Contexte: les forces de la mondialisation
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Contexte: les forces de la mondialisation
L ’ E S P A C E É C O N O M I Q U E M O N D I A L 1 Chapitre Contexte: les forces de la mondialisation 1.1 L’économie mondiale, ses acteurs et ses pouvoirs 1.2 Une nouvelle économie spatiale L e terme économie mondiale est souvent utilisé pour décrire le résultat des changements économiques, autant que politiques et sociaux qui se sont produits au cours des dernières décennies aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. En effet, l’actualité politique et économique contemporaine souligne des événements comme l’internationalisation des marchés, le déplacement d’activités économiques vers des pays à bas salaires, les technologies de l’information devenues accessibles et peu coûteuses, le chômage chronique dans plusieurs régions industrielles autrefois prospères, la formation de blocs économiques comme l’Aléna1 et l’Union Européenne, et l’émergence de nouvelles nations industrielles, notamment en Asie pacifique. Tous ces événements qui à première vue peuvent apparaître indépendants, s’articulent dans une logique dont il est possible de dresser les grandes lignes. La mondialisation affecte les systèmes économiques et leur expression dans l’espace de plusieurs façons. Par mondialisation, nous entendons deux principaux points : La mondialisation est un processus. Il implique la convergence des marchés, des systèmes de production et aussi des styles de vie. Ce processus implique aussi une distinction entre les corporations, le capital et l’espace. Le résultat est souvent une divergence spatiale du développement économique allant des nations économiquement avancées aux pays les plus en retard. 1 Accord de libre-échange nord-américain 1 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N La mondialisation repose sur l’interdépendance. Les marchés de biens et services, la finance et la production se trouvent ainsi intégrés dans un système très complexe où un changement d’un élément affecte positivement ou négativement les autres. Les régions sont liées par des flux intensifs de marchandises, de capital, de personnes et d’information. Certains considèrent l’économie mondiale comme un fait accompli auquel il faut souscrire, tandis que d’autres y voient des forces déstabilisatrices menaçant l’ordre établi, ou encore le bien être des populations au profit du corporatisme. Il est indéniable que plusieurs grands bouleversements sont en cours, surtout en ce qui a trait à la distribution des activités économiques dans l’espace au sein de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le système-monde2. Le concept même de systèmemonde illustre des modifications importantes dans la conception de l’économie et de l’espace puisqu’il considère un ensemble d’interactions entre les sociétés, les entreprises, les marchés, etc. Le système-monde est un élément complexe issu des processus de mondialisation. Les changements imposés sont structurels plus que conjoncturels. La mondialisation met en évidence plusieurs problèmes souvent liés à l’adaptation à de nouvelles conditions. L’importance, l’étendue et l’échelle des mutations économiques et territoriales, notamment au cours des années 1970 et 1980, ont pris plusieurs intervenants de court. Il n’y a qu’à considérer l’impuissance des gouvernements devant les grands processus de relocalisation industrielle et de mutation de la main-d’ uvre pour se rendre compte que les bases du système économique se sont adaptées à un espace qui n’est plus national, mais continental, voire mondial dans plusieurs cas. L’espace de l’état-nation cesse d’être le cadre de référence privilégié dans les analyses de l’espace économique pour être remplacé pour un espace beaucoup plus vaste et complexe, celui du système-monde. De plus, il importe de constater que les changements de l’économie mondiale ne sont pas conjoncturels, mais bien structurels, puisqu’il ne s’agit pas d’une modification de certains éléments des systèmes économiques, mais bien d’une adaptation en profondeur des appareils de production à un nouveau contexte et à un espace étendu. Les éléments de ce nouveau contexte nous amènent à souligner plusieurs questions qui seront débattues dans ce chapitre. Quelle est l’interprétation économique de cet espace? Quels sont les principaux acteurs uvrant au sein du système-monde? Quels sont les changements dans la nature et la manière dont les acteurs exercent leur pouvoir? Ces questions nécessitent une re-définition du contexte et une identification du rôle de la géographie économique. 1.1 2 Ce terme fut d’abord proposé par le géographe français Olivier Dollfus. 2 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N L’économie mondiale, ses acteurs et ses pouvoirs Devant une nouvelle réalité économique, le système-monde connaît une restructuration de ses assises, domaine sur lequel la géographie économique peut apporter des éléments explicatifs. Avant de définir les éléments de cette contribution, il importe de relever les principaux aspects derrière une nouvelle définition du contexte économique mondial. Nous articulons cette démarche en trois volets. A A L’émergence de nouveaux acteurs et de leurs pouvoirs impose une considération de leur nature et leurs champs d’action. Il reste cependant indéniable que le pouvoir corporatif est en émergence. B Les relations de pouvoir qu’entretiennent les différents acteurs sont devenues complexes au sein d’un nouvel environnement économique et géographique. La façon dont un pouvoir s’affirme est aussi importante que les relations qu’un pouvoir entretient avec d’autres pouvoirs. C Il importe de considérer que les processus de mondialisation ne vont pas dans un seul sens, ce qui n’est pas sans créer des tensions entre les éléments qui se trouvent intégrés, parfois malgré eux, au système-monde. Les nouveaux acteurs et leurs pouvoirs Auparavant, l’analyse du système-monde passait par des considérations géopolitiques qui coordonnaient les relations économiques entre ses éléments. La politique commerciale d’une nation était alors très semblable aux relations politiques qu’elle entretenait avec d’autres nations. Il n’y a qu’à considérer les relations économiques entre les pays du bloc de l’Ouest et ceux du bloc de l’Est avant la chute de ce dernier pour comprendre la composante géopolitique des échanges: le commerce suivant les relations diplomatiques. Dans un monde où l’interdépendance s’est substituée à plusieurs confrontations (comme l’opposition Est-Ouest de la Guerre Froide) et où les acteurs économiques sont beaucoup plus dynamiques que les acteurs politiques, il convient de réévaluer la place de la politique et de l’économie. C’est alors qu’entre en scène de nouveaux acteurs et de nouveaux pouvoirs dépassant les frontières du contrôle étatique. Quels sont donc ces acteurs et ces pouvoirs? Ils peuvent êtres inclus à l’intérieur des pouvoirs économiques et sociaux régissant les processus d’accumulation et de distribution qui s’articulent au sein du système-monde. 3 L E S Figure 1.1 Les pouvoirs sociaux et économiques au sein du système-monde Indus triel F O R C E S Économique D E L A M O N D I A L I S A T I O N ier Financ Système-monde tique Média Social Politiq ue Le pouvoir économique illustre le pouvoir industriel des entreprises et le pouvoir financier des institutions. Le pouvoir social est exercé par les médias et les états à la fois sur les individus, les entreprises et les institutions. Conjointement, ces dernières forment les bases des relations des différents pouvoir au sein du système-monde. Le pouvoir industriel des entreprises Le système-monde est un espace corporatif. La capacité de produire et de transformer est fondamentale dans la génération de la richesse. En effet, le système d’entreprise et de production industrielle constitue les bases du système économique et de son pouvoir. L’accumulation des forces productives (infrastructures, capital et main-d’ uvre) se fait surtout au profit des entreprises multinationales. Ces dernières sont les principaux éléments décidant de l’affectation territoriale des forces productives à l’échelle nationale aussi bien qu’internationale. La nature et l’étendue de leur pouvoir est très complexe et s’établit dans un tissu de relations entre les entreprises, la main-d’ uvre, l’espace et les états. Vers le milieu des années 1990 on dénombrait 37 000 sociétés multinationales, qui avaient 170 000 filiales dans le monde. Ces sociétés contrôlent approximativement le tiers de la production privée mondiale. Cette concentration est d’autant plus importante si l’on considère les 200 entreprises les plus importantes qui contrôlent 26,8% du PNB mondial; plus de 85% de ces entreprises ont leur siège social aux ÉtatsUnis, au Japon, en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. De plus, les 100 entreprises les plus importantes ont une capitalisation boursière qui dépasse les 4 500 milliards de dollars. Il faut souligner que seule une infime partie des grandes entreprises évoluent effectivement dans l’espace économique mondial. La plupart ont des fondations fortement régionales et rarement leurs activités dépassent-elles ce cadre. Le succès des corporations équivaut à l’étendue de leur maîtrise de la technologie, des capitaux, des marchés et des ressources, mais surtout à leur capacité d’évoluer dans l’espace économique par des investissements et la relocalisation de leurs activités. Cette 4 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N maîtrise n’est pas toujours accessible aux entreprises de plus petite taille et échappe graduellement aux états. Le pouvoir financier des institutions Le système-monde est un espace financier. Le secteur financier se base sur la manipulation du capital afin de produire des revenus sur ces transactions. Les principaux recours sont la spéculation (valeurs boursières, immobilier, devises) et les investissements (fixation du capital dans les forces productives). Les marchés financiers (bourses, obligations), qui sont les principaux lieux où s’échange le capital, constituent la plus forte expression de la mondialisation. Ce pouvoir s’articule autour des trois grands pôles financiers que sont New York, Londres et Tokyo et une multitude de centres de plus faible importance qui coordonnent les capitaux et les marchés régionaux. En 1998, 2 000 milliards de dollars s’échangeaient chaque jour sur les marchés financiers pour les devises, 600 milliards pour les obligations et 100 milliards pour les actions, tandis que l’économie mondiale produisait 100 milliards de dollars de PIB. La grande majorité des activités financières impliquent en conséquence une spéculation sur la fluctuation des devises qui repose parfois plus sur des rumeurs que sur les performances économiques réelles. Il s’échange donc sur le marché mondial 50 fois plus de capital que de biens et services. Cet état de fait soulève la question de savoir si la profonde disparité entre le capital de production et le capital spéculatif n’est pas source d’instabilité et de vulnérabilité devant des conjonctures temporaires. Ou, encore, sommes nous en présence d’une économie de plus en plus immatérielle où les ressources physiques ont une importance plus marginale? Dans ce contexte, les banques, les institutions financières (gestionnaires de fonds mutuels, de caisses de retraite et de capitaux privés), les entreprises et particulièrement ceux qui les contrôlent possèdent une énorme influence sur les activités politiques et économiques. Par exemple, les 300 plus importants gestionnaires de fonds de pension américains, européens et japonais contrôlaient une masse monétaire de 8 000 milliards de dollars en 1993. Ces gestionnaires devront faire preuve de responsabilité par une interprétation prudente des conjonctures et potentiels de développement. Par exemple, le Fonds monétaire international, face à un endettement massif de plusieurs pays en développement, a eu une influence considérable sur les politiques économiques nationales. Les résultats de ces politiques, telle la baisse des dépenses publiques dans l’éducation, la santé et l’alimentation, sont loin d’avoir eu des effets positifs sur les conditions de vie des populations. Les marchés financiers, par ailleurs fragiles, peuvent être victimes des mauvaises décisions de leurs gestionnaires et même de rumeurs. Lors du crash boursier d’octobre 1987, plus de 2 000 milliards de dollars se sont évanouis en quelques jours sur les places financières avec une baisse de plus de 22 % pour le seul indice Dow Jones. Dix ans plus tard, en 1997, une crise monétaire et économique en Asie du Sud-Est a entraîné un réajustement de la part de l’ensemble des places financières du monde. De ce ralentissement économique en Asie Pacifique s’est suivi des tendances similaires au 5 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N sein des économies nord-américaines et européennes. L’interconnexion des places financières a donc ses forces mais aussi ses faiblesses, car même les économies les plus solides peuvent être victimes des faiblesses des autres. Le pouvoir des médias de l’information Source: Worldwatch Institute. 