La maison Nucingen

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La maison Nucingen
Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
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Fiche de lecture
La Maison Nucingen
Honoré de Balzac
Novembre 1837
Raphaël Saillant – Février 2011
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2010-2011
Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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La Maison Nucingen
Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Histoire de la critique » donné
par Eve Chiapello et Ludovic François au sein de la Majeure Alternative Management,
spécialité de troisième année du programme Grande Ecole d’HEC Paris.
Gallimard, Paris, 1989.
Première date de parution de l’ouvrage : 1837 dans La Presse, sous forme de feuilleton, puis
1838 chez Werdet
Résumé : La Maison Nucingen montre les dessous de l’enrichissement du baron d’empire
Nucingen, ses manigances pour amasser sa fortune aux dépens d’une aristocratie en
déréliction. Dans ce roman, cette grande noblesse de l’Ancien Régime sombre avec le
naufrage de la Restauration que l’on devine, laissant place aux bourgeois capitalistes dans les
affaires financières, incarnés par Nucingen, et aux « juste milieux » de la monarchie de Juillet
dans les affaires politiques, incarnés par Rastignac.
Mots-clés : Bourse, Rentes, Légitimiste, Noblesse d’empire, Loups-cerviers
La Maison Nucingen
This review was presented in the “Histoire de la critique” course of Eve Chiapello and
Ludovic François. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the
third-year HEC Paris business school program.
Gallimard, Paris, 1989.
Date of first publication: 1837 in La Presse, as a serial, then 1838 in Werdet
Abstract: La Maison Nucingen is the story of the Baron de Nuncingen’s wealth, and its
techniques for self-enrichment at the expense of the derelicting aristocracy. In this novel, the
old aristocracy of the Ancien Régime and the Restauration are sinking, while the capitalist
bourgeoisie, to which belongs Baron de Nucingen, takes over the financial affairs, and the
“juste milieu” of the Monarchie de Juillet (to which belongs Rastignac) takes over the
political affairs.
Key words: Stock exchange, Annuity, Légitimiste, Empire Nobility, Loups-cerviers
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Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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Table des matières
1. Balzac et son monde..............................................................................................................4
2. Résumé de l'ouvrage : La Maison Nucingen, ou l’origine de la fortune de Nucingen. . .7
3. Commentaires critiques......................................................................................................11
4. Références............................................................................................................................13
Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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1. Balzac et son monde 1
1.1.
La vie de Balzac
Comme Félix de Vandenesse, Honoré de Balzac nait dans la ville de Tours, cinq ans après
son très autobiographique personnage, en 1799. L’écrivain partage avec le comte de
Vandenesse son pays tourangeaux d’origine, ainsi que ses premiers pas dans la vie : ils sont
tous deux pensionnaires au collège des oratoriens de Vendôme, puis suivent les cours du
Lycée Charlemagne à Paris, avant de s’inscrire à la Sorbonne pour des études de droits.
Balzac obtiendra son diplôme de bachelier en droit en 1819. Il ne partage en revanche pas la
noblesse de Vandenesse (sa particule est pseudo-nobiliaire) : il est le fils ainé de Bernard
François Balssa, administrateur de l’hospice de Tours, et de Laure Sallambier, qui auront trois
autres enfants.
Après trois années de préparation du baccalauréat en droit, lors desquelles il sera clerc de
notaire dans l’étude de l’avoué Guillonet-Merville (qui servira de modèle pour Maître
Derville de La Comédie humaine), Balzac se décide pour les lettres, avec peu de succès à ses
débuts. Laure de Berny, de vingt ans son ainée, conseille et protège le jeune écrivain, en
devient la maîtresse à partir de 1822, et préside à l’entrée de Balzac dans la société héritée de
l’Ancien Régime, comme Madame de Mortsauf le fit pour Félix de Vandenesse2.
Avec le soutien de sa maîtresse, Balzac se lance dans l’industrie de l’édition, puis de la
fabrication de caractères typographiques, comme son héros David Séchard3. Comme lui,
Balzac connait de grandes difficultés avec ses créanciers, et il revient à l’écriture, pour
connaître enfin le succès, avec son premier grand roman Les Chouans. Il fréquente alors la
grande société du faubourg Saint-Germain qu’il dépeint dans La Comédie humaine, et
entretient de nombreuses liaisons avec notamment la duchesse Laure d’Abrantès, la duchesse
Balzac et son monde (1986) est le titre de l’ouvrage indispensable de Félicien Marceau sur La Comédie
humaine, qui sera cité plusieurs fois ici.
