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Lexbase Hebdo édition fiscale n˚542 du 3 octobre 2013
[Fiscalité internationale] Questions à...
Compétitivité fiscale : opération séduction pour le
Royaume-Uni — Questions à Cyril Maucour, avocat associé
du cabinet Ravet & Associés
N° Lexbase : N8698BTC
par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition
fiscale
Le 18 juin 2012, David Cameron, Premier ministre britannique, encourageait les Français et leurs entreprises à venir s'installer en Angleterre. Facilités d'implantation, impôt sur les sociétés à un taux plus bas
que le taux pratiqué en France, le Royaume-Uni a de quoi séduire. Economiquement, cet Etat est classé
10ème sur l'échelle de la compétitivité mondiale, selon le Forum économique mondial (classement 2013),
alors que la France est 23ème. Les Anglais, eurosceptiques, à la tête d'un Commonwealth puissant et actif,
attirent les particuliers fortunés (chefs d'entreprise et footballeurs) grâce à des aides financières et à une
fiscalité attrayante. De plus, la Convention fiscale signée entre la France et le Royaume-Uni le 19 juin 2008
(N° Lexbase : L7771ITY) met en place un mécanisme d'élimination de la double imposition efficace. Enfin,
les derniers évènements (jeux olympiques, naissance du "royal baby") ont relancé l'économie britannique.
Entre deux Etats si proches géographiquement comme le sont la France et l'Angleterre, la compétition fiscale prend tout son sens dans un climat de morosité qui tend à la sauvegarde des intérêts des entrepreneurs
et de l'emploi.
Alors, que signifie l'expression "dérouler le tapis rouge", employée par David Cameron ? Les entreprises françaises
l'ont-elles entendu ? Pour en savoir plus, Lexbase Hebdo — édition fiscale a interrogé Cyril Maucour, avocat
associé du cabinet Ravet & Associés.
Lexbase : Les entreprises françaises qui souhaitent s'installer au Royaume-Uni recherchent une baisse de
leur fiscalité. Quels sont les atouts de nos voisins sur ce point ?
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Lexbook généré le 8 octobre 2013.
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Cyril Maucour : Le taux de l'impôt sur les sociétés est relativement bas, puisqu'il se situe entre 20 % et 23 % suivant
le niveau de résultat de l'entreprise. Le taux de 20 % s'applique pour les entreprises dont le résultat est inférieur à
300 000 livres sterling (environ 359 000 euros). Il convient par ailleurs de préciser qu'à partir du 1er avril 2014, le
taux marginal de l'impôt sur les sociétés britannique, qui est actuellement de 23 %, sera abaissé à 22 %.
Pour être tout à fait précis concernant le taux d'imposition, certains types de revenus sont soumis à des taux
particuliers. Je pense notamment aux activités d'extraction pétrolière, qui sont soumises à un taux d'imposition de
30 %.
Au Royaume-Uni, les déficits fiscaux se reportent en avant sans condition de durée et de montant sur tous les
bénéfices de l'entreprise, y compris les plus values de cession d'actifs, contrairement au régime fiscal français,
dans lequel prévaut une imputation partielle.
Les dividendes perçus par les sociétés britanniques sont généralement exonérés d'impôt sur les sociétés. Plusieurs
catégories de dividendes sont visées. Il s'agit notamment des dividendes attachés à des actions ordinaires et non
remboursables et des dividendes perçus de sociétés contrôlées directement ou indirectement. Il existe différentes
règles anti-abus qui visent à imposer certains dividendes. Cela concerne par exemple les dividendes liés à des
actions de préférence, lorsque son titulaire détient moins de 10 % de cette classe d'actions et qu'il ne contrôle pas
la société émettrice. L'investissement en capital assorti de mécanismes juridiques permettant de s'assurer d'une
forte rentabilité financière est donc exclu du régime de faveur.
Concernant les plus-values, elles sont en règle générale imposées au taux normal de l'impôt sur les sociétés.
