Les armes de neutralisation momentanée utilisant l`énergie cinétique

Transcription

Les armes de neutralisation momentanée utilisant l`énergie cinétique
GESLR
Groupe d’Etude des Systèmes à Létalité Réduite
Les armes de neutralisation momentanée
utilisant l’énergie cinétique
Etat de la question et recommandations
quant à une utilisation éventuelle dans les interventions de contre-violence
Les Cahiers du GESLR – Novembre 2009
THYS P.
JACOBS Th.
HOUGARDY L.
LEMAIRE E.
__________________________________________________________________________
Le GESLR est un pôle d‟excellence étudiant les armes de neutralisation momentanée, dites à létalité réduite.
Le Groupe fonctionne sur base d‟un partenariat public-privé entre l‟Université de Liège et la Société FN Herstal,
Avec une subvention du Ministère de la recherche, des technologies nouvelles
et des Relations extérieures de la Région wallonne, .
Contact : Unité d‟analyse et d‟intervention en matière de violence, Ecole de Criminologie, Université de Liège
Boulevard du Rectorat – B 33 Bte 25 – B-4000 Liège 1 (Belgium) – E-mail: [email protected]
Les Cahiers du GESLR – Novembre 2009
Les armes de neutralisation momentanée
utilisant l’énergie cinétique
Etat de la question
Recommandations quant à une utilisation
dans les interventions de contre-violence
Pierre THYS 1, Thierry Jacobs 2, Lionel HOUGARDY 3, Eric LEMAIRE 4
1 Docteur en psychologie, Professeur à l‟Ecole de Criminologie de l‟Université de Liège (Belgique)
2 Ingénieur Polytechnicien (Ecole Royale Militaire), Ingénieur en Sciences Aéronautiques et Spatiales (Université de Liège),
Col (Rés) Armée Belge, Expert auprès de l‟OTAN et des Nations Unies, Program Manager Less Lethal Dpt FN Herstal.
3 Licencié en Criminologie, Chercheur et doctorant à l‟Ecole de Criminologie de l‟Université de Liège (Belgique)
4 Docteur en médecine, Chercheur et doctorant à l‟Institut de Médecine légale de l‟Université de Liège (Belgique)
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
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Table des matières
1.- Avant-propos – Rappel sur les Armes de Neutralisation Momentanée (ANM). ............................ 4
2.- Que sont les armes de neutralisation momentanée utilisant l‟énergie cinétique ?.......................... 7
2.1.- Rappel historique ..................................................................................................................... 7
2.2.- Les technologies mécaniques anti-matériel ............................................................................. 8
2.3.- Les technologies mécaniques anti-personnel........................................................................... 9
A.- Les projectiles à impact ......................................................................................................... 9
B.- Les lanceurs adaptés à ces projectiles .................................................................................. 12
C.- Les dispositifs d‟enchevêtrements. ...................................................................................... 16
3.- L‟applicabilité opérationnelle ....................................................................................................... 18
3.1.- La question du maniement de l‟arme et des transitions ......................................................... 18
3.2.- La distance comme atout majeur dans l‟intervention et l‟inutilité du calcul de la bonne
distance .......................................................................................................................................... 20
3.3.- La possibilité de répéter les frappes ...................................................................................... 23
3.4.- L‟efficacité des frappes de neutralisation .............................................................................. 23
3.5.- Les risques liés aux procédés pyrotechniques de propulsion du projectile ........................... 24
3.6.- La procédure d‟emploi........................................................................................................... 25
4.- L‟acceptabilité .............................................................................................................................. 27
4.1.- L‟acceptabilité issue du processus comportemental recherché. ............................................ 27
4.2.- Légitimité et opportunité d‟emploi. ....................................................................................... 28
4.3.- Effets médicaux ..................................................................................................................... 32
1. Introduction............................................................................................................................ 32
2. Contexte. ................................................................................................................................ 33
3. Energie cinétique : généralités et rappels............................................................................... 35
4. Traumatologie et mécanismes lésionnels des projectiles d‟impact........................................ 36
5. Seuils lésionnels connus en fonction des zones corporelles visées....................................... 49
6. Les paramètres du projectile et de la cible. ............................................................................ 53
7. Mesure de l‟efficacité des projectiles d‟impact. .................................................................... 53
8. Biomécanique des impacts thoraciques. ................................................................................ 55
9. Biomécanique des impacts abdominaux. ............................................................................... 69
10. Revue du potentiel lésionnel de divers projectiles d‟impact................................................ 74
11. Modèles biologiques. ........................................................................................................... 87
13. Implications médicales et étude prospective........................................................................ 95
14. Bibliographie. ...................................................................................................................... 98
5.- Discussion et recommandations. ................................................................................................ 100
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
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1.- Avant-propos – Rappel sur les Armes de Neutralisation Momentanée
(ANM).
Evoquer les interventions de contre-violence par la police, c‟est indéniablement évoquer le
recours légal à la contrainte. Comme on le sait, dans les sociétés démocratiques, c‟est la police qui dispose du monopole de celui-ci.
Dans la plupart de ces sociétés, le recours légal à la contrainte est balisé par des textes internationaux mais également par des dispositions législatives et réglementaires mettant régulièrement en avant les principes de légalité, opportunité, proportionnalité et subsidiarité mais également la notion de légitime défense. Ces principes sont notamment repris en Belgique dans la
Loi sur la fonction de police.
Pour exercer cette contrainte, les policiers disposent de moyens psychosociaux (la parole –
souvent sous la forme d‟injonctions - , les attitudes non verbales, la confrontation physique ),
des moyens de neutralisation (essentiellement le bâton de police – télescopique ou non - le
spray OC) et des moyens létaux en dotation individuelle ou collective sans oublier les moyens
particuliers déployés dans le cadre du maintien et du rétablissement de l‟ordre public ainsi que
ceux destinés à la protection individuelle ou collective.5 Mentionnons également le recours de
plus en plus fréquent à des armes de neutralisation momentanée : qu‟elles soient chimiques, à
énergie électrique – que nous avons déjà abordée dans le précédent cahier du GESLR ou cinétique que nous envisageons plus spécifiquement dans la présente contribution.
Ainsi, dans le cadre de nos travaux sur les armes de neutralisation momentanée qu‟elles soient
ou non de nouvelle génération, nous constatons que la question de l‟usage de la force par la
police –peu étudiée en Europe – reste une donnée centrale si on veut aborder l‟étude et le développement de ce type particulier d‟arme sous les angles de l‟applicabilité et de
l‟acceptabilité.6
Pour le propos plus spécifique concernant les ANM cinétique, on sait évidemment que ce ne
sont pas des concepts nouveaux.
Le poing, le bras, le coude, le genou, la jambe, la tête elle-même, sont les premiers moyens de
frappe de l‟être humain et constituent les premiers et les plus naturels moyens de frappe utilisant la force que procure l‟énergie cinétique.
La projection d‟une pierre, le recours au gourdin, ont assez naturellement accompagné
l‟évolution humaine, avant que des armes plus spécifiques (la catapulte par exemple) ne
5 Ne sont envisagés dans le présent document que les moyens dont disposent les forces de l‟ordre belge au niveau local et au
niveau fédéral hors les unités spécialisées.
6 C‟est dans cette optique que depuis plus de trois ans que le Groupe d‟Etude sur les Systèmes à Létalité Réduite (GESLR) –
et plus particulièrement l‟Unité d‟analyse et d‟intervention en matière de violence (Pierre THYS & Lionel HOUGARDY) –
collabore avec divers services de police au niveau fédéral et local et plus spécialement la Police locale de Liège avec le Peloton Anti-Banditisme (PAB), la Paix Publique et le service « Intervention ».
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voient le jour et soient expressément conçues pour stopper des individus ou pour détruire du
matériel.
L‟utilisation de l‟énergie cinétique comme moyen de frappe à distance n‟a donc pas commencé au moment où des militaires et policiers ont commencé à utiliser le terme « non létal » dans
leur vocabulaire. Rappelons, comme nous l‟avons écrit ailleurs 7, que ces concepts sont fallacieux et erronés : aucun objet n‟est « non létal » dès lors qu‟on veut en user comme d‟une
arme ; une létalité qu‟on prétendrait « réduite » n‟est pas un concept pertinent au plan qualitatif car il n‟existe pas d‟état intermédiaire entre la vie et la mort, tandis qu‟au plan quantitatif le
nombre tolérable de morts est une donnée à haute variabilité politique sur laquelle des
consensus sont très difficiles à obtenir.
Mais selon Neil Davison, de l‟Université de Bradford, ce ne serait pas avant les années
soixante que les forces de police et les militaires ont recouru à cette locution pour regrouper
un ensemble de technologies visant la neutralisation momentanée des individus ou du matériel 8.
On serait donc tenté de dire qu‟on peut faire une arme létale avec des objets initialement non
létaux et qu‟on peut obtenir un effet non létal avec une arme pourtant conçue pour donner la
mort.
C‟est que, en effet, les armes de neutralisation momentanée, qu‟on dit improprement « à létalité réduite », cherchent à garantir un effet et à prévenir des effets indésirables (la mort ou des
blessures graves). Comme l‟indique la définition donnée en son temps par l‟OTAN et qui a le
mérite d‟exister : « d‟armes discriminantes qui sont explicitement conçues et principalement
utilisées pour frapper d'incapacité le personnel et le matériel, tout en minimisant le risque
mortel, les lésions permanentes au personnel et les dommages indésirables aux biens et à l'environnement » 9.
Les armes conçues pour susciter une surprise et infliger une douleur résultant d‟un coup sont
utilisées dans certains cas pour le contrôle de foule et dans d‟autres pour le contrôle d „individus rebelles ou délibérément hostiles.
Bien que la forme la plus commune soit celle d‟une arme longue de type fusil, les armes qui
recourent à l‟énergie cinétique d‟un projectile pour rechercher un effet de neutralisation momentanée d‟une personne hostile ou rebelle, ne délivrent pas un coup de feu atténué.
Elles sont l‟équivalent d‟une frappe délivrée à distance.
Elles sont utilisées pour éviter la confrontation physique et non pour éviter le tir par arme à
feu, de manière à ce que la personne hostile ou rebelle obéisse aux injonctions qui lui sont
données, précisément dans les cas où le recours à l‟arme à feu est inapproprié ou illicite, alors
que la confrontation physique produirait à coup sûr des blessures pour tous les protagonistes.
7 Voir : Thys P, Lemaire E. La controverse autour des armes à impulsions électriques en usage dans la police: éléments
médicaux et comportementaux d‟appréciation autour de quelques incidents critiques. Revue Internationale de Criminologie
et de Police Technique et Scientifique 2008;3:345-358.
8 DAVISON N., The Early History of “Non-Lethal Weapons”, University of Bradford, 2006.
9 United States Department of Defense, Policy for Non-Lethal Weapons, Washington DC, Directive 3000.3, signed by John
P. White, Deputy Secretary of Defense, 9.7.1996.
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Après la publication d‟un premier « cahier » traitant, en juin 2009, des armes de neutralisation
utilisant l‟énergie électrique, les chercheurs actifs au sein du GESLR proposent aujourd‟hui
un ensemble de réflexion doctrinales permettant de cadrer l‟emploi des ANM utilisant
l‟énergie cinétique.
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2.- Que sont les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique ?
Les ANM utilisant l‟énergie cinétique appartiennent à une assez vaste catégorie de systèmes à
technologies mécaniques ; cela recouvre en fait tous les dispositifs à vocation anti-personnel
ou anti-matériel dont l‟objectif est de freiner, stopper ou immobiliser par une action mécanique.
On distingue généralement deux grandes catégories : les systèmes basés sur l‟énergie cinétique à vocation anti-personnel et les systèmes d‟enchevêtrement utilisables contre des personnes ou contre des véhicules.
Une mention particulière doit être faite pour le chien, dont il sera question dans le cours du
texte.
Bien que basés sur des technologies plutôt anciennes, les systèmes mécaniques à véritable
vocation de létalité réduite ne sont apparus que fin des années „70 et n‟ont connu de véritable
développement que fin des années 1980.
2.1.- Rappel historique
Aux Etats-Unis, selon KLINGER10, la naissance des ANM à énergie cinétique provient de la
nécessité de diminuer le nombre de tirs mortels par arme à feu (on se situe donc dans une optique d‟alternative à l‟arme à feu et non dans celle de la confrontation physique comme en
Europe).
L‟effort principal dans le domaine technologique a été consenti à l‟occasion de l‟explosion
dans les années 80 et 90 des situations de confrontation avec des individus violents psychologiquement dérangés (armés, violents voire suicidaires) déjà mis en exergue dès les années 60 ;
l‟utilisation de l‟arme à feu étant la seule manière de mettre fin à des confrontations de plus en
plus violentes face aux autres moyens déficitaires en terme d‟efficacité et de sécurité
(confrontation à mains nues ou au mieux avec un bâton de police).
La nécessité était donc de remplir technologiquement cet espace entre mains nues et armes à
feu ; on a vu ainsi se développer, comme l‟indique Klinger : “a variety of new types of weapons that were designed to permit officers to subdue people from a safe distance without seriously injuring or killing them. Among the more notable of these weapons are chemical
agents (such as oleoresin capsicum), conducted energy weapons (AKA electro-muscular disruption weapons, such as TASERS), and impact munitions; a family of firearm-delivered projectiles that have a low probability of causing serious physical injury or death, because they
are softer and travel at a much lower velocity than conventional lead bullets.”
10 KLINGER D., Impact munitions: a discussion of key information, Policing: An International Journal of Police Strategies
& Management, Vol. 30 n°3, 2007, p. 386.
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Si les armes et munitions à énergie cinétique ont été développées et d‟abord utilisées dans le
cadre du maintien de l‟ordre, l‟auteur note que “ The first documented usages of impact munitions against armed mentally/emotionally disturbed individuals occurred during protracted
stand-offs involving Special Weapons and Tactics (SWAT) teams who had been called-out
when the initial responding officers realized that the problem confronting them was beyond
their ken. When circumstances indicated that the disturbed individual could not be taken into
custody through the use of verbal tactics, that some sort of physical force was required, but
that deadly force was not justified, SWAT officers could (and did) employ impact munitions to
resolve the matter with minimal risk of major injury to the subject and themselves. As time
passed and SWAT teams developed a track record of using impact munitions to safely take
armed agitated individuals into custody without killing them, the use of these devices expanded beyond the narrow application of SWAT call-outs involving emotionally/mentally disturbed persons. One component of this was the expansion of the use of impact munitions within the SWAT environment to include situations that did not involve mentally/emotionally disturbed persons, such as call-outs involving barricaded criminal suspects and the service of
high-risk warrants. This occurred as SWAT teams came to realize that the potential utility of
impact munitions was not dependent on the mental or emotional state of individuals, but rather was a function of the nature of the tactical problem facing them. A non-compliant knifewielding robbery suspect, for example, presents the same tactical dilemma as a mentally/emotionally disturbed individual armed with a knife, for in both cases the presence of a
cutting instrument places the same constraints on the range of force options officers can safely use to resolve the situation.”
Dans ce cadre, beaucoup de corps de police ont réalisé que les ANM à énergie cinétique pouvaient être utiles pour les policiers confrontés à ces situations sans qu‟ils puissent pour une
raison ou l‟autre faire appel à des unités spécialisées. On a donc assisté à une certaine généralisation des munitions de style beanbags (voir infra) utilisées avec des fusils à pompe de calibre .12.
On distingue habituellement des technologies visant avant tout la neutralisation du matériel et
des technologies prioritairement destinées à la neutralisation d‟êtres humains hostiles et
d‟animaux dangereux. Ce sont ces technologies qui vont faire l‟objet du présent document ; il
semble toutefois utile de procéder à une revue générale avant d‟en venir aux points spécifiques.
2.2.- Les technologies mécaniques anti-matériel
C‟est au travers des systèmes d‟enchevêtrement qu‟on retrouve depuis peu des moyens antimatériel et plus particulièrement des dispositifs anti-véhicule ou antinavire.
L‟idée est ici clairement de bloquer la progression d‟un véhicule par l‟enroulement d‟un filet
très résistant autour de ses roues lors du passage du véhicule. En quelques mètres, tout
l‟essieu se retrouve dès lors coincé provoquant l‟arrêt immédiat du véhicule. Les plus récents
de ces dispositifs permettent de stopper un véhicule léger lancé à vive allure. Ils ne permettent pas cependant d‟arrêter des gros véhicules dont l‟inertie est trop importante.
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Fixés au sol, ces dispositifs permettent de contrôler plus ou moins correctement l‟arrêt des
véhicules et d‟empêcher des effets collatéraux peu en phase avec la notion de létalité réduite.
On serait tenté de mettre également dans cette catégorie les herses anti-véhicules qui crèvent
les pneus de ces derniers mais, tout comme la plupart des systèmes anti-matériel à technologie
chimique, on est clairement ici à la limite de la notion de létalité réduite puisque les pneus
sont détruits et que les risques engendrés par la perte de contrôle inévitable sont très importants.
Dans le cadre des systèmes antinavire, l‟idée est de projeter un filet ou un réseau de filins
juste devant le bateau afin qu‟il se coince dans l‟hélice et force donc l‟arrêt. En service auprès
des garde-côtes américains dans leur lutte contre les trafiquants de drogue, leur efficacité reste
dépendante de la capacité de lancer ces systèmes juste devant un bateau lancé à toute allure.
2.3.- Les technologies mécaniques anti-personnel
On distingue habituellement :

le projectile spécifiquement conçu pour produire un effet de neutralisation momentanée (choc non pénétrant et immobilisation mécanique ou comportementale)

et le lanceur qui est l‟objet assurant le transfert à distance.
C‟est dans cette technologie qu‟on retrouve évidemment tous les projectiles à impact dont
l‟objectif est de freiner ou stopper en faisant mal. Il en existe de différents types, basés sur des
matériaux différents et dans de nombreux calibres etc.
Outre les projectiles à impact, on retrouve dans cette famille les différents moyens
d‟enchevêtrement comme les filets ou les bolas.
A.- Les projectiles à impact
Deux critères d‟évaluation sont essentiels dans cette technologie : l‟efficacité et le niveau des
risques encourus.
Pour les analyser, on distingue 5 sous critères à prendre en compte:
1.
2.
3.
4.
5.
la portée,
la précision,
l‟énergie,
la densité énergétique
et le gradient de densité énergétique.
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Le critère de portée est directement relié d‟une part aux besoins et donc aux missions mais
aussi et d‟un point de vue plus technique à la précision. Plus la portée est importante, plus la
dispersion deviendra grande. D‟une manière générale, les technologies cinétiques souffrent
d‟un manque de portée, pour la plupart, celle-ci est limitée à 15/20 mètres. Au-delà de cette
distance, les systèmes s‟avèrent en général trop imprécis pour être utilisés sans risque ou n‟ont
plus l‟énergie suffisante pour être efficace
Ce qui n‟est pas sans poser quelques problèmes puisque, hormis pour les systèmes destinés à
agir collectivement contre des objectifs de type foule ou groupe de personnes, une bonne précision reste un élément indispensable. Et ce, non seulement en terme d‟efficacité puisqu‟il
faut toucher la personne voulue et non pas un quidam autre mais aussi en terme de risque
puisqu‟il faut la toucher à l‟endroit voulu. Beaucoup de systèmes à létalité réduite basés sur
l‟énergie cinétique souffrent d‟un manque de précision et ce, d‟autant plus que la portée est
importante..
En terme d’énergie, les recherches et travaux montrent que trois critères sont importants
quant à l‟efficacité et au niveau de risque :
1.
2.
3.
le niveau d‟énergie globale,
la densité énergétique,
le gradient de densité d‟énergie.
Le niveau d‟énergie globale est bien entendu un des critères fondamentaux en terme de risque
et d‟efficacité et surtout un des plus connus et des mieux compris.
En terme de risque, on peut le simplifier en disant que plus le niveau d‟énergie est élevé, plus
les risques sont importants mais en terme d‟efficacité plus les chances d‟arrêter la cible sont
grandes.
Derrière cette évidence se cache évidemment un certain nombre de nuances importantes : 20
joules appliqués sur une petite surface peuvent être beaucoup plus dangereux que 100 joules
appliqués sur une grosse surface. Pensons simplement à une aiguille à tricoter qu‟on enfonce à
un endroit ad hoc et qui touche un organe vital. Ce simple exemple montre que la densité
énergétique c‟est-à-dire la quantité d‟énergie par unité de surface est tout aussi importante que
la quantité d‟énergie elle-même.
Le gradient de densité énergétique correspond à l‟étalement du transfert d‟énergie dans le
temps. Plus un projectile est mou, plus cet étalement sera important et plus le transfert
d‟énergie cinétique du projectile vers la cible sera long, c‟est-à-dire moins violent.
On verra dans la partie médicale que la réponse biomécanique d‟un corps humain à l‟impact
dépendra énormément de la vitesse d‟impact et de transfert d‟énergie.
D‟une manière générale et sans entrer ici dans les détails, pour maximaliser l‟efficacité d‟un
projectile et minimaliser les risques, il est préférable d‟utiliser un projectile avec un haut de-
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gré de déformabilité pour augmenter la durée d‟interaction entre la cible et le projectile et
pour absorber une partie de l‟énergie à l‟impact.
Il existe une multitude de types de projectiles à impact, chacun présentant un certain nombre
de spécificités concernant les critères énoncés ci-dessus.
Parmi les plus connus citons:
1.- Les projectiles en caoutchouc dur, qu‟on retrouve en petits calibres dans des armes dites de
défense mais aussi en calibre 12 et dans les systèmes 40/37mm.
Ce sont les plus anciens, mieux connus sous le vocable de balle en caoutchouc.
Avec en général un très haut niveau d‟énergie et un très faible gradient de densité énergétique,
ils peuvent être très dangereux et causer des blessures graves ou la mort des personnes ciblées.
C‟est dans cette catégorie qu‟on retrouve le premier système d‟arme cinétique à létalité réduite ; appelé ARWEN 11, il fut développé en calibre 37mm fin des années „70 par la société
British Royal Small Arms Factory Enfield. Il fut intensément utilisé par les troupes britanniques en Irlande du Nord et aurait provoqué beaucoup de morts et de blessés graves lors de
son utilisation. Il est à noter que son niveau d‟énergie proche des 200 joules le place parmi les
systèmes les plus puissants en terme d‟énergie.
On retrouve aussi dans cette catégorie les grenades pourvues d‟un ensemble de petites billes
caoutchouc et les différentes variantes de munitions 37/40mm multi-balles. Lorsqu‟ils sont
ronds, ces projectiles possèdent de très mauvaises qualités balistiques qui en limitent leurs
performances en terme de précision et de portée utile.
2.- Les projectiles en mousse déformable ou en caoutchouc mou qu‟on retrouve dans les
mêmes calibres et qui, tout en conservant un niveau d‟énergie assez élevé entre 150 et 200
joules en général, présentent un risque de lésions graves ou de morts moins important dû à
leur fort gradient de densité énergétique.
Ce même effet de gradient de densité énergétique est recherché par les beans bags qui sont
constitués d‟un petit sac remplis de petites billes de plombs. A l‟impact, ces billes se répartissent latéralement dans le sac, absorbant ainsi une partie de l‟énergie.
On retrouve aussi dans cette catégorie le Flash ball et le Cougar utilisés en France et qui, outre
un important gradient de densité énergétique, possèdent, de par le diamètre de leurs projectiles, une très faible densité énergétique. Malheureusement ce gros diamètre augmente singulièrement la taille et l‟encombrement des lanceurs et la forme ronde des projectiles limitent
fortement leurs performances balistiques en terme de précision et de portée.
11 Anti Riot Weapon Enfield.
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3.- A l‟opposé de ces approches hautes énergies se trouvent les paint-ball et le FN 303 qui
minimalisent le niveau énergétique mais qui maximalisent soit la densité énergétique et la
précision dans le cadre du FN303, soit l‟effet saturation dans le cadre des paint-ball.
A remarquer que la finalité première des paint-ball est plus de répartir un nuage de poivre
plutôt que de provoquer des douleurs. Il faut aussi noter que l‟approche gradient d‟énergie
dans le cadre du projectile 303 consiste dans l‟écrasement de la partie avant de ce dernier et la
dispersion de la poudre de bismuth contenue dans celle-ci.
Certains de ces projectiles (FN303 et quelques 40 mm LV) sont également pourvus de colorants qui permettent de marquer plus ou moins durablement les cibles touchées. L‟objectif est
non seulement psychologique car la personne marquée se sait repérée mais aussi juridique,
dans certain cas, car ce marquage permet d‟apporter un début de preuve d‟implication dans un
événement.
B.- Les lanceurs adaptés à ces projectiles
Les tableaux ci-après, fournis par la Société FN Herstal, mettent en évidence l‟hétérogénéité
des matériels ainsi que leur filiation première : des armes longues issues de la technologie
militaire et orientées vers des forces de police ou des unités militaires en nombre supérieur au
traditionnel binôme d‟intervention policière.
Dans un premier temps, ces armes ont été le plus souvent utilisées en maintien de l‟ordre pour
canaliser ou disperser des manifestations.
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Des armes de seconde génération, plus compactes et constituées en systèmes spécifiquement
dédiés à la neutralisation momentanée, ont ensuite été conçues.