2
L’amour de jeunesse de Félix de Vandenesse est décrit dans Le Lys dans la vallée (1836), roman le plus
autobiographique de La Comédie humaine.
3
David Séchard, ami d’enfance et beau-frère de Lucien de Rubempré, hérite d’une imprimerie à Angoulême
dans Les Illusions perdues (1837-1843).
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Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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de Castries, Zulma Carraud, à qui est dédicacé La Maison Nucingen, ou encore la Comtesse
Guidoboni-Visconti (liste très peu exhaustive).
A partir des années 1830, Balzac devient l’un des romanciers français les plus prolifiques,
et écrit nuit et jour, avec pour plus grands succès, que plus aucun écolier n’ignore : Eugénie
Grandet (1833), Le Père Goriot (1835), Le Lys dans la vallée (1836), Les Illusions perdues
(1836-1843), ou encore la Peau de chagrin (1843 pour l’édition Furne). Balzac est aussi
journaliste : en 1840, il rachète le journal légitimiste La Chronique de Paris, comme Raoul
Nathan lance son propre journal dans Une fille d’Eve, et tous deux connaissent la même fin :
ils abandonnent leur journal de peur de la faillite. Ce monde du journalisme est souvent décrit
par Balzac dans ses différentes scènes de la vie parisienne, notamment dans Les Illusions
perdues, dans lesquelles Lucien de Rubembré se brûle à côtoyer ce milieu.
En 1834, Balzac conçoit pour la première fois le projet de La Comédie humaine, comme
en témoigne sa correspondance avec Madame Hanska, qui deviendra sa femme à la fin de sa
vie. Les personnages de ses romans deviennent donc récurrents, à l’image de Rastignac qui
apparaît pour la deuxième fois dans Le père Goriot, après avoir été un protagoniste d’Etude de
femme. Balzac prétend alors « faire concurrence à l’état civil » en décrivant la société entière
avec son œil d’écrivain, en trois parties : Etudes des mœurs (qui exposent les effets sociaux),
Etudes philosophiques (qui cherchent les causes de ces effets) et Etudes analytiques (qui
formulent les principes des causes et effets sociaux), renfermant quatre-vingt quinze œuvres
achevées.
En plus d’être un homme de lettres (il fondera avec notamment Victor Hugo, et présidera la
Société des gens de lettres), Balzac s’essaie aussi à la vie politique, au côté du parti
légitimiste, sans jamais cependant se présenter à la députation, malgré de nombreuses
hésitations.
Balzac termine sa vie au côté de Madame Hanska, admiratrice Ukrainienne avec qui il
avait débuté une correspondance galante en 1832, et qu’il épouse en mai 1850, trois mois
avant de mourir à Paris.
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1.2.
La Maison Nucingen dans La Comédie humaine
La Maison Nucingen est un roman qui est publié d’abord dans la presse, sous forme de
feuilleton, entre octobre et novembre 1837, avant d’être édité en volume en 1938. Le titre
initialement prévu était La Haute Banque, illustrant assez bien le propos du récit. Ce roman
décrit l’origine de la fortune d’un personnage presque omniprésent dans La Comédie
humaine : le baron (d’Empire) Frédéric de Nucingen, sommité des affaires parisiennes et
« loup-cervier » du palais Brognart. Nucingen est, parmi les deux mille deux cent personnages
de l’œuvre de Balzac, celui qui revient le plus souvent : il apparait dans trente deux ouvrages,
devant de Marsay, Rastignac ou le médecin Bianchon. Il tient en effet une place
particulièrement importante dans le petit théâtre parisien : ce n’est jamais le premier rôle,
mais il est comme le valet d’une pièce de Molière, toujours présent. Il concentre sur lui toute
la haine que Balzac voue à la finance, aux usuriers, aux affaires, et c’est certainement pour
cette raison que nous le retrouvons souvent au détour d’une page. En dehors de La Maison
Nucingen, le baron du même nom joue un rôle de premier plan dans deux romans majeurs de
l’œuvre de Balzac : Le Père Goriot (il est le mari de la fille Delphine de ce dernier), et
Splendeurs et misères des courtisanes.
