Notes de lecture - Cahiers du Genre

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Notes de lecture - Cahiers du Genre
Cahiers du Genre, n° 51/2011
Notes de lecture
Notes de lecture
Les fondements culturels
de la Nature
Priscille Touraille – Hommes
grands, femmes petites : une
évolution coûteuse. Les régimes
de genre comme force sélective
de l’adaptation biologique
(2008). Paris, Éd. de la MSH, 2008, 439 p.
et
Éric Brian et Marie Jaisson –
Le sexisme de la première heure.
Hasard et sociologie
(2007). Paris, Raisons d’agir, 379 p.
Au centre de ces travaux, on
trouve
une
interrogation
commune : l’intérêt pour le jeu
du culturel sur le biologique.
Cette interrogation se manifeste à
travers deux perspectives simultanément abordées dans les deux
ouvrages : d’une part, en montrant, par la déconstruction minutieuse d’un nombre impressionnant d’études passées, comment
l’idéologie s’est greffée sur les
raisonnements scientifiques comme
« les virus aux programmes
informatiques » (Touraille, p. 103),
c’est-à-dire comment la science
(qu’elle soit biologique ou sociale)
a pu confirmer l’idée d’une intangibilité de la ‘Nature’ plus souvent
par omission que par un véritable
fourvoiement scientifique ; d’autre
part, en contribuant directement à
cette révision de la connaissance
par la remise en questions de
données écartées des discours savants car supposément ‘naturelles’.
Le livre de Priscille Touraille est
issu d’une thèse d’anthropologie,
explicitement située au carrefour
des sciences de la vie et des
sciences sociales, qui aborde de
front l’argument physiologicoatavique auquel sont si fréquemment confrontés celles et ceux qui
enseignent le genre et la construction sociale des différences
entre les sexes : « … n’empêche
que les hommes restent plus grands
et plus forts que les femmes
– c’est bien que la Nature les veut
dominants ! » Grâce à la recherche
de Touraille, on comprend que la
plus grande taille des hommes est
– justement – une conséquence
de plus de l’infériorisation symbolique et sociale des femmes.
L’anthropologue montre en effet
clairement que le dimorphisme
sexuel de taille corporelle qui
semble aussi ‘naturel’ qu’universel, c’est-à-dire totalement
inaccessible au ‘social’, est en fait
le résultat de l’inscription dans
les chairs de plusieurs millénaires
d’une domination entièrement
culturelle. Tout l’objet de ce livre
218
est d’expliquer comment le genre
s’est inscrit dans le génome
humain, témoignant du fait qu’une
« caractéristique parfaitement biologique puisse, en même temps,
être indiscutablement sociale »
(p. 21). La découverte est tellement énorme qu’on en arrive à se
demander pourquoi elle n’a pas
eu davantage de résonance, ne
serait-ce que dans le domaine des
études sur le genre !
Les premières pages du livre
sont l’occasion d’une mise au
point passionnante sur la notion
de dimorphisme sexuel. Selon les
critères choisis, la définition du
sexe est, en effet, hautement
variable et soumise, dans nos
contrées occidentales, à un ethnocentrisme profond qui nous fait
oublier – par exemple – que la
plupart des hommes sur terre n’ont
pas de barbe et ont une pilosité
bien moins développée que celle
de la majorité des femmes
européennes, ou que toutes les
civilisations ne sont pas convaincues que les hommes doivent être
plus forts que les femmes.
Touraille met aussi en évidence
les idées reçues associées à la
perception commune des notions
d’évolution et de sélection, souvent considérées comme le résultat d’un phénomène ‘naturel’. Or
(ce qui est évident pour les
spécialistes de biologie évolutive)
ce n’est pas le cas : les animaux
domestiques, par exemple, ont
connu une évolution qui n’a rien
à voir avec leurs capacités de
survie, mais avec le « caprice de
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l’Homme » (Darwin). Les variations de taille (ou de tout autre
caractère physique) des individus
au sein d’une espèce donnée
dépendent donc de l’articulation
complexe de facteurs génétiques
et environnementaux. Le caractère problématique de la définition de l’adaptation est lié au fait
qu’elle confond l’idée que les
individus au sein d’une espèce
donnée s’adaptent pour leur survie
et l’idée qu’ils s’adaptent pour un
meilleur « succès reproductif » (« à
savoir le nombre de descendants
qu’engendre un individu, relativement à ses congénères » – p. 65).
Reprenant Darwin, Touraille introduit la différence – subtile et
toujours en débat parmi les
théoriciens de l’évolution – entre
« sélection naturelle » (le mécanisme par lequel des individus
vont avoir une meilleure capacité
de survie que leurs congénères ou
par lequel ils vont davantage se
reproduire) et « sélection sexuelle »
(qui désigne les avantages de
certains individus, au sein d’une
espèce et d’un même sexe, uniquement en ce qui concerne la
reproduction). L’idée est ainsi
d’introduire la possibilité – relativement contre-intuitive – que les
caractères concernés par la sélection sexuelle puissent aller jusqu’à mettre en péril la survie des
individus qui en sont porteurs, au
point que l’avantage reproductif
puisse exister au détriment de la
longévité ou de la bonne santé.
On parle alors d’adaptations
coûteuses.
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Touraille reprend ensuite
l’étude célèbre du sociobiologiste
Richard Alexander (1979), qui
avait tenté – sans grand succès –
de relier le dimorphisme sexuel
de stature aux régimes matrimoniaux des sociétés humaines.
Ce modèle explicatif a été,
depuis, largement critiqué, au
profit de celui qui fait de la plus
haute stature chez les hommes le
résultat du choix des femmes qui
préfèrent les plus grands d’entre
eux. Mais cette sélection des
hommes grands par les femmes
va de pair avec une sélection des
femmes petites par les hommes.
Touraille pose alors la question
des raisons de cette préférence
des hommes pour les plus petites
d’entre elles, et du coût que cette
sélection a pu représenter pour
les femmes. Elle s’attaque ainsi à
une autre face du problème en
abordant la question des besoins
énergétiques selon le sexe : on
sait que dans les situations de
stress alimentaire chronique
(malnutrition durable), une petite
taille donne un avantage sélectif.
Or les paléoanthropologues ont,
par ailleurs, montré il y a longtemps que la bipédie a conduit à
une réduction du canal d’accouchement, qui a elle-même entraîné une augmentation de stature :
les femmes grandes connaissent
des accouchements moins difficiles que les femmes petites. La
mortalité maternelle (cette
« tragédie obstétrique » perpétuée
sur des millénaires, qui constitue
le « phénomène le moins pris en
219
compte par les sciences » –
p. 253), est principalement due aux
disproportions fœto-pelviennes,
dont le risque augmente lorsque
la parturiente est très jeune,
lorsque les accouchements sont
nombreux ou lorsque le père est
plus grand que la mère. Tel est le
dilemme adaptatif des femelles
Homo Sapiens soumises à des
« forces sélectives contradictoires » : le problème d’obtenir
des calories durant la grossesse et
l’allaitement favorise des femmes
petites, mais le processus de
l’accouchement favorise des
femmes grandes. « Si le dimorphisme de stature est partout un
dimorphisme où les femmes sont
plus petites que les hommes, cela
veut dire que partout se sont
exercées des contraintes nutritionnelles capables de surpasser en
ampleur les contraintes obstétriques que l’on vient de voir, […]
entraînant une réduction de la
stature. » (p. 275) Parce que cette
limitation de ressources subie par
les femmes est partout répandue,
mais ne semble toucher qu’elles,
elle ne peut être liée à un environnement particulier ou à des
causes ‘écologiques’ : il s’agit donc
bien d’un phénomène social et
culturel.
L’idée, toujours courante, selon
laquelle les hommes auraient des
besoins alimentaires plus importants que les femmes (3 000
kcal/jour pour les premiers, 2 200
pour les secondes, selon la FAO)
est pourtant bien une idée reçue.
Touraille revient ainsi sur la ques-
220
tion des inégalités alimentaires
liées au genre et sur l’aveuglement absolu des ethnologues face
à cette violence fondamentale que
représente l’inégal accès aux protéines en fonction du sexe (cf. le
titre de ce chapitre qui annonce,
dans le style enjoué de l’auteure :
« Les femmes ont faim ? qu’on
leur donne des symboles ! »,
p. 327). Au terme d’un développement tout à fait passionnant
autour de la chasse et du monopole des aliments protéinés par les
hommes (qui ont, en revanche,
un accès illimité aux glucides
issus du travail de récolte, de
cueillette et de préparation des
femmes), l’auteure affirme que ces
inégalités alimentaires relèvent
d’« un système de pénurie institué
[…] dans un nombre incalculable
de sociétés humaines » (p. 344).
Elle y voit une conséquence de la
volonté de contrôler la fécondité
des femmes et, rejoignant NicoleClaude Mathieu, Touraille affirme :
« L’affaiblissement d’individus
affamés qui, physiologiquement
parlant, auraient les plus grands
besoins de nutriments, semble un
des moyens les plus terriblement
efficaces qui aient été trouvés pour
asseoir une domination. Si l’on
suit les théories selon lesquelles les
besoins nutritionnels du cerveau
chez l’être humain sont incompressibles […] [au risque de problèmes neuronaux] on peut se
demander si la ‘conscience dominée des femmes’ […] n’est pas
seulement un effet d’endoctrinement mais aussi d’affaiblissement
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réel des capacités de réaction
mentale » (p. 329).
Or un ‘silence théorique’ plane
sur la question car l’hypothèse qui
donnerait les inégalités nutritionnelles comme force sélective
possible quant à la stature des
femmes n’est jamais formulée.
Cet aveuglement pourrait également être lié au fait que l’étude
du dimorphisme sexuel de taille
corporelle dans l’espèce humaine
disqualifie le paradigme de la
« valeur adaptative de la
culture », qui fait de la culture un
auxiliaire de l’adaptation biologique, dans l’idée (fallacieuse)
qu’aucun comportement culturel
ne pourrait aller contre les intérêts reproductifs des individus.
Or l’adaptation par sélection des
femmes petites a été si coûteuse
pour elles qu’on peut la qualifier
de ‘meurtrière’ : « Si le lien entre la
stature et la capacité obstétrique
montre qu’une grande stature est
encore plus avantageuse pour
les femmes que pour les autres
mammifères femelles dans la reproduction, le dimorphisme sexuel
de stature ne devrait pas plus
exister dans l’espèce humaine que
chez les indris ou les gibbons.
Dès lors, l’injonction biblique ‘tu
enfanteras dans la douleur’ […]
serait à envisager comme la justification post hoc des effets sur le
biologique de rapports sociaux
fondamentalement inégalitaires. »
(p. 355)
Les sociologues Éric Brian et
Marie Jaisson sont, quant à eux,
partis d’une autre évidence de
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l’ordre du biologique : la proportion plus importante de garçons à
la naissance, présentée comme un
phénomène à la fois constant et
‘naturel’ dans les sociétés humaines. La croyance selon laquelle le
surcroît de garçons à la naissance
est un signe de dynamisme et de
normalité des sociétés s’est d’ailleurs si bien répandue, qu’elle
fonde même de récentes études
scientifiques proposant d’en faire
un « indicateur de veille sanitaire ». Les auteurs montrent
pourtant que le sex-ratio à la naissance est un phénomène historiquement variable – preuve qu’il
ne s’agit pas d’une donnée strictement biologique et inaccessible
au social – susceptible d’aller, au
cours des deux derniers siècles en
Europe ou en Asie, de 50 à 55 %
de garçons parmi les nouveaunés. Dans un travail exigeant,
épistémologiquement essentiel,
combinant sociologie, histoire et
mathématiques, Brian et Jaisson
proposent ainsi une analyse de
cette variabilité interprétée comme
le résultat du « sexisme de la
première heure », cette première
heure étant le laps de temps
« entre le moment où le sexe de
l’enfant à naître est encore incertain et celui où il est supposé
établi […]. Longtemps, ce fut au
premier sens du mot : la première
heure après l’accouchement. »
(p. 188)
Les auteurs mènent ici une
double enquête, l’une est l’histoire de la perception de la
régularité ou des variations de la
221
proportion des sexes à la naissance depuis le XVIII e siècle ;
l’autre est une étude sociomorphologique du phénomène.