Cependant, il existe une exception importante en matière de plus-values sur cessions de titres. Il s'agit du régime
nommé "Substantial Shareholdings Exemption" (SSE). Ce régime classique de "Participation Exemption" permet
d'exonérer d'impôt les plus-values sur cession de titres, à condition notamment que les titres cédés soient ceux d'une
filiale détenue à au moins 10 % pendant au moins douze mois précédent la cession. Il est également nécessaire
que la cession intervienne entre sociétés ou groupes de sociétés exerçant des activités commerciales. Le régime
"SSE" est donc plus avantageux que le régime de cession de titres de participation français sur plusieurs aspects :
d'une part, la condition de durée de détention des titres est plus courte, puisqu'elle est de deux ans en France,
et, d'autre part, l'exonération est totale au Royaume-Uni, alors qu'en France l'impôt est dû sur une quote-part de
frais et charge égale à 12 % du montant de la plus-value, soit une imposition de la plus value à un taux avoisinant
4 %. En revanche, le fait que la cession doive intervenir entre deux sociétés ou groupes de sociétés exerçant des
activités commerciales est plus restrictif que le régime français.
Enfin, on citera le régime "Patent Box" introduit pour les exercices fiscaux ouverts à partir du 1er avril 2013. Ce
régime prévoit une imposition au taux réduit des revenus liés aux brevets. Le taux se réduira de manière progressive
pour atteindre 10 % à partir du 1er avril 2017. Tous les brevets enregistrés au Royaume-Uni, ainsi que les brevets
enregistrés au niveau de l'Union européenne sont visés. Les brevets enregistrés uniquement pour le territoire de
certains Etats membres sont également visés, mais la France ne fait pas partie de cette liste. Autrement dit, un
brevet qui viserait le territoire français sans être élargi au niveau de l'Union européenne n'entre pas dans le champ
d'application de la "Patent Box". Les revenus imposables au taux réduit sont notamment ceux liés à la cession
de brevets et aux redevances liées aux brevets. Les revenus issus des services en relation avec ces brevets
sont également visés par les textes, de même que les revenus tirés de la vente de produits brevetés. Le champ
d'application matériel est donc très large.
Lexbase : Quels sont les destinataires des programmes mis en place ?
Cyril Maucour : Evidemment, les destinataires de ces programmes sont les entreprises. Notamment les entreprises
innovantes avec un régime de "Patent Box", plus qu'intéressant.
Mais les entreprises ne sont pas les seules visées par les régimes fiscaux britanniques. Le "tapis rouge" comme vous
dites a également été déroulé pour les particuliers. Le régime fiscal applicable aux "non dom" attire de nombreux
Français de l'autre côté de la Manche.
Le principe est que les personnes dont la résidence fiscale est attribuée au Royaume-Uni par la Convention fiscale
franco-britannique, mais qui ne sont pas domiciliées au Royaume-Uni en application du droit interne britannique, ne
sont imposables que sur les revenus de source britannique. Autrement dit, un Français qui transfère son domicile
fiscal au Royaume-Uni et qui dispose de revenus de source française, par exemple des dividendes, ne sera imposé
ni en France, ni au Royaume-Uni, à condition que les sommes ne soient pas rapatriées ou utilisées au RoyaumeUni. Il s'agit du principe de la "remittance basis". Généralement, la qualification de "non dom" est octroyée dès lors
que la personne ne dispose pas de la nationalité britannique.
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Ce régime est d'application temporaire, puisque les contribuables non-domiciliés au Royaume-Uni mais qui y ont
leur résidence depuis au moins 7 ans sur les 9 dernières années sont imposés sur leurs revenus de source étrangère
au Royaume-Uni, sauf s'ils optent pour un impôt forfaitaire annuel de 30 000 livres sterling (environ 35 900 euros).
Ce montant est porté à 50 000 livres sterling (environ 59 800 euros) par an en cas de résidence fiscale au RoyaumeUni depuis 12 ans sur les 14 dernières années.
Lexbase : N'y a-t-il donc aucun inconvénient à être fiscalement imposable au Royaume-Uni ?
