Enfants de la rue, phénomène pluriel et complexe à Lubumbashi
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Enfants de la rue, phénomène pluriel et complexe à Lubumbashi
Actes du Colloque international francophone « Complexité 2010 » La pensée complexe : défis et opportunités pour l’éducation, la recherche et les organisations – Lille (France) mercredi 31 mars et jeudi 1er avril 2010 Enfants de la rue, phénomène pluriel et complexe à Lubumbashi, RD Congo Philippe KASONGO MALOBA TSHIKALA & Jean KINABLE, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Institut du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines, Université Catholique de Louvain Résumé « L’expression ‘‘enfants des rues’’ est souvent un raccourci qui satisfait le sens pathétique mais n’ouvre pas à la compréhension d’un phénomène extrêmement complexe » (O. Douville, 2003-2004, pp. 55-89). Victime d’exactions et de maltraitance souvent dans les familles recomposées, déstructurées et défavorisées, l’enfant dit de la rue est stigmatisé kaloji (petit sorcier en swahili), une manière acceptable de se débarrasser de lui. Aussi bien complexe que pluriel par l’imbrication de plusieurs facteurs, même contradictoires, ce phénomène se révèle par l’accusation mutuelle entre enfants et parents quant à sa genèse. Les défis à relever et les opportunités à saisir, aussi bien par les enfants eux-mêmes que par les intervenants sociaux sont innombrables. Nous en évoquons quelques uns dans ce texte. Mots clés Enfant de la rue - sorcellerie - violence - vagabondage - marginalité - résilience. Introduction Ils ne naissent pas tous ‘‘enfants de la rue’’, la plupart proviennent des familles et acquièrent au fil du temps une identité, tributaire du vagabondage et de la violence qui leur sont principalement reprochés par la société globale. Seuls quelques uns sont nés sur la rue, issus des parents de la rue comme en témoigne G. Mulumbwa (2007, p.50) : « ces Shege1 contractent des unions dans la rue, y enfantent et élèvent ces enfants qui méritent peut-être pleinement le qualificatif d’enfants de la rue ». Stigmatisés marginaux, délinquants, sorciers et violents, ils éprouvent une souffrance psychique d’origine sociale (J. Furtos, 2008, p. 14), labels qu’ils rejettent en bloc2 et « ils déclarent être pacifistes mais appelés à se défendre lorsqu’ils sont menacés » (G. Mulumbwa, 2008, p.203). Il leur arrive, par contre, de valoriser ces mêmes qualifications stigmatisantes (en se désignant comme sorciers ou violents) pour avoir de l’ascendance sur les membres de la société, qu’ils traitent de mbumbu (fainéants ou vauriens). C’est « un renversement de la situation à son profit […]. Un retournement par soi contre l’extérieur » (J. Kinable, 2004-2005, p. 125). Quoi qu’il en soit, « la réalité est en fait beaucoup plus complexe. D’abord, parce que le seul facteur économique ne suffit en aucun cas à expliquer le phénomène des enfants de la rue. […] Un discours beaucoup plus proche de la réalité tente d’analyser le phénomène à travers une grille non plus purement économique, mais socio-économique. Cette analyse intègre ainsi certains facteurs démographiques » (B. Pirot, 2004, p. 62). L’implication de multiples facteurs en interaction, notamment familiaux, politiques, socio-économiques, culturels, criminologiques et psychologiques, détermine son éclosion. Le paradoxe entre la précarité des conditions de vie de la rue dont ils se plaignent sans l’abandonner, nous pousse à analyser le phénomène à la lumière de la théorie de la résilience, chère à Boris Cyrulnik, pour étayer les facteurs de leur résistance à l’adversité. 1 2 Shege : terme qui désigne l’enfant de la rue au Congo, dérive de Schengen, cet espace européen où il y a abolition des frontières intérieures ; et désigne dans l’imaginaire urbain congolais, non seulement le lieu où foisonne le gain facile de la nourriture, du sexe, de la drogue et de la liberté, mais aussi les conditions précaires de l’immigrant clandestin en Occident. Dans certains cas, ils se désignent à la troisième personne du pluriel en lieu et place de la deuxième. Ils utilisent ‘‘Ils, eux’’ au lieu de ‘‘nous’’. C’est un recours au transitivisme. 