description des profils des mineurs victimes de prostitution

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description des profils des mineurs victimes de prostitution
Description des profils des mineurs
victimes de prostitution
la prostitution des mineurs en lien avec
les nouvelles technologies A MADAGASCAR
Cette publication a été réalisée avec le soutien financier de l’Agence Française de
Développement, l’Union européenne, Australian Aid et AIRFRANCE. Le contenu de
cette publication relève de la seule responsabilité d’ECPAT France et ne reflète pas
nécessairement la position de ses bailleurs.
Equipe sociale d’ECPAT France Madagascar
Editeur : ECPAT France Madagascar
www.ecpat-france.org
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Méthodologie et population d’étude
2
Présupposés, résultats et discussion
• Enfants, mineurs... des termes à préciser
• Prostitution enfantine et exploitation sexuelle en ligne
• Profil et identité des enquêtés
• Identité des personnes enquêtées
• Situation familiale des personnes enquêtées
• Environnement familial
• Scolarisation et raison de la déscolarisation
• Les jeunes et internet
6
CONCLUSION
4
6
7
8
8
10
10
14
16
20
INTRODUCTION
E-prostitution… C’est le terme conçu pour parler de la prostitution
en ligne dans les pays occidentaux. C’est un signe que le phénomène
est implanté sur le net et s’y développe, et que la prostitution s’est
adaptée aux nouvelles technologies. Les sites - plus ou moins explicites
- sont innombrables. Des personnes vendent des services sexuels de
façon régulière ou occasionnelle via des sites d’annonce, alors qu’elles
n’auraient peut-être pas envisagé de se poster dans la rue.
Les technologies de l’information et de la communication ont simplifié
la mise en relation avec les clients et a multiplié les possibilités de
contact et les formes de pratiques prostitutionnelles1. Internet
permet à des personnes de vivre une double existence, dont l’identité
virtuelle reste secrète à l’entourage. C’est le cas par exemple de la
prostitution étudiante.
A l’heure actuelle, les chiffres sur les mineurs en situation de
prostitution restent inexistants mais il est certain que la prostitution
de mineurs s’organise également sur internet. Internet présente
des avantages importants pour une activité clandestine telle que la
prostitution des mineurs. Les coûts d’accès faibles et la facilité de
fonctionnement lui assurent une rentabilité optimale. La discrétion et
l’anonymat garantis aux clients facilitent leur passage à l’acte.
A Madagascar, la prostitution des mineurs a été documentée à
plusieurs reprises par des ONG2. Cependant, la prostitution sur
Internet et particulièrement l’utilisation qu’en font les mineurs n’a pas
encore fait l’objet d’études. Depuis quelques années, Internet prend
une place de plus en plus importante à Madagascar : l’implantation
des réseaux s’élargit, les coûts de connexion diminuent, l’accès sur
1 http://infos.fondationscelles.org/archives/107-l-impact-d-internet-sur-laprostitution-en-france-n8
2 Etude GD, étude ECPAT
2
les téléphones portables se banalise et les « cybers » (lieux publics
d’accès à l’internet, ou cybercafés) fleurissent un peu partout. Les
jeunes sont, bien entendu, des consommateurs d’internet – et leur
accès aux sites reste très peu contrôlé.
En 2015, ECPAT France a mené une étude à Antananarivo et Nosy
Be avec pour objectif de faire un état des lieux et de poser les bases
pour une première compréhension d’une pratique encore méconnue
du grand public mais également des travailleurs sociaux.
Dans le cadre de cette étude, il était question de connaître le ‘profil’,
c’est à dire savoir à qui on s’adresse lorsqu’on travaille avec des mineurs
victimes de prostitution par internet ainsi que de comprendre leurs
pratiques sur internet. Concrètement, il s’agissait de comprendre la
manière dont ils se mettent en jeu sur internet et leur attitude par
rapport à internet pour identifier les risques auxquels ils s’exposent,
à Antananarivo et Nosy Be.
3
Méthodologie et population d’étude
La méthodologie détaillée de la collecte des données est présentée
dans une note intitulée « Etude sur l’utilisation d’internet dans la
pratique prostitutionnelle des jeunes à Nosy Be et Antananarivo.
Contexte et méthodologie utilisée.».
En résumé, l’analyse se base sur une enquête menée simultanément à
Antanananrivo et Nosy Be. Le questionnaire à destination des jeunes
victimes de prostitution a été soumis à 207 personnes sur les deux
sites d’action d’ECPAT France : Antananarivo (111 personnes) et
Nosy Be (96 personnes). Parmi ces 207 jeunes, 143 étaient majeurs
au moment de l’enquête.