Elles sont aujourd‟hui utilisées de manière plus discriminante par les forces de l‟ordre. Elles
se caractérisent par de meilleurs organes de visée, par l‟impossibilité dans laquelle se trouve
l‟opérateur (policier ou militaire) de confondre la munition létale et la munition de neutralisation momentanée, et aussi par un allègement relatif du poids et de l‟encombrement.
De la sorte, on les retrouve en dotation aussi bien d‟unités anti-émeutes que d‟unités de lutte
contre la criminalité urbaine ou les violences individuelles.
Enfin, divers matériels constituent des formes hybrides et atténuées de l‟utilisation de
l‟énergie cinétique, qui produisent un effet cinétique associé à l‟effet principalement recherché.
C‟est le cas des dispositifs à impulsion électrique mais aussi de lanceurs utilisant l‟effet de
produits chimiques.
Bien que la frappe à distance ne soit pas le composant premier de ce type d‟armes, la projection des dards (armes électriques) ou du produit incapacitant (armes chimiques), provoque
également un choc modéré sur la personne ciblée et contribue à la désorientation par l‟effet de
surprise.
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C‟est également le cas des arroseuses utilisées dans divers pays pour disperser ou canaliser
des mouvements de foule troublant l‟ordre public. Bien que l‟aspersion d‟eau le vecteur principal de l‟intervention, la projection à distance avec une certaine pression est susceptible de
déstabiliser les manifestants.
Le cas du chien est un peu particulier mais doit être intégré à l‟étude des ANM cinétiques.
Zwickey indique : “The use of canines in law enforcement has been recorded as early as the
1620s, when English soldiers used hounds to locate highwaymen (Zwickey, 1988).”12
Evidemment soumis à un dressage strict et contrôlé part le maître-chien, l‟animal apparaît
comme un auxiliaire dissuasif. La dissuasion pourrait d‟ailleurs davantage résulter de la représentation que s‟en fait la population que de l‟utilisation qui en est réellement faite. Toutefois,
ces situations ne sont pas simplement hypothétiques et doivent faire concevoir le recours à
l‟animal pour dissuader par le bruit des aboiements, par la prestance, par sa rapidité à couvrir
des distances importantes, et par la crainte générale qu‟il inspire à la plupart des gens qui redoutent la morsure et davantage encore le déploiement par l‟animal d‟une force démesurée.
Le chien est-il une arme à létalité réduite de type cinétique ?
Le cas du chien d‟attaque est donc quelque peu particulier, dans la mesure où la mission de
ces chiens – qui sont au nombre de deux en Belgique et font partie des Unités spéciales de la
police fédérale – est de neutraliser une personne particulièrement dangereuse.
Indéniablement, en vertu des lois telles qu‟elles sont formulées dans de nombreux pays européens, un chien peut être une arme s‟il est utilisé comme telle 13. A ce titre, le site de présenta12 HICKEY E.R., HOFFMAN P. B., To bite or not to bite: Canine apprehensions in a large, suburban police department,
Journal of Criminal Justice 31 (2003) 147– 154
13 Voir la note de Catherine Sohier, Chercheuse GESLR
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tion du Service d‟appui canin de la police fédérale considère que le chien d‟attaque « est
considéré comme une arme » 14. Cette arme, on le sait bien, peut être létale dans certaines
circonstances. Un animal particulièrement puissant et devenu incontrôlable, ou un animal délibérément utilisé comme arme d‟attaque par des particuliers, voire évidemment des races de
chiens sélectionnées pour leur agressivité, peuvent constituer des dangers redoutables lorsqu‟ils déambulent dans l‟espace public ou lorsqu‟ils sont laissés libres de défendre des espaces privés. Mais le chien de police est habituellement sélectionné pour posséder un mélange
de tolérance et d‟intuition, en dépit de sa stature et de son potentiel d‟attaque. Il est également
éduqué à obéir et entraîné à contrôler son impulsivité, de sorte que la probabilité qu‟il soit
létal est réduite. En cela, on peut considérer que le chien de police dispose de capacités de
létalité réduite. La position de la police est donc parfaitement claire et sans ambiguïté : ces
animaux, dressés à attaquer et neutraliser un individu dangereux sont des armes de neutralisation momentanée. Il en est de même pour les chiens dits de patrouille au sein des services de
police.
De la littérature, on retient différentes recherches sur l‟apport du chien en unité de police.
Ainsi, HICKEY & HOFFMAN rapportent que : “Using the rate-based information described
above, it was found that police canines in the Montgomery County, Maryland Police Department apprehended 13 percent of the suspects they were deployed to „„track‟‟ during a six-year
period (1993–1998). Of the suspects apprehended by canines, 14.1 percent were bitten, 9.1
percent received medical attention for a canine bite (either on the scene or at a hospital), and
4.8 percent received medical attention for a canine bite at a hospital. (…)The injury rate of
canine officers in apprehending suspects (0.76 injuries per one hundred apprehensions) was
significantly lower than the injury rate for noncanine officers (1.84 injuries per one hundred
apprehensions).”
Dans le cadre des ANM, il est utile de rappeler les conclusions de DORRIETY 15 quant à la
position du chien sur le continuum de la force – échelle utilisée aux Etats-Unis pour positionner les divers outils auxquels peuvent recourir les policiers en cas d‟usage de la force. Il rappelle d‟abord que tous les chiens utilisés dans la police n‟ont pas comme fonction première
des missions d‟interventions (chiens spécialisés dans la recherche de drogue, d‟explosifs, de
cadavre, …). Ensuite, il précise que le chien n‟est pas assimilé à l‟usage de la force mortelle
mais juste en dessous et donc, au niveau des moyens armés sur le même pied que les munitions d‟impacts ou encore de la matraque. Une nuance est apportée selon l‟éducation donnée
au chien avec un niveau plus haut pour les chiens amenés à saisir l‟auteur et le lâcher sur ordre et ceux amenés à évoluer autour de l‟auteur en aboyant.
Il découle de ces utilisations possibles de l‟animal que le recours au chien comme arme est
soumis en Belgique aux prescriptions légales et règlementaires régissant le recours à la force 16. Ces dispositions classant le chien parmi les armes de neutralisation momentanée ne
concernent pas seulement la Belgique. En octobre 2007, par exemple, les députés suisses se
sont prononcés en faveur de l‟utilisation du chien pour reconduire de force à la frontières des
illégaux expulsés.
14 http://www.polfed-fedpol.be/org/org_dgs_dsch_fr.php
15 DORRIETY J.K., Police Service Dogs in the Use-of-Force Continuum, Criminal Justice Policy Review, n°16, 2005, pp.
88-98.
16 SOHIER C., Le chien doit-il être considéré comme une arme de neutralisation momentanée ? Etude juridique réalisée au
sein du Serice de Droit pénal, Faculté de Droit, Université de Liège, janvier 2007. Note interne au GESLR.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 15
C.- Les dispositifs d‟enchevêtrements.
L‟objectif poursuivi par ces moyens est clairement soit d‟immobiliser la cible ou à tout le
moins, d‟empêcher qu‟elle se déplace.
Ce sont des techniques reprises d‟anciennes méthodes de chasse ou, dans le cadre des bolas,
de capture de gibier ou de bétail.
Leurs applications dans le domaine de la létalité réduite sont très limitées car elles présentent
pas mal d‟inconvénients tant dans leur déploiement que dans leur finalité.
Des évaluations montrent, en effet, que la personne immobilisée par les jambes dans le cadre
du bolas ou prise dans un filet est trop souvent capable d‟utiliser une arme à feu ou un couteau
pour se défendre.
On n‟est donc pas ici dans un véritable processus d‟incapacitation ou de neutralisation complète mais bien dans un système qui annihile la fonction motricité. De plus, le déploiement
d‟un filet à distance constitue toujours une prouesse technique qui se traduit souvent par des
systèmes lourds et le plus souvent onéreux. Ce type de systèmes est donc assez peu développé.
En conclusion ce cette partie introductive :
La longue histoire des objets et parties du corps humain qui ont été utilisés comme armes de
neutralisation momentanée cinétiques contribue fort probablement à l‟hétérogénéité des matériels qu‟on trouve aujourd‟hui sur le marché.
Certains produits industriels sont spécifiques, d‟autres dérivent de l‟arme à feu. La plupart
sont des armes longues mais d‟autres tendent vers l‟arme de poing.
Les distances minimales et maximales de délivrance des frappes varient, de même que la capacité à répéter ou non la frappe.
Mais l‟objectif poursuivi reste globalement invariant.
En maîtrise de la violence individuelle, l‟atout majeur des ANM utilisant l‟énergie cinétique
réside dans la possibilité de délivrer à distance un ou plusieurs chocs, susceptibles de surprendre et déséquilibrer tout en occasionnant une douleur locale. La combinaison de ces facteurs
et la perspective de leur répétition sont supposés conduire à l‟obéissance aux injonctions données (lâcher l‟arme, écarter les bras, s‟agenouiller ou se coucher, etc.), et donc à la neutralisation momentanée d‟une personne hostile.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 16
En contrôle de foule, la combinaison de ces facteurs vise davantage à tenir à distance un
groupe hostile, à le faire reculer, à le disperser.
*
Les avantages d’utilisation, comme leurs inconvénients, se répartissent en deux axes :
-
l’applicabilité concrète en intervention
-
et l’acceptabilité des utilisations et des effets.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 17
3.- L’applicabilité opérationnelle
Le domaine d‟application possible s‟en tient aux modalités de maniement de l‟outil dans différents contextes.
Le domaine de l‟acceptabilité analyse par contre les conditions d‟emploi légitimes.
Ce qu‟on traite en premier lieu, ce sont les avantages et les inconvénients liés aux matériels et
à quelques unes de leurs caractéristiques.
3.1.- La question du maniement de l’arme et des transitions
Comme on l‟aura noté dans les tableaux de synthèse ci-avant, les ANM utilisant l‟énergie
cinétique sont nombreuses et forment une catégorie d‟armes peu homogène, sinon sur un
point : ce sont principalement des armes longues. Les armes de poing sont rares sinon inexistantes à ce jour, et généralement, lorsqu‟il s‟agit d‟armes de poing qui ont un effet cinétique, il
est associé à un effet principal (poivre comme chez Piexon, électricité dans les armes à impulsion électrique).
L‟arme longue présente un certain nombre d‟avantages.
-
Elle est très visible et exerce donc à distance un effet de dissuasion plus grand que
l‟arme de poing. Elle est également familière à tous.
-
Dans des environnements ouverts, l‟arme longue permet une meilleure visée en raison
d‟une plus grande stabilité du tireur.
-
Le canon long permet habituellement une meilleure précision du tir puisque le projectile est mieux guidé au départ.
-
Habituellement, l‟arme longue a également une portée plus distante que les armes de
poing
De ce fait, l‟arme longue est mieux adaptée aux militaires et aux unités de police qui interviennent à des distances supérieures à 10-15 mètres : conditions de combat, surveillance de
périmètres et contrôles d‟accès, contrôle de foule.
Mais elle présente aussi de sérieux inconvénients de maniement dans les conditions les plus
habituelles des interventions de police dont il faut rappeler une fois encore deux réalités quotidiennes :
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 18
-
La majorité des interventions de police sont des interventions de maîtrise des violences
individuelles et non des interventions de contrôle de foule (Hougardy, 2009, cf. ciaprès). Ces dernières sont rares mais ont une haute visibilité médiatique et politique.
-
Ensuite, ces interventions de maîtrise de la violence se déroulent le plus souvent avec
des caractéristiques qu‟on ne peut méconnaître :
exigüité du lieu et distances d‟intervention fort courtes (quelques mètres au
plus),
mauvaises conditions d‟éclairage,
présence fréquente de tiers et victimes,
courte durée de l‟intervention de contre-violence ;
il s‟y ajoute un nombre restreint d‟opérateurs le plus souvent (deux ou trois s‟il
s‟agit d‟une unité spéciale) 17.
Dans ces contextes, dominés par les interventions de maîtrise des violences intrafamiliales (le
plus souvent au domicile) et de violences envers des tiers (dans des lieux publics ou semipublics), l‟espace de manœuvre devient vite réduit.
-
La progression dans des cages d‟escaliers, les passages de portes, la pénétration dans
les pièces d‟habitation, ne sont pas en faveur des armes longues, dont on perçoit sans
peine l‟encombrement.
-
L‟encombrement est ensuite dans la manipulation de l‟arme, à fort courte distance de
la personne à neutraliser, sans que doive également être négligé l‟impact stressant –
sur la personne hostile ou sur les tiers présents – d‟une arme rappelant de manière parfois très visible (par exemple dans le cas du shotgun ou du lanceur 40 mm) une arme
de guerre. 18
-
Pour un binôme, l‟encombrement est également perceptible lorsqu‟il s‟agit d‟assurer
la transition vers d‟autres formes d‟action : fouille, passage de menottes, extraction de
tiers ou victimes, éventuellement prise de notes et premiers soins. Avec l‟arme longue,
inévitablement, les deux mains sont occupées et le rangement dorsal, adopté parfois
par les militaires, ne résout pas tous les problèmes.
Donc, il est certainement possible de tout entraîner et de parvenir à faire du policier un combattant en zone urbaine, mais il est clair que le rapport entre l‟équation « consommation de
temps – argent – énergie » et le bénéfice retiré, n‟est pas nécessairement positif.
17 On excepte ici les cas d‟intervention des unités spécialisées de la Police fédérale (CGSU, POSA), qui interviennent selon
des schémas de travail quelque peu différents.
18 La question d‟une présentation délibérément colorée et d‟une forme différent de l‟arme létale est évidemment posée.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 19
Le besoin en ANM de moindre taille a été partiellement rencontré par le Flashball, qui reste
cependant assez impressionnant. Mais l‟hypothèse d‟ANM amenées à la taille d‟un pistolet,
par analogie avec les armes électriques et le pistolet d‟incapacitation au poivre de la firme
suisse Piexon, est finalement assez plausible.
3.2.- La distance comme atout majeur dans l’intervention et l’inutilité du calcul de la
bonne distance
Dans le cadre des ANM à énergie cinétique, on constate donc un vaste panel d‟outils allant du
bâton de police, aux munitions aux compositions variées et aux lanceurs divers. Selon l‟étude
américaine de MESLOH et al., c‟est le lanceur calibre .12 qui est le plus utilisé de part la généralisation des munitions et du faible niveau d‟entraînement requis et ce, accompagné majoritairement du beanbag même s‟il existe d‟autres produits (caoutchouc, munitions avec OC,
etc. ).
Dans le domaine du calibre 37-40 mm, de nombreux types de munitions existent également
permettant tantôt des tirs tendus, tantôt des tirs en courbe selon les caractéristiques balistiques
de la munition. Même si degré de précision est perdu avec ces munitions (et donc le risque
d‟atteindre des tiers non concernés), celui-ci est contrebalancé par la capacité de saturer une
zone avec ces projectiles.
Ces éléments posent tout de même question pour les tirs à courte distance capable d‟infliger
des blessures relativement importante, cet inconvénient diminuant rapidement dès que la distance de tir augmente 19.
MESLOH et al. 20 ont mis en place un dispositif de recherche assez complet permettant de
mettre en évidence la question de la précision – cruciale comme nous l‟avons déjà souligné –
en fonction de la distance de tir.
C‟est ainsi que pour différentes armes de neutralisation momentanée à énergie cinétique, on
en retient des éléments utiles et pertinents.
1.- Avant d‟examiner ceux-ci, il convient de s‟arrêter quelques instants sur le bâton de police.
Aussi vieux que le corps à corps, celui-ci présente deux fonctions. La fonction première est de
donner des coups sur des zones spécifiques du suspect résistant pour causer dysfonctions et/ou
douleurs pour reprendre le dessus ou causer la soumission. La fonction secondaire est d‟aider
à la maîtrise physique. Diverses évolutions technologiques vont actuellement vers une diminution de la longueur (bâton télescopique) ce qui accroit d‟une part une certaine acceptabilité
et d‟autre part, offre un gain de place mais également de vélocité. Toutefois, les auteurs estiment que si les institutions policières optent pour un outil pour toutes circonstances, c‟est une
19 HUBBS, K., KLINGER D., Impact munitions: Data base of use and effect, Washington, DC: U.S. Department of Justice,
National Institute of Justice, 2004.
20 MESLOH C., WOLF R., HENYCH M., THOMPSON F. L., Less Lethal Weapons for Law Enforcement: A PerformanceBased Analysis, Law Enforcement Executive Forum, 2008-8, p. 133.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 20
science individuelle qui va déterminer quel est le bâton le plus adapté pour délivrer une énergie suffisante. La zone de frappe choisie et l‟habilité du policier sont les clés du « succès ».
Pour étayer ces éléments, on peut évoquer les résultats d‟une recherche 21 menée à Calgary
sur 562 interventions où il y a eu recours légal à la contrainte. Divers moyens sont ainsi étudiés dont le bâton de police. On retient ainsi que « Batons, deployed in 5.5% of force-involved
arrests, caused the greatest rate of higher-level injury. Fewer than 39% of subjects receiving
baton contact remained uninjured. More than 3% were hospitalized and nearly 26% required
outpatient treatment, combining to be “most injurious,” according to the researchers. About
32% of batoned subjects sustained minor injuries requiring no treatment. Of officers involved
in baton incidents, nearly 13% required outpatient treatment. Some 16% sustained minor
injury and the rest were uninjured. »
Si on s‟attache aux munitions et à leur lanceur respectif, on peut apporter les éléments suivants quant à leur précision suivant leur distance d‟engagement.
2.- Au niveau des beanbags (calibre .12), des tests effectués avec un fusil à pompe Remington de 45 cm (le plus répandu aux Etats-Unis), le chercheurs ont mis en évidence un taux de
diminution des performances acceptable en dessous de 12 mètre, une diminution significative
de la précision et l‟apparition d‟un vol erratique au dessus de 12 mètres (avec donc, un risque
pour les tiers).
On note également une chute du projectile de 10 cm par 3 mètres de distance avec un écartement de 13 cm.
Toutefois, il faut noter que la précision du beanbag est directement influencée par le lanceur.
Des tests avec des fusils de longueurs différentes (480 tirs avec des longueurs de 25, 35, 40 et
45 cm) démontrent que de manière générale, les déviations sont mineures entre 15 et 18 mètres pour chuter de manière drastique au-delà de cette dernière distance. Un modèle prédictif
établi que les canons de 25, 35 et 45 cm peuvent ainsi être utilisés dans des distances courtes
entre 3 et 15 mètres sans perte de précision. Toutefois, l‟encombrement des longues armes
empêchent par exemple les fouilles – ce qui reste une donnée intéressante dans le cadre de
l‟applicabilité des ANM surtout lorsque l‟on constate des récurrences au niveau des interventions : des lieux plus souvent intérieurs, des distances d‟engagement très courtes (de 0 à 7
mètres) et ce, dans un laps de temps très court. Les résultats montrent qu‟une arme à canon
court (25cm) reste précise en dessous de 15 mètres.
3.- Au niveau des armes à air comprimé (concept d‟abord développé de manière ludique
dans le cadre du Paintball), celles-ci permettent de travailler avec des projectiles chargés de
substances chimiques. Leurs avantages se situent notamment au niveau de la simplicité du
rechargement de ces armes (dispositifs semblables à ceux employés en plongée sous-marine)
et la diminution du coût par rapport au CO2 par exemple.
21New Study Ranks Risks of Injury from 5 Major Force Options, Force Science
http://www.forcescience.org/fsinews/2008/07/new-study-ranks-risks-of-injury-from-5-major-force-options/
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
News
#102,
[Page 21
Pour le FN303, on note que BERTOMMEN 22 en 2005 démontre que le FN303 est précis audelà de 47 mètres en touchant des plateaux métalliques de 10 cm. Néanmoins les organes de
visées sont prévus pour 30 mètres.
Selon les auteurs mentionnés, le FN303 ne peut pas être utilisé à des distances inférieures à
91 cm (3 feet). Entre 1 et 4 mètres, l‟opérateur, même en visant le centre de masse (thorax)
peut occasionner les blessures graves. Au-delà de 4 mètres, le torse est le point de visée privilégié.
Jusqu‟à 27 mètres, la différence entre le point visée et le point atteint est inférieure à 10 cm
indiquant une faible chute des performances et une bonne précision de l‟arme.
Au-delà de 27 mètres, on assiste à une détérioration substantielle des résultats. Toutefois,
même si le projectile chute dans ses performances, il garde un comportement appréciable. De
plus, différentes procédures statistiques indiquent une forte corrélation entre distance et précision à moins de 36 mètres. A partir de 36 mètres, la différence entre point de visée et d‟impact
est de 35 cm par 9 mètres parcouru. Toutefois, il est signalé que le tireur peut facilement
adapter son tir en fonction des premiers résultats. L‟avantage souligné est le chargeur de 15
munitions. Le réservoir a une capacité annoncée de 110 coups même si le chiffre de 79 reste
plus fiable.
Quant au PepperBall, il est issu d‟une tradition de Paintball (look identique). La vélocité à la
sortie du canon est de 91 m à 115 m/ seconde. L‟énergie cinétique oscille entre 8 et 12 joules.
Le réservoir peut contenir 130 projectiles (possibilité d‟un réservoir adapté accueillant jusqu‟à
450 projectiles). Selon le constructeur, la distance maximum est de 30 mètres pour un effet
triple (choc, douleur, effet chimique).
Si l‟efficacité du PAVA a été démontrée par les chercheurs, ils se montrent plus circonspect
quant à la précision. Jusque 6 mètres, la différence entre point visé et touché est approximativement de 12 cm (et moins). La corrélation entre distance est précision est moyenne: elle
augmente de 3 cm par 1m50 parcouru.
Au-delà de 9 mètres, le projectile flotte et perd de la précision et du contrôle. Des tests de
dispersion entre les différents impacts sur cible indiquent qu‟à une distance inférieure à 9 mètres, la moyenne de dispersion est inférieure à 38 cm. Cette dispersion est corrélée avec la
distance. La dispersion augmente de 6,8 cm par 1m50 parcouru.
Les avantages de l‟arme (grande capacité, effets chimiques reconnus) sont balayés par le
manque de précision de l‟arme. Il n‟est d‟ailleurs pas possible de corriger son tir. Même si la
distance habituelle d‟engagement est de 6m50 et que le Pepperball peut couvrir cette distance,
les auteurs affirment que l‟arme n‟est pas capable de couvrir d‟autres interventions avec des
distances plus importantes. D‟ailleurs, la distance maximum de précision attribuée par les
auteurs est de 3m.
22 Bertomen, L., Launching less lethal rounds. Law Enforcement Technology,32(2), 2005, pp. 112-119.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 22
Dans des distances intermédiaires, le Pepperball est utile pour saturer l‟air de PAVA. Ce qui
incite les auteurs a lui attribuer uniquement cette tâche à moins d‟être accompagné d‟une autre ANM capable de plus longues distances.
3.3.- La possibilité de répéter les frappes
De nombreuses ANM utilisant l‟énergie cinétique sont multi-coups. Cette possibilité, encore
inexistante jusqu‟il ya peu pour les armes électriques et embryonnaire aujourd‟hui, fait des
ANM cinétiques des instruments de maîtrise de la violence plus polyvalents.
La capacité de répéter la manœuvre de neutralisation sur la même personne demeurant hostile
est précieuse.
Elle assure bien évidemment la sécurité du policier en cas d‟échec (mauvaise visée ou mouvements d‟esquive, effet inopérant, etc.).
La répétabilité de la frappe est également un facteur de proportionnalité dans l‟intervention
puisqu‟une frappe supplémentaire ne saurait être délivrée coup sur coup (« dubble tap ») et ne
trouverait éventuellement sa justification que dans le maintien d‟une hostilité grave et avérée
(charge, rupture du confinement, tentative de prise d‟otage, exhibition ou usage d‟une arme,
etc.). La possibilité de répéter une frappe identique en intensité à la précédente est un gage de
sérénité de l‟intervention.
La mise à disposition d‟un nombre parfois important de frappes avec un même lanceur (le
Flashball fournit 2 coups, le shotgun-bean bag en fournit 7, le FN 303 met à disposition de
l‟opérateur un chargeur de 15 projectiles) présente également une utilité lorsque des comparses se manifestent de manière hostile, ou lorsqu‟il arrive que des tiers prennent fait et cause
pour la personne neutralisée et veuillent en découdre avec les forces de l‟ordre.
A l‟inverse, un lanceur de type 40 mm avec des projectiles dits « gomme-cogne » par exemple
(en service France essentiellement) pose la question de la recharge, qui mobilise un opérateur
pendant les quelques secondes cruciales qui suivent une première frappe, dont il va falloir
rapidement évaluer l‟effet. Il faut alors une bonne coordination du team dans son intervention
pour assurer un suivi utile.
3.4.- L’efficacité des frappes de neutralisation
Cette remarque concernant l‟avantage des lanceurs multi-coups conduit également à discuter
le critère d‟efficacité de la frappe par ANM cinétique.
En matière d‟armes électriques, on sait que la suprématie est immédiate et totale, mais qu‟elle
est totalement conditionnée par le positionnement correct des dards : les deux dards doivent
être en contact avec la personne hostile pour que l‟arc électrique produise ses effets et les distances maximales utiles doivent être respectées (voir le cahier consacré par le GESLR aux
ANM utilisant l‟énergie électrique).