La première partie de l’ouvrage
est, ainsi, une étude au croisement
de l’histoire des sciences (et de
ses liens avec l’administration) et
de l’histoire des phénomènes
sociaux les plus ‘macro’. Brian et
Jaisson consacrent, par exemple,
un développement particulièrement intéressant aux procédures
d’enregistrement de l’enfant
– acte social s’il en est, qui se fait
dans différents contextes (religieux
ou laïc) au cours de la période
considérée, et n’obéit donc pas
à des règles universelles
(enregistre-t-on les enfants
naturels ? les enfants morts-nés ?
etc.) Si l’enregistrement des naissances n’est pas systématique, le
sexe de l’enfant enregistré est néanmoins toujours noté (p. 89-94).
La proportion des sexes à la
naissance a interrogé nombre de
grands esprits aux XVIIIe et XIXe
siècles : Condorcet, Laplace,
Fourier, Comte, Quételet… Tous
ont constaté le surcroît de garçons
à la naissance, pour lequel plusieurs causes ont été avancées :
hasard, causes sociales (les naissances hors mariage présenteraient une proportion différente
de sexes) ou physiologiques (le
défaut de force chez la mère
entraînant supposément une surmortalité des garçons à la naissance). Avec Maurice Halbwachs,
la sociologie durkheimienne
s’intéresse à la question du sex-
222
ratio, à travers le lien établi (mais
infirmé par les auteurs) entre le
nombre de naissances masculines
et l’écart d’âge existant entre les
époux : plus l’écart est grand,
plus il naîtrait de garçons. Ce
travail effectué dans les années
1930 est d’ailleurs repris par les
Nazis dans le cadre d’un programme de contrôle du sex-ratio,
dans le but de produire plus de
mâles au sein des familles
« supposées idéologiquement et
racialement pures ».
Après cette archéologie du
traitement de la question du sexratio à la naissance, les auteurs
présentent leur propre analyse du
phénomène, à partir d’un corpus
de données démographiques d’une
ampleur considérable, qui mettent
en évidence les fluctuations profondes du sex-ratio entre l’Asie,
l’Amérique latine et l’Europe, du
XIXe siècle à aujourd’hui. De la
France pendant les deux guerres
mondiales, à la Chine de la
période 1970-1999 (politique de
l’enfant unique), en passant par le
Mexique contemporain, le sexratio apparaît bien comme une
donnée dynamique ayant une cohérence propre. Brian et Jaisson
distinguent sex-ratio « secondaire »
ou ex post (après la naissance) et
sex-ratio « primaire » ou ex ante,
valant au stade de la fécondation
– ce dernier étant évidemment
particulièrement difficile à vérifier, même si « dans le cas de
l’espèce humaine, […] l’équilibre
entre les deux sexes à la fécondation demeure l’hypothèse la plus
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solide. » (p. 163) Pour les
auteurs, trois facteurs sont susceptibles d’interférer sur le
niveau de sex-ratio ex post : des
« interventions humaines après une
identification précoce du sexe de
l’enfant à naître ou du nouveauné […] [liées] à des formes de
traitements différenciés selon les
sexes » qui se jouent souvent
« aux limites de la conscience »
(p. 271) ; la part des naissances
relevant d’ambiguïtés sexuelles
(environ 0,025 %) ; et la ‘zone
d’ombre’ des procédures d’enregistrement à l’état civil.
« C’est donc bien pendant une
plage de temps qui s’étend des
premières possibilités d’identification du sexe de l’enfant à
naître jusqu’à son inscription à
l’état civil que des différences de
traitement opèrent aujourd’hui,
et ont opéré jadis, quels qu’en
aient été les contextes pratiques
et technologiques » (p. 168-169) ;
autrement dit, le sex-ratio ex post
varie selon le niveau général
d’intensité des discriminations
sexistes et selon la diversité des
sensibilités de l’entourage des
naissances à ce niveau général de
discrimination. Le cas du Japon
est, à cet égard, tout à fait intéressant puisqu’il connaît un brutal décrochage du nombre de
naissances féminines en 1906 et
en 1966, qui sont les années dites
du « cheval de feu » (condamnant
les filles nées à ce moment du
calendrier traditionnel, à un destin funeste). Le net déficit de
filles pour ces deux années est dû
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à la fois à une réduction du
nombre de naissances (avant ou
après que les parents aient pris
connaissance du sexe de l’enfant)
et à des arrangements avec les
médecins ou l’état civil (le déficit
de déclarations de naissances
étant largement rattrapé l’année
suivante).
Sans aller jusqu’à la grande
visibilité du phénomène (analysé
par ailleurs dans le livre) des
missing girls que connaît notamment l’Inde, on constate qu’un
sex-ratio ex post de 51,25 %
(comme en France aujourd’hui)
signifie concrètement une répartition des naissances entre 410 000
garçons et 390 000 filles, soit une
différence de 20 000 cas, produite par un ensemble de causes.
Brian et Jaisson se penchent ainsi
plus précisément, dans le dernier
chapitre, sur les modalités de cette
discrimination, de l’infanticide
actif (p. 192-195) aux différentes
pratiques discriminatoires liées à
la ‘socialisation périnatale’. C’est
à travers ces pratiques que le
sexisme de la première heure
imprime son effet « sur le corps
physique de la société jusqu’à
l’entrée des nouveau-nés dans la
vie sociale, c’est-à-dire dès avant
la naissance. Ainsi peut-on
conclure, sans craindre un paradoxe, que la naissance sociale précède l’accouchement » (p. 247).
Ces deux recherches suscitent,
chacune à leur manière, un incroyable effet de dessillement.
Notons-le, parce qu’il s’agit d’une
qualité rare : les deux livres
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considérés ici sont extrêmement
didactiques dans leur construction.
Leur argumentaire est, dans les
deux cas, parfaitement rigoureux :
on avance pas à pas dans un
raisonnement précis, foisonnant et,
pour cela, relativement exigeant.
Mentionnons, en outre, que les
deux ouvrages présentent une
bibliographie impressionnante et
un index fort utile. Plus globalement, quoique fort différents dans
leurs intérêts et dans leur style,
les travaux de Touraille d’une
part, et de Brian et Jaisson
d’autre part, posent explicitement
la question des conséquences
biologiques des inégalités. Ainsi,
trente ans après les premières
élaborations théoriques autour de
l’idée que « le genre précède le
sexe », c’est-à-dire que l’idée de
différence (donc de hiérarchie)
est antérieure à la différence ellemême, la seconde procédant finalement de la première, les deux
ouvrages considérés ici donnent
une nouvelle résonance à cette
proposition fondatrice des études
de genre, chacun démontrant,
concrètement, comment le genre
s’est inscrit dans les chairs jusqu’à des niveaux insoupçonnés.
Ces deux ouvrages sont aussi des
appels à l’interdisciplinarité et à
l’ouverture des sciences sociales
aux problématiques issues des
sciences du vivant (et vice versa),
seul moyen de voir, dans la totalité de ses effets, la sociodicée de
la domination masculine qui ancre
sa légitimité dans le biologique,
lorsque – ainsi que le démontrent
Notes de lecture
224
brillamment ces travaux – le biologique lui-même a déjà enregistré les effets de la domination.
Séverine Sofio
Sociologue, CRESPPA-CSU
Carole Pateman – Le contrat
sexuel
(2010). Paris, La Découverte/Institut Émilie
du Châtelet « Textes à l’appui / genre et
sexualité ». Trad. Charlotte Nordmann,
336 p.
Paru en 1988, Le contrat sexuel
fait partie de ces classiques de la
pensée féministe traduits en
français après quelques décennies
de prudente réflexion.
Une thèse puissante y est à
l’œuvre, qui a valu sa célébrité à
Carole Pateman : le contrat
fondamental, avant, sous, le contrat
social, porte sur l’accès aux corps
des femmes pour les hommes.
Évidemment, les femmes sont
écartées par la plupart des théories du contrat social, du pacte
originel qui institue la société
civile et l’ordre politique ; mais
de manière plus subtile, Pateman
cherche à démontrer qu’elles ont
été, qu’elles sont encore, dans une
position d’interne extranéité par
rapport à ce contrat et à l’agencement du monde qu’il compose.
Tout comme le privé fait partie
du domaine civil tout en en étant
radicalement distingué, elles sont
incluses dans l’ordre contractuel,
en tant que femmes, et cela est
précisément la modalité de leur
exclusion du cercle des pairs.
Alors que les théories classiques
du contrat social les présentent
comme inaptes à l’exercice du
contrat, car dépourvues de la
capacité à sublimer leurs passions
(Rousseau), ou de celle de se soumettre aux exigences de l’universalité (Kant), elles y figurent
pourtant, comme contractantes
dans le cas particulier du contrat
de mariage. Le contrat est le
principe de la société civile, et les
femmes y sont intégrées au moyen
d’un contrat dérivé, subalterne,
établissant non pas leur égalité
statutaire mais leur subordination.
Ce contrat est autant fondamental
pour l’ordonnancement de l’ensemble qu’il est crucial en tant
qu’il entretient l’illusion que la
relation d’autorité naît d’un
accord.
Certes, le lecteur/la lectrice est
gêné·e par l’aspect fréquemment
brouillon de l’essai : la démonstration revient fréquemment en
arrière, bégaie, aplatit dans une
linéarité peu convaincante des
auteurs aux finalités divergentes,
et à l’influence inégale sur l’imaginaire politique contemporain,
sur une fiction du contrat social
qui projette « l’image de notre
moi politique » (p. 304). Pateman
s’efforce en effet d’interroger la
théorie politique en tant qu’elle
s’est répandue dans les grammaires
politiques ordinaires ; on comprend
sans mal l’exploration des textes
de Locke, Hobbes, Pufendorf ou
Rousseau. Il est tout autant légitime de traquer les scories de ce
contrat sexuel opérant parce
qu’invisible, jusque chez Rawls,
dont la position originelle rassemble des individus qui ignorent
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les « faits particuliers » comme
leur genre à venir, mais ont des
« descendants ». On se demande,
en revanche, au nom de quelle
logique Freud se trouve adoubé
architecte du politique ; le choix
est d’autant plus troublant que sa
théorie sert à administrer la
preuve quant à l’interprétation du
contrat social comme un accord
de « frères » organisant entre eux
l’accès aux corps des femmes.
Son récit des origines de la parenté dans Totem et tabou, du
parricide primordial suivi de
l’institution de droits égaux entre
les frères et de la prohibition de
l’inceste, est censé offrir le maillon manquant dans la démonstration de Pateman entre le contrat
social comme chiffre de la subordination féminine et la question
de l’accès réglé au corps des
femmes.
Néanmoins cette construction
protéiforme permet de mettre au
jour une multiplicité d’implicites
propres au « moi politique » des
sociétés libérales contemporaines
institué par le contrat.
Formalisation de l’échange économique, et motif fondamental de
l’ordre politique, le contrat constitue tout autant un « principe
d’association sociale » (p. 21) ; il
porte en lui l’affirmation que
toutes les relations sociales libres
prennent une forme contractuelle.
L’imaginaire contractuel pose
en outre une série d’équivalences
normatives : l’identité de la liberté et du consentement, celle de la
justice et de l’échange équitable ;
225
il introduit une commensurabilité
sans limites entre les êtres
humains, leurs propriétés, leurs
réalisations.
