Signification Taton - Unité de droit judiciaire

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La sanction différenciée des vices de signification dans la jurisprudence récente de la
Cour de cassation
Depuis juin 2001, la jurisprudence de la Cour de cassation témoigne d’une appréciation sévère de tous
les vices ou abus affectant la signification d’un jugement ou d’un arrêt, mais d’une appréciation souple
des vices affectant la signification d’un acte introductif d’instance.
1.
Les citations, les pourvois en cassation et les décisions des juges notamment font l’objet de significations, les deux premières en vue d’introduire une instance, les dernières dans un but d’exécuter la décision ou de faire courir le délai prévu pour former la voie de recours qui est ouverte contre celle-ci. « Quels
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que soient la nature ou l’objet de l’acte à signifier, le procédé de la signification est le même » ( ).
En règle, les sanctions des vices de signification s’appliquent également de manière identique à toutes les
significations, puisqu’aucune disposition du Code judiciaire n’établit de différence à ce niveau.
2.
Cependant, l’examen de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière démontre que depuis juin 2001 (2), la Cour adopte une approche différente dans la sanction des vices de signification, selon
que les irrégularités concernent des actes introductifs d’instance ou des décisions judiciaires.
3.
En matière de signification d’actes introductifs, la Cour de cassation adopte une approche plutôt
souple, dans laquelle elle admet que les vices de signification peuvent être couverts sur pied de l’article 867
du Code judiciaire.
Certes, le pourvoi est déclaré irrecevable lorsqu’il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir
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égard que la signification a eu lieu ( ).
Par contre, le pourvoi qui est signifié au procureur du Roi alors que le défendeur en cassation disposait d’un
domicile en Belgique (violation de l’article 40 du Code judiciaire), est recevable lorsque le défendeur a déposé un mémoire en réponse dans le délai légal, de sorte que la signification du pourvoi, fût-elle irrégulière
dans la forme, a atteint le but que la loi lui assigne (application de l’article 867 du même code) (4).
De même, la citation qui est signifiée à l’ancien domicile du défendeur et qui y est remise à son frère (violation des articles 33 et 35 du Code judiciaire), n’est pas nulle lorsque ce défendeur a fait défaut pour des rai5
sons étrangères à l’irrégularité de la citation (application de l’article 867 du même code) ( ).
1
Conclusions de l’avocat général T. W erquin, avant Cass., 19 avril 2002, C.01.0218.F.
2
Dans un arrêt du 27 mars 2001, la Cour de cassation considérait encore qu’un pourvoi sur l’action civile était irrecevable lorsqu’il
avait été signifié à l’étranger conformément à la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 et non conformément à l’article 40 du
Code judiciaire (Cass., 27 mars 2001, P.99.0956.N).
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Cass., 24 septembre 2008, P.08.0169.F ; Cass., 29 novembre 2004, S.04.0116.F.
4
Cass., 7 juin 2001, C.99.0496.F.
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Cass., 18 décembre 2003, C.01.0150.N.
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Enfin, le même raisonnement a été appliqué la signification d’un pourvoi à une prétendue « belle-mère » du
défendeur en cassation qui ne l’était pas en réalité, et ce au motif qu’il ne résulte pas de cette seule circonstance que l’exploit de signification a été remis tardivement au défendeur. Dans cette affaire, l’appréciation de
la Cour est d’autant plus favorable au demandeur en cassation que le mémoire en réponse a été déposé en
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dehors du délai légal de trois mois, et que la Cour a considéré qu’elle ne pouvait y avoir égard ( ).
4.
En matière de signification de jugements ou d’arrêts, la Cour de cassation adopte une approche plus
sévère, dans laquelle tout vice de signification empêche que le délai prévu pour former la voie de recours ait
commencé à courir.
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Certes, lorsque la signification n’est affectée d’aucune irrégularité, le pourvoi tardif est irrecevable ( ), et ce
même si l’exploit de signification ne mentionne ni l’existence de cette voie de recours ni ses formes et délais
(8).
Par contre, le délai de recours n’a pas commencé à courir lorsque la signification du jugement ou de l’arrêt a
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été faite à une adresse erronée ( ), au siège social du signifié alors que celui-ci avait élu domicile dans son
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intérêt ( ), à un domicile élu que le signifiant savait dépassé par les circonstances ( ), à un domicile étranger différent du domicile élu qui était constaté dans l’arrêt d’appel mais qui ne résultait, en réalité, que d’une
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élection de domicile qui avait été faite en première instance ( ), voire même au siège social statutaire du
signifié alors que toutes les pièces de la procédure indiquaient un siège social différent et que la signification
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au siège statutaire était, dès lors, constitutive d’un abus de droit ( ).