2/12 Cet exposé relate en quatre points, la complexité du phénomène : le premier aborde comment on devient enfant de la rue, le deuxième se consacre à la complexité proprement dite envisagée du point de vue de l’éducation (formation et socialisation) des enfants dits de la rue, le troisième évoque une illustration de parcours et le quatrième concerne les défis à relever sur base des opportunités en présence. Pourquoi toutes les familles misérables ne rejettent-elles pas leurs enfants à la rue et pourquoi tous les enfants marginaux ne sont-ils pas dans la rue ? Pourquoi cette attirance de la rue qui l’emporte sur tout autre investissement ? Telles sont nos préoccupations. Comment devient-on enfant de la rue ? Plusieurs voies d’accès à la rue sont possibles et nous en présentons quelques unes. Elles renvoient à divers cas de figure, en l’occurrence l’enfant sorcier, l’enfant soldat, l’enfant déplacé de guerre, l’enfant travailleur ou l’enfant lambda (ce dernier cas est développé plus loin). La rue n’enfante pas, mais les enfants de la rue foisonnent, car « ils s’identifient à leurs lieux de vie » (P. Jamoulle, 2008, p. 13). D’ailleurs « le cheminement est visible surtout par les activités exercées » (N.B. Wangre & A. Maiga, 2008, p. 88). La détérioration des conditions de vie place les facteurs économiques à l’avant-plan. L’enfant devient un fardeau pour sa famille qui s’en débarrasse explicitement ou fait pression pour qu’il ‘‘décide’’ de s’en aller. L’un des motifs culturels qu’elle évoque, pour rationaliser et se déculpabiliser, est souvent l’accusation de sorcellerie « qui a pour résultat de les jeter à la rue » (F. De Boeck & M. F Plissart, 2005, p. 159). En ce cas, il s’agit parfois de fuir la maltraitance, car soit le beau-père est tyran, soit la belle-mère est acariâtre, et les coups et les vexations sont quotidiens ; ils proviennent souvent des familles recomposées, déstructurées et défavorisées. La sorcellerie infantile que nous appelons sorcellerie moderne, par opposition à celle traditionnelle3, met aujourd’hui l’enfant au centre des débats (A. D’Haeyer, 2004, p. 15). Concept et réalité en vogue ces dernières années en République Démocratique du Congo (RDC), elle est dépistée par la plupart des pasteurs des églises de réveil4. 3 4 La sorcellerie traditionnelle était souvent l’apanage des adultes surtout les vieilles personnes et son champ d’action était surtout le village. Eglises de réveil : Formations qui se déclarent issues du Christianisme dont le pentecôtisme a donné lieu à un ensemble lui-même éclaté, réunissant une variété d’unions d’Eglises et d’Institutions d’enseignement. 3/12 Ceux-ci s’arrogent le droit de l’éradiquer moyennant des prières de délivrance au long cours, durant lesquelles les fidèles sont soumis au versement de l’aumône pour l’exorcisme de leur enfant présumé sorcier. Il s’ensuit souvent stigmatisation et chantage sans aucune guérison (puisqu’il n’y a aucune maladie, ni possession). En outre, le manque de scolarité qui s’ouvre à eux, faute des moyens, pousse les enfants à la débrouille de la rue, souvent avec la complicité des parents ou proches parents pour contribuer au budget familial, expression d’une société en crise multiforme5. Nul n’ignore que la région des grands lacs, ensanglantée depuis plus de 10 ans, est devenue le champ d’innombrables atrocités dont l’Est de la RDC est victime. Ce qui exacerbe le phénomène et fait émerger l’enfant déplacé de guerre, errant, sans toit ni logis. Sans espoir d’un lendemain meilleur, quelques uns se réfugient dans la drogue, le vol, la prostitution (pour les filles) et tyrannisent l’environnement. Ils vivent des traumatismes atroces, qui, une fois brutalement introjectés, engendrent des perturbations psychiques (L. Crocq, 1999, p. 215) en dépit desquelles certains résistent et restent ‘‘moralement’’ débout. Cette résistance nous renvoie à la notion de résilience par laquelle B. Cyrulnik (2002, p. 21) « définit le ressort de ceux qui ayant reçu le coup, ont pu le dépasser ».Tous ne s’en sortent pas de la même façon, d’où la métaphore un peu élitiste de trois poupées, dont la première est en verre, la deuxième en plastique et la troisième en acier (S. Szerman, 2006, p. 15), du fait que certains sont vulnérables et d’autres résistants. D’ailleurs bien des enfants sont la cible des exploitations multiples. Certains sont pris soit pour des esclaves6, soit comme une main d’œuvre moins chère, corvéable à merci, dans les mines et carrières du Katanga et du Kasaï (Ocu7, 2006) où ils sont exposés aux risques d’éboulement. D’autres, enlevés sur le chemin de l’école, kidnappés sur les terrains de football ou dans les hôpitaux, deviennent Kadogo8 (du swahili enfant soldat), et sont ensuite soumis aux dures épreuves dans les camps d’entraînement. Ils sont, aujourd’hui, estimés autour de 300 000 enrôlés (P. Chapleau, 2007, p.7), dont cet enfant d’environ 5 ans au Burundi déclare 5 6 7 8 Crise multiforme : sociale, économique, psychologique, politique et culturelle. Cas d’enfants d’Afrique de l’Ouest qui récoltent le cacao dans les champs. Edition du 12 février 2010 à 19h sur RTL-TVI. Ocu : Observatoire du changement urbain. En temps de guerre ils sont combattants ou servent d’auxiliaires et en temps de paix ou de trêve, ils sont contraints à l’extraction minière artisanale pour le compte des chefs de guerre. 