Quitter le plein écran
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Qu’est-ce que le réalisme ? Découvrir ce qu’est le réalisme par l’image et le son : de l’impression à l’interprétation, de l’invention à l’argumentation. Virginie Jacquart, lycée Henri Darras de Liévin, académie de Lille Niveaux et entrées du programme Numérique et projet d’enseignement Supports exploités Objectifs littéraires et culturels Niveau 2nde Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : réalisme et naturalisme Démarche transférable à d’autres objets d’étude ou niveaux Rendre les élèves conscients de -et confiants en- l’intelligence de leurs émotions face à l’œuvre d’art grâce à la médiation du numérique, opérant la distanciation nécessaire à l’analyse. - support 1 : Homme et femme contemplant la lune, Friedrich - support 2 : Un enterrement à Ornans, Courbet - support 3 : enregistrements des élèves - support 4 : incipit de Thérèse Raquin - objectif 1 : la perception de la manière dont « l’esthétique réaliste concerne plusieurs formes d’expression artistiques et traverse tout le XIXe », et plus particulièrement « la façon dont les arts visuels, notamment, ont introduit la réalité quotidienne dans le champ de l’art et déterminé des choix esthétiques qui entrent en résonance avec l’évolution du genre romanesque » qu’ils ont contribué à informer. - objectif 2 : « le développement d’une conscience esthétique permettant d’apprécier les œuvres, d’analyser l’émotion qu’elles procurent et d’en rendre compte à l’écrit comme à l’oral » - objectif 3 : l’emploi de la langue « comme instrument privilégié de la pensée, moyen d’exprimer ses sentiments et ses idées, lieu d’exercice de sa créativité et de son imagination » - compétence 1 : avoir des repères esthétiques et se forger des critères d’analyse, d’appréciation et de jugement, d’un domaine artistique à l’autre - compétence 2 : connaître la nature et le fonctionnement des medias numériques, et les règles qui en régissent l’usage - ressource 1 : logiciel Audacity, salle pupitre - ressource 2 : moteurs de recherche - ressource 3 : vidéoprojecteur Compétences exercées Ressources numériques et outils informatiques mobilisés 1. étape 1 : devenir Homme (ou) Femme contemplant la lune 2. étape 2 : audio-décrire Un enterrement à Ornans Les étapes du projet 3. étape 3 : écoute et analyse des enregistrements 4. étape 4 : analyse et interprétation des tableaux de Friedrich et Courbet 5. étape 5 : analyse de l’incipit de Thérèse Raquin Contexte de l’activité : Dans une mini-séquence, précédant puis alternant avec l’étude de Thérèse Raquin, il s’agit de cerner la notion de « réalisme ». Lors de la première mise en œuvre de la séquence, l’analyse comparative des tableaux de Friedrich et Courbet se déroule sur une seule séance. Elle vise à dégager les principales caractéristiques du réalisme (vs le romantisme), ses enjeux, pour comprendre la réception de l’œuvre à travers différentes critiques, comparable à celle de Thérèse Raquin. Lors des trois séances suivantes, de module se déroulant sous forme de T.D. permettant de travailler l’écrit de commentaire, il s’agit de : - définir plus précisément le « réalisme » en littérature, saisir la complexité de la dénomination et de la démarche à partir d’un corpus de textes où les écrivains tentent de cerner cette notion - comprendre le rôle du positivisme et de la démarche expérimentale - mettre en regard la théorie et les écrits littéraires, en procédant à l’analyse d’extraits caractéristiques de l’esthétique réaliste et de la démarche naturaliste. Pourquoi recourir au numérique ? La première séance risque de tourner au cours magistral face à une classe très faible, composée d’élèves qui s’expriment peu pour diverses raisons (grandes difficultés scolaires, psychologiques, relationnelles…), « déconnectés de leurs émotions » selon l’infirmière et généralement très attentistes. Il s’agit de passer: - par l’invention pour libérer l’expression (enregistrée) des impressions - par l’enregistrement introduire une forme de dépersonnalisation et une distanciation nécessaires à l’analyse. Séance Objectifs : - inviter à une autre démarche d’investigation des tableaux, plus inductive et créative - amener chacun à s’exprimer dans un oral d’invention, sans enjeu et sans public - provoquer l’implication des élèves en faisant appel à leur sensibilité et leur subjectivité. 