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[Page 23
Aucun autre moyen de neutralisation momentanée, à ce jour, n‟atteint ce niveau de suprématie.
La latence d‟action du gaz poivré (OC) exclut la neutralisation immédiate et n‟empêche pas
un individu déterminé de rester dangereux pendant plusieurs secondes cruciales, voire reste
sans effet sur certaines personnes.
La frappe avec des projectiles de neutralisation momentanée ne provoque pas davantage
d‟immobilisation ou de perte posturale radicale. Le choc provoque une désorientation par
l‟effet cumulé de la surprise et de l‟impact, puis une douleur plus ou moins vivement ressentie
selon les cas.
Le coup d‟arrêt au comportement que veut susciter la première frappe incite en effet à la prise
de conscience d‟une force supérieure qui s‟oppose à soi.
Lorsque cette prise de conscience se réalise, l‟individu hostile peut décider de se soumettre. Il
s‟agit alors, soit d‟un mécanisme rationnel par lequel l‟individu comprend qu‟il est allé trop
loin et qu‟il doit « calmer le jeu », soit d‟un mécanisme plus primaire mais néanmoins efficace de conditionnement négatif : la seconde frappe sera tout aussi douloureuse et l‟individu
juge plus confortable d‟obéir pour s‟y soustraire.
C‟est donc par le biais de la prise de conscience de la douleur (rappelons que les seuils de
douleur sont éminemment subjectifs et dépendent des états de conscience) que les armes cinétiques correctement employées agissent.
A l‟inverse, les armes électriques agissent en-dehors des possibilités de contrôle volontaire et
rationnel (cf. le cahier relatif aux ANM électriques).
3.5.- Les risques liés aux procédés pyrotechniques de propulsion du projectile
1.- Plusieurs types de lanceurs utilisent des procédés pyrotechniques pour propulser le projectile de neutralisation momentanée. Ce n‟est pas la fiabilité qui est en cause, mais bien l‟effet
sonore. Il est tout-à-fait comparable à la détonation d‟une arme à feu puisque seule la munition est remplacée par un projectile de neutralisation momentanée.
Il est douteux qu‟il soit possible d‟éviter des confusions, notamment sous stress et dans
l‟action, entre un tir par arme à feu et un tir de neutralisation momentanée. La capacité à opérer de telles distinctions présuppose un environnement débarrassé de bruits parasites, de tension nerveuse, et globalement exempt du stress inhérent à une confrontation réelle.
Le risque existe donc en pareil cas de déclencher ce qu‟on nomme des « tirs par mimétisme »,
résultant de la conviction erronée mais plausible que des coups de feu ont été tirés, qu‟on se
trouve donc au-delà du recours à la neutralisation momentanée et que l‟emploi des armes létales est nécessaire.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 24
Il faut indiquer, en raison de ce risque, que bon nombre de lanceurs utilisent des procédés
différents, notamment de propulsion par gaz, dont la détonation est caractéristique et ne peut
pas prêter à confusion.
2.- Certains lanceurs utilisant des procédés pyrotechniques requièrent en outre des précautions
particulières en raison du risque de confusion entre munitions létales et projectiles de neutralisations momentanée. Les risques, bien connus, sont pourtant presque impossibles à éviter totalement. On se souviendra de l‟incident de tir en France lors d‟une démonstration en public
au cours de laquelle des civils ont été tués ou blessés ; récemment, lors d‟un exercice au cours
duquel des « Simunitions » étaient utilisées, quelques munitions réelles ont été retrouvées
dans les boîtes de munitions d‟exercice… Erreur ? Malveillance ?
A nouveau, il faut signaler dès lors que le problème ne se pose pas lors de l‟utilisation de lanceurs dédiés à la neutralisation momentanée, les canons et chargeurs ne pouvant en aucun cas
recevoir des munitions létales.
3.6.- La procédure d’emploi
Le présent « cahier » n‟a évidemment pas la prétention d‟être un manuel de pratique professionnelle à usage des policiers.
Toutefois, l‟observation des forces de police en action ne peut manquer de mettre en évidence
que l‟introduction de nouveaux matériels dans la panoplie déjà abondante et encombrante du
policier, va confronter à des problèmes de procédures et de discernement sous stress.
En l‟état actuel des matériels cinétiques existants, il semble nécessaire de penser
l‟intervention avant de l‟engager. Le port d‟une arme longue n‟est pas compatible avec toutes
les missions, tant en ce qui concerne la manœuvrabilité des opérateurs que la présentation face
au public ; les armes cinétiques actuelles se prêtent probablement mieux à la surveillance de
périmètres ou d‟installations, à la position en couverture lors de contrôles routiers, et de manière plus générale, elles sont probablement mieux adaptées à des dispositifs policiers ou militaires au sein desquels plusieurs opérateurs travaillent.
Le binôme traditionnel nécessite probablement davantage d‟entraînement et de discernement,
surtout lorsque l‟intervention doit se faire dans un lieu d‟habitation ou des locaux. Le passage
de porte, souvent malaisé à effectuer par deux opérateurs travaillant côte à côte, contraint
souvent à faire se suivre les opérateurs ; en pareille hypothèse, l‟analyse de la menace va
s‟avérer importante et la coordination du team est nécessaire. Elle s‟acquiert par
l‟entraînement et non par la seule bonne volonté.
L‟usage même de l‟arme de neutralisation cinétique est sujet à évaluation, comme c‟est le cas
pour toutes les autres ANM également. Ici aussi, la coordination et l‟existence de procédures
de travail sont importantes pour éviter de répéter une frappe inutile tout comme pour transiter
vers un moyen létal en cas de menace persistante ou aggravée.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 25
Ces quelques exemples non exhaustifs cherchent avant tout à montrer que la neutralisation
momentanée ne s‟improvise pas.
La neutralisation momentanée de personnes menaçantes est en fin de compte davantage un
résultat heureux qu‟une simple bonne intention de départ. Quelle que soit la qualité du matériel, s‟il est mal servi par l‟opérateur humain, il donnera au final des conséquences piteuses ou
dramatiques.
Il ne saurait donc s‟agir simplement de former au matériel, à son entretien, à la remédiation
utile aux incidents de fonctionnement. La pratique de la neutralisation momentanée est une
mentalité ; elle requiert donc de la formation tactique et du discernement dans l‟action.
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[Page 26
4.- L’acceptabilité
L‟acceptabilité, en matière d‟ANM à énergie cinétique, porte sur la légitimité d‟emploi et sur
la nature ainsi que l‟ampleur des effets médicaux connus et qu‟il convient de prendre en
compte lors de l‟utilisation.
4.1.- L’acceptabilité issue du processus comportemental recherché.
C‟est une neutralisation momentanée qui est recherchée ; elle n‟est qu‟une étape, et non une
fin en soi, dans le processus d‟intervention qui se prolongera par une interpellation, éventuellement une mise à la disposition de la justice et un procès pénal.
Il semble ainsi fondamental pour l‟apaisement du conflit de préserver la possibilité pour la
personne d‟adopter une attitude plus positive ou d‟opter pour les risques d‟une escalade.
Le mécanisme de la neutralisation momentanée par les armes cinétiques fait appel à la conscience : bien que l‟opérateur policier montre sa détermination à obtenir un comportement de
soumission (lâcher un couteau, par exemple), il procède avec mesure en laissant à la personne
hostile la possibilité de montrer sa compréhension et un changement de comportement. En
effet, la frappe délivrée par l‟arme cinétique n‟est habituellement pas suffisamment brutale
pour assurer d‟emblée une perte de conscience ou une douleur inéluctablement paralysante.
Dans les cas où les conditions d‟une prise de conscience rapide ne sont pas réunies – conditions d‟intoxication, trop forte charge émotionnelle, détermination à combattre les forces de
l‟ordre, affaiblissement de la frappe par le port de protections – la première frappe va s‟avérer
inopérante. Les policiers vont constater le maintien des dispositions combattives (attaque sur
le dispositif, persistance de la complaisance aux injonctions) ou l‟apparition d‟autres comportements inadéquats (rupture du confinement et tentative de fuite, prise d‟otage, etc.).
La possibilité de répéter la frappe initiale devient alors précieuse lorsqu‟il s‟impose de recourir légalement à la force puisque les principes de proportionnalité et de subsidiarité trouvent
bien à s‟appliquer.
C‟est également le cas avec les sprays poivrés, la matraque ou les moyens de contrainte physique, alors que ce n‟est pas le cas lors de l‟utilisation de dispositifs à impulsions électriques.
Dans le cas de l‟arme électrique, c‟est la suprématie immédiate qui est recherchée, sans préserver la possibilité d‟un apaisement mieux proportionné.
De la sorte, les armes de neutralisation momentanée, lorsqu‟elles sont correctement employées, respectent mieux la dignité humaine que la décharge électrique délivrée par les dispositifs à impulsions électriques.
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4.2.- Légitimité et opportunité d’emploi.
Les ANM recourant à l‟énergie cinétique ne sont pas des substituts à l‟arme à feu. Lorsque
sont réunies les conditions légales de l‟usage des armes à feu, il est criminel d‟imaginer que le
policier doive se mettre davantage encore en danger en adoptant charitablement une attitude à
ce point chevaleresque qu‟il éviterait de retourner le feu contre celui qui attente à sa vie.
Principalement pour celles de seconde génération qui utilisent des lanceurs dédicacés et qui
s‟écartent donc notoirement des armes longues pouvant tirer des munitions létales et des projectiles de neutralisation momentanée, le spectre d‟action est celui des interventions menées
par les forces de l‟ordre à l‟encontre des auteurs de violences qui refusent de se plier aux injonctions policières, qui attaquent le dispositif policier, ou qui menacent l‟intégrité physique
des personnes.
On ne peut donc pas faire l‟économie d‟une réflexion sur les personnes et les contextes susceptibles de requérir le déploiement de ce type.
On se situe bien évidemment dans les interventions nécessitant un recours légal à la contrainte.
Au plan conceptuel d‟abord, il est utile de se rappeler la distinction entre la violence qui est
l‟usage abusif de la force (verbale ou physique, directe ou indirecte sur autrui, des proches ou
des biens) et le recours légal à la force, qui rassemble les contextes et les manières légalement
prescrites d‟imposer la loi ou d‟empêcher d‟attenter à celle-ci, voire d‟assurer sa légitime défense.
Le recours légal à la force devrait en principe être exempt de violence, si on admet que la violence est le recours abusif et condamnable à la force ; on ne devrait par ailleurs recourir à la
force qu‟en dernière limite, avec mesure et proportion, sans haine ni plaisir. Nous allons le
voir, le recours légal à contrainte, même dans des situations de menace élevée n‟est pas la
caractéristique première de ces interventions
Il faut toutefois déplorer qu‟en Europe, peu de données systématisées 23 existent quant aux
situations réellement vécues par les policiers sur le terrain et ce, particulièrement en Europe.
Cette systématisation est pourtant nécessaire pour éviter la seule évocation – parfois sous la
forme d‟anecdotes – de certaines situations marquantes vécues sur le terrain. Ce constat est
d‟autant plus fort lorsqu‟il s‟agit de décrire les interventions et leur contexte face à des auteurs
menaçants.
En effet des auteurs comme KLINGER rappelle qu‟aux Etats-Unis, l‟exploitation des résultats
de l‟étude de ces situations a notamment permis le développement et la spécialisation de technologies permettant au policier d‟appréhender un citoyen combatif et/ou potentiellement violent sans à avoir à utiliser la force létale avec en parallèle la nécessité de pouvoir gérer les
23 Les connaissances que l‟on a des situations de confrontation entre policiers et citoyens sont quasiment exclusivement de
nature nord-américaine. Elles émanent tant du champ administratif, opérationnel que scientifique. L‟analogie entre les deux
continents est vite limitée par la conception culturelle des fonctions de police.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 28
situations où l‟auteur présente des signes de déséquilibre mental ; les possibilités non létales
existantes se relevant inappropriées et potentiellement dangereuses 24.
Cette approche est d‟autant plus nécessaire si on admet que depuis les années 1990, les réformes de la police s‟efforcent de gommer l‟aspect coercitif des interventions de la police sous
les appellations de « police communautaire » (Community policing), de police de proximité
ou encore de police de quartier 25.
A écouter les policiers, l‟exercice devient d‟autant plus ardu. En effet, à analyser leurs propos,
il existe une constante relative aux caractéristiques des interventions. Celles-ci sont en effet
dites hétérogènes, singulières et imprévisibles. L‟hétérogénéité des interventions est liée à une
triple perspective relative à la situation (l‟individu [à maîtriser] et le contexte), à l‟agent et au
moyen éventuel à utiliser. Leur imprévisibilité mais également leur singularité entrainent que
chaque tâche, résume SCHOENAERS, est très spécifique et revêt des caractéristiques propres
qui rendent leur réalisation faiblement « standardisable » 26.
A ceci s‟ajoute l‟évolution des phénomènes. En effet, un certain nombre de policiers nous ont
répercutés d‟une part, une augmentation de la violence à l‟égard des forces de l‟ordre et
d‟autre part, une augmentation de l‟usage effectif d‟armes blanches. Ces éléments nécessitent
également une objectivation.
Dès lors, face à des auteurs menaçants, les policiers attendent des moyens de recourir à la
contrainte les fonctions suivantes touchant à leur applicabilité concrète :
-
Éviter un contact direct avec la personne en cause;
Eviter la mise en danger des policiers, des tiers, de l‟auteur lui-même ;
Établir un déséquilibre rapide dans le rapport de force et ce, au bénéfice du policier;
Etre facilement déployée, quelque soit les circonstances;
Avoir des conditions d‟engagement rapides dans des espaces restreints;
Etre intégrés avec les techniques existantes;
Etre capables de dissuader et, au besoin, neutraliser.
Nous reviendrons dans la conclusion sur ces différents éléments qui traduisent déjà tout
l‟enjeu de la confrontation avec des auteurs violents.
Nous ne pouvions nous satisfaire d‟un constat de carence d‟une objectivation contextualisée
doublée par un souci de dynamisme notamment dans l‟étude de la relation entre les policiers
et l‟auteur pourtant nécessaire à les connaissances indispensables aux socles de la formation,
de l‟entraînement, voire du développement technologique 27.
24 KLINGER D., Impact munitions: a discussion of key information, Policing: An International Journal of Police Strategies
& Management, Vol. 30 n°3, 2007, p. 386.
25 BRODEUR J-P., Force policière et force militaire in LEMIEUX F, DUPONT B. (Ed.), La militarisation des appareils
policiers, Les Presses de l‟Université de Laval, Laval, 2005, p. 43.
26 SCHOENAERS F., Comment gérer la police dans une période de changement ?, Revue française de gestion, vol. 28, n°
139, 2002, p. 32.
27 « Training protocols that detail the micro process of the entire police suspect encounter offers officers a greater understanding of how the force they choose to apply may result in subsequent behaviors ». TERRILL, Police Use of Force And
Suspect Resistance: The Micro Process Of The Police-Suspect Encounter, Police Quarterly, Vol. 6 n°1, March 2003, pp. 5254.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 29
Un outil concerté avec les premiers acteurs que sont les policiers directement impliqués sur le
terrain et baptisé ScanOps a été créé et tend à offrir un regard particulier en prenant un recul
nécessaire.
Trois objectifs ont été fixés.
-
Le premier est de comprendre et détailler aussi bien les interactions entre les policiers
et l‟auteur que le contexte dans lequel se déroule l‟intervention.
Le deuxième est, dans cette interaction, d‟analyser les éléments qui ont entraîné ou
évité le recours légal à la contrainte.
Le troisième est d‟étudier, au travers des représentations des acteurs de terrain, la place
éventuelle de nouveaux moyens de neutralisation momentanée sur base de situations
réelles pouvant être détaillées mais également généralisées et ainsi offrir des opportunités de comparaison entre ceux-ci.
Ainsi, Scanops récolte ainsi des données relatives notamment aux caractéristiques des policiers, aux caractéristiques de l‟intervention, à l‟analyse du risque, à la première analyse de la
menace (sa perception par le policier), les attitudes et comportements des protagonistes, le
traitement de la menace et ses conséquences.
Partant du principe que l‟intérêt principal de l‟étude relève des situations de confrontation
entre les policiers et les individus et qu‟il est réducteur de s‟attacher exclusivement aux situations ayant effectivement amené à un recours légal à la contrainte, deux critères cumulatifs
conditionnent l‟utilisation de cette grille. Il s‟agit de la présence d‟un ou plusieurs auteur(s) 28 et d‟une menace directe de celui(ceux)-ci pour l‟intégrité physique du policier, de
tiers et ou de l‟auteur 29 lui-même.
Des premiers résultats sont issus de fiches complétées majoritairement par les membres du
Peloton Anti-Banditisme de la Police locale de Liège 30. L‟échantillon étudié est composé de
1076 grilles remplies entre décembre 2007 et avril 2009, ce qui représente grosso modo 1481
auteurs différents. Nous disposons de données plus précises pour 1204 de ces auteurs (les
autres n‟ayant pas présenté un caractère de menace).
Nous pouvons ainsi apporter quelques éléments chiffrés :
28 Nous retenons uniquement des situations qualifiées d‟« individuelles » et non de maintien et de rétablissement de l‟ordre
public qui répondent à d‟autres caractéristiques et contraintes particulières. La principale étant une planification plus aisée de
part la plus grande prévisibilité des événements mais également les dangers relatifs au phénomène de foule. Toutefois, on le
verra, nous avons retenu les interventions où plus d‟un auteur est présent.
29 La présence d‟une personne menaçante nous incite à parler en termes d‟ « auteur », ce qui d‟ailleurs facilitera la lecture du
présent article.
30 Le Peloton Anti Banditisme est un service spécialisé qui, en plus de missions spécifiques et planifiées, vient en appui et en
renfort aux divers services de première ligne. Il intervient également en première ligne sur certaines situations potentiellement à risques ou pouvant le devenir. Il intervient sur les alarmes, organise des patrouilles de prévention générale ciblées
vers la recherche du flagrant délit, la surveillance de cibles potentielles, la recherche de personnes et les véhicules signalés. Il
présente comme caractéristique l‟emploi de tactiques et de moyens spécifiques. La quarantaine de policiers spécialement
formés et entraînés travaillent généralement par trois et offrent une présence sur les zones de police de Liège et de Seraing
Neupré (Belgique) au minimum d‟un équipage de trois policiers.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 30
-
La moitié des interventions se réalisent dans le cadre de passages à l‟acte violents
(49,1%) ;
-
La majorité des interventions le sont dans le cadre de vol avec ou sans violence (17,7%
- flagrants délits suivi de près par les violences avec ou sans armes (16,3%), les violences familiales ou conjugales (avec ou sans armes soit 16,1%).
-
Une arme est au moins signalée au début de l‟intervention est comptabilisée dans
25,3% des interventions étudiées 31. On notera qu‟il s‟agit essentiellement d‟armes
blanches, armes qu‟il ne faut sous estimer en raison de sa disponibilité, sa facilité de
dissimulation, d‟utilisation mais également au niveau des graves conséquences occasionnées par son utilisation.
-
Une arme est retrouvée dans 22,7% des situations.
-
Les policiers n‟ont pas de connaissance préalable du lieu d‟intervention 62,4% des interventions.
-
46,7% des interventions ont lieu à l‟intérieur.
-
Dans 22,1% des interventions, les policiers ont dû gérer la situation de plus d‟un auteur.
-
On note une majorité d‟homme (96,3%). Même si toutes les classes d‟âge sont représentées, des différences existent quant au type d‟intervention.
-
Les imprégnations alcoolique et toxique de l‟auteur sont présentes dans un tiers des situations.
-
Des attitudes hostiles de l‟auteur à l‟arrivée des policiers sont présentes dans 29,8%
des situations, celles-ci sont présentes. Ce sont les tiers qui sont les plus visés (19%),
viennent ensuite les policiers (16,5%) et enfin l‟auteur lui-même (3,1% - comportements suicidaires.
-
L‟auteur ne se soumet pas aux injonctions de la police dans 25,7% des interventions
étudiées, ce n‟est pas le cas. Cette non-soumission peut être identifiée par des comportements passifs (40% - injures, résistance passive, verbale) mais également par des
comportements actifs (60% - résistance physique, fuite, agression, entraves au mouvement).
-
Il y a recours légal à la contrainte pour 8,5% des auteurs : 80 utilisations de la
contrainte physique, 11 utilisations du spray OC, 20 utilisations de la matraque ainsi
que 17 utilisations des boucliers balistiques. Ces divers moyens sont parfois utilisés de
manière séquencée dans le cadre de la même intervention. Il faut également comptabiliser 4 utilisations de service et une utilisation d‟une arme dans le cadre de coups de
semonce.
31 Cette variable est construite à partir des données fournies à la police lors de l‟appel mais également sur base des informations dont disposent déjà la police (dans le cadre d‟une interception, on sait par exemple que l‟individu possède des armes à
son domicile).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 31
Comme on le constate donc ce n’est pas l’existence d’un risque qui conditionne le recours légal à la contrainte mais le degré de la menace.
L‟utilisation des ANM, tout aussi bien cinétiques qu‟électriques, doit donc être conditionnée
par l‟analyse de la menace concrète et non par le risque global que peut courir un policier
lorsqu‟il est envoyé en intervention.
4.3.- Effets médicaux
1. Introduction.
Dans le domaine énergétique cinétique, la contribution médico-légale au développement
d‟une arme à létalité réduite consiste à déterminer la réponse biomécanique d‟une région corporelle donnée à une condition d‟impact particulière ainsi qu‟à évaluer la probabilité, le type
et la sévérité des lésions encourues.
La littérature scientifique aborde largement la recherche dans le domaine des traumatismes
par objet contondant (« blunt trauma ») mais elle décrit généralement la réponse de diverses
régions corporelles à des projectiles présentant une masse importante et une vitesse d‟impact
basse et ce, conformément à ce qui est observé lors des accidents de la circulation.
Même si des informations très pertinentes contenues dans ces études ont pu être exploitées, il
est peu vraisemblable que la réponse biomécanique humaine et les valeurs de tolérance lésionnelle établies dans le domaine de l‟accidentologie automobile soient directement applicables à des conditions d‟impact impliquant des projectiles de moindre masse et de vitesse plus
élevée tels que ceux propulsés par les armes à létalité réduite cinétique. En accidentologie
automobile, les études concernent des masses de 10 à 20 kg projetées à des vitesses de l‟ordre
de 10 à 20 m/s alors que les projectiles d‟impact présentent des masses variant de 20 à 200 g
pour des vitesses d‟impact de l‟ordre de 30 à 200 m/s. La surface impactée de même que la
nature du projectile présentent également une différence significative.
Le tissu humain étant typiquement inhomogène, anisotrope, non-linéaire et viscoélastique, la
réponse biomécanique est dépendante de la vitesse relative entre le projectile et le corps au
moment de l‟impact. Une recherche complémentaire dans le domaine de la létalité réduite est
donc absolument nécessaire aux fins de déterminer les réponses biomécaniques du corps humain de même que sa tolérance lésionnelle propres aux projectiles d‟impacts.
Outre les considérations strictement biomécaniques sus mentionnées, l‟efficacité et les limites
d‟utilisation de l‟arme de neutralisation momentanée cinétique doivent également être définies.
Une définition quantitative de l‟arme à létalité réduite « idéale » avait été avancée par le Dr
J.M. KENNY lors de la présentation du Human Effects Advisory Panel au Non Lethal Defense IV en mars 2000 (21).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 32
D‟après celle-ci, le projectile d‟impact « idéal » devait entraîner :
-
une neutralisation de 98 % de la population,
une absence d‟effet chez 1 % de la population,
des lésions permanentes chez maximum 1 % de la population dont un taux de
décès maximal de 5 % au sein de ces 1 % (soit 0,02 % de la population),
des effets temporaires de 30 minutes ou moins.
La neutralisation temporaire implique que la personne ciblée serait provisoirement incapable
de réaliser une ou plusieurs des actions suivantes : marcher, courir, lutter, communiquer, utiliser des armes, conduire un véhicule et construire des barricades.
Les lésions permanentes seraient par définition irréversibles et entraineraient chez le sujet
atteint des degrés variables d‟invalidité (atteinte à l‟intégrité physique ou psychique de
l‟individu) et d‟incapacité professionnelle.
2. Contexte.
Les premiers rapports concernant l‟utilisation des projectiles d‟impact ont abordé la question
de l‟utilisation des projectiles en plastique et en caoutchouc dans les conflits Irlandais, SudAfricains et Israélo-palestiniens. Il existait cependant d‟importantes différences d‟un pays à
l‟autre en termes de longueur, diamètre, poids, vitesse et précision de projectiles utilisés, sans
oublier que leur doctrine d‟emploi était très variable. C‟est pourquoi il était essentiel
d‟identifier correctement les projectiles utilisés lorsque des comparaisons étaient réalisées
quant aux effets délétères des projectiles d‟impact.