Cyril Maucour : Un transfert à l'étranger, que ce soit au Royaume-Uni ou ailleurs, n'est jamais neutre fiscalement
en France. Le mécanisme de l'"exit tax" constitue un frein important au transfert d'une entreprise ou d'une partie
de ses actifs. Il en est de même pour le changement de résidence fiscale pour les particuliers. Le principe de l'"exit
tax" est d'imposer les plus-values latentes au moment de la sortie du territoire français.
Pour les entreprises, la loi de finances pour 2013 (loi n˚ 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR)
a instauré un mécanisme de paiement fractionné sur cinq ans afin de mettre en conformité le régime avec la
jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE ; voir, notamment, CJUE, 29 novembre 2011,
aff. C-371/10 N° Lexbase : A0292H39).
Pour les particuliers, il existe un mécanisme de sursis qui permet de ne s'acquitter de l'impôt sur les revenus et
des prélèvements sociaux qu'au moment de la cession effective des actifs. De plus, l'impôt peut faire l'objet d'un
dégrèvement dans certaines situations, notamment en cas de nouveau transfert de résidence fiscale en France ou
passé un délai de 8 ans.
Pour ce qui est des "inconvénients" fiscaux propres au Royaume-Uni, on pourrait citer certaines mesures anti-abus,
par exemple en matière de plus-values et de dividendes.
En ce qui concerne les plus-values, si le champ d'application du régime de "Substantial Shareholdings Exemption"
est plus large qu'en France sur certains aspects, notamment eu égard au délai de détention des titres, il est plus
restrictif sur d'autres. La principale restriction concerne la nécessité que la cession intervienne entre deux sociétés
ou groupes de sociétés exerçant une activité commerciale. L'administration britannique considère que la conduite
d'une activité non commerciale dans une proportion supérieure à 20 %, en prenant en compte les actifs et les
revenus, doit exclure la société ou le groupe du régime d'exemption.
En matière de dividendes, le régime britannique est à la fois plus simple dès lors que l'on détient des actions ordinaires, et plus complexe pour ce qui est des actions de préférence. Clairement, le Royaume-Uni a mis en place des
mesures anti-abus pour éviter les investissements de rendement qui peuvent se rapprocher des investissements
de nature obligataire. Sur ce point, le régime français est pour l'instant plus favorable.
Lexbase : Les entreprises françaises ont-elles répondu à cet appel de David Cameron ?
Cyril Maucour : Oui, les entreprises françaises et leurs dirigeants ont entendu l'appel du Gouvernement britannique.
Dans ma pratique quotidienne, je rencontre de nombreux entrepreneurs tentés par le départ au Royaume-Uni ou
d'autres destinations. D'autres ont sauté le pas et ont, d'ores et déjà, décidé de leur départ et viennent nous consulter
en aval de cette décision.
Ce qui est marquant, c'est de constater que les PME, notamment dans les secteurs innovants, sont très représentées dans ces candidats au départ. Leurs dirigeants se sentent "bernés" par la réforme du régime des plus-values
de cession. Auparavant, ils savaient qu'ils seraient imposés à environ 30 % du prix de cession, aujourd'hui ils ne
savent plus calculer leur charge fiscale et pensent que l'environnement fiscal ne peut que se dégrader davantage.
Par ailleurs, ils ne sont plus liés à la France pour développer leurs activités. Cette situation est préoccupante pour
la France car il s'agit souvent de sociétés de croissance porteuses de l'avenir de notre économie.
Lexbase : Le Gouvernement a annoncé, le 11 septembre 2013, une baisse du taux de l'IS français, qui
passerait de 33,1/3 à 30 %. Pensez-vous que cette mesure est satisfaisante ? Pourrait-elle freiner les délocalisations ?
Cyril Maucour : Le taux d'imposition est un indicateur fort pour les entreprises et sa baisse est indéniablement une
mesure qui pourrait redonner à la France un certain pouvoir d'attraction économique.