450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 80 Dépenses totales Per capita 70 60 50 40 30 20 10 0 19 53 19 56 19 59 19 62 19 65 19 68 19 71 19 74 19 77 19 80 19 83 19 86 19 89 19 92 19 95 19 98 Figure 1.1 Dépenses publicitaires mondiales, 1950-1998 (en milliards de dollars américains de 1997) Jadis qualifiés de quatrième pouvoir, les médias (journaux, télévision, radio, cinéma, disques) ont pris une dimension mondiale qui, selon plusieurs, supplante le pouvoir politique quant à l’influence effective qu’ils exercent. Les médias ne se contentent plus de commenter les événements, ils prennent souvent une part active dans leur déroulement ou bien défendent une opinion socio-économique qui frise parfois l’idéologie. En 1998 il s’est dépensé à travers le monde plus de 413 milliards de dollars pour des campagnes publicitaires dans les médias. Par exemple, les grands événements sportifs, tels les jeux olympiques, ont de fortes associations avec les médias pour leur diffusion, mais aussi avec plusieurs grandes entreprises qui en tirent des bénéfices de promotion. 19 50 Le système-monde est un espace médiatique. Les dépenses publicitaires se sont considérablement accrues au cours des 50 dernières années aussi bien en dépenses totales que per capita. Cette tendance va de pair avec la commercialisation de l’économie et des fonctions sociales. Plus de la moitié des dépenses publicitaires sont reliées à l’automobile et à la restauration rapide. Les liens entre les médias et les grands conglomérats qui les contrôlent sont sujets à plusieurs préoccupations. Tous les événements sont filtrés par les médias et le public ne voit ce que l’on veut bien lui montrer. Des géants du multimédia, tels que Viacom, CBS et NBC, contrôlent ce que la population consulte pour s’informer ou se divertir. Le processus de filtrage de l’information est réalisé à la fois par les propriétaires, les fournisseurs de publicité (surtout les grandes entreprises) et les sources mêmes de l’information. L’indépendance et l’impartialité journalistique sont plus un mythe qu’une réalité face aux oligopoles médiatiques. L’émergence de réseaux planétaires comme Cable News Network (CNN; information) et Music Television (MTV; divertissement) démontre l’étendue du 6 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N pouvoir médiatique (ou multimédiatique) et les guerres entre les grands conglomérats financiers et industriels pour s’approprier leur contrôle. Les conséquences économiques et sociales de cet enjeu peuvent être très importantes (voir encadré). Paradoxalement, l’intérêt public pour les événements internationaux est à la baisse dans plusieurs situations. Par exemple, 45% du temps d’antenne aux États-Unis en 1970 était consacré à des informations internationales, tandis que cette part est réduite à 20% en 1990 et même à 13,5% en 1995. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette baisse, dont la fin de la guerre froide qui a fait diminué l’intérêt du public, de même qu’une quantité accrue d’événements locaux et régionaux dans les bulletins de nouvelles. MTV: un nouvel élément de l’espace médiatique mondial La chaîne MTV est le plus important réseau médiatique au monde, pénétrant dans plus de 300 millions de foyers sur cinq continents, soit plus du quart des familles qui possèdent un téléviseur. Pas une zone habitée n’échappe à son emprise. Fondée en 1981 par Warner-American Express, en 1985 elle passe aux mains du géant américain multimédia Viacom, entreprise valant plus de 29 milliards de dollars, qui lui-même fut acquis en 1987 par le holding NAI (National Amusements Inc.). L’évolution de la chaîne suit donc les grands mouvements de concentration du pouvoir médiatique qui sont survenus dans les années 1980, surtout aux États-Unis, et qui se poursuivent toujours (AOL et Time Warner plus récemment). Sa valeur était estimée à près de 6,5 milliards de dollars en 1997, mais sa nature fait en sorte que son influence est beaucoup plus sociale et culturelle que capitalistique. La vocation de MTV est à la fois simple et complexe et qui se résume en une chaîne musicale ayant pour objectif de diffuser un idéal social et culturel fortement américanisé. Pour ce faire, elle dispose d’un vaste réseau de diffusion, que ce soit par cablodistribution ou par satellite. S’ajoute un ensemble de corporations désireuses de diffuser leurs messages publicitaires sur l’ensemble du globe (CocaCola, IBM, McDonnald’s, Kodak, Levi’s, etc.), donnant à la chaîne des revenus publicitaires considérables. MTV prépare ainsi les futurs consommateurs adultes des pays en voie de développement en leur inculquant des habitudes de consommation. La pénétration médiatique précède ainsi la pénétration industrielle et commerciale, créant un marché parmi une clientèle dont les revenus s’accroissent. La chaîne qui a très vite compris les limites de la mondialisation médiatique, propose l’approche « penser globalement, agir localement ». Pour ce faire, elle dispose de cinq grandes filiales couvrant les grandes aires culturelles du monde. Notons MTV USA, MTV Brazil, MTV Latin America, MTV Europe, MTV Russia, MTV Australia et MTV Asia qui adaptent le contenu proposé par le siège social de New York en y incorporant de la musique et des présentateurs locaux. Cette chaîne est en voie de créer, par l’entremise de la clientèle qu’elle vise, surtout des jeunes de moins de 25 ans, un fondement culturel et idéologique basé sur le modèle de consommation nord-américain. Quelle sera la profondeur de cette culture et de la mosaïque sociale qui en résultera? Il faut aussi noter l’avènement d’« autoroutes de l’information » telles qu’Internet, où une quantité croissante d’informations, mais surtout de services, de marchandises et de devises s’échangent. Plusieurs entreprises, notamment des cablodistributeurs et des compagnies de téléphone, tentent énergiquement de se positionner au sein de « l’infosphère », prévoyant des revenus massifs à moyen et long terme. On observe à ce propose une convergence importante, comme le démontre l’acquisition de Time Warner par AOL (American Online) au début de l’an 2000, transaction de près de 150 milliards de dollars américains. 7 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N Le pouvoir politique des états Le système-monde est un espace politique. L’essentiel du pouvoir politique consiste à contrôler les conditions socio-économiques dans un territoire défini, plus communément nommé état Nation. Dans plusieurs cas, surtout dans les pays développés, l’état est intervenu de façon importante dans de nombreux secteurs de l’économie et a mis en place des systèmes de protection sociale complexes. Il n’y a qu’à penser aux systèmes de santé, de sécurité sociale et d’éducation et au fort degré de dépendance des populations face à ces systèmes. Pour financer ceux-ci, l’état prélève une part de la richesse générée (impôts et taxation) qui affecte différemment les individus et les corporations. Environ 15% des revenus nationaux des pays développés sont consacrés à ce soutien, touchant plus de 100 millions de personnes ayant un revenu moyen inférieur à 5 000 $. La moyenne du taux de taxation sur les revenus corporatifs est de 38% pour les pays de l’OCDE3, mais plusieurs variations sont observées : ce taux est de 57,4% pour l’Allemagne et de 28% pour la Suède. Un autre puissant pouvoir de contrôle étatique est celui de la réglementation (« red tape »), qui force les individus et les entreprises à respecter certaines normes comme celles reliées à l’environnement, à la construction ou à la sécurité de la main-d’ uvre. Ainsi, la réglementation coûtait en 1997 environ 7 000 $ en dépenses supplémentaires par ménage aux États-Unis, alors que le compte de taxes moyen était de 6 000 $. Une interprétation très pragmatique de la situation mène à la conclusion que la priorité des états est de maintenir et d’accroître leur rôle et leur pouvoir plutôt que de servir les intérêts de leur population. Figure 1.1 Dépenses gouvernementales du PIB des pays développés (%) 70 60 Canada Allemagne 50 Japon Suède 40 États-Unis Moyenne 30 20 10 Source: Organisation de coopération et de développement économique. 0 1870 1913 1920 1937 1960 1980 1990 1996 Le pourcentage des dépenses gouvernementale dans la part du PIB a connu une croissance marquée depuis les années 1960. Alors que ces dépenses représentaient en moyenne 9% du PIB au début du XXe siècle, cette part est passée à près de 46%. Dans ces conditions, le désengagement de l’état dans l’économie est plus un mythe qu’une réalité. Même les tendances récentes illustrent une baisse très marginale dans plusieurs cas et, dans la majorité, une continuité dans la croissance du poids des états. 3 Organisation de coopération et de développement économique. 8 L E S Figure 1.1 Revenus de taxation des gouvernements des pays de l'OCDE selon la source (en % du total) Source: Organisation de coopération et de développement économique. Figure 1.1 Dépenses gouvernementales des principales économies industrialisées (en % du PIB) F O R C E S 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% D E L A M O N D I A L I S A T I O N Taxes sur les revenus personnels Taxes sur les revenus corporatifs Taxes sur les biens et services Taxes foncières 1965 1994 Dans un contexte où le système économique qui génère la richesse prend une dimension mondiale, il devient de plus en plus difficile pour les états de prélever une part sur la richesse générée par les entreprises et parfois même d’imposer une réglementation. Le taux de taxation s’est sensiblement accru au sein de l’OCDE. En 1980, les revenus de taxation représentaient 34% du PIB des pays de l’OCDE, tandis que cette part atteignait 38% en 1996. De plus, les états sont contraints à prélever leurs revenus sur les facteurs de production les moins mobiles, c’est-à-dire la main-d’ uvre. Alors que l’impôt sur le revenu formait 45% des recettes des gouvernements en 1965, cette part est passée à 55% en 1994, tandis que la part des corporations diminuait, de 9% à 8%. La capital corporatif, par sa fluidité, échappe de plus en plus aux processus de taxation. 1990 Investissements 1960 Intérêts Consommation Transferts et subsides Source: Fonds monétaire international. 