Dans un rapport du National Institute of Justice (14) répertoriant l‟utilisation par les forces de
l‟ordre américaines de 969 projectiles d‟impact (« impact munitions ») lors de 373 incidents,
les éléments suivants étaient mis en évidence :
-
-
-
-
«… le risque de lésion sévère était diminué lorsque les projectiles d‟impact
étaient tirés d‟une distance de 3 mètres ou plus… » ;
«… sur les 373 incidents rapportés (969 projectiles), 8 personnes (2%) sont décédées… 6 étaient situées à une distance inférieure à 10 mètres, 5 furent atteintes au niveau thoracique… » ;
« … au moins 5 victimes furent touchées par des « bean bags », parfois parmi
d‟autres types de projectiles …»;
« … les « bean bags » tirés de shotgun calibre-12 représentaient 65 % des projectiles tirés… les projectiles en plastique ont été utilisés dans 28 % des
cas…»;
« … les personnes ciblées furent atteintes au niveau de l‟abdomen (34%), de la
poitrine (19 %), des jambes (15 %), des bras (14 %), du dos (11 %), de la région céphalique (2%), de la hanche (1%) et du cou (1%)… » ;
«… 782 tirs de projectiles d‟impact (sur 969) ont causé des lésions… ecchymoses (51%), abrasions (31%), lacérations (5.5%), fractures osseuses (3.5%) et
lésions pénétrantes provoquant une lésion subséquente sévère (1.8 % =
14)… »;
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 33
-
«… sur les 19 impacts céphaliques rapportés, 14 ont résulté en des lésions de
type lacération, fracture osseuse ou plaie pénétrante… ».
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 34
En d‟autres mots, ce rapport indiquait que l‟utilisation des projectiles d‟impact présentait une
mortalité non négligeable (2 %), les facteurs de risque principaux étant le tir à courte distance
(engagement moins de 10 mètres) et la zone corporelle visée (risque majeur si atteinte des
régions céphalique et/ou thoracique). La distance d‟engagement représentait l‟élément clé
prédictif de lésions graves, la plupart des projectiles d‟impact étudiés dans ce rapport voyant
leur potentiel à provoquer des lésions sérieuses diminué dès lors qu‟ils étaient tirés à une distance supérieure à 10 pieds (3,05 mètres). En outre, les régions abdominale et thoracique
étaient le plus souvent atteintes tout comme dans les cas d‟utilisation d‟armes létales où les
officiers de police sont entrainés à viser « le centre de masse corporelle », confirmant de la
sorte que les efforts de recherche en létalité réduite devaient nécessairement être orientés aussi
bien vers la mise au point d‟un projectile aux propriétés moins délétères que vers une doctrine
d‟emploi propre à l‟utilisation de ce type de projectile.
Enfin, les conclusions de ce rapport mettaient en évidence un réel paradoxe en ce sens que,
avec les projectiles d‟impacts classiquement utilisés aux U.S.A. (« bean bags », « 37mm plastic rounds »,..), les distances d‟engagement courtes étaient à éviter au risque d‟entraîner des
lésions graves chez la personne ciblée.
Or, le souhait émis actuellement par les forces de l‟ordre dans les interventions urbaines est
précisément de pouvoir efficacement faire face à ces distances d‟engagement dites courtes
(moins de 10 mètres) grâce à l‟utilisation d‟arme à létalité réduite exploitant l‟énergie cinétique.
3. Energie cinétique : généralités et rappels.
L‟énergie cinétique d‟un corps est l‟énergie que possède un corps du fait de son mouvement
selon la formule Ec = Masse x (Vitesse)2 / 2. L‟énergie cinétique d‟un corps est égale au travail nécessaire pour faire passer le dit corps du repos à son mouvement de translation et de
rotation actuel.
Le travail d'une force est l'énergie fournie par cette force lorsque son point d'application se
déplace (l'objet subissant la force se déplace ou se déforme). Si par exemple on pousse une
voiture, le travail de la poussée est l'énergie produite par cette poussée.
Le travail et l‟énergie sont exprimés en Joules (J).
La force est une action mécanique capable de créer une accélération, c'est-à-dire une modification de la vitesse d'un objet ou d'une partie d'un objet, ce qui induit un déplacement ou une
déformation de l'objet. L'unité de mesure d'une force est le Newton (N). Le newton équivaut à
1 kg.m.s-2, c'est-à-dire qu'un newton est la force colinéaire au mouvement qui, appliquée pendant une seconde à un objet d'un kg, est capable d'ajouter (ou de retrancher) un mètre par seconde à sa vitesse.
Les armes à létalité réduite exploitant le type énergétique cinétique sont :
-
la matraque (caoutchouc, bois,…),
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 35
-
-
les projectiles d‟impact (projectile plastique, caoutchouc, mousse rigide, bean
bags,…) habituellement propulsés par des armes de type shotgun calibre-12 ou
encore des lanceurs à gaz 37/40 mm,
le canon à eau (jet à haute pression, “projectiles” d‟eau,…).
L‟utilisation du type énergétique cinétique a pour but de :
-
repousser à distance la personne ciblée,
dissuader voire de neutraliser la personne ciblée par une sensation douloureuse
suffisante en termes de durée et d‟intensité au niveau de la zone d‟impact,
ne pas causer de lésion nécessitant un traitement médical allant au-delà du traitement simple « de première ligne » (soins locaux sur place ou en service
d‟urgences sans nécessité d‟hospitalisation).
Dans le cadre de notre étude, seuls les projectiles d’impact seront abordés.
Comme signalé auparavant, les armes tirant ces projectiles devraient idéalement être utilisées
dans les engagements dits proches, présentant dès lors un sérieux manque de contrôle du degré de traumatisme avec notamment un risque non négligeable de lésions pénétrantes (morbidité significative) voire de lésions mortelles.
4. Traumatologie et mécanismes lésionnels des projectiles d‟impact.
4.1 Généralités :
Par définition, les projectiles d‟impact sont destinés à transmettre leur énergie cinétique à
l‟individu ciblé au niveau de la zone d‟impact et ce, sans pénétrer cette dernière.
D‟un point de vue terminologique, les mécanismes lésionnels induits par les projectiles
d‟impact peuvent être regroupés sous le terme générique de « blunt trauma » ou encore,
« traumatisme par objet contondant ». De manière générale, l‟objet contondant (« impact object ») présentant ses caractéristiques propres (forme, rigidité, orientation) heurte une surface
corporelle donnée, transmet à celle-ci de l‟énergie et cette dernière est responsable ou non de
l‟apparition d‟une lésion.
D‟emblée, signalons que la survenue de lésion peut être réduite en utilisant des matériaux
déformables (« crushable materials ») qui permettent la déformation des surfaces en contact,
l‟augmentation de la durée de l‟impact et la réduction de la charge énergétique transmise.
La réponse biomécanique du corps à l‟impact comporte 3 éléments (20):
-
l‟inertie de la zone corporelle impactée,
la résistance élastique des tissus (dépendante du degré de compression),
la résistance visqueuse des tissus (dépendante de la vitesse de compression).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 36
Lors d‟impact à basse vélocité, la vitesse de déformation de la zone corporelle est basse et la
résistance élastique des tissus représente l‟élément limitant la survenue de lésion.
Lors d‟impact à haute vélocité, la vitesse de déformation de la zone corporelle est élevée et,
dans ce cas, ce sont l‟inertie et les propriétés visqueuses des tissus qui déterminent la force
développée, limitent la déformation et interviennent comme éléments significatifs dans le
mécanisme lésionnel.
Le risque de lésion squelettique ou organique interne est donc proportionnel à l‟énergie absorbée par les propriétés tissulaires viscoélastiques.
Pratiquement, ces 3 éléments (inertie, résistance élastique et résistance visqueuse)
« s‟associent » pour résister à la déformation de la zone corporelle soumise à l‟impact. Lorsque les tissus sont déformés au-delà d‟une limite de réversibilité, les lésions surviennent.
Comme signalé dans l‟introduction, la recherche concernant la traumatologie de l‟impact d‟un
objet contondant a connu et connaît toujours d‟importantes avancées grâce à l‟accidentologie
automobile et le développement de mesures de sécurité dans la production automobile
(« crashworthiness »).
Cependant, il existe une différence fondamentale entre le mécanisme lésionnel impliqué dans
un accident automobile et celui secondaire à l‟impact d‟un projectile tel qu‟utilisé en létalité
réduite. Cette différence est clairement illustrée dans les figure et tableau ci-après.
Les conditions d‟expérimentation en accidentologie automobile impliquent des vitesses
d‟impact typiquement de 10 à 20 m/s pour des masses de 10 à 30 kg en moyenne.
Les projectiles d‟impacts représentent leur part des masses de 20 à 200 grammes et des vitesses d‟impact de 20 à 250 m/s (4).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 37
Les données exhaustives obtenues en accidentologie ne peuvent donc être appliquées
directement aux projectiles d’impact.
4.2 « Viscous Mechanism » (20):
Comme nous l‟avons vu, les réponses biomécaniques du corps humain diffèrent selon que la
déformation secondaire à l‟impact se fait à haute ou basse vélocité.
La vitesse de déformation de la zone corporelle ciblée représente le facteur prédictif dominant
quant à la survenue de lésion.
A vitesse de déformation lente, l‟énergie est graduellement absorbée par la déformation ellemême limitée par les propriétés élastiques tissulaires et par l‟augmentation de pression au sein
des tissus.
Lorsque la déformation est rapide, la force transmise est dépendante de la vitesse de déformation car les propriétés visqueuses résistent à la déformation et assurent une protection naturelle à l‟impact. Il existe également une importante composante d‟inertie à cette force transmise.
Dans le cas de déformation rapide, le corps développe donc une pression interne importante et
des lésions internes peuvent survenir avant que la paroi n‟ait subi de déformation significative.
En d‟autres mots, lorsqu‟un organe rempli de liquide est compressé lentement, l‟énergie peut
être absorbée par la déformation tissulaire sans dégât. Lorsque la compression est rapide,
l‟organe ne peut se déformer assez rapidement et une rupture peut survenir sans qu‟il y ait un
changement significatif de forme et ce, même si la compression est substantiellement plus
importante qu‟en cas de compression lente.
La capacité d‟un organe ou d‟un tissu à absorber l‟énergie de l‟impact sans présenter de lésion
est appelée tolérance.
En théorie, le comportement viscoélastique des tissus mous est significativement impliqué
dans la réponse lésionnelle lorsque la vitesse de déformation tissulaire secondaire à l‟impact
est supérieure à 3 m/s (et non la vitesse du projectile à l‟impact !).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 38
A vitesse de déformation inférieure à 3 m/seconde, la compression tissulaire, de type « slow
crushing load », est limitée par les propriétés élastiques de résistance des tissus. Par exemple,
à basse vitesse de déformation, la cage thoracique peut tolérer une compression maximale de
35 à 40 %.
A vitesse de déformation supérieure à 3 m/seconde, les propriétés tissulaires visqueuses et
d‟inertie sont dépassées et la tolérance diminue au fur et à mesure que la vitesse de déformation augmente. Dans ce cas, la compression tissulaire maximale ne correspond pas aux propriétés visqueuses et d‟inertie des tissus ni au risque maximal de survenue de lésions. Dans
ces conditions, la vitesse de déformation est le facteur dominant et non plus le degré de compression. Par exemple, à haute vitesse de déformation, les lésions thoraciques peuvent survenir lorsqu‟une valeur de VC de 1,0 m/s est atteinte (voir ci-après).
Ces observations ont donc amené Viano et Lau (1988) à proposer un mécanisme lésionnel de
type « vicous » pour les tissus biologiques mous. Cette réponse visqueuse des tissus (« Viscous Response ») est définie par le produit de la vitesse de déformation « V » et du degré
compression « C » en fonction du temps :
Viscous Response = V(t) x C(t) = Velocity of Deformation (V) x Compression (C)
L‟énergie absorbée maximale (= pic maximal de survenue de lésions tissulaires) correspond
au moment où la valeur maximale du produit VC est atteinte, c‟est-à-dire approximativement
à la moitié de la compression maximale, soit durant la phase rapide de charge secondaire à
l‟impact.
A vitesse de déformation supérieure à 30 m/seconde, on parle de lésion de type onde de choc
ou « blast wave » et le degré de compression tolérable à cette vitesse est de l‟ordre de 10 à 15
% au niveau thoracique.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 39
Les lésions tissulaires peuvent donc résulter soit d‟une réponse de type compression soit
d‟une réponse de type visqueuse soit encore d‟une combinaison des deux puisque ces réponses surviennent à des moments différents lors de l‟impact.
Ainsi, pour tout impact dynamique sur une zone corporelle, la vitesse d‟impact et la vitesse de
déformation résultante déterminent la proportion de l‟énergie d‟impact transmise sous l‟une
ou l‟autre forme de réponse tissulaire (21).
4.3 Mécanismes lésionnels de type « crush & shear » et « viscous » :
Les lésions corporelles secondaires aux projectiles d‟impact sont classées en deux groupes
principaux :
-
les lésions superficielles (couche externe ou « outer layer ») concernant la
peau et le tissu sous-cutané, à savoir :
o
o
o
o
-
ecchymose (infiltration hémorragique),
hématome (collection hémorragique),
abrasion (frottement avec décapage épidermique),
lacération (plaie = lésion pénétrante),
les lésions profondes (couche interne ou « inner layer ») concernant les organes et tissus situés à l‟étage inférieur à celui sus décrit, à savoir :
o fracture osseuse,
o rupture vasculaire,
o lésions organiques :
 organes pleins (rein, foie, rate, …),
 organes creux (tube digestif, poumon,…).
Comme décrit précédemment, la vitesse d‟impact et la vitesse de déformation résultante déterminent la proportion de l‟énergie d‟impact transmise sous l‟une ou l‟autre forme de réponse
tissulaire.
Ainsi, le projectile peut induire deux mécanismes lésionnels :
-
un mécanisme dit « crush & shear injury » consistant en l‟écrasement et le cisaillement des tissus et organes par compression « directe » lors de l‟impact.
Ce mécanisme est dominant en cas d‟impact à basse vélocité (« low velocity
compression ») et la survenue des lésions suit un modèle dit linéaire. Ces lésions sont aussi appelées « lésions directes » car elles surviennent immédiatement en regard de la zone corporelle impactée,
-
un mécanisme dit « viscous injury » consistant en la propagation d‟ondes de
pression (« compression/stress waves ») au sein des structures organiques ou
tissulaires profondes du corps. Ce mécanisme est dominant lors d‟impact à
haute vélocité (« high velocity compression »), la survenue de lésions suivant
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 40
alors un modèle exponentiel. On parle dans ce cas de « lésions indirectes » du
fait de leur localisation à distance de la zone corporelle atteinte.
Ainsi, une petite compression survenant sur une très courte période peut provoquer des lésions internes selon le « viscous mechanism » alors qu‟une compression plus grande mais
survenant lentement entraine une déformation tissulaire avec éventuelles lésions en regard de
l‟impact selon le mécanisme « crush and shear ».
Lorsque le tissu est déformé trop rapidement par l‟impact du projectile, il ne peut se déformer
suffisamment rapidement pour dissiper les effets de cette force, permettant ainsi la survenue
de dégâts tissulaires internes par propagation de cette force. Donc, lorsque la rapidité de compression excède un certain seuil de tolérance viscoélastique tissulaire, le mécanisme lésionnel
passe d‟un premier mécanisme simple et direct (de type compression et cisaillement) à un
second mécanisme impliquant une réponse plus complexe (9).
Dans le cas précis des projectiles d‟impact, les impacts par des projectiles à haute vélocité (>
30 m/s) et de faible poids résultent en de petites compressions de la paroi corporelle de courte
durée mais à haute vélocité. Dans ces circonstances, les ondes de pressions peuvent contribuer
significativement au mécanisme lésionnel et causer des lésions micro-vasculaires internes.
Ces lésions internes concernent aussi bien les organes pleins que les organes creux mais un
changement important de la vitesse de propagation de l‟onde de pression au niveau d‟une interface air-tissu (poumons et tube digestif par exemple) peut être responsable d‟une différence
majeure de pression résultant en des lésions tissulaires focalisées en ces endroits.
Il est donc essentiel de bien cerner ces deux mécanismes lésionnels car une personne ciblée et touchée par un projectile d’impact pourrait présenter des lésions dites « internes » sans nécessairement souffrir d’une lésion superficielle pénétrante… Un bilan radiologique « interne » pourrait donc s’avérer systématiquement nécessaire.
Nous citerons le cas d‟un habitant de Los Angeles qui, touché au niveau de la portion gauche
de l‟abdomen supérieur par un projectile de type beanbag, devint léthargique et tachycarde 2
heures après son évaluation initiale et chez qui une rupture de la rate fut diagnostiquée subséquemment.
La pénétration du projectile est possible dès l‟instant où les tissus cutané et sous-cutané sont
déformés au-delà de leurs limites d‟élasticité (capacité à retrouver leur état initial) et de viscosité (leur résistance au changement de forme durant le mouvement).
La cohésion de surface est alors perdue et un phénomène de déchirure cutanée (disruption)
survient, permettant la pénétration du projectile (15).
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[Page 41
En conclusion, pour obtenir un effet terminal idéal, les projectiles d’impact devraient
présenter :
-
une surface émoussée pour répartir la force d’impact sur une surface
plus grande et minimiser le risque de pénétration,
-
un degré de « déformabilité » élevé pour augmenter la durée
d’interaction projectile/cible et absorber une partie de l’énergie à
l’impact.
4.4 Critères de tolérance lésionnelle ( « Injury Tolerance Criteria » ) :
Les critères lésionnels (« injury criteria ») ont été établis aux fins de prévoir, aussi significativement que possible, la survenue d‟une lésion corporelle en fonction de paramètres mesurables tels que la force, la déformation, etc...
Ces critères consistent en des formules incluant certains paramètres du projectile et/ou de la
cible, utilisables à des fins statistiques pour déterminer la probabilité de survenue d‟une lésion, d‟un degré de gravité donné (selon une échelle de classification internationale) et ce, en
fonction de la zone corporelle ciblée.
Un critère lésionnel (« injury criterion ») est défini comme « une formule mathématique basée
sur des observations empiriques qui décrit formellement une relation entre certains paramètres
physiques mesurables interagissant avec un sujet test et l‟occurrence de lésion résultant directement de cette interaction ».
Quant à la tolérance lésionnelle (« tolerance to injury »), elle est définie comme « la valeur
d‟un critère lésionnel connu qui délimite, avec une probabilité statistique donnée, un événement non traumatique d‟un événement traumatique ».
Parmi les premiers critères établis en accidentologie automobile, on relève :
-
-
le critère « acceleration » basé uniquement sur l‟accélération spinale et principalement utilisé pour évaluer les lésions osseuses pariétales et non organiques
internes,
le critère « force » limité par son absence de prise en compte de la réponse variable des composants élastiques, visqueux et d‟inertie du corps humain,
le critère « compression » est un indicateur valable pour les fractures osseuses
mais pas pour les lésions internes.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 42
Aux fins de prendre en compte plusieurs paramètres simultanément, d‟autres critères ont été
développés et sont actuellement retenus dans l‟étude des projectiles d‟impact. Parmi ceux-ci,
le « blunt criterion » et le « viscous criterion ».
Le « blunt criterion » (BC = ln (1/2 MV²/W1/3TD)) (Sturdivan & Viano 2004), représente le
rapport entre l‟énergie cinétique transmise par le projectile lors de l‟impact (M = masse du
projectile exprimé en kilogramme et V= vitesse du projectile exprimée en mètre par seconde)
et certains paramètres la cible (W = masse de la cible exprimé en kg et T = épaisseur de la
paroi de la cible exprimée en cm) ainsi que du projectile (D = diamètre du projectile en cm).
Le «viscous criterion» (VC = V x C) (Lau & Viano 1986) représente la réponse de la cible
fonction du degré de compression de la zone atteinte et de la vitesse à laquelle ladite compression survient. VCmax, représentant le maximum du produit instantané de la compression de la
zone corporelle atteinte (C exprimée en mètre) par la vitesse de compression (V exprimé en
en mètre par seconde), est significativement corrélé au risque de lésions sévères des tissus
mous ou d‟organes internes.
Pour rappel, la tolérance des tissus est directement liée à l‟énergie absorbée par lesdits tissus
lors de la phase rapide de déformation du corps appelée « viscous response » (cfr point
4.2).On a pu ainsi déterminer que, lors des impacts thoraciques frontaux, une valeur de VCmax
de 1 mètre/seconde représentait le seuil de tolérance du thorax humain et était corrélé à une
probabilité de 25 % de survenue d‟une lésion de gravité AIS 4 (3, 4, 10, 19).
Utilisés au départ en accidentologie automobile, ces critères furent ensuite validés par C. BIR
(Wayne State University) pour les impacts thoraciques des projectiles utilisés en létalité réduite (3).
Les critères « blunt » et « viscous » peuvent être utilisés respectivement dans la conception
des projectiles et dans l‟évaluation des impacts. Une analyse statistique probabiliste, donnant
une valeur concrète du risque de morbidité et mortalité en fonction des valeurs de BC et VC,
permet ensuite d‟utiliser ces critères à des fins pratiques.
La probabilité de lésion est évaluée comme une fonction continue d‟une réponse biomécanique. Une fonction logistique (courbe sigmoïde) établit le lien entre la probabilité de lésion p et
-1
la réponse biomécanique x
–
paramètres dérivés d‟analyses statistiques des données biomécaniques.
Cette fonction fournit donc une relation sigmoïdale entre trois régions distincte, à savoir :
-
pour un niveau de réponse biomécanique bas (BC dans le tableau ci-dessous),
une faible probabilité de lésions,
pour un niveau de réponse biomécanique très haut, une probabilité de lésions
approchant les 100 % (asymptote),
la région dite de transition entre les deux extrêmes implique un risque proportionnel à la réponse biomécanique étudiée.
La fonction sigmoïde est typique de la tolérance humaine car elle représente la distribution
« naturelle » des sujets faibles et forts dans une population exposée à l‟impact.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 43
En d‟autres termes, en utilisant cette fonction sigmoïde de probabilité, les valeurs de BC et de
VC permettent de prédire le pourcentage de risque de lésions sévères et de décès et ce, pour
une zone corporelle donnée, comme illustré sur les courbes ci-après.
En étudiant la courbe ci-dessus, nous constatons qu‟un projectile présentant un BC de 0.37 a
un risque de 50 % de provoquer une lésion thoracique de gravité AIS 2-3.
De même, un VCmax thoracique de 0.8 m/sec suite à l‟impact d‟un projectile est corrélé à un
risque de 50 % de souffrir d‟une lésion de gravité AIS 2-3 (fig.2).
Ces courbes objectivent donc la relation directe entre le BC, le VC et la probabilité de survenue d‟une lésion, dans ce cas-ci thoracique, en fonction de sa gravité déterminée par l‟AIS.
L‟AIS, pour Abbreviated Injury Scale, fournit un « score » lésionnel anatomique abordant
chaque région corporelle (dans le cas présent la région thoracique) en termes de degré de sévérité et de risque vital d‟une lésion, AIS 1 correspondant à une lésion d‟un risque vital mineur et AIS 6 à une lésion fatale.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 44
Dans cette étude sur modèle cadavérique, les lésions les plus graves objectivées ne dépassaient pas le stade AIS 2-3 : sur une personne vivante, ces lésions auraient été considérées
comme sérieuses (3).
C. BIR précisait en outre que la plupart des projectiles d‟impacts étaient tirés de shotgun de
calibre-12 (20 mm). Ainsi, partant d‟une valeur acceptable de 0.37 pour le BC (comme déterminé sur la courbe ci-avant) et d‟un diamètre de projectile de 20 mm, des courbes de tolérance ont pu également être établies en faisant varier les valeurs de masses (projectile et cible), de vitesse du projectile et de taille de la cible, comme illustré ci-dessous (fig.4 et fig.5) (3) :
La littérature scientifique abordant les mécanismes lésionnels secondaires aux projectiles
d‟impact se résume donc à des critères et concepts qui, même s‟ils sont capables de donner
une évaluation plus qu‟appréciable du risque lésionnel encouru, ne tiennent cependant pas
compte de la totalité des paramètres inhérents au projectile et à la cible.
En particulier, les critères BC et VCmax présentent d‟évidentes limites. Le BC tient en effet
compte de certains paramètres à la fois du projectile et de la cible mais ne considère aucune-
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
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ment leur interaction. Le VCmax n‟envisage pour sa part que l‟interaction projectile cible en
termes de degré de compression et de vitesse de déformation.
Ci-après sont repris la plupart des critères de tolérance lésionnelle habituellement exploités
tant en accidentologie automobile que dans l‟évaluation des projectiles d‟impact :
4.5 Revue globale de la littérature « humaine » et « animale » :
Une importante revue rétrospective de la littérature « humaine » et « animale » concernant la
biomécanique et les mécanismes lésionnels propres au « blunt trauma », tant au niveau abdominal que thoracique, a été réalisée récemment par l‟équipe de D. BOURGET (Defence
R&D Canada) (34).