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2. Résumé de l'ouvrage : La Maison
Nucingen , ou l’origine de la fortune de
Nucingen
2.1
Cadre du récit
Le récit est taillé dans un seul bloc : en 1836, quatre personnages discutent dans un
restaurant de la fortune de Rastignac, qui s’est faite conjointement avec celle (autrement
supérieure) de Nucingen, et épiloguent sur les événements qui ont permis ce double
enrichissement. Cette conversation, qui est surprise par une table attenante à celle des quatre
convives, relate donc des faits qui se déroulent principalement entre 1823 et 1828, quatre
années valant plusieurs millions pour les deux héros qui partagent la même femme4. Ces faits
sont donc le sujet du discours de Bixiou, agrémenté par les saillies de Blondet, les
étonnements de Finot et les calculs de Couture.
2.2
La Haute banque
Le roman débute dans un restaurant parisien à la mode, fréquenté aussi bien par les artistes,
les jeunes lions5 du faubourg Saint-Germain, que les financiers et autres riches bourgeois
commerçants. A une table, nous retrouvons Bixiou, Blondet, Finot et Couture, dont la
conversation est involontairement espionnée (du moins au commencement) par les convives
d’une table voisine. Bixiou et Blondet sont mi- écrivains, mi- parasites, journalistes à leurs
heures perdues, qui gravitent autour de la société des parvenus de La Comédie humaine. Finot
Rastignac est l’amant de Delphine de Nucingen, et cette liaison est parfaitement connue, et acceptée de bon
cœur (si tant est qu’il en ait un) par le baron de Nucingen.
5
Dans son livre Balzac et son monde, Félicien Marceau propose une typologie des personnages balzaciens qui
débute par la catégorie des « lions», à laquelle appartiennent les Rastignac, Rubempré et autre Marsay
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Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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est un éditeur libraire qui a réussi, comme le note Balzac : c’est lui qui a publié les
Marguerites de Lucien de Rubempré dans Les Illusions perdues. Enfin, Couture est un
apprenti financier, le plus discret des quatre dans l’œuvre de Balzac. Les quatre amis, attablés,
arrivés au dessert, abordent le sujet de la fortune de Rastignac, l’argent étant le sujet favori de
ceux qui n’en ont pas dans La Comédie humaine. « En 1827, je l’ai encore vu sans le sou »
fait remarquer Blondet, contrastant avec les « quarante mille livres de rentes » que lui
calculent avec exactitude Finot. A travers les commérages des personnages, Balzac, dans la
pure lignée aristocratique puritaine, s’en prend à la fortune acquise : pour lui, l’argent doit
s’hériter, mais en aucun cas s’acquérir ou bien se gagner par le commerce. Il note : « mais où
a-t-il pris sa fortune ?», comme si l’enrichissement de Rastignac était en lui-même un vol, une
usurpation : on ne peut pas devenir riche honnêtement, on ne peut que naître riche sans se
compromettre. Bixiou nous apprend alors que la fortune de Rastignac fut faite par Nucingen,
et Blondet nous rappelle l’histoire de ce dernier, et plus précisément l’histoire de sa fortune. Il
nous apprend que le banquier Alsacien, « fils de quelque juif converti par ambition », a
construit sa fortune en simulant par deux fois une banqueroute, et en rachetant lui-même les
valeurs qu’il avait faites s’effondrer. Les mécanismes financiers expliqués restent flous, mais
les amalgames douteux et l’utilisation du bestiaire (« chacal », « odorat », « avoir le meilleur
os », loup-cervier », etc.) pour décrire Nucingen montre l’estime que lui porte Balzac et ses
personnages mis en scène.