0 5 10 15 20 25 Les dépenses s’inscrivent en quatre catégories principales, soit les transferts et subsides, la consommation, qui inclut les salaires de la fonction publique, les intérêts versés à la dette et les investissements. Les dépenses se sont considérablement accrues dans tous les secteurs, sauf les investissements qui sont demeurés relativement stables dans le pourcentage du PIB. Cela signifie que les gouvernements interviennent de plus en plus pour soutenir indirectement l’économie et peu pour y intervenir directement. Ceci peut alors induire le public en erreur, croyant à un désengagement de l’état alors que ce dernier est de plus en plus présent. L’état-nation, comme structure spatiale et économique, semble compromise par la mondialisation, et ce, pour trois raisons principales : Une corporation uvrant à l’échelle multinationale peut facilement et localiser ses activités aux endroits qui lui conviennent. Elle peut effectuer des transferts de devises et ainsi limiter le taux de prélèvement sur la masse de ses activités. De plus, les états ayant dissimuler ses opérations 9 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N une réglementation, notamment environnementale, moins contraignante nuisent à son application à une échelle globale. Une corporation a de plus en plus de choix quant à l’endroit où payer ses taxes. Les différentes étapes de la production ont souvent lieu dans des pays différents, ce qui laisse la possibilité à l’entreprise de transférer la taxe sur ses profits dans des pays à bas niveaux de taxation. En augmentant le prix d’une pièce produite dans un pays ayant un bas niveau de taxation, une firme est en mesure de transférer ses profits là où ils seront le moins taxés. Il devient aussi plus difficile de taxer le revenu, parce que le personnel qualifié est beaucoup plus mobile qu’auparavant, tout comme de taxer les investissements, qui peuvent être accumulés dans plusieurs pays différents, dont certains qui constituent de véritables paradis fiscaux. Les organismes internationaux, comme l’Organisation des Nations unies (ONU), n’ont pas encore suffisamment de pouvoir politique pour influer sur les autres acteurs internationaux, d’autant plus que l’efficacité de leur pouvoir est souvent contestée par plusieurs nations. Ainsi, les États-Unis n’ont pas payé leur contribution à plusieurs organismes de l’ONU, tel l’Organisation mondiale de la santé. Ces derniers devaient aux Nations unies plus de 373 millions de dollars en 1997. Cela laisse un vide qu’exploitent les pouvoirs industriels, financiers et médiatiques. L’état est-il une structure efficace de distribution de la richesse? La prépondérance de l’intervention étatique dans l’économie des pays industrialisés remonte à la crise économique qui suivit le crash boursier de 1929. Suivant les recommandations de l’économiste Keynes (1883-1946), qui estimait notamment que l’économie de marché ne pouvait résoudre par ses propres moyens le problème du chômage, les états interviennent de façon plus importante dans l’économie pour accroître la demande de biens et de services. Cette politique a été appliquée massivement par les états des pays industrialisés, des années 1930 jusqu’aux années 1970. Il est indiscutable qu’un des rôles premiers de l’état est de s’assurer d’une distribution équitable de la richesse sur son territoire afin de conférer une stabilité à la fois économique et sociale. Or, face à des déficits étatiques chroniques dans les années 1980 et 1990, de l’ordre de 3% du PIB dans la plupart des pays développés, la nature et l’étendue de l’intervention des états sont remises en question à la fois par les gouvernements eux-mêmes et par leurs citoyens. D’une part, le déficit accumulé impose une affectation des ressources au service de la dette, qui peut atteindre 25% du budget dans plusieurs pays développés. Cette situation est souvent plus chronique dans les pays en voie de développement fortement endettés. D’autre part, les coûts de plusieurs services étatiques, comme la santé, les infrastructures et l’éducation, sont souvent peu compétitifs face à ce que le secteur privé serait en mesure d’offrir, quoiqu’une analyse détaillée risque de révéler peu de différences, par exemple dans le cas du secteur de la santé. 10 L E S Figure 1.1 Dette en % du PIB de plusieurs économies avancées, 1991-1997 -20 0 20 40 F O R C E S 60 D E 80 L A 100 M O N D I A L I S A T I O N 120 140 Belgique Italie Canada Autriche Espagne États-Unis Allemagne Angleterre Source: OCDE Hollande France Suède 1991 1995 1997 Australie Japon La figure ci-dessus montre que dans l’ensemble des économies avancées la dette accumulée s’est sensiblement accrue, atteignant même plus de 100% du PIB pour des pays comme la Belgique et l’Italie. Dans ces conditions, les modèles d’intervention étatique sont remis en question, puisque les états n’ont d’autre choix que d’accorder la priorité à la réduction du déficit et de s’attaquer au problème de la dette. L’intérêt de la dette représente en moyenne à lui seul 5% du PIB des pays développés. Devant l’échec des modèles socialistes et communistes comme structures de contrôle et de distribution de la richesse, les pays industrialisés s’opposent à un nouveau modèle, celui des pays de l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Ces derniers n’appliquent guère de stratégies de protection sociale, sauf en matière l’éducation, et laissent aux mains des entreprises la plupart des décisions économiques. Les individus doivent donc de maintenir un taux d’épargne élevé pour faire face aux imprévus de la vie et pour financer leur retraite. L’avantage de cette stratégie, en plus de réduire les dépenses étatiques, est de rendre disponible une plus grande masse de capital d’investissement. Les effets d’une telle politique (ou « non-politique ») sur la distribution de la richesse sont à l’inverse de ce quoi on pourrait s’attendre. Des nations comme le Japon, Taiwan et la Corée du Sud ont un faible degré d’intervention étatique dans l’économie, outre les niveaux de réglementation de plusieurs secteurs, alors que leurs populations ont les revenus les plus uniformes au monde. Il convient alors de poser la question à savoir quelles sont la nature et l’étendue du rôle de l’état dans la distribution de la richesse au sein des pays industrialisés. Contrairement à ce qu’on pourrait croire et malgré la réduction ou les tentatives de réduction des dépenses étatiques, le rôle de l’état au sein des économies est très présent, ne serait ce que par la réglementation des activités économiques. La réponse à cette question complexe repose sur l’élaboration des coûts et des bénéfices engendrés par l’intervention étatique dans l’économie. Il est aisé d’établir les coûts, puisque les états produisent des comptes rendus détaillés de leurs revenus et de leurs dépenses. Par contre, il est très difficile 11 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N d’établir les bénéfices suscités par un système de soins de santé ou encore par le système d’éducation, et ce, par rapport à leurs coûts. La divergence entre les pouvoirs et l’espace L’ensemble des acteurs que nous venons de mentionner existent depuis longtemps. La prépondérance du pouvoir industriel prend s’est manifestée au moment de la révolution industrielle. Le pouvoir financier remonte encore plus loin si l’on considère les premiers marchands et leurs maisons de commerce à la période mercantiliste; l’état-nation moderne comme système organisationnel est une création de la même période. Les médias sont plus récents, mais ils ont de tout même exercé une influence notable dès la fin du XIXe siècle. Alors, si l’ensemble des acteurs ont exercé leur pouvoir bien avant les processus de mondialisation contemporains, qu’a donc de nouveau la situation actuelle? La réponse à cette question semble liée avant tout à des facteurs géographiques. Une tendance à laquelle il est difficile d’échapper est la divergence des types Auparavant, les états possédaient une bonne maîtrise des conditions affectant leurs espaces corporatifs, financiers et médiatiques du fait qu’ils convergeaient assez bien avec leur espace d’intervention. Dans ces conditions ces espaces avaient des marges de man uvre assez limitées, mais ils étaient assurés d’un marché national relativement bien protégé de la concurrence extérieure. Avec les processus de mondialisation, une divergence accrue est observée entre les pouvoirs et l’espace étatique. d’espaces. Figure 1.1 Divergence des différents types d’espaces dans une économie mondiale Espace corporatif ce ue pa tiq Es dia é m E fin sp an ac ci e er Espace étatique Espace économique mondial Face aux processus de mondialisation de l’économie, de nombreux espaces corporatifs, financiers et médiatiques (dans une moindre mesure) ont divergé des espaces étatiques. D’une part, le pouvoir d’intervention des états est moindre et, d’autre part, les espaces corporatifs, financiers et médiatiques doivent affronter une concurrence accrue mais en ayant plus de liberté pour fixer leurs contraintes. B 12 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N Les relations de pouvoir Il importe de comprendre que les différents acteurs mentionnés dans la section précédente ne sont pas exclusifs dans leur nature, pas plus que dans leurs interventions. Il est parfois difficile de faire une distinction entre les pouvoirs industriel, financier, médiatique et politique, notamment dans le cas d’entreprises multinationales qui contrôlent plusieurs secteurs et donc plusieurs types de pouvoir. On peut ainsi penser aux entreprises d’état qui agissent souvent comme un outil de politique gouvernementale. Tous ces acteurs entretiennent des relations qui sont souvent loin d’être harmonieuses, mais dont la considération est un puissant outil d’analyse des processus de mondialisation s’articulant autour de la géopolitique et de la géo-économie. Tableau 1.1 Les relations de pouvoir dans le système-monde Financier Industriel Concurrence Fusion et acquisition Investissement Médiatique Information Concurrence Fusions et acquisitions Information Politique Firmes d’état Législation Taxation Subsides Législation Taxation Fonds d’état Subsides Industriel Financier Fusion et acquisition Médiatique Fusion et acquisition Politique Lobbying Investissement Fusion et acquisition Concurrence Fusion et acquisition Médias d’état Législation Taxation Subsides Lobbying Information Lobbying Diplomatie Intégration Il ressort du tableau ci-dessus que les relations entre les acteurs peuvent être variées; il est néanmoins possible d’établir certaines tendances et certains moyens d’exercer un pouvoir sur un autre pouvoir. Nous en avons relevé sept. La concurrence; le pouvoir du marché La concurrence correspond aux conditions du marché selon lesquelles un ensemble de vendeurs et d’acheteurs interagissent pour établir le prix des biens et services. L’acteur qui offre le meilleur prix pour un bien ou un service se trouve avantagé et il force les autres à réajuster leurs prix à la baisse. Le mécanisme du marché est très puissant pour fixer les prix. Éventuellement, plusieurs acteurs n’auront d’autre choix que de retirer du marché les biens et services pour lesquels ils ne peuvent concurrencer efficacement. La mondialisation a fait en sorte que la concurrence prend des dimensions internationales, notamment pour les biens de consommation courant comme les appareils électroniques. Plusieurs corporations tentent ainsi de se positionner sur les marchés régionaux au moyen de politiques concurrentielles agressives contre lesquelles les états ont de la difficulté à se prévaloir. Fusions et acquisitions; centralisation du pouvoir corporatif Une tendance de premier plan qui s’est manifestée au cours des dix dernières années repose sur l’association de grands acteurs