Cet article ayant pour objectif de connaitre le profil des mineurs
utilisant internet et de comprendre leur pratique sur internet, il a été
convenu de supprimer de l’analyse les cas ne correspondant pas à cet
objectif. Ainsi, parmi les personnes interrogées, 57 ont été supprimées
de la base de donnée selon les critères suivants :
- Les majeurs ayant commencé la prostitution après l’âge de 18 ans
ou ayant répondu à la question « depuis combien de temps êtes vous
dans la prostitution » de manière imprécise.
- L’absence d’élément permettant de confirmer une utilisation
d’internet pour des pratiques prostitutionnelles avant l’âge de 18
ans, à partir de la question : « depuis combien de temps utilisez-vous
internet pour trouver des clients ? ».
Cette analyse se base donc sur 150 personnes mineures ou ayant
commencé la prostitution en tant que mineurs et ayant eu recours à
internet dans le cadre de ces pratiques mineurs. Sur ces 150 personnes,
82 ont été interrogées à Tana et 68 à Nosy Be.
Il est important de préciser que les personnes interrogées ont été
4
identifiées par ‘effet boule de neige’. Tout d’abord, des jeunes en
situation de prostitution de rue ont été abordés afin d’identifier des
utilisateurs d’internet. Ceux-là ont été interrogés. Suite à l’entretien,
les enquêteurs leur ont demandé de leur présenter un autre jeune
qui lui même utilise internet et ainsi de suite. Cette méthodologie
a été privilégiée car elle permet un échantillonnage plus large que
des jeunes en situation de prostitution de rue. Les tentatives pour
identifier les jeunes directement sur internet ont été vaines : les
jeunes ne répondent pas spontanément aux questionnaires envoyés
ou postés sur les forum et tchats. L’étude des données a été faite sur
le logiciel Sphinx.
Exploitation sexuelle des enfants en ligne
5
Présupposés, résultats et discussion
Il existe à Madagascar, un nombre inconnu d’enfants qui – sous la
contrainte ou non – vendent des services sexuels, ce qui porte
atteinte à leur intégrité physique et psychique. Ces enfants se trouvent
dans la rue mais aussi sur internet, sur des sites accessibles à tous.
Les nouvelles technologies offrent une manière relativement facile
d’établir des contacts entre «offrants» et «clients », de rencontrer
des partenaires potentiels ou d’acquérir du matériel à connotation
sexuelle. Le recours croissant aux nouvelles technologies dans
les pratiques prostitutionnelles s’explique essentiellement par la
possibilité de travailler dans l’anonymat. Il n’y a plus de « témoins
»1 comme dans les lieux de rencontres extérieurs. Ces nouvelles
pratiques conduisent à une multiplication des lieux de passe privés ;
ce qui rend la prostitution «moderne» moins visible. Cela se traduit
aussi par des sources nouvelles de dangers.
Enfants, mineurs…des termes à préciser
Un enfant est défini par la Convention Internationale relative aux
Droits de l’Enfant (CIDE) comme « […] tout être humain âgé de
moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu
de la législation qui lui est applicable 2 ». Les textes de protection de
l’enfance rappellent que l’enfant est un être humain avec des droits
et une dignité et qu’en raison de son manque de maturité physique
et intellectuelle, il a besoin et droit à une protection spéciale. Il ne
peut être tenu responsable d’une pratique prostitutionnelle. Ainsi,
l’expression «enfant prostitué» doit être bannie car elle implique que
l’enfant a choisi, d’une certaine manière, d’en faire sa profession. Or,
ce n’est pas le cas : ce sont les adultes qui créent la prostitution des
enfants à travers leur demande pour des enfants en tant qu’objets
1 De Smet, S. Sur la corde raide du net : étude exploratoire sur les jeunes,
internet et le sexe payant, Childfocus, 2008.
2 Convention relative aux Droits de l’Enfant, Assemblée Générale des
Nations Unies, 20 novembre 1989.
6
sexuels et leur recherche de profit. Par définition, tous les enfants en
situation de prostitution sont des victimes d’abus. Ce sont des enfants
que nous n’avons pas réussi à protéger.
Le terme enfant englobe la petite enfance, l’enfance et l’adolescence,
jusqu’à 18 ans. A Madagascar, dans le milieu de la protection des
enfants en situation de prostitution, il est fréquent d’utiliser le terme
de mineur. En effet, dans la compréhension commune à Madagascar,
le terme « enfant » réfère à l’enfant pré-pubère. Il existe un fort
décalage sémantique avec les textes internationaux. S’il existe une
forte adhésion sociale à la lutte contre l’exploitation sexuelle des
enfants pré-pubères, la prostitution et le tourisme sexuel impliquant
des adolescents, particulièrement des jeunes filles ayant un corps de
femme, est quant à elle largement banalisée et acceptée.