Cette revue exhaustive, abordant tant les projectiles d‟impact que les impacts caractéristiques
de l‟accidentologie automobile, a permis d‟établir une synthèse en termes de :
-
caractéristiques d‟impact,
réponse biomécanique thoraco-abdominale,
probabilité de survenue de lésions et ce, pour différentes conditions d‟impact.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 46
Les tableau et figures ci-dessous présentent un résumé des données biomécaniques et lésionnelles thoraco-abdominales relevées lors de la revue de 26 documents :
-
le tableau 1 reprend la masse du projectile utilisé, la vitesse du projectile, le
modèle utilisé (animal = Dog, Swine or Goat ou cadavérique = Post Mortem
Human Subjects), la localisation de l‟impact, les paramètres biomécaniques
objectivés et les données lésionnelles disponibles,
-
les figures 1 et 2 relèvent les masse et vélocité des projectiles utilisés en fonction de la localisation de l‟impact (thoracique ou abdominale). Sur les figures 1
et 2 sont par ailleurs superposées les régions d‟intérêt pour les impacts dans les
domaines de l‟accidentologie automobile et des projectiles d‟impact.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 47
La majorité des données relevées se situent donc bien dans la gamme représentative des projectiles d‟impact et ces données sont disponibles pour une large gamme de cibles de masses
différentes.
Les auteurs ont pu par ailleurs relever une corrélation entre les valeurs de BC et VCmax et ce,
tant au niveau abdominal que thoracique, tel qu‟illustré dans les tableaux ci-dessous.
Les conclusions de cette intéressante revue de la littérature concernant les impacts thoraciques
et abdominaux de type « blunt » démontraient que de nombreuses données, tant biomécaniques que lésionnelles, animales ou humaines, existaient et pouvaient être utilisées aux fins de
créer, calibrer et valider des modèles d‟étude bio fidèles utilisables tant pour l‟évaluation de
projectiles d‟impact (KENLW) que du BABT (Behind Armor Blunt Trauma).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 48
5. Seuils lésionnels connus en fonction des zones corporelles visées.
5.1 Os de la face :
Une étude (2) réalisée sur des cadavres humains a pu mettre en évidence, au niveau des os de
la face (à savoir l‟os frontal, la mandibule et l‟arcade zygomatique), les valeurs seuils de force
suivantes :
- la tolérance de l‟arcade zygomatique : 1.6 kN,
- la tolérance de l‟os frontal : 6.0 kN,
- la tolérance de l‟os mandibulaire : 1.9 kN.
Après réalisation de courbes « force-déflection », les auteurs ont pu objectiver les valeurs
moyennes de déformation en fonction de la force appliquée suivantes:
- au niveau de l‟arcade zygomatique : 0.17 kN/mm,
- au niveau de l‟os fontal : 0.36 kN/mm,
- au niveau de l‟os mandibulaire : 0.35 kN/mm.
5.2 Lésions oculaires :
Une méta-analyse (6) a permis de relever, après revue exhaustive de la littérature (études sur
œil humain, porcin, de singe et de chat), des valeurs énergétiques correspondant à un risque
de 50 % de survenue de 5 groupes lésionnels oculaires (abrasion cornéenne, hyphema, dislocation du cristallin, lésion rétinienne et rupture du globe oculaire).
Concernant les valeurs d‟énergie cinétique (exprimée en Joule), elles furent statistiquement
significatives pour 3 groupes lésionnels, à savoir :
- risque de 50 % d‟abrasion cornéenne : 0.184 J,
- risque de 50 % de lésion rétinienne : 1.09 J,
- risque de 50 % de rupture du globe oculaire : 3.949 J.
En utilisant des valeurs énergétiques dites « normalisées » (énergie cinétique par surface de
projection du projectile, exprimée en kg/s2), celles-ci furent statistiquement significatives pour
les 5 groupes et constituaient les meilleurs valeurs prédictives de lésions, à savoir :
- risque de 50 % d‟abrasion cornéenne : 1.5 kg/s2,
- risque de 50 % de dislocation lenticulaire : 19,2 kg/s2,
- risque de 50 % d‟hyphema (hémorragie oculaire) : 20.2 kg/s2,
- risque de 50 % de lésion rétinienne : 30,3 kg/s2,
- risque de 50 % de rupture du globe oculaire : 23,8 kg/s2.
5.3 Cage thoracique :
Comme nous l‟avons abordé auparavant, une étude réalisée sur cadavres humains (3) a déterminé les risques de survenue de lésions (dont la sévérité était exprimée selon l‟échelle A.I.S.)
en fonction des « blunt criterion » et « viscous criterion ».
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[Page 49
Nous avions relevé les valeurs acceptables de BC à 0.37 (pour un risque de 50% de survenue
d‟une lésion de sévérité AIS 2-3) et de VCmax de 0.8 m/s (pour un risque de 50% de survenue
d‟une lésion de sévérité AIS 2-3).
Les impacts thoraciques seront par ailleurs discutés au point 8.
Enfin, dans son évaluation cadavérique de la pénétration cutanée (discutée au point 5.5), C.
BIR avait relevé les valeurs seuils (risque de 50 % de survenue de lésion) suivantes (11) :
-
pour la survenue d‟une fracture costale : 10,74 – 59,97 J/cm2,
pour la survenue d‟une fracture sternale : 36,32 J/cm2,
pour la survenue d‟une fracture omoplate : 55,83 J/cm2,
pour la survenue d‟une lésion pulmonaire: 59,95 J/cm2,
5.4 Résistance du rein :
Une étude réalisée sur des reins porcins (5) a permis d‟objectiver des valeurs énergétiques
seuil d‟apparition de lésions rénales classées selon l‟échelle lésionnelle de l‟AAST (American
Association for the Surgery in Trauma).
La valeur seuil de survenue d‟un traumatisme rénal de grade III (correspondant à une lacération du cortex rénal de >1 cm de profondeur sans rupture du système collecteur ou extravasation urinaire) était de l‟ordre de 4.0 J. Il s‟agissait cependant d‟une valeur énergétique de
contact direct.
Les auteurs rapportaient par ailleurs une étude qui avait démontré que des impacts de l‟ordre
de 300 à 575 J centrés sur la 9ème côte de cadavres humains (en regard de la loge rénale) était
nécessaire pour causer des lésions rénales, illustrant la grande capacité de dissipation énergétique de la paroi abdominale et la position rétropéritonéale et sous-costale relativement « protectrice » du rein.
Cette importante différence énergétique met en évidence la difficulté de prédire la portée intracorporelle d‟un impact externe dont l‟énergie cinétique et la géométrie d‟impact sont
connus.
5.5 Pénétration cutanée :
Une étude intéressante de C. BIR (11) a évalué les densités énergétiques seuils correspondant
au risque de 50 % de pénétration cutanée et ce, en fonction de la zone corporelle visée.
L‟auteur rappelait que les lésions pénétrantes concernent environ 38 % des décès secondaires
à l‟utilisation des projectiles d‟impact.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 50
Les valeurs seuils de densité énergétique suivantes (correspondant à un risque de pénétration
cutanée de 50 %) furent mises en évidence :
-
pour un impact sternal : 32,8 J/cm2,
pour un impact sur une côte « antérieure » : 23,99 J/cm2 (= valeur minimale),
pour un impact entre deux côtes « antérieures » : 33,30 J/cm2,
pour un impact en regard de la région hépatique : 39,88 J/cm2,
pour un impact ombilical : 34,34 J/cm2,
pour un impact en regard de la région fémorale proximale : 26,13 J/cm2,
pour un impact en regard de fémorale distale : 28,13 J/cm2,
pour un impact en regard de la région scapulaire : 50,60 J/cm2,
pour un impact sur côte « postérieure » : 52,74 J/cm2 (= valeur maximale),
pour un impact basi-dorsal : 38,13 J/cm2.
Toutes ces valeurs furent statistiquement significatives à l‟exception de celles impliquant les
zones d‟impact sternale, intercostale antérieure, hépatique et latéro-ombilicale.
En outre, une probabilité de survenue d‟une lésion musculaire dans 50 % des cas était relevée
avec des valeurs de densité énergétique variant de 49,59 à 52,80 J/cm2.
En termes de valeurs moyennes de densité énergétique nécessaire pour induire une pénétration, la région présentant la valeur la plus basse était la région intercostale antérieure (valeur
moyenne de 33.14 J/cm2) tandis que la région costale postérieure présentait la valeur de densité énergétique la plus élevée (55.90 J/cm2).
La région costale antérieure était donc à priori la plus fragile d‟un point de vue du risque de
pénétration cutanée.
5.6 Impacts abdominaux :
Les impacts abdominaux seront discutés au point 9.
Les travaux de C. BIR (11) et J. ECK ont relevé les seuils lésionnels suivants (8) :
-
pour la survenue d‟une lacération hépatique: 41,35 J/cm2,
lésions hépatiques: BC à 0.51,
lésions du tube digestif : BC à 1.32.
5.7 Seuils énergétiques divers :
Avec notre plus grande réserve quant à leur valeur significative, nous avons également relevé
les valeurs seuils suivantes :
-
énergie nécessaire pour une fracture du crâne: 44 – 100 J,
énergie nécessaire pour une fracture de la mandibule : 40 J,
pour une fracture de l‟arcade zygomatique: 5 – 13 J,
probabilité de décès lors d‟un impact thoracique : (mv2)/TW1/3D,
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[Page 51
-
seuil de survenue d‟une fracture hépatique: (mv2)/WD >414 et <1451,
densité énergétique de pénétration cutanée: >20.6 J/cm2,
densité énergétique de pénétration dur globe oculaire: 4 – 7.6 J/cm2,
blunt trauma sévère si >120 J, dangereux si 40 à 120 J et peu risqué si < 30 J,
seuil létal : 0,79 J / mm2,
seuil non-létal : 0,1 J / mm2,
lésion oculaire : 0,06 J/mm2,
lésion oculaire irréversible : 0,025 J/mm2,
énergie non pénétrante : 10 J,
« minimum energy density needed to produce pain » : 0,06 J/mm2,
V50 de lésions diverses chez un homme 70 kg pour un projectile de 140 g et 3.7
cm, la variable indépendante étant le BC (34) :
5.8 Zones corporelles à risques :
En théorie, les régions corporelles particulièrement vulnérables et donc à risque de présenter
des lésions sévères ou fatales lors de l‟utilisation des projectiles d‟impacts sont :
-
la région céphalique vu la fragilité oculaire, des os de la face, de l‟appareil respiratoire supérieur (larynx et trachée) et la présence « superficielle » des axes
vasculaires jugulo-carotidiens,
-
la région inguinale vu la présence « superficielle » des axes vasculaires fémoraux,
-
le thorax vu la fragilité relative des côtes et espaces intercostaux antérieurs
d‟où le risque de lésions directes ou indirectes des organes intra thoraciques
(cœur, poumons et gros vaisseaux),
-
l‟abdomen supérieur vu la présence relativement superficielle des organes richement vascularisés que sont le foie et la rate,
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[Page 52
-
la région dorsolombaire vu la présence superficielle de la colonne vertébrale
abritant la moelle épinière et, de part et d‟autre de la colonne vertébrale, des
reins en position relativement superficielle.
6. Les paramètres du projectile et de la cible.
6.1 Effet terminal du projectile :
Les paramètres du projectile à prendre en considération sont les suivants :
-
l‟énergie cinétique terminale (masse multipliée par vitesse au carré, le tout divisé par 2),
la quantité de mouvement (« terminal momentum » = masse multipliée par la
vitesse en fonction du temps),
l‟impulsion délivrée,
la durée de l‟impact,
la surface d‟impact,
la densité énergétique (« cross-sectional density »),
la forme du projectile,
la nature du projectile au sens de sa « déformabilité ».
L‟ensemble de ces paramètres détermine l‟effet terminal du projectile.
6.2 Réponse physiologique de la personne ciblée :
Les paramètres d‟importance chez la personne ciblée sont quant à eux :
- l‟âge,
- le poids,
- le sexe,
- l‟état actuel et les antécédents de santé,
- les propriétés viscoélastiques et la résistance à la pénétration propres à la zone
corporelle visée.
Ces paramètres déterminent ainsi la réponse physiologique.
7. Mesure de l‟efficacité des projectiles d‟impact.
La question la plus délicate posée en létalité réduite concerne la mesure de l‟efficacité du projectile lorsqu‟il percute la personne ciblée.
Comme nous l‟avons vu précédemment, les objectifs visés dans l‟exploitation de l‟énergie
cinétique sont le repoussement voire la neutralisation d‟un individu ciblé par une douleur au
point d‟impact du projectile qui soit suffisante en termes d‟intensité et de durée.
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Une étude intéressante (23) rappelle que la littérature scientifique étudiant la douleur cutanée
évoquée mécaniquement est très pauvre.
En se basant sur des observations empiriques faites lors d‟entrainements de la NAVY au
cours desquels des projectiles de type paint-ball (calibre 68, 3,17 g) étaient tirés sur des recrues, les seuils de densité énergétique suivant furent établis :
-
sensation douloureuse légère : 2,15 J/cm² (61 m/sec) ;
-
douleur intense avec modification du comportement : 3,63 J/cm² (79 m/sec).
Ces valeurs représentaient les seules données existantes concernant l‟évaluation de la douleur
lors d‟exposition de cibles humaines à des projectiles d‟impact et son influence quant à
l‟accomplissement de tâches bien déterminées.
Les auteurs d‟une étude abordant les effets d‟une grenade non-létale (calibre 66 mm) propulsant des projectiles en PVC de calibre 0.32 suggèrent que le premier pic de pression secondaire à l‟impact ainsi que le temps nécessaire à atteindre ledit pic seraient les éléments déterminant l‟intensité de la douleur évoquée mécaniquement. Cette hypothèse serait supportée par le
comportement viscoélastique des tissus biologiques, pour rappel dépendant de la vitesse de
déformation (39).
Les valeurs énergétiques ci-après ont été relevées par Ph. DRAPELA dans son travail Wundbalistik présenté le 20.3.2008 à Bern (37), lors de la rencontre du G.E.S.L.R. avec le groupe
ARMASUISSE. Ces valeurs énergétiques seuils étaient rapportées à la capacité de la personne ciblée à recouvrir ses fonctions :
-
à plus de 120 J, seraient décrits :
o une perte complète de la capacité à se battre,
o une limitation de la capacité à se battre pendant 15 à 20 jours,
o un rétablissement complet en 30 à 60 jours,
o une possibilité d‟issue fatale.
-
entre 40 et 120 J, seraient décrits :
o une perte complète de la capacité à se battre durant 3 à 5 minutes,
o une limitation de la capacité à se battre inférieure à 10 jours,
o un rétablissement complet en moins de 30 jours.
-
en dessous de 40 J, seraient décrits :
o une perte complète de la capacité à se battre durant 1 à 3 minutes,
o une limitation de la capacité à se battre inférieure à 15 minutes,
o un rétablissement complet en moins de 24 heures,
o une possibilité d‟issue fatale.
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[Page 54
8. Biomécanique des impacts thoraciques.
8.1. Rappels anatomiques (31) :
Le thorax est constitué de la cage thoracique, des tissus mous (sous-cutanés et musculaires) et
des organes sous-jacents. Il s‟étend de la base du cou jusqu‟au diaphragme qui constitue la
limite inférieure du thorax et sépare la cavité thoracique de la cavité abdominale.
La cage thoracique comprend douze paires de côtes qui sont attachées postérieurement aux 12
corps vertébraux de la colonne dorsale. Antérieurement, le sternum fixe l‟extrémité des 7 côtes supérieures. Les côtes inférieures sont soit fixées indirectement au sternum (8ème, 9ème et
10ème côtes) soit attachées aux muscles de la paroi abdominale (11ème et 12ème côtes « flottantes »). Les côtes sont interconnectées entre elles par les muscles intercostaux internes et externes. Du fait de la flexibilité des connections de ses différents composants, la cage thoracique
représente une couverture assez rigide mais déformable des organes internes.
La rigidité de la cage thoracique augmente avec l‟âge mais garde toujours un certain degré de
flexibilité. Chez le sujet âgé, les articulations costo-vertébrales et costo-sternales se rigidifient. De plus, les côtes deviennent plus fragiles en raison d‟une déminéralisation progressive
de l‟os. Pour ces raisons, le risque de fracture augmente avec l‟âge et réduit donc le potentiel
protecteur de la cage thoracique.
Le volume intérieur recouvert par la cage thoracique peut être divisé en 3 zones. Les zones
externes droite et gauche contiennent les poumons droit et gauche, constitués respectivement
de 3 et 2 lobes. La région centrale, appelée médiastin, contient entre autres le cœur, la trachée
et les bronches souches ainsi que les gros vaisseaux (aorte, artère pulmonaire, veines caves et
veines pulmonaires) sans oublier l‟œsophage.
Les poumons sont entourés de 2 enveloppes à savoir la plèvre viscérale qui entoure le poumon
et la plèvre pariétale qui tapisse toute la surface de la face interne de la cage thoracique. Les
plèvres viscérale et pariétale n‟entrent pas en contact mais forment une petite cavité (pratiquement virtuelle) appelée cavité pleurale. Cette cavité pleurale est un espace fermé où une
pression négative est constamment maintenue aux fins de permettre le gonflement pulmonaire. Si cette pression négative ne peut être maintenue, en cas de perforation de la cage thoracique par exemple, la cavité pleurale se remplira d‟air et le poumon sous-jacent dégonflera. Ce
phénomène est appelé pneumothorax.
Pour permettre la respiration, le diaphragme, la cage thoracique et les muscles intercostaux
fonctionnent comme une pompe en insufflant de l‟air dans les poumons lors de l‟inspiration et
en l‟exsufflant lors de l‟expiration. Lors de l‟inspiration, le volume thoracique est augmenté
par élévation de la cage thoracique et par abaissement du diaphragme, le poumon étant dès
lors en expansion et l‟air y étant aspiré. Lors de l‟expiration, les structures thoraciques et le
diaphragme sont relâchés.
Le médiastin est localisé entre les poumons, les vertèbres thoraciques et le sternum. Les gros
vaisseaux ont été rappelés ci-dessus. En raison de l‟espace réduit disponible au sein du médiastin, une compression de la portion antérieure de la cage thoracique peut donc facilement
causer des lésions aux structures internes.
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[Page 55
8.2. Mécanismes lésionnels :
De manière générale, trois mécanismes lésionnels peuvent être distingués, à savoir (31):
- la compression,
- le mécanisme « viscous »,
- l‟inertie des organes internes.
Ces mécanismes peuvent induire deux catégories de lésions :
- les lésions pariétales (skeletal injury = peau, tissu sous-cutané, muscles et cage
thoracique),
- les lésions organiques internes (soft tissue injury = « gros » vaisseaux sanguins, cœur et poumons).
Très souvent, les lésions de cage thoracique et des poumons (en ce compris l‟enveloppe pleurale) sont associées en raison de leur promiscuité.
En se référant aux mécanismes lésionnels propres aux projectiles d‟impact décrits précédemment (les décélérations brutales des organes thoraciques n‟étant rencontrées que dans les accidents de la circulation à haute vitesse), deux cas peuvent donc se présenter (20):
-
en cas de compression lente : des lésions de type fracture costale ou sternale
avec éventuellement contusion voire rupture d‟organes sous-jacents par compression directe (« crush & shear »), la paroi thoracique absorbant au fur et à
mesure l‟énergie induisant la déformation et impliquant les seules propriétés
élastiques pariétales dans le mécanisme lésionnel.
-
en cas de compression rapide : des lésions organiques internes, avec ou sans
lésion costale, par dépassement des propriétés visqueuses des tissus suite à une
déformation trop rapide et transmission intra thoracique d‟ondes de stress, la
force transmise étant proportionnelle à la vitesse de déformation tissulaire et au
degré de saturation des propriétés visqueuses de la paroi thoracique et ce, avant
même que la cage thoracique n‟ait connu de déflection significative .
Les organes et vaisseaux intra thoraciques peuvent être « étirés » de différentes manières et
être le siège de lésions de types divers. De manière générale, il faut tenir compte de la position
des organes dans la cage thoracique mais également de leur contenu. Les lésions sont le résultat des effets combinés d‟étirement et de variation de pression interne. Par exemple, en cas
d‟impact thoracique, la compression « externe » de l‟aorte aura tendance à causer des lacérations transverses tandis que l‟élévation brutale de la pression sanguine intra aortique sera pour
sa part responsable de lacérations transversales.
Cas particulier mais d‟une importance considérable, le « commotio cordis » a été défini comme un arrêt cardiaque fatal sans lésion structurelle objectivable secondaire à un impact nonpénétrant au niveau de la poitrine. Il fera l‟objet d‟une discussion au point 8.6.
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[Page 56
Le tableau ci-dessous fournis une vue globale des lésions encourues lors d‟impacts thoraciques et leur classification selon l‟AIS (Abbreviated Injury Scale) (31).
AIS
Skeletal Injury
AIS
Soft Tissue Injury
1
1 fracture costale
1
contusion bronchique
2
2-3 fractures costales
fracture du sternum
2
rupture partielle bronchique
3
>= 4 fractures homolat.
2-3 fractures costales
+ hémo-/pneumo-thorax
3
contusion pulmonaire
contusion cardiaque mineure
4
volet thoracique
>= 4 fractures bilat.
>= 4 fractures
+ hémo-/pneumo-thorax
4
lacérations pulmonaires bilat.
lacération aortique mineure
contusion cardiaque majeure
5
volet thoracique bilat.
5
lacération aortique majeure
lacération pulmonaire avec
pneumothorax ss/tension
6
lacération aortique avec
hémorragie massive
8.3. Couloirs de réponse biomécanique (Etude Prof. BIR) :
La réponse biomécanique thoracique aux projectiles d‟impact a été particulièrement bien étudiée par le C. BIR dans son travail intitulé « The Evaluation of Blunt Ballistic Impacts of the
Thorax (Doctor of Philosophy Dissertation)» dont les apports et limites sont discutés ci-après.
Tout comme le travail de J. ECK concernant les impacts abdominaux (voir point 9), ce mémoire représente un état des connaissances tout à fait unique en matière de projectiles
d‟impact.
Les objectifs spécifiques de ce travail étaient (19):
1. la détermination des couloirs humains (cadavériques) de réponse biomécanique thoracique aux projectiles d‟impact et la comparaison de ceux-ci avec les réponses biomécaniques établies en accidentologie automobile,
2. la détermination d‟un critère de tolérance lésionnelle pour évaluer le « continuum lésionnel » secondaire aux « blunt impacts » thoraciques,
3. la validation d‟un modèle d‟étude biomécanique pour l‟évaluation des impacts de type « blunt » ainsi que l‟évaluation et la comparaison des méthodes existantes,
4. le développement d‟un modèle théorique mathématique aux fins d‟estimer les effets
des projectiles d‟impact sur les modèles humain et de substitution.
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[Page 57
Deux types de projectile furent testés sur 13 cadavres humains, selon les conditions suivantes:
- condition 1 : masse de 140 gr, longueur de 100 mm, diamètre effectif de 37 mm et vitesse de 20 m/s,
- condition 2 : masse de 140 gr, longueur de 100 mm, diamètre effectif de 37 mm et vitesse de 40 m/s,
- condition 3 : masse de 30 gr, longueur de 28.5 mm, diamètre effectif de 37 mm et vitesse de 60 m/s.
Les projectiles utilisés étaient similaires aux projectiles utilisés au Royaume-Uni.
La zone thoracique impactée était le sternum et ce, à hauteur de la 8ème côte.
Au départ de courbes « force-temps » et « déviation-temps », des courbes « force-déviation »
furent obtenues. En se basant sur ces dernières, les couloirs de réponse biomécanique ont pu
être établis pour chacune des conditions d‟impact. Ces courbes sont illustrées ci-après.
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[Page 60
Comme signalé auparavant, la durée de l’impact est considérée comme un facteur prédictif
clé dans la survenue de lésions.
Les couloirs de réponse biomécanique précédemment établis l‟avaient été en utilisant une
masse de 23 kg à des vitesses respectives de 4.4, 6.5 et 9.5 m/s. La force générée dans ces
conditions était de l‟ordre de 7000 N transmis sur plusieurs millisecondes.
Dans le cas des projectiles d‟impact utilisés dans l‟expérimentation de C. BIR, on relevait une
force comprise entre 3500 N et 12000 N transmis sur un laps de temps de l‟ordre de 0,5 millisecondes. En condition d‟impact n°1 (140 g à 20 m/s), on relevait un pic de force à 4,400 N
sans lésion objectivée sur le cadavre alors qu‟en condition d‟impact n°2 (140 g à 40 m/s), une
force de 12000 N était constatée avec lésion de classe AIS 2 et 3.
Ces données confirmaient que la durée d‟impact différenciait significativement les projectiles
d‟impact des accidents de la circulation en termes de réponse biomécanique et de survenue de
lésions.
De même, le degré de compression est également un paramètre prédictif de lésions important.
La tolérance de la cage thoracique établie en accidentologie est de 76 mm ou 34 % de compression et ce, en considérant une profondeur « normalisée » de cage thoracique de 236 mm.
Ce degré de compression était associé avec des lésions de gravité AIS 2.
Dans l‟étude de C. BIR, la compression maximale mesurée fut de 54.7 +/- 14.6 mm pour la
condition d‟impact n°2 soit une compression de 23 % +/- 6% pour une profondeur « normalisée » de cage thoracique de 236 mm. Les lésions associées avec cette condition furent principalement de gravité AIS 2 voire AIS 3.
Un degré de compression moindre avait donc généré les mêmes lésions et ce, en raison de la
vitesse supérieure de ladite déformation (24.2 +/- 7.3 m/s en condition d‟impact n°2).
Ces courbes « force-déformation » assurent la meilleure représentation biomécanique de la
réponse du thorax à un impact.