Cependant, Rastignac ne fréquentait pas encore le foyer Nucingen au moment des
manigances du banquier, et lorsqu’il s’immisce dans ce couple, il est alors sans le sou. Le
récit montre comment s’organise la troisième faillite factice de Nucingen, dont profitera aussi
Eugène de Rastignac. Balzac met alors en scène un autre jeune dandy, dont la trajectoire sera
l’inverse de celle de Rastignac au cours du livre : il s’agit de Godefroy de Beaudenord. A la
différence du protégé de Nucingen, il est est riche de naissance, ce qui fait de lui un honnête
homme. Il est d’un chic très parisien, d’un maintien parfaitement Ancien Régime, et a les
idées les plus légitimistes du monde ; il plait aux femmes et tient une place centrale dans le
faubourg Saint-Germain : l’idéal de Balzac. Cette idéalisation ne pouvait pas aller sans une
certaine déchéance au fil des pages, dénonciation de la corruption des mœurs6, des affaires et
des idées du temps.
Par « corruption des mœurs », il ne faut pas entendre « mœurs légères » (celles de Balzac ne pesaient pas bien
lourd), mais il faut comprendre la perméabilité de l’aristocratie aux nouveaux riches.
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Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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Comme un système de vase communiquant, Rastignac s’enrichit aux dépens de
Beaudenord. Ce dernier place en effet sa fortune dans la maison Nucingen, et par un habile
stratagème parvient à tirer sept pour cent de son capital, lui assurant des rentes à la mesure de
son train de vie. Sur les conseils de son ami Rastignac, Beaudenord épouse la fille d’une
veuve, Isaure d’Aldrigger, fille d’un banquier défunt, décrit comme honnête, qualité dont il
est visiblement mort. Bixiou raconte la scène de l’enterrement du père d’Isaure, quelques
années plus tôt, montrant le vol des vautours au-dessus de ce qui reste de la famille de ce
banquier, se partageant dots et fortune.
Arrive alors la troisième faillite de Nucingen, origine de l’enrichissement de Rastignac et
de la fortune colossale du banquier. Voici comment se déroule ce tour de passe-passe
financier : le tout-Paris possédait du papier Nucingen, à l’instar de Beaudenord. Habilement,
Nucingen laisse entendre à Rastignac que ses affaires sont au plus mal. Le jeune homme veut
sauver la fortune de sa maîtresse, Delphine de Nucingen, et lui fait demander la séparation des
biens auprès du tribunal pour que sa fortune ne soit pas engloutie par la faillite de Nucingen.
Rastignac fait aussi courir le bruit de cette faillite, qui se répand peu à peu dans tout Paris.
Tout le monde cherche à tout prix à vendre ses titres de la maison Nucingen. Trois « loupscerviers » de la bourse se proposent de racheter pour le compte de Nucingen ce papier avec
une large décôte, de dix à vingt pour cent. En bref, Nucingen provoque une chute de la valeur
spéculative de son papier pour pouvoir les racheter à bas prix par l’intermédiaire de trois
financiers. Lorsqu’il ne rachète pas son papier comptant, il l’échange contre des actions d’une
mine, qui doit verser de gros dividendes la première année. C’est Rastignac qui s’occupe de
faire cet échange sans rien savoir de la supercherie, il est réellement persuadé que Nucingen
va faire banqueroute.
Le récit de cette faillite est un peu confus pour Balzac, mais il met sous lumière la cupidité
des financiers qui cherchent à s’enrichir à tout prix. Il déplore « qu’il n’y ait plus de religion
dans l’Etat », c’est-à-dire celui de 1836, aux commandes duquel on retrouve Rastignac, dix
ans après la troisième faillite de Nucingen. Seulement, on comprend difficilement
l’enrichissement de Rastignac : au moment où Nucingen lui annonce sa faillite prochaine, il
lui donne en même temps des titres de la mine, qu’il accepte sans y prêter attention. Si ces
titres donnent un large dividende la première année, ils s’effondrent ensuite (sans que l’on ne
comprenne vraiment pourquoi), et les personnes qui possèdent alors des actions, dont
Beaudenord, sont forcées de les vendre. Rastignac rachète les titres de Beaudenord au plus
Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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bas, car ce dernier a besoin de liquidités, et ces titres reprennent ensuite une immense valeur.
Cependant, Rastignac ignore complètement la valeur intrinsèque de l’action, ainsi que les
manigances de Nucingen. On ne peut ni l’accuser d’avoir « filouté » Beaudenord, ni expliquer
pourquoi il aurait racheté des titres sans valeur.
