Le secteur des TIC en Inde
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Le secteur des TIC en Inde
2014-07 N° Février 2014 Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est le symbole du développement économique de l’Inde et de ses évolutions sociales. Les milliers d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers d’affaires dans les grandes métropoles comme Bangalore, Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule de « cols blancs », la présence de ces personnels qualifiés dans les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment aux États-Unis, certains revenus investis en Inde, tout contribue à la renommée de ce succès économique et social. Aussi, les pays occidentaux, dont la France, s’interrogent sur le nouveau modèle de relations et d’échanges qui s’instaure actuellement. ISBN 978-2-7336-0726-8 LES ÉTUDES DE L’EMPLOI CADRE –Le secteur des technologies de l’information et de la communication en Inde– Responsables du projet : Roland Lardinois (Centre de Sciences humaines-CNRS UMIFRE 20, Delhi-Inde), avec la collaboration de P. Vignesh Illavarasam (IIT-Delhi). Équipe projet du département études et recherche de l’Apec : Raymond Pronier et Hélène Alexandre Direction du Département études et recherche de l’Apec : Pierre Lamblin Association pour l’emploi des cadres 51 boulevard brune – 75689 Paris cedex 14 Centre de relations clients 0810 805 805* du lundi au vendredi de 9h à 19h www.apec.fr EDOBSA0180-01.14 *prix d’un appel local 2014-07 N° Février 2014 Partenariat de recherche entre l’Apec et Roland Lardinois (Centre de Sciences humaines-CNRS UMIFRE 20, Delhi-Inde), avec la collaboration de P. Vignesh Illavarasam (IIT-Delhi). – L e secteur des technologies de l’information et de la communication en Inde – Sociographie du monde de l’informatique : formation, emploi… –LES ÉTUDES DE L’EMPLOI CADRE DE L’APEC– Observatoire du marché de l’emploi cadre, l’Apec analyse et anticipe les évolutions dans un programme annuel d’études et de veille : grandes enquêtes annuelles (recrutements, salaires, métiers et mobilité professionnelle des cadres, insertion professionnelle des jeunes diplômés…) et études spécifiques sur des thématiques clés auprès des jeunes de l’enseignement supérieur, des cadres et des entreprises. Le département Études et Recherche de l’Apec et sa quarantaine de collaborateurs animent cet observatoire. Toutes les études de l’Apec sont disponibles gratuitement sur le site www.cadres.apec.fr > rubrique Marché de l’emploi © Apec, 2013 Cet ouvrage a été créé à l’initiative de l’Apec, Association Pour l’Emploi des Cadres, régie par la loi du 1er juillet 1901, et publié sous sa direction et en son nom. Il s’agit d’une œuvre collective, l’Apec en a la qualité d’auteur. L’Apec a été créée en 1966 et est administrée par les partenaires sociaux (MEDEF, CGPME, UPA, CFDT Cadres, CFE-CGC, FO-Cadres, UGICA-CFTC, UGICT-CGT). Toute reproduction totale ou partielle par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation expresse et conjointe de l’Apec, est strictement interdite et constituerait une contrefaçon (article L122-4 et L335-2 du code de la Propriété intellectuelle). 03 06 Présentation générale Introduction 1 – PETITE HISTOIRE DES TIC – –SOMMAIRE– 12 15 17 19 Un développement en trois phases Le rôle de l’État Les associations professionnelles Les entrepreneurs transnationaux 2 – ÉCONOMIE DES TIC – 23 24 26 L’essor de l’économie des services Définition du secteur des TIC et sources des données La place des TIC dans l’économie des services 3 – LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE – 30 31 32 34 Un enseignement de masse aux mains du secteur privé Géographie de l’offre d’écoles Géographie de l’offre de disciplines L’ouverture à l’international 4 – UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS – 38 40 41 43 44 Les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs Les diplômes et les grades Le nombre annuel d’ingénieurs diplômés La qualité de l’enseignement professionnel Les ingénieurs et les études de management 5 – LES SOCIÉTÉS DE SERVICE EN INGÉNIERIE INFORMATIQUE – 46 Trois sources de données : Prowess, Dataquest, Nasscom 50 L’espace des sociétés de services informatiques 52 Essai de typologie 62 La faillite frauduleuse de la quatrième SSII de l’Inde : Satyam 63 Le marché parascolaire des TIC. Le succès du National Institute of Information Technology 65 Les SSII françaises en Inde APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 1 6 – LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS – 78 81 81 82 83 Tata Consultancy Services (TCS) et Infosys Lason India Limited (Chennai) SRA Engineering Solutions (Chennai) Une startup (Delhi) Réduire le fossé formation emploi : le campus Infosys à Mysore –SOMMAIRE– 7 – LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – 88 Présentation de l’enquête 90 Qu’appelle-t-on un informaticien ? 92 Portrait de groupe 96 Le secteur des TIC est-il un milieu professionnel fermé ? 98 Essai de typologie 103 La question des diplômes 109Les informaticiens comme nouvelle fraction des classes moyennes urbaines 8 – RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT. LE POINT FAIBLE DES TIC – 118 Structure des centres de R&D 120Investissements étrangers des entreprises indiennes et potentiels de recherches 123R&D et processus d’innovation 9 – CONCLUSION – 35 1 139 143 2 Glossaire Bibliographie Abstract APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – PRÉSENTATION GÉNÉRALE – – LES PARTENARIATS DE RECHERCHE DE L’APEC – – Depuis 2007, le Département études et recherche de l’Apec engage chaque année un appel à des projets de recherche en partenariat auprès des chercheurs de la sphère publique. Cette démarche vise à renforcer des partenariats sur des thématiques intéressant l’Apec, les partenaires sociaux et les clients de l’Apec. Chaque recherche porte sur des sujets différents et l’apport de l’Apec varie selon les projets : co-construction de projet de recherche, apport financier pour optimiser des travaux en cours, appui technique pour des enquêtes sur Internet… L’objectif est de construire de véritables partenariats dans des logiques de complémentarité d’expertises : les chercheurs apportent leurs expertises pointues et spécialisées pour approfondir les sujets et étudier des méthodologies spécifiques, le Département études et recherche de l’Apec apporte, lui, une connaissance approfondie de l’emploi cadre développée depuis plus de quarante ans. Peu de temps auparavant, un partenariat avec trois chercheurs du LISE (Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique du CNAM-Paris) avait permis d’éclairer les déterminants et les logiques de la nouvelle division internationale du travail à l’œuvre dans le secteur des services informatiques et de mieux en connaître les acteurs, les principes et les effets sur l’organisation du travail en France1. Le projet dirigé par Roland Lardinois est apparu d’emblée dans toute son originalité et ses apports potentiels. Installé depuis de nombreuses années en Inde, et fin observateur des évolutions de sa société, il était particulièrement bien placé pour y investiguer les sources d’information et le terrain des entreprises, ainsi que pour décrire et expliquer les logiques qui y sous-tendent l’émergence et l’installation à la fois du secteur et de ses spécialistes, catégorie nouvelle à la fois sur le plan professionnel et sur le plan social. Il semblait en effet important de dépasser les fantasmes et les caricatures au sujet de ces informaticiens indiens. Les enseignements de la recherche – Une étude qui éclaire sur une société et une économie où les transformations sont profondes – Le travail d’investigation réalisé a utilisé toutes les méthodes classiques des études et des recherches : recherches et veilles documentaires, entretiens qualitatifs, enquête quantitative. Ceci a pour premier effet de faire de l’Inde étudiée un monde plus proche, mais néanmoins spécifique, tant par rapport aux pays développés que par rapport aux autres pays émergents. Loin des fantasmes et des grandiloquences, et avec pourtant en permanence la toile de fonds de réalités démultipliées, toutes les données accumulées proposent une nouvelle lecture de la réalité indienne. Elles donnent à voir les conditions d’émergence d’une classe moyenne éduquée et urbaine dans un pays où la grande majorité des emplois relèvent du secteur primaire (agriculture) et dont la population vit massivement en milieu rural. Elles montrent aussi l’impact des choix politiques, publics et privés, privilégiant le développement du secteur des services IT dans une SOCIOGRAPHIE DU MONDE DE L’INFORMATIQUE EN INDE La recherche dirigée par Roland Lardinois, sociologue au Centre de Sciences Humaines de Delhi (CNRS) est une sociographie, soit l’étude descriptive de réalités et de faits sociaux dans un contexte particulier. Le contexte initial Lorsqu’en 2009 l’Apec a décidé d’accompagner cette recherche, les « informaticiens indiens » faisaient couler beaucoup d’encre en France depuis déjà quelque temps. Pour résumer, ils incarnaient alors à eux seuls le processus de délocalisation des emplois qualifiés. Ce processus était généralement attribué à une mondialisation qui ne pouvait que défavoriser des pays anciennement développés, que ce soit en termes d’échanges commerciaux ou en ce qui concerne les marchés du travail. 1. I. Berrebi-Hoffmann, M. Lallement et O. Piriou (Lise-CNRS-Cnam), « La division internationale du travail dans les services informatiques ». Apec, coll. Apec, 2010. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 3 PRÉSENTATION GÉNÉRALE économie très dépendante, d’une part des infrastructures, et d’autre part de la domination toujours plus importante de l’économie et des emplois informels.2 Le résultat doit modifier sensiblement le regard le plus souvent porté en France sur les conditions d’émergence et les caractéristiques des informaticiens indiens. Ce regard est d’ailleurs très différent de celui des pays anglo-saxons, et tout particulièrement des États-Unis, la principale destination de l’émigration de la maind’œuvre qualifiée indienne. Alors que la tendance dominante en France est de considérer ces informaticiens comme une main-d’œuvre locale, très nombreuse et bon marché, mais peu apte à se substituer aux informaticiens français, les pays anglo-saxons en ont une tout autre expérience. Ainsi, les deux chercheurs soulignent le rôle majeur de ces émigrés dans l’émergence du secteur des IT en Inde à leur retour, avec les biographies de plusieurs cas de notoriété mondiale, cas dotés d’un double statut : celui d’experts et celui de créateurs et dirigeants d’entreprises. À ce titre, il n’est pas inutile de rappeler que les « entrepreneurs » constituent historiquement une figure centrale dans la société indienne. Une recherche qui ouvre des pistes d’études nouvelles Le travail qui a été réalisé a eu pour objectif de répondre à divers questionnements. Au fil de l’avancement de la recherche, il est apparu que nombre des questions sur la situation indienne étaient rarement posées dans le cadre franco-français. Si bien que certains des éclairages qu’elle apporte ne peuvent être comparés avec la situation en France même, ce qui suggère de s’y intéresser. 2. L ’économie informelle – ou « grise », « souterraine », « noire » est opposée à l’économie « officielle ». Cette économie et les emplois liés existent partout dans le monde, mais dans des proportions extrêmes. En 2009, un rapport de l’Ocde estimait que l’emploi informel (c’est-à-dire mal rémunéré et sans protection sociale) représentait 60 % de l’emploi total dans le monde et prévoyait qu’il allait augmenter. Il est la forme d’emploi dominante en Inde, à l’instar des autres pays en développement, où sa proportion varie de 54 % (Amérique du Sud) à plus de 80 % en Afrique sub-saharienne et en Asie. 4 Les chercheurs ont travaillé ainsi sur la question des déterminants sociaux du choix du métier d’informaticien et sur le rôle de l’origine sociale dans le choix de « faire de l’informatique » en Inde, où l’on sait que le système des castes est très présent, sans forcément en connaître toutes les implications mais aussi toutes les évolutions. Les stratégies qui président à la création et au développement des formations en informatique et le rôle central des entreprises dans cette politique sont également traités. De fait, une des clés du lien entre formation et emploi en Inde est précisément la place des acteurs et financements privés dans la création et APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE l’organisation de pans entiers de l’enseignement supérieur, en particulier dans les domaines de spécialités conduisant aux métiers de l’informatique. Alors qu’en France l’implication des entreprises dans l’organisation des formations de l’enseignement supérieur est rarement directe, et difficilement assumée par la collectivité tout entière, en Inde, plus de 50 % de l’enseignement supérieur est privé et plusieurs universités ou instituts portent le nom de leur fondateur, en l’occurrence un chef d’entreprise. Si l’on devait étudier un exemple « exotique » dans le domaine des stratégies et des investissements éducatifs du secteur privé, le cas indien pourrait servir, y compris pour les débats que cela suscite aujourd’hui dans la société indienne, qui aujourd’hui fait le bilan polémique de cette forte implication. Les informaticiens : un monde professionnel mondial, toujours évolutif et complexe La démarche sociographique, a priori la plus pragmatique pour investiguer une réalité sociale contemporaine, ne va concrètement pas de soi. En cela, l’Inde n’est pas un « terrain » spécifique, et tout enquêteur en France peut reconnaître les difficultés que luimême rencontre. Revue des sources existantes, évaluation de leur fiabilité, accès aux données, disponibilité des acteurs, réalisation d’un terrain quantitatif, traitement et exploitation des résultats : à chaque étape, des obstacles surgissent, et les réponses apportées se doivent d’en tenir compte. En cela, les proximités entre l’Inde et la France sont évidentes. En France, le nombre d’informaticiens (cadres et non cadres) est toujours une estimation. Ceux qui travaillent dans le secteur public ne sont pas identifiés, tandis que l’on se heurte à la définition des métiers dans le secteur privé, qui fait toujours débat. Ici comme en Inde, le rôle que jouent les différents acteurs est essentiel pour expliquer en partie cette impression de confusion : les pouvoirs publics, les instances productrices de statistiques nationales, les organisations professionnelles, les entreprises,… produisent tous des chiffres et des nomenclatures de métiers et de secteurs, avec les mêmes zones d’incertitude. Autre point commun, l’absence relative d’adéquation « formation/emploi ». Le phénomène est particulièrement marqué pour les diplômés des écoles d’ingénieurs : dûment formés pour occuper les emplois qualifiés du secteur, ces derniers ne s’y font pas toujours recruter et/ou n’y restent pas. Simultanément, des personnes détenant des diplômes d’autres spécialités et/ou de niveau relativement plus faible, occupent ces emplois qualifiés. Quant à la qualité des renseignements obtenus au cours des entretiens, nul n’ignore la difficulté de distinguer entre le souhait d’informer et celui d’exprimer son point de vue, ce dernier n’étant pas toujours le résultat d’une investigation objective : il en est par exemple ainsi de la comparaison entre les débutants indiens et les débutants français nouvellement recrutés, les premiers étant supposés moins bien « préparés » que les seconds. Quand on sait les débats que suscite en France la « professionnalisation » des formations du supérieur, on peut en conclure que la différence n’est peut-être pas aussi évidente que ceux qui recrutent en Inde le supposent. Ainsi, la collecte des données est aussi difficile en Inde qu’en France, du fait d’un côté de leur rareté ou de leur absence, mais aussi de l’autre en raison de la diversité des auteurs et des producteurs, ainsi que des objectifs donnés à l’information diffusée. Si la sociologie ne semble pas connaître en Inde la place, ou du moins la notoriété, qu’elle a en France, les moyens et les outils en sont disponibles, avec des limites et des difficultés que la sociologie française des professions connaît bien aussi. Informaticiens en Inde, informaticiens en France : de nombreuses similitudes À partir des données disponibles, il se vérifie que la diversité des profils, la complexité des dispositifs de formation et la faible adéquation entre spécialités de formation et postes occupés ne sont pas des particularités françaises. Les informaticiens indiens et les informaticiens français présentent de nombreux traits communs : diversité des profils, mobilité élevée, position relativement élevée dans la hiérarchie sociale, population urbaine, taux de féminisation relativement faible mais non nul, vieillissement… Et dans les deux pays, si l’attractivité de ces métiers a été très forte pendant de nombreuses années, cela semble être moins le cas maintenant. On voit également que, comme ici, la « qualité » des enseignements fait débat : la revue de littérature sur ce point offre un éventail de points de vue très divers, pour ne pas dire divergents. On y trouve autant d’analyses pour saluer la qualité des informaticiens indiens que pour dénigrer la faiblesse de leurs formations, « obligeant » les entreprises à les former, ce qui pourtant pourrait aller de soi. Ce qui est par contre très différent, c’est leur environnement. Ainsi, la description de l’appareil éducatif indien frappe moins par sa complexité, peu éloignée de celle du système français, que par les effectifs auxquels elle renvoie : le système d’enseignement supérieur indien accueille environ 12 % d’une classe d’âge, soit environ 10 millions d’étudiants ; on compte plus de 3 000 écoles d’ingénieurs et plus de 450 000 Bachelors of Engineering sont délivrés chaque année. On retient également l’importance de la sélection (beaucoup de candidats et peu d’élus ; coût élevé des études) et, enfin et peut-être surtout, comme cela a déjà été signalé, la place occupée par les entreprises privées, ce qui ne signifie pas cependant que l’Etat fédéral soit « absent ». Au final, l’exemple indien montre que les logiques d’implantations à l’international s’éloignent en partie du modèle classique de la division internationale du travail, du moins dans le domaine des TIC. Si les stratégies d’offshoring sont toujours mises en œuvre, la place prise par les marchés de consommation internes est devenue essentielle. De fait, la politique d’investissements directs ou indirects en Inde a longtemps trouvé son explication dans la logique classique des exportations de services et de la division internationale du travail. Aujourd’hui, elle est portée par le marché de consommation que représente l’Inde, désormais au 3e rang des pays d’utilisateurs d’Internet. Cette évolution a des conséquences radicales sur les objectifs liés aux politiques d’implantation des entreprises dans le monde, qu’elles soient françaises,… ou indiennes. D’un côté, le premier employeur français en Inde est Capgemini avec plus de 40 000 salariés. Les entreprises françaises emploient au total plus de 240 000 personnes, en majorité qualifiées. L’essentiel de ces salariés est de nationalité indienne, le nombre d’expatriés français étant marginal3. Encore l’estimation reste-t-elle délicate et conduit probablement à une sous-estimation4. Mais, parallèlement, les entreprises indiennes ont elles aussi opté pour une installation durable dans des pays comme la France. C’est le cas des sociétés Wipro, TCS ou Infosys… Leur objectif est en fait le même que celui des entreprises qui s’installent en Inde en optant pour la stratégie de l’articulation étroite du « glocal » (global/local). Et pour cela, elles 3. Selon l’Insee (Insee Première, mars 2013), en 2010, près de 2 500 groupes français hors secteur bancaire contrôlent 31 000 filiales hors de France, employant 4,7 millions de salariés à l’étranger contre 4,2 millions de salariés en France. La première zone d’implantation des groupes est l’Union européenne, avec 43 % des effectifs à l’étranger devant les États-Unis (11 %) et la Chine (9 %). À l’étranger, ces groupes contrôlent davantage de filiales industrielles ou commerciales qu’en France : les filiales étrangères concentrent 41 % de leurs effectifs dans l’industrie, 22 % dans le commerce contre 27 % et près de 15 % dans les filiales françaises. 4. En effet, la législation indienne a été longtemps particulièrement contraignante pour les entreprises étrangères et les investissements français ont été partiellement transformés en investissements de Singapour, ou par des prises de participation peu visibles. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 5 PRÉSENTATION GÉNÉRALE embauchent des cadres français, après avoir été ellesmêmes souvent créées par des informaticiens indiens recrutés aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Ces liens historiques forts avec les pays anglophones marquent indéniablement le monde indien des TIC. Outre la langue, les transferts sont à la fois nombreux, d’origines diverses et disséminés : les nomenclatures de secteurs et de métiers, les niveaux de formation, les titres délivrés, avec, en outre, une culture de l’entreprenariat qui voit converger les modèles de sociétés. C’est cet ensemble d’évolutions d’origines diverses mais convergentes à l’échelle mondiale qui conduit un cadre français travaillant en Inde à affirmer lors de son interview par Roland Lardinois réalisée début 2013 : « Dans le modèle “one team”, on a une seule équipe sur le projet, qu’elle soit en Inde ou en France. On travaille avec les mêmes outils, les mêmes méthodes, les mêmes approches. Le client doit sentir qu’il n’a affaire qu’à une seule équipe. » Les chercheurs Roland Lardinois est sociologue, Directeur de recherches émérite au CNRS (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris). Spécialiste de l’Inde, il a passé quatre ans (2010-2013) au Centre de sciences humaines, à Delhi, où il a initié un projet de recherches franco-indien sur l’histoire et la sociologie des ingénieurs indiens. Il a publié notamment L’invention de l’Inde. Entre ésotérisme et sciences sociales, Paris, CNRS Éditions, 2007. P. Vigneswara Ilavarasan (PhD, IIT-Kanpur) est professeur associé au département de management de l’Indian Institut of Technology de Delhi. Ses recherches portent sur le secteur des technologies de l’information et de la communication, et sur les usages sociaux de la téléphonie mobile en Inde. Il a reçu plusieurs distinctions, notamment le Outstanding Young Faculty Fellowship Award du IIT-Delhi (2008-2013) et le Prof. M.N. Srinivas Memorial Prize délivré par la Indian Sociological Society (2009). Il est l’auteur notamment de « Indian software workforce : A labour process view », dans C. Upadhya et A. R. Vasavi (dirs.) In an outpost of the Global Economy : Work and Workers in the India’s Information Technology Industry, 2008, Routledge, New Delhi, p.162189, et de « Center for Global’or ‘Local for Global’? R&D Centers of ICT Multinationals in India » dans Howlett, R. J (dir.) Innovation through Knowledge Transfer 2010, Berlin, Springer, 2011, 275-282. l – INTRODUCTION – Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est devenu, depuis une dizaine d’années, l’image de marque du développement économique de l’Inde et le symbole de l’entrée de ce pays dans l’ère de la postmodernité, celle des réseaux du monde de l’informatique, de l’Internet et de la téléphonie mobile. Les milliers d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers d’affaires et de services dans les grandes métropoles comme Bangalore, Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule d’employés en col blanc, la présence de ces techniciens qualifiés dans les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment aux États-Unis, revenus pour certains investir en Inde dans les TIC, tout cela contri6 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE bue encore à la renommée de ce succès économique et social. Aussi, les pays du sud observent avec intérêt ce qui est présenté comme un modèle de développement qui pourrait être reproduit dans d’autres contextes nationaux. Quelques chiffres fournissent des clefs pour cette fascination. Pour l’année fiscale 2011, selon les chiffres du syndicat professionnel de ce secteur (Nasscom, National Association of Software and Services Companies), l’ensemble du secteur des TIC et des services associés (Business Process Outsourcing, BPO) aurait généré des revenus de l’ordre de 88,1 milliards (billions) de dollars dont 76,1 milliards, soit 86 % du total, reviendraient au seul secteur des services informatiques. Le taux de croissance annuel du secteur des TIC serait passé de 1,2 % en 1998 à 6,4 % en 2011. Toujours pour cette même année fiscale, le nombre total d’employés qualifiés était estimé à 2,5 millions de personnes et les emplois indirects induits par le secteur seraient de l’ordre de 8,3 millions : dans la majorité des cas, il s’agit d’emplois dans des activités annexes (sécurité, entretien, restauration, transports) qui absorbent une main d’œuvre peu qualifiée. Autre motif de fascination, le secteur des TIC a vu émerger de nouvelles catégories d’entrepreneurs privés. Leur principale caractéristique est de ne pas être issus des groupes marchands traditionnels du monde indien. À leurs côtés, quelques familles de riches commerçants hindous ou musulmans ont su profiter de l’essor de ce nouveau marché pour diversifier leurs activités et même parfois réaliser de véritables reconversions. Les revenus tirés du secteur des TIC ont également induit l’essor d’autres secteurs économiques, comme ceux de l’immobilier et du commerce, pour répondre aux demandes de consommation de ces nouvelles catégories d’employés qualifiés. Si le nombre d’employés du secteur des TIC paraît modeste au regard de la majorité rurale et paysanne de la population indienne qui regroupe environ 69 % de la population totale, ces employés hautement qualifiés engagés dans un secteur d’activités technologiques de pointe ont un rôle central de producteurs de normes, de valeurs, de références sociales pour l’ensemble de la population. Ce rapport présente une vue d’ensemble du secteur indien des TIC. Il commence par une présentation synthétique des politiques scientifiques qui ont préparé l’essor du secteur des TIC (Chapitre 1). Y est rappelé le rôle des trois acteurs principaux que sont, d’une part, la puissance publique, qu’il s’agisse de l’Union indienne ou des états fédérés, d’autre part, les associations professionnelles et, enfin, les acteurs transnationaux. Ces derniers acteurs sont les hommes d’affaires indiens, presque tous des ingénieurs, qui ont fait fortune à l’étranger, aux États-Unis surtout, avant de revenir investir dans ce secteur de pointe en Inde. L’économie des TIC (Chapitre 2) est ensuite située au sein de l’économie des services qui est au centre de la croissance de l’Inde depuis deux décennies. Il est d’abord souligné que les données disponibles pour apprécier l’ensemble de ce secteur sont hétérogènes et difficiles à mobiliser de manière cohérente. L’essor des TIC résulte en premier lieu de la disponibilité d’une main-d’œuvre d’ingénieurs et de techniciens qualifiés que l’Inde produit en masse dans des milliers d’écoles d’ingénieurs (Engineering Colleges) dont les campus couvrent les villes et les campagnes (Chapitre 3). Quelles sont ces écoles, quels principes différencient les écoles d’élite comme les Indian Institutes of Technology de la masse des petites écoles qui s’apparentent plus à des IUT français ou même à des centres d’apprentissage ? Quelles sont les principales voies d’accès qui permettent d’entrer dans ces écoles ? Quels sont les certificats, les diplômes et les grades qu’elles délivrent ? Y a-t-il un titre d’ingénieur en Inde (Chapitre 4) ? L’espace social des SSII indiennes fait l’objet d’une étude quantitative inédite menée sur les deux cents premières entreprises de ce secteur (Chapitre 5). L’objectif de ce travail est de comprendre comment se présente ce milieu entrepreneurial très diversifié mais largement dominé par quelques dizaines de grands groupes. Plusieurs encarts présentent des portraits d’entreprises qui font la réputation de l’Inde (TCS, Infosys, Wipro, HCL, etc.) et les ingénieurs entrepreneurs qui les ont bâties. Ensuite, les procédures de recrutement du secteur des TIC, qui varient selon la taille et les moyens financiers de ces entreprises, sont analysées. Elles sont orientées depuis peu vers un mode industrialisé de sélection et complétées par des mesures de formation en interne du personnel recruté en vue de pallier les manques du secteur éducatif (Chapitre 6). L’étude de la population des ingénieurs informaticiens (Chapitre 7) est fondée sur une enquête menée auprès de 500 employés localisés dans les grandes métropoles. Cette étude privilégie les employés qualifiés, les ingénieurs software et les cadres et managers et étudient leurs formations, qualifications professionnelles et parcours en termes d’emplois. Une dernière section de ce chapitre esquisse le portrait socio-économique de ces catégories d’employés qui représentent les nouvelles fractions émergentes des classes moyennes urbaines. Enfin, il faut souligner que le secteur des TIC est confronté à une difficulté majeure qui peut compromettre l’évolution future de ces activités technologiques : la faiblesse de la part consacrée par les SSII indiennes à la recherche et au développement (Chapitre 8). En conclusion, la place de l’Inde sur le marché mondial des TIC est discutée, à partir des résultats d’une enquête internationale menée par un observatoire de ce secteur d’activité. La montée en puissance de la Chine doit faire réfléchir les responsables indiens, hommes politiques et acteurs entrepreneurials, sur les gains de productivité à trouver dans les sociétés indiennes, afin de soutenir un taux de croissance qui s’est ralenti ces dernières années. l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 7 INTRODUCTION – ENCADRÉ 1 : INDE, PRÉSENTATION – L’Union Indienne est une république fédérale constituée de vingt-huit états et de sept territoires de l’Union. Le régime politique est une démocratie parlementaire structurée par une chambre basse (Lokh Sabha, ou Chambre du peuple) dont les députés sont élus au suffrage universel direct, et d’une chambre haute (Rajya Sabha, ou Conseil des États), composée de membres nommés et élus au suffrage indirect. Les politiques publiques relèvent de trois échelles de décision qui sont parfois concurrentes : le niveau central de l’Union, le niveau fédéral des États et des Territoires de l’Union, enfin le niveau local dont les structures de gouvernance varient selon le statut des municipalités. La population de l’Inde est estimée à 1210 millions d’habitants selon les résultats du recensement de 2011. Le taux de croissance annuel de la population est de 1,6 % par an (2001-2011), ce taux diminuant régulièrement depuis les années 1980. Avec 17,5 % de la population mondiale, l’Inde est le second pays le plus peuplé au monde, après la Chine. Les deux langues officielles utilisées par le gouvernement de l’Union indienne sont l’anglais et le hindi (cette dernière langue étant parlée majoritairement dans le nord de l’Inde). Cependant, la constitution reconnaît vingt-deux langues officielles, chaque état de l’Union ayant sa propre langue administrative. Dans ce pays multiconfessionnel, les hindous représenteraient 80,5 % de la population totale, les musulmans 13,4 %, les chrétiens 2,3 %, les sikhs 1,9 %, les bouddhistes 0,8 %, les jains 0,4 % et les divers 0,7 % ; par ailleurs, la population tribale est de l’ordre de 8 %, mais les catégories de classement ne sont pas univoques et cette population est souvent répartie parmi d’autres groupes confessionnels (ces chiffres sont extraits du Census 2001). La société hindoue proprement dite est organisée en quatre ordres (varna) qui tirent leur origine des textes classiques anciens de l’hindouisme. Il s’agit des prêtres (brahmanes), des rois (kshatriya), des commerçants (vaishya), et des gens ordinaires (shudra). Ces ordres se subdivisent en groupes endogames, souvent associés à une occupation, et ordonnés selon leur degré de pureté rituelle. Ce sont les « jâti », ou castes proprement dites (selon le mot portugais casta) qui organisent toujours une part de la vie ordinaire des hindous, en particulier pour les mariages. Les groupes considérés comme « impurs » et dits « Intouchables », improprement appelés « hors castes », sont désignés maintenant comme « Dalits » (opprimés) ; ils n’appartiennent pas aux quatre ordres précédents des « varna », mais ils sont intégrés au système des castes (jâti), par le bas. Par ailleurs, l’État central a défini juridiquement d’autres grands groupes de castes, Scheduled Castes, Scheduled Tribes, Other Backward Castes/ Classes, qui sont au principe des politiques de « discrimination positive » selon un système complexe de quotas, mises en place dans l’enseignement public supérieur et dans la fonction publique. 