industriels, financiers et médiatiques. Une fusion survient lorsque deux (ou plusieurs) entreprises s’unissent pour former une plus 13 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N grande entreprise. L’acquisition est relativement similaire, si ce n’est qu’elle implique qu’une entreprise prenne le contrôle d’une autre, notamment par l’achat d’une part significative de ses actions. Les fusions et acquisitions visent principalement à réduire la concurrence en créant une situation d’oligopole (nombre limité d’entreprises) dans laquelle les entreprises restantes deviennent plus rentables et productives. Les fusions et acquisitions démontrent une mondialisation accélérée qui est peu décelée par les données statistiques corporatives. Tableau 1.1 Fusions et acquisitions, monde, 1980-1998 (en milliards de dollars américains) 2500 40% Total 35% Transfrontalié 2000 30% % transfrontalié 25% 1500 20% 1000 15% 10% 500 5% 1998 1997 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 0% 1980 0 Source: Worldwatch Institute. Les processus de fusion et d’acquisition se sont fortement accéléré au cours des années 1990 pour atteindre plus de 2,400 milliards de dollars américains en 1998. En moyenne, 25% des fusions et acquisitions concernent des entreprises de pays différents, soulignant une mondialisation corporative. Plusieurs entreprises utilisent les fusions et acquisitions pour percer de nouveaux marchés dans des secteurs où elles sont déjà présentes ou pour acquérir de nouvelles technologies de production dans des secteurs stratégiques. Une des plus importantes fusions industrielles de l’histoire est survenue en mai 1998 entre les géants de l’automobile Chrysler (États-Unis) et Daimler-Benz (Allemagne). Cette transaction de 38,1 milliards de dollars a créé une corporation ayant des ventes annuelles de 130 milliards de dollars et plus de 420 000 employées. Investissement; le pouvoir du capital L’investissement consiste à fixer du capital dans des forces productives afin de favoriser la croissance économique et générer plus de profits. Les investissements vont généralement des endroits et secteurs où le capital est excédentaire vers les lieux et secteurs où il est déficitaire. Une des principales tendances est la forte disparité géographique des investissements, de même qu’une spécialisation des secteurs dans lesquels ils s’accumulent. La capacité d’investir devient un pouvoir que plusieurs acteurs utilisent à leurs fins propres. Législation, taxation et subsides; le pouvoir des gouvernements Nous avons ici les trois principaux outils dont disposent les états pour intervenir dans leur espace économique. La législation créée un environnement légal que doit 14 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N respecter les acteurs (salaire minimum, heures de travail, temps d’antenne, incidence sur l’environnement, règles de concurrence, etc.). Au moyen de la taxation, l’état prélève une part sur la richesse générée qu’il redistribue selon ses programmes socioéconomiques (éducation, santé, développement régional). Les subsides sont un autre type d’intervention étatique où des secteurs spécifiques sont soutenus par des aides financières publiques. Il arrive parfois (surtout dans les économies où le rôle de l’état est prépondérant) que l’état intervienne directement en tant qu’acteur. Il n’y a qu’à penser aux entreprises d’état dans les domaines industriels, financiers et médiatiques. Lobbying; le pouvoir d’influencer les gouvernements Le lobbying est une pratique utilisée par des groupes d’intérêt (notamment les entreprises) pour influencer les politiques gouvernementales dans des domaines précis. Selon leurs enjeux stratégiques, les entreprises, les institutions et les médias peuvent accélérer ou bloquer les processus législatifs des divers paliers gouvernementaux. Pensons notamment aux règles de concurrence ainsi qu’à des subsides et à des évasions fiscales. Les corporations d’une nation ont souvent plus d’influence sur les gouvernements étrangers que sur leurs propres gouvernements. Diplomatie et intégration; le pouvoir d’établir les règles du jeu Les relations entre états s’organisent selon les règles de la diplomatie, souvent hypocrites, où une influence souvent considérable s’établit entre les états économiquement avancés et les moins avancés. Cet état de fait était très important durant la guerre froide quand les deux principales puissances se livraient une guerre d’influence sur les nations du tiers-monde. Le pouvoir d’intervention est souvent directement proportionnel à son niveau de développement économique. Il faut aussi prendre note des intégrations économiques et politiques entre états, avec l’Union Européenne comme l’exemple le plus éloquent. Cependant, à une échelle mondiale les processus d’intégration sont peu développés mais croissants. Information; le pouvoir d’influencer la société Le principal rôle des médias est de diffuser de l’information sur les événements économiques, politiques, sociaux et culturels. Cette information est utilisée par les différents acteurs et conditionne souvent leurs stratégies. Le développement récent des réseaux mondiaux de télécommunications, favorisé par les grandes corporations médiatiques, démontre la capacité imposante de véhiculer l’information et donc d’influer sur le comportement des individus, des institutions et des corporations. C Processus et tensions dans une économie mondiale Il existe de toute évidence plusieurs interprétations possibles des processus de mondialisation dans un espace économique mondial. Ce qu’il importe de comprendre est que, derrière chaque processus favorisant l’émergence de nouvelles conditions, il 15 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N existe une force contraire. Plus les disparités entre ces forces sont présentes, et plus les tensions et les points de rupture peuvent survenir. Quatre grands processus ayant chacun son contraire ressortent, soit la mondialisation, la régionalisation, la polarisation et la diffusion. Mondialisation et régionalisation Dans un contexte économique mondial, chaque processus semble induire une réaction inverse. L’émergence d’un système économique mondial permet aux institutions et aux entreprises d’avoir accès à de nouvelles ressources, de nouveaux marchés, des bassins de main-d’ uvre et de nouvelles sources de financement. L’expression de ces pouvoirs au sein du système-monde se bute à des réactions des acteurs pour lesquels cette situation est nouvelle et déstabilisante. Il importe de considérer que les effets régionaux sont souvent plus puissants que la mondialisation. Peu de multinationales sont vraiment globales. Géographiquement, de nouveaux espaces qui tentent de répondre à la mondialisation sont crées, tels les blocs économiques et les systèmes multinationaux de production. De plus, des tentatives internationales de législation de l’environnement économique et politique sont en cours avec des succès variés, mais toujours mitigés. Des organisations comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) uvrent dans un contexte multinational complexe où le consensus est rarement atteint et presque toujours imposé. Ces tentatives se heurtent à des processus de régionalisation. Face à la mondialisation, les nationalismes, les régionalismes et les intégrismes sont une réponse aux bouleversements imposés à des populations et à des systèmes économiques qui se trouvent marginalisés. Ce choc sera d’autant plus importante que sera la marginalité du système sur lequel les processus de mondialisation imposent de nouvelles conditions. Même dans les nations fortement intégrées à l’espace économique mondial, des mouvements comme le protectionnisme sont des réactions qui vont dans le même sens. Elles sont souvent issues beaucoup plus de perceptions que de réalités effectives. Donc, d’une part la mondialisation et d’autre part la régionalisation imposent des tensions sur les systèmes socio-économiques. Polarisation et diffusion La mondialisation n’est pas nécessairement une homogénéisation des espaces économiques, mais plutôt une spécialisation spatiale synonyme de polarisation. La polarisation concentre les forces productives, notamment le capital, aux mains d’un nombre limité d’acteurs ou d’unités géographiques, tandis que la diffusion est un processus inverse, qui équilibre le contrôle des acteurs et de l’espace. Le principal processus de polarisation observable au sein du système-monde est celui des revenus. On observe à cet effet plusieurs contradictions, comme le fait que 1,5 milliard de personnes ont vu leur niveau de vie s’améliorer au cours des 15 dernières années, alors que 1,6 milliard ont connu une situation contraire. 16 L E S La mondialisation a modifié les mécanismes de distribution de la richesse. F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N L’accroissement des inégalités, à la fois entre les nations et les groupes sociaux, est essentiellement issu d’une différence entre les éléments qui participent à la génération de la richesse et ceux qui s’en trouvent exclus. Par exemple, le programme pour le développement des Nations unies stipule que 20% de la population mondiale contrôlait 85% du capital disponible en 1995 alors que cette part était de 70% dans les années 1960. Cette disparité peut même être poussée plus loin, avec 1% de la population qui contrôlait 40% du capital. Dans un contexte économique mondial, la distribution de la richesse est un enjeu majeur et des plus déstabilisants. Figure 1.3 Répartition du revenu mondial en 1990 3% 6% 12% Premier quintile Second quintile Troisieme quintile Quatrieme quintile 16% Cinquieme quintile 63% Source: Nations unies. La répartition du revenu mondial révèle d’importantes inégalités entre les quartiles qui contiennent chacun 20% de la population. Le premier quintile comprend la population la plus pauvre, qui ne génère que 3% des revenus, tandis que le cinquième quintile de la population génère 63% du revenu mondial. Il ressort clairement une richesse polarisée aux mains d’un nombre limité de personnes. Figure 1.3 Ratio du revenu des 20% plus riches sur les 20% plus pauvres pour quelques nations, 1994 Brésil Russie Singapour Nigeria Royaume-Uni États-Unis France Source: Nations unies. Allemagne Japon 0 5 10 15 20 25 30 35 Selon les nations, il existe d’importantes disparités dans la répartition du revenu. Les 20% de la population de la tranche du revenu la plus élevée à Singapour, au Nigeria et en Angleterre gagnent 10 fois plus que les 20% les plus pauvres. Les inégalités sont aussi flagrantes aux Etats-Unis, où 1% de 17 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N la population détient 50% de la capitalisation boursière. Le Japon présente un des cas où la distribution du revenu est la plus équitable au sein de la population avec le quintile le plus riche gagnant 4,5 fois plus que le quintile le plus pauvre. Dans la majorité des pays en voie de développement, la situation est inverse. Le Brésil illustre bien ce cas avec un ratio de plus de 32, tandis que dans les pays de l’aire d’influence de l’ex-URSS les réformes laissent voir d’importantes disparités. Il est indéniable que les processus de polarisation des revenus risquent d’accentuer ces différences au cours des prochaines années. La polarisation des revenus et la croissance économique Il est indéniable que les processus de mondialisation renforcent la création de la richesse. Cependant, l'accumulation de cette richesse se produit à des endroits précis et aux mains d'un nombre limité de personnes et de corporations. Par exemple, les 200 personnes les plus riches gagnent autant que 41% de la population mondiale et ont un actif combiné équivalent à 1,040 milliards de dollars américains. Les processus de polarisation