Prostitution enfantine et exploitation sexuelle en ligne
La prostitution enfantine est définie comme l’utilisation d’une personne
de moins de 18 ans « pour des activités sexuelles, en échange d’une
rémunération ou de toute autre forme de rétribution 3». C’est une
transaction commerciale au cours de laquelle l’enfant est soumis à la
disposition d’une tierce personne pour assouvir ses désirs sexuels.
L’exploitation sexuelle des enfants en ligne, ou exploitation sexuelle
des enfants dans l’environnement d’internet n’a pas définition
consacrée par un texte juridique international. Le terme regroupe
plusieurs situations :
- La production, la vente et la circulation de pornographie mettant
en scène des enfants facilitée par internet. La pornographie mettant
en scène des enfants est définie comme « toute représentation, par
quelque moyen que ce soit, d’un enfant s’adonnant à des activités
sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des
organes sexuels d’un enfant, à des fins principalement sexuelles 4 ».
3 Protocole facultatif à la Convention des Droits de l’Enfant, 2000.
4 www.ecpat-france.org
7
- L’utilisation d’Internet aux fins de préparer ou de commettre les
atteintes sexuelles sur des mineurs 5.
Dans cet article, l’étude porte sur le comportement des jeunes et
non celui des clients. Ce sont les réponses des jeunes qui ont été
traitées pour comprendre comment ils se mettent en scène sur
internet, quelles situations de danger ils ont pu rencontrer, et quels
comportements à risque ils développent dans cet espace et en lien
avec leurs pratiques prostitutionnelles.
Profil et identité des enquêtés
Cette étude ne cherche pas à dresser un profil type des jeunes en
situation de prostitution sur internet mais plutôt de faire un état des
lieux afin de développer des programmes de prévention. A travers
cette enquête, on tentera d’expliquer l’ensemble des traits généraux,
des motivations et des comportements qu’ont rapporté les mineurs.
Les informations décrites ci-dessous se basent sur un petit échantillon
et il est donc essentiel de rester prudents avec ces premiers résultats.
Identité des personnes enquêtées
La grande majorité des personnes enquêtées est de de sexe féminin
(94%), ce qui reflète la population en situation de prostitution à
Madagascar. Il faut néanmoins garder en tête que, si la prostitution
féminine ne se cache pas, les garçons en situation de prostitution
restent discrets et donc moins abordables lors des enquêtes.
Les personnes abordées ont entre 15 et 22 ans, avec un âge moyen
de 18,8 ans et une médiane à 19 ans. Elles ont toutes commencé la
prostitution mineure mais dans cet échantillon, seuls 42,7% des jeunes
avaient 18 ans ou moins lors de l’enquête. Ce chiffre peut s’expliquer
par le fait que la prostitution des mineurs est illégale à Madagascar
et qu’il est plus simple d’aborder des adultes, qui reconnaissent avoir
commencé quand elles étaient mineures. L’âge d’entrée en prostitution
5 Cahen, M. AvocatOnlien, La nouvelle prostitution sur internet, http://
www.murielle-cahen.com/publications/p_prostitution.asp
8
des enquêtés était majoritairement à l’adolescence, à partir de 15 ans.
Ages des personnes enquêtées au moment de l’enquête et âges d’entrée dans la
prostitution
Situation familiale personnelle des personnes enquêtées
La majorité des jeunes interrogés sont célibataires (90,7%), les autres
sont mariés (6,0%) ou déjà divorcés (3,3%).
47 femmes (soit 33,0% des jeunes femmes) ont déclaré être ou avoir
déjà été enceinte. La plus jeune avait 15 ans au moment de l’enquête.
Parmi elles, 33 avaient un ou deux enfants, 4 ont expliqué avoir avorté
ou fait une fausse couche. Un n’a pas répondu et 9 ont déclaré « ne
pas avoir d’enfant ». Il est possible que les enquêtées soient enceintes
au moment de l’enquête ou qu’elles n’aient pas souhaité commenter
l’arrêt de leur grossesse. A noter que l’avortement provoqué est un
acte aussi tabou qu’il est fréquent 6.
6 Marielle Jousse, mémoire de master de santé publique 2015
9
33,3% des jeunes interrogés ont déclaré avoir des relations fixes,
avec des limites floues entre la relation affective et la recherche
de contrepartie : petit ami (6,0%), amant (2,0%), ami (8,7%), mirody
(1,3%), mpirevy (2,7%).