Enfin et surtout, il déploie une
conception de l’individu comme
contractant : l’être humain est
pourvu de caractéristiques à l’aune
de ce qui est érigé en sa plus pressante finalité : contracter. Il est
ainsi à même de prendre « possession de lui-même, et sa liberté
s’exerce ensuite à travers sa capacité à disposer de lui-même comme
il le juge bon » (p. 116). L’individu est propriétaire de sa propre
personne, de ses attributs et
qualités, dont il peut choisir de se
dépouiller en échange d’autres
biens ou services. La démonstration de Carole Pateman débouche
alors sur une critique de l’anthropologie libérale, de la figure du
sujet auto-engendré et autosuffisant, critique partagée par
maintes autres théoriciennes
féministes, par exemple celles du
care. Possesseur de sa personne
et de ses attributs, l’individu ne
doit rien aux autres ni à ses
relations à eux ; c’est même « par
l’action de [sa] volonté qu’[il]
doi[t] faire advenir [ses] relations
sociales » (p. 90).
Pateman développe par ailleurs
une critique détaillée du contrat
de travail, qui est et n’est pas la
même chose que le contrat
sexuel. Elle déconstruit longuement la notion de « force de
travail » comme fiction politique
permettant la cession de soi.
Forgée pour être contractée, elle
226
permet d’affirmer que ce n’est ni le
travail, ni le corps, ni la personne
qui est l’objet de l’échange, que
rien de plus n’est cédé que des
services. Avec elle, « les capacités peuvent ‘acquérir’ une relation d’extériorité à l’individu, et
peuvent être traitées comme s’il
s’agissait de propriétés » (p. 209).
En d’autres termes, elle est le ressort de l’idée que le contrat institue une relation libre, et simultanément dissimule la réalité de
ce qui est cédé : de l’obéissance.
Si l’ombre de la relation
maître-esclave plane sur tout le
livre, la comparaison avec le
contrat de travail ainsi analysé se
révèle le mouvement le plus
éclairant effectué par l’auteure.
Le contrat de travail n’est
évidemment pas l’équivalent du
contrat de mariage, car c’est en
tant que femmes qu’une partie des
contractants se voient attribuer
dans le second cas la charge de
certains « services domestiques ».
Pour exister, le contrat de travail
requiert même qu’il y ait par
ailleurs un contrat de mariage :
« La construction du travailleur
présuppose qu’il est un homme
qui a une femme, une épouse, une
ménagère, qui pourvoit à ses
besoins. » (p. 188) Pourtant, c’est
le même exercice de décomposition de l’être humain en propriétés aliénables qui institue l’obéissance en termes de l’échange, la
même fiction d’une subordination
consentie, qui sont au principe du
contrat sexuel et du contrat de
travail. Le cœur noir du contrat
Notes de lecture
sous toutes ses formes semble
alors se trouver dans l’indétermination de l’échange, dans sa
caractéristique d’être un accord
au sein duquel il est laissé le droit
à l’un des contractants de déterminer à chaque instant comment
l’autre doit agir pour remplir sa
part de l’échange.
Pateman explore enfin les
effets de l’imaginaire contractuel
sur la conformation du champ
féministe : « Le rêve féministe est
sans cesse corrompu par son intrication avec le contrat. » (p. 260)
On lui concédera que le contrat
constitue bien désormais, avec le
consentement, un imaginaire politique bizarrement concentré dans
les sphères de la sexualité d’une
part, des pratiques et du discours
des femmes d’autre part, qu’il
s’agisse des pratiques sexuelles
minoritaires (comme le SM), de
la prostitution, du voile, ou du
mariage arrangé. La catégorie est
dans chaque cas activée aussi bien
par les féministes que par leurs
adversaires ; la controverse porte
sur la seule réalité de l’accord
donné, sur la possibilité ou non
de l’objectiver. Il vaudrait même
la peine d’enquêter sur cette
étrange condensation : n’est-elle
pas le signe d’une réduction pour
les femmes du statut de membre
de la communauté politique à celui,
péniblement acquis, de contractante, où le geste politique est in
fine limité à l’expression d’un oui
ou d’un non, tandis que les formes
plus complexes et plus évidentes
de l’imaginaire politique contem-
Cahiers du Genre, n° 51/2011
porain sont ailleurs, dans la
délibération, ou la participation ?
Néanmoins, il ressort de l’essai
de Pateman que toutes les catégories composant la constellation
politique du contrat social, de la
société civile à l’individu, seraient
en quelque sorte à jamais contaminées par leur passé. Non pas
qu’il s’agisse ici de prendre la défense de l’un ou de l’autre. Mais
c’est l’impossibilité de la resignification postulée par Carole
Pateman qui est frappante, l’anhistoricité des catégories une fois
instituées.
Dans cette veine, elle conclut
que le langage du « genre », dans
la mesure où il est celui « du
public et de l’individu », dépend
comme celui-ci du « refoulement
du contrat sexuel » (p. 308). Sa
réflexion s’achève alors dans un
différencialisme sans épaisseur,
qu’elle veut politique – il s’agit
d’exiger l’égalité juridique et la reconnaissance en tant que femmes –,
mais qui ne semble se justifier que
par les corps incarnés mais niés de
ce contrat sexuel originaire, dont
il faudra pourtant bien un jour
sortir de l’ornière.
Estelle Ferrarese
Politologue,
Université de Strasbourg
Richard Poulin — Sexualisation
précoce et pornographie
(2009). Paris, La Dispute « Le genre du
monde », 273 p.
Richard Poulin est un sociologue canadien, auteur de plusieurs
ouvrages sur la prostitution, analysée dans le contexte de la mon-
227
dialisation des industries du sexe,
dans une perspective clairement
abolitionniste. La question abordée dans Sexualisation précoce et
pornographie est traitée à partir du
même cadre d’analyse. L’auteur
y examine les différentes facettes
du développement contemporain
de la pornographie et ses effets
sur les comportements sexuels et,
au-delà, sur la culture et les imaginaires contemporains. Ce faisant,
il s’attaque à un sujet controversé et
prend, dès l’introduction, le parti
de la dénonciation, s’opposant
ainsi aux auteur·e·s qui prônent la
limitation de la régulation étatique en la matière, au nom du
libre consentement potentiel des
acteurs et actrices, des consommateurs et consommatrices de
matériel pornographique, au nom
aussi des limites à mettre à la
censure ou encore du rejet du
puritanisme 1.
Pour Richard Poulin, loin de se
limiter à proposer une catégorie
spécifique de biens de consommation, la pornographie influence
profondément la culture et contribue à transformer les normes
concernant la sexualité en
promouvant un « nouvel ordre
pornographique » (chap. 1) caractérisé par l’infantilisation des
femmes et la sexualisation des
enfants, notamment des fillettes.
Celles-ci, aussi bien que les adolescentes, sont des cibles marketing de choix pour l’univers de la
1
Pour un exposé de ce point de vue par
un philosophe, voir Ruwen Ogier (2003).
Penser la pornographie. Paris, PUF.
228
mode, de la musique ou du
cinéma ; certaines s’identifient à
des chanteuses ou à des actrices
dont elles imitent les tenues sexy,
voire les poses, au risque d’incarner
de modernes lolitas. En miroir,
l’infantilisation des femmes renvoie au rajeunissement continu
des jeunes femmes recrutées et
mises en scène par les industries
du sexe. Le « nouvel ordre
pornographique » remet donc en
cause l’ordre des âges et des
générations, exposant les plus
jeunes aux pratiques adultes et
forgeant pour les adultes des critères de désirabilité à partir des
corps adolescents.
Ce que l’auteur qualifie de
« pornographisation de la
culture », c’est le recyclage
d’archétypes pornographiques
(chap. 2, p. 57) dans les romans,
les films, les magazines, la publicité, les émissions radiophoniques,
les clips musicaux ou les sites
Internet. Les images et prescriptions sexuelles y sont omniprésentes, colonisant les imaginaires, informant la production
normative et réalisant la socialisation sexuelle des jeunes et des
moins jeunes.
Richard Poulin s’attache à décrire de façon détaillée le développement de l’industrie de la
pornographie à l’échelle planétaire et ses évolutions majeures.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
les recettes de l’industrie pornographique dépassent celles des
grandes compagnies en ligne
comme Microsoft, Apple, eBay,
Notes de lecture
etc. (chap. 3, p. 88). Elle est
devenue un média de masse,
économiquement très important,
dont les interconnexions avec les
autres secteurs économiques, mafieux mais aussi plus traditionnels, sont nombreuses, ce qui lui
assure en retour une forme de
légitimité. L’essor de la production a été démultiplié par le biais
d’Internet, les sites à caractère
pornographique représentant, selon
Jerry Ropelato 2, 12 % de l’ensemble des sites, 25 % des requêtes via les moteurs de recherche et 35 % des téléchargements.
L’analyse du contenu de cette
production conduit à des constats
accablants, à commencer par le
développement sans précédent de
la pornographie infantile, mettant
en scène des enfants victimes
d’abus et d’exploitation sexuels.
Des liens étroits unissent ce type
de pornographie au tourisme
sexuel et à la prostitution
enfantine, les actes où sont impliqués des enfants pouvant alors
être photographiés ou filmés, puis
mis en ligne. On relève également
une banalisation de la pornographie pseudo-infantile, impliquant
des jeunes filles d’âge « à peine
légal », c’est-à-dire censées être
âgées de 18 ans mais dont
l’apparence est infantilisée par
des accessoires (sucettes, ours en
peluche…), des coiffures et des
poses suggérant l’extrême jeunesse.
Les rapports sexuels ont souvent
2
Ropelato Jerry (2006). « Internet
Pornography Statistics ». TopTenReviews ;
cité par l’auteur, p. 89.
Cahiers du Genre, n° 51/2011
lieu entre des adolescent·e·s et
des hommes âgés, qui pourraient
être leur père, accréditant la représentation selon laquelle l’attirance sexuelle pour les mineures
est un phénomène presque ordinaire. Une autre tendance de fond
est la production d’une pornographie de plus en plus violente :
la mode est au trash (ordurier),
au gang bang, à l’érotisation du
viol, au gonzo, « c’est-à-dire à la
pornographie d’humiliation et de
démolition » (chap. 5, p. 159).
Sexiste et raciste, la pornographie
scénarise et érotise la domination
masculine sur les femmes et les
enfants, les rapports sociaux inégaux entre groupes dominants et
groupes racialisés.
Richard Poulin rejette l’idée
selon laquelle l’influence exercée
par la consommation régulière
d’une telle pornographie serait
nulle ou aurait un effet cathartique, empêchant, par exemple,
les pédophiles de passer à l’acte.
S’appuyant sur plusieurs études,
il démontre un double effet chez
les consommateurs réguliers : une
vision sexualisée et stéréotypée
des femmes doublée d’une
certaine insécurité quant à leurs
propres capacités en matière de
sexualité. Du côté féminin, c’est
l’image que les femmes ont de
leur corps et leur estime de soi
qui seraient affectées, entraînant
une recrudescence d’opérations de
chirurgie esthétique. Quant aux
effets engendrés chez les jeunes
consommateurs, il ressort des enquêtes mobilisées que la porno-
229
graphie leur sert de modèle et de
lieu d’information sexuelle, même
s’ils peuvent avoir conscience
qu’elle déforme la réalité. Ils
perçoivent les différents types de
pénétration et postures comme
devant être mis en œuvre. Les
modèles corporels proposés sont
souvent anxiogènes, notamment
chez les très jeunes filles, qui
s’interrogent sur le caractère normal ou pas du développement de
leurs seins, sur l’apparence de
leur vulve ou sur la nécessité de
l’épilation des poils pubiens. La
consommation de pornographie
apparaît donc comme de nature à
façonner les systèmes de représentations de la sexualité et les
rapports sociaux de sexe.
Quant à la production de pornographie, elle exerce ses effets sur
les personnes ainsi mises en scène.