qui s’en suivent tendent à établir des clivages entre les catégories socioéconomiques de la population, entre les pays développés et les pays en voie de développement, mais surtout entre régions intégrées au système-monde et régions marginalisées. Ces clivages sont d’autant plus importants que l’on observe une diminution de la mobilité entre les classes socio-économiques. La mondialisation et la croissance économique sont deux processus intimement reliés, mais est-ce que la polarisation doit être associée à ces processus? Comme le constate le Courrier International (décembre 1994) « Des centaines de millions de gens ne trouveront aucun avantage à ce nouvel ordre économique mondial. Dans sa forme la plus débridée, le capitalisme crée certainement de la richesse, mais trébuche lorsqu’il s’agit de redistribuer ses fruits équitablement. » Selon plusieurs économistes, à long terme la polarisation de la richesse peut nuire à la croissance économique en réduisant le niveau de consommation d’une partie significative de la population. Il convient de se poser la question à savoir si les tensions générées par la mondialisation n’atteindront pas des points de rupture d’où découleront de graves crises sociales et économiques. À quoi peuvent servir des taux annuels de croissance économique de 4% à 8%, si 90% de la population ne peut suivre ce rythme? Un des principaux moyens d’enrayer ces ruptures repose sur des mécanismes plus efficaces de distribution de la richesse, domaine dans lequel le capitalisme présente de profondes lacunes. D’un autre côté, on observe une diffusion géographique importante des forces productives, surtout celles du secteur industriel. Cette diffusion offre des opportunités d’emploi et de développement économique sur des espaces géographiques qui étaient préalablement marginalisés. Alors que le système-monde offre un cadre propice à la diffusion des activités économiques, le capital généré par ces activités se polarise entre une part décroissante d’acteurs. Il en résulte une tension entre les éléments d’un système économique polarisé dans son contrôle et diffus dans son espace. 1.2 Une nouvelle économie spatiale Dans un contexte où l’ensemble des acteurs connaissent une re-définition de leur rôle et leur relation avec l’espace économique, la géographie économique permet des associations entre l’économie et l’espace. Cette pertinence est renforcée par la 18 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N prépondérance de la dimension économique vis-à-vis la dimension politique, permettant ainsi l’émergence d’une nouvelle économie spatiale. A A La définition spatiale de l’économie fait référence à des notions d’échelle, d’offre, de demande, de patterns et de processus. Les systèmes, leur dynamique et leur correspondance aux processus économiques montrent qu’ils s’inscrivent au sein d’un espace économique complexe. B Les systèmes économiques ont une classification structurelle qui est relative à la propriété des forces productives ainsi qu’au contrôle de l’économie. C Les systèmes économiques ont aussi une classification géographique qui montre l’empreinte de l’espace économique mondial sur les régions et leur niveau de développement. Les assises spatiales des activités économiques Il est difficile de s’intéresser à la géographie économique sans faire référence aux sciences économiques dont le principal objectif est d’assigner une valeur, qu’elle soit monétaire ou autre, aux ressources (qu’il s’agisse des matières premières, de la maind’ uvre, du capital, etc.). La géographie économique se penche sur l’analyse des activités économiques dans l’espace et sur la façon dont l’espace est une composante dans l’assignation d’une valeur aux ressources. Cette analyse peut se faire par une considération exhaustive de chacun des éléments de base de la géographie économique afin d’établir leurs relations. Elle vise plus particulièrement à démontrer les processus derrière les caractéristiques de l’espace économique. Ces processus sont entravés par de nombreuses contraintes spatiales. Ainsi: Les activités économiques ont une localisation. Par leur nature elles consomment de l’espace et certaines localisations sont plus avantageuses que d’autres. Les localisations préférentielles ont un coût, car elle sont souvent l’objet de concurrence pour leur appropriation. Les ressources ne sont pas uniformément distribuées dans l’espace. Certains endroits sont biens dotés en ressources comme la main-d’ uvre bon marché ou bien le pétrole, tandis que d’autres ont des carences que ne peuvent être comblées qu’en assumant un coût. a un coût qui peut être exprimé en temps, en monnaie ou en énergie. On nomme aussi cet attribut la friction de l’espace que les systèmes de transport tentent de réduire. Circonscrire l’espace Les principaux éléments relatifs à l’espace économique touchent son échelle, la nature des activités économiques, son pattern spatial ainsi que les processus qu’ils impliquent. En tant que discipline associée aux sciences économiques, la géographie économique 19 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N considère la dimension spatiale des prix fixés par des mécanismes reliés à l’offre et à la demande. Figure 1.4 Dynamique de l’économie spatiale Changements Démographique Politique Culturel Social Technologique Activités économiques Espace économique Échelle La mondialisation repose sur un ensemble de changements de divers ordres qui modifient les activités économiques, surtout en ce qui regarde leur échelle. Cette dernière entraîne à son tour des changements au sein de l’espace économique qui devient à la fois plus étendu, mais aussi plus flou dans sa définition. Il en résulte un nouveau contexte géographique de l’économie spatiale propice à de nouveaux changements. Parmi les changements les plus significatifs, on peut noter ceux d’ordre démographique, telle la croissance de la population et de son revenu, ce qui implique une expansion des marchés pour les activités économiques. Notons aussi des changements politiques comme la fin des régimes socialistes et le renforcement des intégrations régionales. D’un point de vue social et culturel, il est possible de reconnaître une certaine standardisation des habitudes de consommation. Les changements technologiques, que ce soit dans les domaines des transports, des communications, ou de l’électronique contribuent fortement à étendre l’assise spatiale des activités économiques. Les échelles géographiques La question d’échelle est indissociable de la géographie économique, puisqu’elle détermine le cadre spatial d’analyse. A mesure que l’échelle englobe un plus vaste espace économique, la complexité de l’analyse s’accroît. Il convient de dire que, si le cadre spatial des activités économiques s’est considérablement étendu, il reste tout de même très variable selon leur nature. L’échelle d’intervention d’une multinationale est loin d’être la même que celle d’une entreprise de taille moyenne. Notons les échelles macro, méso et micro-géographiques. 20 L E S L A M O N D I A L I S A T I O N Régionale Nationale Méso • Commerce international • Division internationale du travail D E Locale Micro • Localisation industrielle Macro Figure 1.4 Les échelles de l’espace économique F O R C E S • Associations économiques • Réseaux de distribution Internationale Chacune des échelles de l’espace économique, macro, méso et micro-géographiques, souligne un contexte spatial particulier qui va de l’économie locale à l’économie internationale. L’influence se fait essentiellement de l’échelle internationale vers l’échelle locale, puisqu’un processus inverse est difficilement concevable. 1. Échelle macro-géographique. Cette échelle se penche sur des phénomènes qui vont du cadre national au cadre international. Elle possède une grande capacité d’abstraction mais généralement peu de précision dans ses conclusions. Le faible degré de précision est justifié par la grande complexité des éléments et des relations en cause. Plusieurs développements théoriques, dont les théories du commerce international et de la division internationale du travail, ont permis d’établir des fondements solides pour l’analyse macro-géographique de l’économie mondiale. 2. Échelle méso-géographique. Cette échelle privilégie les cadres régionaux et nationaux, surtout la façon dont les processus survenant à l’échelle macro-géographique ont des incidences à l’échelle micro-géographique. L’émergence de blocs économiques et de réseaux de distribution semble de plus en plus souligner l’importance de cette échelle comme élément d’analyse de l’espace économique mondial. 3. Échelle micro-géographique. Cette troisième échelle illustre les caractéristiques locales et régionales de l’espace économique. Elle offre une faible capacité d’abstraction du cadre d’analyse, mais une grande précision de l’information. Selon notre approche, cette échelle sert essentiellement à établir des conséquences spécifiques de l’espace économique mondial sur des systèmes économiques locaux. Il est très rare que des phénomènes à une échelle micro-géographique aient des conséquences significatives à une échelle macro-géographique, autres que la croissance de phénomènes locaux sur des sphères régionales et internationales. Par contre, le processus inverse est fondamental dans le sens où le contexte économique mondial 21 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N explique souvent les caractéristiques et surtout les processus économiques régionaux et locaux. La mondialisation est avant tout un concept, plus qu’une réalité. Dans ces conditions, il importe d’avoir une approche qui s’appuie sur l’échelle macrogéographique pour comprendre les événements survenant à l’échelle microgéographique, car l’inverse ne donnera pas de résultats significatifs. L’analyse des espaces macro-géographiques offre les bases d’une approche théorique à l’espace économique mondial qu’il importe de relier à l’analyse empirique des espaces méso et micro-géographiques. Étant donné que l’espace économique mondial, espace macrogéographique, est en fait une addition et une conjonction d’espaces méso et microgéographiques, la somme des parties est supérieure aux éléments individuels. En fait, l’économie mondiale est plus un concept qu’une réalité tangible puisque ce sont avant tout des événements méso et micro-géographiques qui surviennent, mais qui sont affectés par un cadre macro. Pourquoi donc mettre autant l’accent sur un terme, l’économie mondiale, qui est avant tout un concept? Justement parce que ce concept est une forte composante explicative dans l’organisation de l’espace économique. Composante spatiale de l’économie En addition au raisonnement mercantiliste des économistes, le marché est aussi régie par les composantes spatiales de l’offre et de la demande. Il importe d’inclure dans la représentation du marché que la localisation géographique de l’offre et de la demande est rarement la même et que des infrastructures de distribution doivent être présentes pour que l’offre puisse effectivement combler la demande. Dans ces conditions, les échanges entre l’offre et la demande sont affectés par la distance, qui elle-même est conditionnée par la géographie. Le concept de distance prend toute sa signification quand on considère les ressources naturelles comme le pétrole et les produits miniers qui sont se trouvent loin des centres de consommation. Une part significative du prix du marché est conséquemment induite par la capacité d’acheminer ces ressources des lieux d’extraction (offre) vers les centres industriels (demande). L’espace est alors exprimé sous forme de friction qu’il influe sur le prix du marché. Les activités économiques sont aussi consommatrices d’espace, ce qui peut jouer sur le prix de