Environnement familial des personnes enquêtées
Etudier l’environnement familial du jeune est essentiel. Le rôle joué par
la famille est central dans le parcours d’un enfant. Certaines familles
aux prises avec des difficultés s’avèrent défaillantes ou démissionnaires
dans leurs fonctions affective, éducative ou économique. Il ne s’agit
pas de proposer des parcours-types stéréotypés, mais de cerner les
motifs qui peuvent expliquer en partie que la prostitution soit apparue
au jeune à un moment donné comme un moyen de négocier avec les
difficultés. La pauvreté n’est pas seulement économique, elle expose
souvent les parents et les enfants à des situations d’exploitation ou
d’exclusion (faible accès à la santé, à l’éducation…). Sans argent, et sans
réseau social soutenant, on peut mieux comprendre qu’un mineur
se retrouve en situation d’exploitation, qu’elle soit économique ou
sexuelle.
Structure familiale des personnes enquêtées
10
Dans cette étude, 50% des jeunes vivaient dans une famille composée
d’au moins 2 adultes. Dans ce groupe, 36,7% vivaient avec leurs
deux parents, des frères et sœurs ; 13,3% vivaient dans des familles
recomposées. Les jeunes qui proviennent de familles dissoutes,
familles recomposées, familles monoparentales, familles sans parent
constituent la majorité (61,3%). Pour ces jeunes, dont la structure
familiale est troublée soit par le décès d’un des parents, soit par leur
séparation, 39 sur 92 (42%) affirment être la personne ressource
de la famille, avec la mère (41%). 15% des pères sont porteurs de
ressources.
Les jeunes s’engagent dans la prostitution en réponse à un besoin de
survie ou de sécurité matérielle. Dans un pays, comme Madagascar
où la pauvreté ne fait qu’augmenter, où les ressources et les aides aux
familles les plus démunies ne passent que par les soutiens ponctuels
des ONG, il n’est pas étonnant que des jeunes, incluant des mineurs,
cherchent une solution dans la prostitution. Lorsqu’on leur pose la
question des changements survenus dans leur vie depuis qu’ils sont
en situation de prostitution, 57,3% des jeunes mentionnent l’élément
économique.
Les familles des personnes enquêtées sont de taille conséquente :
plus de la moitié des enquêtés vivent dans des familles composées de
4 à 6 personnes (52,7%) et ces familles sont composées d’un grand
nombre d’enfants, en moyenne 4,3 par famille et 60% des familles
comptent 3 à 5 enfants.
11
Nombre de personnes constituant le foyer de la personne enquêtée
Comme présenté ci-dessus, la composition de la famille peut être un
facteur jouant dans les décisions des jeunes, notamment si le ratio
entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre
d’enfants est déséquilibré : le jeune peut vouloir/devoir subvenir à ses
besoins financier et matériel ou à ceux de ses frères et sœurs.
La famille peut présenter d’autres problématiques citées fréquemment
dans les récits de vie des jeunes en situation de prostitution, notamment
les relations difficiles entre les membres et les conséquences (fugues,
provocations, violences, etc.).Ainsi, au-delà de la structure de la famille
telle qu’elle est décrite ci-dessus, il peut être pertinent d’en savoir un
peu plus sur les relations entretenues par les membres.
Dans notre étude, 68,7% des personnes interrogées ont fait au moins
une remarque positive sur leur ressenti par rapport à leur vie familiale,
et 27,3% ont fait une remarque négative. Les jeunes semblent ainsi
entretenir des rapports conviviaux avec leurs familles. 16% d’entre eux
décrivent un environnement où les gens vivent sereinement et 14,0%
sans ou avec peu de conflits et des sentiments d’amour partagés entre
les membres de la famille. Les liens entre les membres sont importants
et sont mis en valeur : la communication, l’entraide et le respect (16%).
12
Parmi ceux qui ont fait des remarques positives sur leur famille, 8,7%
étaient reconnaissants de ‘l’indépendance’ et la ‘liberté’ qui leur était
laissée. Le manque de cadre familial, de surveillance sur les relations,
les sorties et l’utilisation d’internet, ou tout autre absence d’autorité
parentale ou de désinvestissement, communément qualifiée de «
démission » parentale peut pourtant être un facteur de risque 1. Ce
facteur de risque est présent chez environ 11% de notre échantillon,
si on ajoute aux 9% décrits ci-dessus les 2% de jeunes qui se disent
autonomes et qui ne vivent pas avec leur famille.
Ressenti positif des personnes interrogées sur le vie familiale
1 Dieleman, M. Jeunes prostitué(é)s et réponses sociales : état des lieux et
recommandations, Entre 2, 2006.