1 Devenir Homme (ou) femme contemplant la lune Placés devant Homme et Femme contemplant la lune, les élèves ont pour consigne, sans préparation écrite préalable, d’imaginer au choix : le dialogue du couple, ou les pensées intérieures de l’un des personnages. Cf fichiers son 1,2 et3. Les élèves sont confrontés à : - un premier obstacle d’ordre technique : la découverte de l’outil (et les dysfonctionnements matériels en salle pupitre) ne permet pas à tous d’achever leur production en une heure - leur propre réticence à s’exprimer sans support : dans les deux groupes, certains ne peuvent s’empêcher d’écrire en dépit des consignes données - la difficulté supplémentaire de l’invention en interaction pour les binômes. Séance L’activité conduit à un travail sur les niveaux de langue : les élèves recherchent l’expression ou le mot adéquat et procèdent instinctivement à de nombreuses translations du registre familier au registre soutenu. Au fil de la séance, certains gagnent en confiance et comme ils savent qu’ils peuvent effacer, s’autorisent une liberté avant de le faire « sérieusement », certains conservent la trace des fantaisies qu’ils se sont accordées. Pour tous la parole se libère, est plus fluide et les binômes s’accordent peu à peu. A la fin de la séance, rares sont les élèves satisfaits de leur travail, ils veulent y revenir. 2 Audio-décrire Un enterrement à Ornans Placés devant L’enterrement à Ornans les élèves ont pour consigne, sans préparation écrite préalable de rendre le tableau sensible à quelqu’un qui ne l’a jamais vu par tous les moyens sonores dont ils disposent, à la manière de l’audiodescription pour les aveugles (paroles prononcées par les personnages, bruits entendus, actions des uns et des autres, lieu, temps, couleurs…). Cf fichiers son 3, 4 et 5. Une bonne moitié de chaque groupe se met au travail avec enthousiasme et certains élèves sont très organisés (recherche des fonds sonores, insertion de paroles de personnages, ajout d’une voix off de commentaire). L’autre moitié a besoin de se voir expliquer la consigne (par d’autres élèves, par moi) et certains (5ou 6) ne voient toujours pas comment s’y prendre. L’explication débouche sur une mise au point improvisée : qu’est-ce que l’audiodescription ? Quasiment tous les élèves ont terminé leur production en fin d’heure. NB : Une heure supplémentaire est accordée, à la demande de l’ensemble de la classe, pour permettre à certains groupes d’achever leur première productions et aux autres de peaufiner la deuxième. Ils s’écoutent avec plaisir. Lors de cette ultime séance d’enregistrements, ceux qui ont fini aident systématiquement ceux qui ont besoin de précisions techniques. Un retour écrit sur leur production orale est demandé, travail personnel qui consiste à transcrire leurs enregistrements, puis apporter les corrections syntaxiques et lexicales nécessaires à la cohérence de leur propos. étape 2’ Qu’est-ce que l’audiodescription ? séance Etape non prévue. En salle info, avec les 4 ou 5 élèves, sur le poste prof, utilisation des moteurs de recherche pour trouver une mise en œuvre « éclairante » de l’audiodescription : sur You tube, les 2 premières minutes de Noces Funèbres de Tim Burton. Les élèves écoutent sans l’image puis décrivent ce qu’ils ont imaginé. Les perceptions sont très diverses : atmosphère heureuse (papillon, verdure ?, « noces »...) vs triste (ville grise, musique, « horrible journée »). Ils visionnent ensuite l’extrait avec le son, sont surpris car cela ne correspond pas à ce qu’ils se figuraient mais s’accordent à dire que le texte colle aux images : le principe de l’exercice est compris. Ils prennent la mesure de la subjectivité de la représentation mentale et réalisent que les productions sonores réalisées à partir des tableaux varieront autant entre elles que les représentations qu’ils s’étaient faites à partir de la bande-son. 3 Ecoute et analyse des enregistrements Seuls les élèves qui le souhaitent sont invités à faire écouter leurs enregistrements en classe entière, et au final, tous (un refus sur un monologue inspiré par le tableau de Friedrich + ceux des absents exceptés) sont écoutés, commentés et critiqués, tableau par tableau. Pour chaque enregistrement, des mises au point sont effectuées, notamment sur les clichés erronés qui sous-tendent certains dialogues, non sans rappeler les échanges d’Emma et Léon dans Madame Bovary. Les enregistrements réalisés à propos de Courbet donnent l’occasion de rappels narratologiques concernant les points de vue. L’analyse comparée permet de mettre en évidence le prosaïsme des bruits