leur production. Par exemple, les activités agricoles consomment généralement de très grandes surfaces pour produire leurs denrées, tandis que les activités industrielles et commerciales utilisent une surface beaucoup moindre mais de façon parfois très intensive. Il existe une relation entre la valeur attribuée à l’espace et la nature de son utilisation, qu’il convient d’explorer. En conséquence, la différenciation spatiale entre l’offre et la demande crée des échanges et des mouvements qui doivent être supportés par des infrastructures de distribution, car circonscrire la friction de l’espace permet d’accroître l’échelle opérationnelle des activités économiques. La différenciation spatiale fait en sorte de modifier le coût des ressources et aussi la nature des activités économiques, 22 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N domaine sur lequel la géographie économique s’est penchée activement dans ses études régionales. Les activités économiques ont une répartition spatiale qui définit l’espace économique et ses inégalités. Un problème d’analyse tient au fait que les patterns économiques ont forcément une composante spatiale, alors que les processus n’en ont pas nécessairement une, ou du moins ils n’ont que des conséquences sur cette composante. Dans ces conditions, il importe d’inclure dans la géographie économique des éléments qui n’ont pas toujours une composante spatiale, tels les cycles de croissance et de récession et les innovations technologiques, puisqu’ils ont des effets sur la distribution des activités économiques. Les systèmes et l’espace économique L’économie et l’espace s’articulent dans un ensemble de relations qu’il est possible d’identifier et même de quantifier. Par exemple, l’inflation aura un impact sur le pouvoir d’achat qui lui-même modifiera les habitudes de consommation. Étant donné que les revenus ne sont pas uniformément distribués dans l’espace, une inflation équivalente n’affectera pas de même manière les éléments de l’espace économique. Les relations qu’illustre cet exemple sont d’autant plus complexes que l’espace économique mondial comporte un grand nombre d’acteurs économiques, politiques, médiatiques et sociaux qui suscitent des changements dans le système économique. Dans ces conditions, la théorie des systèmes constitue un puissant cadre conceptuel d’analyse de l’espace économique. Un système est un ensemble d’éléments en interaction. Les principaux éléments composant un système économique sont ce qu’il est convenu d’appeler ses forces productives, c’est-à-dire le capital, la main-d’ uvre, la technologie, les ressources et l’espace. Ils entretiennent un ensemble d’interactions. En effet, l’espace économique mondial est un système où les acteurs industriels, financiers, médiatiques et politiques s’influencent mutuellement. Ces interactions sont très complexes, mais quelques concepts de base peuvent être utilisés pour définir sur la dynamique des systèmes économiques. Un système économique a pour principale fonction de transformer des intrants en ce qui ne peut se faire qu’en employant des ressources. Ainsi, le secteur automobile utilise un ensemble de composantes, matières premières, capital, technologies, main-d’ uvre et pièces qui conjointement forment ses intrants, pour produire des automobiles qui sont ses principaux extrants. Ce secteur est soumis aux lois du marché, qui sont elles-mêmes un système où l’offre et la demande interagissent pour déterminer le prix. extrants, 23 L E S Figure 1.4 Dynamique d’un système F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N Environnement Intrants Système (transformation) Extrants Rétroaction La transformation des intrants en extrants par un système n’est qu’une part de sa dynamique. La seconde, le principe de rétroaction, implique un ajustement du système face à son environnement. Un système doit s’adapter aux nouvelles conditions qui affectent son environnement, sinon il cesse d’être opérationnel. Cette opération se fait notamment par des processus de rétroaction. Pour poursuivre notre exemple, le secteur automobile, devant une variation de la demande (que ce soit une croissance ou une baisse), va adapter ses intrants pour que ses extrants correspondent à la nouvelle demande. Une part des difficultés qu’a connues le secteur de la construction automobile en Amérique du Nord au cours des années 1980 est attribuable à une incapacité d’adaptation face à un nouvel environnement commercial (meilleurs prix, voitures de plus petite taille, consommation énergétique efficace, etc.), domaine dans lequel les entreprises japonaises ont excellé. En d’autres termes, l’espace économique actuel présente une capacité rétroactive croissante. Dans l’espace économique mondial, l’environnement devient très volatile et instable avec une variété de conditions salariales, de ressources, de politiques, de stratégies, de technologies qui imposent une adaptation continuelle aux systèmes économiques, que ce soit dans l’espace (relocalisation industrielle) ou dans leurs processus (technologies de l’information). Les éléments du système économique Quatre éléments permettent le fonctionnement général d’un système économique, soit l’entretien, la production, l’adaptation et l’administration. 1. L’entretien permet à un système économique de maintenir ses conditions de fonctionnement. Il peut s’effectuer au sein de sa main-d’ uvre par des processus de formation ou encore par l’entretien de ses infrastructures (routes, réseaux de télécommunication, bâtiments, etc.). Dans une économie de plus en plus complexe et interdépendante, des efforts considérables sont consentis pour la formation de la main-d’ uvre ainsi que pour le maintien des infrastructures de distribution. 2. La production est la capacité effective d’un système économique à produire de la richesse. Elle implique une combinaison des facteurs de production que sont le capital, les ressources et la main-d’ uvre. Selon le 24 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N secteur d’activité, la production peut prendre plusieurs formes tels les biens, les capitaux, les ressources et les services. La fonction de production est primordiale dans l’analyse de l’espace économique mondial car elle identifie la nature des systèmes économiques. 3. L’adaptation est l’effort consenti pour développer de nouvelles solutions et alternatives économiques et de nouvelles technologies. De nombreuses activités économiques connaissent des difficultés d’adaptation face à un nouvel environnement issu de la mondialisation. Par exemple, la baisse des tarifs douaniers force plusieurs secteurs industriels à adapter leurs structures pour produire à moindre coût sur un marché très compétitif. 4. L’administration gère les composantes du système, veille à leur bon fonctionnement et assure aussi une partie de la distribution de la richesse. Dans un système économique où plusieurs composantes se retrouvent dans des espaces variés et distants, les besoins d’administration augmentent. Cependant, les technologies de l’information ont considérablement réduit la main-d’ uvre nécessaire pour effectuer ces tâches. Tableau 1.4 Principaux secteurs d’activité du système économique Primaire A B C D Agriculture, forêts, pêches, mines Capital, main-d’ uvre, ressources et technologie Fermes, pêche, exploitations forestières et mines Poissons, bois, récoltes, animaux et minéraux Secondaire Manufacturier Capital, main-d’ uvre, ressources et technologie Transformations manufacturières Biens intermédiaires et produits finis Tertiaire Quaternaire Commerce, affaires et services personnels Capital, main-d’ uvre et biens de consommation Marketing, offre de services et divertissements Banque, finance, assurance et administration Capital, main-d’ uvre et information Services financiers, encodage et transmission de l’information Biens et services Capital d’investissement, crédit et coordination des activités A- Principaux secteurs d’activité B- Intrants C- Transformation D- Extrants Chaque secteur économique possède ses propres intrants et extrants qui sont relatifs aux processus de transformation. Par exemple, le secteur secondaire utilise du capital, de la main-d’ uvre, des ressources et de la technologie pour produire des biens intermédiaires et des produits finis. Certaines activités sont très intensives en maind’ uvre, comme le secteur textile, tandis que d’autres comme l’acier utilisent massivement des ressources. B Les systèmes économiques et leurs structures Les systèmes économiques régissent les principes de fonctionnement des systèmes de production et de distribution de la richesse. Or, l’histoire démontre une grande variété des mécanismes de contrôle et de distribution allant des sociétés tribales axées sur la chasse et la cueillette jusqu’aux systèmes corporatifs à l’ uvre sur des sections entières 25 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N du système-monde. Les systèmes économiques concernent les modes de production qui indiquent la manière dont les sociétés humaines s’organisent autours des facteurs de production. Ces derniers comprennent l’espace, les ressources, la main-d’ uvre, le capital et les entreprises. D’un point de vue contemporain, les systèmes économiques peuvent être classés comme appartenant à l’économie de marché (capitalisme), à l’économie dirigée (communisme) ou à une économie mixte. Il est aussi possible d’ajouter deux critères de classification supplémentaires, qui sont le type de propriété des modes de production et la méthode de contrôle de ces modes. La propriété des forces productives peut être privée (individus) ou publique/collective (états et coopératives). La méthode de contrôle détermine la façon dont les ressources sont distribuées. Dans un système capitaliste, les « forces » du marché influent sur l’offre et la demande des ressources, tandis que dans un système communiste le gouvernement « dirige » la distribution des ressources. Figure 1.4 Classification des systèmes économiques Privée Mixte Publique Propriété B C Mixte D E F Dirigé G H I Contrôle A Marché Il existe plusieurs combinaisons possibles entre la propriété et le contrôle économique. La majorité de ces combinaisons s’orientent cependant le long de l’axe A-I. Il est en effet assez difficile de pouvoir imaginer une économie ayant une propriété privée de la richesse et un contrôle entièrement collectif (case G) ou encore une économie collective entièrement régie par les forces du marché (case C). Hong Kong se situe vraisemblablement dans la case A, tandis que la Chine entre dans la case I (avec une tendance marquée vers E ou F). Les États-Unis sont dans la case D, tandis que le Canada et plusieurs pays européens entrent dans la case E. L’économie de marché Deux éléments jouent un rôle important dans une économie de marché, les individus et les entreprises. Les individus possèdent les ressources et les biens de consommation, tandis que les entreprises utilisent les ressources et produisent des biens. Le principe moteur d’une économie de marché est la liberté qu’a le consommateur de choisir quoi acheter et celle qu’a l’entreprise de produire ce qu’elle veut. Le marché fait en sorte qu’il y ait équilibre entre la production des entreprises et la demande des consommateurs. Cet équilibre sert aussi à établir le prix de la maind’ uvre selon sa disponibilité et sa qualité et selon les besoins des entreprises. La 26 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N distribution des ressources est le résultat d’une constante négociation entre les individus et les entreprises, notamment au sujet des salaires. Considérant diverses influences, l’économie de marché parfaite ne peut exister. Une économie de marché « parfaite » n’existe pas, et ce, à cause de l’influence