8 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – Carte 1 – États et villes principales de l’Inde AFGHANISTAN Jammu-etCachemire CHINA Himachal Pradesh Punjab Chandigarh Harayana PAKISTAN Uttarkand Dehli Arunachal Pradesh NEPAL BHUTAN SIKKIM Uttar Pradesh Rajasthan Assam Bihar Gujarat Dadra et Nagar Haveli Mumbai (Bombay) Jharkhand Madhya Pradesh Meghalaya BANGLADESH Bengale Occ. Chattisgarh Kolkata (Calcutta) Tripura Nagaland Manipur Mizoram BIRMANIE Orissa Maharashtra Hyderabad Andhra Pradesh Goa Karnataka Chennai Kerala Tamil Nadu Pondichéry SRI LANKA APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 9 10 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –1– – B RÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE – 12 15 17 19 Un développement en trois phases Le rôle de l’État Les associations professionnelles Les entrepreneurs transnationaux APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 11 –1– BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) s’inscrit dans l’histoire des politiques scientifiques et technologiques mises en place par l’État dès l’indépendance de l’Inde en 1948 (encadré 2). Cependant, l’essor de ce secteur est plus récent. Il date du milieu des années 1980 et surtout des années 1990 lorsque furent introduites des réformes structurelles qui ont mis partiellement fin à une économie étatique laissant peu de place aux entreprises privées et aux forces du marché. Après avoir présenté les trois grandes périodes de l’histoire des TIC, le rôle structurant de l’État dans le développement de ce secteur est rappelé, alors qu’il est pourtant dominé par les entreprises privées. – 1.1 UN DÉVELOPPEMENT EN TROIS PHASES – La première phase s’étend des années 1950 jusqu’au milieu des années 1980. Pendant cette période, la politique de l’État en matière d’informatique s’inscrit dans le modèle socialiste de développement que défend le premier ministre Jawaharlal Nehru. Il s’agit de doter le pays des infrastructures industrielles de base en matière de routes, de chemins de fer, de grands barrages, d’électricité. L’ensemble du secteur industriel est sous le contrôle de l’État ; il n’y a pas de grandes différences stratégiques entre les secteurs hardware et software, et le gouvernement ne fait preuve d’aucune prospective commerciale. Ce sont les grands instituts publics de recherche et d’enseignement qui initient l’introduction de l’informatique, notamment le Indian Statistical Institute à Kolkata, le Tata Institute of Fundamental Research à Mumbai et l’Indian Institute of Technology à Kanpur. Cette première phase est marquée par l’entrée d’IBM sur le marché indien en 1961 et par son éviction en 1978, en réponse au refus de la société américaine d’ouvrir son capital aux investisseurs indiens et de partager ses droits de propriétés intellectuels. Son départ permet aux entreprises indiennes et aux premiers informaticiens, dont beaucoup avaient été formés par IBM, d’assurer la continuité de la maintenance du matériel laissé par IBM et d’occuper ainsi le marché national. La seconde phase, plus courte, va du milieu des années 1980 au début des années 1990. Elle est associée à la politique technologique initiée par le premier ministre Rajiv Gandhi, à la tête du gouvernement de l’Union après l’assassinat d’Indira Gandhi en 1984. Si celui-ci impulse une politique innovante en matière des TIC, son action s’inscrit dans le droit fil des mesures précédemment mises en place par le gouvernement d’Indira Gandhi. L’État reconnaît alors le potentiel économique que représente le développement du secteur des services informatiques (software). Les restrictions douanières à l’importation sont progressivement levées, 12 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE mais le gouvernement central manque encore d’une vision à long terme pour définir une politique viable. Cependant, les entreprises multinationales sont progressivement autorisées à s’installer en Inde, et malgré les difficultés administratives et technologiques encore fortes, Texas Instrument ouvre un bureau à Bangalore et démontre, pour les partenaires indiens et américains, la viabilité de la délocalisation des services informatiques en Inde. La création à Mumbai de la National Association of Software and Service Companies (Nasscom), dont le siège est aujourd’hui établi à Delhi, témoigne des changements qui s’opèrent alors dans le milieu entrepreneurial des TIC. Toutefois, troisième phase, ce n’est qu’à partir du début des années 1990 que le secteur des TIC prend réellement son essor sous l’effet des politiques libérales menées tant par le gouvernement central de l’Union que par celui de quelques états fédérés comme ceux de l’Andhra Pradesh, du Karnataka et du Tamil Nadu dans le sud de l’Inde. Confronté à un fort déséquilibre de sa balance des paiements, en 1991, le gouvernement Indien, soutenu par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, s’engage dans la privatisation de l’économie, assouplit les règles du contrôle des changes et favorise les investissements étrangers directs (Foreign Direct Investment) dans l’économie nationale. La convertibilité partielle de la roupie en devises étrangères, en 1993, favorise le développement du secteur privé et permet l’essor d’une économie de biens et de services dont les TIC ont été l’un des grands bénéficiaires. Le secteur du matériel hardware, malgré son fort potentiel sur le marché intérieur, est délaissé au profit d’un modèle de services software orienté vers les seules exportations à destination des pays développés (États-Unis, Europe). L’Inde passe alors rapidement d’un système de services peu qualifiés sur site (on-site) à l’étranger à un système de production délocalisée (offshore) en Inde. – ENCADRÉ 2 : CHRONOLOGIE DE LA POLITIQUE DES TIC – la maintenance du matériel qu’IBM laisse dans le pays 1951 IBM ouvre un bureau commercial à Calcutta 1953Premier calculateur analogique indien développé à l’Indian Statistical Institute (ISI) à Kolkata Partenariat TCS-Burroughs (Tata Burroughs Limited) pour vendre et entretenir du matériel Burroughs en Inde 1958 ISI importe un ordinateur soviétique URAL 1961IBM introduit son ordinateur modèle 1401 en Inde et ouvre un centre de formation à Delhi 1979 TCS est autorisé à ouvrir un bureau aux États-Unis 1962Premier ordinateur digital indien (TIFRAC) installé au Tata Institute of Fundamental Research à Mumbai 1983Premières mesures pour autoriser l’importation sans taxe des ordinateurs ou de leurs composants, qui sont assemblés en Inde ; autorisation d’investissements aux capitaux étrangers ; création du Center of Development of Telematics (C-DOT) pour mettre en place les systèmes de télécommunications indiens 1963Committee on Electronics, sous la présidence de Homi J. Bhaba (président de la Commission pour l’énergie atomique) 1966Azim Premji reprend l’entreprise familiale Wipro spécialisée dans les oléagineux 1967Electronics Corporation of India Lt (production d’ordinateurs en concurrence avec IBM) 1968 Création de Tata Consultancy Services (TCS) à Mumbai 1970 Department of Electronics 1971 Electronics Commission (remplace le Electronics Committee) ; la politique en matière électronique passe du contrôle du ministère de la Défense aux mains des scientifiques 1973 Santa Cruz Electronics Export Processing Zone (SEEPZ), Mumbai Microcomputer Panel Report 1974TCS signe le premier contrat d’importation pour le secteur privé d’un ordinateur Burroughs B1728 pour développer des softwares installés sur site aux États-Unis 1975Azim Premji, directeur général de Wipro, crée la première division informatique au sein du groupe 1976Programme pour inciter les Indiens non-résidents (NRI) à investir en Inde ; baisse des taxes à l’importation de matériel hardware destiné au développement de software Création de Hindustan Computer Limited (HCL) 1977Partenariat entre TCS et la société américaine Burroughs pour faire de l’import-export de hardware et de software 1978IBM refuse d’ouvrir sa société aux capitaux indiens ; le gouvernement central dirigé par la coalition du Janata, de centre gauche, contraint IBM à quitter l’Inde en laissant le marché aux entreprises indiennes qui vont assurer Microcomputer Policy 1981 Création de la société Infosys 1985Début de l’informatisation de quelques banques et bureaux de réservation des chemins de fer indiens ; diffusion de l’informatique en dehors des milieux de la recherche scientifique Ouverture à Mumbai du premier supermarché informatique Texas Instrument s’installe à Bangalore malgré de nombreuses difficultés administratives, ce qui marque le début du processus d’outsourcing 1986Computer Software Export Development and Training Policy (Software classé dans la catégorie Open General License) 1987Entrée des entreprises multinationales sur le marché indien par l’intermédiaire des sociétés filiales 1988Electronics and Software Export Promotion Council (Ministry of Commerce) National Association of Software and Service Companies (Nasscom) Software exempté de tout droit de douane 1990 Importation du premier super computer CRAY X-MP-14 iFlex est fondée à Mumbai : entreprise fournissant des services informatiques pour le secteur bancaire, aujourd’hui leader du marché indien 1991 Software Technological Parks of India (sous la responsabilité du Department of Electronics) Saha Computers & Communications, première entreprise indienne fabriquant des ordinateurs portables APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 13 –1– BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE Joint venture entre Hindustan Computer Limited (HCL) et Hewlett Packard (HP) pour développer le multiprocesseur UNIX pour HP ; marque le début du secteur Recherche et Développement Centre for Development of Advanced Computing (CDAC) développe le premier supra ordinateur indien, PARAM 1000 1991Crise de la balance des paiements ; New Industry Policy : premier assouplissement des règles de convertibilité de la roupie indienne ; les investissements étrangers directs (FDI) ont autorisés 1992IBM revient en Inde pour la vente de hardware et l’exportation de services software 1993 Convertibilité de la roupie pour les comptes courants Introduction du visa de type H1-B par les États-Unis pour les informaticiens indiens qui entrent massivement sur le marché américain dans le cadre de la phase préparatoire au passage à l’année 2000 (dite en anglais Y2K) 1994National Telecom Policy ; diminution du coût des infrastructures des télécommunications et augmentation des services offerts Infosys ouvre une filiale aux États-Unis et Wipro une unité Recherche et Développement HCL-HP produisent le premier ordinateur indien avec un processeur Pentium 1995 Premier cyber-café à Mumbai Informatisation complète du système de réservations en ligne des chemins de fer indiens, premier grand succès public du secteur des TIC VSNL (Videsh Sanchar Nigam Limited), premier pourvoyeur public de services Internet 1996 Rediff. com, premier portail indien 1998National IT Task Force mise en place par le gouvernement pour étendre l’informatisation du secteur public 1999 Infosys, première SSII indienne introduite au NASDAQ National Telecom Policy 100 % Foreign Direct Investment recommandé par le gouvernement dans le secteur des TIC 2001Ministère des Technologies de l’information et des communications 11 septembre, attentats de New York ; 13 décembre, attaque du parlement indien à New Delhi, en conséquence forte décroissance du secteur des TIC 2002Début en Inde de la Centrino Mobile Technology utilisée pour les Notebooks TCS coté au NASDAQ 2004Deux gouvernements fédérés réputés pour avoir favorisé le développement des TIC dans leur état perdent les élections en Andhra Pradesh et au Karnataka Plusieurs SSII annoncent des chiffres d’affaire supérieurs à la barre symbolique du billion (un milliard) de dollars Annonce du lancement de la connexion haut débit à 2.4GHz 2009Faillite retentissante de la société Satyam Computer Services établie à Hyderabad (Andhra Pradesh) Rachat de Satyam par Tech Mahindra 2012Trente chefs d’entreprises de pointe du secteur software s’organisent en think tank sous le nom de iSpirt (Indian Software Product Industry Round Table) au sein de la Nasscom. Mise en place d’unités de recherches dans les grands instituts scientifiques indiens par les entreprises multinationales Trois types d’acteurs sont présents dans le secteur des TIC et il faut les prendre chacun en compte pour comprendre les débats qui traversent ce milieu. Il s’agit, d’abord, des agences publiques de l’État cen- 14 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE tral et des états fédérés, ensuite, des organisations professionnelles et, enfin, de la communauté indienne transnationale. l – 1.2 LE RÔLE DE L’ÉTAT – L’interprétation du rôle de l’État dans le développement du secteur des TIC est controversée par les acteurs eux-mêmes. Nombre d’entrepreneurs soutiennent que l’État a été, sinon une entrave, au mieux un acteur indifférent à l’essor du secteur informatique. Ils considèrent que ce secteur illustre le succès de l’esprit d’entreprise du capitalisme indien une fois libéré des entraves bureaucratiques de l’économie étatique. À l’encontre de cette vue sommaire et fondamentalement fausse, Kiran Karnik, qui fut président de la Nasscom de 2000 à 2008, rappelle que le secteur des TIC n’aurait pas pu se développer sans l’intervention de l’État. Aujourd’hui, ce dernier continue d’encourager, d’encadrer et de favoriser la politique d’exportation des services informatiques. Le développement du secteur informatique a d’abord été permis par l’existence d’ingénieurs formés dans le réseau des écoles d’élites publiques, les Indian Institutes of Technology (IIT) et les National Institutes of Technology (NIT), mis en place par l’État lors de l’indépendance de l’Inde et, depuis une vingtaine d’années, les Indian Institute of Information Technology (IIIT, dit « triple IT »). On note cependant que presque tous les grands entrepreneurs du secteur des TIC ont complété leur formation d’ingénieur à l’étranger, principalement aux États-Unis, et cela dès les années 1950. L’État a toujours joué un rôle primordial, mais ce sont les états fédérés, en particulier l’état du Maharashtra et ceux du sud de l’Inde (Andhra Pradesh, Tamil Nadu) qui ont initié le développement de grande ampleur des écoles d’ingénieurs, en privatisant largement ce secteur éducatif souvent aidé par les pouvoirs publics, au moins au début et c’est l’existence d’une main d’œuvre anglophone sortie de ces écoles qui a permis l’essor du secteur des TIC. Dans les années 1970 et 1980, le gouvernement a d’abord favorisé le développement d’une activité industrielle orientée vers la production de matériel informatique (hardware). Mais devant la nécessité d’importer une partie de ce matériel qui était ensuite assemblé en Inde, le gouvernement central a encouragé les entrepreneurs à faire entrer des devises étrangères pour équilibrer la balance des paiements. C’est ainsi que la politique d’exportation des services informatiques a été favorisée par l’État. Les sociétés comme Wipro ou Hindustan Computer Limited (HCL) étaient d’abord engagées dans la production d’ordinateurs individuels avant de se spécialiser dans les services de software pour l’exportation. Le marché intérieur du software était alors encore inexistant et non rentable. Avant de fonder Infosys en 1981, Narayana Murty avait créé une petite société de services software et tenta de se développer sur le marché intérieur, mais ce fut un échec. En revanche, l’Inde bénéficiant du décalage horaire favorable avec les États-Unis, les entreprises pouvaient livrer au matin des services commandités dans les vingtquatre heures précédentes, ce que Tata Consultancy Services comprit dès ses premiers contrats. Pour assumer ses fonctions d’encadrement des politiques informatiques, l’État s’est doté de deux agences publiques, d’une part, le Software Technological Park of India, dit STPI (encadré 3) et, d’autre part, le Electronics and Computer Software Export Promotion Council, dit ESC (encadré 4). – ENCADRÉ 3 : SOFTWARE TECHNOLOGICAL PARKS OF INDIA (STPI) – Le Software Technological Parks of India (STPI) est une structure administrative mise en place en 1991 sous l’égide de ce qui était alors le Department of Electronics et qui est devenu aujourd’hui le Department of Information Technology au sein du Ministry of Communication and Information Technology. Ce programme concerne un seul type de service orienté vers l’exportation, il s’agit des activités associées au développement et à la maintencance de software. Il est destiné en premier lieu à faciliter l’organisation matérielle des entreprises dans des zones géographiques où les infrastructures sont prises en charge par l’État (notamment le câblage en fibre optique). Le programme distingue trois types de structures qui sont implantées dans les grandes métropoles sur l’ensemble du territoire : d’abord, des unités vouées à 100 % à l’exportation, ensuite des zones privilégiées d’exportation et, enfin, des unités plus vastes que sont les parcs scientifiques ou technologiques. En 2009-2010, le STPI recense 7 000 unités opérationnelles dont 5 800 travaillant pour l’exportation. Les entreprises qui font le choix d’opérer dans le cadre du STPI bénéficient également d’une assistance bureaucratique centralisée pour les procédures d’exportation et, surtout, elles jouissent d’avantages fiscaux importants : droit de change sur la totalité des transactions, exonération de taxes à l’exportation, possibilité de vendre sur le marché intérieur 50 % de la valeur des exportations, et exonération fiscale (au moins pour les dix premières années du programme, jusqu’en 2011). L’administration du STPI tente également d’améliorer et d’harmoniser les standards de production et aussi de vendre le secteur des TIC à l’étranger en organisant des tables rondes, des ateliers et des séminaires, notamment au sein des parcs technologiques. (Source : Software Technology Parks of India, Annual Report 2007-2008 et 2009-2010). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 15 –1– BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE Le STPI désigne à la fois l’agence publique chargée d’encadrer et de faciliter l’exportation de services software et les unités physiques de productions où sont installées les sociétés productrices de services ; il peut s’agir simplement de quelques pièces dans un immeuble, qui bénéficient du statut de STPI ou d’espaces plus vastes, software clusters, constituant des petits parcs d’activités de services insérés dans le tissu urbain. Le Electronics and Computer Software Export Council-ESC (encadré 4) est une agence publique chargée uniquement de promouvoir le secteur des TIC à l’étranger. En dehors de ces deux agences centrales, les états fédérés se sont dotés de services administratifs en charge d’encadrer les politiques dans le secteur des TIC. Les aides des états se traduisent essentiellement par la création de zones spéciales d’activités économiques (Special Economic Zones, SEZ) en milieu ur- – ENCADRÉ 4 : ELECTRONICS AND COMPUTER SOFTWARE EXPORT PROMOTION COUNCIL (ESC) – Le Electonics and Computer Software Export Promotion Council (ESC), créé en 1989 par le gouvernement de l’Union indienne, est un bureau central chargé d’encadrer et de faciliter les exportations de tous produits hardware et software développés par les entreprises du secteur des TIC. À cette fin les entreprises indiennes doivent s’enregistrer auprès du ESC qui leur attribue un « Registration-cum-Membership Certificate ». En contrepartie, le ESC fournit toutes les informations économiques, politiques et institutionnelles nécessaires aux entreprises pour accéder aux marchés d’exportations ; l’agence tient des stands dans les foires et expositions internationales et elle organise des rencontres avec des délégations étrangères, notamment des Buyer-SellerMeets (BSM) avec les entreprises étrangères. L’évènement annuel le plus important, que réalise le ESC depuis huit ans, est appelé India Soft, foire commerciale orientée plutôt vers les petites et moyennes entreprises et visant les marchés des pays de l’Afrique, de l’Amérique latine ainsi que les Émirats arabes. Le ESC a des antennes dans presque tous les software clusters. Mais ses bureaux sont modestes en moyens financiers et humains. Les employés sont souvent sous-payés, de l’ordre de 6 000 roupies, soit moitié moins que les salaires d’entrée dans les centres d’appel, qui sont eux-mêmes dans les tranches inférieures des salaires du secteur des TIC. Quoi qu’il en soit, les rapports annuels publiés par le ESC sont une des sources d’informations gouvernementales et permettent d’avoir une vue d’ensemble sur les exportations des différents segments du secteur des TIC. 16 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE bain ou péri-urbain. L’état se charge de fournir les terrains des SEZ et de les viabiliser au moins pour les infrastructures de base, eau, électricité, routes, transports. En outre, les entreprises bénéficient d’exonérations fiscales importantes, très incitatives. Les états fédérés interviennent également pour apporter du capital (venture capital) aux petites entreprises innovantes. À noter cependant que ces SEZ ne sont pas spécifiquement destinées au secteur des TIC. L’État demeure donc un acteur très présent au sein du secteur des TIC, leur essor étant devenu vital pour l’ensemble de l’économie de l’Inde. Récemment encore, le gouvernement de l’Union a décidé d’ouvrir de nouveaux instituts de technologie spécialisés dans les TIC (voir infra) afin de répondre aux besoins en main d’œuvre diplômée. Autre marque de son intervention, l’exemption de taxes des STPI, d’abord prévue pour une période de dix ans et qui devait prendre fin en 1991, se poursuit toujours en 2012. Par ailleurs, l’État central est lui-même un important consommateur des TIC pour ses propres services. Le gouvernement a initié un système d’identification biométrique individuelle de la population. À cette fin, il a créé une agence, Unique Identification Authority of India (UIDA), placée sous la présidence de Nandan Nilekani, l’un des fondateurs de la société Infosys, qui a rang de ministre. L’UIDA est chargée de développer une carte d’identité à puce électronique appelée Aadhaar (en hindi aadhaar signifie « support », « fondation ») dont chaque Indien, à terme, devra être porteur. Cette carte vise d’abord à rationaliser le système de distribution des aides (revenu minimum, allocation de santé, subside engrais, pension, bourse) afin d’accroitre le rendement des subsides versés par l’Union. C’est aussi une carte bancaire permettant de recevoir ces aides publiques directement sur un compte bancaire – que les plus démunis se voient donc contraint d’obtenir – et de retirer de l’argent dans les distributeurs automatiques de billets dont tous les villages s’équipent. À terme, ce projet doit constituer, à l’échelle des états fédérés, un vaste système d’informations individuelles très variées, parfois confidentielles (sur la santé par exemple). Aussi, des défenseurs des libertés individuelles se sont élevés contre les objectifs de ce projet qu’ils contestent sur le fonds et sur la forme. l – 1.3 LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES – À côté de l’État, il existe trois types d’associations professionnelles qui structurent le secteur des TIC, respectivement à l’échelle centrale, à l’échelle des régions ou des états fédérés et enfin à l’échelle internationale. Toutes ces associations servent de représentants des entrepreneurs auprès des autorités administratives avec lesquelles elles négocient les avantages fiscaux et mobilisent les réseaux politiques d’état pour accéder aux marchés étrangers. Elles sont aussi productrices d’informations diverses sous formes de rapports réguliers et d’enquêtes ponc- tuelles. Souvent critiquées pour le lobbying dont elles font preuve, en particulier en faveur des plus grandes sociétés de service informatiques, ces associations jouent un rôle important auprès des pouvoirs publics dont elles ont été longtemps les premières sources d’information. La Nasscom (encadré 5) est l’association professionnelle centrale la plus active depuis une vingtaine d’années et aussi la plus connue. Il n’est pas indifférent que son office central soit localisé à New Delhi, dans la capitale politique, qui n’est devenue que – ENCADRÉ 5 : LA NASSCOM – La National Association of Software and Services Companies (Nasscom) est née d’un conflit d’intérêts entre les producteurs de matériel (hardware) et les producteurs de logiciels et de services (software) au sein de la Manufacturers Association of Information Technology (MAIT) qui avait été fondée en 1982. Cette dernière association était contrôlée par les entrepreneurs de hardware qui s’opposaient à l’arrivée en Inde d’entreprises étrangères concurrentes, et ceux-ci freinaient le développement d’un secteur software indépendant des producteurs de hardware. En 1987, une cinquantaine d’entreprises de software quittèrent la MAIT pour fonder la Nasscom, malgré l’hostilité du gouvernement d’alors qui voyait dans cette division un risque d’affaiblissement du secteur émergent des TIC. « Les entreprises de software avaient le sentiment d’être traitées comme les cousins pauvres du secteur hardware, tant par les industriels que par le gouvernement. Mais aujourd’hui la situation s’est inversée et ce sont les industriels du hardware qui se plaignent d’être mal traités », rapporte Kiran Karnik, l’un des anciens présidents de la Nasscom (Karnik 2012). La Nasscom fonctionne comme une « coalition de concurrents », selon l’expression de Karnick, capable de mettre en commun leurs ressources, d’échanger des informations, d’organiser des colloques, de mobiliser l’opinion publique et de faire du lobbying auprès du gouvernement pour définir les axes d’une nouvelle politique des services informatiques. Dans les années 1980, les dirigeants de ces entreprises soutenaient l’installation en Inde de filiales des géants de l’informatique comme IBM, Texas Instrument, Hewlett Packard ou Microsoft, pensant que les entreprises indiennes y gagneraient à la fois du point de vue technologique et du point de vue économique pour pénétrer le marché américain. La Nasscom organise ses activités de lobbying tant aux États-Unis qu’auprès de l’Union européenne pour défendre les vertus de la pratique de l’offshore et contrer les tendances protectionnistes toujours vives dans ces pays. Un des atouts de la Nasscom est d’appuyer son activité de promotion des TIC par de puissants rapports commandés notamment au cabinet McKinsey, et largement repris dans les médias. Malgré le coût financier d’accès à ces rapports et le caractère opaque de leurs données (statistiques non référencées présentées dans un jargon économico-managérial adapté au milieu professionnel visé), ceux-ci restent la première source d’informations, en l’absence d’études équivalentes qui seraient produites par le ministère des Communications et des technologies de l’information, créé tardivement en 2001. De 700 membres environ au début des années 2000, la Nasscom revendique près de1300 membres institutionnels en 2012. L’association se veut le porte-parole de l’ensemble du secteur IT dont elle reconnaît pourtant qu’il rassemblerait environ 4 000 entreprises (lorsque l’agence du STPI avance le chiffre de 7 000 unités sous son programme). Beaucoup de ces unités sont de petites ou très petites entreprises dont les cycles de vie peuvent être très courts et dont les intérêts sont mal représentés par l’association qui, depuis sa création, défend surtout les intérêts des plus puissantes sociétés de services informatiques en termes de chiffres d’affaires et de personnel employé. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 17 –1– BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE tardivement un des lieux de concentration des sociétés informatiques. La Nasscom a des bureaux régionaux à Mumbai, Hyderabad, Bangalore et Chennai mais leurs représentants n’ont pas la notoriété du président de l’association, et c’est dans les bureaux à Delhi que les décisions importantes sont prises. Elle a mis en place des comités spécialisés (Special Interest Groups, SIG) en charge des petites et moyennes entreprises et distribue des prix, notamment en matière d’innovation technologique, célébrés dans des manifestations publiques relayées par les medias. Il existe deux associations régionales, d’une part, la Software Exporters Association of Pune (SEAP), au Maharashtra et, d’autre part, la Hyderabad Software Exporters Association, basée dans la capitale de l’état de l’Andhra Pradesh. Ces deux associations, de taille plus modeste que la Nasscom, représentent essentiellement les entreprises de leur état respectif et n’ont pas d’ambition nationale à l’échelle de l’Inde. Le troisième type d’association est constitué des chambres de commerce liant l’Inde avec des pays étrangers, comme la Indo-German Chamber of Commerce, la Indo-US Chamber of Commerce ou la IndoFrench Chamber of Commerce and industry (IFCCI). Ces chambres de commerce sont généralistes et le secteur des TIC n’est qu’un de leurs champs d’activités. Elles ont un bureau central, à Mumbai par exemple pour la IFCCI, et des bureaux régionaux comme à Chennai, toujours pour la IFCCI. Elles organisent des tables rondes pour mettre en contact tous les acteurs du monde industriel des deux pays concernés et facilitent l’installation des entreprises étrangères en Inde. Il existe enfin une association qui vise les petites et moyennes entreprises du secteur des technologiques de pointe : basée à Bangalore, Interactive Technology, Software and Media Association (ITSMA) qui est plutôt orientée vers le milieu des medias, propose des services à destination des pays européens, mais sa taille reste assez modeste comparée aux autres acteurs professionnels. 18 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Les associations précédentes sont réservées aux entreprises et non aux individus qui travaillent dans le secteur des TIC. Pour ces derniers il existe de nombreuses associations professionnelles ouvertes aux ingénieurs informaticiens, par exemple la Computer Society of India (CSI), The Indus Entrepreneurs (TiE), Software Process Improvement Network (SPIN), et le Information Technology Professional Forum (ITPF). Toutes ces associations ont des branches dans les grandes métropoles indiennes mais ne sont pas toutes très actives. La CSI, créée en 1965, est l’une des plus anciennes sociétés professionnelles du secteur des TIC. Son bureau est tenu par des informaticiens qui travaillent dans le service public, mais elle est ouverte au secteur privé. Elle a pour objectif la diffusion des connaissances technologiques parmi ses membres. L’association The Indus Entrepreneurs (TiE) a été créée en 1992 par des informaticiens indiens travaillant dans la Silicon Valley aux États-Unis. Elle dispose de plusieurs bureaux régionaux en Inde et compte onze branches dans différents pays. C’est l’association la plus connue grâce à ses membres qui ont fondé leurs entreprises en Inde. Elle est également très active pour trouver des partenaires privés (venture capitalists) prêts à risquer leurs capitaux dans les technologies de pointe. Enfin, le ITPF est lié au Software Engineering Institute de l’université Carnegie Mellon aux ÉtatsUnis : ses activités sont axées sur les aspects technologiques des métiers de l’informatique. L’association a ouvert une branche à Bangalore en 2003. Une étude menée sur le fonctionnement de ces associations atteste que les entreprises s’adressent en priorité à la Nasscom lorsqu’elles recherchent des informations ou des aides pour développer leurs marchés à l’étranger. Les petites et moyennes entreprises, alors mêmes qu’elles sont nombreuses à adhérer à ce groupement professionnel, sont plus critiques à son égard car elles estiment que ses actions sont guidées principalement par les intérêts des grandes entreprises. l – 1.4 LES ENTREPRENEURS TRANSNATIONAUX – La dernière catégorie d’acteurs présents dans le secteur des TIC regroupe les entrepreneurs indiens ou d’origine indienne. Ces personnes ont le statut légal de Non-Resident Indians (NRI), de Person of Indian Origin (PIO) ou, encore, de Overseas Citizenship of India (OCI) et, depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs les encouragent à investir dans l’économie indienne. Nombre d’ingénieurs issus des Indian Institutes of Technology, établis aux États-Unis et secondairement en Europe dans les années 1970 et 1980, agissent comme des acteurs transnationaux. Ils mettent à profit leur double connaissance de la demande technologique des entreprises occidentales et de l’offre de main d’œuvre qualifiée en Inde pour créer de nouvelles entreprises : leurs directions sont localisées aux États-Unis ou en Europe et elles opèrent à travers leurs agences de développement ou leurs filiales en Inde, à Pune, à, Bangalore, à Hyderabad ou à Chennai. Ces chefs d’entreprises, regroupés au sein de l’association The Indus Entrepreneurs, ne sont pas seulement des investisseurs en capital-risque (venture capitalists) dans les startups du secteur des TIC. Ils contribuent à produire l’idée de l’« entreprise globale » caractérisée par une culture de travail (petites équipes, relations horizontales, horaires flexibles), un environnement matériel (type d’immeuble en verre et acier, bureaux en open space) et un mode de gestion managériale des employés, que l’on retrouve plus ou moins dans tous les pays où ces entreprises sont implantées. On ne peut cependant réduire l’ensemble du secteur des TIC, qui est très diversifié, à l’image que produisent ces entreprises transnationales. Il faut également prendre en compte les relations qu’elles entretiennent avec les autres entreprises du secteur. Plusieurs questions demeurent. Les grandes entreprises multinationales ont-elles un effet général d’entraînement pour l’ensemble du secteur, ou bien opèrent-elles sur un segment limité, ayant certes une grande visibilité, mais au total peu d’effets sur les entreprises plus modestes ? l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 19 20 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC – –2– 23 24 26 L’essor de l’économie des services Définition du secteur des TIC et sources des données La place des TIC dans l’économie des services APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 21 –2– L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC De l’avis des économistes indiens (Nayyar, 2012), les activités de services constituent un secteur hétérogène, et elles sont d’autant plus difficiles à objectiver qu’elles relèvent pour une grande part du secteur économique dit informel (encadré 6). Les données – ENCADRÉ 6 : LES CADRES DE L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, SECTEUR ORGANISÉ ET ÉCONOMIE INFORMELLE – L’économie de l’Inde se caractérise par un dualisme très fort entre, d’un côté, un secteur organisé règlementé par l’État, qu’il soit public ou privé et, de l’autre côté, un secteur dit informel échappant largement à toute régulation : ce dernier secteur est de loin le plus important puisqu’il regroupe environ 95 % des emplois, le secteur organisé ne représentant que 5 % seulement de ces derniers. Dans un pays où près de 70 % de la population vit toujours en milieu rural, l’ensemble de la population active, en 2010, se répartit pour 51 % dans le secteur primaire, 22 % dans le secteur secondaire et 27 % dans le secteur tertiaire. L’importance de ce dernier secteur souligne la contradiction à laquelle l’Inde doit faire face : d’un côté, une population rurale pauvre (34 % de la population villageoise vit en dessous du seuil de pauvreté estimé à 1,25 $ par habitant et par jour) et, de l’autre, une économie de services qui offre peu d’emplois pour cette masse paysanne (Source : Economic Survey 2012-2013). – Tableau 1 – Distribution de la population active du secteur organisé par branches d’activité pour les secteurs public et privé en 2011 (en %) Branches d’activité Public Privé % Ensemble Agriculture, pêche et mines 9,1 9,2 9,1 Industrie 5,9 47,2 22,4 Énergie 4,8 0,6 3,1 Construction 4,9 0,9 3,3 13,8 1,7 9,0 1,0 4,8 2,5 Transports Commerce, hôtellerie Finances, immobilier 7,9 15,0 10,7 Administration, défense 27,5 0,1 16,6 Éducation 15,4 15,8 15,5 Santé, travail social 9,5 3,8 7,2 Autres 0,3 0,9 0,5 100,0 100,0 100,0 Ensemble Source : Employment Review 2011, Government of India, Ministry of Labour & Employment, Directorate General of Employment and Training, New Delhi, 2013. 22 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE statistiques publiées par les organismes publics agrègent trois segments. Le premier segment regroupe les secteurs du commerce, des transports et de l’hôtellerie ; le second inclut la finance, les assurances, l’immobilier et les services aux entreprises (business services) ; enfin, le troisième englobe les secteurs de l’éducation, de la santé et les services sociaux. Les activités réunies sous l’appellation des TIC appartiennent toutes au secteur économique dit formel et relèvent des business services. Mais ce segment se subdivise lui-même selon deux types de services, d’une part, les services associés aux TIC proprement dits (ITES) et, d’autre part, les services plus usuels comme comptabilité, audit, services juridiques, consultance, etc., soit autant de services classiques profondément transformés par les TIC. La désagrégation statistique de ces deux composantes est difficile, aussi les économistes réduisent-ils implicitement la catégorie business services aux TIC. Enfin, les statistiques indiennes varient selon les sources, fussentelles issues des institutions publiques. Ces statistiques présentent donc une marge d’incertitude relativement élevée et les données présentées ci-après ne fournissent que des valeurs indicatives, même si elles valent cependant en termes de tendance. Le tableau 1 indique la répartition de la population active (main workers) par branches d’activité pour le secteur organisé en 2011. Les activités économiques qui dépendent de l’état regroupent 60 % de la main d’œuvre et celles qui ressortent du domaine privé 40 %. La part du secteur public reste prépondérante dans l’administration et la défense (28 %), les transports, notamment ferroviaires (14 %), et l’éducation (15 %). Le secteur privé domine dans l’industrie (47 %), notamment depuis les années 1990 lorsque l’État s’est désinvesti du secteur industriel et a libéralisé les conditions d’entrée des entrepreneurs sur le marché économique, dans le secteur financier et immobilier (15 %), et il fait jeu égal avec le secteur public dans l’éducation (16 %). Entre 2009 et 2011, les emplois ont diminué de 1,4 % dans le secteur public tandis qu’ils ont augmenté de 10,4 % dans le secteur privé. Les données les plus récentes dont on dispose sur la répartition de la population active selon le niveau d’instruction (tableau 2) font clairement apparaître la faible qualification scolaire et professionnelle de cette population. En 2001, 72 % des actifs masculins et 80 % des actifs féminins considérés comme étant alphabétisés n’ont pas fréquenté l’école au- delà de l’enseignement primaire. À l’autre extrême, 7 % des actifs masculins et 6 % des actifs féminins seulement sont passés par l’enseignement supérieur court (Bac +2) ou long (Bac +3 et Bac +4 pour l’enseignement technique). Le développement sans précédent de l’enseignement professionnel supérieur a sensiblement remédié à ce déséquilibre mais sans le transformer de manière nette en terme d’instruction. Les activités des TIC, pour vitales qu’elles soient du point de vue de la croissance économique de l’Inde, ne rassemblent qu’une part très faible de la population active globale (moins de trois millions en 2011). l – Tableau 2 – Population active selon le niveau d’instruction et le sexe en 2001 (en %) Niveau d’instruction Hommes Femmes Ensemble ≤ classes de 6e 71,7 80,0 72,9 ≥ 6 mais ≤ Baccalauréat 21,7 14,6 20,7 Bac + 2 (BTS) 0,6 0,8 0,7 ≥ Bac + 3 (sauf technique) 5,2 3,6 5,0 Enseignement technique sup. (≥ Bac + 4) 0,7 1,1 0,7 e Ensemble Population alphabétisée (total) 100,0 100,0 100,0 20 247 574 3 191 382 23 438 956 Source : Census of India 2001, Economic Tables B 3SC, All India (les données concernent les personnes employées pendant une durée de six mois et plus sur la période de référence). – 2.1 L’ESSOR DE L’ÉCONOMIE DES SERVICES – La nouvelle politique initiée à partir de 1991 a favorisé le décollage de l’économie indienne dont le taux de croissance annuel du produit domestique brut (PDB) fournit un indice. Ce taux qui était inférieur à 3 % dans les années 1970 est passé à plus de 6 % dans les deux décennies suivantes avant d’atteindre 9 % en 2007-2008 (tableau 3). Mais le taux de croissance qui était de l’ordre de 9 % par an en 2010-2011, diminue depuis trois ans et, en 2012-2013, il est estimé autour de 5 % (Economic Survey 2012-2013). Ce développement économique est tiré par le secteur des services qui enregistre un taux de croissance bien supérieur à celui du secteur agricole et du secteur industriel. L’ensemble du secteur des services a progressé au rythme de 4 % par an en 1971-1980, d’un peu moins de 7 % dans les deux décennies 19812000, de 11 % en 2007-2008 et, enfin de 12 % en 2011-2012, soit une croissance continue qui en fait la force motrice de l’économie indienne. Cette évolution se traduit par un changement dans la composition du produit domestique brut. La part du secteur agricole a diminué presque de moitié entre 1970 et 2000, passant de 46 % à 24 %, et s’est effondré encore dans la dernière décennie à 8 %. La part du secteur industriel stagne depuis 1980 à moins de 22 %. Enfin, les services, dont la part a augmenté régulièrement dans les trois dernières décennies du 20e siècle, représentent 65 % du produit domestique brut au début des années 2000 (tableau 4). l – Tableau 3 – Taux de croissance par secteurs d’activité du produit domestique brut de 1971-1980 à 2007-2008 (en %) Secteurs 1971-1980 1981-1990 1991-1998 2007-2008 Agriculture 1,3 4,4 3,7 2,6 Industrie 4,4 6,4 7,0 8,6 Manufacture 4,3 5,8 7,5 9,4 Services 4,0 6,3 6,4 10,6 Taux croissance du PDB 2,9 5,6 5,7 8,7 Source : Rakesh Mohan, « Growth Record of the Indian Economy, 1950-2008 », dans Pulapre Balakrishnan (dir.), Economic Reform and Growth in India. Essays from Economic and Political Weekly, New Delhi, Orient BlackSwan, 2011, p. 31. – Tableau 4 – Parts du produit domestique brut par grands secteurs d’activité de 1970-1971 à 2010-2011 (en %) Secteur 1970-1971 1980-1981 1990-1991 2000-2001 2010-2011 Agriculture 46,3 39,7 32,2 24,0 8,0 Industrie 15,6 17,6 21,7 21,8 27,0 Services 38,1 42,7 46,1 54,2 65,0 Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Source : DVS Shastry, Balwant Singh, Kaushik Battacharya, et NK Unnikrishnan, « Sectoral Linkages and Growth Prospects. Reflections on the Indian Economy », dans Pulapre Balakrishnan, Economic Reform and Growth in India, op. cit., p. 247 ; et Economic Survey 2012-2013. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 23 –2– L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC –2 .2 DÉFINITION DU SECTEUR DES TIC ET SOURCES DES DONNÉES – Avant d’examiner l’évolution du secteur des TIC au sein de l’ensemble des activités de services, il faut s’interroger sur les produits et les services que l’on désigne sous l’expression des TIC et sur les données dont on dispose pour les étudier. Au sein des TIC, on distingue trois grands secteurs d’activité selon le type de biens délivrés. • Le premier secteur rassemble la production de matériel informatique (composants électroniques, biens de télécommunications, ordinateurs), soit le hardware. Les rapports publiés par le Electonics and Computer Software Export Promotion Council (ESC) répartissent la production hardware selon les catégories suivantes : – Électronique grand public, – Télécommunications (hardware) et services associés, – Instruments électroniques et équipement médical, – Composants électroniques, – Matériel (hardware). • Le second secteur concerne la production de services informatiques proprement dits (télécommunications, vente de matériel, production et maintenance de logiciels), soit le Computer software. • Enfin un troisième secteur, le Business Process Outsourcing (BPO), regroupe des activités délocalisées de traitement de données (mise en forme de relevés médicaux, de comptes rendus juridiques, gestion bancaire, traductions ou travaux de mise en page pour les éditeurs). Toutes ces activités – appelées back office – sont effectuées pour le compte d’entreprises étrangères ou indiennes. La main d’œuvre est faiblement qualifiée et effectue des tâches segmentées, simples et répétitives. Au sens strict, les activités de type BPO ne relèvent pas du secteur des TIC bien qu’elles en utilisent les moyens électroniques. Néanmoins, beaucoup de grandes sociétés sont présentes sur ces deux secteurs, comme Infosys, Wipro ou Capgemini. Dans les rapports, en particulier ceux publiés par les associations professionnelles, ces activités sont souvent incluses dans les TIC où elles apparaissent sous le label « TIC et services associés » (Information Technology Enabled Services -BPO, ou ITESBPO), sans qu’il soit toujours aisé de les distinguer des services précédents. 24 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE On dispose de données statistiques variées sur l’ensemble de ces activités. Elles fournissent une vue générale du secteur des TIC et de son évolution depuis plus de trente ans. Cependant, en l’absence de nomenclatures statistiques harmonisées, ces données sont hétéroclites et rarement comparables à l’échelle nationale et plus encore à l’échelle internationale. L’Inde dispose pourtant d’une nomenclature officielle, la National Industrial Classification (NIC), qui permet de classer uniformément, en principe, toutes les activités industrielles et la main d’œuvre correspondante. Cette nomenclature s’inspire de l’International Standard Industrial Classification (ISIC), produite par le Département des affaires économiques et sociales des Nations-Unies, mais elle s’en écarte parfois pour tenir compte des particularités industrielles du pays. En outre, toutes les agences productrices de statistiques ne recourent pas nécessairement à la NIC ou à la ISIC. Une description sommaire des principales sources de données concernant les TIC permet de comprendre la complexité de ce secteur d’activité mais aussi, simultanément, celle de l’administration indienne. Ces activités s’exerçant dans le cadre du secteur économique formel et étant orientées vers l’exportation, peu d’entreprises échappent à l’observation de l’administration. Trois sources principales de données publiques relevant toutes des services du ministère en charge des statistiques permettent de mesurer ce secteur en termes de production industrielle, de services et d’emplois, mais la qualité des données varie selon les procédures de collecte mises en œuvre. • La production de hardware est approchée par les données rassemblées dans les Annual Survey of Industries (ASI), • Les activités de service sont détaillées dans la série des National Account Statistics, • Enfin les données sur l’emploi sont accessibles dans les publications de la National Sample Survey Organisation (NSSO). Cet organisme conduit depuis plus de cinquante ans des enquêtes thématiques nationales par sondage portant à la fois sur le secteur formel et informel (à la différence des deux sources précédentes). Ces trois sources sont complétées par les données rassemblées par le Software Technological Park of India (STPI). Les rapports annuels publiés par cet office distinguent quatre types d’activités de services : – les services TIC proprement dits, – les services TIC-BPO, – les services d’ingénierie, – et la production de software. Chacun de ces services est encore subdivisé en segments d’activités spécialisées qui font l’objet d’un enregistrement détaillé auprès de la Reserve Bank of India (RBoI), mais les données sont difficilement accessibles aux chercheurs. En outre, le cadre légal, juridique et financier, offert par les STPI n’est qu’une option possible pour les entreprises. Celles-ci sont libres de développer leurs activités en totalité ou partiellement au sein des STPI, ou de se déployer de manière indépendante en dehors de cette structure légale. Une autre difficulté importante demeure concernant les données du secteur des TIC. Les informations les plus publicisées sur ce secteur ne proviennent pas des institutions publiques mais d’une agence privée, la National Association of Software and Services Companies (Nasscom). Depuis plus de 25 ans, ce syndicat professionnel s’est imposé comme le premier pourvoyeur d’informations à l’adresse des professionnels du secteur, du grand public mais aussi de l’État central, en l’absence d’agences publiques assumant de manière méthodique la production de données statistiques. Association ayant pour tâche d’élaborer et de vendre sur le marché national et international le secteur des TIC, la Nasscom a élaboré ses propres nomenclatures. Ce faisant, on ne trouve aucune continuité d’un rapport à l’autre, ni aucune cohérence avec les nomenclatures publiques existantes. Au fil d’enquêtes commanditées au bureau d’études américain McKinsey et dont la méthodologie est opaque, la Nasscom présente le secteur des TIC en usant d’un jargon commercial économico-financier qu’il est parfois difficile de comprendre5. Dans le dernier rapport annuel publié (Strategic Review, 2011), le secteur des TIC est divisé en onze segments verticaux : – banque, finance et assurance ; industrie, – vente au détail, – services, – santé, – transports, – média et communications, – bâtiment, – technologies de pointe et télécommunications, – services publics – autres. Les activités de chaque segment sont ensuite déployées selon plusieurs types de services : système d’exploitation ; software ; maintenance ; conseil ; réseaux, etc. Par ailleurs, les activités de BPO sont subdivisées en sept ou parfois huit segments : économie de la connaissance ; centres relations clientèle (call centers) ; finance et comptabilité ; ressources humaines ; formation ; transport et logistique ; autres. Ces catégories ne correspondent à aucune des nomenclatures officielles mentionnées précédemment (NCI, ISIC), et les données publiées par la Nasscom ne permettent aucun rapprochement avec celles produites par les agences publiques. Au côté de la Nasscom, deux autres sources privées productrices de données statistiques ont été utilisées pour notre rapport. Il s’agit, d’une part, du Center for Monitoring Indian Economy (CMIE), centre de recherche privé localisé à Mumbai et, d’autre part, du magazine mensuel spécialisé dans les TIC, Dataquest. Ces deux institutions, comme la Nasscom, produisent des données à l’échelle des entreprises, mais l’analyse de ces données, comme nous le verrons ci-dessous, soulèvent des problèmes de méthode. Une dernière difficulté, enfin, tient aux unités de compte qui varient d’une source à l’autre, les rendant peu comparables. Il s’agit soit de la roupie indienne pour les statistiques officielles (présentées en lakh = 100 000 roupies, ou en crore = 100 lakhs = 10 000 000 roupies), soit du dollar américain pour presque tous les autres rapports, notamment ceux de la Nasscom. l 5. N ous avons rencontré à plusieurs reprises les responsables des rapports publiés par la Nasscom mais sans obtenir d’informations claires et précises sur les méthodes de collecte des données et les définitions utilisées. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 25 –2– L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC –2 .3 LA PLACE DES TIC DANS L’ÉCONOMIE DE SERVICES – « The IT/ITES exports have grown to a staggering US$ 46.3 billion in 2008-2009, in the IT sector currently employing 2.2 million professionals directly and another 8 million people indirectly accounts for over 5 % of GDP, a majority of the Fortune 500 and Global 2000 corporations are outsourcing IT/ITES from India and it is the premier destination for the global sourcing of IT/ITES accounting for 55 % of the global market in offshore IT services and garnering 35 % of the TIES/BPO market. » (Nasscom, Strategic Report, 2010) – Tableau 5 – Taux de croissance annuel des exportations de services par secteurs d’activité de 1993-1997 à 2002-2005 (en %) Secteur Tourisme 1993-1997 7,7 1999-2001 1,6 2002-2005 33,2 Transports 6,6 12,5 36,4 Assurance 18,3 11,7 47,2 Divers 26,0 4,3 49,8 na 7,3 35,3 14,0 4,8 45,6 Divers dont Software Ensemble services Source : C. Veeramani, « Sources of India’s Export Growth in Pre-and Post-Reform Periods », Economic and Political Weekly, 42, 25, 23 June 2007 ; repris dans Pulapre Balakrishnan (dir.), Economic Reform and Growth in India, op. cit., p. 283. 6. L ors de la crise financière des pays asiatiques, en 1997, l’économie indienne aurait été relativement épargnée, voir Pami Dua et Arunima Sinha, East Asian Crisis and Currency Pressure : The Case of India, Center for Development Economics, Department of Economics, Delhi School of Economics, Working Paper 18, 2007, 31 pages. 7. C. Veeramani, « Sources of India’s Export Growth in Pre- and Post-Reform Periods », Economic and Political Weekly, 42, 25, 23 June 2007 ; repris dans Pulapre Balakrishnan (dir.), Economic Reform and Growth in India, op. cit., p. 283. 