Pour finir, Balzac déplore le temps révolu de la monarchie absolue, quand « l’Arbitraire
sauvait les peuples en venant au secours de la justice » : seul un monarque tout puissant peut
empêcher les liquidations frauduleuses de Nucingen, en ordonnant le rétablissement des
familles lésées.
Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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3. Commentaires critiques
3.1
Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage
Dans Balzac et son monde, Félicien Marceau insiste sur l’omniprésence de l’argent chez
Balzac, qui n’a échappé à aucun lecteur. Il y a en effet peu de cas similaires dans la littérature,
la plupart des auteurs conservant une certaine pudeur sur la question de l’argent. Pour
Marceau, si l’argent est si présent dans La Comédie humaine, ce n’est que le reflet de la place
de l’argent dans la société dont Balzac se fait l’écho, presque à la manière d’un visionnaire en
anticipant Le Capital de Marx. Je suis d’avis que si l’argent tient cette place chez Balzac, c’est
avant tout parce qu’il est lui-même obsédé par l’argent.
3.2
Les ambiguïtés du roman Balzacien
Balzac cultive une relation très ambigüe avec le capitalisme. Il en est un pourfendeur
véhément dans ses romans, à commencer par La Maison Nucingen, dans lequel il dénonce
surtout la cupidité qui anime cette nouvelle classe de bourgeois devenant rois de la finance. Et
cependant, lui-même se prête volontiers au jeu capitaliste : il cherche à devenir éditeur en
engageant beaucoup d’argent qu’il emprunte. Puis, il essaie de se lancer dans la fabrication de
caractères typographique, avec, de nouveau, un lourd investissement. Ces affaires ne
fonctionnant pas, il est forcé de fuir toute sa vie des créanciers. En fait, sous la critique d’un
Nucingen, on peut lire en filigrane une forme de jalousie pour la réussite du banquier. Balzac
dénonce la cupidité de Nucingen, mais on ne peut contester l’obsession par l’argent de Balzac
lui-même : La Comédie humaine est une reproduction du grand livre dans lequel sont inscrites
les rentes du Faubourg Saint-Germain, chaque fortune y est décomptée, le prix de chaque
vêtement est dévoilé, les dépenses de chaque foyer sont détaillées. Chaque sou étant si bien
compté par Balzac, La Comédie humaine a été utilisée à notre époque comme un indicateur
extrêmement fiable des prix du début du dix neuvième siècle ! Il y a donc une amusante
Raphaël Saillant – Fiche de lecture : « La Maison Nucingen » - Février 2011
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ambiguïté entre un Balzac artiste qui fustige la cupidité des « loups-cerviers » de la Bourse, et
sa propre relation amoureuse à l’argent.
Plus encore que la cupidité, Balzac reproche au capitalisme son arrivisme. Aux yeux de
Balzac, le plus gros défaut de Nucingen n’est pas encore sa cupidité, mais sa volonté d’entrer
dans le faubourg Saint-Germain, dans l’aristocratie de l’Ancien Régime. Balzac ne rate jamais
une occasion de rappeler le « patois de juif polonais »7 de Nucingen, qui d’Alsacien devient
Polonais pour souligner à quel point il n’est pas à sa place dans le très chrétien faubourg
Saint-Germain. Les idées légitimistes de Balzac refusent que l’on puisse s’enrichir, à plus
forte raison avec le commerce de l’argent : on doit naître riche, et ne pas être riche. Même
l’enrichissement de Rastignac, issue d’une grande noblesse angoumoisine désargentée, est
difficilement acceptable pour Balzac. Le grand tort du capitalisme est de bouleverser l’ordre
aristocratique établi : le premier banquier venu peut mettre à genoux l’ensemble d’une
noblesse endettée, et imposer sa loi à la cour du Roi.
Splendeurs et Misères des Courtisanes, Partie 1 : Comment aiment les filles, puis Partie 2 : A combien
l’amour revient aux vieillards (1838-1847).
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4. Références
Marceau, F. (1986), Balzac et son monde, Gallimard.
Honoré de Balzac (1836), Le Lys dans la vallée
Honoré de Balzac (1836-1843), Les Illusions perdues
Honoré de Balzac (1838), Splendeurs et misères des courtisanes
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