4/12 birashoboka9 qui veut dire tout est possible. Complexité du phénomène La situation générale de crise que traverse la République Démocratique du Congo et la ville de Lubumbashi en particulier, rend de plus en plus complexe le phénomène d’enfants de la rue. Il n’est pas de domaine qui ne soit hanté par l’idée de crise (E. Morin, 1975, p.149) et presque tous les aspects de la vie nationale sont concernés : la famille, la politique, l’économie, la société, la jeunesse, l’éducation et les valeurs, la liste n’est pas exhaustive. Nous envisageons cette complexité sous l’angle de l’éducation, à savoir la formation et la socialisation. L’éducation familiale, droit primaire des enfants, se trouve supplantée par celle de la rue étant donné que les parents éprouvent d’énormes difficultés à subvenir aux besoins de leurs enfants. Le manque de rémunération ou d’emploi, suite à la crise socio-économique accrue, leur fait perdre l’autorité et la dignité si bien que les enfants préfèrent se mettre en marge de leurs familles et s’adonner à la débrouille10. Complexe est aussi le système d’enseignement dont la formation n’assure plus un réel apprentissage, car avoir le diplôme ne garantit pas la réussite dans la vie et avoir le travail ne garantit pas la rémunération. La plupart d’intellectuels se retrouvent sans emploi et régressent vers la débrouille11 qui est susceptible de réussir. Le circuit informel et les moyens illégaux12 l’emportent sur les voies conventionnelles et semblent mieux payer au détriment des structures formelles qui s’écroulent. C’est ainsi que la socialisation souvent définie comme le processus par lequel la société impose à l’enfant ses règles et ses normes (H. Malewska-Peyre & P. Tap, 1991, p. 49), connaît des troubles suite, par exemple, aux échecs scolaires qui laissent présager les difficultés d’insertion professionnelle, dans la mesure surtout 9 Edition du 12 février 2010 de 19h sur RTL-TVI, journée mondiale de l’enfant soldat. L’écolier s’adonne à la recherche du minerval, aussi bien durant les vacances que pendant la période scolaire, par la vente à la sauvette sur la rue et finit par décrocher. 11 La plupart des licenciés en économie recourent au cambisme et s’installent le long des artères de la ville sous des arbres ou sous des vérandas de magasins. 12 L’enseignant, ne sait pas nouer les deux bouts du mois par son salaire insuffisant et difficilement acquis (SIDA). Les frais d’intervention ponctuelle (FIP) payés par les parents pour suppléent à son salaire de l’Etat. 10 5/12 où se manifeste la transgression des règles et des lois, la violence, l’agressivité individuelle et surtout collective (H. Malewska-Peyre & P. Tap, 1993, p. 10). L’incapacité des espaces de socialisation (famille, école, église, mouvements de jeunesse) d’encadrer l’enfant, le pousse à devenir précocement responsable et apte à participer à la gestion familiale, suite à la crise quasi générale que traverse le pays (D. Dibwe dia Mwembu, 2007, p.39). Non seulement complexe, mais aussi plurielle est la vie de la rue qui confronte l’enfant à des situations contradictoires. Il se plaint de la précarité des conditions d’existence de la rue à laquelle il s’accroche d’une part, et refuse d’en sortir pour intégrer les structures de sa socialisation d’autre part. C’est pourquoi M. Parazelli (2002, p. 325) souligne : « la rue n’est pas bonne ou mauvaise en soi. Elle peut constituer un espace de survie et de protection contre une marginalisation perçue comme pire (le contexte de leur milieu d’origine) elle peut aussi devenir un enfer menant à la mort ». Le point suivant appréhende le parcours à travers le cas d’un jeune surnommé Betenge. Parcours des enfants de la rue Il existe plusieurs parcours possibles qui font osciller l’enfant d’une position à une autre. L’itinéraire du jeune surnommé Betenge, que nous avons appelé enfant lambda, en est une illustration. Sans motif apparent, il a déserté le toit parental, pour le désir soit de