Pour rappel, la pente initiale représente l‟inertie nécessaire pour accélérer la masse sternale à
la vitesse de l‟impact tandis que le plateau représente les composants visco-élastiques de la
paroi thoracique.
Pour les conditions d‟impact n°1 et n°2, le pic de force était atteint dans les 5 premiers mm de
déformation alors qu‟en condition d‟impact n°3, ce pic survenait dans les 2 premiers mm de
déformation. Cette dernière constatation est due à la quantité d‟inertie nécessaire pour déplacer le sternum de même qu‟à la différence entre la masse du projectile et la masse effective du
sternum.
Dans le cadre de cette étude, la masse sternale effective est environ 4 fois supérieure à celle
du projectile, ce qui constitue à nouveau une différence fondamentale avec les données
connues en accidentologie automobile.
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Enfin, signalons que la plupart des projectiles actuellement utilisés par les forces de l‟ordre
sont proches de la condition d‟impact n°3 (30 g à 60 m/s) même si les vitesses à la bouche du
canon (« muzzle velocity ») sont généralement comprises entre 60 et 90 m/s. Cependant, dans
le cadre de cette expérimentation, l‟impact survenait à 0,5 mètre du canon alors qu‟en réalité
les impacts surviennent en moyenne entre 9 à 13 mètres de la bouche du canon, selon les spécifications propres aux projectiles. Donc, in fine, les vitesses d‟impact des projectiles seraient
proches de celles des conditions d‟impact n°3.
La détermination de la réponse humaine thoracique par le C. BIR constitue une étape critique
dans l‟analyse biomécanique des projectiles d‟impact. Grâce à ces couloirs de réponse biomécanique, il est à présent possible d‟évaluer la « bio-fidélité » des substituts actuellement utilisés dans l‟étude des projectiles de même que le développement de nouvelles méthodes.
8.4 Identification des critères de tolérance lésionnelle pour les impacts thoraciques à haute
vélocité (Etude Prof. BIR) :
Pour rappel, le VCmax est capable de prédire le risque lésionnel pour des vitesses de déformation thoracique entre 3 et 30 m/s.
Pour des vitesses de déformation inférieures à 3 m/s, le critère de compression est un indicateur plus adapté.
Pour des vitesses de déformation inférieures à 30 m/s, les lésions encourues sont dues à un
mécanisme de type blast et leur mécanisme sort du cadre de notre étude.
Dans l‟étude du Prof. BIR, seul le VCmax a été évalué. Un VCmax de 0.8 m/s correspondait
dans 50 % des cas à une lésion osseuse de gravité AIS 2 ou plus. Un risque de 25 % était obtenu avec un VCmax de 0.6 m/s. En utilisant les valeurs de VC déjà connues en accidentologie pour un risque de survenue de lésion de 25 %, le tableau comparatif suivant a pu être réalisé :
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[Page 62
Le Blunt Criterion (BC) a été ultérieurement exploité par le Prof. BIR comme discuté et illustré en pages 11 et 12.
8.5 Développement d‟un substitut biomécanique pour les impacts thoraciques à haute vélocité – le 3 RCS (3 Rib Chest Structure) (Etude Prof. BIR) :
Ce modèle d‟étude a été élaboré par l‟équipe du Prof. BIR car les résultats préliminaires de
l‟utilisation du modèle HybridIII® (développé et validé pour les impacts frontaux en accidentologie) pour l‟évaluation des impacts à haute vélocité avaient révélé des inadéquations.
Cette recherche représentait la première tentative de validation d‟un substitut biomécanique
pour l‟évaluation du risque lésionnel des projectiles d‟impact. Une réponse à l‟impact similaire aux couloirs de réponse biomécanique a ainsi pu être obtenue tel qu‟illustré ci-dessous :
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[Page 63
Enfin, d‟après l‟auteur, des modifications ultérieures devaient encore permettre d‟affiner les
résultats et permettre d‟étendre son champ d‟application.
8.6 « Commotio Cordis » (31) :
Le « commotio cordis » ou « commotion du cœur » est un terme utilisé pour décrire les cas de
chocs thoraciques entrainant le décès par arythmie cardiaque, sans lésion structurelle du cœur
ou des organes internes objectivable.
Le décès est attribué à une fibrillation ventriculaire aggravée par une apnée (arrêt respiratoire)
traumatique.
Le mécanisme lésionnel dominant est une compression des organes situés derrière le sternum
et la cage thoracique. Cette compression entraîne à son tour un transfert direct d‟énergie cinétique de la zone d‟impact au cœur et/ou une augmentation de pression intra thoracique causant
indirectement des lésions. Il en résulte un « continuum de lésions cardiaques ».
La commotion cardiaque ne présente pas de lésion cellulaire contrairement à une contusion où
le dommage cellulaire est objectivé par l‟élévation sanguine des enzymes cardiaques.
Bien que structurellement la plus inoffensive, la commotion cardiaque peut résulter en des
modifications électro physiologiques qui entraînent à leur tour des arythmies cardiaques potentiellement létales.
La fibrillation ventriculaire est une arythmie cardiaque durant laquelle les ventricules montrent une activité électrique irrégulière résultant en une baisse fatale du débit cardiaque en
raison des battements inefficaces des ventricules cardiaques. A moins que le cœur ne soit
« défibrillé » ou qu‟un choc précordial ne relance un rythme cardiaque normal, la mort surviendra. A l‟autopsie, le cœur peut apparaître strictement normal.
« Le commotio cordis » a donc été défini comme un arrêt cardiaque fatal sans dégât structurel
détectable secondaire à un traumatisme par objet contondant non pénétrant au niveau de la
poitrine.
Des travaux expérimentaux réalisés sur des porcs (voir p.35) ont pu objectiver que la fibrillation ventriculaire était déclenchée par des impacts thoraciques survenant durant l‟onde T de la
repolarisation cardiaque (repolarisation ventriculaire) et, plus précisément durant les 30 à 15
ms avant le pic de ladite onde T, lors du T-wave upstroke.
D‟après les travaux de C.BIR (24) (qui ont consisté en une ré-analyse des données précédemment publiées – études sur modèle animal sus crofa), le VCmax s‟avère être l‟indice de
survenue de fibrillation ventriculaire statistiquement le plus significatif (p = 0.006), tel
qu‟illustré sur les tableau et figure ci-après.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 64
nous pouvons le constater, il existe une progression en termes de sévérité de lésions cardiaques au fur et à mesure que les valeurs de VCmax augmentent. Ainsi, nous avons pu relever les
valeurs seuils de VCmax suivantes :
-
lésion de degré AIS <= 3 sans fibrillation ventriculaire pour un VCmax = 1,13
+/- 0,20 m/s ;
lésion de degré AIS <= 3 avec fibrillation ventriculaire (dont le « commotio
cordis ») pour un VCmax = 1,46 +/- 0,31 m/s ;
fibrillation ventriculaire avec lésion cardiaque pour un VCmax = 2,13 +/- 0,85
m/s ;
rupture cardiaque pour un VCmax = 2,69 +/- 0,86 m/s.
Le tableau suivant met en évidence une augmentation de la sévérité des lésions lorsque le degré de compression et la vitesse de compression augmentent tous deux.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 65
Une étude réalisée par B.J. MARON et publiée en 1995 (27), a revu 25 cas impliquant un
arrêt cardiaque brutal chez des enfants et jeunes adultes, âgés de 3 à 19 ans, après un coup
reçu au niveau de la poitrine, dans la majorité des cas par un projectile de type balle de baseball (le cas classique impliquant un batteur heurté à la poitrine par une balle lancée à vitesse
« habituelle ») ou palet de hockey sur glace, bien que des chocs impliquant d‟autres objets
contondant aient été relevés (casque de football américain, talon de crosse de hockey, coup de
pied ou d‟épaule).
Dans chaque cas, l‟impact à la poitrine n‟était pas juge « extraordinaire » par rapport au sport
impliqué et ne semblait pas avoir de force suffisante que pour causer le décès (par exemple,
vitesse de balle de base-ball de 48 à 80 km/h et distance de 12 à 14 m).
12 victimes s‟étaient effondrées quasi instantanément suite à l‟impact alors que les 13 autres
étaient restées conscientes et physiquement actives durant un temps bref avant l‟arrêt cardiaque.
Des manœuvres de réanimation avaient été réalisées endéans 3 minutes sur 19 des 25 victimes
mais seules 2 victimes avaient présenté une reprise du rythme cardiaque avant de décéder
finalement en raison de dommages cérébraux irréversibles.
A l‟autopsie, l‟examen du cœur de 22 des 25 victimes n‟a objectivé aucune lésion ou anormalité myocardique, coronaire ou valvulaire, expliquant le décès inopiné. Les auteurs rappellent
cependant l‟absence d‟examen systématique des tissus de conduction cardiaque de même que
la prévalence de certaines conditions congénitales prédisposant à des arythmies cardiaques
(syndrome du Long QT par exemple), indétectables à l‟autopsie.
12 victimes présentaient de petites contusions au niveau du revêtement cutané thoracique précordial moyen sous forme d‟ecchymoses ou abrasions circulaires, de 0,6 à 5 cm de diamètre.
La majorité des lésions cutanées se situaient à la gauche du sternum soit directement en regard
du ventricule gauche.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 66
Les auteurs postulaient que la plupart des morts subites secondaires à un impact à la poitrine
sont secondaires à une arythmie ventriculaire induite par un choc brutal précordial délivré lors
d‟une période électriquement vulnérable de l‟excitabilité ventriculaire. Les cas d‟arrêts cardiaques différés de quelques instants (personnes encore capables de se tenir debout,
d‟échanger quelques mots, de marcher quelques pas…) pouvaient être expliqués par la survenue d‟une arythmie primaire de courte durée directement suite au choc thoracique (de type
tachycardie ventriculaire par exemple) suivie d‟une rapide détérioration en fibrillation ventriculaire.
Enfin, l‟incidence de « commotio cordis » plus élevée dans la population très jeune (70 % des
victimes âgées de moins de 16 ans et 0% de victimes âgées de plus de 20 ans) pouvait être
expliquée, entre autres, par une laxité thoracique plus importante chez l‟enfant et l‟adolescent.
Les mécanismes physiopathologiques du « commotio cordis » ont été également abordés en
détails par C. MADIAS (25,26).
Le développement d‟un modèle animal porcin a pu éclairer la physiopathologie de ce phénomène.
Il ressort de cette étude que le développement d‟une fibrillation ventriculaire requiert que
l‟impact thoracique (balle de base-ball lancée à 30 mph) survienne à un moment précis du
cycle cardiaque, soit 10 à 30 msec avant le pic de l‟onde T (correspondant à la repolarisation
ventriculaire) (voir tableau page suivante).
De plus, la localisation de l‟impact directement en regard du centre de la silhouette cardiaque
était associée à une incidence plus élevée de fibrillation ventriculaire par rapport à des impacts situés en regard de la base en de la pointe du ventricule gauche.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 67
La rigidité du projectile est également importante à prendre en considération, les auteurs ayant
constaté que l‟incidence de survenue de FV était plus basse en cas d‟utilisation de balle de
base-ball plus souple.
La vélocité du projectile fut ensuite étudiée. Les projectiles furent lancés à des vitesses de 20
à 70 mph, le lanceur projetant la balle de manière synchrone par rapport au cycle cardiaque de
sorte que le projectile atteignait la cible précisément de la période électrique cardiaque vulnérable (T-wave upstroke). L‟incidence de la vitesse sur la survenue de FV présentait une courbe d‟allure gaussienne :
-
la vitesse inférieure seuil était de 25 – 30 mph,
à 40 mph, on notait une survenue de FV dans 70 % des cas,
à des vélocités supérieures à 50 mph, la probabilité de FV diminuait.
Enfin, la pression ventriculaire a également été mésurée et les valeurs de vitesses critiques
étaient corrélées à des pics de pressions intraventriculaires gauches de 250 à 450 mmHg. Endeçà et au-delà de ces valeurs, le risque de FV diminuait comme nous pouvons le constater
sur le schéma ci-après.
Un phénomène de couplage électromécanique du à la présence de canaux ioniques (de type
K+ATP) sensibles à la déformation mécanique et activés par une déformation cellulaire rapide
semble être à l‟origine de dépolarisations ventriculaires prématurées pouvant déclencher à
leur tour une fibrillation ventriculaire.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 68
Ainsi, dans le « commotio cordis », l‟augmentation rapide de la pression ventriculaire immédiatement après l‟impact précordial du projectile pourrait causer une fibrillation ventriculaire
par l‟étirement brutal du muscle myocardique et l‟activation subséquente de canaux ioniques
par le couplage électromécanique sus décrit.
La survie est globalement basse bien qu‟une réanimation soit possible avec une défibrillation
précoce.
9. Biomécanique des impacts abdominaux.
9.1. Rappels anatomiques (31) :
La cavité abdominale est limitée à son extrémité supérieure par le diaphragme et au niveau
caudal par les os du pelvis et les muscles s‟y insérant. La colonne lombaire (bien que généralement considérée comme extérieure à la cavité abdominale) forme, avec le sacrum et le pelvis la limite postérieure de l‟abdomen. Latéralement et antérieurement, l‟abdomen supérieur
est limité par la portion inférieure de la cage thoracique tandis que l‟abdomen inférieur est
pour sa part entouré de muscle sur ses faces antérieure et latérale.
En raison de la présence de côtes, la région abdominale supérieure se comporte différemment
en termes de réponse à l‟impact et de tolérance par rapport à „abdomen inférieur.
La cavité abdominale contient plusieurs organes habituellement subdivisés en organes solides
et creux.
Les organes solides comme le foie, la rate, le pancréas, les reins, les ovaires et les glandes
surrénales ont une « densité macroscopique » moindre que les organes creux que sont
l‟estomac, le duodénum, l‟intestin grêle, le côlon, la vessie ou l‟utérus. Cette « densité »
moindre des organes creux est due à la présence d‟une cavité relativement grande au sein de
l‟organe lui-même. Ces cavités sont, par exemple, remplies d‟air ou de matières digestives.
Les vaisseaux sanguins abdominaux principaux sont l‟aorte abdominale, la veine cave inférieure ainsi que les artères et veines iliaques.
Les organes abdominaux possèdent tous un degré plus ou moins important de mobilité au sein
de la cavité abdominale. Ils ne sont pas fixés de manière rigide à la paroi abdominale ni l‟un à
l‟autre. Certains sont implantés dans un tissu graisseux (p.ex. les reins) tandis que d‟autres
sont rattachés à de replis péritonéaux (p.ex. l‟intestin grêle).
Le péritoine est une membrane séreuse qui recouvre la face interne de la paroi abdominale et
enveloppe chaque organe à l‟exception des organes dits rétro péritonéaux (reins, surrénales,
queue du pancréas). Cette membrane est lisse et humide et agit comme lubrifiant : elle augmente donc la mobilité des organes intra péritonéaux. De plus, les mouvements respiratoires
influencent également la position du foie par exemple. La mobilité des divers organes a donc
une grande influence sur leur réponse biomécanique.
Les mécanismes lésionnels semblent être dépendants à la fois de la structure complexe de
l‟abdomen mais aussi des propriétés physiques telles que la densité et la structure des organes.
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9.2. Mécanismes lésionnels (31) :
En raison de la complexité de la structure abdominale, il existe de nombreux facteurs influençant la localisation, la probabilité et la sévérité des lésions potentielles.
L‟organisation asymétrique des organes abdominaux explique que les risques lésionnels
soient différents en fonction de la localisation de l‟impact.
De plus, la structure même des organes est importante en termes de lésions abdominales. Les
organes solides semblent plus souvent traumatisés. En particulier, le foie et la rate sont des
organes particulièrement à risque et des lésions hépatiques et spléniques, à l‟origine
d‟hémorragies parfois cataclysmiques, peuvent survenir avant que la paroi abdominale n‟ait
connu de déflection significative.
De plus, l‟état pathologique d‟un organe peut avoir une influence significative sur son seuil de
tolérance en raison de modifications de sa structure. Parmi d‟autres conditions médicales,
relevons des interventions chirurgicales antérieures responsables de la formation d‟adhérences
dans la cavité abdominale qui semblent également prédisposer à la survenue de lésions en
raison de la diminution de mobilité des organes.
Le tableau ci-dessous fournis une vue globale des lésions encourues lors d‟impacts thoraciques et leur classification selon l‟AIS (Abbreviated Injury Scale).
AIS
1
2
3
4
5
6
Abdominal Injury
hématome peau/muscle
contusion rate ou foie
rupture rate
contusion rénale majeure
lacération aorte mineure
rupture foie/rein
destruction totale rein
avulsion hépatique
9.3 Etablissement des couloirs humains de réponse biomécanique (Etude J. ECK) :
La réponse biomécanique abdominale aux projectiles d‟impact a été abordée en détails par J.
ECK dans son travail intitulé « Biomechanical Response and Abdominal Injury to Blunt Ballistic Impacts (Doctor of Philosophy Dissertation)» dont les points essentiels sont discutés cidessous (8).
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Les objectifs de ce travail étaient :
1. la détermination des couloirs humains (cadavériques) de réponse biomécanique abdominale aux projectiles d‟impact,
2. (la détermination, chez le porc vivant et anesthésié, des réponses biomécaniques, physiologiques et lésionnelles de l‟abdomen aux projectiles d‟impact),
3. (la revue des critères de tolérance lésionnelle prédictifs du risque de lésions abdominales chez le porc vivant et anesthésié),
4. la comparaison des réponses biomécaniques abdominales porcines et cadavériques.
Le projectile utilisé dans cette étude était cylindrique, présentait un diamètre de 37 mm ainsi
qu‟une masse de 45 grammes et était donc représentatif des projectiles less-lethal habituellement utilisés par les agences américaines de law-enforcement.
La vitesse d‟impact fut de 60 m/s pour tous les tests cadavériques.
Chaque sujet fut testé à 3 reprises (2 impacts épigastriques et un impact au niveau de
l‟hypochondre droit).
Les couloirs de réponse biomécanique illustrés ci-après furent établis et ce, en suivant la même démarche scientifique que celle utilisée par le C. BIR pour l‟obtention des couloirs thoraciques.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 71
Les couloirs de réponse biomécanique abdominale aux projectiles d‟impact furent ensuite
comparés aux couloirs précédemment établis en accidentologie automobile.
Comme cela avait été discuté pour les impacts thoraciques, les projectiles d‟impact induisent
des réponses biomécaniques abdominales peu voire non superposables à celles des impacts
étudiés en accidentologie.
Les figures reprises ci-après illustrent bien cette différence, tant au niveau épigastrique (figure
4.18 et 4.19) qu‟au niveau de l‟hypochondre (figure 4.20).
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[Page 72
Seule la réponse biomécanique à l‟utilisation d‟un airbag a révélé des similitudes avec la réponse induite par les projectiles d‟impact.
Les caractéristiques propres aux projectiles d‟impact ont pu être mises en évidence à savoir,
une inertie initiale importante suivie par un pic de force puis ensuite une diminution de la force tandis que la déformation atteignait seulement sa valeur maximale.
9.4 Comparaison des données cadavériques et porcines (Etude J. ECK) :
La rigidité moyenne de l‟abdomen porcin, en région épigastrique, était de 1.198 kN/m +/- 174
kN/m contre 445 kN/m +/- 72 kN/m obtenus chez le sujet cadavérique humain.
Une différence fut également mise en évidence quant au pic de force secondaire à l‟impact.
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[Page 73
Une différence significative de réponse biomécanique abdominale a donc été observée entre
le porc et le cadavre humain. Les couloirs de réponse biomécanique porcins ne pouvaient
donc pas être utilisés aux fins de représenter la réponse humaine.
Cependant, le manque de pression de perfusion du cadavre avait pu rendre compte, du moins
en partie, du manque de rigidité observée par rapport au modèle porcin.
Chez le porc, les deux meilleurs critères prédictifs de lésion hépatique furent le BC et la force
maximale.
Une force maximale de 2754,3 N fut associée avec un risque de 50 % de lésion de gravité AIS
2 ou supérieure tandis qu‟un BC de 0,650 était associée avec un risque de 50 % de gravité
AIS 2 ou supérieure.
Concernant les lésions intestinales, les critères prédictifs de choix furent l‟énergie maximale
dissipée (118.1 Nm associé avec un risque de 50 % de lésion AIS 2 ou supérieure) et la vitesse d‟impact (68,77 m/s associée avec un risque de 50 % de lésion AIS 2 ou supérieure).
L‟étude des lésions spléniques ne fut pas réalisée étant donné la position anatomique de la rate
particulièrement exposée aux impacts chez le porc contrairement à sa position anatomique
chez l‟homme.
Enfin, tous les impacts épigastriques entrainèrent une chute de pression artérielle majeure associée à une élévation de la pression veineuse centrale. Le mécanisme physiopathologique devait faire
l‟objet d‟investigations complémentaires.
10. Revue du potentiel lésionnel de divers projectiles d‟impact.
10.1 Projectile en plastique :
Une première étude datée de 1999 (36) détaille les lésions secondaires à l‟utilisation de projectiles en plastique durant une semaine de violences en Irlande du Nord survenue en 1996.
Ces données furent récoltées rétrospectivement dans six hôpitaux. Un total de 172 lésions
furent relevées chez 155 patients.
19 % des lésions étaient localisées à la région céphalique (face, tête, cou), 20 % au niveau
thoraco-abdominal et 61 % aux membres. Les scores de sévérité rapportés à l‟AIS étaient de 1
à 3. 42 patients furent hospitalisés (séjour moyen de 2 jours) dont 3 en unités de soins intensifs. Aucun décès ne fut constaté.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 74
Le projectile utilisé était constitué de chloride de polyvinyl, de 10 x 3.7 cm et d‟un poids de
135 g. La vitesse maximale était de 70 m/s, soit une énergie cinétique maximale de 330 J délivrée à la cible. Pratiquement, la vitesse du projectile à la bouche du canon était de l‟ordre de
58 m/s, soit une énergie cinétique d‟environ 227 J.
La lésion pathognomonique était une abrasion de forme annulaire de 4 cm de diamètre présentant un contour ecchymotique bien que des lésions internes aient également été diagnostiquées. Les auteurs insistent d‟ailleurs sur la recommandation suivantes : toutes les lésions
abdominales ou thoraciques (et non plus seulement thoraciques) doivent être considérées
comme potentiellement létales.
Les auteurs ont ensuite comparé leurs données avec celles précédemment publiées, objectivant de la sorte une diminution significative de lésions de la région céphalique et une augmentation significative des lésions des membres. Il n‟y avait cependant guère d‟évolution significative dans la fréquence des lésions thoraciques (35,36).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 75
Une seconde étude datée de 2005 (13) concernait le projectile d‟impact L21A1 utilisé lors des
violences urbaines en Irlande du Nord sur une période de 4 mois.
Ce projectile était constitué de chloride de polyvinyl, présentait un poids de 98 g, des dimensions de 10 x 3.7 cm et une vitesse de 161 mph à la bouche du canon contre 140 mph à 2 mètres. Une énergie de 244 J était transmise à la cible lors de l‟impact.
30 lésions furent répertoriées chez 28 personnes. De ces 28, 7 personnes durent être hospitalisées (3 pour lésions pulmonaires, 1 pour blessure sérieuse de tissus de la jambe et 3 pour fractures de membres). Aucun décès ni aucune hospitalisation en Unité de Soins Intensifs ne furent répertoriés.
Aucune lésion ne fut relevée au niveau des régions crânienne, faciale ou cervicale.
Les lésions furent ensuite classifiées selon l‟échelle A.I.S. (précédemment discutée) :
Les auteurs décrivent également la lésion classiquement encourue avec ce type de projectile
(« plastic baton round ») à savoir une abrasion circulaire d‟environ 4 cm de diamètre avec une
zone ecchymotique périphérique.
Les guidelines d‟utilisation stipulent également la recommandation suivante: « firing should
not take place at a range of less than 20 metres… unless there is an immediate and serious risk
of loss of life or serious injury that cannot otherwise be countered… ».
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 76
Les auteurs concluent en rappelant qu‟en Irlande du Nord, les 14 décès répertoriés au moment
de la rédaction de l‟article et attribuables à l‟utilisation de projectiles d‟impact en plastique,
ont été secondaires à des tirs au niveau céphalique ou thoracique. La réduction des tirs dans
ces régions est une nouvelle fois considérée comme le paramètre le plus important. Le risque
de décès ou de lésions sévères est donc fortement réduit si l‟impact sur le corps se fait sous la
cage thoracique voire uniquement au niveau des membres.
10.2 Projectile à enveloppe en caoutchouc :
Une étude menée par une équipe chirurgicale israéliennne (15) a examiné les effets de projectiles utilisés par l‟armée israélienne lors d‟émeutes en octobre 2000.
Ces projectiles, constitués d‟un corps en métal entourés d‟une enveloppe en caoutchouc, devaient initialement être tirés d‟une distance minimale de 40 mètres et ce, en visant exclusivement les membres inférieurs.