13
Les 27,3% de jeunes qui se sont montrés négatifs concernant leur
relation familiale l’ont expliqué notamment par les problèmes
financiers rencontrés par la famille (22,0%), des conflits entre les
membres de la famille (61,0%), expliqués par le traitement inégal
des enfants des familles recomposées et les rapports avec les beauxparents.
Une autre question concernait les problèmes rencontrés à la maison.
Les réponses à cette question illustrent parfaitement ce qui est décrit
ci-dessus. 50% des jeunes interrogés soulignent que, le problème le
plus fréquemment rencontré par les familles est le manque d’argent ou
de travail (50%) et les frais quotidiens (3,3%) tels que la nourriture ou
les frais d’écolage. Viennent ensuite les difficultés relationnelles entre
les membres de la famille (5,3%), telles que les disputes constantes, le
manque de cohésion et le manque de communication, etc. L’absence
physique ou morale d’un des parents est également cité (5,3%).
Scolarisation et raisons de la déscolarisation
Les résultats montrent qu’une seule personne sur 150 n’a jamais été
scolarisée, à Nosy Be. Cette mineure est en situation de prostitution
de rue et cherche occasionnellement des clients, notamment des
vazahas, par internet.
30,0% des répondants étaient scolarisés au moment de l’enquête,
52,3% dans un établissement privé et 47,7% à l’école publique. Dans
cette étude, la majorité (52,6%) a atteint le secondaire (collège : 23,3%;
lycée : 29,3%) ; 8,0% l’université. Un petit nombre d’entre eux n’ont pas
dépassé l’école primaire (5,3%) mais ont un niveau d’alphabétisation
suffisant pour utiliser des ordinateurs et être en contact avec des
clients. Le niveau d’étude semble supérieur à la moyenne des mineurs
en situation de rue, qui sont bien plus nombreux à n’avoir jamais été
scolarisés (21,2%) ou jamais n’avoir atteint le lycée (60,7%)1.
70% des jeunes ne sont plus scolarisés, pour la plupart (54,0%) pour
des raisons financières et/ou de recherche d’emploi (dont 5,0%
1 ECPAT France, La prostitution des mineurs à Antananarivo, 2012
14
précisent que c’est pour la prostitution). La motivation personnelle,
l’échec ou les problèmes scolaires sont également une des raisons
citées (16,0%). 9% des jeunes femmes qui ont abandonné l’école l’ont
fait suite à une grossesse précoce.
Les jeunes non scolarisés expliquent, qu’à la place, ils se prostituent
(60,0%) ou travaillent (27,6%). 21,0% déclarent « ne rien faire / errer
». Ceux-là ne reconnaissent pas leurs pratiques prostitutionnelles
comme une activité, peut-être parce qu’elle prend une forme moins
économique, ou qu’elle est plus occasionnelle.
Activité actuelle des jeunes
15
Les jeunes et internet
Afin d’avoir une idée de l’utilisation d’internet, des questions générales
ont d’abord été posées aux jeunes sur leur utilisation d’internet,
notamment sur les raisons d’utilisation, ce qu’ils y font, où et avec
quel matériel.
Motif d’utilisation d’internet
La recherche de personnes inconnues (amis, mari, vazaha, clients,…)
est le premier motif d’utilisation d’internet (66,7%), bien devant ceux
qui l’utilisent avant tout pour correspondre avec une personne connue
(31,3%) et ceux qui ‘surfent’ pour se tenir au courant de l’actualité,
pour des divertissements, pour leurs études, etc. (6,0%). Il reste à
noter que 7,3% des enquêtés ont répondu à cette question par la
réponse « facebook », ce qui ne nous donne pas d’indication sur les
motifs d’utilisation de cette interface. On verra plus loin que facebook
est le site le plus visité, quelque soit le motif de visite.
48,7% des personnes interrogées seulement déclarent se servir
d’internet pour « trouver des clients ». Cette réponse correspond
aux jeunes qui admettent directement se prostituer mais également
aux jeunes ne mettant pas ce terme-là sur leur pratique. Cela
correspond à ce que nombre d’études rapportent ; à savoir qu’il
n’existe pas d’estimation fiable du nombre de jeunes qui sont impliqué
dans l’industrie clandestine du sexe, en partie parce qu’ils se cachent
mais aussi parce qu’ils ne reconnaissent pas qu’ils se prostituent, bien
qu’ils avouent pratiquer des activités sexuelles en échange d’argent,
de biens ou de services (DORAIS, 2004) 1. A Madagascar, cela s’illustre
par le grand nombre d’expressions qui existent en malgache, pour
décrire des pratiques de type prostitutionnelle.