s’affirmer, soit éventuellement celui d’aventures ou de défi. Rencontré précédemment durant notre pré-enquête en 2007 alors âgé de 15 ans, nous l’avons revu lors de nos enquêtes (entre octobre 2008 et février 2009), âgé de 17 ans. Originaire de Kolwezi, ville minière du Sud-Est de la RDC, il déclare avoir fui, depuis 2002, la discipline sévère de son père. Parti un jour en débrouille jusque tard, et craignant la colère de son père, il a passé la nuit chez sa cousine. Le lendemain il s’est réfugié à la maison Wenge (une maison d’accueil et d’hébergement à Kolwezi). Quelques temps après, il a quitté Kolwezi et dès lors sa mobilité a été trop criante. Son principal moyen de transport est le train13, quelquefois le véhicule. Ainsi, il est allé de ville à ville, de province à province et 13 Les shege resquillent au train et pour échapper au contrôle, ils font le mustronger (G. Mulumbwa, 2008-2009, p. 8), système qui consiste à se réfugier sur le toit des wagons en référence à Neil Armstrong, premier astronaute à marcher sur la lune en compagnie d’Edwin « Buzz » Aldrin. 6/12 d’une maison d’accueil à une autre. Sa débrouille consistait à voler pour survivre (compresseurs des vélos des vendeurs du charbon revendus à très bas prix). De passage dans une contrée de la province du Kasaï Oriental, il rencontra des jeunes de Lubumbashi qui deviendront ses copains (en 2003) avec lesquels ils trouvèrent un sachet de diamant qu’ils ramassèrent et qui fut sitôt extorqué par les militaires. Menacés, ses amis et lui, d’être brûlés par ces militaires, il quitta le lieu, prit le train vers Lubumbashi où il mit 3 mois sur la rue avant de retourner en famille à Kolwezi. Durant son errance, il est resté en contact téléphonique avec sa mère qui lui aurait appris le retour en famille de son frère, aussi enfant de la rue à Likasi, sans être inquiété par son père. Son retour en famille fut un soulagement pour son père qui le réinscrivit à l’école où il suivit les enseignements en 4e et 5e primaire durant l’année scolaire 2004-2005. Hélas, peu après la proclamation des résultats, au début des grandes vacances, Betenge quitte Kolwezi pour venir vivre en permanence dans la rue de Lubumbashi. Il semble que la rue attire pour la liberté et la débrouille qu’elle procure. Défis et Opportunités Les défis à relever tant par les enfants de la rue que par les intervenants sont innombrables, mais aussi les opportunités à saisir par les uns et les autres. Ils concernent les interventions à finalité éducative. Nous présentons de prime abord les défis, ensuite les opportunités. Quelques défis à relever Le grand défi à relever par les shege est l’adaptation, car vivre dans la rue n’est pas une entreprise aisée, et comme toute organisation humaine, cette vie obéit à certaines exigences où seuls les plus aptes survivent. A Sobibor, surnom de la rue par allusion à ce camp d’extermination nazi situé dans l’actuelle Pologne du SudEst (O.Kahola & A. Kakudji, 2004, p. 76), il n’y a pas de pitié, il n’y a ni petit ni grand, tout le monde est traité sur le même pied d’égalité. Les nouveaux passent par un moment d’initiation où ils subissent des épreuves fort pénibles dont les notions sont adaptées chacune à une situation. Ces notions portent principalement sur l’endurance (manière de résister devant une situation atroce), la débrouille (façon de trouver de l’argent : travail, vol), l’état d’esprit (comment vaincre la peur et la culpabilité) et la communication (comment 7/12 communiquer avec les pairs et les non shege). Pour prouver son endurance en période de dur labeur, le néophyte voit la pâte d’un sachet en fusion coulée sur son corps. Parfois, invité à shooter une brique, pieds nus telle une balle, il est obligé de supporter cette souffrance, sinon il peut être tailladé par une lame de rasoir ou se voir roué des coups (G. Mulumbwa, Op.cit., p.52). La mise en pratique des compétences apprises est un moment crucial pour l’apprenti qui reçoit par exemple du papier de ses maîtres initiatiques qui lui demandent de leur ramener, des quantités précises des vivres, surtout du marché. Obligé de se débrouiller, il réalise sa première mission parfois avec beaucoup de maladresses, se fait rattrapé et lynché par les victimes. Il n’a pas droit de dénoncer son réseau qui parfois assiste à la scène sans réagir. Les erreurs seront relevées plus tard au karema en vue d’une amélioration des stratagèmes. Les défis à relever par les intervenants14 sociaux sont l’errance et/ou le vagabondage, la violence, la