La pornographie infantile est un
crime en elle-même et une mise
en scène de ce crime et elle entraîne des traumatismes graves et
durables. De nombreux reportages mettent en vedette des porn
stars dont la carrière est présentée comme aussi enviable que
leur plastique. Cependant, les séquelles physiques et psychologiques de ces recrutements souvent précoces dans l’industrie du
sexe sont nombreuses et mal
anticipées par les hardeuses, fréquemment présentées comme
attirées par l’argent facile. Les
enquêtes révèlent néanmoins que
l’agression dans l’enfance est un
facteur important dans le recrutement de ces jeunes femmes. Une
230
telle donnée relativise l’importance
de la question du consentement,
souvent mis en avant pour justifier l’existence de la pornographie produite et consommée
par des adultes consentants.
Cet ouvrage de Richard Poulin
pose des questions particulièrement dérangeantes et y apporte
des réponses qui ne le sont pas
moins. On peut être surpri·se·s
par les formes de l’énonciation :
en effet, dès le premier chapitre,
l’auteur entrelace les faits et leur
interprétation, pose des affirmations généralisantes, ce qui peut
donner au lecteur une impression
de parti pris, mais l’auteur
l’assume dès l’introduction. De
même on peut être pris de vertige
devant l’avalanche des faits, statistiques, références de diverses
nature et portée égrenées par
l’auteur tout au long de l’ouvrage
tandis que la part accordée à ses
propres enquêtes est assez limitée.
Mais c’est finalement un mérite
de la démarche de Richard Poulin
que d’être macrosociologique et
de situer ses travaux d’enquête
dans un contexte mondialisé au
sein duquel ils prennent sens.
Les faits qu’il rapporte, difficilement contestables, sont intégrés
dans le cadre d’une réflexion globale sur le fait que la pornographie inscrit les corps dans
l’espace marchand, légitimant
une consommation sans entraves,
« fût-ce au prix des plus grandes
violences à l’égard de ceux et de
celles qui n’ont que leur corps à
Notes de lecture
vendre », pour reprendre les termes de Sandrine Garcia 3.
Yvonne Guichard-Claudic
Sociologue, maître de conférences à
l’Université de Bretagne occidentale
Sébastien Roux – No money, no
honey. Économies intimes du
tourisme sexuel en Thaïlande
(2011). Paris, La Découverte « Textes à
l’appui / genre & sexualité ».
« Lundi 2 décembre 2007,
Patpong, 21h45. Les rabatteurs
sifflent des clients… ». Les
premières lignes de No money, no
honey donnent le ton : c’est
l’enquête ethnographique qui est
au cœur de cette sociologie du
« tourisme sexuel en Thaïlande ».
On imagine les difficultés qu’il a
fallu affronter pour s’engager
dans un terrain de thèse aussi
lointain et dans un sujet aussi
controversé. Apprendre le thaï,
enquêter dans la peau d’un sosie
des touristes-clients, et décider
que la prostitution peut être un
objet sociologique comme les
autres… rien de tout cela ne va
de soi. C’est pourquoi Sébastien
Roux consacre son introduction à
expliquer les contours de son
objet, sa posture et sa méthode.
En rupture avec les représentations
communes qui homogénéisent la
réalité de la prostitution touristique
dans une indignation globale, il
s’agit de comprendre la diversité
3
Garcia Sandrine (2006). « Le libre échange
sexuel comme utopie réactionnaire ». In
Marquié Hélène, Burch Noël (eds).
Émancipation sexuelle ou contrainte des
corps ? Paris, L’Harmattan « Bibliothèque
du féminisme », p. 44.
Cahiers du Genre, n° 51/2011
et « la banalité des offres prostitutionnelles », leur inscription visible (et non pas clandestine comme
on tend souvent à le croire) dans
l’ensemble des espaces touristiques thaïlandais, enfin les expériences subjectives, et socialement
contrastées, dans lesquelles elles
s’incarnent.
La rupture critique passe par une
remise en cause de l’explication
exclusivement économique de
l’échange prostitutionnel au moyen
d’une analyse localisée (l’ethnographie d’un quartier plutôt que
le discours sur l’argent international de la prostitution) et par
l’adoption d’une démarche compréhensive prenant en compte les
significations que les acteurs sociaux donnent à leurs actes. Elle
se caractérise enfin par une réflexion sur la dimension morale
d’une telle entreprise : la description de pratiques communément
jugées avilissantes est-elle avilissante elle-même ? Roux explique
que le caractère avilissant de
scènes observées n’est pas un
dommage collatéral de l’enquête
mais un de ses objets qui pose la
question des critères de l’avilissement : qu’est-ce qui est avilissant ?
Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Aux
yeux de qui ? La prise en compte
de cette interrogation présentée
en introduction est tenue dans la
suite du livre, à l’exception de
quelques extraits du journal de
terrain. La difficulté de la description ethnographique réside
dans le choix des qualificatifs
pour décrire des personnes prises
231
dans des scènes pornographiques
sans tomber dans un vocabulaire
normatif (‘vulgaire’, ‘négligée’,
‘sans grâce’, etc.). Une (r)écriture
du journal de terrain moins littéraire aurait peut-être permis de
mieux éviter cet écueil en se soumettant à une description plus
clinique des faits et gestes. C’est
là l’unique critique formelle et
‘morale’ qu’on peut adresser à
l’ouvrage.
À présent, l’enquête. Entre
2005 et 2007, vingt-deux mois de
présence à Bangkok, répartis sur
trois périodes, ont été nécessaires
à sa réalisation : les stratégies
pour désexualiser l’échange et
pour échapper à la fatalité de la
distance sociale entre l’homme
occidental et les enquêtées sont
largement décrites. Leur exposé
est un modèle en matière d’objectivation des contraintes qui
pèsent sur la relation d’enquête,
prenant en compte à la fois la distance sexuée, sociale et raciale,
mais aussi ses enjeux sexuels.
L’enquête a pu être menée par
l’intermédiaire d’ONG, dans lesquelles Roux était professeur
d’anglais bénévole, et grâce à une
de ses élèves, caissière dans un
restaurant, devenue informatrice
privilégiée. Ce sont les lieux des
établissements nocturnes qui ont
été observés, et les différents acteurs et actrices qui y évoluent :
principalement des femmes mais
aussi des hommes prostituées,
des clients et toutes les personnes
qui participent aux activités afférentes au ‘tourisme sexuel’. Des
232
entretiens individuels, le plus souvent en collaboration avec Touk,
l’informatrice, se sont déroulés
auprès d’un certain nombre (non
précisé) de personnes.
La première partie, intitulée
« Ethnographie de l’intime », met
au jour les différents biens échangés dans le quartier de Patpong
dédié au tourisme sexuel international, et plus largement à
toutes formes de commerces à
destination des touristes occidentaux, un quartier coupé des autres
espaces d’activités prostitutionnelles de Bangkok pour les
Thaïlandais (qui n’ont pas été
enquêtés). Le regard ethnographique traverse les vitrines des
lieux officiellement dédiés à la
prostitution touristique (a-go-gobars, sex shows, beer bars et
‘salons de massage’) pour que
soient objectivés les tarifs, la division sexuée du travail au sein des
établissements, les modalités de
paiement et les conditions d’emploi des prostituées, les hiérarchies entre les différents types
d’activités prostitutionnelles, enfin
les usages individuels et familiaux
de l’argent récolté.
Le regard de l’enquêteur n’a
pas été ébloui par les néons des
lieux clairement identifiés comme
des lieux de prostitution, il s’est
aussi glissé dans tous les « espaces
récréatifs » facilitant les « rencontres entre touristes occidentaux
et Thaïlandaises potentiellement
intéressées par la rétribution de
services sexués », c’est-à-dire
l’ensemble des bars et restaurants
Notes de lecture
a priori non dédiés à la prostitution. En embrassant un quartier
dans sa globalité, l’ethnographe
a saisi les échanges entre
Thaïlandais·e·s et touristes occidentaux en articulation avec
l’activité professionnelle de la
prostitution sans les y réduire :
les « économies intimes » qu’il
observe comprennent non seulement des échanges matériels mais
aussi des échanges symboliques
– la présence de sentiments amoureux et de soins réciproques audelà de la rencontre tarifée, le souci
de la préservation de l’honneur,
le décor festif à la fois aliénant et
parfois libérateur y compris pour
les prostitué·e·s. Du même coup,
la prostitution est extirpée de la
seule activité professionnelle et du
stigmate. L’enquête sur la prostitution ‘masculine’ (principalement homosexuelle, mais aussi
hétérosexuelle) contrecarre par
ailleurs l’évidence du discours
dénonciateur et le risque de
(re)naturalisation des groupes de
sexes que ce dernier implique.
La
deuxième
partie,
« Généalogie d’un interdit »,
inscrit l’analyse dans une perspective plus vaste : « la réalité
des expériences » est confrontée
à la construction historique et sociale du tourisme sexuel comme
« problème ». Si la majeure partie
de l’ouvrage est consacrée à la
description de mécanismes locaux,
le monde n’est pas occulté, non
plus que ses morales historiquement et géopolitiquement situées.
Mobilisations féministes thaïlan-
Cahiers du Genre, n° 51/2011
daises et internationales, prise en
charge des risques sanitaires liés
à l’épidémie de sida, condamnation de la pédophilie, rapports de
pouvoir coloniaux entre Occident
et Asie du Sud-Est constituent des
éléments distincts et successifs
qui se sont cristallisés dans la
construction d’une dénonciation
globale du tourisme sexuel
asiatique : les acteurs et leurs
places respectives sont analysés
selon une chronologie précise. Il
s’agit de désenchanter l’entreprise
morale de la dénonciation pour
mettre au jour les rapports de
pouvoir qui la traversent, et de
révéler les contours et les effets
d’un « gouvernement [thaïlandais]
des sexualités ». Conformément à
sa tonalité de départ, l’ouvrage se
termine sur un « retour à
Patpong » qui permet de mesurer
les effets de la « rationalisation »
de cet espace progressivement marqué par une régulation sanitaire,
une homogénéisation des pratiques et une normalisation de la
prostitution.
La conclusion actualise l’enquête au vu des conflits politiques qui ont agité la Thaïlande au
cours des dernières années. Elle
reformule aussi la posture du
sociologue à l’égard de son objet
de recherche. Sachant la place
très particulière et conflictuelle
que la prostitution occupe dans
l’ensemble des objets de la
sociologie du genre, on finira làdessus en citant Roux qui, sur un
ton légèrement (et inévitablement)
défensif, exprime le défi difficile
233
et passionnant de sa recherche :
« Il m’a semblé que le discours
sociologique ne serait que de peu
d’intérêt s’il ne parvenait pas à
dépasser une critique morale des
relations. Je ne les cautionne pas
pour autant, ni ne souhaite participer de leur réhabilitation. Mais
il me semble qu’il ne m’appartient
pas de me prononcer sur la moralité respective des unions. Et, si
les échanges que j’ai pu observer
sont effectivement le produit d’un
rapport de domination indéniable,
les hommes et les femmes du quartier ne sont pas sans ressources
et les relations ne peuvent se
saisir qu’en fonction du contexte
dans lequel elles s’insèrent. » (p.
254).
Isabelle Clair
Sociologue, CRESPPA-GTM
Léo Thiers-Vidal – De
« L’Ennemi principal » aux
principaux ennemis. Position
vécue, subjectivité et conscience
masculines de domination
(2010). Paris, L’Harmattan « Savoir et
formation. Série Genre et éducation »,
372 p.