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Il en va de même en cas de signification dépourvue de la traduction néerlandaise requise ( ) et en cas de
signification en Espagne par la voie postale à une adresse incomplète, et par la voie de l’entité centrale alors
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que le règlement n° 1348/2000 prévoit la transmission par le biais de l’entité requise ( ).
Dans aucune de ces hypothèses, la Cour de cassation ne constate que l’exploit de signification n’aurait pas
atteint le but que la loi lui assigne, au sens de l’article 867 du Code judiciaire (16).
5.
Un arrêt du 19 avril 2002 illustre remarquablement cette différence de traitement entre la sanction du
vice affectant la signification d’un jugement entrepris et celui affectant la signification d’un pourvoi. En effet,
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cet arrêt porte simultanément sur les deux hypothèses ( ).
6
La Cour a néanmoins rejeté le pourvoi sans avoir égard au mémoire en réponse (Cass., 29 novembre 2002, C.00.0342.N).
7
Cass., 10 mai 2004, C.98.0513.F, qui concerne un cas de litige indivisible.
8
Cass., 11 décembre 2008, C.07.0333.F.
9
Cass., 25 mai 2007, F.05.0057.N.
10
Cass., 22 juin 2007, C.05.0032.N.
11
Cass., 8 mars 2002, C.01.0113.F.
12
Cass., 30 mai 2003, C.00.0670.N.
13
Cass., 10 mars 2008, C.06.0610.N.
14
Cass., 10 avril 2003, C.02.0120.F. Cet arrêt peut être approuvé, puisque la nullité de l’article 40, alinéa 1 , de la loi du 15 juin 1935,
n’est pas soumise aux articles 860 à 867 du Code judiciaire.
15
Cass., 14 octobre 2005, C.04.0307.F.
16
Dans l’arrêt du 10 mars 2008, la Cour constate cependant que la demanderesse en cassation n’avait pas pu avoir connaissance de
la signification de l’arrêt attaqué.
17
Cass., 19 avril 2002, C.01.0218.F, et les conclusions de l’avocat général T. Werquin.
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Le jugement frappé d’appel avait été signifié au procureur du Roi, alors que la partie intimée disposait d’une
adresse de référence qui valait domicile au sens de l’article 36 du Code judiciaire. Tant la cour d’appel de
Bruxelles que la Cour de cassation ont considéré que la signification était irrégulière et qu’elle ne pouvait
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pas faire courir le délai d’appel ( ).
Le pourvoi en cassation avait également été signifié au procureur du Roi à l’encontre de la même partie qui
disposait du même domicile. Le pourvoi a néanmoins été déclaré recevable sur pied de l’article 867 du Code
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judiciaire, au motif que cette partie avait déposé un mémoire en réponse dans le délai légal ( ).
Le même vice est donc simultanément sanctionné pour la signification du jugement dont appel, et couvert
pour la signification du pourvoi…
6.
Cette constatation suscite des réflexions en sens divers.
Certes, en favorisant les demandeurs, les appelants et les demandeurs en cassation, cette jurisprudence de
la Cour de cassation tend à garantir le respect du droit d’accès à un tribunal.
Toutefois, il ne faudrait pas omettre que la signification des décisions judiciaires poursuit elle aussi des objectifs tout à fait louables, au service de l’autorité de la chose jugée et de l’exécution des jugements. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle les délais prévus pour former une voie de recours sont soumis à un régime
particulier de déchéance (20).
En outre, cette jurisprudence différenciée de la Cour de cassation permet aux plaideurs, selon leur position,
de trouver des arrêts appliquant les dispositions du Code judiciaire relatives aux significations de manière
plus ou moins sévère. Or, en règle, ces arrêts sont transposables à toutes les hypothèses de significations,
puisque celles-ci restent soumises à des dispositions communes.
Xavier Taton
18
Voir la décision sur le moyen.
19
Voir la décision sur la fin de non-recevoir.
20
Voy. X. Taton, « Les irrégularités, nullités et abus de procédure », in X., Le procès civil accéléré ? Premiers commentaires de la loi
du 26 avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l’arriéré judiciaire, Larcier, Bruxelles, 2007, pp. 199 et suiv.,
spéc. pp. 221 et 229, n° 33 et 45.
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