1 Prostitution juvénile - Portrait des jeunes suivis au Centre jeunesse de
Québec, Centre jeunesse de Québec, 2006, p9.
16
Ils cherchent des pratiques sexuelles contre rémunération ou la
recherche d’hommes mûrs, plus âgés, riches ou exerçant une activité
professionnelle, afin de s’assurer un avenir confortable 1.
Les attentes par rapport aux personnes rencontrées sur internet
sont multiples (plus de 30 entrées différentes), ce qui rend l’analyse
compliquée. Certaines des réponses, telles que prononcées par
les enquêtés sont très claires, comme par exemple la recherche
d’argent (52%), la recherche de vazaha (12%) ou de clients (14%), etc.
D’autres sont plus ambigües. Nous avons néanmoins déterminé deux
grandes tendances, qui permettent de comprendre ce que les jeunes
recherchent sur internet. Une première tendance serait équivalente à
de la prostitution ‘classique’, c’est à dire la recherche d’une personne
pour un rapport sexuel en contrepartie d’argent ou de biens de
consommation. 66,0% des jeunes mentionnent cet objectif de
recherche clair de ‘clients’ sans autre attente que le prix de la passe.
Les jeunes de la seconde tendance recherchent une personne, pour
entretenir une relation plus ou moins longue, qui pourrait l’entretenir.
Ce sous-échantillon (32,7%) regroupe les jeunes à la recherche de
« revy », de « clients amis », de « personne qui répondent à leurs
envies »,… Dans les réponses non classées, on retrouve le sexe pur,
la beauté et quand même 14,7% des répondants qui sont prêts à tout
accepter (« sans exception »).
D’autres auteurs ont souligné la proportion importante de jeunes
qui pratiquent la prostitution de façon occasionnelle afin de combler
des besoins particuliers (par exemple, vêtements, drogues, alcool). Ce
dernier point n’apparaît pas du tout dans cette enquête 2.
1 Ce phénomène, la pré-prostitution, est explicité dans l’article : « Risques
prostitutionnels - Contexte socio culturel, facteurs personnels et risque
prostitutionnel à Madagascar : le cas de la pratique pré-prostitutionnelle
chez les mineures malgaches ».
2 Prostitution juvénile - Portrait des jeunes suivis au Centre jeunesse de
Québec, Centre jeunesse de Québec, 2006, p9.
17
Lieu de connexion
Les lieux de connexion et les appareils utilisés ne donnent pas
énormément d’indications sur les pratiques des jeunes. Les lieux de
connexion cités étaient principalement le cyber (59,3%), la maison
(33,3%) et le téléphone (16,0%). 15,3% ont dit se connecter « n’importe
où », c’est à dire aux endroits où l’opportunité se présente. Les jeunes
utilisent principalement trois types d’appareils : l’ordinateur (60%), le
téléphone (67,3%) et la tablette (10%). L’utilisation du téléphone pour
surfer est étonnamment répandue en regard des coûts de connexion
au réseau 3G et des moyens financiers des jeunes, sauf s’ils utilisent
leur téléphone ou tablette dans les cybers, où le prix de connexion
est plus abordable.
Les sites internet utilisés pour les rencontres sont nombreux, mais 5
réseaux sociaux « généralistes » (Facebook, Gmail, Skype, Yahoo, et
Viber) sont utilisés par 100% de l’échantillon. 25 autres sites spécialisés
dans les rencontres ont été cités par 27,3% des personnes enquêtées
(médiane : 2 citations/site).
Facebook est le plus utilisé des sites (72,7%). Ce site offre toutes les
options recherchées par les jeunes (tchat avec des inconnus, tchat
avec des personnes connues, recherche de clients, ‘surf’, etc). Et 43,4%
des jeunes de cet échantillon disent rechercher des clients par ce
biais. Facebook est un site très pratique car on peut y être actif ou
passif et donc surveiller ce que font/disent les gens qui font partie du
carnet d’adresse. Il offre un lieu d’échange ouvert et une interface
privée de tchat que personne ne peut consulter. Il propose également
des groupes thématiques, tels que « malgaches cherchent époux
étrangers – Malagasy mitady vady vazaha» qui comporte plus de 3000
membres, hommes et femmes confondus.
Lien entre le monde virtuel et le monde réel
7,3% des jeunes ont une utilisation exclusive d’internet dans leurs
pratiques prostitutionnelles. Ces jeunes n’entretiennent de relations
18
avec les personnes rencontrées que par internet, par le biais de
partages de photos ou d’échanges de nature sexuelle. Pour ceux dont
internet est un outil de premier contact, la question des lieux de
rencontre a également été abordée. 8% des enquêtés n’ont pas de
lieu privilégié. Ils négocient avec le client au cas par cas. Les autres
répondants ont, pour la plupart, donné plusieurs réponses, car les
possibilités sont nombreuses, selon les discussions avec le client, les
habitudes du jeune, les craintes et le prix de la passe.