Comme annoncé par Anne
Verjus en 2008 dans le numéro
45 des Cahiers du genre (p. 239241), la thèse de Léo ThiersVidal a été publiée aux Éditions
L’Harmattan, mais finalement dans
la série « Genre et éducation » de
la collection « Savoir et
Formation ». Cet ouvrage est une
reproduction fidèle de sa thèse,
raccourcie mais non modifiée et
ce, grâce au travail de Corinne
Monnet et Nicole Mosconi. Seule
234
une préface de Christine Delphy,
sa directrice de thèse (comme le
suggère le titre de l’ouvrage) a été
ajoutée. Elle y souligne l’originalité de cette thèse qui participe au
développement d’une psychologie
matérialiste : Léo Thiers-Vidal a
réussi à « mettre au jour [...] un
‘impensé’ : l’agentivité politique
des hommes » et à prolonger le
travail des féministes matérialistes,
en étudiant « un territoire qui n’a
que commencé à être défriché dans
les études féministes », à savoir
« l’étude des hommes [...] en tant
qu’individus genrés ». L’ouvrage
est composé de trois parties qui
chacune aurait pu être une thèse
en elle-même, mais qu’il était très
pertinent de réunir puisqu’elles
résonnent entre elles. Elles sont
liées et rendent compte du cheminement de son auteur sur le terrain peu exploré de la subjectivité
et de la conscience masculines de
domination des hommes, mélangeant de façon peu académique
mais fortement heuristique deux
régimes que lui-même identifie :
le régime d’accomplissement et
le régime de la description. En
effet, l’auteur donne « une place
spécifique à la dimension expérentielle conduisant à la production
d’une thèse », mais aussi à son
vécu tant personnel que militant,
et à une réflexivité très critique,
de façon cohérente avec l’usage
qu’il fait de l’épistémologie du
point de vue. Il rend compte des
difficultés, angoisses, et tensions
d’une analyse « incarnée » des
fondements matériels et subjec-
Notes de lecture
tifs de la position vécue de domination des hommes.
Cette thèse débute sur un
travail ‘exploratoire’ théorique,
qui permet d’identifier et d’exposer certains aspects constituant
ensemble « l’effet théorique de la
jouissance des dominants ».
L’auteur met en perspective les
analyses féministes matérialistes
– de Colette Guillaumin, Paola
Tabet, Christine Delphy et NicoleClaude Mathieu – avec celles de
quatre hommes ‘engagés’, qui
s’inscrivent dans un courant
d’analyse a priori favorable aux
thèses féministes radicales (John
Stoltenberg, Daniel Welzer-Lang,
Bob Connell et Pierre Bourdieu) :
comment traitent-elles/ils des rapports de genre et de la question
du pouvoir ? L’analyse comparative de leurs écrits met en évidence
les ‘biais’ des écrits des hommes
sur les rapports de genre ; leurs
travaux se distancient d’une analyse en termes de classe, tendent
à insister sur l’aliénation masculine, et traitent de manière
spécifique de la question de la
responsabilité des femmes dans
l’oppression de genre, en particulier au travers de l’usage des
notions d’adhésion ou de consentement féminin. Léo Thiers-Vidal
met donc en évidence une limitation épistémique structurelle
des hommes à penser les rapports
de genre et conduit à l’« identification et [à la] problématisation
de certains enjeux scientifiques et
politiques au sein de l’analyse genrée contemporaine des rapports de
Cahiers du Genre, n° 51/2011
genre », soulignant l’importance
épistémologique du standpoint
occupé par les scientifiques et
donc de l’épistémologie féministe
matérialiste.
La seconde partie prend pour
point de départ le questionnement
émergeant de la phase précédente,
à savoir la difficulté des dominants à travailler de façon critique
leurs positions et leurs pratiques
d’oppression. L’auteur cherche à
comprendre comment les chercheuses féministes matérialistes
perçoivent et analysent la subjectivité masculine en lien avec les
rapports de genre, et met à
l’épreuve théoriquement et empiriquement son hypothèse de travail :
« Les hommes sont conscients
de dominer les femmes »/« les
hommes dominent consciemment
les femmes ». À partir d’énoncés
féministes matérialistes (Delphy,
Mathieu, Guillaumin, Le Doeuff,
Tabet et Wittig), il ‘teste’ son
hypothèse, non pour la valider ou
l’invalider, mais pour montrer en
quoi celle-ci éclaire les rapports
genrés et leur étude, à l’aide
notamment de deux courants
scientifiques : l’interactionnisme
et la phénoménologie. L’auteur y
présente les quatre catégories
originales de « positionnement
éthique » des hommes (éclairées
par Anne Verjus dans son compte
rendu de thèse) : « masculinisme
explicite »,
« masculinisme
implicite », « anti-masculinisme
désincarné », « anti-masculinisme
incarné ». Il met en évidence
« l’existence d’une expertise poli-
235
tique masculine, fondée sur une
subjectivité idéelle et transgressive
/instrumentale, nourrie par un privilège épistémique et un apprentissage épistémique-politique, et
révélant un attachement conscient
à la domination ». Cette expertise
s’appuie sur l’hétérosocialisation
et l’hétérosexualisation, en
d’autres termes, l’apprentissage
d’une conscience pratique ou de
« pratiques concrètes d’exploitation et de domination ».
Enfin, Léo Thiers-Vidal présente dans la dernière partie de
son ouvrage le fruit d’un travail
empirique. Il a tenté d’explorer
l’hypothèse d’une « conscience
de domination » des hommes au
travers d’un exercice original.
Cette partie rend compte de
l’analyse (quantitative et qualitative) d’entretiens menés avec
huit hommes : quatre hommes
engagés sur la question des
rapports de genre à partir d’une
perspective matérialiste, et quatre
hommes non engagés, chacun
d’entre eux participant à deux
entretiens. Le premier entretien
était non-directif et débutait par
la question suivante : « Est-ce que
tu peux me parler de moments dans
ta vie – dans les interactions, les
relations, les contacts avec les
femmes ou les filles – où tu avais,
où tu as le sentiment d’avoir de
la chance d’être un homme ? »
L’analyse de contenu de ces interviews le conduit à identifier trois
thématiques dont il présente le
contenu et les contours : la
« chance positive » (pouvoir vivre
236
certaines choses qu’ils ne pourraient pas vivre s’ils étaient des
femmes), la « chance négative »
(ne pas avoir à vivre certaines
choses grâce au fait d’être un
homme), et la « non-chance »
d’être un homme, qu’il met en
rapport avec les deux groupes
d’hommes engagés/non-engagés.
Dans un second entretien, cette
fois-ci semi-directif, le chercheur
posait une seule question enrichie
de douze mots-clefs, formant
quatre registres de pratiques
concrètes de domination. Léo
Thiers-Vidal a invité les enquêtés
à parler des hommes concrets
qu’ils connaissent ou observent,
et notamment des actes et des
attitudes problématiques de la
part de ces hommes vis-à-vis des
femmes ou des filles. Puis ces
hommes devaient réagir à partir
de douze mots-clefs, constituant
quatre registres de comportements masculins problématiques
vis-à-vis des femmes ou des
filles : « égoïste, égocentrique ou
indifférent », « opportuniste, profiteur ou intéressé », « méprisant,
dédaigneux ou déshumanisant »,
« violent, humiliant ou méchant ».
Ceux-ci étaient annoncés ainsi :
« En pensant à ces hommes concrets, pourrais-tu me parler de
comportements vis-à-vis de femmes
ou de filles que tu qualifierais
de... ». La méthode utilisée par le
chercheur, qu’il présente de manière critique comme minimaliste,
et qui évoque les méthodes de la
psychologie sociale, est toutefois
particulièrement originale et heu-
Notes de lecture
ristique. Elle lui a permis d’identifier des nœuds de résistances des
hommes (notamment au travers de
données quantitatives : la loquacité et la productivité des hommes
sur certains thèmes), mais aussi
les contours de l’égoïsme, de
l’opportunisme, du mépris, de la
violence des hommes (qu’il présente selon quatre continuums bipôlaires) et l’impact de l’engagement des hommes quant à leur
position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination.
Marie Mathieu
Doctorante en sociologie,
CRESPPA-CSU/IRÉF-UQÀM
Natacha Chetcuti – Se dire
lesbienne. Vie de couple, sexualité,
représentation de soi
(2010). Paris, Payot « Essais », 304 p.
Alors que la visibilité gaie fut
une des conséquences de la mobilisation contre le sida, les lesbiennes, de par une domination
redoublée en tant que femmes et
en tant qu’homosexuelles, semblent
encore subir cette invisibilité, sociale mais aussi dans le monde de
la recherche. Pour cette première
raison, l’enquête de Natacha
Chetcuti fera date dans le champ
de la sociologie du genre et des
sexualités. Mais ce n’est pas la
seule raison. Les multiples angles
d’attaque de son ouvrage, que ce
soient les perspectives historiques
ou les approches biographiques,
font de Se dire lesbienne. Vie de
couple, sexualité, représentation
de soi un travail de référence.
Cahiers du Genre, n° 51/2011
La socialisation première de ses
enquêtées se faisant nécessairement
dans la « matrice hétérosexuelle »
(Judith Butler, Trouble dans le
genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, La Découverte,
2005), en se reconnaissant comme
lesbiennes, elles adoptent cette
identité marginalisée et dévalorisée,
au cours de parcours individuels
pluriels. Le processus d’autonomination de soi, comme « manière
de se dire », est un processus
délicat, passant par une nécessaire
« déshétéronormalisation », concept innovant et éclairant que
développe Chetcuti. En faisant
bon gré mal gré corps avec cette
identité stigmatisée, en s’autodésignant comme lesbiennes, elles
s’inscrivent dans une histoire des
luttes et aussi des théories.
Concernant cette histoire conceptuelle et militante, l’ouvrage
constitue aussi un rappel sur les
réflexions autour des questions de
genre, de sexualité, sur le féminisme et le lesbianisme. Ainsi, le
couple butch/fem et sa redéfinition
perpétuelle témoigne de ces réflexions et de leurs investissements
identitaires. Bien au-delà de la
simple reproduction du modèle
hétérosexuel, dans une perspective pré-queer, ce couple devient
une parodie érotique et performative de la masculinité et de la
féminité.
La découverte du désir pour une
femme va donc induire l’activation
d’un processus de déshétéronormalisation, et donc d’extraction de la pensée straight. En
237
effet, l’enquête de Chetcuti révèle
une nécessaire confrontation à la
norme, jusque-là intériorisée.
S’auto-définir comme lesbienne
impose une remise en cause de la
culture hétérosexuelle genrée.
Pour accompagner ce processus
identitaire dans un contexte social qui invisibilise cette identité,
la rencontre avec une association
de lesbiennes constitue une étape
importante. Chetcuti souligne que
ces espaces de socialisation, tout
comme la presse lesbienne, les
sites Internet, sont fondamentaux
« pour les attitudes à tenir, les représentations de genre, les pratiques sexuelles, et importants pour
une population en manque de reconnaissance de visibilité, à la recherche de modèles de référence
positifs » (p. 41), même si ces
dernières années, la figure lesbienne émerge médiatiquement
(dans la presse avec la revue La
dixième Muse, avec les séries
lesbiennes et notamment The L
Word). Ainsi, cette « spatialité
lesbienne » (p. 47) constituée par
les bars, les festivals, les associations, devient un « patrimoine de
socialisation » pour élaborer une
culture positive.
Mais cette autonomination de
soi en tant que lesbienne ne sera
achevée que lors de la rencontre
avec une autre lesbienne, qui se
définit en tant que telle. Ainsi, si
en début de parcours identitaire,
l’homosexualité est vécue par les
enquêtées elles-mêmes comme
déviante, elle peut devenir une
forme possible de libération de
Notes de lecture
238
soi (p. 67), une échappatoire au
système hétérosexuel sexe/genre,
une rupture avec une féminité
assignée. En définitive, cette
autonomination, concrétisation de
l’autonomisation par rapport à
l’hétéronormativité, permet une
(re-)subjectivation,
une
« résurrection de soi » (p. 91).
L’androgynie, permettant la neutralisation de l’apparence, est alors
perçue telle un rempart à une
position trop hétérosexualisée, une
stratégie de l’entre-deux, entre un
trop féminin collaborant avec
l’hétéronormativité et un trop
masculin, viril et symbole de la
domination masculine.