et des paroles, la banalité des émotions…de l’enterrement dans ses dimensions les plus triviales en contrepoint de l’idéalisation à l’œuvre dans les paroles ou les pensées du couple. Friedrich Qui ? Un homme et une femme, souvent un couple qui s'aime. Quoi ? Ils se promènent, regardent le paysage et le commentent (la lune, l'arbre, le ciel, Dieu…), ont une discussion (sujet agréable : amour, avenir, belles idées, demande en mariage … ou plus sérieux : séparation, aveux de meurtre) ou pensent sans parler. Comment ? Doux, paisible, langage soutenu, calme. Pourquoi ? en accord avec le paysage reposant, romantique. Atmosphère : légère, douce, apaisante, irréelle, idéale un rêve, une idylle Courbet Qui ? Un groupe de personnes, un chien, un prêtre, le défunt, des femmes. Quoi ? Un enterrement, des cloches, aboiements, vent, discours religieux, adieux. Où ? À Ornans, un village, au cimetière, par un jour sombre Comment ? Avec des pleurs, bruits sombres, mouvement de foule, paroles des uns et des autres (plus ou moins chagrinées), banalités, odeurs d’alcool et reniflements, Atmosphère : sombre, triste. La scène correspond à la réalité d'un enterrement, un rassemblement autour d’un trou creusé dans la terre, on voit même un crâne. Conclusion : les deux scènes s'opposent, le bonheur / le malheur, le rêve merveilleux / la réalité. séance N.B. : la conclusion à laquelle parviennent les élèves est trop thématique et de fait appelée par le choix-même des tableaux. Il eut été en effet plus pertinent de proposer deux représentations d’un même sujet, l’enterrement permettant d’éviter l’écueil des clichés réducteurs du romantisme. Ainsi, soumettre aux élèves Atala au tombeau (dit aussi Funérailles d’Atala) en regard d’Un enterrement à Ornans permet de recentrer leur analyse des élèves sur l’implication des choix respectivement opérés dans l’œuvre (considérée comme) romantique de Girodet et la toile réaliste de Courbet, des Funérailles d’Atala à Un enterrement à Ornans, d’une inspiration littéraire à un sujet quotidien. D’emblée, les élèves sont amenés à s’engager plus spécifiquement dans la réflexion d’ordre esthétique attendue, dans l’activité d’invention comme d’interprétation. La consigne deviendrait donc d’imaginer le dialogue entre les deux personnages enserrant la morte, ou les pensées intérieures de l’un d’eux. 4 Analyse et interprétation des tableaux En groupe, les élèves procèdent à une analyse négociée des tableaux, guidée par un questionnaire L’analyse est rapide : les élèves sont impliqués dans l’activité, les détails des tableaux sont connus (pas besoin d’utiliser PhotoFiltre, à peine si les élèves regardent les reproductions projetées). L’essentiel est perçu et interprété, sauf la grande taille du tableau de Courbet, simplement relevée et la dimension symbolique de l’arbre, d’ailleurs délaissé par les analyses, dans le tableau de Friedrich. Un membre de chaque groupe expose et développe un point du questionnaire, et les échanges s’engagent spontanément. Des compléments sont apportés chaque fois que nécessaires (lettre de Champfleury à Sand, recherche et projection autres tableaux réalistes, mythologiques, historiques…). Des extraits de « La place du mort », analyse d’Alain Jaubert diffusée dans la série Palettes à propos du tableau de Courbet, sont diffusés et écoutés attentivement par les élèves, qui disent n’apprendre rien de plus. La séance aboutit à une définition du réalisme en peinture. Les élèves sont invités à répondre brièvement par écrit à cette question : pensez-vous que l’activité d’audiodescription vous a été utile ? Si non, pourquoi ? Si oui, en quoi ? Sur les 23 élèves présents avant les vacances d’hiver, 5 trouvent que l’oral d’invention ne leur a rien apporté contre 18 qui disent en tirer un bénéfice : - 8 pour mieux « voir » les tableaux et être capable de les commenter - 6 pour développer leur créativité - 3 pour s’exprimer à l’oral et argumenter leur propos - 1 pour souligner la gratification permise par l’outil numérique (l’élève est dyslexique). Cf Avis d’élèves 1, 2, 3 et 4. séance On peut alors demander un second retour écrit aux élèves sur l’enregistrement inspiré par le tableau de Friedrich. Dans trois colonnes, ils doivent lister puis justifier leur choix de mise en œuvre, révélatrices de conceptions erronées ou réductrices du romantisme et éventuellement proposer des modifications. Une recherche personnelle complémentaire sur le romantisme interviendrait opportunément entre la deuxième et la troisième étape. Le même travail peut être proposé à propos du deuxième enregistrement ultérieurement dans la séquence, quand les élèves auront avancé dans la découverte du réalisme, éventuellement à titre d’évaluation des connaissances. 