sorcellerie et les qualifications stigmatisantes. Il leur revient d’entrer dans la logique de ce phénomène essentiellement urbain, et quasi inexistant en milieu rural, pour le faire évoluer progressivement, c’est-à-dire voir comment rentabiliser et valoriser de telles compétences dans un contexte non antisocial en vue de la réintégration des vagabonds. Tel est le cas de l’initiative du Gouverneur de province qui a construit un centre d’hébergement pour les jeunes errants, hors la ville, non loin de la prison centrale de la Kasapa. Au sujet de la sorcellerie par exemple, le cas du jeune surnommé Zidan est éloquent. Agé de 8 ans et né des parents anciens enfants de la rue à Kindu (cheflieu de la province du Maniema), il déclare que la sorcellerie lui a été transmise à travers la nourriture par les voisins de son oncle paternel à Luena où il a été amené par son père après le décès de sa mère. Depuis deux jours sur la rue, il précise voir ses chefs sorciers en rêve quand il dort. Ils viennent le chercher et effectuent des voyages astraux sur un stick de balai pour aller tuer les malades dans les hôpitaux. Recueilli à la Maison Bakanja15, les religieux responsables ne remarquent aucun signe de sorcellerie et entament directement la médiation avec sa famille, mais sans succès car la belle-mère ne veut plus de lui. 14 15 Religieux, organisations non gouvernementales (ONG) ou organisations philanthropiques. Un centre d’accueil tenu par les religieux catholiques salésiens pour l’encadrement des 8/12 Certaines opportunités à saisir Les opportunités à saisir par les shege eux-mêmes sont : l’apprentissage par la rue, des compétences, du savoir-faire et la formation de la personnalité comme le souligne M. J. Coloni (1987, p. 42) : « c’est dans la rue que les enfants forment leur personnalité et qu’ils mettent au point les méthodes qui leur serviront plus tard à affronter toute sorte de situations dans la vie » étant donné que le système scolaire n’est plus directement utile. De la rencontre avec les religieux, il se dégage que les enfants dits de la rue ont des ressources dont il faut s’occuper (R. Poletti & B. Dobbs, 2006, p. 13), un ressort sur lequel il faut s’appuyer. Pour emprunter l’expression à B. Cyrulnik (2005, p.34) : « une braise de résilience peut reprendre vie quand on souffle dessus ». Alors les opportunités que les encadreurs sociaux doivent saisir, concernent la resocialisation des enfants par la transformation de leur violence en la déplaçant vers les valeurs sociales acceptables. Ils doivent savoir se servir, d’une manière utile à la société, du potentiel de résilience que ces jeunes exercent (avec leurs compétences). Certains jeunes apprennent à compter et à calculer et deviennent des convoyeurs (receveurs) et rabatteurs dans le transport en commun. D’autres recourent à une violence légitime en devenant agents dans les services de gardiennage. enfants sans abri. 9/12 Conclusion Etre enfants de la rue est la conséquence de plusieurs facteurs en interaction qui motivent l’enfant à y élire domicile. La vie de la rue n’étant pas un destin facile, ils sont obligés de tenir le coup pour surmonter les difficultés qu’ils rencontrent. C’est leur côté résilient qui paraît le plus intéressant du fait qu’il leur permet de résister malgré l’adversité et s’appuyer sur des ressorts pour rebondir (B. Cyrulnik, 2003, p.11). La pluralité et la complexité du phénomène renvoient à quelques défis et opportunités. Les défis à relever par les jeunes de la rue sont l’endurance et la résistance à l’adversité, tandis que les encadreurs sociaux doivent contrer le vagabondage, la violence et les qualifications stigmatisantes des enfants de la rue dont ils ont la charge. La formation de la personnalité, les divers apprentissages dans l’adversité sont des opportunités à saisir par les enfants de la rue, alors que la transformation de la violence en valeur sociale positive est l’une des opportunités à saisir par les intervenants sociaux. Un ancien enfant de la rue est aujourd’hui star du football congolais et garde sous son toit plusieurs membres de sa famille. 10/12 Bibliographie Chapleau, P. (2007). Enfants soldats, victimes ou criminels de guerre ? Monaco : Editions du Rocher. Coloni, M.J. (1987). Sans toit ni frontière, les enfants de la rue. Paris : Fayard. Crocq, L. (1999). Les traumatismes psychiques de guerre. Paris : Odile Jacob. Cyrulnik, B. (2002). Un merveilleux malheur. Paris : Odile Jacob. 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