L’enquête de Chetcuti, de par
son (ses) sujet(s) d’étude, les
lesbiennes, subalternes parmi les
subalternes, montre à quel point la
sexualité, dans ses discours, ses
représentations, est à la fois un
enjeu et un instrument des rapports sociaux dans leur multiplicité, car elle les incorpore au
sens littéral et en même temps,
peut venir les déstabiliser. En
effet, l’auteure ne fait pas l’impasse sur les pratiques sexuelles
de ses enquêtées et leurs charges
symboliques et donc sociales.
Leurs pratiques sont un marqueur
de leur réflexivité et de leur remise
en cause de l’hétéronormativité.
Pour autant, demeurant des
femmes socialisées dans un contexte hétérosexué, les liens entre
affectivité, conjugalité et érotisme
restent encore fondamentaux dans
leurs pratiques sexuelles.
En effet, le couple est une des
modalités pour se dire lesbienne,
et notamment pour le coming-out.
Se dire en couple, même avec une
autre femme, permet la satisfaction de la norme conjugale,
notamment dans la sphère familiale. Cependant, la culture du
secret reste prédominante dans le
milieu professionnel. En reprenant
Sedgwick 4, Chetcuti souligne que
chaque nouvelle rencontre érige
un nouveau placard.
Enfin, en abordant les
sexualités lesbiennes, le travail de
Chetcuti révèle les nécessaires
réflexivité et redéfinition de la
sphère sexuelle. Ainsi, les lesbiennes ayant des relations précédemment hétérosexuelles se doivent de réaménager les scénarios
sexuels et notamment de repenser
la symbolique de la pénétration.
En effet, pour certaines, elle est le
signe d’une domination masculine,
elles doivent donc se distancier
par rapport à leurs expériences
hétérosexuelles pour se la réapproprier comme pratique érotique (p. 178). Une contre-culture
lesbienne liée à la sexualité est
plus visible depuis une dizaine
d’années, avec le développement
de la pornographie et du commerce
des sex toys. Elle s’est détachée
de la critique de la domination
4
Sedgwick Eve Kosofsky (2008). Épistémologie du placard. Paris, Éd. Amsterdam.
[Éd. originale (1990). Epistemology of the
Closet. Berkeley, University of California
Press]. Voir la note de lecture d’Ilana Löwy
de cet ouvrage, dans le n° 50/2011 des
Cahiers du genre, p. 219-221.
Cahiers du Genre, n° 51/2011
masculine et a mis l’accent sur la
pluralité des pratiques, déliant la
pénétration des conditions de pouvoir entre les partenaires. La tendance à l’androgynie s’exprime
aussi dans la sphère sexuelle, avec
la mise en place d’un « concert
androgyne normatif » (p. 216),
où un « genre en mouvement »
s’exprime dans les pratiques,
avec une diversification des rôles
et des positions, et donc une
dissolution de la référence hétérosexuelle du genre. Cette dissolution s’exprime notamment dans
la maîtrise du scénario sexuel.
Ainsi, au contraire des femmes
hétérosexuelles pour qui avoir
cette maîtrise signifie critiquer et
étendre le registre des pratiques
jugé trop limité des partenaires
masculins, et notamment en termes de découvertes corporelles,
pour les lesbiennes interrogées, la
maîtrise de ce scénario passe par
procurer du plaisir à sa partenaire.
Le modèle du don de soi, du faire
plaisir à l’autre se maintient par
conséquent chez les lesbiennes,
mais sans l’idée de concession et
de sentiment de dégoût telle
qu’elle peut être exprimée par les
femmes hétérosexuelles (p. 218).
De manière plus précise, être une
butch au lit signifie avoir une certaine maîtrise du scénario, et
comme priorité première de donner du plaisir à l’autre. Pour les
hétérosexuelles, maîtriser le scénario sexuel veut dire échapper
au fait d’être prise pour un objet.
Ainsi, la revendication des butchs
à ce contrôle constitue une trans-
239
gression de genre liée à une
conscience aiguë de la place des
femmes au sein de la relation
hétérosexuelle (p. 228).
En conclusion, l’enquête de
Natacha Chetcuti révèle qu’en
s’autonomisant de la norme androcentrée et hétérosexuelle de la
sexualité, les lesbiennes, dans leurs
pratiques sexuelles et donc dans
cette émancipation des corps,
procèdent à un déplacement, un
ébranlement, voire à une dissolution du genre. En définitive, en
s’autonomisant de l’hétéronormativité, elles participent à une
nécessaire dénaturalisation du
genre et de la sexualité. Chetcuti
souligne que l’hétérosexualisation
est donc bien un processus où
s’articulent genre et rapport à la
norme au plan matériel, idéel et
individuel. L’‘orientation sexuelle’
est un parcours de socialisation,
dans la norme ou en marge. Le
genre légitimé ne reste pertinent
que s’il est cohérent avec la
sexualité. Les lesbiennes rencontrées par l’auteure, de par leur
distanciation, leur déshétérosexualisation, réaffirment cette
distinction nécessaire entre genre
et sexualités, et leur cohérence
construite et artificielle.
Patricia Legouge
Doctorante en sociologie
Cultures et sociétés en Europe,
Université de Strasbourg
240
Josette Coenen-Huther – L’égalité
professionnelle entre hommes et
femmes : une gageure
(2010). Paris, L’Harmattan « Logiques
sociales », 208 p.
Dans l’ouvrage que nous propose Josette Coenen-Huther, le
titre est déjà tout un programme :
L’égalité professionnelle entre
hommes et femmes : une gageure.
En effet, une gageure, selon le
Trésor de la langue française,
est, par métonymie, une « action
étrange, opinion singulière que
seul un défi peut expliquer ». La
recherche de l’égalité professionnelle est-elle à ce point une
« action étrange » ? C’est ce que
tout l’ouvrage invite le lecteur et
la lectrice à découvrir, par des
éclairages pragmatiques à partir
de trois terrains : les États-Unis
d’Amérique, la France et la Suède.
L’exposé du cadre théorique
dans lequel l’auteure s’inscrit
occupe une place relativement
réduite, car il ne s’agit pas d’un
ouvrage théorique. Si l’auteure
précise dès l’introduction que
« c’est à l’étude des dynamiques
des rapports sociaux de sexe dans
le monde du travail que cet ouvrage
est consacré », elle ne pousse pas
beaucoup plus loin les développements conceptuels. Cela ne constitue aucunement une faiblesse de
l’ouvrage, dont le propos est avant
tout du registre de la monstration,
avec une réussite manifeste dans
cette démarche.
Celle-ci commence par la lecture des politiques publiques en
faveur de l’égalité professionnelle
Notes de lecture
dans les pays étudiés : l’auteure
rappelle les axes majeurs de ces
politiques et décline trois grandes
catégories de faiblesses qui en
limitent l’opérationnalité. La première de ces faiblesses réside dans
la difficulté qu’il peut y avoir à
faire appliquer une loi : tout
attractif qu’il soit, le principe « à
travail de valeur égale, salaire
égal » s’avère dans les faits incroyablement peu efficace pour
parvenir à l’égalité salariale dans
un contexte où la division
sexuelle du travail amène de
facto à une moindre valorisation
sociale des postes principalement
dévolus aux femmes. La seconde
faiblesse tient dans un caractère
largement décrit du gender
mainstreaming : l’accent généralement mis sur l’incitation plutôt
que sur la répression. Il s’ensuit
que nombre de dispositifs sont
tout simplement ignorés dans les
faits. Enfin, se pose toute la
question des effets des politiques
publiques, qui peuvent produire
des résultats à contre-sens de
l’intention originelle : la résistance du milieu aux effets recherchés le conduit tout simplement à
s’adapter à une orientation politique de façon à en rendre les
effets insignifiants.
Du côté des employeurs et du
monde de l’entreprise, Josette
Coenen-Huther dresse un bilan un
peu plus nuancé. Certaines politiques internes peuvent véritablement œuvrer en faveur de
l’égalité entre les hommes et les
femmes… du moment que cela
Cahiers du Genre, n° 51/2011
présente un bénéfice pour l’entreprise, notamment sur la plan de la
rentabilité. Les rares expériences
positives restent cependant limitées à quelques entreprises, principalement parmi les plus importantes en termes d’effectifs
salariés. Pour le reste, il convient
également de tenir compte du
sexisme ordinaire des employeurs
qui peut les amener à des pratiques ouvertement discriminatoires.
Une loi incite à embaucher davantage de femmes parmi les
pilotes ? Qu’à cela ne tienne. Il
suffit d’inclure une nouvelle
contrainte technique (une taille
minimale plus grande) pour rejeter automatiquement la plupart
des candidatures féminines.
L’auteure ne se perd pas dans les
exemples : ceux qu’elle choisit de
partager sont suffisamment explicites pour illustrer son propos. À
cette discrimination envers les
femmes s’ajoute une seconde
dimension que Josette CoenenHuther nomme la « surdiscrimination des mères », certaines
femmes ayant l’idée saugrenue de
s’engager dans la maternité, visiblement notoirement incompatible avec l’exercice d’une activité
professionnelle.
Il serait cependant injuste de
laisser reposer toute la responsabilité de la discrimination sur le
patronat, dans la mesure où les
salariés hommes peuvent opposer
une résistance marquée à l’égalité
avec les collègues femmes. Le
lecteur ou la lectrice peu informé·e
sera peut-être surpris de la vio-
241
lence des formes que peut prendre cette résistance : le chapitre
consacré à cette question parle
très concrètement de violences
physiques, de harcèlement, de violences sexuelles… jusqu’à uriner
contre le mur des vestiaires des
femmes... Ces comportements ne
se limitent pas aux ateliers ou aux
chantiers : les références bibliographiques renvoient aussi à
d’autres secteurs (recherche dans
la chimie, société juridique, etc.).
Enfin, le tour d’horizon des
obstacles à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes ne
serait pas complet s’il n’incluait pas
la sphère privée : les conjoints
des femmes engagées professionnellement s’avèrent dans l’ensemble « peu coopératifs ».
N’opposant pas ou peu de résistance à un modèle traditionnel d’organisation domestique peu favorable aux femmes, les conjoints
n’ont pas besoin de manifester
leur hostilité à l’investissement
professionnel de leur compagne :
il leur suffit de laisser faire. Qu’il
s’agisse des tâches domestiques
ou des relations avec les enfants,
les conjoints apparaissent, dans
leur majorité, peu concernés, en
dépit de l’existence de tel ou tel
père « totalement engagé ».
Face à l’ensemble des difficultés recensées, il importe de
tenir également compte des stratégies de résistances développées
par les femmes, qui, quels que
soient les obstacles, ont au moins
pour elles le droit au travail et à
la prétention à l’égalité profes-
242
sionnelle. Du côté de la sphère
domestique, la première réponse
des femmes assurant seules le
quotidien peut être de réduire la
voilure, de prendre un peu de
distance par rapport aux normes
établies à la mesure de femmes se
consacrant exclusivement à leur
foyer : une exigence moindre sur
la fréquence de l’époussetage ou
le rangement des jouets peut venir alléger la charge quotidienne
de travail sans remettre en cause
le caractère hospitalier du foyer.
Une autre réponse peut être de ne
plus assumer seule l’intégralité
de la charge, soit en achetant des
services, soit en impliquant les
conjoints, cette seconde voie
semblant, à en croire l’auteure,
relativement aléatoire. Enfin, ce
sont les conditions d’emploi qui
peuvent être modifiées : travail
de nuit, temps partiel, travail à
domicile… Autant d’aménagements possibles qui sont, cependant, loin d’être neutres en termes
de conséquences pour les femmes
qui s’y engagent : de la perte de
revenus aux atteintes à la santé,
les répercussions sont multiples.