26 On peut mesurer l’essor du secteur des TIC en examinant le taux de croissance des exportations de services par secteur d’activité (tableau 5). Le début des années 2000 marque le décollage des exportations de services, une phase qui se prolonge jusqu’en 2010. Le taux de croissance des exportations, tous secteurs de services confondus, est passé de 4 % en 19801985 à 11 % en 1986-1990, à 14 % en 1993-19976, avant d’atteindre 46 % en 2002-2005. Cette croissance des exportations a suivi la demande mondiale, et ce sont les bas coûts, notamment de la main d’œuvre, qui expliquent les performances de ce secteur. Mais la part de l’Inde dans l’ensemble mondial des exportations de services reste faible, de l’ordre de moins de 2 %.7 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Les figures 1, 2 et 3 informent sur l’évolution des secteurs hardware et software sur les quinze dernières années. On note les deux seuils de décollage de ce secteur, en 2005 et en 2010, en particulier pour les activités de software dont les revenus ont triplé entre 2005 et 2010. Pour les deux composantes, la part du marché domestique reste faible, mais la progression du marché intérieur du software progresse au même rythme que l’ensemble du secteur. Cependant, l’évolution conjointe, d’une part, des revenus des activités de software et, d’autre part, du poids des exportations dans ce secteur depuis plus de vingt-cinq ans (1985-2012), permet de mesurer la rapidité du développement de ces activités, quasiment inexistantes au milieu des années 1980 (figure 4). Deux tendances sont observées. Premièrement, ce secteur d’activité ne progresse que très lentement durant les dix premières années (19851995), mais se développe très fortement depuis le début des années 2000. Deuxièmement, dès ses débuts, le secteur du software est orienté vers l’exportation qui représente 30 % des revenus en 19851986. Cette part double en dix ans pour atteindre 60 % en 1995-1996 et la part des exportations continue d’augmenter depuis 15 ans, mais plus lentement, ces dernières représentant aujourd’hui 75 % des revenus de ce secteur. Les activités de services associées aux TIC, qui ont profondément transformé la structure de l’économie indienne, constituent également le premier secteur pour la création d’emplois, en particulier dans le secteur privé. Dans la première décennie du 20e siècle, le nombre total de personnes directement employées dans le secteur des TIC a augmenté de plus de 90 %, passant de 1 470 000 salariés en 2000 à 2 450 000 en 2005, et à près de 2 800 000 en 2012 (figure 5). En termes de niveau scolaire, il s’agit d’emplois qualifiés : le niveau d’entrée dans le secteur des activités assosiées aux TIC se situe au niveau Bac +3 (soit le niveau Classe XII +3 en Inde) au minimum et le plus souvent au niveau Bac +4. Il faut noter cependant qu’au sein du système d’enseignement supérieur technologique indien, la qualité des formations est très variable selon les écoles. – Figure 1 – Évolution de la production de hardware et de software de 1999-2000 à 2011-2012 (indice 100 = 1999-2000, en crores de roupies) 1082 2011-2012 908 2010-2011 2005-2006 1742 510 487 363 201 2000-2001 131 155 111 1999-2000 100 100 100 Hard & Software 1426 549 Software Hardware Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi Mais le développement du secteur des services s’accompagne d’un paradoxe. Si les revenus tirés de ce secteur contribuent aujourd’hui pour plus de 60 % au produit domestique brut, en termes d’emploi, les activités de services ne représentent que 25 % du total des emplois de ce secteur (Nayyar, 2012). À l’opposé, le secteur agricole dont la contribution au PDB a chuté depuis plus de dix ans, représente encore plus de 53 % du total des emplois, et le secteur industriel 22 %, soit une part équivalente à la contribution de ces dernières activités au PDB. L’Inde est ainsi dans une situation contradictoire : d’un côté, le gouvernement doit gérer une population majoritairement rurale, jeune, peu qualifiée et souvent au chômage et, de l’autre côté, les emplois offerts par les activités de services, celles notamment qui sont associées aux TIC, concernent une main d’œuvre urbaine et hautement qualifiée. À l’évidence, ces activités de services ne sont pas à même d’absorber la masse des ruraux sous-employés. Cependant, les enquêtes emploi conduites par la NSSO conduisent à relativiser le poids économique du secteur des TIC, car les services sont un domaine très segmenté. Au premier rang de l’ensemble du secteur des services, le commerce de gros et de détail occupait 35,5 millions de personnes en 2004-2005, soit 38 % de l’ensemble des emplois de services. Viennent ensuite les activités regroupant l’éducation, la santé et les services assimilés, soit 25 % des emplois des services, puis la communication, 15 %, – Figure 2 – Évolution de la production de hardware de 1999-2000 à 2011-2012 (indice 100 = 1999-2000, en crores de roupies) 2011-2012 510 370 2010-2011 459 331 2005-2006 2000-2001 1999-2000 201 176 111 98 3171 2886 687 342 100 100 100 Total Hardware Domestic Hardware Export Hardware Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi l’administration et la défense, 8 %, et enfin le business services qui lui ne représente que 3 % du total des emplois de services (Nayyar, 2012). En termes de qualification, il faut également relativiser les vues générales que produisent les associations professionnelles. Selon les données des enquêtes emploi, la part des employés qualifiés (techniciens, ingénieurs et cadres administratifs) représentait enviAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 27 –2– L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC – Figure 3 – Évolution de la production de software de 1999-2000 à 2011-2012 indice 100 en 1999-2000 (en crores de roupies) 1742 1274 2011-2012 2010-2011 1093 2005-2006 411 1938 1426 1566 549 607 155 131 165 2000-2001 100 100 100 1999-2000 Total Hardware Domestic Hardware Export Hardware Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi – Figure 4 – Évolution des revenus des services software et part des exportations de 1985-1986 à 2009-2010 (en $ EU) 90 70 80 60 50 60 Revenus Exportations 70 50 40 40 30 30 20 20 Exportations (% revenus) 2011-2012 2009-2010 2007-2008 2005-2006 2003-2004 2001-2002 1999-2000 1997-1998 1995-1996 1993-1994 1991-1992 0 1989-1990 0 1987-1988 10 1985-1986 10 Revenus (billions $ US) Sources : Balaji Parthasarathy (2004), Subash Bhatnagar (2006), Nasscom. ron 55 % du total des emplois de services sur la période 1993-2004, les commerciaux, les employés de bureau, et les agents de services divers regroupant 35 % des employés. Enfin, une catégorie résiduelle de 10 % n’est pas spécifiée8 (Nayyar 2012). L’essor du secteur des services en Inde remet en cause les idées admises par les économistes sur les modèles historiques de développement. Tout se passe en effet comme si l’Inde avait manqué l’étape de la révolution industrielle suivie par tous les pays développés, y compris par des pays comme la Chine. En Inde, ce sont les activités de services, en particulier les services associés aux TIC, qui sont le premier facteur causal de la croissance économique depuis trois décennies. Cet essor est tout à fait réel. Il peut être attribué, d’une part, à des facteurs externes, comme la politique de dérégulation des marchés, de privatisation du secteur public, et l’existence d’une main-d’œuvre qualifiée et, de l’autre, à une élasticité des revenus soutenant une demande de services et de biens considérés jusqu’alors comme ne relevant pas des premières nécessités. Les économistes s’interrogent néanmoins sur le caractère pérenne de cette croissance. Mais une partie des activités de services, en particulier dans le secteur des TIC, ont pris une forme industrielle et leur évolution est encore susceptible de gains de productivité. Les économies d’échelle, les changements technologiques, et une part croissante des revenus réalisés par des exportations peuvent avoir des effets positifs sur les autres secteurs d’activités et soutenir la croissance globale de l’économie à moyen terme. l – Figure 5 – Évolution du nombre d’employés dans le secteur des TIC entre 1999-2000 et 2004-2005 2500000 2000000 1500000 1000000 500000 8. C e sont les services de santé et de l’éducation qui emploient le personnel le plus qualifié, soit respectivement entre 73 % et 87 %, selon les données des enquêtes emploi publiées par la National Sample Survey Organisation. 28 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 0 TIC Services TIC Manufacture 1999-2000 Total TIC 2004-2005 Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi – LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE – –3– 30 31 32 34 Un enseignement de masse aux mains du secteur privé Géographie de l’offre d’écoles Géographie de l’offre de disciplines L’ouverture à l’international APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 29 –3– LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE Les filières de l’enseignement technologique doivent être appréhendées au sein du système éducatif indien (encadré 7). Dans ce chapitre, sont décrits l’espace des écoles dont les ingénieurs, et notamment les informaticiens, sont issus, les enseignements qu’ils ont reçus, et les qualifications qu’ils peuvent faire valoir sur le marché du travail. – ENCADRÉ 7 : LE SYSTÈME ÉDUCATIF INDIEN – 9.Ce certificat est délivré par le Central Board of Secondary Education (CBSE) qui est, à l’échelle de l’Union indienne, l’office principal en charge de l’enseignement secondaire. Cependant, il existe d’autres Boards of Education à l’échelle de l’Union et, surtout, à l’échelle des états fédérés. Les programmes d’enseignement varient selon les Boards. Mais c’est le CBSE qui organise les deux grands concours nationaux d’entrée dans les écoles publiques d’ingénieurs en prenant pour référence ses propres programmes. Les élèves qui souhaitent présenter ces concours ont donc intérêt à choisir une école relevant du CBSE lorsqu’ils entrent en classe X (Première). Selon la constitution indienne, l’éducation est un domaine dit « concurrent » qui relève à la fois de l’Union et des états fédérés. L’enseignement élémentaire est organisé en douze classes (de la classe I à la classe XII) couvrant trois sections, celle du primaire, du secondaire et du secondaire supérieur. L’enseignement secondaire s’étend sur cinq années, de la classe VI (équivalent à la 6e) à la classe X (classe de 2e). La fin du cycle secondaire est sanctionnée par un examen, le Secondary School Leaving Certificate (SSLC). L’obtention de ce certificat ouvre sur deux options scolaires. La première option est l’entrée dans le secondaire supérieur qui est un cycle de spécialisation pré-universitaire, encore dit SSLC + 2 ou simplement +2, correspondant aux classes XI (classe de 1e) et XII (terminale). Ce cycle comprend trois sections : humanités, économie et sciences. Le programme de la section scientifique est centré sur trois disciplines, mathématiques, physique et chimie, qui constituent l’ossature des concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs. La seconde option, en fin de classe X, est l’entrée dans un centre d’apprentissage (Vocational Training Center) qui délivre un certificat pro- fessionnel au terme de deux années de cours. La fin des études pré-universitaires est sanctionnée par un examen, le All India Senior School Certificate Examination9 (AISSCE), qui serait l’équivalent du baccalauréat français. Mais, contrairement à celui-ci, le AISSCE ne permet pas un accès libre à l’enseignement supérieur. À ce stade, deux grandes options sont possibles. La première option est l’entrée dans l’enseignement supérieur long, mais seulement après avoir passé avec succès divers concours ou tests d’aptitudes. L’université délivre des grades (degrees) dont le premier est le grade de bachelier, Bachelor, équivalent à la licence, au terme de trois ans d’études pour les disciplines classiques des arts, des humanités et des sciences, et de quatre ans pour les études d’ingénieur. La seconde option, à la sortie de la classe XII, est l’entrée dans une école professionnelle de cycle court, dite Polytechnics, qui délivre un diplôme, et non un grade, après trois ans d’études, notamment des diplômes d’ingénieur. Les titulaires d’un diplôme d’ingénieur peuvent alors intégrer une école d’ingénieurs en seconde année et obtenir ainsi un BEng. –3 .1 UN ENSEIGNEMENT DE MASSE AUX MAINS DU SECTEUR PRIVÉ – 10. Sauf mention contraire, les données chiffrées concernant les écoles d’ingénieurs proviennent des rapports du All India Council of Technical Education (AICTE) disponibles sur le site web de cet organisme qui est rattaché au Ministry of Human Resource and Development (MHRD), en charge de l’ensemble du système éducatif. En 2012, le nombre d’écoles d’ingénieurs serait de 3300 selon le MHRD (Annual Report 2011-2012). Les données présentées ci-dessous se rapportent toutes à l’année 2011. 30 Depuis une dizaine d’années, l’enseignement technologique supérieur a connu un développement sans précédent en Inde. Entre 2000 et 2011, le nombre d’école d’ingénieurs, ou Engineering Colleges (« collège » au sens britannique de collège universitaire) a été multiplié par près de quatre, passant de 780 à plus de 3 000 collèges10. Cette masse de collèges est caractérisée par la part écrasante du secteur privé qui rassemble 92 % des écoles pour l’ensemble de l’Inde : cette proportion varie entre 66 % pour l’état du Kérala et 96 % pour l’état de l’Andhra Pradesh. Le secteur public est limité APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE à 8 % des établissements, hors grandes écoles comme les Indian Institutes of Technology (IIT). Cette emprise du secteur privé tient au désinvestissement financier de l’État dans les années 1980 et 1990. Cette politique était conforme aux recommandations de la Banque mondiale qui jugeait que ce secteur d’activité n’était pas vital pour le développement économique du pays, la priorité étant alors donnée à l’enseignement primaire. Depuis les années 2000, le gouvernement central a changé de politique en ouvrant de nouvelles écoles publiques d’ingé- nieurs, notamment huit IIT. Il s’efforce également de mieux contrôler l’expansion du secteur privé. Les coûts fixes pour ouvrir un nouveau collège sont élevés (en termes foncier, immobilier, technologique et humain), aussi de nombreux entrepreneurs autofinancent leurs écoles en sollicitant des dons et en prélevant d’importants droits fixes par étudiant (capitation fees). Ce système où se conjuguent affairisme local, népotisme, jeu de pouvoir et politique de castes a donné lieu à toutes sortes de pratiques délictueuses qui ternissent la réputation de nombre d’écoles d’ingénieurs (Kaul, 1993). La vaste majorité des écoles d’ingénieurs, publiques et privées, sont affiliées à une université technologique d’état, cette dernière étant une instance administrative qui fixe les programmes, le montant des frais de scolarité et délivre le grade (degree) de bache- lor. Cependant, certains établissements ont un statut autonome qui prend plusieurs formes. Il s’agit soit « d’établissements d’importance nationale », tels les Indian Institutes of Technology, soit d’universités à part entière, par exemple la Delhi Technological University de l’état de Delhi, soit, encore, de quasi universités (Deemed-to-be-University) comme le Birla Institute of Technology and Science localisé dans l’état du Rajasthan, à Pilani, le village d’origine de la famille Birla. En se développant, un collège affilié à une université peut devenir progressivement autonome. Ces statuts présentent plusieurs avantages pour ces établissements qui ont la liberté de définir leur cursus et le contenu de leurs enseignements, de fixer le montant des droits d’inscription et des frais de scolarité et, surtout, de délivrer un grade d’ingénieur en leur nom propre. l – 3.2 GÉOGRAPHIE DE L’OFFRE D’ÉCOLES – Le développement actuel de l’enseignement technologique s’accompagne de trois grands déséquilibres dont les effets se cumulent : un déséquilibre de l’offre d’écoles, un déséquilibre du type d’écoles et, enfin, un déséquilibre de l’offre de disciplines. Le premier déséquilibre réside dans l’inégale répartition géographique des écoles (tableau 6). On distingue quatre grands groupes d’états. Le premier groupe est constitué des deux états du sud de l’Inde, l’Andhra Pradesh (23 % des écoles avec 650 Engineering Colleges), et le Tamil Nadu (16 % avec 450 Engineering Colleges). Ces deux états rassemblent à eux seuls près de 40 % du total des écoles d’ingénieurs11. Un second groupe de quatre états, Uttar Pradesh, Madhya Pradesh, Haryana, au nord, Maharashtra, Karnataka, au sud, dispose d’un nombre d’écoles variant entre 140 et 300, et représente 37 % du total des écoles. Les deux derniers groupes sont relativement sous-équipés en écoles d’ingénieurs. Un premier ensemble, Kérala, Rajasthan, Orissa, Ouest Bengale, Gujarat, Punjab, Chattisgarh, regroupe des états qui n’offrent que 50 à 100 écoles seulement, soit 21 % du total. Cependant des changements sont en cours. Ainsi, au Kérala, les initiatives privées se développent dans le secteur de l’éducation après avoir été longtemps contenues par les gouvernements de gauche où dominait le Parti communiste indien, défenseur du secteur public. 11. C es données portent sur 2 846 écoles d’ingénieurs, soit environ 95 % du nombre total d’écoles mentionné par le AICTE. – Tableau 6 – Distribution des écoles d’ingénieurs par état en 2010-2011 États Nb collèges % % cumulé Andhra Pradesh 646 22,7 22,7 Tamil Nadu 443 15,6 38,3 Uttar Pradesh 298 10,5 48,8 Maharashtra 251 8,8 57,6 Madhya Pradesh 203 7,1 64,7 Karnataka 169 5,9 70,6 Haryana 136 4,8 75,4 Kérala 105 3,7 79,1 Rajasthan 96 3,4 82,5 Orissa 88 3,1 85,6 Ouest Bengale 86 3,0 88,6 Gujarat 76 2,7 91,3 Punjab 73 2,6 93,9 Chattisgarh 61 2,1 96,0 Uttarakhand 25 0,9 96,9 Bihar 17 0,6 97,5 Assam 16 0,6 98,1 Delhi 16 0,6 98,7 Himachal Pradesh 12 0,4 99,1 Pondicherry 11 0,4 99,5 Jharkhand 11 0,3 99,8 7 0,2 100,0 2 846 100,0 Jammu & Kashmir Ensemble Source : AICTE (2011). Les données disponibles en 2010-2011 portent sur 82 % des écoles répertoriées par le AICTE (sont exclus notamment les états de l’est de l’Inde). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 31 –3– 12. E ntretien avec le directeur du Manipal Institute of Technology, University of Manipal, Karnataka, décembre 2009. LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE Le dernier groupe d’états représente 4 % du total des écoles d’ingénieurs et contient deux états qui se caractérisent par un sous-équipement aigu en écoles d’ingénieurs : il s’agit de l’état de Delhi, et surtout de l’état très peuplé du Bihar, dont le sous-développement économique et social a fait l’objet de nombreuses études socioéconomiques. Mais dans ce cas encore, de profondes évolutions sont en cours, en particulier dans le développement de l’enseignement technologique. Au total, deux ensembles régionaux concentrent près des trois quarts des écoles d’ingénieurs. La première région est le sud de l’Inde où il faut considérer ensemble les états du Tamil Nadu, de l’Andhra Pradesh, du Maharashtra et du Karnataka dont la capitale est Bangalore, internationalement connue pour l’excellence du secteur informatique. Ces quatre états regroupent plus de la moitié des écoles d’ingénieurs, soit 53 %. La seconde région, au nord de l’Inde, est constituée des états contigus les plus peuplés de l’Inde. Aux états du Madhya Pradesh et de l’Uttar Pradesh il faut adjoindre l’état de l’Haryana et celui de Delhi. En effet, la National Capital Region (NCR), qui englobe l’état de Delhi et sa grande couronne s’étend à la fois sur l’état de l’Uttar Pradesh et celui de l’Haryana où sont implantés des entreprises des TIC et des écoles qui ne trouvent plus d’espace dans l’état de Delhi, spatialement saturé. Ces quatre états du nord de l’Inde rassemblent 17 % des écoles d’ingénieurs. Et au total, ces deux ensembles régionaux du sud et du nord comptent pour 70 % de l’ensemble des écoles d’ingénieurs de l’Inde. Le second déséquilibre structurel tient à l’opposition entre deux grands types d’écoles d’ingénieurs selon la nature des cursus courts (BEng) ou longs (master et thèse) que celles-ci proposent. En 2011, selon les données publiées par le AICTE, 30 % à 40 % des écoles n’assuraient qu’un enseignement de premier cycle limité au BEng. Ces écoles forment une main-d’œuvre moyennement qualifiée qui rejoint rapidement le mar- ché du travail, en particulier celui du secteur des services. Simultanément, le développement exponentiel du nombre des écoles d’ingénieurs depuis le début des années 2000 se heurte à une forte pénurie d’enseignants qualifiés. En conséquence, l’enseignement constitue un débouché important pour les titulaires d’un BEng sans expérience professionnelle, en particulier pour les femmes, comme nous l’avons constaté dans l’état du Tamil Nadu. L’offre de cursus longs menant au master et à la thèse (Ph.D.) est un enjeu d’importance dans la compétition à laquelle se livrent les écoles pour s’attacher une clientèle d’étudiants dans un contexte de privatisation massive de l’enseignement professionnel. Mais les écoles se heurtent à la règle édictée par le AICTE selon laquelle, au-delà de la licence (Post-Graduation), les cursus doivent être assurés par des enseignants titulaires d’une thèse. Or les activités de recherche et développement restent le point faible du secteur des TIC (voir ci-dessous chapitre 9). Les docteurs en ingénierie ne sont pas assez nombreux pour soutenir autant qu’il le faudrait la mise en place de cycles longs dans les écoles d’ingénieurs. C’est la raison pour laquelle on observe une mobilité scolaire ascendante importante entre le 1e et le 2e cycle de l’enseignement technologique. Dans les IIT, les étudiants en master et en thèse sont originaires pour la plupart d’écoles de rang scolaire inférieur, tandis que les élèves des IIT titulaires d’un BTech partent faire un master ou une thèse à l’étranger, aux États-Unis le plus souvent. Aussi, nombre d’écoles privées s’efforcent de mettre en place une production maison de docteurs. Elles recrutent un docteur en ingénierie et encouragent leurs enseignants à s’inscrire en thèse avec celui-ci afin d’obtenir une masse critique de professeurs à même de soutenir la mise en place de filière longues pour retenir les étudiants au-delà du BEng12. l – 3.3 GÉOGRAPHIE DE L’OFFRE DISCIPLINAIRE – Le troisième déséquilibre, enfin, affecte l’offre de disciplines (tableau 7). Depuis une quinzaine d’années, celle-ci est largement orientée vers le secteur des TIC. Cette tendance se fait au détriment des disciplines comme l’ingénierie civile, la mécanique, l’électricité ou la chimie, les disciplines reines de la formation des ingénieurs indiens jusqu’aux années 1980. Les disciplines relevant directement des TIC sont divisées en deux sous-groupes. 32 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE • Le premier groupe (TIC 1), réunit les trois disciplines qui sont enseignées quasiment dans toutes les écoles : « électronique et communication », « sciences informatiques » et « technologie de l’information ». Pour l’ensemble de l’Inde, ce noyau disciplinaire représente 56 % des places offertes dans les écoles d’ingénieurs. • Un second groupe (TIC 2) est constitué de trois disciplines voisines qui ne sont pas toujours présentes dans tous les cursus : « électronique et électricité », « électronique et télécommunications » et « informatique ». Ce groupe secondaire représente 14 % des places offertes dans les écoles. Au total, ces six disciplines des TIC (TIC 1 + TIC 2) regroupent 70 % du total des places offertes dans les écoles d’ingénieurs pour l’ensemble de l’Inde. Mais elles sont localisées pour l’essentiel dans les états du sud de l’Inde, les états de l’Andhra Pradesh et du Tamil Nadu comptant pour 44 % des places dans les branches des TIC. La distribution de l’offre disciplinaire en ingénierie varie selon les états. Ces variations provoquent la migration des étudiants qui se déplacent d’un état à l’autre, surtout des états du nord et du nord-est de l’Inde vers les états du sud, pour s’inscrire dans les écoles d’ingénieurs. Ces différences tiennent à la fois au nombre de places disponibles par branches, luimême variable selon le nombre d’écoles dans chaque état, et à la différenciation interne des programmes proposés par les écoles. Celles-ci ne sont pas totalement libres de l’offre qu’elles présentent. Le nombre de places par branches et la nature des spécialisations proposées obéissent à des règles imposées par le AICTE dont l’agrément est nécessaire pour toute ouverture d’un nouveau cursus. Pour estimer les variations régionales de l’offre disciplinaire, on dispose de statistiques portant sur les places disponibles par branches et par état. Des trente-cinq états et territoires de l’Union qui composent l’Inde, on en a retenu dix-sept dont les données regroupent 98 % de l’ensemble des places ouvertes dans l’Inde entière. Premièrement, la distribution des branches d’ingénierie pour les quinze premières disciplines de ces états est présentée par ordre d’importance décroissante. Ces distributions illustrent la diversité de l’offre de formations proposée par chaque état. Deuxièmement, chacun de ces dix-sept états est classé, d’une part, selon la proportion totale des TIC dans les formations offertes et, d’autre part, selon les parts respectives des deux sousgroupes des TIC identifiés précédemment. Dans les deux cas, les variations régionales de l’offre disciplinaire au profil moyen pour l’ensemble de l’Inde sont comparées (tableau 8). Deux traits principaux différencient les profils disciplinaires des états. Le premier trait tient à la diversité plus ou moins grande de l’offre, compte tenu du poids général des TIC dans les formations proposées. Le second trait est la force de résistance des disciplines traditionnelles, notamment la mécanique et le – Tableau 7 – Nombre de places offertes par disciplines dans les écoles d’ingénieurs pour l’ensemble de l’Inde en 2010-2011 Disciplines Nombre total de places % % cumulé Electrical & Communication 204 062 21,1 21,1 Computer science 200 974 20,8 41,9 Information Technology 135 143 14,0 55,9 Mechanical 128 167 13,3 69,1 Electrical and Electronics 95 271 9,9 79,0 Civil 67 019 6,9 85,9 Electrical 28 450 2,9 88,8 Electronics & Telecommunications 24 725 2,6 91,4 Instrumentation & Control 20 734 2,1 93,5 Computer 17 185 1,8 95,3 Biotechnology 7 263 0,8 96,1 Electronics 7 231 0,7 96,8 Chemical 6 914 0,7 97,5 Aeronautics 5 154 0,5 98,1 Autres 18 722 1,9 100,0 Total 967 014 100,0 Source : AICTE (2011) – Tableau 8 – Distribution des branches d’ingénierie par état en 2010-2011 (en % de places offertes) États TCI 1 TCI 2 Total TCI Autres Ensemble TCI + Autres Andhra Pradesh 66,2 16,7 82,9 17,1 100,0 Madhya Pradesh 60,6 13,5 74,1 25,9 100,0 Karnataka 60,0 13,9 73,9 26,1 100,0 Rajasthan 58,5 14,3 72,8 27,2 100,0 Panjab 66,8 3,9 70,7 29,3 100,0 Uttar Pradesh 61,9 8,6 70,5 29,5 100,0 Haryana 64,2 6,2 70,4 29,6 100,0 Inde 55,9 14,3 70,2 29,8 100,0 Tamil Nadu 54,7 14,3 69,0 31,0 100,0 Kérala 52,3 12,3 64,6 35,4 100,0 Delhi 53,2 9,4 62,6 37,4 100,0 Orissa 40,2 21,9 62,1 37,9 100,0 Ouest Bengale 54,5 3,3 57,8 42,2 100,0 Bihar 45,3 12,5 57,8 42,2 100,0 Maharashtra 22,3 34,6 56,9 56,9 100,0 Chattisgarh 45,6 9,4 55,0 45,0 100,0 Gujarat 35,2 15,1 50,3 49,7 100,0 Assam 39,2 9,6 48,8 51,2 100,0 Source : AICTE (2011) APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 33 –3– LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE génie civil. De ce double point de vue, l’état du Bihar dont on a déjà noté le sous-équipement en écoles d’ingénieurs se caractérise par une offre relativement fermée et, surtout, par la prédominance des deux disciplines traditionnelles, mécanique et génie civil, qui arrivent en tête des places offertes, derrière les TIC. La résistance de la discipline mécanique vaut pour le Panjab, l’Haryana, le Chattisgarh, mais aussi dans le sud, pour le Kérala et le Karnataka. La première ville de l’Inde associée au secteur des TIC, Bangalore, ne doit pas oblitérer que l’état du Karnataka présente un caractère mixte du point de vue de l’offre des branches d’ingénierie. Les états du sud, Tamil Nadu et Andhra Pradesh, affichent également une offre relativement fermée mais au seul profit des TIC comme on l’a déjà noté. À l’opposé, l’état de Delhi proprement dit, qui ne dispose que d’une quinzaine d’écoles d’ingénieurs, offre un éventail très complet de formations. La raison tient à la présence de trois grandes écoles d’ingénieurs, le IIT-Delhi, la Delhi Technological University (anciennement Delhi College of Engineering) et le Netaji Subhash Engineering College, ces deux dernières écoles étant du rang des National Institutes of Technology. Or ces grandes écoles se caractérisent toujours par une offre très large à même de représenter toutes les disciplines. La répartition des états selon la part des TIC dans l’ensemble des formations d’ingénieurs bousculent les classements précédents. Certes, avec plus de 80 % des places réservées pour les TIC, l’état de l’Andhra Pradesh se différencie toujours nettement de l’ensemble. Mais l’état du Tamil Nadu offre une part de TIC (69 %) tout juste inférieure à la moyenne nationale (70 %), tandis que le Maharashtra, avec 57 % des formations réservées aux TIC est très en-dessous de cette moyenne. La concentration des sociétés informatiques et des écoles autour de la ville de Pune, ne suffit pas à bouleverser l’offre pour l’ensemble de l’état. En revanche, le Karnataka, dont a noté la bonne résistance de la branche mécanique, affiche plus de 74 % de formation dans les TIC, derrière le Madhya Pradesh (74 %). À l’opposé des états ruraux comme le Bihar, le Chattisgarh, ou même le Gujarat ont les parts les plus basses, toutes inférieures à 60 % de l’ensemble des formations. L’essor des écoles d’ingénieurs, concomitant du développement du secteur économique des TIC, la forte proportion des écoles formant exclusivement des BEng, et enfin, le double déséquilibre de l’offre de places et de disciplines au profit des TIC, permettent de souligner que le haut enseignement technologique est étroitement orienté vers les besoins en main d’œuvre de ce secteur de services. l – 3.4 L’OUVERTURE À L’INTERNATIONAL – Les grands établissements scientifiques ont la possibilité de signer des accords de coopération (dit Memorandum of Understanding, MoU) avec des écoles et des universités étrangères. Ces accords permettent d’organiser des échanges d’étudiants et de professeurs, le plus souvent pendant un semestre. En 2010, le service français de la coopération universitaire en Inde recensait une bonne centaine de MoU signés entre écoles françaises et indiennes, comme c’est le cas par exemple pour le IIT-Delhi qui a accueilli, en 2011, une dizaine d’étudiants français venant de différentes grandes écoles d’ingénieurs de Paris et de province. Toutefois, d’une année à l’autre ces échanges n’ont rien de régulier. Nombre d’écoles indiennes affichent sur leur site internet des MoU qui n’ont souvent été suivis d’aucun échange après leur signature. Ils contribuent surtout à construire l’image internationale des établissements indiens soucieux 34 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE de s’attirer une clientèle d’étudiants séduits par cette ouverture potentielle à l’international. Ces MoU n’autorisent pas de collaboration plus étroite, comme la mise en place de programmes d’études conjoints menant par exemple à un double diplôme. Un projet de loi visant à autoriser l’implantation des universités étrangères en Inde pour y délivrer leurs propres diplômes est toujours en attente d’être présenté devant le Parlement en 2013. Cette loi suscite de très fortes résistances car les opposants, pour des raisons d’ordre nationaliste plus ou moins fondées, redoutent une concurrence inégale en termes de moyens avec les universités indiennes autant que l’arrivée d’établissements étrangers de second rang qui s’implanteraient en Inde pour des raisons commerciales et non pour la qualité de leur enseignement. Le présent gouvernement central, que conduit le Parti du Congrès indien avec ses partis alliés, est cepen- dant favorable à des accords de collaboration (l’équivalent des joint ventures du monde de l’industrie), sous le contrôle de l’University Grant Commission, avec des établissements étrangers classés parmi les quatre cents premiers des palmarès mondiaux des universités (dont trois classements sont en concurrence, le QS World Ranking Universities, le classement dit de Shanghai et celui établi par le Times Higher Education). Selon ces critères, une vingtaine d’écoles françaises seraient potentiellement concernées. Ainsi, l’École centrale de Paris vient de signer un accord avec le groupe industriel Mahindra qui a ouvert une école d’ingénieurs à Hyderabad en septembre 2013, sur le campus de l’ex SSII Satyam que le groupe Mahindra a rachetée après la faillite frauduleuse de cette société (voir infra section 5.4). On a là un exemple de ces corporate universities que plusieurs groupes industriels ont déjà mis en place, comme la Jindal University, près de Delhi, fondée par l’un des magnats de l’acier, par ailleurs membre du parlement, Naveen Jindal. Une autre voie d’accès au marché des étudiants indiens, pour les établissements étrangers, est de signer des accords avec des universités ou des centres de recherches totalement privés qui ne sont pas sous le contrôle administratif de l’UGC ou du All Indian Council for Technical Education dont relèvent les Engineering Colleges. On peut citer les deux exemples suivants. Le premier exemple est celui du SSN (Sri Sivasubramaniya Nadar) College of Engineering de Chennai, créé en 1996 par Shiv Nadar, un des grands patrons du secteur des TIC (encadré 16). Le collège est affilié à l’université technologique de l’état du Tamil Nadu (Anna University). Mais il inclut une école spécialisée, la SSN School of Advanced Software Engineering (SSNSASE), qui délivre des masters of Science in Information Technology en collaboration avec le Software Engineering Institute de l’université Carnegie Mellon aux ÉtatsUnis. En outre, à côté du programme de master, Carnegie Mellon offre aux étudiants de SSN-SASE un certificat en informatique qui leur permet d’intégrer le cursus du BEng de l’école d’ingénieurs de Carnegie Mellon. Ce certificat a donc une valeur d’échange sur deux marchés différents ; il vaut, d’une part, sur le marché national indien du travail informatique et, d’autre part sur le marché universitaire américain comme droit d’entrée à l’université de Carnegie Mellon. Le second exemple concerne l’accord passé entre, d’une part, l’Esigelec, école française d’ingénieurs spécialisée en électronique et en télécommunica- tions, établie à Rouen et, d’autre part, le Manipal Center for Information Science de l’Université de Manipal au Karnataka13. L’université de Manipal, première université privée établie en Inde en 1953, est aujourd’hui une vaste entreprise éducationnelle internationale ayant des campus dans le monde entier (en Asie, en Afrique, en Amérique du nord et Amérique latine, et même au Royaume Uni). Manipal, à l’origine un modeste village situé près de la côte de la mer d’Arabie, à 400 km à l’ouest de Bangalore, est aujourd’hui une ville dont l’activité économique se réduit aux seuls services de l’éducation et de l’enseignement supérieur. L’école d’ingénieur la plus réputée est le Manipal Institute of Technologie (MIT) ouverte dès la fondation de l’université. Cependant, bien qu’établissement privé recrutant ses étudiants par un concours propre à l’université de Manipal, le MIT est soumis au contrôle du AICTE et il ne peut mettre en place de double diplôme en collaboration avec des écoles étrangères. C’est la raison pour laquelle l’université de Manipal a ouvert une autre structure privée totalement indépendante, le Manipal Center for Information Science (MCIS) avec lequel l’Esigelec a signé un accord de coopération au niveau post licence. Cet accord porte sur un master de science (MSc), et non un master de technologie (MTech) car ce dernier aurait requis l’approbation du AICTE. Il s’agit donc d’un MSc spécialisé en « système d’information » (« embedded systems »), qui prend la forme d’un double diplôme délivré par Esigelec et l’Université de Manipal après un cursus de quatre semestres. Le premier semestre se déroule sur le campus de Manipal, le second sur celui d’Esigelec à Rouen, tandis que les 3e et 4e semestres sont consacrés à un projet de recherche mené dans une entreprise ou un laboratoire universitaire, en France ou en Inde. L’objectif des deux écoles est d’envoyer en France quinze à vingt étudiants par an. Mis en place en 2009, ce programme, en 2013, a concerné au total soixante-dix étudiants. Le coût global des études en France (enseignement et hébergement inclus) est de l’ordre de 11 à 12 lakhs de roupies (environ 15 000 €, au cours de change actuel, fin 2013), soit un tiers du coût des études équivalentes menées aux États-Unis. Le programme se heurte cependant à la politique élitiste du gouvernement indien qui tente de limiter les accords aux grandes écoles internationales. L’un des moyens pour limiter ces accords se fait par l’intermédiaire des banques auxquelles les familles ont parfois recours pour finan- 13. Entretien avec Vidya Suresh, responsable régional d’Esigelec en Inde (Bangalore, 9 août 2013). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 35 –3– LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE cer les études à l’étranger de leurs enfants. Les directeurs des banques sont invités à vérifier le rang de classement des établissements étrangers que veulent intégrer les étudiants qui sollicitent des prêts et à les refuser en cas de rang peu élevé, comme c’est le cas pour Esigelec. Un candidat a ainsi été recalé faute de disposer des ressources financières nécessaires pour mener à bien son projet. L’Esiglec, déjà bien implantée en Chine avant de s’orienter vers le marché universitaire indien, cherche néanmoins à développer de nouveaux programmes avec Manipal et avec d’autres universités privées en Inde. Le projet le plus ambitieux que vise Esigelec est d’attirer des étudiants indiens dans une filière de double licence d’ingénieur (BEng) réalisée en collaboration avec l’International Center for Applied Sciences (ICAS) de l’université de Manipal. Cette structure ad hoc indépendante du AICTE propose un tronc commun d’enseignement d’ingénierie de deux années à Manipal, suivi de deux ou trois années dans une école étrangère (les accords actuels concernent dix-sept écoles aux Royaume Uni, aux États-Unis, au Canada et en Australie). Les étudiants doivent donc être familiers avec la langue de l’école d’accueil, en l’occurrence le français pour l’Esigelec. Pour cette raison, l’Alliance française de Bangalore a ouvert un 36 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE bureau sur le campus de l’université de Manipal, et offre des cours de Français Langue Étrangère (FLE) car le potentiel de recrutement est énorme au sein d’une masse de quinze mille étudiants. Après cinq ans d’études dans cette filière, ces derniers sont titulaires d’un double diplôme (degree) d’ingénieur. Les étudiants recrutés à l’ICAS ont un niveau scolaire supérieur à eux qui entrent au Manipal Institute of Technology (70 % et plus en fin de classe de Terminale, contre 60 % pour le MIT). Pour un cursus mené en collaboration avec l’Esigelec, le coût total des études d’une durée de cinq ans serait actuellement de l’ordre de 30 lakhs de roupies (plus de 35 000 €, au cours de change actuel, fin 2013), ce qui reste très inférieur au coût des autres écoles étrangères partenaires de ce programme. La difficulté de ce projet, à laquelle se heurtent toutes les écoles étrangères, est d’aller chercher les élèves en amont, en classe de première et de terminale, notamment dans les lycées internationaux privés qui se développent en Inde (on en compte une trentaine ayant déjà une solide réputation pour la qualité de leur enseignement). L’Esigelec négocie également un accord du même type avec l’université privée Chitkara, au Panjab. Mais à ce jour, l’Esigelec n’a pas encore recruté d’étudiants et ces projets en restent à la phase de prospection. l –UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS– –4– 38 40 41 43 44 Les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs Les diplômes et les grades Le nombre annuel d’ingénieurs diplômés La qualité de l’enseignement professionnel Les ingénieurs et les études de management APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 37 –4– UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS –4.1 LES VOIES D’ACCÈS AUX ÉCOLES D’INGÉNIEURS– 14. La ville de Bombay a été rebaptisée en marathi Mumbai, comme Madras a retrouvé son nom tamoul Chennai, et Calcutta est devenue Kolkata en bengali. Mais les IIT dont le nom a été fixé par un acte du parlement conservent l’appellation antérieure de ces villes. 15. Deb, Sandipan, The IITians. The Story of a Remarkable Indian Institution and How Its Alumni Are Reshaping the World, New Delhi, Penguin, Viking, 2004. Il existe quatre modes principaux d’accès aux écoles d’ingénieurs : deux concours panindiens, puis les concours à l’échelle des états fédérés, enfin les concours ou tests de sélection mis en place par des écoles autonomes. Le premier des deux concours panindiens est le Joint Entrance Examination (JEE) qui ouvre la porte des Indian Institutes of Technology, les écoles publiques les plus sélectives scolairement. Localisés sur l’ensemble du territoire indien, les IIT ont été au nombre de six jusqu’au milieu des années 1990 : Kharagpur près de Kolkata (1951), Bombay14 (1958), Madras (1959), Kanpur, dans l’état de l’Uttar Pradesh (1960), Delhi (1961), auxquels fut adjoint le IIT de Guwahati, dans l’état de l’Assam (1994). En 2001, le collège d’ingénieurs de Roorkee a obtenu le titre de IIT (encadré 8). Mais à la fin des années 2000, l’état a ouvert huit autres IIT, portant leur nombre total à quinze. En 2011, environ 450 000 candidats au JEE ont été comptabilisés pour 9 700 places, soit un taux de réussite de l’ordre de 2 %. Le nombre limité de IIT et le caractère extrêmement sélectif de leur concours d’entrée, expliquent que ces écoles aient conservé le monopole de la formation de l’élite des ingénieurs indiens, sorte de caste de technocrates qui se dénomment entre eux les « IITiens »15 et se déclinent en sortes de souscastes selon le IIT et la branche dont ils sont diplômés. – ENCADRÉ 8 : DU THOMASSON COLLEGE OF CIVIL ENGINEERING AU IIT-ROORKEE – Le IIT-Roorkee témoigne de l’histoire centenaire des écoles d’ingénieurs en Inde. Située alors dans la bourgade de Roorkee en pleine campagne au pied de l’Himalaya, à 180 kilomètres au nord de Delhi, dans l’état de l’Uttarakhand, cette école a été créée en 1853 sous le nom de Thomasson College of Civil Engineering. Sa vocation était alors de former les topographes, les dessinateurs, les techniciens, puis les ingénieurs civils et militaires employés dans la construction des systèmes d’irrigation de la plaine du Gange. Lors de l’indépendance de l’Inde en 1948, l’école est devenue le College of Engineering Roorkee puis, en 2001, ce collège a été intégré au club fermé des Indian Institutes of Technology. C’est le seul IIT à ne pas avoir été créé dès son origine, ce qui a d’ailleurs suscité une opposition au sein de la famille des IIT. 38 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Le second concours national, le All India Engineering Entrance Examination (AIEEE) donne accès aux écoles publiques de second rang, comme les National Institutes of Engineering (NIT), les Indian Institutes of Information Technology (IIIT) et les autres écoles assimilées, soit au total 70 établissements en 2012. Le nombre de candidats a fortement augmenté ces dernières années, signe du succès que rencontrent les études d’ingénieurs. Mais ce concours est presque aussi sélectif que le JEE. En 2006, 397 000 candidats se sont présentés au AIEEE pour 9 900 places disponibles, soit un taux de réussite de moins de 3 % comparable à celui du JEE. En 2011, il y a eu 1 200 000 candidats pour environ 35 000 places, soit un taux de réussite proche de 3 %, en légère augmentation par rapport aux années précédentes. L’affluence des candidats tient au fait que ces derniers obtiennent un rang de classement panindien (All India Rank AIR) qui est un atout pour négocier une place dans les écoles privées. Les IIT recrutent leurs étudiants dans tous les états de l’Inde sur le seul critère du rang de classement au concours d’entrée. Les étudiants optent pour un IIT et une discipline selon leur rang national. Les NIT recrutent une première moitié de leurs étudiants à l’échelle panindienne, la seconde moitié étant composée d’étudiants originaires de l’état dans lequel le NIT est implanté. Ces deux concours nationaux, qui ont été fondus en un concours unique en 2013 (mais les IIT ont réintroduit une sélection interne), délimitent de manière stricte l’espace des écoles d’élites publiques. Le troisième type de concours d’entrée dans une école d’ingénieurs est organisé par les universités technologiques des états fédérés et concerne les étudiants des collèges qui y sont affiliés. Le choix de l’école se fait selon le rang au concours, à l’exception de l’état du Tamil Nadu qui est sorti de ce cadre juridique. Dans cet état, les écoles d’ingénieurs recrutent sur la base des notes obtenues en classe de Terminale (classe XII) dans les trois matières de base (mathématiques, physique et chimie). Les raisons de ce changement sont politiques. Il s’agit de faire accéder aux études professionnelles longues des étudiants issus de milieux modestes, souvent ruraux, dont les familles n’ont pas les moyens de payer les cours privés de préparation aux concours des écoles d’ingénieurs (es cours privés constituent un système scolaire parallèle bien organisé et très lucratif). – ENCADRÉ 9 : QUOTAS ET POLITIQUE DE « DISCRIMINATION POSITIVE » – Les accès aux établissements d’enseignement supérieur et à la fonction publique sont structurés par la politique des quotas réservés à des groupes de la société hindoue, forme que prend en Inde la « discrimination positive ». Cette politique a été mise en place dès le milieu des années 1930. Après l’indépendance, elle a été étendue à l’échelle de l’Union comme à celle des états fédérés et complétée par un article de la constitution qui reconnait aux « minorités » religieuses et linguistiques le droit d’administrer leurs propres institutions scolaires. Depuis 2008, tous les établissements d’enseignement supérieur relevant du gouvernement central sont soumis au système des quotas, sans aucune exception. Pour comprendre la diversité sociale et culturelle des jeunes diplômés, enjeu sociétal très fort désigné comme « inclusiveness policy » par les entreprises privées, il faut prendre en compte les effets de cette politique qui se fonde sur un système complexe dont les grands principes vont être donnés succinctement. La loi indienne distingue trois grands groupes de castes pour lesquels sont fixés des quotas concernant les étudiants, les enseignants et le personnel administratif. Ces groupes et les pourcentages respectifs de réservation sont les suivants : Scheduled Castes16 (ST ou castes répertoriées, anciennement les Intouchables aujourd’hui appelé Dalits, « opprimés »), 15 % ; Scheduled Tribes (SC ou tribus répertoriées), 8 % ; Other Backward Castes/Classes (OBC ou castes dites en retard du point de vue du développement économique, social et culturel), 27 % ; enfin, la catégorie résiduelle est dite Open Category (OC) à laquelle revient 51 % des sièges. En théorie, un arrêt de la Cour suprême interdit que le pourcentage de réservation pour les trois premiers groupes (SC, ST et OBC) excède 50 %. Enfin, les étudiants concourant sous ces quotas bénéficient encore d’une décote de 10 % sur les seuils d’admission dans l’enseignement supérieur. Si le dernier candidat de la Open Category admis au concours d’entrée dans les IIT doit obtenir 90 points sur 100, le premier étudiant OBC ou SC/ST sera reçu avec seulement 81 points sur 100. Cet écart scolaire obère souvent la scolarité de ces étudiants si aucun programme pédagogique n’est mis en place pour combler ce retard. Il y a trois restrictions à ces dispositions. Premièrement, la « catégorie ouverte » est, au sens strict, ouverte à tous les can didats, y compris aux étudiants pouvant bénéficier des quotas précédemment définis mais qui ne sont pas tenus de concourir sous ces quotas. Les membres des hautes castes n’ont donc aucun privilège d’accès légal à la seule catégorie à laquelle ils sont assignés. Deuxièmement, dans la pratique, les états fédérés ont mis en place des systèmes complexes de quotas qui peuvent atteindre 69 % des sièges, comme dans l’état du Tamil Nadu, ouvrant ainsi la voie à des recours juridiques. Troisième et dernière limitation, enfin, le système des quotas concerne en théorie l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur publics et privés, mais dans les faits, aucun établissement privé n’applique ce système de réservation, sans que l’État central se soit donné les moyens de sanctionner les contrevenants à ces règles de droit. Cette politique de « discrimination positive » est doublée par la reconnaissance du droit des minorités religieuses non-hindoues à administrer leurs propres institutions scolaires. Deux exemples sont donnés ici. Les musulmans disposent de deux grandes universités, chacune dotée d’une école d’ingénieurs réputée : l’université d’Aligarh, dans l’état de l’Uttar Pradesh et l’université Jamia Millia Islamia à Delhi. Pour les musulmans toujours, il existe d’autres écoles d’ingénieurs moins prestigieuses organisées sous ce statut de minorité. Les chrétiens disposent également de leurs propres écoles. En Inde du sud, les chrétiens, en majorité catholiques, sont pour la plus grande part issus des basses castes d’Intouchables qui, étant convertis au christianisme, ne peuvent bénéficier des quotas réservés aux SC hindoues. À Chennai, au Tamil Nadu, l’un des établissements chrétiens d’excellence est le Loyola College, dirigé par la congrégation des jésuites. Le Loyola College a ouvert, en 2008-2009, une école d’ingénieurs, le Loyola-ICAM College of Engineering and Technology (LICET), en coopération avec l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM) de Lille. Les élèves ingénieurs de cette école sont pour beaucoup issus des groupes de Chrétiens-Dalits auxquels le Loyola College consacre ses moyens éducatifs. Mais dans tous les cas, en principe, ces quotas réservés aux groupes minoritaires ne peuvent pas dépasser 50 % des places offertes. 16. Les catégories des Scheduled Castes et des Scheduled Tribes sont reconnues par le Government of India Act de 1935. Ces castes ont été inscrites sur une liste (schedule) qui est jointe à cette loi, et il s’agit en principe d’une catégorie fermée. En revanche, la catégorie des Other Backward Classes/Castes a été constituée à partir des années 1950 à l’échelle des états fédérés, et elle est régulièrement modifiée selon l’issue des luttes politiques autour de ces classements ; voir l’article « caste » dans Catherine Clémentin-Ojha, Christophe Jaffrelot, Denis Matringe et Jacques Pouchepadass (dir.), Dictionnaire de l’Inde, Paris, Larousse, 2009, p. 150-156. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 39 –4– UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS À l’échelle des états fédérés, la majorité des écoles sont gérées par de grandes entreprises privées et les écoles publiques sont minoritaires. Parmi ces dernières, il faut distinguer deux types d’écoles. Nombre d’états sont dotés d’écoles publiques d’ingénieurs réputées souvent anciennes. C’est le cas par exemple du College of Engineering de Guindy, qui tire son nom du quartier de Chennai où est localisé ce collège qui jouxte le IIT-Madras. C’est la plus ancienne école d’ingénieurs indienne qui a pour origine l’école de topographes militaires créée par les Britanniques à Madras en 1794. C’est également le cas du Bengal College of Engineering, première école civile d’ingénieurs créée à Kolkata en 1856 ou, encore, du Madras Institute of Technology ouvert en 1949. Ces écoles, très réputées pour la qualité de leur enseignement, s’opposent à de nombreuses petites écoles sans grands moyens ni résultats en termes de placements de leurs élèves sur le marché du travail. Le G.B. Pant Engineering College de Delhi, par exemple, appartient à cette dernière catégorie. Ce collège est une ancienne école délivrant des diplômes de cycle court de niveau Bac +2 (dite Polytechnics), promue en école d’ingénieurs en 2007 et affiliée à l’université Indaprastha, l’une des deux universités publiques de l’état de Delhi. Cet exemple atteste des liens entre les écoles d’ingé- nieurs et les Polytechnics qui forment les techniciens supérieurs dont les meilleurs élèves peuvent ensuite intégrer une école d’ingénieurs en seconde année afin d’y poursuivre leurs études jusqu’au BEng. Enfin, un quatrième mode d’entrée dans les écoles d’ingénieurs concerne les établissements privés qui ont le statut de Deemed University et délivrent leur propre diplôme. Mais là encore, les situations sont très variables. Certaines Deemed Universities privées (ou parapubliques comme le Indian Institute of Science de Bangalore qui a ouvert une filière innovante sur les nanotechnologies menant au BTech) sont scolairement équivalentes aux écoles publiques comme les National Institutes of Technology. C’est le cas du Birla Institute of Technology and Science, BITS, au Rajasthan, tandis que d’autres ont une réputation négative. Dans ce secteur, les modes de sélection varient selon les écoles et fonctionnent à plusieurs niveaux. Pour les écoles les plus sélectives, une présélection est faite sur les résultats obtenus en fin de la classe XI ou en fin de la classe XII (minimum de points requis étant 70 % +). Il y a ensuite plusieurs épreuves de sélection, dont un examen interne propre à l’école : c’est là que le rang de classement au AIEE peut être demandé. Ces écoles privées n’appliquent aucun type de quota et leur recrutement est panindien. l –4.2 LES DIPLÔMES ET LES GRADES– 17. Entretien avec Gilles Lacroix, directeur OTV Chennai, et avec Satish, BEng civil, MTech Environmental engineering, responsable de l’équipe des dessinateurs OTV, Chennai, février 2012. 18.Entretien avec Jacques Paren, Engineering Manager, Noida, 14 Septembre 2011. 40 Il existe quatre types de titre universitaire parmi les ingénieurs indiens : • le Diploma in Engineering (DEng), • le Bachelor of Sciences in Engineering (BScEng), • le Bachelor of Engineering (BEng), et le Bachelor of Technology (BTech). Cette diversité des désignations s’explique plus par l’histoire de l’enseignement supérieur technologique que par des différences de formations professionnelles. Les titulaires d’un Diploma of Engineering, délivré par les écoles polytechniques, sont encore nombreux dans le monde industriel, même si ce diplôme a perdu de sa valeur à mesure que le nombre de BEng ou de BTech augmentait. Les services d’ingénierie recrutent souvent ces diplômés qui travaillent par exemple comme dessinateurs en utilisant des logiciels de Computer Aided Designed (CAD). C’est le cas de l’entreprise OTV, la filiale technologique de Veolia dont le APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE bureau d’études à Chennai emploie une cinquantaine de ces diplômés ingénieurs17. Par ancienneté et promotion interne, les titulaires d’un DEng peuvent être reconnus comme ingénieurs à la fois dans leurs rôles et dans leur désignation, c’est le cas par exemple chez Alstom dont tout le service dessin est informatisé18. Le grade de BScEng, hérité du système d’enseignement britannique, était encore délivré par les facultés des sciences dans les années 1970 au terme de quatre années d’études. Il se déclinait selon les spécialités, y compris pour les disciplines de la famille des TIC (science de l’informatique, technologie de l’information). Aujourd’hui ce grade a quasiment disparu des cursus des facultés des sciences. Le BEng est le titre général délivré par les collèges universitaires établis à partir du début de la seconde moitié du 19e siècle. C’est le cas notamment du Bengal Engineering College (aujourd’hui Bengal Engineering and Science University) ouvert dès 1856 à Shibpur, près de Kolkata, pour former des ingénieurs civils. Lors de l’indépendance de l’Inde, en 1948, il y avait une centaine d’écoles d’ingénieurs dans tout le pays. Le BTech désigne à l’origine le grade universitaire délivré par les Indian Institutes of Technology (IIT). La première promotion est celle du IIT-Kharagpur, situé près de Calcutta, en 1951-1955. Le cursus calqué sur un modèle allemand durait à l’origine cinq ans (une année préparatoire avant les quatre années d’études spécialisées), puis il a été ramené à quatre ans afin d’harmoniser les parcours qui étaient inspirés d’autres modèles européens (russe, américain et britannique). Les IIT sont des établissements autonomes, avec le pouvoir de conférer leurs grades, à la différence des collèges ordinaires affiliés à une université. Avec le développement sans précédent du nombre des écoles d’ingénieurs, à partir de la seconde moitié des années 1980, la concurrence s’est instaurée entre ces nouvelles écoles et les IIT. Ces derniers n’ayant aucun monopole garanti par l’État du grade de BTech, celui-ci a été repris par nombre d’écoles d’ingénieurs sans que l’autorité centrale chargée de réguler l’enseignement technologique, le All Indian Council for Technical Education (AICTE), s’y oppose. Les différences entre les contenus d’enseignement des BTech et des BEng, parfois évoquées pour justifier les deux titres, ne sont pas probantes. l –4.3 LE NOMBRE ANNUEL D’INGÉNIEURS DIPLÔMÉS– Les statistiques sur le nombre de diplômés des écoles d’ingénieurs sont produites par l’Institute of Applied Manpower Research (IAMR), une institution publique dont les travaux s’adressent en priorité aux différents ministères et départements du gouvernement, ainsi qu’aux commissions chargées d’éclairer les politiques à mettre en œuvre, en particulier la Planning Commission. Mais les rapports annuels que publie l’IAMP ne permettent guère de saisir l’évolution récente de ce secteur. L’une des difficultés pour estimer le nombre de diplômés est l’absence d’une instance régulatrice du titre d’ingénieur (encadré 10). En l’absence de source unique et fiable, ce nombre fait l’objet d’estimations qui nourrissent les spéculations nationales et internationales. Sur la base de données se rapportant aux années 2005-2007, plusieurs auteurs estiment que l’Inde délivrait annuellement environ 350 000 BEng (Bachelor of Engineering) ou BTech (Bachelor of Technology)19. En 2010, on estime qu’il sortait environ 450 000 nouveaux ingénieurs par an. En tout état de cause, ces estimations restent très inférieures aux 600 000 ingénieurs diplômés parfois annoncé dans la presse anglo-saxonne et internationale, annonce alarmiste destinée à prouver le risque pour les « nationaux » de l’arrivée « massive » des informaticiens indiens sur les marchés du travail des pays occidentaux. Ces données attestent du caractère massif du champ éducatif professionnel mais elles doivent être relativisées. D’abord, l’accès à l’enseignement supérieur est encore limité à 12 % des classes d’âge 18-24 ans. Ensuite, la répartition des étudiants de premier cycle est déséquilibrée : 43 % d’entre eux se concentrent dans les facultés des arts ; 18 % dans les facultés des sciences ; 14 % dans les écoles d’ingénieurs, et autant dans les écoles de commerce ; les études médicales et les études juridiques, encore difficile d’accès, ne rassemblent chacune que 2 % de l’ensemble des étudiants du premier cycle. 19. Gary Gereffi, Vivek Wadhwa, Ben Rissing et Ryan Ong, « Getting the Number Right: International Engineering Education in United States, China, and India », Journal of Engineering Education, January 2008, p. 13-25 ; voir aussi Rajan Banerjee et Vinayak P. Mulay, Engineering Education in India, Delhi, Macmillan, 2010. Ce rapport date de 2007 et les séries de données, très grossièrement estimées, s’arrêtent en 2006 ; les chiffres sont du même ordre de grandeur que ceux proposés par Gary Gereffi et alii. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 41 –4– UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS – ENCADRÉ 10 : LE TITRE D’INGÉNIEUR – Il n’existe pas de titre d’ingénieur garanti par un acte législatif réglementant l’activité de la profession, ou par une commission panindienne représentative du milieu professionnel. L’association généraliste The Institution of Engineers (India), créée en 1920, propose divers niveaux d’adhésion selon les qualifications et l’expérience professionnelle des ingénieurs. Cette association dispense également des formations certifiantes qui permettent d’acquérir le titre d’ingénieur (dénommé Institution Engineer) équivalent au BEng. Au terme de leur formation, les membres peuvent recevoir le titre de Chartered Engineer (CEng). Mais en l’état actuel des relations entre système de formation et système productif, l’intérêt professionnel de ce titre n’est guère évident. Pour les élèves issus des écoles d’élites (IIT, IIIT, NIT), le grade associé à ces écoles est à lui seul le gage d’un bon recrutement. Par ailleurs, le titre de Chartered Engineer n’a aucune valeur pour la masse des élèves qui sortent des écoles de qualité scolaire moyenne et se font embaucher par les grandes sociétés de services informatiques qui, en outre, disposent de leur propre système de formation. En revanche, ce titre présente un intérêt pour les gradués des petites écoles d’ingénieurs qui veulent travailler de manière indépendante, par exemple en association avec des architectes lorsqu’il s’agit d’ingénieurs civils. Le titre de CEng (India) offre une garantie formelle minimale pour la clientèle de ces cabinets. Dès 1944, IEI a élaboré un premier code de conduite professionnelle valable pour les membres de l’association. Dans les années 1990, cette dernière a engagé une démarche pour faire voter par le parlement un Engineers Act afin de réglementer la profession. L’un des enjeux de cette loi est d’en définir le périmètre. Doit-elle concerner une élite d’ingénieurs professionnels certifiés ou englober plus largement d’autres groupes professionnels aux certifications plus floues ? En 2004, I’Institution Engineers (India) et le Engineering Council of India (fédération d’une 42 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE vingtaine d’associations d’ingénieurs créée en 2002) ont rédigé une nouvelle proposition de loi (Engineers’Bill) qui a été soumise au Ministry of Human Resources and Development (MHRD). Cette proposition de loi se double d’un Code d’éthique des ingénieurs professionnels qui fait partie de l’arsenal classique de « professionnalisation » des métiers d’ingénieurs. Mais, en 2013, la loi n’a toujours pas été présentée au parlement. Une des raisons de ce retard est que la certification du titre d’ingénieur doit être délivrée par une instance professionnelle reconnue par voie législative, qui n’a pas encore été mise en place. Le second objectif de cette proposition de loi est de permettre aux associations professionnelles d’accéder aux forums de l’International Engineering Alliance (IEA)20 afin de préparer les ingénieurs indiens à entrer sur le marché international de l’ingénierie. L’IEA est une structure complexe dont il faut retenir deux choses. Premièrement l’Inde, représentée par le AICTE, a signé l’Accord de Washington (1989) qui porte sur l’équivalence des grades d’ingénieurs entre les pays signataires, en majorité anglo-saxons, la France n’ayant signé ni cet accord, ni les accords homologues de Sydney (2001) et de Dublin (2002). Deuxièmement, depuis 2009, l’association Institution of Engineers (India) est membre du Engineers Mobility Forum (EMF) qui est, au sein de l’IEA, l’instance chargée de réglementer la mobilité individuelle des ingénieurs professionnels entre les pays. Mais un conflit est intervenu entre l’association IE (India) et le Council of Engineering India, qui porte sur la mise en place de l’instance de régulation du titre d’ingénieur au sein de ce forum, et ce différend bloque de facto la présentation de la proposition de loi devant le parlement indien. 