Deux types principaux de projectiles furent utilisés :
-
le RCC-95 composé de 3 noyaux métalliques, dont chacun est entouré d‟une
coque en caoutchouc de 0.2 cm d‟épaisseur et de 1.8 cm de diamètre. Il présente un poids de 48 g, une vélocité à la bouche du canon de 130 m/s et une énergie cinétique (à la bouche) de 46 J/cm2. Le projectile se dissocie donc en trois
sous-projectiles après le tir et une distance de tir de 40 à 70 mètres est conseillée,
-
le MA/RA-88 composé de 15 balles en caoutchouc présentant chacune un
noyau métallique et un calibre de 1.7 cm pour un poids de 17g. La vélocité à la
bouche du canon est de 78 m/s et l‟énergie cinétique y est de 33 J/cm2.
Le but de l‟étude fut de mettre en évidence les facteurs prédictifs de lésions sérieuses ou pénétrantes causées par lesdits projectiles.
Les dossiers de 595 victimes de tir furent analysés. Les auteurs établirent ainsi des relations
entre la sévérité des lésions encourues et les facteurs suivants : type de projectile, région anatomique atteinte et issue finale. La sévérité des lésions fut établie selon l‟échelle A.I.S. et par
le calcul de l‟I.S.S. dans chacune des trois zones corporelles les plus sérieusement atteintes
(ISS = « Injury Severity Score » = somme des carrés de la valeur la plus élevée d‟AIS, 1-2 =
mild severity, 3-9 = moderate severity et >=10 = more severe).
Finalement 152 personnes présentant 201 lésions par projectiles en caoutchouc furent incluses
dans l‟étude (présentant des lésions formellement secondaires à des projectiles).
On nota des localisations diverses de lésions : membres (73), tête, cou et face (61), poitrine
(39), dos (16), et abdomen (12).
93 personnes (61 %) présentaient des lésions non pénétrantes tandis que 59 (39 %) souffraient
de lésions pénétrantes.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 77
En accord avec le score de sévérité I.S.S., 92 lésions (46%) furent considérées comme légères,
71 (35%) comme modérément sévères et 38 (19%) comme sévères.
116 sites d‟impacts (58%) furent localisés au niveau supra ombilical et 85 (42%) sous ce niveau. 78 lésions (39%) furent pénétrantes. Les blessures localisées aux membres furent généralement moins sévères que celles infligées à la face, au crâne, au cou ou encore à la poitrine.
Les lésions de la face furent les plus sévères et présentaient de taux de pénétration le plus élevé par rapport aux autres régions corporelles.
68 personnes furent admises à l‟hôpital et 35 d‟entre elles durent subir une intervention sous
anesthésie générale. La durée de séjour hospitalier fut de 1 à 10 jours pour les personnes souffrant de lésions modérément sévères et de 4 à 28 jours pour celles présentant des lésions sévères.
On releva 3 décès (2 %) dont 2 par lésions pénétrantes du globe oculaire et 1 dans les suites
postopératoires d‟une intervention au niveau du genou.
Une morbidité à long terme fut notée chez 6 personnes (1 psychose post-traumatique, 3 cécités permanentes et 2 ré-interventions chirurgicales abdominales à répétition).
La sévérité des lésions fut dépendante des caractéristiques balistiques du projectile, de la distance du tir et du site anatomique d‟impact.
Le projectile de type RC-95 fut impliqué dans la majorité des cas de lésions modérément sévères et dans tous les cas de lésions sévères.
Les auteurs concluaient que l‟interprétation de la résistance (viscosité et limité élastique) de la
surface corporelle au niveau de la zone d‟impact était le facteur prédictif le plus important du
caractère pénétrant ou non d‟une lésion de même que de sa sévérité. Ainsi, les régions présentant une élasticité limitée comme la face, les espaces intercostaux et la région abdominale
supérieure, furent fréquemment le siège de lésions pénétrantes contrairement aux régions à
haute limite élastique comme les membres, le dos et le crâne.
Le manque de précision des projectiles, les zones corporelles ciblées et les distances
d‟engagement trop proches ont ainsi résulté en des lésions sévères et décès chez un nombre
non négligeable de victimes de tir.
Ce type de projectile devait donc être considéré comme une méthode dangereuse de « contrôle de foule ».
10.3 Projectile à Energie Atténuée (AEP) :
Remplaçant du L21A21 discuté auparavant, le projectile à énergie atténuée (AEP, Attenuated
Energy Projectile) représente le projectile d‟impact le plus récent.
L‟AEP est constitué de polyurethane et présente un trou d‟air (air gap) au niveau du sommet.
Il mesure 10 x 3.7 cm et pèse 98 g. La vélocité moyenne est de 72 m/s. Il délivre une énergie
cinétique à l‟impact de 254 J.
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[Page 78
Une étude datée de 2007 (16) concernait 14 patients ayant présenté 18 lésions secondaires à
l‟utilisation de l‟AEP. 7 patients durent être hospitalisés dont un patient en Unité de Soins
Intensifs.
Les lésions furent classifiées selon l‟échelle A.I.S. (précédemment discutée) :
La lésion classiquement observée (abrasion circulaire de 4 cm de diamètre avec halo périphérique ecchymotique) restait inchangée.
Les auteurs notent cependant que contrairement à ce qui avait été observé lors de l‟étude précédente concernant le L21A1 (cfr 9.1) (13), les lésions observées avec l‟AEP furent localisées
à la région céphalique dans 36 % des cas. De plus, 16 % des lésions étaient situées au niveau
thoracique alors qu‟aucune lésion abdominale ne fut relevée.
L‟AEP a été développé en réponse au risque théorique de son prédécesseur (L21A1) de causer
des lésions céphaliques sérieuses ou fatales. Pour rappel, les 14 décès survenus en Irlande du
Nord suite à l‟utilisation de projectiles d‟impact étaient tous attribuables à des lésions céphaliques ou thoraciques. Or, cette étude a mis en évidence un total de 50 % de lésions localisées
au niveau céphalique et thoracique.
Dans ce contexte, peut-on affirmer que l‟AEP a provoqué des lésions céphaliques « moins
graves » ? Les auteurs répondent à cette question en signalant qu‟il est évident que l‟AEP
nécessite une évaluation à plus large échelle et qu‟il est encore trop tôt pour conclure que ce
dernier constitue une alternative plus « sûre » au L21A…
10.4. 12-gauge bean-bag :
Le bean-bag est constitué d‟un sachet en toile de coton contenant 40 g de plomb Nr.9. Dans sa
présentation courante, ce « sachet » est enroulé dans une cartouche de 20 mm de diamètre
(12-gauge)
A 10 mètres, son énergie cinétique serait de 130 Joules et sa vélocité de 85 m/s.
Son diamètre d‟impact est variable se traduisant dès lors par une surface d‟impact variable de
pouvant aller jusqu‟à 26 cm2 pour le TM-12 Flexible Baton® (17).
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[Page 79
La densité énergétique minimale à l‟impact serait donc de l‟ordre de 5 J/cm2 et ce, dans des
conditions idéales.
L‟orientation du bean-bag à l‟impact est le facteur prédictif le plus important mais ne peut
plus être déterminée à une distance supérieure ou égale à 7 mètres (12). Même parfaitement
déployé, le bean-bag peut être responsable de lésions sévères voire mortelles.
Le bean-bag présente un potentiel létal non négligeable à moins de 3 mètres (10 feet), possiblement par manque de déploiement ou encore par rupture du sachet et pénétration des
plombs.
Les précautions et conseils d‟utilisation suivants ont été établis:
-
ne pas utiliser en-dessous de 3 mètres de distance d‟engagement,
entre 3 – 6 mètres : éviter la tête, le cou, la colonne vertébrale, et l‟abdomen
supérieur et viser si possible les membres inférieurs avec prudence,
entre 6 – 9 mètres : viser préférentiellement les membres inférieurs,
entre 9 – 18 mètres : possibilité de viser l‟abdomen,
au- delà de 18 mètres: précision trop faible du projectile.
La région visée devrait être une zone corporelle souple telle que l‟abdomen.
La force de l’impact a été comparée à un coup de poing d’un boxer professionnel ou encore à une balle de base-ball lancée à la vitesse de 90 mph.
Une étude publiée en 2001 (29) et menée par le Département de Médecine d‟Urgence de
l‟Université de Californie du Sud (Los Angeles) a revu, de manière rétrospective entre Janvier
1996 et Février 2000, les lésions présentées par 40 patients suite à l‟utilisation de bean-bags
par les forces de l‟ordre. Un cas de décès a été rapporté, suite à la pénétration intra thoracique
d‟un projectile.
Les tableaux ci-après relèvent le type des blessures occasionnées, les zones corporelles ainsi
que l‟état psychique présenté par 27 des 40 « victimes » :
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 80
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 81
Les auteurs rappellent les recommandations quant à la distance de tir, à savoir 10 à 30 mètres
avec le projectile classique alors qu‟une distance de tir de 3 à 15 mètres est possible avec un
projectile « close-range » présentant une vitesse de l‟ordre de 70 m/s.
Dans les conditions idéales, la surface d‟impact, perpendiculaire au vecteur d‟impact, est
d‟environ 26 cm2. Cet impact « idéal » peut être comparé à celui d‟une balle de base-ball. A 9
mètres de distance, le bean-bag a une énergie cinétique double de celle d‟une balle de baseball (140 g et 27 m/s soit une énergie cinétique de 51 J contre 100 à 130 J pour le bean-bag à
cette distance).
Les auteurs rappellent également les cas de rupture du sachet de coton et ceux de nonséparation du bean-bag et de son emballage.
Ensuite, la prise en charge médicale est abordée par les auteurs. Ils rappellent que l‟examen
clinique des personnes mentalement déséquilibrées ou sous l‟influence d‟alcool et/ou de stupéfiants peut, outre les facteurs de risque inhérents à leur état, s‟avérer peu contributif et surtout peu fiable. La réalisation d‟examens para cliniques, indiqués entre autres dans ces cas,
tels qu‟échographie abdominale, radiographie de thorax ou mieux, CT SCANNER thoracoabdominal, est souvent sous-estimée et sous-prescrite par les services médicaux en raison de
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[Page 82
leur ignorance de la traumatologie propre à ce type de projectile, en particulier quant à sa capacité de pénétration et quant au risque significatif de lésions internes.
Enfin, les distances de tir exactes n‟étaient pas connues mais, au vu des lésions objectivées,
certainement inférieures à celles recommandées par le fabricant. Des distances de tir de 2 à 4
mètres (!) furent notamment rapportées par des policiers, sur interpellation du personnel soignant ayant observé, par exemple, des pénétrations des membres supérieurs, des lésions testiculaires ou encore hépatiques.
10.5 Flash Ball ® (Verney-Carron) :
Le Flash-ball® consiste en une balle en caoutchouc de 44 mm de diamètre et d‟un poids de 28
g.
A 7 mètres, il possèderait une énergie cinétique de 200 J répartie sur une surface d‟impact de
35 cm2 selon un diamètre d‟impact de 67 mm.
La densité énergétique à l‟impact serait de 5,71 J/cm2.
Une étude récente (17) a relevé que la même valeur d‟énergie cinétique est donnée par le fabricant pour des distances de 2.5 et 7 m. Or, vu la résistance à l‟air à priori importante du projectile, on pourrait s‟attendre à une diminution significative de l‟énergie cinétique, du moins à
7 mètres.
Les auteurs ont donc procédé à une comparaison avec d‟autres armes à létalité réduite aux fins
d‟obtenir un aperçu utile des effets du Flash-ball®.
Ils en déduisirent que les effets et la balistique du Flash-ball® étaient comparables à ceux
d‟une arme similaire, le MR 35 Punch® (Manurhin).
Ils signalent également que les valeurs d‟énergie cinétique à la bouche du canon (muzzle
energy) n‟ont que peu d‟utilité dans l‟évaluation du potentiel lésionnel des projectiles
d‟impact étant donné leur résistance à l‟air et la haute probabilité que ces valeurs ne correspondent pas à celles transmises à la cible lors de l‟impact.
L‟étude rapporte deux cas d‟utilisation du Flash-ball® qui mettent en exergue la grande variabilité de la réponse traumatologique du corps humain.
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[Page 83
Les auteurs rappellent enfin ce principe fondamental dont il faut tenir compte dans le cas
d‟utilisation des projectiles d‟impact : l‟absence de pénétration cutanée ne doit pas pour autant
minimiser le potentiel lésionnel du projectile.
Les impacts doivent systématiquement être considérés comme des traumatismes à haute vélocité à risque de causer des lésions internes et doivent être pris en charge comme tel par un
bilan médical adéquat.
Les aspects lésionnels et létaux du Flash-ball® ont également été abordés par C. Housaye et
al. dans un article original (32).
Les auteurs y rappellent que l‟effet neutralisant du projectile est basé sur l‟énergie libérée au
moment de l‟impact : entre 2,5 et 7 mètres l‟énergie cinétique serait similaire à celle d‟un projectile de calibre .38, soit environ 200 J. Mais si la surface d‟impact du .38 spécial « pénétrant » est de 0,63 cm², celle du projectile Flash-ball® lui est 55 fois supérieure, équivalant à
un coup de poing asséné par un boxeur professionnel…
Le corollaire de ce gros calibre est une portée de tir limitée et une précision très relative, la
surface de groupement d‟impact étant comprise dans un cercle de 30 cm de diamètre lors de
tirs effectués sur une cible située à 12 mètres.
La lésion provoquée par le projectile de Flash-ball® est classiquement décrite comme une
contusion circulaire en cocarde d‟environ 3,5 cm de diamètre, présentant une partie centrale
peu ou pas érythémateuse limitée par un cercle ecchymotique d‟environ 1 cm d‟épaisseur,
entourée d‟une zone contuse moins intense avec un gradient érythémateux centripète aux limites floues et irrégulières. La lésion mesure donc environ 6 cm de diamètre et correspond au
diamètre d‟impact théorique (sur une surface plane) de 67 mm, tel qu‟illustré ci-après.
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[Page 84
Cette lésion présente des similitudes avec celle occasionnée par le projectile de GommCogne®, également en caoutchouc mais de calibre plus petit (18 mm de diamètre et 4,48 g de
masse). Les lésions cutanées décrites avec le projectile Gomm-Cogne® est identique mais de
plus petite taille. De même, les lésions décrites lors de l‟usage des « rubber-bullets » durant le
conflit Israélo-palestinien (15) présentaient également un aspect circulaire au centre peu érythémateux entouré d‟une marque érythémateuse plus ou moins large, cerclée d‟une zone
contuse comme nous pouvons le voir sur la photographie ci-dessous.
Rubber-bullet injuries induced by MA/RA 88 bullet
L‟aspect en cocarde décrit avec ce type de projectile s‟explique par les propriétés de déformation et d‟élasticité tant du projectile en caoutchouc que des tissus cutanés et sous-cutanés.
Le projectile Flash-Ball® a la propriété de s‟écraser au moment où il touche la cible, expliquant que le diamètre d‟impact (67 mm sur une surface plane) soit supérieur au diamètre du
projectile. Lors dudit contact projectile-cible, la zone d‟impact cutanée, élastique, recule sous
la pression du projectile. En même temps, la balle élastique se déforme sous la contrepression imposée par la surface d‟impact. Lorsque la capacité de déformation est maximale,
tant pour le projectile que pour la cible, les zones de contact où les forces antagonistes sont
maximales se situent en périphérie et c‟est à ce niveau que se constituent alors des lésions
d‟écrasement et d‟étirement (« crush and shear »). Ces traumatismes vont être aggravés par la
ré-expansion brutale des tissus lorsque le projectile va perdre le contact avec sa cible après le
rebond. De plus, l‟écrasement des vaisseaux sanguins situés au point d‟impact entraîne une
chasse du sang en périphérie. Les zones lésionnelles sont donc marginales, ce qui donne
l‟aspect en cocarde décrit.
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La lésion est donc constituée d‟un centre moins érythémateux car moins traumatisé cerclé
d‟une marque érythémateuse plus lésée correspondant à la zone de contrainte maximale.
Cette dernière est entourée d‟une zone contuse centripète correspondant à une zone de moindre contrainte et de diffusion des suffusions hémorragiques intra-tissulaires par chasse sanguine.
Les auteurs rappellent enfin que la littérature rapporte de nombreux cas de lésions sérieuses
voire mortelles concernant les projectiles en caoutchouc ou en plastique, ces derniers devant
nécessairement tirés à des distances minimales nettement supérieures au Flash-ball® (jusqu‟à
70 mètres pour les rubber-bullets israéliennes).
Dans cette catégorie d‟armes, le Flash-ball® tire les projectiles les moins vulnérants en apparence. Néanmoins, un tir à bout touchant pourrait être mortel ne serait-ce que sous l‟effet de
chambre de mine provoqué par la sortie des gaz de combustion.
10.6. FN 303 :
Le projectile présente un diamètre 17.2 mm et un poids de 8.2 g (effectif = 6.5 g).
L‟énergie cinétique est de 30 Joules à 10 m pour une vitesse de 85 m/s.
En théorie, nous pouvons donc nous attendre à une valeur de densité énergétique de 12.93
J/cm2 lors d‟un impact à 10 mètres (pour une surface d‟impact de 2.26 cm2).
Cependant, les auteurs d‟un rapport du JNLW- HECOE (18) signalent qu‟au vu de la forme et
des composants du projectile (bismuth et coque en polystyrène), les valeurs de diamètre et de
poids pourraient être revues en raison de la compliance particulière dudit projectile.
L‟évaluation concrète de l‟interaction projectile-cible (poids et diamètre « effectifs ») pourrait
donc faire l‟objet d‟études complémentaires (en collaboration avec l‟E.R.M.) dont les résultats seront ultérieurement comparés in concreto avec les données médicales.
Nous n‟avons par ailleurs relevé aucune autre étude abordant les lésions secondaires à
l‟utilisation de ce projectile.
10.7 SAPL GC27 :
Il s‟agit d‟une arme de poing de calibre 12 à tir unique dont les munitions sont de type FunTir (FT) (balle en caoutchouc de 18 mm et 4,48 g) ou mini-Gomme-Cogne (mGC) (12 balles
en caoutchouc de 7,4 mm et 0,33 g chacune).
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Ces munitions ont été testées sur 9 cadavres non-embaumés au niveau des régions pectorales
droite et gauche.
Avec la munition mGC, des fractures de côte ont été observées lorsque la distance de tir était
inférieure à 2 mètres, une perforation de la peau lorsque la distance était inférieure 1,5 mètres,
des lésions pulmonaires lorsque la distance était inférieure à 0,2 mètre et une lacération du
cœur et de l‟aorte à bout touchant (0 mètre).
Avec la munition FT, aucun pénétration cutanée n‟a été observée mais des fractures de côte
ont été observées jusqu‟à une distance de 2 mètres.
L‟étude montre donc que ma munition mGC tirée par le pistolet GC27 peut être létale à bout
touchant et que les chevrotines pénètrent sous la peau à des distances inférieures à 1 mètre.
Les auteurs avancent le terme « arme à effet vulnérant réduit » pour qualifier ce type de projectile.
11. Modèles biologiques.
11.1 Expérimentation cadavérique humaine :
Les essais sur cadavres humains sont limités par le manque de réponse physiologique et ne
peuvent ainsi mettre en évidence les phénomènes tels que les arythmies cardiaques, les apnées
traumatiques de même que les lésions de type contusion.
Les études sur cadavres traitant de la pénétration cutanée voient également leurs résultats biaisés par l‟absence de tonus musculaire et par les modifications survenant au sein des tissus
mous en période post-mortem (nécessité de tests sur cadavres frais et préalablement conservés
au froid). De même, les propriétés viscoélastiques des tissus mous s‟altèrent progressivement
avec l‟âge.
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[Page 87
Cependant, les projectiles d‟impacts présentent une vélocité de transfert de l‟énergie très rapide de sorte que l‟altération des propriétés viscoélastiques et l‟absence du mécanisme de
contraction musculaire réflexe n‟interfèrent finalement que peu dans la réponse corporelle à
l‟impact.
Enfin, l‟âge et la condition physique des cadavres impliquent qu‟ils soient représentatifs d‟une
mauvaise tolérance humaine. Pourtant, la déformabilité même du corps humain ne présente
pas de différence majeure en fonction de l‟âge.
L‟utilisation du modèle cadavérique devrait donc fournir des valeurs appréciables (3,4) et
l‟utilisation de sujets cadavériques tend à fournir les données les plus réalistes dans l‟étude
des projectiles d‟impact (38).
Pour rappel, les objectifs de la recherche dans le domaine de la biomécanique lésionnelle propre aux projectiles d‟impact sont multiples, à savoir :
1. la reproduction d‟impacts dans un environnement contrôlé (laboratoire),
2. l‟établissement de la réponse mécanique de diverses régions corporelles à l‟impact
d‟un projectile,
3. l‟estimation de la tolérance de diverses régions corporelles à l‟impact d‟un projectile,
4. la compréhension du mécanisme lésionnel,
5. le développement ultérieur de modèles anthropomorphiques et/ou informatiques sur
base de ces données bio-fidèles.
L‟utilisation d‟un modèle biologique est donc nécessaire pour l‟accomplissement des objectifs
1 à 4 puisque nous ne disposons d‟aucun substitut mécanique représentatif de la complexité
de l‟anatomie humaine. Les deux alternatives sont donc le modèle cadavérique humain et le
modèle animal (vivant).
Quant aux modèles anthropomorphiques et informatiques, ils ne constituent en aucun cas un
substitut aux modèles biologiques mais sont uniquement représentatifs de la réponse biomécanique établie sur lesdits modèles biologiques et ce, aux fins de reproduire autant que nécessaire les conditions d‟impact au-delà des limites « pratiques » imposées par les modèles biologiques.
11.1.1 Protocole d‟étude cadavérique humaine :
L‟utilisation du modèle d‟étude cadavérique humain requiert les conditions suivantes :
-
absence d‟autopsie antérieure ;
-
sujets relativement jeunes (âgé de 19 à 70 ans) car ils doivent être représentatifs de la
population exposée à l‟utilisation de ce type de projectiles ;
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 88
-
sujets jeunes surtout préférés dans le sexe féminin en raison d‟une potentielle déminéralisation osseuse après la ménopause responsable d‟une diminution de la résistance
osseuse ;
-
absence d‟une longue période d‟alitement avant le décès en raison d‟une fragilisation
osseuse en cas d‟immobilisation prolongée ;
-
absence de décès secondaire à une pathologie cancéreuse ou une autre pathologie débilitante ;
-
absence d‟infection aux virus HIV ou Hepatite B-C et de toutes pathologies infectieuses aiguës ;
-
cadavre non embaumé (anatomie identique et degré de tolérance proche de l‟humain
vivant – le manque de tonus musculaire ne constituant pas un inconvénient majeur
puisque la réponse musculaire survient trop tardivement que pour interférer dans la cinématique propre aux projectiles d‟impact), frais (non putréfié) et après disparition des
rigidités ;
-
nombre minimum de 6 à 10 cadavres par expérimentation, chaque expérimentation
abordant une zone corporelle précise (à prévoir : thorax, abdomen et région dorsale)
-
nécessité de cadavres de sexe et de masse corporelle différents, allant d‟une femme de
corpulence mince à un homme de corpulence importante, regroupant de la sorte les
« moyennes » et « extrêmes » de la population adulte.
11.1.2 Instrumentation des cadavres :
-
règles générales :
o projectile représentatif de la masse et de la surface d‟impact associées avec les
projectiles d‟impact utilisés habituellement (aux USA, beanbag et 37mm dans
93% des cas d‟utilisation des projectiles d‟impact) ;
o présence d‟un accéléromètre sur le projectile ;
o présence d‟un laser capteur de vitesse du projectile ;
o présence de « tracking targets » sur le projectile et sur le cadavre pour faciliter
les mesures de déflection ;
o utilisation de caméra vidéo « high speed » (20.000 images / seconde) ;
o présence d‟accéléromètres triaxiaux placés sur la colonne vertébrale pour le
monitoring du mouvement de la colonne en regard du site d‟impact ;
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[Page 89
-
impacts thoraciques :
o exclusion de pathologie thoracique ;
o accéléromètres tri-axiaux au niveau de la 8ème vertèbre dorsale voire également
au niveau du sacrum ;
o « tracking targets » au niveau de la 8ème vertèbre dorsale (position de la colonne
vertébrale en high speed video) ;
o laser capteur de vitesse du projectile ;
o capteurs internes de pression/stress ?? ;
o insufflation pulmonaire ??;
o pressurisation sanguine ??;
o sujets suspendus par harnais en position debout avec angle d‟inclinaison inférieur à 10° ;
o impacts au niveau du sternum (envisager également latéro-thoraciques droit et
gauche) ;
-
impacts abdominaux :
o exclusion de pathologie abdominale ;
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 90
o accéléromètres tri-axiaux au niveau de la 12ème vertèbre dorsale voire également au niveau du sacrum ;
o laser capteur de vitesse du projectile ;
o « tracking targets » au niveau de la 12ème vertèbre dorsale (position de la colonne vertébrale en high speed video) ;
o « tracking targets » au niveau de la face postéro-latérale de la 10ème côte
controlatérale de l‟hypochondre visé (mesure de la déflection thoracique lors
d‟impact dans l‟hypochondre) ;
o capteurs internes de pression/stress ?? ;
o pressurisation sanguine ?? ;
o sujets suspendus par harnais en position debout ;
o impacts au niveau de épigastre (foie & bloc duodéno-pancréatique), de
l‟hypochondre droit (foie) et de l‟hypochondre gauche (rate) ;
L‟expérimentation cadavérique doit donc aboutir à :
-
la détermination des courbes force/déformation ;
-
la détermination des seuils de tolérance de diverses régions corporelles en comparant
les pics de force/déformation aux lésions objectivées à l‟autopsie. Les lésions objectivées doivent être documentées et rapportées à l‟A.I.S (Abbreviated Injury Score =
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 91
« score » lésionnel anatomique, abordant chaque région corporelle en termes de degré
de sévérité et de risque vital d‟une lésion, AIS 1 correspondant à une lésion d‟un risque
vital mineur et AIS 6 à une lésion fatale) ;
-
la détermination des ondes de propagation et partant, du mécanisme lésionnel propre
aux projectiles d‟impact.