Le dernier chapitre est consacré aux femmes qui sont acculées
à la rupture, soit avec le monde
professionnel, soit avec leur
conjoint. Triste façon d’achever
l’ouvrage, mais qui rend compte
de l’âpreté de la lutte et de la
justesse du mot gageure, choisi
pour qualifier l’égalité professionnelle entre hommes et femmes.
Relativement bref et très agréable
dans son traitement, l’ouvrage
Notes de lecture
de Josette Coenen-Huther se lit
d’une traite. Il s’agit d’une très
bonne introduction à la thématique, et l’envie est forte de plonger dans la bibliographie utilisée
pour en tirer toutes les richesses
dont l’auteure a si habilement su
jouer pour construire son propos.
Hervé Polesi
Doctorant en sociologie
Cultures et sociétés en Europe,
Université de Strasbourg
Beate Collet et Claudine Philippe
(eds), avec la participation de
Gabrielle Varro – MixitéS.
Variations autour d’une notion
transversale
(2008). Paris, L’Harmattan « Logiques
sociales », 286 p.
Les femmes ont certes accédé
à tous les métiers et fonctions
(sauf en France, la présidence de
la République), mais subissent les
pressions du capitalisme financier
sous forme d’emplois partiels,
flexibles, précaires, pénibles, peu
payés, délocalisés, voire à la
limite de la prostitution. Leur
arrivée dans les postes de pouvoir
est la résultante de politiques de
communication, et non le signe
d’un accès concret et proportionnel à leurs compétences à ce
niveau. Les sociologues, à la
recherche de nouveaux concepts
plus performants pour l’action, se
sont saisi·e·s alors du concept de
mixité.
En introduction de cet ouvrage
dédié à Claude Zaidman, Beate
Collet et Claudine Philippe notent
que lorsque que l’on passe du niveau descriptif au niveau analy-
Cahiers du Genre, n° 51/2011
tique, la « co-présence des deux
sexes, du mélange des catégories
sociales et ethniques constitue une
remise en cause des attributions
héritées, tant sexuées, sociales que
culturelles, qu’il s’agirait d’étudier
empiriquement dans les processus sociaux » (p. 10). Dans leur
conclusion, elles précisent que
parler de mixité signifie ne pas
invisibiliser socialement les différences.
Les auteur·e·s de MixitéS ne se
limitent pas aux recherches sur la
réappropriation du concept de
mixité dans le travail, mais observent d’autres lieux et institutions
de la vie sociale qui se métissent
(mixité, mot créé sur la base de
mixtus, mot latin qui se traduirait
par métissage, p. 241) : l’école, le
mariage, la parentalité, l’origine,
la culture, traçant les contours,
comme le souligne Claude Dubar
en postface, d’une possible
sociologie des mixités.
Les auteur·e·s souhaitent
« construire une notion [la mixité]
au-delà de ses divers emplois dans
des champs séparés » (p. 12).
Leurs apports se répartissent en
trois parties : « Ruser avec la
notion », « Proposer un autre
regard », « Consolider la transversalité de la notion ».
Dans la première partie, Claude
Zaidman, dont ce texte est hélas
le dernier 5 observe que le conte5
Rédigé au cours des derniers mois de sa
vie, ce texte est précieux à double titre : il
réalise le bilan des quinze dernières années
de recherche de Claude Zaidman ainsi qu’un
panorama de ses discussions et controverses
243
nu des politiques publiques sur la
mixité scolaire révèle une certaine régression depuis vingt ans :
la campagne sur la mixité des
métiers s’adresse aux seules filles
« pour les culpabiliser de ne pas
dépasser leurs stéréotypes » (p. 24).
Selon elle, la transgression des
orientations traditionnelles ne
profite dans tous les cas qu’aux
garçons. Même si l’avancée en
mixité « exacerbe la violence
contre les femmes », elle place
l’espoir dans cette mixité, qui « à
partir de l’école gagne d’autres
terrains ».
Denis Laforgue analyse la
construction de la non-mixité
sociale à l’école, les meilleurs
élèves étant concentrés dans des
filières d’excellence non mixtes.
Il conteste, d’une part, la posture
morale – revendiquer un principe
général de mixité, censé incarner
l’intérêt général – qui se contente
d’en appeler au sens civique des
usagers, et, d’autre part, le souhait
des professeurs qui veulent protéger leur institution et produire
une élite scolaire. Il en appelle,
pour favoriser l’élargissement des
possibles, à la co-définition d’un
monde commun entre l’institution et les familles.
Laura Cardia-Vonèche, Viviane
Gonik et Benoît Bastard décrivent le contexte changeant de la
mixité au travail, désormais soumis aux exigences de lois qui
encadrent, évaluent (à l’instar des
avec ses collègues, et il est en quelque sorte
un legs pour la suite de la réflexion sur la
mixité.
244
réflexions sur la parité) la nécessité d’une mixité mathématique,
situation de toute façon insuffisante pour obtenir l’égalité de
traitement. Elles et il observent la
persistance des ségrégations dans
l’entreprise, entre autres par les
accès différenciés aux processus
de fabrication d’un produit.
Malgré des avancées consécutives
à la coprésence des deux sexes,
certains métiers changent de sexe
lorsque la part de technicité qu’ils
nécessitent augmente, « le rapport
homme-femme se trouve réaffirmé
tout en étant constamment repensé
et reconstruit […] en maintenant
[…] une vision différenciée des
capacités des hommes et des
femmes » (p. 67).
Beate Collet et Emmanuelle
Santelli étudient la mixité sociale
et culturelle au prisme des modalités du choix conjugal des descendants d’immigrés maghrébins
et s’interrogent sur les normes
conjugales antagonistes qui parfois coexistent. Elles mettent en
doute des « mixités culturelles »
qui sont en fait des proximités
sociales. Elles en concluent, dans
une analyse de l’endogamie et de
l’homogamie, que si ces attitudes
restent spécifiques, ils « adoptent
des modalités de choix du conjoint qui se distinguent de moins
en moins de celles des Français
[descendants] de parents français ».
Claudine Philippe conclut à
l’ambiguïté des mixités qui éclairent un discours convenu sur la
progression des femmes vers des
métiers traditionnellement exer-
Notes de lecture
cés par les hommes, et met « au
jour les dispositifs officiels ou cachés qui en restreignent l’accès »
(p. 95). Par exemple, en faisant
appel à des légitimations
‘naturelles’ comme la force physique nécessaire dans les équipes
de la police. Se centrant sur
l’étude de la profession de conseillère conjugale et familiale, elle
montre comment la pénibilité des
conditions de travail et de la
faible rémunération en a chassé
les hommes. Elle considère qu’une
plus grande mixité de cette profession pourrait compenser la
position dominée des femmes.
Dans la deuxième partie,
Yvonne Guichard-Claudic propose
l’hétérogamie des jeunes couples
comme possible observatoire de
la mixité. Elle note le caractère
paradoxal et ambivalent de l’avancée vers davantage de mixité :
une société mixte suppose une
plus grande substituabilité des
rôles et des places. Or, il y aurait
un tribut à payer. Parmi les
femmes cadres et professions
intellectuelles dans un couple à
deux revenus, 40 % d’entre elles
occupent une position professionnelle supérieure à celle de leur
conjoint ; leurs unions maritales
sont hypogrames (ou hétérogames). Cette prévalence n’est
pas forcément un atout dans les
négociations conjugales pour un
partage ou une réversibilité des
rôles. Elle conclut sur la nécessité
de retracer des histoires de vie pour
analyser finement les évolutions
dans le couple.
Cahiers du Genre, n° 51/2011
La parentalité s’est mixisée
par la désinstitutionnalisation de
l’alliance : aux parents viennent
s’ajouter marâtres et parâtres ou
se substituer une mère à un père
ou l’inverse. Gérard Neyrand
observe que « dans la survie de
l’enfant il y a du parental neutre
engagé » (p. 142). Il décrit la
remise en question des stéréotypes
sexuels et sociaux à l’œuvre dans
les attributions parentales qui permettent aux références parentales
d’être mixtes. Il en appelle à « la
dominance d’une logique de recomposition de l’ordre social qui
préserve l’idéal d’égalité et de
liberté de la démocratie, en intégrant la gestion sociale de la
différence des sexes, et plus largement des autres différences ayant
à voir avec la conjugalité ou la
parentalité, à travers une approche
nouvelle de la mixité » (p. 148).
Marina Coll, après avoir décrit
l’évolution de l’usage du mot
‘race’, recherche ses traces dans
les discours de couples mixtes
métro-antillais. Si la notion de
race a été réfutée scientifiquement, elle considère qu’elle est
encore socialement significative.
Les conjointes métropolitaines
raisonnent en termes de différences culturelles alors que leurs
conjoints Antillais utilisent le
concept de différence de races, et
le définissent autour de l’opposition Noir/Blanc, la race « devient
une possibilité de distinguer entre
nous et les autres », une catégorisation sociale qui deviendrait
« un facteur discriminant lorsqu’on
245
est en minorité, voire en situation
de dominé » (p. 166).
L’approche de la tsiganéité par
Lamia Missaoui est très percutante, paradygme selon elle du
processus de métissage à l’œuvre
dans nos villes, qui « déplace les
frontières de l’altérité » et autorise la multi-appartenance. Elle
parle de « contrebandiers de
l’altérité » pour ceux et celles qui
décident d’être à la fois dedans et
dehors, étrangers de l’intérieur,
qui brouillent et transforment les
repères sociétaux, et « n’adhèrent
pas aux postures favorables à
l’intégration ». Elle conclut son
propos sur une mixité pratique
qui débouche sur un métissage
des pratiques.
Jean-Paul Payet déplore que le
champ sociologique refuse de
réfléchir à l’altérité lorsque cela
excède le champ des classes sociales. Il pose la question de la
différence culturelle et interroge à
cette aune le concept de mixité,
notion qui, selon lui, est déconflictualisée, et présuppose une
pureté qui va être mixée. De surcroît, la mixité est invoquée pour
mixiser les quartiers pauvres :
« Quelle politique entendrait introduire une mixité sociale réelle dans
les ‘beaux quartiers’ ? » (p. 196).
Dans les quartiers ségrégués, c’est
un discours qui disqualifie les
populations. Il conclut que « la
mixité serait au fond un discours
républicain à usage des pauvres,
un républicanisme pour les pauvres […] ‘alchimie morale’ [qui
sert] à légitimer la place du
Notes de lecture
246
majoritaire et à insécuriser le
minoritaire » (p. 197-8). Enfin, il
pose deux questions importantes :
s’agit-il de mixer des individus ou
des groupes ? S’agit-il de pluraliser ou d’indifférencier ?
Dans la troisième partie,
Gabrielle Varro propose de remplacer les notions qui expriment
l’origine par la mixité, dans une
forme de refus de dire sa provenance, un acte de résistance. Or,
selon elle, on serait confronté à
l’inverse : une re-ethnicisation de
l’étranger par lui-même. La mixité
est, pour elle, « une visée, un processus, une qualité (ou une valeur)
qui n’existe que dans le rapport
entre sujet ».
Ce terme de mixité n’est pas
stabilisé, il prend des sens différents en fonction des champs dans
lesquels il est convoqué comme
opérateur de la pensée. Les
articles, qui s’appuient sur de nombreuses recherches empiriques et
une bibliographie commune, sont
fort bien écrits, et les propos
passionnants des auteur·e·s sont
soutenus par la synthèse qui en
est effectuée en fin d’ouvrage.
Hélène Yvonne Meynaud
Sociologue,
chercheure associée au CRESPPA-GTM
Eleni Varikas – Les rebuts du
monde. Figures du paria
(2007). Paris, Stock, 210 p.
