrontés au concept de théâtre dialectique. Cependant, pour
respecter le critère d'économie du présent travail, il ~'est
pas possible de les approfondir tel qu'il serait souhaitable
de le faire.
Néanmoins, on fera appel à un échantillon
séléctionné de la bibliographie secondaire là où les
références s'avèrent complémentaires à une mise e~ perspective
du sujet.
2
Pour une étude de mise en scène de la pièce, se
référer
à
l'oeuvre
de
Brecht,
Couragemodell
1949,
(Henschelverl, Berlin, 1958).
3 John Willett, ~recht in Context (Methuen, London and
New York, 1984), 219.
95
(
1
,~
,
(.
4
Pour une présentation succinte et précise à ce
propos, consulter Eugene Lunn, Marxism and Modernism, (verso,
London, 1985), 122-3.
Par ailleurs, voir à ce sujet la
distinction faite par Brecht dans Petit Organon pour le
théâtre entre l'usage de l'effet-V dans le théâtre classique,
médiéval et asiatique et l'-;..sage contemporain de l' effet-V.
En résumé, alors que le premier usage faisait abstract ion du
représenté pour que celui-ci ne soit pas altéré, le deuxième
justement exposait des phénomènes sociaux afin d'y avertir un
changement possible et souhaitable.
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