11.2 Expérimentation animale :
Les animaux sont surtout utilisés dans l‟étude de la réponse et de la tolérance de régions corporelles isolées ainsi que dans le suivi de séquelles physiopathologiques secondaires à un impact.
Cependant, en raison de différences en termes anatomiques et de degrés de tolérance, les données physiopathologiques établies sur les animaux doivent être rapportées à l‟échelle humaine
avant d‟être appliquées.
Les tests sur cadavres humains servent alors à vérifier que la réponse mécanique objectivée
sur les animaux, à l‟origine de la réponse physiopathologique sur l‟animal vivant, est comparable à la réponse mécanique cadavérique humaine.
12 Modèles non biologiques.
12.1 Gélatine, Argile :
Habituellement utilisée en balistique interne létale aux fins d‟objectiver les phénomènes de
cavitations temporaire et permanente, la réponse de la gélatine aux projectiles d‟impact a été
évaluée par C. BIR et comparée aux couloirs biomécaniques établis sur cadavres.
En considérant les 3 mêmes conditions d‟impact déjà utilisés dans l‟établissement des couloirs biomécaniques, seule la réponse force-temps de la gélatine (10 % et 20 %) impactée par
un projectile 37 mm de 30 g lancé à 60 m/s apparaissait bio-fidèle même si la courbe forcetemps, présentant un pic initial suivi d‟un second pic plus graduel, différait de la courbe forcetemps établie sur cadavre humain.
Par contre, la courbe déformation-temps n‟était guère bio-fidèle, quelle que soit la condition
d‟impact considérée.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 92
La même démarche a été utilisée pour l‟évaluation de l‟argile.
C. BIR rappelle que, contrairement à la gélatine, l‟argile n‟est pas utilisée dans l‟étude du
projectile balistique létal mais bien dans l‟évaluation des systèmes de protection balistique
(« body armor »).
Contrairement à la gélatine, la réponse de l‟argile présentait une bio-fidélité relativement satisfaisante pour les conditions d‟impact A et C alors que les courbes force-temps et déformation-temps de la condition d‟impact B (37 mm-140 g-40 m/s) étaient bien en dedans des couloirs biomécaniques établis au niveau thoracique.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 93
En conclusion, même si le rôle de la gélatine dans l‟évaluation des traumatismes pénétrants et
des phénomènes de cavitation balistique létale était bien établi, son utilisation en balistique de
type less lethal était discutable. En comparaison avec les réponses thoraciques cadavériques
humaines, les impacts sur la gélatine induisaient des déformations plus grandes pour des forces moindres. Cependant, l‟augmentation de concentration de la gélatine aurait pu améliorer
la réponse biomécanique.
Quant à l‟argile, sa réponse était concordante avec les couloirs de réponses humains à
l‟exception de la courbe déformation-temps pour la condition d‟impact C. Cependant, l‟auteur
rappelait que, pour des raisons d‟ordres matériel et pratique (les mesures continues n‟étant pas
possible sans ajout d‟instrumentation), l‟argile ne fournissait pas de représentation biomécanique complète de l‟impact.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 94
12.2 Modèle propre à l‟étude de la pénétration :
Les substituts non biologiques ont par ailleurs été abordés par le C. BIR (7) avec
l‟introduction de notions de couches évaluant la pénétration (PAL = couche la plus interne
représentant les organes et tissus profonds) et la lacération (LAL= couche la plus externe représentant la peau et le tissu sous cutané).
Les recommandations de l‟auteur quant aux matériaux substitutifs (peau chamois & gelatine)
pour les régions thoracique antérieure, abdominale et fémorale antérieure y étaient également
relevées.
Il existe en effet des matériaux substituant préférentiellement les tissus internes (tissus profonds et organes remplacés par Gélatine, Argile, Plasticine, Savon,…) et les tissus externes
(peau et tissu sous-cutané remplacés par Chamois, Cheval/Bétail, Porc, Synthétique,…).
Pour rappel, les valeurs énergétiques seuils représentant un risque de 50 % de pénétration
cutanée étaient respectivement, pour les régions thoracique antérieure, abdominale supérieure
et fémorale antérieure: 23.99 J/cm2, 39.88 J/cm 2 et 26.13 J/cm2.
Des valeurs énergétiques seuils quasiment équivalentes furent mises en évidence lors d‟essais
sur les matériaux de substitution disposés en couches superficielle (LAL) et profonde (PAL)
et ce, en modifiant la quantité respective desdits matériaux.
C. BIR a pu ainsi mettre au point les types et quantités relatives de matériaux nécessaires pour
substituer au mieux les régions corporelles sus citées:
-
LAL = C-F3 et PAL = gelatin pour substituer la région thoracique antérieure
(valeur seuil de 24.24 J/cm2),
LAL = C-F4-C et PAL = gelatin pour substituer la région abdominale (valeur
seuil de 37.93 J/cm2),
LAL = C-F4 et PAL = gelatin pour substituer la région fémorale antérieure
(valeur seuil de 26.54 J/cm2).
13. Implications médicales et étude prospective.
Les auteurs ayant revu le potentiel lésionnel de divers projectiles d‟impact insistent systématiquement sur le principe fondamental qui stipule que toutes les lésions abdominales ou thoraciques (et non plus seulement thoraciques) secondaires à l‟utilisation de projectiles d‟impact
doivent être considérées comme potentiellement létales (17, 29, 36).
Il est donc essentiel de bien cerner les deux mécanismes lésionnels (longuement discutés aux
point 4.2 et 4.3) puisqu‟ils indiquent qu‟une personne ciblée et touchée par un projectile
d‟impact pourrait présenter des lésions dites « internes » sans nécessairement souffrir d‟une
lésion superficielle pénétrante.
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 95
De manière générale, l‟absence de pénétration cutanée ne doit pas pour autant minimiser le
potentiel lésionnel du projectile. Les impacts doivent être considérés comme des traumatismes
à haute vélocité à risque de causer des lésions corporelles profondes et devront être pris en
charge comme tels par un bilan médical adéquat.
La question de la prise en charge médicale a été abordée par certains auteurs. Ceux-ci rappellent notamment que l‟examen clinique des personnes mentalement déséquilibrées ou encore
sous l‟influence d‟alcool et/ou de stupéfiants peut, outre les facteurs de risque inhérents à
l‟état présenté par ces individus, s‟avérer peu contributif et surtout peu fiable.
Le recours à des examens dits « para cliniques » tels que échographie abdominale, radiographie de thorax ou mieux, CT SCANNER thoraco-abdominal, est souvent sous-estimé et sousprescrit par les services médicaux face à ce type de lésions et ce, en raison de leur ignorance
de la traumatologie propre à ce type de projectile, en particulier quant à sa capacité de pénétration et quant au risque significatif de lésions internes.
Un examen complet de la personne blessée par ce type de projectile est donc impératif et devra investiguer la présence éventuelle de lésions occultes, particulièrement au niveau intraabdominal et intra-thoracique, et ce d‟autant plus que cette personne pourrait être « remise »
au force de l‟ordre sans réévaluation médicale ultérieure.
Une étude prospective du potentiel lésionnel d‟un projectile de type bean-bag ou FN303 pourrait être envisagée si ceux-ci venaient à être utilisés par les forces de l‟ordre, à tout le moins
par des unités spécialisées telles, par exemple, que le Peloton Anti-Banditisme de la Police
Locale de Liège. En collaboration avec les centres hospitaliers régionaux, nous pourrions mettre au point un protocole de prise en charge médicale tandis que les services de Police pourraient rédiger systématiquement des rapports d‟intervention détaillant, entre autres, la distance
d‟engagement, la zone corporelle visée, le degré de neutralisation de la personne ciblée, etc.
Ledit rapport d‟intervention pourrait être complété par les services médicaux pour ce qui
concerne lésions objectivées et aux soins nécessaires. Enfin, un dossier photographique des
lésions serait systématiquement réalisé.
Un rapport d‟intervention type est illustré à la page suivante (14).
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 96
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 97
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GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 99
5.- Discussion et recommandations.
Dans le cadre de la réflexion sur l‟acceptabilité et l‟applicabilité des armes de neutralisation
momentanée, cinq constats balisent la discussion des données présentées ci-dessus. Nous les
envisagerons principalement sous l‟angle des ANM à énergie cinétique tout en comparant ces
dernières avec d‟autres moyens.
Constat 1 : Les armes de neutralisation momentanée permettent de conserver une distance suffisante entre le policier et l’auteur et garantissent ainsi mieux l’intégrité physique du policier.
L‟observation de terrain comme l‟analyse de la littérature, mettent clairement en évidence que
la maîtrise de l‟espace est un facteur majeur dans la gestion de l‟intervention de contreviolence.
Cette maîtrise de l‟espace passe par la mise en place d‟un périmètre sécurisé plus ou moins
étendu suivant les circonstances, avec la nécessité :
-
d‟isoler le ou les auteurs des éventuels tiers présents,
d‟empêcher sa fuite
ou encore d‟établir un champ stérile d‟intervention.
L‟espace ainsi défini doit également offrir des possibilités de protection des agents. La mise à
distance permettant d‟éviter des blessures causées par l‟auteur notamment par armes blanches
reste un enjeu important. Nous avons pu d‟ailleurs démontrer que même pour un policier
aguerri, la distance de 7 à 8 mètres reste éminemment critique face à une agression au couteau
par un auteur déterminé.
Un autre exemple nous vient des Etats-Unis : sur base d‟une étude menée sur les attaques
d‟un auteur menaçant contre un policier, et après modélisation, les chercheurs arrivent à la
conclusion suivante : « take a common training scenario: an edged-weapon suspect charges
toward an officer from a distance of 21 feet [6,4 mètres].Using averages, the attacker‟s first
stride is at about 3 mph [4,8 Km/h]. But accelerating, he can reach a speed of 12 mph
[19,3Km/h] or more and cover 21 feet [6,4 mètres] in about 1.7 seconds in about 5 steps.
Considering that the average officer requires about 1.5 seconds to draw and fire one round
from a Level 2 holster (not even allowing for his initial reaction time), his disadvantage in
this situation is made crystal clear.32 »
L‟enjeu est donc d‟abolir les distances sans devoir les couvrir.
Les ANM à énergie cinétique permettent de conforter de manière honorable cette hypothèse
puisque le principe est de donner au moins l‟équivalent d‟un coup de matraque à distance et
surtout, pour la plupart d‟entre elles de pouvoir répéter ce coup. Cette distance n‟est limitée
32 New study yields unique grid for computing suspect speed in officer attacks, Force Science #120, Force Science news,
http://www.forcescience.org/fsinews/2009/04/force-science-news-120-new-study-yields-unique-grid-for-computingsuspect-speed-in-officer-attacks/
GESLR 2009 - Les armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique
[Page 100
que par la portée balistique du projectile et par sa précision, ce qui n‟est pas le cas avec les
ANM à énergie électrique, rapidement limitées par les fils de contact.
Constat 2 : Les armes de neutralisation permettent d’établir une situation de déséquilibre au profit du policier et ce, même en infériorité physique ou numérique.
Si on considère que, selon la formule consacrée, « Force doit rester à la loi », il faut pouvoir
en donner et en garantir les moyens. Dans une confrontation entre les policiers et un ou plusieurs auteurs, on peut souscrire à l‟idée que les policiers doivent imposer leur suprématie
dans le respect des lois. Dans un certain nombre de situations, la seule présence de la police
ne peut suffire à imposer ce déséquilibre. Les moyens à la disposition des policiers sont là
pour protéger les tiers, les policiers eux-mêmes en positionnant l‟auteur dans une situation de
déséquilibre. Les armes de neutralisation momentanée doivent pouvoir remplir ce rôle par la
dissuasion (hypothèse 3) ou par le recours effectif à cette neutralisation (hypothèse 4).
L‟analyse de la situation et la prise de décision doivent être suffisamment rapides et continuellement jaugées pour être éventuellement adaptées.33
Les ANM à énergie cinétique rencontrent cette hypothèse principalement par le fait qu‟elles
permettent non seulement de frapper à distance mais également de pouvoir répéter cette frappe. Le seul moyen actuel reste le spray OC qui présente toutefois certains inconvénients
comme une neutralisation parfois peu effective et différée ou encore la contamination tant des
tiers que parfois des policiers eux-mêmes que ce soit lors de l‟intervention ou à l‟issue de celle-ci. Par ailleurs, les éléments précités ne sont pas actuellement rencontrées par les ANM à
énergie électrique qui, certes neutralisent de manière effective mais qui empêchent
d‟envisager les situations où les policiers sont confrontés à plusieurs personnes qu‟il s‟agit de
neutraliser.
Constat 3 : Les armes de neutralisation momentanée présentent un caractère suffisant
de dissuasion pour convaincre la personne hostile d’éviter une frappe.
Comme nous l‟avons mis en exergue dans les pages qui précèdent, les ANM à énergie cinétique présentent un caractère dissuasif. La forme habituelle d‟arme longue, le fait qu‟il s‟agisse
de projectiles spécifiques, l‟anticipation de la douleur qui résulterait de la frappe à distance ou
de sa répétition, sont de nature à convaincre qu‟il est temps d‟obtempérer aux injonctions policières.
Dans ce cadre, le détour par la question du chien n‟est pas dénué d‟intérêt au vu d‟une part de
son potentiel dissuasif et d‟autre part de ses possibilités d‟action contre une personne désignée
(aboiements, neutralisation, frappes avec muselière, morsures).
Comme le rappelle DOWNS : “To understand what physiological phenomena may be subject
to changing human behavior, it is helpful to consider three major categories: fully or partially immobilizing movement, depriving or degrading one or more senses and producing pain.
33 Il arrive par exemple, alors que l‟auteur montre des prédispositions à se soumettre aux injonctions et aux gestes imposés,
que celui-ci, pour une raison quelconque ou parce que sous l‟emprise de toxiques, se rebelle. Il peut tenter de rompre la relation de suprématie instaurée par les policiers mais également l‟espace de confinement voire de modifier le lieu d‟intervention
(l‟auteur quitte brusquement un lieu pour tenter de rejoindre un autre).
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[Page 101
Almost every existing or proposed less lethal weapon can fit into one or more of these categories.”34.
Mais les armes de neutralisation momentanée à énergie cinétique, parce qu‟elles ne fournissent pas une neutralisation momentanée immédiate (supprimant l‟espace de négociation),
s‟intègrent mieux à une conception européenne de la police et permettent mieux une intervention sur le mode d‟un continuum de recours à la force.
Cette faculté de laisser à la personne hostile le choix de se soumettre ou non à la police relativise l‟image d‟une toute puissance des forces de l‟ordre que peut véhiculer l‟arme électrique.
Constat 4 : Les ANM cinétiques doivent être considérées comme des moyens supplémentaires et non substitutifs dans la dotation des forces de l’ordre (polices, douanes, DNF,
etc.) ; rien n’empêche en outre qu’elles soient autorisées à d’autres catégories de fonctionnaires n’ayant pas d’armes à feu dans leu dotation, si la nature des missions le requiert.
Les armes de neutralisation momentanée à énergie cinétique s‟intègrent en position intermédiaire dans les moyens de défense ou d‟intervention mis à la disposition des forces de l‟ordre.
Il ne saurait donc être question de voir les armes cinétiques se substituer à l‟arme de service,
dont elles ne sont pas une forme mineure.
Il faut donc entraîner les forces de police à intégrer ces matériels de frappe à distance dans
leur mode de pensée et de communication avec les personnes hostiles (continuum de la force).
Il faut également entraîner les forces de police à des tactiques et procédures d‟intervention
conduisant, d‟une part à réaliser des transitions entre les différents matériels, et d‟autre part, à
évaluer et coordonner les effets des moyens de force nécessaires.
En outre, il faudrait pouvoir envisager la possibilité que des membres des forces de l‟ordre
soient pourvus d‟armes cinétiques alors qu‟ils ne disposent pas d‟armes à feu en dotation.
C‟est le cas, par exemple, des agents de police (anciennement auxiliaires de police), ou des
polices aujourd‟hui non armées (police de l‟environnement, police économique, Securail, par
exemple), des unités chargées du transfert de détenus ou de la garde des Palais de Justice,
d‟équipes spécialisées en intervention en milieu carcéral, etc.
C‟est bien parce que les armes cinétiques sont de meilleurs outils de frappe que les matraques
et bâtons télescopiques - et non des armes à feu atténuées - qu‟il serait logique que ces fonctionnaires disposant dans certaines limites du pouvoir de contraindre, puissent mieux assurer
leur mission. Lorsque le recours à la force devient indispensable, il vaut mieux que la frappe
soit mesurée et proportionnée à la menace, ce qui n‟est pas toujours évident avec une matraque, au corps-à-corps et dans le stress.
Il semble toutefois indispensable que ces perspectives ouvertes par les ANM cinétiques soient
mieux prises en compte par les industriels.
34 DOWN R. L., Less lethal weapons: a technologist‟s perspective, Policing: An International Journal of Police Strategies
& Management, Vol. 30 No. 3, 2007, p. 359
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[Page 102
Il est en effet illusoire de permettre ces diverses améliorations dans la sécurité des fonctionnaires et les améliorations dans la maîtrise de la violence, sans que soient mises au point des
ANM de proportions plus raisonnables.
Des efforts doivent être entrepris pour miniaturiser les lanceurs, pour les rendre plus maniables et résolument différents des armes de service (par usage d‟une couleur jaune notamment).
Constat 5 : les ANM cinétiques posent clairement moins de problèmes médicaux que les
armes électriques, mais les spécifications techniques des industriels, tout comme les doctrines d’emploi des utilisateurs, doivent prendre en compte les données actuelles de la
recherche médicale.
Les projectiles d‟impact sont en effet destinés à transmettre leur énergie cinétique à un individu ciblé, dans le but de le repousser voire de le neutraliser par une douleur au point d‟impact
qui soit suffisante en termes d‟intensité et de durée.
Ces projectiles présentent une petite masse et une vitesse élevée (> 30 m/s), ce qui résulte en
de petites compressions de la paroi corporelle de très courte durée mais à haute vélocité. Dans
ces circonstances, des ondes de pressions peuvent contribuer significativement au mécanisme
lésionnel et causer des lésions internes, par définition invisibles lors d‟un examen corporel
classique. Ces lésions internes concernent aussi bien les organes pleins que les organes creux
mais un changement important de la vitesse de propagation de l‟onde de pression au niveau
d‟une interface air-tissu (poumons et tube digestif par exemple) peut être responsable d‟une
différence majeure de pression résultant notamment en des lésions tissulaires focalisées en ces
endroits.
La pénétration du projectile est également possible dès l‟instant où les tissus cutané et souscutané sont déformés au-delà de leurs limites d‟élasticité et de viscosité.
Pour obtenir un effet terminal idéal, les projectiles d‟impact devraient donc présenter une surface émoussée pour répartir la force d‟impact sur une surface plus grande et minimiser le risque de pénétration ainsi qu‟un degré élevé de déformabilité pour augmenter la durée
d‟interaction entre le projectile et la cible aux fins d‟absorber une partie de l‟énergie à
l‟impact et, partant, favoriser le mécanisme lésionnel superficiel.
Des critères lésionnels ont été établis aux fins de prévoir, aussi significativement que possible,
la survenue d‟une lésion corporelle en fonction de paramètres mesurables tels que la force, la
déformation, la densité énergétique, etc. Ces critères consistent en des formules incluant certains paramètres du projectile et/ou de la cible, utilisables à des fins statistiques pour déterminer la probabilité de survenue d‟une lésion, d‟un degré de gravité établi selon une échelle de
classification internationale et ce, en fonction de la zone corporelle ciblée. Quant à la tolérance lésionnelle, elle est définie comme la valeur d‟un critère lésionnel connu qui délimite, avec
une probabilité statistique donnée, un événement non traumatique d‟un événement traumatique. Ainsi, des valeurs seuils de tolérance propres aux projectiles d‟impact ont pu être déterminées pour la face, le thorax, l‟abdomen ainsi que pour la résistance cutanée.
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En outre, des couloirs biomécaniques abdominaux et thoraciques ont été établis sur cadavres
humains. Ils représentent, à l‟heure actuelle, les seules connaissances objectives en matière de
réponse humaine aux projectiles d‟impact. Grâce à ces couloirs de réponse biomécanique, il
est possible d‟évaluer la « bio-fidélité » des modèles, inorganiques ou informatiques par
exemple, utilisés dans l‟étude des projectiles.
Dès lors, la littérature scientifique abordant les mécanismes lésionnels secondaires aux projectiles d‟impact relève de données, critères et concepts qui, bien que capables de donner une
évaluation plus qu‟appréciable du risque encouru, ne permettent cependant pas à ce jour de
comprendre tous les mécanismes lésionnels impliqués.
D‟un point de vue médical, la plupart des auteurs ayant revu le potentiel lésionnel de divers
projectiles d‟impact insistent systématiquement sur le principe fondamental qui stipule que
toutes les lésions abdominales ou thoraciques secondaires à l‟utilisation de projectiles
d‟impact doivent être considérées comme potentiellement létales.
Il est donc essentiel de bien cerner les deux mécanismes lésionnels longuement discutés aux
point 4.2 et 4.3 du présent rapport, puisqu‟ils indiquent qu‟une personne touchée par un projectile d‟impact pourrait présenter des lésions internes sans nécessairement souffrir d‟une lésion superficielle pénétrante. De manière générale, l‟absence de pénétration cutanée ne doit
pas pour autant minimiser le potentiel lésionnel du projectile. Les impacts doivent être considérés comme des traumatismes à haute vélocité à risque de causer des lésions corporelles profondes et doivent être pris en charge comme tels par un bilan médical adéquat.
En outre, l‟examen clinique de personnes mentalement déséquilibrées ou encore sous
l‟influence d‟alcool et/ou de stupéfiants peut, outre les facteurs de risque inhérents à l‟état
présenté par ces individus, s‟avérer peu contributif et surtout peu fiable.
Le recours à des examens dits para-cliniques, tels qu‟une échographie abdominale, une radiographie du thorax ou de l‟abdomen, ou mieux, une tomodensitométrie (mieux connue sous le
terme « scanner ») thoraco-abdominale, est souvent sous-estimé et sous-prescrit par les services médicaux face à ce type de lésions et ce, en raison de leur ignorance de la traumatologie
propre à ce type de projectile, en particulier quant au risque significatif de lésions internes.
Un examen complet de la personne blessée par ce type de projectile est donc impératif et devrait systématiquement investiguer la présence éventuelle de lésions occultes intraabdominales ou intra-thoraciques, et ce d‟autant plus que cette personne pourrait être « remise » au force de l‟ordre sans réévaluation médicale ultérieure.
*
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Le GESLR considère donc que les armes de neutralisation momentanée à énergie cinétique,
tant au niveau de leur applicabilité que de leur acceptabilité, couvrent de manière plus adaptée
la philosophie d‟une police en Europe.
Dans ce cadre, si on ne met pas comme critère d‟efficacité l‟obtention d‟une suprématie effective et immédiate, elles semblent mieux s‟intégrer à une logique de police communautaire,
tout en offrant suffisamment de garanties pour protéger les opérateurs et l‟intégrité physique
des personnes maîtrisées, comme le résume le tableau ci-dessous.
Arme électrique
Stun
Arme électrique
Darts
Arme cinétique
Chien
Distance
protectrice
NON
OUI
4,5 m max
OUI
OUI
Déséquilibre des
forces
OUI
Sauf auteurs
multiples
OUI
OUI
OUI
Auteurs multiples
NON
NON
OUI
OUI
Dissuasion
OUI
OUI
OUI
OUI
Suprématie
immédiate
OUI
OUI
NON
OUI
En conséquence, le GESLR est d’avis de conclure ce cahier consacré aux armes de neutralisation momentanée utilisant l’énergie cinétique en recommandant :
- d’accorder une autorisation d‟acquisition et d‟emploi des armes cinétiques aux forces de
police fédérale et locale ;
- d’envisager l‟octroi d‟une autorisation de ce type pour certaines catégories de fonctionnaires qui ne disposent pas aujourd‟hui d‟armes à feu, avec des restrictions liées aux missions
lorsqu‟elles sont spécifiques et susceptibles de comporter des menaces définies ;
- d’assurer aux personnels autorisés une formation de base et un entraînement continué :
o à l‟arme elle-même et à ses contraintes d‟emploi,
o aux exigences médicales accompagnant l‟emploi,
o au discernement en situation de stress, de façon à garantir la légitimité
d‟emploi.
- d’encadrer la mise en service par l‟installation d‟une commission de suivi.
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