Eleni Varikas entreprend, avec
ce livre, de conceptualiser ce qui
lie les différents groupes opprimés,
ostracisés, construits comme
‘autres’ et inférieurs pas les
dominants. Et en particulier, les
groupes rejetés hors des droits
universels proclamés par les
Lumières et fondant depuis lors
les démocraties occidentales. C’est
l’étude approfondie, multidimensionnelle, et transdisciplinaire du
(des) paria(s) comme notion,
métaphore, figure littéraire, concept sociologique et politique, processus historique, réalité vécue et
analysée… qui rend possible la
mise au jour d’une logique politique commune des oppressions
par-delà la spécificité historique
et sociale de chaque processus.
L’apparition du terme paria est
lié au colonialisme. Il remonte
aux conquistadores portugais au
XVI e siècle, puis entre dans le
vocabulaire anglais au début du
XVII e avec l’installation de la
Compagnie anglaise des Indes
orientales. Le terme est issu du mot
indien parayer qui nomme en fait
la caste des joueurs de tambour
fournissant les domestiques aux
colons et non pas les intouchables,
ou les hors caste, à propos desquels il va être employé par les
colonisateurs. « Du XVIe au XVIIIe
siècle, le mot ‘paria’, et la réalité
qu’il désigne – tout autant qu’il
reconstitue – circulent dans les
cercles cultivés portugais, anglais,
français, allemands, hollandais,
scandinaves au gré des déplacements de militaires, fonctionnaires
impériaux, religieux, missionnaires
et savants », avec le sens de caste
ou race impure, vile, ignoble
(p. 20).
Cahiers du Genre, n° 51/2011
Si l’Angleterre, la France (et
d’autre pays européens) « partagent une vision réductrice de la
société et des cultures indiennes »
limitée à l’hindouisme abordé du
point de vue des brahmanes, la
perception de la hiérarchie de
castes, et le sens et les usages de
la notion de paria se sont différenciés en relation avec l’histoire
des empires. L’Angleterre, qui
règne à peu près exclusivement
sur l’Inde à partir de la deuxième
moitié du XVIIIe siècle, développe une conception du système de
castes anhistorique, rigide, immobile et d’une altérité radicale, justifiant une administration coloniale despotique et militariste qui
réorganise la hiérarchie sociale en
ce sens et met hors la loi des
sous-castes ‘parias’. En France,
le discours des Lumières adopte
« la perspective (imaginée) de
l’intouchable » pour développer,
au nom d’une exigence de justice,
une critique de la hiérarchie de
castes et la transférer aux hiérarchies des sociétés occidentales
d’Ancien Régime, puis modernes.
Ici s’élabore « le processus de
métaphorisation qui fera du
paria une figure de la modernité
occidentale ».
« C’est, en effet, au moment où
le concept d’humanité fait son
entrée triomphante comme horizon de l’universalité des droits
que la figure du paria s’introduit
dans le langage politique de la
Révolution pour énoncer la perplexité ou l’indignation face à la
difficulté d’y inclure à part entière
247
certains individus ou groupes. »
(p. 34) Sont ainsi dénoncés
l’exclusion des juifs (Zalkind
Hourwitz, 1789), des femmes
(Mary Wollstonecraft, 1791), des
domestiques (Anacharsis Cloots,
1792). Dans la littérature, le
théâtre, l’opéra, la presse, se développe un imaginaire du paria
protéiforme, « propre à revêtir
les formes de subjectivité les plus
diverses, à nommer les rapports
d’oppression, d’inégalité et d’exclusion les plus différents » (p. 35).
L’auteure explore alors un vaste
corpus de textes tant littéraires
que philosophiques et politiques
dans lesquels se déploient les figures du paria qualifiant de multiples situations sociohistoriques
hétérogènes. C’est la polysémie,
la plasticité des figures du paria
décrivant les intouchables, les
esclaves, les femmes, les noir(e)s,
les juifs qui intéressent l’auteure
par leur potentiel heuristique et
politique.
L’usage du terme paria s’étend
et s’éloigne du sens premier de
caste d’intouchables, néanmoins
ce sens demeure comme référence
métaphorique – et non comme
définition idéaltypique par rapport
à laquelle il s’agirait de situer
toutes les autres configurations.
La figure du paria permet de
penser métaphoriquement, de
« voir le semblable malgré la
différence ». « Elle fournit… le
moyen de ‘redécrire’ à coup de
parallèles une réalité sociale supposée aux antipodes du système
de castes, en inventant un ordre
248
logique qui fait émerger les ressemblances entre ce système et
les sociétés ‘égalitaires’ » (p. 89).
Les métaphores permettent de
penser ce qu’on ne peut exprimer
sous forme de concepts, ou de
dire plus que le concept. Ainsi,
« c’est quand le concept de classe
ouvrière ne parvient pas à penser
toute la réalité de la classe – disons celle des travailleurs immigrés ou colonisés – que la figure
du paria surgit » chez Simone
Weil, dont Eleni Varikas cite un
long passage de La condition
ouvrière, écrit à l’époque du
Front populaire. Cette figure fait
apparaître ceux que le concept, prétendument universel, mais aveugle au fait colonial, invisibilise.
Quelle est la logique politique
et sociale des processus de stigmatisation et de différenciation
hiérarchique des groupes paria
modernes ? Elle se caractérise par
la contradiction entre les droits
universels qui fondent la loi générale à laquelle tous sont soumis et
des lois spécifiques, limitant par
exemple l’accès à l’éducation,
aux professions ; elle implique
des interdits, des rituels, et des
« barrières invisibles » (préjugés
religieux, racistes…) qui construisent certains groupes comme
différents et inférieurs. Le statut
« dedans – dehors » (notion reprise
par l’auteure de Max Weber) est
ainsi constitutif du paria moderne
et particulièrement du paria
émancipé.
Le processus de stigmatisation
définit le paria comme membre
Notes de lecture
d’un groupe homogène. Il est juif,
tsigane, femme, musulman… Son
appartenance à la commune humanité et sa singularité d’être humain concret sont niés. En même
temps, le caractère social et politique du marquage est invisibilisé
par la naturalisation des catégories
paria et des oppositions binaires
hiérarchiques : hommes/femmes,
blancs/noirs, aryens/juifs, etc. On
appartient par naissance à un
groupe naturellement et culturellement différent. Le positivisme et
le scientisme, devenus hégémoniques au XIXe siècle, fournissent
une légitimation déterministe à
ces différences.
La discrimination reste implicite. En témoigne « l’extrême
difficulté… des traditions critiques
de la modernité à comprendre et
à dénoncer la dynamique propre
au sexisme, au racisme et à la
xénophobie… » (p. 137).
« Sortir de l’implicite passe
alors [pour le groupe paria] par
la demande d’une ‘mention particulière’ qui vise à confirmer la
validité des droits universels à son
égard, mais qui, paradoxalement,
ne rend l’exclusion du paria visible que par l’irruption du particulier dans la généralité de la
loi. » (ibid.) Ce paradoxe est
inscrit dans l’émancipation de
groupes infériorisés. Elle confère
« l’égalité sous forme de privilège »,
ce qui peut être perçu comme
inacceptable. Selon Hannah Arendt,
ce paradoxe a eu des « effets
durables sur le développement de
l’antisémitisme moderne » (p. 123).
Cahiers du Genre, n° 51/2011
L’action positive, la parité, les
quotas seraient les derniers avatars de « l’égalité sous forme de
privilège ». Et cependant, nommer
le paria, revendiquer la reconnaissance de son oppression est une
stratégie nécessaire pour lutter
contre son invisibilisation par les
dominants.
Une autre invisibilité est produite par la disjonction qu’opèrent les sciences sociales entre
l’étude de la démocratie moderne
et celle de l’esclavage et de la
colonisation qui lui sont consubstantiels. Ainsi Tocqueville
« fournit un des premiers exemples de cette disjonction quand il
traite l’esclavage et le sort réservé
aux Indiens d’Amérique comme
des sujets à part ou annexes qui
n’interviennent pas dans son analyse de la démocratie et du rapport liberté/égalité qui la soustend » (p. 141).
Après l’émancipation, lorsque
les barrières matérielles du ghetto
sont remplacées par le mur
invisible « entre le Juif et ceux au
milieu desquels il vit » (Bernard
Lazare, cité p. 145), ou que « les
bornes de la plantation sont
remplacées par la color line »,
instituant l’apartheid américain,
le paria se voit à travers le regard
de l’autre comme appartenant au
groupe infériorisé en même temps
qu’il aspire à participer du monde
de l’autre, du monde commun.
W.E.B. Du Bois développe dans
Les âmes du peuple noir la notion
de double conscience. « La double
conscience reformule et explore
249
[…] des dilemmes auxquels sont
exposés les parias qui, privés de
moyens de participer à part entière à une humanité universelle
définie à leurs dépens, sont individuellement appelés à ‘choisir’
entre l’exclusion et l’assimilation »
(p. 146).
Eleni Varikas explore longuement la problématique de la
double conscience à travers de
multiples exemples du « jeu
complexe des identités » et des
positionnements, de l’invention
continue de soi et des négociations avec les assignations et les
traditions. À travers aussi des
textes de Hannah Arendt à
Friedrich Nietzsche, de Mme de
Staël à Virginia Woolf ou à
Ralph Ellison. Pour finir, se tenir
entre deux mondes, n’adhérer ni
à l’un ni à l’autre permet de
penser et de dire la violence de la
relation entre eux. Et aussi
d’imaginer d’autres possibles.
Les révoltes paria, les revendications d’une dignité et d’un
honneur paria se traduisent souvent par une inversion des valeurs
par laquelle ce qui fait l’objet du
rejet et du mépris devient la marque d’une élection. Peuvent se
développer une « religiosité du
salut », la croyance en une instance divine « qui donne un sens
à la situation des parias par la
promesse d’une rétribution juste
‘dans l’avenir ou l’au-delà’
(Weber) » (p. 163), ou bien un
messianisme séculier. Le peuple
élu, le prolétariat, les femmes sont
investis de la mission de sauver
250
l’humanité. Le thème de « la
femme sauveur » se développe dans
la deuxième moitié du XIXe siècle
chez les saint-simoniennes, et
dans le romantisme, notamment.
Victimes du monde, tenus à
l’écart de la société et du pouvoir,
les parias affirment porter « la
responsabilité éthique de la rédemption du monde » (p. 171).
« La mise à l’écart du paria ouvre
une perspective critique qui, en
raison même de sa distance peut
englober dans son regard lucide
l’ensemble des rapports sociaux
injustes. » Lorsque le paria met
en œuvre une « capacité à transformer la distance critique en un
regard télescopique sur le monde,
projeté au-delà de sa propre
libération », une « ‘passion pour la
justice’ qui empêche de prendre
sa propre cause pour la cause
prioritaire ou universelle » (p. 174),
alors il devient un « paria
rebelle », selon le concept
d’Arendt. Au rang des parias
rebelles, Eleni Varikas cite Phillis
Wheatley, esclave et poétesse,
Olaudah Equiano, ancien esclave
Notes de lecture
et militant du mouvement
abolitionniste britannique, tous
deux ayant vécu au XVIIIe siècle,
et Missak Manouchian, rescapé du
génocide arménien et dirigeant
du réseau de résistance FTP-MOI.
Et ceux qui constituent la
« tradition rebelle », qui ont
développé la critique, l’utopie
humaniste, « une conception
véritablement universelle de
l’humanité » fondée « sur le
respect de la diversité et de la
pluralité constitutives du genre
humain » (p. 181) apparaissent au
fil des pages de ce livre et des
textes littéraires ou théoriques
des auteurs tels que W.E.B. Du
Bois, Hannah Arendt, Walter
Benjamin, Virginia Woolf, Viola
Klein, Zygmunt Bauman, ou
encore Phillis Wheatley et Zahia
Rahmani, figures émouvantes et
fortes de parias rebelles, qui respectivement ouvrent et ferment
l’ouvrage.
Danielle Chabaud-Rychter
Sociologue
CRESPPA-GTM