5 Analyse de l’incipit de Thérèse Raquin Pour évaluer l’efficacité des multiples détours effectués pour affronter l’œuvre littéraire, les élèves ont à répondre en devoir surveillé à la question suivante : « En quoi l’incipit de Thérèse Raquin est-il réaliste ? » La consigne leur demande dans un premier temps une réponse non rédigée, correspondant à l’étape de brouillon (au moins deux axes de réponse, étayés chacun de citations analysées) afin d’évaluer uniquement le transfert des connaissances acquises dans l’analyse et ne pas pénaliser les élèves en difficulté à l’écrit. Dans un second temps, ils ont à rédiger ces notes et passer à l’écriture de commentaire. Ce devoir prépare la lecture analytique (dont la problématique pourrait être : un incipit réaliste ou symbolique ?) menée dans le cadre de l’étude de l’œuvre intégrale. La première partie est bien réussie dans l’ensemble. La quasi-totalité des élèves est capable de repérer et analyser, de façon plus ou moins justifiée et aboutie la « réalité » de la description, qui donne à voir la laideur des lieux sans embellissement. La majorité perçoit l’ « effet de réel » produit par les noms propres de lieux parisiens. Une moitié relève la précision descriptive dans la situation spatiale et/ou temporelle. Une élève analyse même la dimension symbolique de la description. Seuls 5 élèves se contentent de paraphraser le texte sans analyse (« Le texte est réaliste parce qu’il y a… » suivi d’une juxtaposition de citations). La seconde partie de l’évaluation est beaucoup moins satisfaisante, car elle sanctionne des compétences d’écriture non acquises chez ces élèves de 2nde, rappelons-le, en grande difficulté scolaire. Cf copies 1, 2, 3 et 4. BILAN DES USAGES DU NUMERIQUE Intérêt et enjeux de l’exploitation du numérique L’utilisation d’un media familier, même s’il n’est pas maîtrisé, dédramatise la prise de parole et ouvre aux « empêchés » un espace d’expression moins intimidant. En libérant la prise de parole, l’outil encourage la créativité. Les élèves prennent confiance dans la profération spontanée d’une parole (élaborée en quasi simultanéité avec la pensée) car ils la savent perfectible. L’activité est de plus gratifiante car la progression est immédiatement mesurée au fil des enregistrements. Ils perçoivent l’intérêt de l’outil numérique dans la maîtrise de l’expression orale et maîtrisent tous le logiciel à l’issue de l’activité proposée. Certains perçoivent clairement que parler ne consiste pas à transcrire la pensée mais bien à la construire et l’élaborer. Les acquis sont mieux fixés car les supports et les contenus ont été « manipulés » : vus, puis formulés et entendus, pour finir par être mis en application. Effets sur la gestion de classe On relève une implication indéniable liée à la volonté d’enregistrer une version ultime de qualité et au plaisir d’une activité ludique et qui offre liberté (semi contrainte) d’expression Paradoxalement, l’activité plutôt individuelle a suscité la collaboration concernant les manipulations techniques, mais aussi le contenu des enregistrements (recherche d’un mot, du bruit …juste) Les élèves sont toujours actifs : dans l’invention (qui participe d’une analyse préalable non identifiée par les élèves), la construction et la justification des interprétations La variété des activités et des supports soutiennent l’attention : les élèves passent successivement d’une confrontation à l’œuvre picturale, à l’invention orale, à l’interprétation des productions orales pour en finir par un retour analytique à l’œuvre picturale, puis littéraire. Les séances invitent à un élargissement et une confrontation (de ses propres impressions à leur expression et leur analyse, de son opinion à celle des autres, d’œuvres de genres différents) féconds pour l’analyse en particulier littéraire. Ecueils à éviter Les activités d’enregistrement sont chronophages et les productions restent parfois décevantes pour les élèves, mais si l’objectif est atteint, il est inutile d’améliorer leur enregistrement pour un bénéfice nul en matière d’apprentissage. Céder à la demande insistante des élèves d’écrire pour lire et « mieux parler », bien qu’ils sachent que l’intérêt de l’activité réside aussi dans l’expression et non la lecture.