que peuvent exercer les grandes entreprises, les syndicats et les politiques gouvernementales. Les grandes corporations peuvent influer sur les forces du marché, surtout dans des situations de monopoles et d’oligopoles. Elles contrôlent alors plus efficacement le mécanisme de fixation des prix. Les syndicats tentent d’apporter des bénéfices à leurs membres, comme des salaires plus élevés et des avantages sociaux. Cela a considérablement modifié les conditions du marché du travail et la flexibilité de la main-d’ uvre. Les politiques fiscales, monétaires et sociales des gouvernements influent sur l’emploi, la production et la consommation. L’économie dirigée Dans une économie centralement planifiée, le gouvernement coordonne les activités des différents secteurs économiques. Cela se fait en mettant en place des objectifs et en déterminant le prix et la quantité de ce qui est produit. Pour établir une perspective à moyen terme de la distribution des biens, capitaux et ressources, le plan quinquennal est un outil privilégié. Une part de l’échec des économies dirigées, comme l’ex-URSS, réside dans d’importantes disparités de productivité imposées par des prix artificiellement trop bas et des salaires trop élevés dans des secteurs peu productifs. De plus, ce système, par son inertie bureaucratique, offre une faible capacité pour répondre à de nouvelles conditions ainsi qu’à des opportunités de développement. Bien que le modèle soviétique ait permis de hauts taux de croissance, la croissance a baissé rapidement à partir des années 1950. Ainsi, les taux de croissance étaient en moyenne de 10% dans les années 1950, de 7% dans les années 1960, de 5% dans les années 1970 et de 2% dans les années 1980. Cette tendance est liée à la baisse de la rentabilité des investissements dans le secteur industriel, celle-ci ayant qui décliné très rapidement à la fin des années 1950, même si la part des investissements augmente, n’atteignant aucun retour vers le milieu des années 1970. L’économie mixte La plupart des systèmes économiques sont mixtes. Aucune économie n’est strictement de marché ou planifiée. En effet, il arrive souvent que le gouvernement joue un rôle significatif dans l’économie par l’intermédiaire de la propriété des modes de production et par une influence sur les décisions des entreprises. Le principal objectif est souvent d’éviter la formation de monopoles, tendance très favorisée dans une économie de marché. L’intervention de l’état est très variable et plusieurs nations ont des politiques de protection sociale soutenues par des régimes de taxation. L’économie mixte est en quelque sorte un consensus entre le libre marché et le dirigisme. Étant donné que le capitalisme excelle dans la création de la richesse, mais a de la difficulté à la répartir « équitablement », et que le communisme sur base sur une répartition de la richesse, mais à de la difficulté à en créer, un « juste milieu » semble recherché, mais rarement atteint. 27 L E S D F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N Les systèmes économiques et leurs espaces Les systèmes économiques s’articulent dans l’espace par l’accumulation de leurs forces productives. Ils transposent ainsi une configuration géographique de la production et de la consommation. Justement, lorsqu’ils sont associés à l’espace, ils forment un espace économique. La définition de l’espace économique impose une classification géographique qui s’est récemment considérablement modifiée non pas dans ses fondements mais dans sa nature. Cette section présente donc différentes façons de voir l’espace économique. L’espace économique mondial conventionnel A partir du début du XXe siècle, l’espace économique mondial s’établit progressivement au sein du système-monde. Cependant, cet espace sera longtemps l’objet d’une dualité entre les systèmes capitalistes préconisant l’économie de marché et les systèmes communistes où le contrôle est de mise. La période qui va de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin des années 1980, plus communément connue sous le nom de guerre froide marque cette phase. La Banque mondiale, jusqu’au début des années 1980, classait les nations en trois grandes catégories politico-économiques, reflétant cette dualité et leurs terrains d’affrontement: 1. Les nations du premier monde étaient formées des économies de marché ayant un produit national brut (PNB) per capita élevé. Ce sont généralement des démocraties capitalistes dont les États-Unis, l’Europe de l’Ouest et la Japon sont les principaux représentants. Le pôle majeur de ce bloc est formé par les États-Unis, qui maintiennent un ensemble de bases militaires à travers le monde et pratiquent une politique d’aide pour plusieurs nations dans leur aire d’influence politique. 2. Les nations du second monde étaient caractérisées par des économies centralement planifiées, allant du socialisme au communisme en passant par le « dirigisme ». Elles avaient un PNB moyen et une structure industrielle relativement bien développée et comprenaient l’URSS, l’Europe de l’Est et la Chine. L’URSS constituait le principal pôle de ce bloc, avec un ensemble de nations satellites en Europe de l’Est. La Chine, en se distanciant de l’URSS au début des années 1960 forma un sous-bloc. 3. Les nations du tiers monde. Il s’agissait des « autres » nations, présentant des conditions politiques variées, mais ayant toutes un faible PNB per capita et une structure industrielle embryonnaire, sinon inexistante. L’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud et du Sud-Est étaient le théâtre de plusieurs affrontements idéologiques entre les nations du premier et second Monde. Plusieurs états de dépendance économique ont été ainsi créés entre, d’une part, les nations du premier monde et, d’autre part, les nations du second monde. En opposition au conflit géopolitique 28 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N entre le premier et le seconde monde, plusieurs nations ont choisi la neutralité sous l’égide des nations non alignées. Le nouvel espace économique mondial Les profonds changements à la fois politiques et économiques des deux dernières décennies ont fortement remis en cause la classification conventionnelle des niveaux de développement ainsi que des principaux pôles du système-monde. Il convient de constater que le système-monde est passé d’une organisation bipolaire à une organisation multipolaire. Étant donné une tendance vers une certaine « homogénéisation » des systèmes politiques (avec de très nombreuses exceptions), les classifications utilisées maintenant se basent davantage sur des critères d’ordre économique. Il en ressort deux classifications, soit celle de la Banque mondiale et celle des nations Unies. Figure 1.4 Distribution sectorielle de l’emploi par niveau de revenu per capita Source: World Bank, World Development Report 1995, p. 31. % de la main-d'oeuvre La Banque mondiale utilise désormais une classification basée sur le revenu per capita, c’est-à-dire la masse monétaire moyenne que gagne annuellement un individu. La relation entre le revenu per capita et la structure économique d’une nation est des plus directes. Plus ce revenu est élevé, plus la population uvre dans les secteurs industriels et des services. Cette constatation se base sur les mouvements observés dans les pays développés depuis la révolution industrielle. Cependant, la dotation nationale en ressources peut faire varier la proportion de la main-d’ uvre au sein de chaque secteur de l’économie. Par exemple, la forte disponibilité et la productivité des terres agricoles aux États-Unis supporte une part significative de la main-d’ uvre dans les secteurs de l’agriculture et des industries agro-alimentaires, même si le revenu per capita y est très élevé. Pour des nations qui disposent d’imposantes ressources minières, comme le Canada, le Venezuela et l’Indonésie, la main-d’ uvre occupe davantage le secteur des services que le secteur industriel. 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Services Industrie Agriculture 4 5 6 7 8 Log du revenu per capita 9 10 Le développement économique favorise les mouvements de main-d’ uvre du secteur agricole vers les secteurs industriels et des services. Selon le revenu per capita, la part de la main-d’ uvre au sein du secteur agricole passe de 90% pour les nations à faible revenu à 5% pour les pays développés. Pour le secteur industriel, cette part varie entre 4% et 35%, bien que dans les pays ayant une économie avancée, elle ait tendance à baisser au profit du secteur des services. Ce dernier est le principal bénéficiaire d’une croissance des revenus, passant de 6% à 60%. En 1994, le secteur des services 29 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N occupait 66.5% du PIB des économies avancées, alors que le secteur manufacturier en représentait 31,2% et l’agriculture 2,3%. Géographiquement, le revenu per capita connaît d’importantes variations, mais il appert que la grande majorité de la population mondiale a un revenu annuel inférieur à 8 626 $ en 1995 et même que 50% de la population a un revenu inférieur à 695 $. Figure 1.4 Revenu per capita, 1995 Les pays les plus économiquement avancés, qui forment la première catégorie, se trouvent en Amérique du Nord (Canada et États-Unis), en Europe de l’Ouest et en Asie Pacifique (Japon, Australie et Nouvelle-Zélande). La seconde catégorie englobe plusieurs pays de l’ex-bloc soviétique, de même que les nations sud-américaines, du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est insulaire. La dernière catégorie regroupe la majorité des nations africaines et asiatiques continentales. Il est à noter que les comparaisons à une échelle nationale n’illustrent pas les variations des conditions locales et régionales. A titre d’exemple la Chine, quoique étant une nation à faible revenu, montre d’importantes disparités régionales entre les régions côtières dotées de systèmes économiques avancés et l’intérieur pourvoyeur de ressources. La classification proposée par les Nations unies est plus complexe et se base sur plusieurs critères reliés au revenu, mais aussi sur la structure de l’économie et aux exportations. 