Une partie des rencontres (38,7%) se fait dans un endroit public
fermé, pour la majorité (59,3%) dans un endroit festif (bar, restaurant,
karaoké, etc.), comme pour donner une contenance à la rencontre, la
sensation que la rencontre a été fortuite. 32% d’entre eux se rendront
par la suite dans un hôtel, dans une chambre de passe ou dans un
domicile privé.
10,7% des rencontres se font dans un lieu public extérieur (plage,
marché, centre ville, etc.). 4 personnes ont même précisé que le
lieu choisi devait être un lieu de passage avec beaucoup de monde,
probablement pour plus de sécurité. 54% donnent directement
rendez-vous au client à l’hôtel ou dans une chambre de passe et 14%
se rendent chez le client ou utilisent leur propre lieu d’habitation.
Un grand nombre de jeunes (64%), en parallèle à leur pratique
sur internet, se postent dans la rue pour y faire des rencontres.
A Antananarivo, les lieux privilégiés étaient 67ha, Tsaralalana,
Ambatoloka, Analakely, Antaninarena, Ampefiloha, Antanimena, Petite
vitesse, Itaosy,… Cinq jeunes ont mentionné les bals des jeunes et
nommé quelques bars et boites de nuit. A Nosy be, les jeunes ont
mentionné Madoroko, Andilana, Ankoay, Andranomasy, Hell Ville,
Ambatoloaka, ou Manava. Là aussi, des bars, boites de nuits et hôtels
ont été cités précisément.
19
Durée de la pratique
Les mineurs et jeunes majeurs interrogés pratiquent la prostitution
depuis moins d’un an à six ans environ. La plupart d’entre eux depuis
2 ans. De manière générale, ils ont commencé la prostitution de rue
avant d’utiliser internet puisque 60,7% des répondants ne sont sur
internet que depuis 1 an et moins.
Comparatif entre durée de la pratique prostitutionnelle des jeunes et la pratique
prostitutionnelle en ligne.
20
Tarifs
Les montants gagnés par les relations internet, mentionnées par les
jeunes sont bien plus élevés que les tarifs proposés par les jeunes
qui se prostituent directement dans la rue (dernière étude d’ECPAT
France démontrait une médiane à 5000 Ar). A part deux jeunes (1,3%)
qui disent le faire « gratuitement » (=recherche d’une personne pour
les entretenir), un jeune qui demande juste ce qu’il faut pour acheter
quelque chose au marché et sept jeunes qui n’ont pas répondu, tous
ceux qui passent par internet gagnent entre 5000 Ar et 400 000 Ar
par passe.
Tarifs par passe mentionnés par les personnes enquêtées
Avantage et Inconvénients de la pratique en ligne
Les avantages de la pratique en ligne sont nombreux. Internet permet
évidemment la discrétion et le confort : plus besoin d’être dans la rue,
particulièrement la nuit, à attendre, d’être malmené(e) par les passants,
de négocier, etc. Internet permet dans un premier temps l’anonymat,
21
la négociation avec plusieurs clients en même temps, tout en gardant
des clients stables. L’avant-rencontre est facilitée, les détails matériels
discutés préalablement, permettant au jeune de prendre le temps
d’accepter ou non les conditions.
Avec internet, les jeunes se permettent des tarifs plus élevés. Ils
considèrent que le nombre de clients potentiel est plus élevé que
dans la rue, leur « qualité » également car les clients sont notés, les
informations circulent et leur réputation les suit. Aussi, il semble
qu’internet favorise les rencontres avec les étrangers, les vazahas,
qui sont prisés des jeunes qui espèrent non seulement une passe
financièrement plus avantageuse et, qui sait, une relation à plus long
terme…
Avantage de la pratique en ligne
La pratique de la prostitution en ligne comporte également des
désagréments non négligeables que les jeunes décrivent largement.