20. L’International Engineering Alliance (IEA) est une structure supranationale dont l’action vise à harmoniser les professions d’ingénieurs pour faciliter la circulation de ces groupes entre les pays signataires des six accords que cette alliance englobe ; sur les détails de cette organisation, voir : http://www.washingtonaccord.org/ –4.4 LA QUALITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL– La qualité de l’enseignement technologique supérieur est un sujet qui préoccupe tous les acteurs du système, à la fois les responsables politiques, les enseignants et les employeurs, comme en témoignent régulièrement les médias qui relaient les études privées menées sur ce sujet (encadré 11). La faible qualité professionnelle des étudiants qui sortent des écoles d’ingénieurs munis d’un BEng est une conséquence directe d’un enseignement de masse qui s’est développé très rapidement, dans les dix à quinze dernières années, pour répondre aux besoins immédiats du secteur des services informatiques. Les facteurs à prendre en compte pour expliquer cette situation concernent l’ensemble de la chaine éducative : faiblesse des infrastructures scolaires, sous équipement technologique, absence d’enseignants qualifiés au-delà du BEng, contenus des enseignements datés, absence de pédagogie, affairisme, corruption rampante, pression des familles sur les écoles pour que les enfants obtiennent un grade scolaire sans autre souci de la qualité, tout concourt à faire de la majorité des 3 500 écoles d’ingénieurs, au mieux, des centres de formation de techniciens supérieurs qui doivent encore passer par les écoles professionnelles des grandes SSII avant d’entrer sur le marché du travail. Consciente de cette situation, la Banque mondiale a développé un programme ambitieux de rénovation de l’enseignement technologique supérieur, en collaboration avec les responsables politiques de l’Union indienne et des états fédérés. Le Technical Education Quality Improvement Project (TEQIP), qui s’est déroulé durant les années 2003-2009, a concerné treize états, dix-huit NIT et 109 écoles publiques ou financées partiellement par des fonds publics, soit environ 7 % des 1 800 écoles d’ingénieurs que comptait l’Inde en 2003. Le projet visait à moderniser les infrastructures de ces établissements, à renforcer les équipements technologiques, à doter les écoles de bibliothèques, à former le personnel technique, à revoir les curriculums, à encourager le secteur de la recherche, à favoriser les échanges entre les écoles, à renforcer les liens avec les employeurs, sans négliger également l’insertion de ces écoles dans leur environnement économique et social local. L’objectif à terme était, d’une part, de soutenir les efforts de productivité des entreprises en intervenant en amont sur la qualité des enseignements technologiques et donc sur la formation professionnelle des nouveaux diplômés et, d’autre part, de renforcer la compétitivité de ces entreprises dont les services sont destinés à l’exportation sur le marché international. En dépit de la qualité de ce programme, les répercussions escomptées ne pouvaient qu’être limitées en raison du nombre restreint d’écoles concernées, malgré l’effet d’entrainement attendu entre les établissements. l – ENCADRÉ 11 : LE NIVEAU SCOLAIRE DES ENTRANTS DANS LE SECTEUR DES TIC SOUCIE LES SSII – « Les sociétés d’informatique indiennes qui recrutent en grand nombre des étudiants fraichement sortis des écoles d’ingénieurs, se plaignent régulièrement du manque de qualité de ces futurs employés du secteur des TIC et des services associés (ITES). Selon une recherche conduite par le bureau d’études Knowledgefaber, localisé à Bangalore, seuls les étudiants sortis des grandes écoles (IIT, IIIT, NIT et assimilés), qui ne représentent que 5 % du total des BTech délivrés annuellement, seraient directement employables dans les entreprises de software comme Microsoft ou Google, étant donnés les profils technologiques recherchés par ces entreprises. Pour le reste, 45 % seulement des étudiants sortant des autres écoles sont employables par les entreprises comme Infosys et Wipro, compte tenu des défis que ces sociétés doivent affronter dans un secteur où les changements technologiques sont très rapides. » (Times of India, 1er avril 2013) APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 43 –4– UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS –4.5 LES INGÉNIEURS ET LES ÉTUDES DE MANAGEMENT– 21. Les Indian Institutes of Management (IIM) ont été créés par le gouvernement indien, au début des années 1960, pour être des écoles d’excellence en sciences du management. Il y a aujourd’hui treize IIM, identifiés par le nom de la ville où ils se situent soit, Ahmedabad, Bangalore, Calcutta (Kolkata), Indore, Kashipur, Kozhikode, Lucknow, Raipur, Ranchi, Rohtak, Shillong, Tiruchirappalli et Udaipur. La réputation académique de ces écoles varie, notamment selon leur ancienneté, les IIM d’Ahmedabad, de Bangalore et de Calcutta étant parmi les mieux placés dans les classements nationaux. 22. « CAT for IIMs to be revised to make it more inclusive », The Hindu, 16 octobre 2012. 44 Il est difficile d’estimer le nombre de titulaires d’un BEng ou d’un BTech qui complètent leur formation par un diplôme en management immédiatement après avoir terminé leurs études d’ingénieurs. D’une part, les 3 000 écoles et plus d’ingénieurs ne font pas de suivi de leurs étudiants au-delà de la licence et, d’autre part, les écoles qui dispensent des diplômes en management sont presque aussi nombreuses et diverses que les écoles d’ingénieurs. Il y existe deux titres universitaires en études de management. Le premier est le Master in Business Administration (MBA) qui est un degree délivré uniquement par les universités. Le second est le Post Graduate Diploma in Management (PGDM) auquel préparent toutes les autres écoles et instituts privés au terme de deux années d’études. Les prestigieux Indian Institutes of Management21 (IIM) délivrent un PGDM qui est reconnu comme l’équivalent d’un MBA par l’Association des universités indiennes. De même, les IIM ne peuvent délivrer de doctorat (PhD), mais elles ont mis en place des Fellow Programmes qui sont considérés comme équivalents. Les données en provenance du Common Admission Test (CAT), concours national d’entrée dans les IIM, fournissent quelques indications sur le profil scolaire et social des aspirants à un titre en management de APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE ces écoles d’élites22. En 2012, il y a eu 214 068 candidats au CAT, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2011, augmentation plus forte pour les filles (9 %) que pour les garçons (3 %). Parmi ces candidats, 67 % sont issus des écoles d’ingénieurs, le reste se dispersant entre agriculture, architecture, pharmacie, comptables agréés, titulaires d’une licence en lettres et arts et médecins (moins de 2 %). Les étudiants issus des milieux les moins favorisés ne représentent que 7 % de l’ensemble des candidats, mais leur part a augmenté de 13 % depuis 2011. Les groupes les moins favorisés des Other Backward Castes/Classes ont augmenté le plus fortement, 17 %) ; l’augmentation est de 7 % pour les candidats issus des Scheduled Tribes et seulement de 5 % pour les Scheduled Castes. L’origine géographique des candidats révèle la montée de groupes issus des petites villes et non plus seulement des grandes métropoles urbaines. Les salaires moyens d’entrée dans la profession du conseil sont très attractifs, entre 12 et 18 lakhs de roupies par an, soit cinq fois plus que le salaire d’entrée dans une SSII pour les ingénieurs titulaires d’un BEng. Mais les études sont également plus coûteuses, de l’ordre de 15 lakhs de roupies, soit un an de salaire de consultant débutant. l –LES SOCIÉTÉS DE SERVICES EN INGÉNIERIE INFORMATIQUE– –5– 46 Trois sources de données : Prowess, Dataquest, Nasscom 50 L’espace des sociétés de services informatiques 52 Essai de typologie 62 La faillite frauduleuse de la quatrième SSII de l’Inde : Satyam 63 Le marché parascolaire des TIC. Le succès du National Institute of Information Technology 65 Les SSII françaises en Inde APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 45 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE Il n’existe pas d’étude d’ensemble des entreprises du secteur des TIC conduite à l’échelle des sociétés de services23. L’une des raisons tient à la difficulté d’accéder à des informations cohérentes. Les trois sources de données disponibles pour mener ce travail sont construites selon des principes qui diffèrent, elles sont incomplètes, se recoupent peu, et ne sont donc guère comparables. Elles permettent au mieux d’appréhender les plus grandes entreprises qui dominent le marché. L’analyse présentée ci-après est une première tentative en ce sens. –5 .1 TROIS SOURCES DE DONNÉES : PROWESS, DATAQUEST, NASSCOM– 23. L a seule étude non publiée, mais à laquelle nous avons eu accès, est l’enquête menée en 1997 par la Carnegie Mellon University auprès de dix-sept sociétés situées à Mumbai, Hyderabad et Bangalore (Arora et alii, 1999). 46 Avant de présenter ces trois bases de données, il faut souligner que la taille de l’univers de référence reste floue. La Nasscom estime le nombre total des sociétés aux environs de 4 000 en 2010-2011, sans que l’on puisse vérifier ce chiffre. De son côté, l’administration du Software Technological Parks of India recense les unités opérationnelles, qui fonctionnent sous son programme, et non les entreprises. Une même entreprise peut être divisée en plusieurs unités opérationnelles réparties dans différents STPI. En conséquence, ces unités sont deux fois plus nombreuses que le total des entreprises du secteur des TIC. En prenant pour référence le chiffre avancé par la Nasscom, les trois sources accessibles ne couvrent que très partiellement les entreprises de ce secteur. La première source, Prowess est une base de données produite par le Center for Monitoring Indian Economy (CMIE). Elle concerne les entreprises enregistrées à la bourse de Bombay ou au National Stock Exchange. C’est la base de données la plus complète disponible sur l’ensemble des entreprises indiennes et les filiales indiennes des entreprises multinationales, tous secteurs d’activité confondus. Les données économiques et financières proviennent des rapports annuels publiés par les entreprises. Cette source est fréquemment utilisée par les économistes. Les rubriques de la base sont très détaillées mais les données sont souvent manquantes ou simplement inutilisables du fait du manque de suivi dans les séries. Prowess documente 962 entreprises appartenant au secteur des TIC. Parmi elles, 480 entreprises (le nombre varie selon les critères sélectionnés) ont été retenues pour les soumettre à des analyses de correspondances multiples. 18 variables réparties en 7 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE groupes ont été définies : 1) la taille de l’entreprise, selon le nombre d’employés ; 2) le caractère international des activités ; 3) la nature des activités ; 4) les politiques salariales ; 5) l’état financier des entreprises ; 6) la localisation des sièges ; 7) le caractère innovant des politiques. Le magazine Dataquest, seconde source d’informations, fournit en libre accès sur son site Internet une base de données sur les 200 premières entreprises de service informatique en termes de revenus. Si l’on retient les chiffres publiés par la Nasscom, le secteur des TIC représenterait un revenu global de 470 000 crores de roupies pour l’année fiscale 2010, et il emploierait aujourd’hui environ 2,5 millions d’employés. Dans ces conditions, les 200 premières entreprises classées par Dataquest réaliseraient 65 % des revenus de ce secteur d’activité et regrouperaient 72 % du total des employés. Les informations disponibles pour la majeure partie des entreprises sont les suivantes : 1) la date de création ; 2) le secteur principal d’activité ; 3) le revenu pour les trois dernières années ; 4) le taux de croissance annuel du revenu ; 5) les parts des activités réalisées sur le marché national et à l’exportation pour les trois dernières années ; 6) le nombre d’employés (mais les données sont manquantes pour 70 entreprises, soit 35 %) ; 7) la localisation du siège social. La Nasscom, troisième source sur les entreprises des TIC, maintient une base de données sur ses quelques 1 300 membres institutionnels dont les statuts sont de deux types : l Le premier type est celui de membre régulier, proposé aux entreprises indiennes qui ont des revenus annuels supérieurs à un crore (10 millions) de roupies. Il s’accompagne d’un droit de vote pour élire les membres du conseil exécutif de l’association. l Le second type est celui de membre associé. Il concerne, d’une part, les entreprises indiennes dont les revenus sont inférieurs à un crore de roupies, et, d’autre part, les entreprises étrangères, mais ce statut ne donne aucun droit de vote. Enfin, le coût de l’adhésion des membres réguliers est le dernier critère qui permette de comprendre la structure de cette association et sa représentativité. Le montant de la souscription et les droits de vote pour élire les membres du conseil exécutif sont proportionnels aux revenus des entreprises. Les classes de revenu varient de un à 5 000 crores et plus. Pour la première classe, de un à cinq crores, le droit d’entrée des entreprises s’élève à 0,001 % de leur revenu, et ces dernières disposent d’un seul droit de vote. Audelà de 500 crores de revenu, les entreprises disposent de six droits de votes, mais le montant de leur souscription varie encore selon leurs revenus. Pour un revenu supérieur à 10 000 crores, ce montant s’élève à 0,06 % du revenu. Pour les petites entreprises, en termes de revenus, le coût d’entrée reste assez bas et il ne paraît pas devoir être un frein à leur adhésion. De fait, la distribution des membres de la Nasscom selon leurs revenus révèle la prépondérance des petites entreprises24 : 88 % des entreprises affichent des revenus inférieurs à 50 crores de roupies (77 % entre 0-10 crores et 11 % entre 11-50 crores). À l’autre extrémité, les entreprises aux revenus les plus élevés (5 000 crores et plus) ne représentent que 1 % du total des membres de l’association. Mais il faudrait connaître les revenus exacts de toutes les entreprises pour apprécier leurs poids global au regard du total des revenus du secteur des TIC, revenus qui déterminent leur influence au sein de la Nasscom. On peut en faire une grossière approximation. Avec un revenu moyen de 5 crores attribué aux 997 membres de la première tranche (0-10 crores), ces entreprises ne représenteraient que 1 % de la totalité des revenus du secteur en 2009-201025. À l’autre extrême, la Nasscom liste 13 entreprises ayant des revenus supérieurs à 5 000 crores de roupies. Les revenus de 8 de ces 13 entreprises sont fournis par Dataquest ; sur cette base, ces 13 entreprises représenteraient à elles seules 7 % de l’ensemble des revenus du secteur des TIC. Faute de données détaillées fournies par la Nasscom, il est difficile de préciser davantage le poids de ces grandes entreprises dans ce groupement professionnel où les petites entreprises restent largement prépondérantes en nombre. Cette dualité explique peutêtre la double image de cette association qui, de l’intérieur, se présente comme le porte-parole de toutes les entreprises du secteur des TIC et, de l’extérieur, donne l’image d’un puissant groupe de pression œuvrant en faveur des grandes sociétés. Les services d’aides, de conseils et de lobbying à l’échelle nationale et internationale que fournit l’association sont en effet plus adaptés aux besoins des grandes entreprises travaillant pour l’exportation qu’à ceux des petites entreprises centrées sur un marché local très ciblé. Le fait que la Nasscom représente mieux les intérêts des grandes entreprises est attesté par les propriétés sociales des membres du conseil exécutif et celles des présidents qui ne sont éligibles que pour un mandat de quatre ans. La localisation des sièges sociaux de sociétés répertoriées par la Nasscom et CMIE (Prowess) confirme que l’on ne peut guère comparer les deux bases de données (tableau 9). Les villes de New Delhi, de Mumbai et d’Hyderabad sont surreprésentées par Prowess, comparées aux données de la Nasscom où 20 % des entreprises membres sont domiciliées à Bangalore contre 11 % de celles enregistrées par Prowess. – Tableau 9 – Localisation des sociétés informatiques selon Prowess et la Nasscom (en %) Villes Prowess (n=533) New Delhi Nasscom (n=1310) 18,2 6,2 -- 22,4 Kolkata 4,9 3,4 Mumbai 30,0 15,0 -- 6,3 Hyderabad 20,2 8,2 Bangalore 10,7 20,8 Chennai 16,0 12,3 NCR Pune Source : Prowess Database, Nassom Directory (2012) La surreprésentation de Mumbai par Prowess résulte vraisemblablement d’un biais lié à la sélection des entreprises enregistrées sur cette place financière par le CMIE. On note en outre l’absence de la ville de Pune, pourtant au 2e rang pour la concentration d’entreprises et d’écoles d’ingénieurs du Maharashtra, dans l’arrière-pays de Mumbai. La géographie des entreprises membres de la Nasscom (carte 2 p. 75) met en évidence une opposition de part et d’autre d’une diagonale passant par Mum- 24. Les classes de revenus varient selon les sources publiées par la Nasscom. Il n’est pas possible de présenter un tableau pleinement cohérent de ce groupement professionnel. Mais ces données permettent néanmoins d’appréhender la structure globale de l’association. 25 Soit 997entreprises x 5 crores = 4 985 crores, rapportés à 470 000 crores de revenus du secteur des TIC. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 47 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE – Figure 6 – Distribution des 200 premières sociétés des TIC selon leurs revenus en % (Dataquest 2009-2010) 30 25 20 15 10 5 0 101-250 251-500 1001-2500 2501-5000 501-1000 5000 + Source : Nasscom Directory (2012) – Figure 7 – Distribution des 130 premières sociétés des TIC selon le nombre d’employés en % (Dataquest 2009-2010) 10 00 15 00 0 + 0 1- -1 15 00 00 00 0 01 50 10 50 01 1- -5 10 00 00 0 50 120 51 -2 0- 00 50 50 40 30 20 10 0 Source : Nasscom Directory (2012) – Figure 8 – Distribution des membres de la Nasscom selon les revenus des sociétés en % (2011) 100 80 60 40 20 + 50 00 50 00 25 01 - 10 01 - 25 00 00 1- 10 0 50 50 125 50 10 12 00 -1 51 0 -5 11 1- 10 0 Source : Nasscom Directory (2012) – Figure 9 – Distribution des sociétés membres de la Nasscom selon le nombre d’employés en 2011 (en %) 35 30 25 20 15 10 5 0 0-50 51-200 201-500 501-1000 1001-5000 5001 + Source : Nasscom Directory (2012) 48 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE bai et Hyderabad. En Inde du nord la National Capital Region (NCR), c’est-à-dire New Delhi et sa couronne englobant, d’une part, Gurgaon et Faridabad dans l’état de l’Haryana et, d’autre part, Noida et Greater Noida dans l’état de l’Uttar Pradesh, regroupe 22 % des entreprises, à quasi égalité avec Bangalore qui en regroupe 21 %. Comparé au sud de l’Inde, le nord reste sous-développé au regard de l’implantation des sociétés de services informatiques, exceptée la région de Delhi. Dans les états de l’est et du nord-est, aucun centre important ne semble encore émerger : Kolkata ne regroupe que 3 % des membres de la Nasscom, Bhubaneswar 0,1 %, et les états de l’est (Assam ou Tripura) aucun. Dans les deux cas cependant, le poids de l’Inde du sud est sensiblement du même ordre de grandeur. Les trois capitales des états fédérés que sont Hyderabad, Bangalore et Chennai abritent 40 % des entreprises enregistrées par la Nasscom et 47 % de celles listées par Prowess. Les entreprises répertoriées par Dataquest et par la Nasscom (figures 6-9) se différencient selon leur taille exprimée en nombre d’employés (cette information est mal renseignée dans la base Prowess). Les grandes sociétés de services documentées par Dataquest opposent deux groupes, le premier groupe constitué des sociétés qui emploient entre 1 000 et 5 000 personnes, le second des entreprises de plus de 15 000 employés. Mais les catégories sont mal ajustées. Les trois premières sociétés de services (TCS, Wipro et Infosys) emploient toutes plus de 100 000 personnes. Cette opposition entre, d’une part, petites et moyennes entreprises et, d’autre part, très grosses entreprises s’observent parmi les membres de la Nasscom, avec une polarisation sur les petites et moyennes entreprises autour de 200 personnes et des revenus situés entre 1 et 10 crores de roupies. La comparaison entre les trois bases de données révèle l’hétérogénéité des trois sources. 85 entreprises sont communes à Prowess et à Dataquest et ces 85 entreprises représenteraient 65 % du total des revenus du secteur ICT. Mais le revenu moyen des entreprises retenues par Dataquest (1 585 crores de roupies) est trois fois supérieur à celles listées par Prowess (522 crores). Les grandes entreprises du secteur sélectionnées par Dataquest s’opposent aux entreprises moyennes retenues par Prowess. Pour sa part, la Nasscom partage une centaine de entreprises avec Prowess, et autant avec Dataquest. À l’évidence, il est impossible de réunir en une seule base cohérente les données qui seraient communes à ces trois sources. l – ENCADRÉ 12 : BANGALORE, CAPITALE DES TIC – Les qualificatifs ne manquent pas pour projeter la ville de Bangalore, capitale de l’état du Karnataka, en Inde du Sud, et ses 9 millions d’habitants sur la carte de la globalisation : « technopole » pour les uns, « ville globale » pour les autres, « Silicon plateau » pour le gouvernement du Karnataka, ou rien de tout cela pour d’autres encore. Il est vrai qu’au regard de la localisation des entreprises membres de la Nasscom, la région-capitale (NCR) de Delhi, avec 23 % des sièges sociaux, devance légèrement Bangalore, 21 %, tandis que ces deux villes distancent nettement les trois autres capitales régionales que sont Mumbai, 15 % des sièges, Chennai, 12 %, et Hyderabad, 8 % seulement. Si la localisation géographique de ce secteur d’activités est éclatée, trois caractéristiques contribuent néanmoins à faire de Bangalore la capitale des TIC. Premièrement, le poids de ce secteur est élevé au regard d’une population qui est presque deux fois et demi moindre que celle de la région capitale de Delhi qui rassemble plus de 22 millions d’habitants. Aussi, la densité des entreprises et la forte visibilité de ses employés aux allures juvéniles différencient nettement Bangalore de Delhi, où cette activité est spatialement beaucoup plus éclatée dans les villes périphériques (Gurgaon et Noida notamment). Deuxièmement, au sein de ce secteur d’activités, la proportion d’entreprises étrangères ou de filiales indiennes d’entreprises étrangères (plusieurs centaines en 2000) installées à Bangalore, est certainement plus élevée que dans les autres villes de l’Inde. Troisièmement, enfin, les TIC bénéficient d’une implantation relativement ancienne, liée à l’établissement de la Karnataka State Electronics Development Corporation (KEONICS) en 1976 et, un an plus tard, à la mise en place de la première phase de l’Electronic City : ce parc technologique de 136 hectares est situé à 18 km au sud de Bangalore, son développement est aujourd’hui dans sa phase III et il a été complété par ailleurs par d’autres parcs technologiques. La concentration des entreprises des TIC à Bangalore (mais aussi dans les autres métropoles de l’Inde), est d’abord le résultat des politiques publiques, celles du gouvernement de l’état du Karnataka en l’occurrence et celles du gouvernement central de l’Union qui en a fixé le cadre général, celui des parcs technologiques. Comme le rappelle Kiran Karnic, président de la Nasscom (2001-2008), rien n’est plus erroné que d’attribuer le développement de ce secteur d’activités aux seules forces du marché et de la libre entreprise. Ce sont au contraire de nouvelles modalités d’interaction et de négociation entre les pouvoirs publics et les entreprises du secteur privé qui ont permis la croissance de ces activités. La première phase de développement de la région de Bangalore résulte des politiques industrielle et éducative initiées par Mokshagundam Visvesvaraya (1860-1962), ingénieur de formation, qui fut diwan (équivalent d’un premier ministre) de l’état princier de Mysore en 1912-1918. L’industrialisation reposait alors sur les secteurs du bois, de la pâte à papier, du savon (le célèbre savon au santal de Mysore), des filatures et de l’énergie (eau, électricité). L’université de Mysore a été fondée en 1916 et l’année suivante, en 1917, le College of Engineering, aujourd’hui Sir Visvesvaraya University Engineering College. Mais la recherche s’est cristallisée très vite autour de l’Indian Institute of Science, créé en 1909 par J.N. Tata, aujourd’hui université parapublique où se font les recherches les plus avancées dans les sciences dures. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Bangalore est devenue le centre de l’industrie aéronautique (Hindustan Aeronautics Ltd., 1940) et aujourd’hui de l’aérospatiale. Après l’Indépendance de l’Inde, en 1948, puis la formation de l’état de Mysore en 1956, renommé Karnataka en 1973, l’État central a implanté à Bangalore des entreprises du secteur des télécommunications (Indian Telephone Industry, 1948, Bharat Electronics Ltd., 1954) et de l’industrie mécanique (Hindustan Machine Tools, 1955). En 1986, l’arrivée de la société américaine Texas instrument a été favorisée par les pouvoirs publics, l’Union indienne et l’état du Karnataka, qui ont pris en charge les infrastructures (en termes de télécommunications notamment). Cette implantation a marqué le début d’un processus d’installation d’entreprises étrangères à Bangalore, comme Hewlett Packard, Oracle, Motorola, Digital Equipment Corporation, Cadence, SAP, Capgemini ou IBM (en joint-venture avec Tata Consultancy Services). Dans le même temps, les secteurs de l’enseignement et de la recherche ont été renforcés par deux initiatives : d’une part, la synergie entre trois établissements publics, l’Institut des sciences, l’Indian Space Research Organisation et le Center for Development of Advanced Technology (C-DAC), qui constituent un pôle de recherche de pointe en électronique et en télécommunications et, d’autre part, la création en 1999 d’un International Institute of Information Technology (IIIT-Bangalore) établi sur le mode d’un partenariat public-privé. Ces deux APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 49 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE évolutions ont contribué à consolider la position de Bangalore comme capitale des TIC dans un contexte de compétition entre les états fédérés, en particulier dans le sud de l’Inde avec, d’un côté, le parc technologique dit Cyberpath à Hyderabad (Andhra Pradesh), où Microsoft s’est installé et, de l’autre, le « Cyber Corridor » qui s’étend sur une dizaine de kilomètres au sud de Chennai (Tamil Nadu). Sources : R.C. Mascarenhas, India’s Silicon Plateau. Development of Information and Communication Technology in Bangalore, Hyderabad, Orient BlackSwan, 2010 ; James Heitzman, Network City. Planning the Information Society in Bangalore, New Delhi, Oxford University Press, 2004. –5 .2 L’ESPACE DES SOCIÉTÉS DE SERVICES INFORMATIQUES– 26.L’analyse des sociétés du secteur des TIC a été réalisée par Scott Viallet-Thèvenin dans le cadre du stage de master d’économie et de politique publique de l’École polytechnique, voir Scott Viallet-Thèvenin, Indian IT Companies. A Typology, Centre de Sciences Humaines, École Polytechnique, New Delhi, 2011. 