Cependant, il convient de préciser que cette réforme est fortement discutée et qu'il n'est pas certain qu'elle intervienne. D'autant plus que le premier projet de loi de finances pour 2014 ne prévoit rien en ce sens. Ensuite, il faudra
être vigilant pour s'assurer que la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés ne soit pas une mesure de façade.
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En effet, le Gouvernement a clairement indiqué que la réforme devrait s'effectuer à rendement constant pour les
caisses de l'Etat. Autrement dit, la baisse du taux sera compensée par une augmentation de la base taxable ou la
création d'un nouvel impôt. C'est sur cette seconde voie que semble s'être dirigé le Gouvernement, avec une taxe
sur l'excédent but d'exploitation (EBE).
Cette taxe ne devrait concerner que les entreprises d'une certaine taille, dont le chiffre d'affaires dépasserait 50
millions d'euros. Son taux, initialement fixé à 3 %, a été réduit à 1 % dans le cadre du premier projet de loi de
finances pour 2014.
En définitive, les annonces sont multiples et surtout contradictoires. Les débats sur le projet de loi de finances pour
2014 n'ont pas encore débuté. Comme le veut la formule consacrée, il est urgent d'attendre avant de tirer des
conclusions de la nouvelle donne fiscale pour les entreprises en France.
Ici encore, le manque de stabilité fiscale en France inquiète les entrepreneurs, le Royaume-Uni assure une plus
grande sécurité juridique qui est ressentie très favorablement par les entreprises.
Lexbase : Une entreprise française a-t-elle intérêt à se délocaliser entièrement au Royaume-Uni ou à conserver une implantation en France et à appliquer la Convention fiscale franco-britannique ?
Cyril Maucour : Il ne peut y avoir de réponse commune à toutes les situations. Chaque cas nécessite une analyse précise pour déterminer la solution la plus intéressante fiscalement, mais aussi économiquement. En cas de
transfert partiel ou intégral de l'entreprise au Royaume-Uni, des analyses en matière d'établissement stable sont
généralement nécessaires afin de s'assurer qu'une partie du profit ne doit pas être imposée en France.
Par ailleurs, il n'est pas exclu qu'une société française souhaite rester en France pour des raisons commerciales,
mais aussi fiscales, puisque la France conserve certains atouts en la matière, par exemple le crédit d'impôt recherche (CIR). Dans ce cas, il peut être envisagé de créer une filiale au Royaume-Uni pour mener certaines activités
et bénéficier d'avantages fiscaux britanniques ciblés, comme la "Patent Box".
Une telle restructuration implique qu'une analyse fiscale approfondie soit menée sur le terrain des prix de transfert
pour déterminer si la restructuration envisagée entraîne un transfert d'actifs, corporels ou incorporels, d'une entité
française à l'entité britannique ou bien un droit à indemnisation de la société française. Le rapport de l'OCDE sur
les restructurations d'entreprises du 22 juillet 2010 est éclairant en la matière. Par ailleurs, il sera indispensable de
déterminer la politique de prix de transfert à appliquer entre la société française et la société anglaise en cas de
flux entre les deux entités.
En tout état de cause, il est nécessaire de s'assurer que la réorganisation envisagée n'est pas constitutive d'un
abus de droit d'un point de vue français. Pour rappel, l'abus de droit, lorsqu'il est avéré, implique des pénalités de
80 % assises sur les rehaussements fiscaux. La notion d'abus de droit recouvre le cas des actes juridiques fictifs et
celui des schémas inspirés par des motifs exclusivement fiscaux.
En matière de fictivité, les questions classiques de substance doivent se poser. Pour ce qui est du critère du but
exclusivement fiscal, un projet est actuellement à l'étude pour étendre le champ d'application de l'abus de droit aux
opérations qui ont été inspirées par des motifs principalement fiscaux, et non plus exclusivement fiscaux. Cette
réforme, si elle devait intervenir, poserait des problèmes d'interprétation, puisque l'on passerait d'un critère objectif
à un critère subjectif. Les motifs fiscaux devront alors être accessoires et la preuve de ce caractère accessoire
devra être évidente pour limiter sensiblement les risques de rectification en matière fiscale.
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