30 L ’ É C O N O M I E Figure 1.4 Classification des Nations unies, 1993 S P A T I A L E D U S Y S T È M E - M O N D E La classification proposée par les Nations unies comporte cinq classes, les économies avancées ayant des revenus élevés. Sur ce point, les classifications de la Banque mondiale et des Nations unies ne diffèrent pas, puisqu’elles regroupent, à quelques exceptions près (tels la Grèce et le Portugal), l’ensemble des économies avancées. Les nouvelles économies industrialisées, où les produits manufacturés représentent plus de 25% du PIB et 50% des exportations, comportent une vingtaine de pays dont la croissance industrielle récente a été très rapide. Il existe tout de même d’importantes disparités au sein de cette classe, puisque la croissance économique rapide des pays de l’Asie de l’Est et du Sud-Est est difficilement comparable à celle des pays de l’Amérique Latine (Mexique, Brésil et Argentine). Les pays exportateurs de pétrole tirent l’essentiel de leurs revenus de son exploitation. Ils se distinguent aussi comme économies de rente ayant des revenus per capita artificiellement élevés. Plusieurs autres nations, telles que l’Algérie, le Venezuela et le Nigeria, sont d’important exportateurs de pétrole, mais leur structure économique les classe dans d’autres catégories. Les pays continents, c’est-à-dire l’Inde et la Chine, présentent des sociétés à majorité rurales qui ont des revenus faibles, mais en croissance. Toute croissance économique y a des impacts considérables sur la demande de matières premières, de biens et de services. A toutes fins utiles, ils sont classés en tant que pays en voie de développement, mais leur simple poids démographique en fait des cas particuliers. Les pays les moins avancés ont un très faible PIB per capita (moins de 700 $), un faible niveau d’industrialisation (moins de 10 % du PIB) et d’alphabétisation (moins de 20 %). Il s’agit notamment de pays africains. Les autres pays en voie de développement faisant meilleure figure que les pays les moins avancés, mais dont le niveau de développement est toujours insuffisant, représentent une autre classe. Il importe encore une fois de souligner l’importante diversité, et même l’hétérogénéité, des membres de cette classe, qui regroupe aussi bien des anciennes économies socialistes (Russie et Europe de l’Est) que des pays d’Afrique du Nord et d’Amérique latine. PNB et PIB: mesurer la performance économique des nations L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N Le produit national brut (PNB) et le produit intérieur brut (PIB) sont les principales variables utilisées pour mesurer la performance macro-économique d’une nation. Le PNB est la valeur de tous les biens et services produits par une économie nationale durant une période donnée (généralement sur une base annuelle). Il est mesuré en totalisant toutes les dépenses des individus, gouvernements et industries d’une nation sur le marché domestique et à l’étranger. Le PNB n’illustre pas une mesure du bien-être et du développement, puisque l’utilisation effective des ressources n’est pas définie, pas plus que son niveau de concentration. Par exemple, le PNB est plus élevé dans les pays tempérés où la population dépense des ressources pour le chauffage et l’habillement que dans les pays tropicaux où de telles dépenses ne sont pas nécessaires. Le PIB est la valeur de tous les biens et services produits par une économie nationale sans tenir compte de l’origine du producteur. Par exemple, un bien produit par la filiale d’une multinationale dans un pays extérieur n’entre pas dans le calcul du PNB, mais est inclus dans le PIB. Avec la mondialisation de l’économie, le PIB est de plus en plus utilisé comme mesure de la performance économique, ce qui est principalement justifié par les multiples origines des systèmes de production présents à l’intérieur des économies nationales. Le PNB et le PIB peuvent se mesurer en dollars courants ou en dollars constants. La valeur en dollars courants (ou nominale) est la valeur de la production selon les prix effectifs durant la période. La valeur en dollars constants (ou réelle) est la mesure de la production selon une période de référence. La différence entre la croissance de la valeur nominale et de la valeur réelle est due à l’inflation. PIB de certains pays industrialisés, 1996 (en % de la moyenne de l’OCDE) Suisse Pays-Bas Espagne Italie Per capita Royaume-Uni Par heure travaillée France Allemagne Japon Source: Organisation de coopération et de développement économique. États-Unis 70 80 90 100 110 120 130 140 Le PIB a aussi une signification différente selon la manière dont il est comparé entre nations. Si l’on considère le PIB par heure travaillée, il appert que des pays comme la France, les Pays-Bas et l’Italie sont parmi les plus productifs. Cependant, cette mesure cache un haut taux de chômage et un salaire minimum élevé. Si l’on considère le PIB per capita, des pays comme le Japon et les États-Unis se trouvent en tête de liste. Le G7: les bases de la puissance Le « Groupe des Sept » qui est formé des sept pays les plus industrialisés, fut créé à l’initiative de la France. Il rassemble à partir de 1975 les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni sous le G5. En 1985, l’Italie et le Canada s’y sont joint pour former le G7. Le président de l’Union Européenne participe aussi aux 32 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N réunions annuelles du G7. Ces réunions ont pour principal objectif de coordonner les politiques économiques et commerciales des pays les plus avancés. Les relations diplomatiques qui s’y déroulent établissent la stratégies politiques des nations industrialisées face à des problèmes et à des crises. En 1998, la Russie est admise à part entière au sein de l’organisation, qui devient alors le G8, mais le G7 continue de fonctionner de manière parallèle aux réunions du G8. Figure 1.4 Répartition du PIB mondial, 1997 28% 34% États-Unis Autre G7 Reste du monde Source: Banque mondiale, World Development Report, 1999. 38% Les pays du G7 totalisent, en 1997, 62% du PIB mondial pour seulement 12% de la population. A eux seuls, les États-Unis forment 28% du PIB mondial. Malgré tous les processus de mondialisation, la richesse et la capacité de produire restent polarisées dans un nombre limité de nations. Le principal avantage du G7 est qu’il est très peu institutionnalisé et fonctionne par consensus, surtout à l’initiative des États-Unis Il permet donc un ensemble de rencontres informelles sur des ordres du jour flexibles selon les grandes priorités économiques et politiques de l’heure. Par exemple, dans les années 1980, le G7 a servi de forum aux pays avancés pour tenter de régler plusieurs problèmes reliés à la dette des pays en développement, notamment la dette. En 1985-87, les politiques du G7 ont corriger la surévaluation du dollar, alors qu’en 1991 on discutait la façon de partager les coûts de la guerre du Golfe. L’OCDE: le groupe des économies avancées L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), fondée en 1961, regroupe 29 nations industrialisées, la plupart en Europe4. L’OCDE tire son origine de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE; 1948), mise en place pour administrer l’aide américaine du Plan européen de reconstruction (mieux connu sous le nom de plan Marshall). De plus, l’organisation doit améliorer la stabilité des devises, combiner les forces économiques d’intervention et favoriser le commerce entre les nations membres. Le but de l’OCDE se résume en trois principaux objectifs: (a) promouvoir l’emploi, la croissance économique et le niveau de vie, tout en Les 20 membres fondateurs de l’OCDE regroupaient, en 1961, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l’Espagne, la Suède, la Suisse, la Turquie, les États Unis, et l’Allemagne. Le Japon (1964), la Finlande (1969), l’Australie (1971), la Nouvelle-Zélande (1973), le Mexique (1994), la République Tchèque (1995), la Corée du Sud (1996) et la Pologne (1996) se joindront plus tard à l’organisation. 4 33 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N maintenant la stabilité; (b) contribuer au développement économique des nations membres et non membres; et (c) favoriser la croissance du commerce mondial par des engagements multilatéraux et non discriminatoires. L’organisation contient aussi un ensemble de filiales qui se penchent sur des problèmes particuliers, par exemple l’AEN (Agence pour l’Énergie Nucléaire, 1972) et l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie, 1974). Créés pour avoir une politique commune face aux pays de l’OPEP, le CAD (Comité d’aide au développement, 1961) et le Centre de développement de l’OCDE (1962) mènent par ailleurs des activités de recherche et d’édition. L’OCDE tient à jour toute l’information économique disponible pour coordonner les politiques des nations membres. Les pôles de l’espace économique mondial A la lumière des changements récents qui renforcent les considérations géoéconomiques au détriment des considérations géopolitiques, il appert que l’espace économique mondial s’articule autour trois pôles principaux; l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon. Figure 1.4 Les trois pôles de l’espace économique mondial Chacun des pôles de l’espace économique mondial a une sphère d’influence non exclusive, comme l’illustre cette représentation. Pour l’Amérique du Nord, il s’agit principalement des nations sudaméricaines. L’Afrique, l’ex-URSS et l’Europe de l’Est sont à inclure dans la sphère d’influence européenne. Le Japon est quant à lui le pôle principal autour duquel s’articule le Pacifique asiatique, qui inclut la Chine, les « Dragons » et l’Asie du Sud-Est. Plusieurs régions comme l’Océanie, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient ne sont pas dans l’aire l’influence d’un pôle particulier, mais sont à inclure dans les grands axes du système-monde. Ces pôles sont non seulement d’importants centres financiers et industriels, mais aussi de vastes marchés de consommation de ressources, biens et services. Ils contrôlent la distribution de la richesse au sein de leur sphère d’influence économique, notamment par leurs grands centres financiers. Il est important de noter le caractère non-exclusif des sphères d’influence. Par exemple, des intérêts étasuniens sont très 34 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N présents dans plusieurs nations de l’Asie du Sud-Est, en Chine, en Europe de l’Est ainsi que dans plusieurs nouvelles économies industrialisées telles que Taiwan et la Corée du Sud. Le centre et la périphérie Les pays industrialisés, par rapport aux autres nations, s’insèrent dans un contexte de centre et de périphérie. Leur attribut de centre d’impulsion implique une certaine dominance d’économies plus périphériques. Les pays du centre concentrent la majorité de l’innovation et des activités économiques de haut niveau. De plus, leurs populations ont un revenu élevé qui permet une meilleure qualité de vie. Les nations de la périphérie ont généralement une technologie beaucoup plus primaire et un système industriel basé sur une utilisation intensive de main-d’ uvre à bas salaire. Il importe aussi de considérer les nations de la semi-périphérie qui ont été en mesure d’atteindre une croissance économique significative. Les pays du centre et de la périphérie Le concept de centre et de périphérie est une définition à la fois économique et géopolitique. Les nations de la semi-périphérie peuvent être d’anciennes puissances militaires (Russie), de nouvelles économies industrialisées (Brésil, Corée du Sud, Argentine) ou des nations relativement isolées des grands courants économiques (Inde). Les nouveaux pays industrialisés Les nouveaux pays industrialisés sont comme leur nom l’indique d’industrialisation récente et extérieure au contexte nord-américain, européen et japonais, où jusqu’au milieu du XXe siècle se concentrait la plus grande partie de l’industrialisation. L’étendue de cette industrialisation a été très rapide, surtout depuis les années 1960. Ils sont tous d’anciens pays en voie de développement ayant, avec plus ou moins de 35 L E S F O R C E S D E L A M O N D I A L I S A T I O N succès, réussi à accumuler une quantité significative d’activités industrielles. Ils forment en quelque sorte une certaine antithèse des modèles de développement qui stipulaient que les pays avancés prévenaient l’industrialisation dans les pays en voie de développement. En général, ces nations ont bénéficié de la mondialisation en offrant une main-d’ uvre qualifiée et bon marché ainsi que des mesures financières incitatives. Les pays économiquement avancés (PIB per capita avec parité du pouvoir d’achat), 1997 Il n’existe pas de critères formels qui peuvent définir particulièrement le groupe des pays économiquement avancés. Certains le sont indéniablement, tels les États-Unis, l’Allemagne ou le Japon, tandis que d’autres comme la Grèce et Taiwan le sont beaucoup moins (et même à la limite du critère d’inclusion). En utilisant le critère arbitraire d’un revenu per capita de plus de 10,000 $, nous obtenons les nations ci-dessus. Celles-ci représentent 16% de la population mondiale, mais 82% de la génération de la richesse, ce qui tend à souligner la pertinence du critère d’inclusion. Source: The Economist Intelligence Unit. 36