50 Pour réaliser l’étude des sociétés de services informatiques, on a retenu les deux cents plus grandes sociétés répertoriées par Dataquest. Les informations fournies par Dataquest ont été complétées en utilisant les deux autres sources existantes et en consultant les sites Internet de ces sociétés. Les huit secteurs d’activité identifiés par la Nasscom ont été repris : • IT Software services, • ITES (IT enabled services, BPO), • Product development, • Product distributer/reseller, • Staffing services, • Engineering services and R&D activities, • Animation/Gaming, • Internet commerce. Une variable portant sur la certification internationale des entreprises a été introduite afin de prendre en compte une procédure qui se développe car elle permet aux entreprises concernées de mettre en avant une référence de qualité pour s’imposer sur le marché international. La Nasscom retient cinq types de certifications. Le premier est le standard ISO 9000, qui porte sur la qualité des systèmes de management. Son adoption permet aux entreprises de s’assurer que les besoins de leurs clients sont globalement satisfaits. Dans cette famille, on a distingué les standards ISO 9001:2000 et ISO 9001:2008 comme deux étapes complémentaires dans ce processus. Le troisième type de certification est le standard ISO 14000-environnement. Les entreprises qui l’adoptent s’engagent, d’une part, à minimiser les effets négatifs de leurs activités sur l’environnement, notamment sur l’air, l’eau, la terre, et, d’autre part, à respecter l’arsenal APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE législatif sur ces questions et, enfin, à améliorer en permanence les procédures mises en place. C’est le cas de l’entreprise Stéria par exemple. Deux autres types de certifications, concurrents de ceux de la famille ISO, se rencontrent aussi dans les entreprises. Il s’agit d’abord de la certification dite Capability Maturity Model Integration (CCMI), définie par le Carnegie Mellon Institute. Le CMMI dispose de cinq niveaux correspondant à différents degrés de réalisation de la procédure requise. Enfin, le dernier type de certification retenue est le People Capability Maturity Model (PCMM) axé sur la gestion des ressources humaines. Huit régions géographiques vers lesquelles sont orientées les activités des entreprises ont été définies : Europe, Amérique du nord, Amérique latine, Afrique, Asie, Moyen Orient, Océanie et enfin Inde. Cette dernière région concerne les entreprises qui opèrent essentiellement sur le marché national indien. Au total, 22 variables ont été retenues pour caractériser chacune des deux cents sociétés avec une Analyse en composante principale26 (ACP). L’espace des sociétés de services informatiques est structuré par les quatre premiers axes de l’analyse en composantes principales (ACP). Le premier axe de l’ACP explique 19 % de la variance. Il oppose deux types d’entreprises selon les relations qu’elles entretiennent avec le marché national ou le marché international. À gauche de cet axe, se situent les entreprises qui sont spécialisées dans le service software et les services associés (ITES), exportent vers les États-Unis, l’Europe (principalement le Royaume Uni), mais aussi le Moyen-Orient, l’Asie et l’Amérique latine. Elles s’opposent aux entreprises situées sur à – ENCADRÉ 13 : LES VARIABLES RETENUES POUR L’ANALYSE EN COMPOSANTES PRINCIPALES (ACP) – 1 Membre de la Nasscom 2Local1 : entreprises dont siège social et établissement ont même localisation (même code postal) 3Local2 : entreprises dont le siège social est localisé dans le même district 4Type d’entreprise 1: Business House 5Type d’entreprise 2 : Private firm 6Pensions : part des pensions rapporté au CA 7Salaires : part des salaires rapporté au CA 8Sécurité sociale : part des avantages sociaux rapporté au CA 9Voyages : part financière des déplacements à l’étranger rapporté au CA 10Export1 : part des exportations de biens rapporté au CA 11Export2 : part des exportations de services rapporté au CA 12Import : part des importations dans le total des coûts 13Capital fixe : part du CF dans la valeur totale de la société 14RVN : retour sur valeur nette 15RCE : retour sur capital employé 16Quick Ratio (ratio de liquidité financière) 17Profit en % 18Chiffre d’affaire (CA) 19Secteurs d’activité 20Zones géographiques d’activités 21Certifications 22 Nombre d’employés la gauche de l’axe, et dont les activités centrées sur la distribution et la vente sont orientées essentiellement vers le marché national indien. Le second axe de l’ACP explique 9 % de la variance. Il distingue, dans la partie supérieure du plan, les entreprises qui développent des produits spécifiques et qui possèdent une activité de R&D, deux traits qui ne sont pas nécessairement associés. Jusqu’au début des années 2000, le secteur des TIC était caractérisé par l’inexistence de la recherche au sein de ces entreprises de services. Ces entreprises se caractérisent plus que d’autres par une certification ISO 14000-environnement. Ce type de certification qualifie des entreprises innovantes, soucieuses de présenter une image conforme aux attentes des pays occidentaux, dans un contexte où l’Inde, à l’instar d’autres pays émergents comme la Chine, freinent toutes mesures anti-pollution qui pourraient ralentir la croissance industrielle et économique du pays. Le troisième axe de l’ACP explique 7 % de la variance. Il oppose des entreprises engagées dans le BPO, staffing services, e-commerce, ITES, à des entreprises plus orientées vers l’exportation de produits pour des pays pauvres comme l’Afrique. Enfin, le quatrième axe explique 6 % de la variance. Il oppose, d’un côté, les entreprises dont les activités sont à dominante commerciale, de type distribution de biens et de services et, de l’autre, celles qui sont engagées dans des activités de production. Les entreprises de la première catégorie exportent vers le Moyen-Orient, vers l’Océanie, et secondairement vers l’Afrique, soit des pays plutôt proches de l’Inde en termes d’environnement économique. L’Inde représente par ailleurs une part de marché importante pour ces entreprises engagées dans les nombreuses facettes du commerce de détails. La seconde catégorie regroupe des entreprises qui exportent plutôt des produits vers les États-Unis et l’Europe. l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 51 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE –5.3 ESSAI DE TYPOLOGIE– L’analyse des axes qui structurent l’espace des entreprises conduit à une classification hiérarchique ascendante et permet de construire une typologie de ces sociétés. L’analyse porte sur 198 entreprises, deux d’entre elles (Apple India et Asus India) n’étant pas suffisamment renseignées pour être intégrées à cette étude. On a procédé à un regroupement en six classes et utilisé la méthode de couplage des moyennes pour caractériser la distance entre deux classes. Dans ce cas, cette distance est calculée comme la moyenne des distances entre tous les objets pris dans l’une et l’autre des deux classes différentes. La date de création des 200 plus grandes entreprises (figure 10) atteste que le secteur des TIC s’est développé à partir du début des années 1980. Sur les trois dernières décennies (1980-2010), la création des entreprises enregistrées par la Nasscom se répartissent régulièrement autour de l’année moyenne 1993. Les plus grandes entreprises du secteur comptent donc une vingtaine d’années d’ancienneté, ce qui paraît plutôt vieux si l’on considère que l’essor du secteur des TIC date des années 1980. Cet indicateur renseigne sur la volatilité de ce secteur économique, nombre d’entreprises ayant un cycle de vie assez court. On observe un décrochement entre le nombre d’entreprises créées en 1995-1999 et en 2000-2004. Faut-il considérer que cette diminution reflète la réalité économique du secteur des TIC ? On a noté que les entreprises devaient avoir un chiffre d’affaire supérieur à un crore de roupies pour devenir membre. Il faudrait alors connaître le temps moyen que les entreprises mettent pour atteindre ce chiffre d’affaires. Parmi ces entreprises qui réalisent la part la plus importante des revenus de ce secteur, 64 % sont orientées vers des activités relativement peu qualifiées ; 40 % – Figure 10 – Date de création des 200 entreprises des TIC listées par Dataquest (n=197) 0 05 -2 01 4 20 00 -2 00 9 20 95 -1 99 4 19 90 -1 99 9 19 85 -1 98 4 19 80 -1 98 9 19 97 -1 75 19 97 -1 70 19 <1 97 0 4 60 50 40 30 20 10 0 Source : Dataquest – Tableau 10 – Propriétés des entreprises des TIC pour les six clusters de l’ACP (n=198) Groupes 1 Nb d’entreprises 2 3 4 5 6 Moyenne 3 11 35 90 53 6 - Nb moyen d’employés 74 600 13 000 9 500 4 200 3 700 55 000 9 000 Revenu moyen (2009) en crores 13 100 3 712 1 381 815 1 124 8 912 1 585 Productivité (en crores) 0,176 0,286 0,145 0,194 0,303 0,162 0,176 Exportations (% revenu) 93 66 55 15 50 78 36 Sources : Scott Viallet-Thévenin (2011) – Tableau 11 – Propriétés de six entreprises de chaque cluster Groupes 1 2 3 4 Compagnie TCS Cognizant NIIT Année de création 1968 1994 2003 160 429 85 000 Nb d’employés 6 HCL Info-system Mind Tree Infosys 1976 1999 1981 3 485 128 150 7 866 113 796 Revenu (2009) en crores 26 576 15 646 1 199 11 956 1 296 21 355 Productivité (en crores) 0,165 0,184 0,344 0,093 0,165 0,188 Exportations (% revenu) 91 100 50 100 93 99 Sources : Scott Viallet-Thévenin (2011) 52 5 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE d’entre elles ont une activité de R&D, ce qui atteste la capacité de ces entreprises à inscrire leurs activités dans un processus de valeur ajoutée aux activités peu qualifiées qui sont le lot de ce secteur. En moyenne, chaque entreprise est engagée dans 2,3 activités différentes, selon la classification de la Nasscom. Le premier groupe rassemble trois entreprises dont la date de fondation est plus ancienne que la moyenne : Tata Consultancy Service, historiquement la première société de services informatiques, créée en 1968 (encadré 14), Aricent India et Hindustan Computer Limited Technologies, toutes deux créées en 1991 (HCL Technologies émanant du groupe HCL Infosystem fondé en 1976). Ce sont trois grandes entreprises, avec des revenus moyens de 13 100 crores de roupies (moyenne de l’ensemble 1 585 crores). Le cœur de leurs activités est le service software et les activités associées dit IT Enabled Services, à hauteur des deux tiers de leurs revenus. Ceci explique que ces entreprises aient en moyenne 4,8 secteurs d’activité différents, investissant par exemple dans le secteur des jeux animés et du commerce sur Internet. Elles exportent dans toutes les régions du monde, excepté l’Océanie qui reste une zone d’exportation marginale. – ENCADRÉ 14 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : TATA CONSULTANCY SERVICES – Tata Consultancy Services (TCS) a été créée en 1968, un siècle après la fondation du groupe Tata (Tata Sons) en 1868. C’est la plus ancienne des sociétés de services informatiques indiennes et la première par son chiffre d’affaire et son nombre d’employés (245 000 personnes). En 1965, la direction de Tata Sons décide de réunir dans une même unité les ressources humaines et techniques nécessaires à la gestion du groupe. Le service est dénommé Tata Computer Center, et fonctionne alors avec trois machines IBM. Quatre ans plus tard, le groupe crée quatre nouvelles entités et le centre informatique devient Tata Consultancy Services dont Faqir Chand Kholi prend la direction en 1969. Faqir Chand Kholi est né en 1924 dans la famille nombreuse d’un riche commerçant hindou, à Peshawar (aujourd’hui au Pakistan) où son père possédait alors le plus grand magasin de cette ville. Il a fait ses études supérieures à l’université de Lahore, au Punjab, dont il est diplômé en littérature anglaise (BA) et en physique et mathématique appliquée (BSc Hons). En 1945, il reçoit une bourse pour poursuivre ses études au Canada, à la Queen’s University d’Ontario où il obtient son BScEng (Hons) en électricité en 1948, formation qu’il complète par un MSc dans la même spécialité au Massachusetts Institute of Technology (USA). Après avoir travaillé deux ans aux États-Unis, F.C. Kholi rentre en Inde en 1951 et rejoint Tata Electric (TEL) dont il devient le directeur adjoint six ans plus tard. Sa tâche essentielle fut d’informatiser les services de TEL. Ce succès lui vaut d’être nommé en 1969 à la tête de TCS, la nouvelle unité informatique de Tata Sons qu’il dirige pendant vingt-deux ans. Sous son mandat, TCS s’est développé en dehors du groupe, prospectant de nouveaux marchés (banque, assurance, bourses, éducation), et le nombre d’employés a progressé d’une centaine à plus de 10 000 personnes. En 1996, Subramaniam Ramadorai, entré chez TCS en 1974, succède à Faqir Chand Kholi à la direction de cette société. Ramadorai est né en 1944 à Nagpur, au Maharashtra, dans une famille de brahmanes tamouls dont il est le quatrième des cinq enfants : « J’ai été un enfant normal d’une famille typique de Tam Bram (Tamoul Brahmane) » écrit-il (S. Ramadorai 2011). Son père, fils d’un comptable villageois tamoul qui possédait quelques terres ancestrales, a fait des études de mathématiques, puis il est entré à la Chambre des comptes de l’Union indienne, terminant sa carrière au poste de directeur de la Chambre des comptes de l’état du Tamil Nadu. Ramadorai a reçu une éducation très stricte dans laquelle l’apprentissage des matières scientifiques, les mathématiques en particulier, était complété par la transmission de la haute culture lettrée brahmanique, notamment la connaissance des langues sanskrite et tamoule. Destiné par son père à être médecin, il délaisse la biologie pour les mathématiques et la physique. En 1965, il obtient son BSc de l’université de Delhi, qu’il complète par un MSc en électronique et communication à l’Institut des sciences de Bangalore, en 1968. Ramadorai reçoit alors une bourse pour aller à l’Université de Californie-Los Angeles mener un MTech en science de l’informatique (1970). Dans cette famille de « Tam Bram », il est le premier à partir aux États-Unis pour y poursuivre ses études et y travailler. Son premier emploi, à Los Angeles, est celui de diagnostic programmer dans la société National Cash Register qui gère des parcs de caisses enregistreuses et des distributeurs automatiques de billets. Sur le point de contracter un APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 53 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE mariage (arrangé), sa future épouse impose comme condition qu’il revienne travailler en Inde, craignant que celui-ci ne soit déjà marié aux États-Unis, situation qui n’était pas rare alors parmi les immigrés indiens. En 1972, Ramadorai entre chez TCS, à Mumbai, comme analyste et programmeur assistant system, pour un salaire huit fois inférieur à ce qu’il gagnait aux États-Unis. Dans les années 1970, malgré le strict encadrement de l’économie par l’État qui freine tout développement du secteur privé, TCS importe un ordinateur Burroughs B1728 des ÉtatsUnis. En 1974, la société signe avec des clients occidentaux ses premiers contrats de services informatiques qu’elle fait exécuter en partie par ses ingénieurs à Mumbai avant d’implémenter les programmes sur le site de ses clients. C’est l’invention de l’outsourcing. Ramadorai parfait sa formation auprès de Burroughs, au Canada, et devient à son retour ingénieur system manager chargé de la maintenance du hardware. À cette époque, 90 % du coût des services étaient imputables au matériel, les 10 % restant revenant à parts égales aux coûts de software et à la main d’œuvre. Aujourd’hui (2010), avec les progrès technologiques, le hardware ne représente que 5 % du coût total d’un projet, le software 45 % et la main d’œuvre 50 %. En 1979, la demande du marché indien est encore insuffisante pour faire de TCS une entreprise viable. La société vise alors le marché américain et ouvre un bureau à New York dont Ramadorai prend la direction pendant deux ans. Réalisant que le décalage horaire entre l’Inde et les États-Unis facilite une organisation continue du travail entre ces deux pays, Ramadorai met en place la division du travail offshore/onshore qui permet aux équipes américaines de recevoir au matin le travail réalisé la veille par les ingénieurs indiens. Malgré les réticences des entreprises américaines qui ne prennent pas encore au sérieux les potentialités de l’Inde en matière de services informatiques, TCS parvient à emporter quelques gros contrats qui forgent sa réputation, notamment dans le secteur de la banque et de la finance, avec par exemple l’informatisation des services de la Banque nationale suisse ou du National Stock Exchange à Mumbai. « Il nous fallait gagner des clients et construire la marque TCS », résume Ramadorai (op. cit. p. 49). En 1993, Ramadorai passe neuf mois au Massachussets Institute of Technology où il suit une formation au management destinée aux cadres des grandes entreprises. Trois ans plus tard, il prend la direction générale de Tata Consultancy Services, et en 2002 il dirige les opérations d’introduction en bourse de la société dans laquelle Tata Sons reste majoritaire, à la différence des autres sociétés du groupe. En 2009, âgé de soixante-cinq ans, S. Ramadorai a quitté ses fonctions de Chief Executive Officer et Managing Director et est devenu vice-président de TCS. Natarajan Chandrasekaran, qui lui succède cette même année dans le poste de CEO, est également un brahmane tamoul mais issu d’un milieu rural, à la différence de son mentor S. Ramadorai. Né en 1963 dans un gros bourg du Tamil Nadu, N. Chandra, comme il est appelé, appartient à une famille de propriétaires terriens. Il a fait ses études secondaires en tamoul jusqu’en classe de seconde avant d’entrer au lycée (classe 10 et 11) dans la ville voisine. Titulaire d’un BSc en sciences appliquées de l’Institut de technologie de Coimbatore, il doit ensuite travailler sur l’exploitation familiale que son père lui destine. Mais ne souhaitant pas devenir agriculteur, il reprend ses études de sciences au National Engineering College de Tiruchirappali où il obtient un MCA (Master Computer Application) en 1986. À la suite d’un stage qu’il effectue chez TCS, il est embauché comme software developper en 1987 et mène alors toute sa carrière dans cette entreprise. Le second groupe rassemble onze entreprises dont les revenus annuels (3 375 crores) sont deux fois supérieurs à la moyenne de l’ensemble du groupe étudié. Toutes ces entreprises sont très engagées dans les IT Enabled Services mais aussi dans le « staffing services » : il s’agit de services de gestion du personnel en termes de recrutement, de placement, et de licenciement, autant d’activités que nombre d’entreprises sous-traitent à des sociétés spécialisées. Peu d’entreprises de ce groupe développent leurs propres produits, aucune ne fait de la distribution ou de la re54 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE vente. Mais elles sont très présentes sur le secteur du Business Process Outsourcing (BPO), activités requérant une population d’employés de faible qualification. Elles exportent sur le marché nord-américain, celui des pays européens, du Moyen-Orient et de l’Asie. Ces entreprises ont un niveau de certification supérieur à la moyenne, car il leur faut présenter des garanties pour leurs clients, excepté en termes d’environnement. Par ailleurs, ces entreprises sont peu engagées dans des activités productrices entraînant des risques de pollution. – ENCADRÉ 15 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : COGNIZANT – Cognizant Technology Solutions est un exemple de ces entreprises multinationales américaines créées par des entrepreneurs originaires de l’Asie du sud, qui sont implantées en Inde et dont nombre de cadres dirigeants sont Indiens. L’entreprise dont le siège social est au New Jersey (États-Unis) a été créée en 1994 par un ingénieur d’origine Sri Lankaise, Wijeyaraj Kumar Mahadeva. Celui-ci est né à Colombo où son père, haut fonctionnaire, était secrétaire permanent du gouvernement. Après avoir obtenu un BEng du Royal College de Colombo, Kumar Mahadeva part à Cambridge (UK) mener un MSc en électricité avant de compléter ses études par un MBA à la prestigieuse Harvard Business School aux ÉtatsUnis. Il travaille d’abord à la BBC, puis dans le cabinet d’études et de conseils McKinsey, avant de rejoindre la Dun & Bradstreet Corporation dont il devient le directeur général (Chief Executive Officer) pour l’Inde et la Chine. À ses débuts, la société créée par Kumar Mahadeva, Dun & Bradstreet Satyam Computer, est une « joint-venture » entre Dun & Bradstreet et l’entreprise indienne Satyam (Encadré 20) destinée à être l’office informatique du groupe américain et de ses clients. Mais en deux ans, la société élargit sa clientèle, devient indépendante en 1996, et elle entre à la bourse de New York en 1998. En 2003, Kumar Mahadeva quitte ses fonctions de directeur général pour être remplacé par Laskhmi Narayanan. Né en 1953, Lakshmi Narayanan a fait ses études secondaires et supérieures à Bangalore ; il est titulaire d’un MSc en électronique de l’Université technologique Visvesvaraya et d’un PGDM de l’Institute of Sciences de Bangalore. En 1976, Lakshmi Narayanan est recruté par Tata Consultancy Services où il se forme auprès de Faqir Chand Kholi, participe à l’informatisation de la Banque nationale suisse, puis il est promu directeur régional de TCS à Delhi. Mais en 1994, il est débauché par Dun & Bradstreet qui le recrute comme directeur technique (Chief Technological Officer) pour ouvrir le bureau de Cognizant à Chennai. À cette époque, confie-t-il « on ne savait pas combien de temps les activités liées aux TIC allaient durer 27 ». Les dirigeants doivent donc innover en surmontant deux épreuves importantes. La première a été de conserver les clients gagnés à l’occasion des ajustements techniques requis par le changement de millénaire en 1999-2000 (année dite Y2K dans le jargon anglo-américain). La seconde, en 2000-2001, fut de survivre à l’éclatement de la bulle spéculative d’Internet en prenant des parts de marchés dans les services de maintenance que les autres grandes entreprises indiennes refusaient. Cognizant a ouvert une douzaine de centres en Inde où l’entreprise est spécialisée dans le BPO, le conseil, et les services associées aux TICS (ITES). La société est présente sur tous les grands secteurs d’activités : notamment banque et finance, assurances, distribution et vente, santé, média, télécommunications. Interrogé sur ce qui différencie Cognizant, TCS, Infosys et Wipro, Lakhsmi Narayanan déclare : « Tata est très centré sur les coûts et les prix. Infosys essaie d’être très innovateur. Wipro est considéré comme une entreprise axée sur le segment R&D parce que la moitié de leurs revenus proviennent du secteur des télécommunications. Cognizant a la réputation d’offrir à sa clientèle la meilleure expérience.28 » Dans cette concurrence, le fait d’être coté au NASDAQ est un atout pense Lakshmi Narayanan : « Cette cotation a un impact positif sur les clients potentiels qui font pas mal de recherche avant de nous approcher. Notre présence dans le top 50 de Business Week est plus crédible que d’être dans le top 5 de la Nasscom. Nos clients nous associent avec des marques qu’ils connaissent, et, pour cette raison, être classé aux États-Unis est très important.29 » En 2007, Lakshmi Narayanan prend sa retraite à l’âge de 55 ans, et il laisse son poste de directeur général à un jeune manager Francisco D’Souza, âgé de 38 ans. Né en 1968 à Nairobi (Kenya), fils d’un ambassadeur indien originaire de Goa, celui-ci a vécu dans une dizaine de pays au gré des changements d’affectation de son père tous les trois ans. De citoyenneté américaine, D’Souza bénéficie du statut légal de Person of Indian Origin30 (PIO) créé par les autorités indiennes pour favoriser le retour des entrepreneurs indiens qui ont opté pour une autre nationalité. À la différence de ses prédécesseurs, il n’est pas un ingénieur de formation mais un manager, titulaire d’un Bachelor en Business Administration de l’Université d’East Asia (Hong Kong), et d’un MBA de la 27. Rasheeda Bhagat, « Cognizant rising by Chennai beach », The Hindu Business Line, Mars 2006 (en ligne). 28. « An interview with Lakshmi Narayanan », Management Paradise.com, 11 mars 2007. 29.Raghuvir Srinivasan, « Chat with Lakhmi Narayanan », Strongbeer Blogspot, 16 mars 2009 (en ligne). 30.L’Inde ne reconnaissant pas la double citoyenneté, le statut de PIO donne aux détenteurs de ce titre tous les droits reconnus à un citoyen indien, excepté celui d’exercer le droit de vote. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 55 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE Carnegie Mellon University aux États-Unis. « Quand j’étais jeune, j’ai appris tout seul la programmation, le system design, et tous ces trucs. J’ai toujours été passionné par ça ; et je savais que je finirais dans une société de technologie31 » dit-il. Scolarisé dans les écoles locales des pays où il a vécu, parlant couramment portugais, marié à une Brésilienne, il se sent à sa place dans une entreprise cosmopolite comme Cognizant. « Cela vient de mon éducation. Lorsque vous voyagez vous apprenez, implicitement, et je me considère comme incroyablement privilégié d’avoir eu cette opportunité. Cognizant est un lieu multiculturel où des gens du monde entier travaillent ensemble, se reconnaissent mutuellement pour ce qu’ils sont, et se considèrent comme des individus32 ». 31. F rancisco D’Souza, « Giving back to Society is what you are about », entretien avec Sriram et KS Vasanth, Business. Outlook India (online, 2007). 32. Ibid. Le troisième groupe compte 35 entreprises dont les revenus sont inférieurs de 13 % au revenu moyen de l’ensemble des entreprises. Ces entreprises sont enga- gées en moyenne dans 3,1 activités. Elles ont toutes un niveau de certification élevé, la plupart détenant le certificat de rang supérieur. – ENCADRÉ 16 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : HINDUSTAN COMPUTER LIMITED – Dès l’essor du secteur informatique, au milieu des années 1970, la concurrence est rude entre les entrepreneurs qui peinent à constituer des équipes d’ingénieurs et de managers qualifiés pour se placer sur ce marché innovant. Hindustan Computer Limited a été créée en 1976 par Shiv Nadar et six ingénieurs venus de DCM Data Products, la division informatique de la société Delhi Cloth Mill (DCM). Shiv Nadar est né en 1945 dans un village du district de Tuticorin, au sud-est de l’état du Tamil Nadu, le cinquième d’une famille de huit enfants. La caste des Nadar dont il est issu a connu une forte ascension économique et sociale depuis le 19e siècle, et c’est aujourd’hui une communauté de marchands prospères. Mais Shiv Nadar est issu de la petite classe moyenne de fonctionnaires éduqués : son père était juge de district, et un oncle maternel était un grand patron de la presse tamoule. Au début des années 1960, après une scolarisation dans une école de langue tamoule, Shiv Nadar fait ses classes de première et de terminale scientifique à l’Université américaine de Madurai, puis des études d’ingénieur au PSG College of Engineering de Coimbatore où il obtient un BEng en électricité et électronique en 1968. Jusqu’à l’âge de 22 ans, l’horizon social et intellectuel de Shiv Nadar est celui des petites villes industrielles du sud de l’état du Tamil Nadu où il réside au gré des changements de postes de son père. En 1968, il vient travailler à Delhi au sein de DCM Data Products où il côtoie des ingénieurs qui ont fait le succès de grandes entreprises du secteur des TIC dans les années sui- 56 vantes, comme Ashok Soota recruté par Wipro, ou Rajendar Pawar avec lequel Shiv Nadar a fondé l’entreprise d’éducation en informatique, National Institute of Information Technology (NIIT). En 1975, DCM Data Products met sur le marché le premier micro-ordinateur indien. Mais un an plus tard, Shiv Nadar quitte DCM Data products avec six de ses collègues pour fonder Microcomp Limited, renommé Hindustan Computer Limited. Le coup fut rudement ressenti par DCM dont les dirigeants, qui tentaient une reconversion industrielle, avaient investi dans la formation de ces ingénieurs. Vinay Bharat Ram, alors à la tête du groupe, le reconnaît : « Shiv Nadar qui travaillait pour DCM depuis huit ans et avait bénéficié de notre programme de formation au management, nous quitta. C’était une assez mauvaise nouvelle car il était le plus brillant de nos ingénieurs. Mais le pire est qu’il emporta avec lui les plus créatifs des hauts cadres techniques et des managers. Ce fut un coup dur.33» En effet, Shiv Nadar et ses collègues entendaient bien se positionner sur le même segment de marché que DCM Data Products, celui de la fabrication et de la distribution des premiers calculateurs électroniques et des micro-ordinateurs. Le contexte va leur être favorable. En 1977, le gouvernement de centre gauche du Janata décide d’expulser d’Inde les multinationales 33. Vinay Bharat Ram, From the Brink of Bankruptcy. The DCM Story, Pengin, Viking, New Delhi, 2011, p. 81. La société Delhi Cloth Mill (DCM) fut la première entreprise indienne de textile créée à Delhi en 1889. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE américaines dont IBM (Encadré 2). Ce départ libère une maind’œuvre d’ingénieurs hautement qualifiés en même temps qu’il ouvre le marché aux entreprises indiennes de hardware. Dans les années 1980, les premières tentatives pour s’implanter seul à l’étranger rencontrent quelques succès (Singapore) et des échecs (États-Unis). Shiv Nadar change alors de stratégie et engage HCL dans des partenariats, d’abord avec Hewlett-Packard, puis avec Nokia et, enfin, avec l’entreprise japonaise d’informatique NEC. Au milieu des années 1980, la nouvelle politique en matière d’informatique annoncée par le gouvernement favorise le développement de l’entreprise. HCL lance son ordinateur Busybee sous système UNIX, qui équipe alors les banques indiennes. En 1999, l’entrée en bourse de HCL au National Stock Exchange a été un succès pour l’entreprise que Shiv Nadar venait de restructurer en cinq entités. Les deux plus importantes sont Hindustan Computer Limited Technologies dont les activités sont centrées sur les services software, et Hindustan Computer Limited Infosystem qui est le leader du secteur hardware. Dans les années 2000 le groupe s’est développé par le biais d’acquisitions notamment dans le secteur des centres d’appels (Apollo Business Technologies, Deutsche Software Limited). Mais HCL est aussi présent sur des secteurs Le quatrième groupe, composé de 90 entreprises, est le plus important en nombre. Ces sociétés se distinguent par des activités largement orientées vers le marché domestique, 10 % à 15 % seulement de leurs services s’adressant aux pays européens ou aux ÉtatsUnis. Tous les paramètres les distinguent négativement des grandes entreprises qui dominent le marché des TIC. Les entreprises de ce groupe sont en moyenne plus récentes, elles ont des revenus inférieurs à la moyenne, elles sont moins souvent certifiées, comme si les références de qualité n’avaient pas la même importance pour les clients indiens, et un quart seulement sont membres de la Nasscom. Ces entreprises sont également moins polyvalentes, avec à leur actif seulement 2,3 activités, et peu d’entre elles sont engagées dans les services softwares, occupant plutôt le secteur de la distribution et de la vente. Le cinquième groupe rassemble 53 entreprises et se place en seconde position par sa taille. Il partage avec le groupe précédent les revenus les plus bas du secteur, c’est-à-dire de 30 % inférieur à la moyenne. Même si elles sont moins bien dotées en certifications innovants comme celui des biotechnologies. Depuis une quinzaine d’années enfin, via la fondation privée qu’il a mise en place, Shiv Nadar est entré sur le marché de l’éducation. Dès 1981, il est l’un des fondateurs de l’entreprise NIIT (voir infra § 6.7), pionnière dans le secteur de l’éducation informatique parascolaire. En 1996, Shiv Nadar a créé le SSN34 College of Engineering, à Chennai, qui est affilié à l’Université technologique du Tamil Nadu. A cette école d’ingénieurs, qui a une très bonne réputation, s’adjoint la SSN School of Management and Computer Applications et la SSN School of Advanced Software Engineering. Et depuis 2012, cet entrepreneur a ouvert dans la banlieue de Delhi la Shiv Nadar University, prenant pour modèle des grandes universités privées américaines. Cet investissement dans l’enseignement supérieur se double de la mise en place d’un réseau d’écoles primaires qui devraient être au nombre d’une vingtaine en 2020. Enfin, deux écoles expérimentales, Vidya Gyan schools, dont l’une établie à Vanarasi (Bénarès), accueillent des enfants démunis issu du milieu rural, repérés pour leurs capacités intellectuelles. 