Dans notre étude, si 29,3% des personnes enquêtées n’y trouvaient
pas d’inconvénients, la liste de doléances est longue. Certains
mentionnaient les mensonges ou plaisanteries (38,7%) venant des
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clients (malgaches et étrangers) qui incluent l’absence au rendezvous, l’arnaque sur la somme finalement donnée, la tromperie sur
la description physique, etc. D’autres considéraient que le temps
et l’argent dépensé en connexion internet ne sont pas négligeables
par rapport aux sommes gagnées. Un certain nombre mentionnait
les risques encourus et le manque de contrôle sur leur pratique qui
provient de la forte concurrence entre les jeunes, le fait de devoir, en
fin de compte, se soumettre aux exigences des clients, etc. Enfin, un
inconvénient de taille est l’atteinte à la vie privée. 4% des jeunes ont
mentionné avoir eu leur compte piraté, avoir été en contact avec des
clients qui n’ont pas respecté leur intimité ou dont les photos ont
été divulguées sans permission. L’anonymat pourtant cité largement
comme avantage par les jeunes dans un premier temps ne semble
ainsi pas aussi sécurisé.
Inconvénients de la pratique en ligne
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Les demandes des clients
Les demandes des clients sont de deux ordres. La première, liée à
l’imagerie, concerne 59,3% des jeunes. Ceux-ci rapportent avoir été
confrontés à des demandes de photos pornographiques (nu, acte
sexuel, fellation) et/ou de rapport sexuel filmé, strip-tease par skype
ou de tournage pornographique. La seconde (41,3%) concerne l’acte
sexuel lors de la rencontre entre le jeune et le client. Les demandes
sexuelles sont de tout ordre à l’image d’une prostitution de rue
(position, pratique, avec/sans préservatif, performance).
Enfin, 11,3% des enquêtés mentionnent des demandes de rendez-vous,
sans plus de précisions et les réponses restantes (3,3%) concernent
des demandes de massage, d’information, de discussion ou drague.
*
Les demandes des clients
* « demande sexuelle spécifique » est le terme utilisé par les jeunes
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Les images qui circulent sur internet
Les images qui circulent sur internet entre les jeunes et les clients
sont avant tout des photos de son corps nu (48,7%), des photos
‘sexys’ (34,7%), comme par exemple des positions en sous-vêtement
ou en tenue de plage. Enfin, un petit nombre de photos prises lors de
la rencontre, fige l’acte sexuel (1,3%).
Les vidéos de nus, strip-tease et rapports sexuels sont également
échangées (16% de réponses). 8% des jeunes mettaient le mot «
pornographie » sur les vidéos faites.
L’étude n’apporte pas d’informations sur le destinataire des ces
images et son utilisation. 12,7% des jeunes admettaient avoir déjà eu
un rapport sexuel filmé. Parmi ces jeunes, 6% ne savent pas ce qu’est
devenue la vidéo et 4,7% la garde en souvenir pour voir les positions
ou le montrer à leurs amis.
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Conclusion
Cette enquête permet un premier état des lieux de la prostitution
des mineurs sur internet. Elle ne fournit qu’un portrait sommaire du
phénomène de la prostitution des jeunes sur internet.A la lumière des
résultats obtenus, il apparaît important de poursuivre les recherches
afin de mieux cerner et comprendre le phénomène à Madagascar, y
compris sur un public plus large.
Un des résultats essentiel pour les interventions de prévention et
de protection est d’avoir eu accès à ces jeunes et de savoir qu’il y
a rencontres, échanges, contrepartie, circulation de photos et de
vidéos. L’étude a permis de pointer du doigt une pratique jusque-là
non documentée. Il reste encore un grand nombre de données sans
réponses car l’échantillon est limité et surtout spécifique. En effet, la
majeure partie des personnes enquêtées, si elles ont commencé la
prostitution étant mineurs, parlent soit de leur pratique sur internet
en tant que majeur qui a déjà de l’expérience soit de leur pratique
avec du recul. Le biais est probablement de taille, car en deux ou trois
ans, l’utilisation d’internet a beaucoup évolué à Madagascar : évolué en
possibilités de connexion (plus de réseaux, plus de cyber, coût abaissé),
en popularité, et donc en possibilité d’accès et d’opportunités pour la
pratique de la prostitution.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication
font maintenant partie de l’univers des jeunes, même des jeunes
vulnérables, semble t-il. Ils n’ont
* probablement pas les connaissances
et les ressources nécessaires pour se protéger car les demandes
provenant d’adultes navigant dans le monde virtuel ont des
conséquences lourdes dans le monde réel. C’est pourquoi, alors que
le cyberspace prend de plus en plus d’importance et de place, il semble
légitime de penser qu’un plus grand nombre d’enfants et de jeunes
sera exposé à des sollicitations. Il est donc nécessaire de rapidement
poser les bases d’une protection, ce qui suppose d’impliquer tous les
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acteurs qui ont la responsabilité et le devoir d’agir pour protéger les
mineurs afin de développer des réponses globales, en prévention, en
identification des victimes, en réparation et en répression.
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w w w.ecpat-france.org