34. Le collège est nommé ainsi en hommage à son père Sri Sivasubramniya Nadar (SSN). diverses, ces entreprises exportent largement vers l’Europe (80 % d’entre elles) et vers les États-Unis (90 %). Plus de 80 % sont également membres de la Nasscom, un trait à mettre en relation avec leur position sur le marché international. On trouve dans ce groupe la société française Stéria, mais cette société fait exception par son investissement dans les certifications, notamment en matière d’environnement. Le sixième et dernier groupe rassemble six entreprises qui ont 8 900 crores de revenus moyens et se placent ainsi au second rang (notamment Wipro, Infosys, Patni Computer System, et Larsen & Toubro Infotech). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 57 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE – ENCADRÉ 17 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : MINDTREE – Subroto Bagchi est le fondateur de la société MindTree qui emploie 9 500 employés et se classe au 42e rang, en 20102011 selon le palmarès du magazine Dataquest. Bagchi n’est ni un héritier, ni un ingénieur de formation, ni même un diplômé en management, mais il a passé l’essentiel de sa vie professionnelle dans le secteur des TIC où il a occupé des postes à hautes responsabilités. Son parcours accompagne les différentes phases technologiques que ce secteur d’activité a connues depuis trente ans, et il illustre les opportunités de carrières qui se sont alors ouvertes, même aux non-spécialistes. Subroto Bagchi est né en 1957 dans une petite ville de l’état de l’Orissa. Il est le troisième enfant d’une fratrie de cinq garçons dans une modeste famille de brahmanes d’origine bengalie. Il a grandi à l’écart de la culture urbaine, dans diverses bourgades où son père, petit fonctionnaire, était transféré régulièrement. La famille de Bagchi est riche d’hommes versés dans les études : un grand-père médecin, l’autre juriste, et un oncle professeur à l’université de Calcutta. Doté d’une bonne maîtrise de l’anglais, grâce à son père, Bagchi a fait des études de sciences politiques à l’université de Bhubaneswar, la capitale de l’Orissa (Bagchi 2008). Devant gagner sa vie à l’âge de 21 ans, il entre en 1976 comme simple employé au département de l’industrie de l’état de l’Orissa, terminant un master en sciences politiques par cours du soir. Abandonnant l’idée de devenir haut fonctionnaire ou militaire, comme ses deux frères aînés, il est recruté un an plus tard comme jeune manager dans l’entreprise Delhi Coton Mill (DCM), conglomérat aux activités variées allant du textile à la fabrique de réfrigérateurs et d’ordinateurs. Il débute alors dans l’industrie privée avec un salaire trois fois supérieur à celui qu’il touchait comme fonctionnaire. En 1984, après cinq ans d’expérience dans une entreprise fondée au xixe siècle et qui peine à se reconvertir, il trouve un emploi de vendeur de matériel informatique dans une nouvelle entreprise qui a déjà un pied dans le xxie siècle, Hindustan Computer Limited, fondée par Shiv Nadar, ingénieur ayant travaillé pour DCM mais dans la branche informatique (encadré 16). Au début des années 1980, les activités de service des TIC sont quasiment inexistantes. Excepté Tata Consultancy Services, « les entreprises comme HCL ou Wipro ne faisaient du service informatique que pour encaisser des dollars qui leur permettaient d’acheter des composants électroniques pour assembler des ordinateurs et les vendre en Inde. Le service software, à cette époque, n’était pas leur vocation35» écrit 58 Bagchi. Mais dans ce nouveau secteur d’activités, les opportunités permettent alors de progresser sans trop se soucier du lendemain. Très vite opposé à la politique commerciale agressive d’HCL, Bagchi rejoint PSI Systems, à Bangalore, qu’il quitte tout aussi rapidement pour se faire embaucher par le constructeur automobile Mahindra dont la branche informatique, Mahindra & Mahindra Computers (MMC) Digital Systems, ferme ses portes moins d’un an plus tard. En l’espace d’un an, Bagchi a au moins appris les techniques de la vente et du marketing et il s’est fait des relations dans ce nouveau milieu. Le secteur des services informatiques favorise l’émergence d’un marché de la formation qui s’adresse notamment à la clientèle privée et dont la plus éclatante réussite est le National Institute of Information Technologie, NIIT. Avec un groupe d’anciens employés de PSI Systems, de MMC Digital Systems et des diplômés de l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad, dans l’état du Gujerat, Bagchi fonde la société Project.21 qui vise le marché de la formation en entreprise. Malgré quelques contrats passés avec le secteur public et avec Wipro, la société pâtit d’un sous-financement chronique et de l’absence d’un plan de développement à long terme. En 1988, Bagchi quitte Project.21 et se fait embaucher comme manager par Wipro, société au sein de laquelle il évolue pendant dix ans au gré du développement de l’entreprise. Le profil type d’un manager vente, chez Wipro, est alors un ingénieur titulaire d’un diplôme en management, ce que Bagchi n’est pas. Néanmoins, il est chargé de réorganiser le secteur commercial, de gérer les relations avec les clients, de faire également de la formation technique aux vendeurs, et même de superviser le suivi des paiements. En 1991, Bagchi rejoint la nouvelle unité constituée par Wipro et la General Electric Medical Systems (devenue GE Health Care), et il est envoyé aux États-Unis, dans la Silicon Valley. En deux ans (1991-1993), il monte le bureau de R&D de Wipro, en collaboration avec le groupe Intel. Confronté aux difficultés des relations interculturelles entre la centaine d’ingénieurs indiens de ce bureau et leurs homologues américains, Bagchi innove et sollicite l’intervention de LuEllen Schafer, devenue l’une des spécialistes de la formation à l’interculturel. 35. Subroto Bagchi, Go and Kiss the World. Life lessons for the Young Professional, New Delhi, Penguin, 2008, p. 105. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE De retour en Inde en 1993, un constructeur aéronautique lui propose un poste avec un salaire neuf fois supérieur à celui qu’il gagne chez Wipro. Il renonce à cette opportunité et devient directeur général de la division R&D de Wipro, travaillant en étroite collaboration avec l’un des ingénieurs qui a contribué à la réputation du groupe, Sridhar Mitta, directeur du secteur technologique (encadré 18). En 1996, Azim Premji lui demande de prendre en charge la vice-présidence du groupe Qualité-Management. Bagchi introduit alors les techniques de management dites Sigma, importées de Motorola. Nommé à l’âge de quarante ans vice-président de la division technologique internationale, Bagchi cumule alors les postes les plus élevés au sein de Wipro. Cependant, après dix ans d’expérience dans cette entreprise, il paraît ne plus rien y découvrir de nouveau. Il répond alors aux sollicitations de la société Bell Labs pour laquelle il doit monter un laboratoire de recherches, Bell Lab Development Center, à Bangalore. Mais en l’espace d’une semaine, il réalise son erreur : les tâches qu’on lui confie ne sont pas à la hauteur du poste qu’on lui a proposé et il doit affronter les enjeux politiques de la multinationale Lucent Technologies qui a racheté Bell Labs. Se comparant au « brahmane cupide dévoré par le tigre » de la fable du Panchatantra, il se retire de Bell Labs, mais avec un nouveau projet en tête. Restant au cœur du secteur des TIC, Bagchi entend créer « une société centrée sur des valeurs, en prise avec les problèmes de société, et fondée sur le principe du partage de la richesse créée. ». Bagchi réunit une équipe de dix personnes, et en 1999 ce groupe fonde MindTree dont le nom est inspiré d’un terme sanskrit : manosvriksha36 (l’arbre de l’esprit). L’entreprise définit cinq valeurs cardinales : le soin, l’apprentissage, le développement, le partage, et la responsabilité sociale. Et elle met en place un partenariat philanthropique avec la Spastic Society de l’état du Karnataka qui prend en charge les enfants atteints de paralysie cérébrale. Le logo de MindTree a été dessiné par un de ces enfants. 36. Manovriksha, [du sanscrit, manas : mind ; virksha : tree] dans les Upanishads, est l’éternel pourvoyeur de solutions intellectuelles, ibid. p. 186. – ENCADRÉ 18 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : WIPRO – Azim Premji est né en 1945 dans une riche famille marchande de la communauté musulmane des Khodja de Mumbai. En 1966, il fait des études d’ingénieur en électricité à l’université de Stanford, aux États-Unis, lorsque son père meurt brusquement. Premji doit alors rentrer en Inde pour reprendre la direction de l’entreprise familiale spécialisée dans les huiles végétales, Western India Palm Refined Oils (WIPRO) ; il est tout juste âgé de 21 ans. Azim Premji étend d’abord les activités de l’entreprise familiale aux produits alimentaires, à la cosmétique et aux produits de toilette. Mais surtout, il entre très tôt dans le secteur des TIC et fonde en 1975 une division informatique dont le siège est à Bangalore. Quarante ans plus tard, WIPRO est devenu la troisième SSII indienne et beaucoup ignorent que le groupe a encore des activités dans son secteur économique d’origine des huiles. Wipro doit son expertise dans les TIC à deux ingénieurs qu’Azim Premji a recrutés très tôt, Sridhar Mitta et Ashok Soota. Sridhar Mitta, originaire de Chittoor, petite ville située dans l’intérieur de l’Andhra Pradesh, est issu d’une famille de petits industriels de la pharmacie, un domaine qu’il a délaissé pour faire des études d’ingénieurs. Il passe d’abord un BEng en électronique dans un collège de Kakinada (une ville portuaire sur la côte du golfe du Bengale), puis achève un master au IIT-Kharagpur, en 1968, à une époque où les circuits intégrés attirent la curiosité des étudiants en électronique. En 1969, il part aux États-Unis et rejoint l’université d’état de l’Oklaoma où il fait d’abord un MSc puis un doctorat (1972) : « Faire un PhD n’était pas une mince affaire, pour quelqu’un qui venait d’une famille de la classe moyenne.37 » 37. Priya Padmanabhan, « Such a long journey … », entretien avec Sriddhar Mitta, CIOL, 24 Avril 2007 (en ligne.] APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 59 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE De retour en Inde en 1973, Mitta entre dans le secteur recherche de l’entreprise publique Electronics Corporation of India, à Hyderabad, où, en sept ans, il devient manager technique. Parallèlement, il importe des composants électroniques et monte l’un des premiers ordinateurs à bas coût, le Micro-78, dénommé de l’année de sa mise sur le marché. Alors que les microprocesseurs 16 bits révolutionnent la production des ordinateurs, il est déçu de constater que les dirigeants du secteur public ne comprennent pas les enjeux de ces changements. En 1983, Mitta rejoint l’entreprise Wipro, à Bangalore, qui développe un projet de recherche sur les microprocesseurs 16 bits en collaboration avec une équipe de l’Indian Institute of Sciences. Au début des années 1990, lorsque l’Internet apparaît, Mitta perçoit l’intérêt de cette innovation et anticipe les potentialités qu’elle contient pour le travail en outsourcing. Il répond aux demandes de laboratoires américains en Californie, engage des coopérations avec Intel, entourés d’une équipe de collaborateurs parmi lesquels on trouve Subroto Bagchi. En 1998, Wipro ouvre une entité aux États-Unis pour travailler dans le secteur des semi-conducteurs, une initiative à laquelle Sridhar Mitta participe encore. Mais en 2001, il quitte Wipro pour se consacrer à sa propre entreprise, e-4-e Labs, une abréviation pour « Entrepreneur for Entrepreneurs », qui compte plus de 2 100 employés et se positionne sur le secteur du BPO et des services connexes aux TIC. Ashok Soota est né en 1942 au sud-ouest du Punjab (aujourd’hui au Pakistan) dans une famille de six enfants et dont le père était médecin militaire. À la partition de l’Inde et du Pakistan, en 1948, les Soota qui sont hindous quittent leur région natale et s’installent à Lucknow (capitale de l’Uttar Pradesh). Après des études secondaires au prestigieux collège La Martinière de cette ville, Ashok Soota entre à l’école d’ingé- nieur de Roorkee en Inde du nord (Encadré 8) où, en 1964, il obtient un BEng en électricité après avoir renoncé à des études en génie civil. Il est alors employé à Kolkata dans la société pétrolière Burmah Shell, puis en 1965, il entre dans le conglomérat Delhi Coton Mill alors réputé pour ses méthodes de management. Il y fait la connaissance de Subroto Bagchi, et travaille pendant dix-neuf ans dans divers secteurs de ce groupe ; entre temps, il obtient un MBA de l’Asian Institute of Management de Manille aux Philippines et, en 1978, il est élu directeur général de l’unité qui fabrique des réfrigérateurs. Mais il se lasse de son travail chez DMC et songe à reprendre ses études pour faire un doctorat lorsqu’il est approché par Azim Premji. Ashok Soota entre chez WIPRO en 1984, un an après Sridhar Mitta, lorsque les revenus de la division informatique sont de l’ordre de 2 millions de dollars seulement (7 crores de roupies). En l’espace de quinze ans Wipro est devenu un des leaders de la production de hardware en même temps que l’entreprise développe le secteur du software. Ashok Soota a été très actif dans le secteur recherche et développement de Wipro. La société fut pionnière sur le marché des mini-ordinateurs en utilisant le processeur Intel 386. En 1999, les revenus du secteur informatique avoisinent les 500 millions de dollars (2 220 crores). C’est au terme de cette croissance, dont il fut l’un des artisans, avec Sriddhar Mitta notamment, qu’Ashok Soota quittait Wipro pour rejoindre l’équipe rassemblée par Subroto Bagchi autour de la société MindTree. Dix ans plus tard, en 2011, Askhok Soota s’est séparé de MindTree. Il a débauché dans son sillage six autres cadres de cette société, et en compagnie de trois dirigeants de Wipro et un de Infosys, il a créé sa propre société de services informatiques, Happiest Minds. Quatre de ces entreprises font du ITES et exportent plus que les autres vers les États-Unis, l’Europe mais aussi l’Asie. Les six entreprises sont plus anciennes de sept années que la moyenne, et elles sont toutes dotées de certifications internationales, notamment le Capability Maturity Model Integration (CCMI) du Carnegie Mellon Institute, et 60 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE le People Capability Maturity Model (PCMM). Et surtout, elles sont toutes membres de la Nasscom, à la différence des entreprises des groupes un et deux. Par leurs revenus et le nombre de leurs employés, ces six sociétés de services sont économiquement et politiquement les entreprises les plus puissantes du secteur des TIC. – ENCADRÉ 19 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : INFOSYS – Infosys a été créée en 1981 par sept ingénieurs qui travaillaient alors pour la société Patni Computer Systems (PCS) à Mumbai, six d’entre eux étant originaires du sud de l’Inde, dont cinq brahmanes, et un originaire du Punjab. Infosys est entrée à la bourse de Mumbai en 1992 et à celle de New York en 1999. Parmi les membres du groupe fondateur, Nandan Nilekani et surtout N. R. Narayana Murty, ancien président de Infosys (1981-2012), incarnent la réussite de cette SSII devenue, avec 130 000 employés (2011), la seconde multinationale indienne des TIC après Tata Consultancy Services. N. R. Narayana Murthy est né en 1946 à Mysore (Karnataka) dans une famille de brahmanes Madhava (vishnouïte) appartenant à la petite classe moyenne urbaine. Il est le cinquième d’une fratrie de huit enfants. Son père était maître d’école, et un de ses oncles, haut fonctionnaire (membre du prestigieux Indian Administrative Service). Admis en 1962 au concours d’entrée des Indian Institutes of Technology, il doit renoncer à intégrer un de ces instituts car ses parents n’ont pas les moyens de payer les frais de scolarité pourtant largement subventionné par l’État fédéral. Il entre alors au National Institute of Engineering de Mysore, une très bonne école publique d’ingénieurs affiliée à l’Université technologique Visvesvaraya du Karnataka dont il obtient le grade de BEng en électricité en 1967. Deux ans plus tard, en 1969, il termine un MTech en « control theory » au IIT-Kanpur (Uttar Pradesh). Il est alors recruté comme chef programmeur de système à l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad, au Gujarat, où il travaille sur l’une des premières machines IBM introduites en Inde (1969-1971). Il séjourne ensuite deux ans en France (1972-1974), à Paris, pour le compte d’une société indienne chargée de mettre en place un projet de gestion du fret en temps réel à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Cette période, sur laquelle Naryana Murthy s’est souvent expliqué dans ses conférences (N. R. Narayana Murthy, 2009), marque l’abandon de ses sympathies envers les idées communistes et une conversion aux lois de l’économie de marché. De retour en Inde au milieu des années 1970, Narayana Mur- thy fonde une première société, Softronics, spécialisée dans des logiciels pour le marché indien, mais c’est un échec, faute de clients. Il reprend un emploi salarié comme chef de projet au Systems Research Institute de Pune (1975-1977), fondé par l’ancien directeur de IIM-Ahmedabad, puis il entre chez Patni Computer Systems, à Mumbai, comme responsable du groupe informatique (1977-1981). Nandan Nilekani est né en 1955 à Bangalore dans une famille de Chitrapur Saraswat brahmanes (shivaïtes) qui sont originaires de la région côtière de l’ouest du Karnataka. Il est le cadet d’une fratrie de deux garçons dont le père était directeur général des Mysore and Minerva Mills, deux usines textiles d’une entreprise privée établie à Bangalore. Après un début de scolarité dans la capitale du Karnataka, il termine ses études secondaires dans la petite ville de Dharward (au nord-ouest de l’état), passe avec succès le concours d’entrée des Indian Institutes of Technology, et intègre celui de Mumbai où il obtient son BTech en électricité en 1978. Il entre alors chez Patni Computer Systems après avoir été auditionné par l’un des membres de l’équipe de recrutement, Narayana Murty. Deux ans plus tard, ce dernier quittait cette société en entraînant avec lui six de ces ingénieurs. Selon les propos tenus ultérieurement par Nandan Nilekani, ce départ résultait d’un conflit entre les pratiques marchandes parfois brutales des frères Patni, riches commerçants marwari originaires du Gujarat, et les valeurs de brahmanes de la petite bourgeoisie urbaine dont Narayana Murthy et cinq des autres membres du groupe sont issus. Vir Sanghi, éditeur général du quotidien Hindustan Times rapporte : « les fondateurs d’Infosys voulaient que cette société soit l’antithèse d’une entreprise commerçante (bania) marwari traditionnelle. Les employés devaient être respectés, on ne devait pas accepter de dessous de table, personne ne devait se servir dans les caisses de la société, et les décisions devraient être prises par un collectif de professionnels, non par le chef de famille et ses fils ». Infosys, résume Nilekani, c’était la révolte des brahmanes du Sud contre les banias du nord. l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 61 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE –5 .4 LA FAILLITE FRAUDULEUSE DE LA QUATRIÈME SSII DE L’INDE : SATYAM– 38. « Chat with Laskhmi Narayanan, Vice-Chairman, Cognizant », Strongbeer Blogspot, 16 mars 2006 (en ligne). Si la présentation des entreprises et des entrepreneurs indiens du secteur des TIC s’apparente souvent aux récits de success stories, il faut mentionner ce qui est à ce jour le plus gros scandale d’un secteur économique qui passe pour être épargné de la corruption qui sévit dans le secteur public : la faillite de la société Satyam Computer Services en 2009. Nombre d’entrepreneurs ont été étonnés d’apprendre les fraudes de Ramalinga Raju, comme en témoigne Lakshmi Narayanan, directeur général de Cognizant, entreprise qui se développa à ses débuts en partenariat avec Satyam Computer Services : « Si quelqu’un me demandait, en me fondant sur mes rencontres avec Raju, si je le pensais capable de faire ce qu’il a fait, ma réponse serait ‘non’.38 » Mais il est difficile de faire la part entre ce qui ressort de la volonté de ne pas ternir la réputation du secteur des TIC et ce qui relève de l’ignorance de bonne foi. En effet, on retrouve actuellement d’anciens hauts dirigeants de Satyam dans les entreprises associées ou concurrentes. C’est le cas de Srini Raju, originaire de la même caste, du même milieu social et de la même région que le fondateur de Satyam, Ramalinga Raju. Srini Raju est titulaire d’un BEng en ingénierie civile du NIT-Kuruskshetra (Haryana) et d’un MSc en environnement de l’université de l’état de l’Utah, aux États-Unis où il a travaillé plusieurs années. Puis il rejoint Ramalinga Raju et sa société Satyam Computer Services à Hyderabad. Il est le premier CEO à la tête du partenariat entre Dun & Bradstreet et Satyam (futur Cognizant), et il devient le Chief Operating Officer de la nouvelle entité Mahindra-Satyam lorsque cette dernière entreprise est sauvée de la liquidation par le groupe industriel de l’automobile, Mahindra. C’est encore le cas de Keshab Panda, aujourd’hui directeur de Larsen & Toubro Technology Services, l’entité de services informatiques d’un des grands groupes industriels indiens. Keshab Panda est un ingénieur de formation : il est titulaire d’un BEng de l’université technologique du Tamil Nadu, d’un master de l’Indian Institute of Sciences de Bangalore, et d’un doctorat mené au IIT-Bombay, avant d’avoir complété cette formation par un Advanced Management Degree de la Wharton Business School aux États-Unis. Keshab Panda, qui passe pour avoir été proche de Ramalinga Raju, fut un haut dirigeant de la nouvelle entité Mahindra Satyam où il était responsable du marché nord-américain, s’employant à conserver les anciens clients de Satyam. Il rejoint ensuite la société Larsen and Toubro qui détenait alors 12 % de Mahindra Satyam. l – ENCADRÉ 20 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : SATYAM – Le 7 janvier 2009, le secteur des TIC apprenait la faillite de la société Satyam Computer Services basée à Hyderabad, la capitale de l’état de l’Andhra Pradesh. Directeur de l’entreprise qu’il avait fondée en 1987, Ramalinga Raju venait de rendre publique une lettre de cinq pages dans laquelle il confessait fraudes, malversations et faux en écritures concernant l’entreprise dont il ne détenait plus que 2 % des parts. Satyam Computer Services était supposée être alors la quatrième SSII indienne en termes de chiffres d’affaires, après TCS, Infosys et Wipro. Deux ans auparavant, en 2006-2007, Ramalinga Raju avait été élu président de la puissante Nasscom (encadré 5), et couvert d’honneurs par ses pairs qui lui décernèrent le prix de la meilleur gouvernance d’entreprise et le prix de l’entreprise citoyenne pour l’année 2007. 62 Depuis une dizaine d’années, cependant, Ramalinga Raju avait asséché les caisses de Satyam pour financer deux autres entreprises plus rentables, l’une spécialisée dans la construction et les infrastructures lourdes, Maytas Infra, dirigée par son fils aîné, et l’autre qui opérait dans le secteur immobilier, Maytas Properties (Maytas est l’écriture inversée de Satyam). En outre, pour détourner la législation plafonnant la propriété foncière et couvrir ses activités spéculatives, Ramalinga Raju avait créé 325 sociétés, toutes enregistrées aux noms des membres de sa famille élargie. L’investissement dans l’ingénierie informatique n’avait été qu’une opportunité d’encaisser de substantiels bénéfices pour un clan dont la spéculation foncière restait le ressort principal de l’activité (Kingshuk Nag 2009). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Les Raju sont une caste de paysans implantés dans les riches districts de l’Andhra Pradesh côtier dont est originaire la famille de Ramalinga Raju. Dans ces milieux, la terre reste le seul capital digne d’être accumulé pour obtenir de la reconnaissance sociale et du prestige aux yeux du groupe. Né en 1954 dans le district de l’Ouest Godavari, Raju a fait des études secondaires sans éclat dans divers collèges ordinaires des petites villes de sa région natale, avant d’obtenir une licence (BA) en économie. Le père, ambitieux mais sans éducation scolaire, doté d’une petite fortune foncière investie dans les sevices hôteliers, a toutefois jugé opportun d’envoyer son fils aux États-Unis où ce dernier obtint un MBA à l’Université d’Ohio en 1977. Marié dès son retour en Inde, Raju est contraint d’entrer dans les affaires familiales. Il monte d’abord une usine de textile synthétique, sans grand succès. Son cousin, DVS Raju, titulaire d’un BEng en électronique également de l’université d’Ohio, lui propose alors d’investir dans les services informatiques qui s’annoncent comme un secteur lucratif. En 1987, Satyam Computers Services débute ses opérations à Hyderabad avec une vingtaine d’employés. La même année, le père vend un de ses hôtels et fonde la société Satyam Constructions dont la direction échoit au frère cadet de Ramalinga, Rama Raju, titulaire d’un MBA de l’université du Texas. Trois facteurs expliquent le développement de Satyam39 Computers. Il s’agit, d’abord, du soutien politique dont Raju a su s’entourer en courtisant les partis politiques au pouvoir à Hyderabad, quelles que soient leurs étiquettes partisanes, ensuite, de la prolifération de centaines de petites écoles d’ingénieurs qui lui ont fourni une main-d’œuvre abondante et bon marché et, enfin, d’une politique de bas coûts lui permettant d’emporter les appels d’offres sur ses concurrents. Satyam recrutait préférentiellement les jeunes diplômés de la communauté des Raju, en étant moins exigeant que d’autres entreprises sur le niveau scolaire requis. L’entreprise était réputée pour ses conditions de travail laxistes et une surabondance de personnel dont le nombre était estimé entre 45 000 et 55 000 personnes, sans être connu exactement. Nombre d’employés et de cadres n’étaient pas inscrits sur les registres de la société. La récession de 2008, conjuguée à la course aux projets dont la taille n’était pas à la hauteur des capacités financières et technologiques des entreprises que gérait Raju, a entraîné sa perte. Celui-ci avait emporté en 2008, pour des raisons politiques, le marché de la construction très controversée du métro urbain d’Hyderabad sans avoir les fonds disponibles pour le seul dépôt de garanti. Une ultime tentative pour fondre pertes et profits en fusionnant Satyam Computers avec Maytas Infra et Maytas Properties s’est heurtée à la crédulité des marchés qui ont suspecté une activité spéculative et ont sanctionné les cours de Satyam. La Nasscom, qui œuvre à construire l’image de compétence des entreprises de services des TIC, comprit rapidement les risques encourus par l’ensemble de ce secteur d’activités dont le contrat de confiance était fortement écorné. Ses dirigeants s’employèrent, avec l’aide de l’État, à sauver le potentiel de Satyam. La société a été reprise par le groupe Mahindra, et le nom de Satyam, un temps maintenu accolé à Mahindra, a maintenant disparu de la liste des sociétés de services informatiques indiennes afin d’en faire oublier le plus gros scandale. 39. Il est ironique de savoir que satyam, en sanscrit, signifie vérité, confiance. –5 .5 LE MARCHÉ PARASCOLAIRE DES TIC : L’EXEMPLE DU NATIONAL INSTITUTE OF INFORMATION TECHNOLOGY– L’essor du marché parascolaire en matière de formation aux technologies de l’information résulte du décalage qui s’est manifesté dans les années 1980 entre, d’une part, la demande de main d’œuvre qualifiée des sociétés de services informatiques et, d’autre part, l’inadéquation de l’offre produite par un système d’enseignement supérieur professionnel alors notoirement sous-développé. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le succès d’une société comme le National Institute of Information Technology (NIIT) dont les fondateurs ont anticipé très tôt le potentiel de ce marché de la formation parascolaire. Deux décennies plus tard, les dirigeants de NIIT sont effectivement parvenus à reconvertir leurs savoir-faire sur le marché privé de l’enseignement supérieur, convertissant des certificats et des diplômes en grades universitaires. Le National Institute of Information Technology, anciennement Pace Education Private Limited, a été créé en 1981 par trois ingénieurs diplômés du IITAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 63 –5– 40. Sumantra Ghoshal, Gita Piramal, Sudeep Budhiraja, World Class in India. A Case book of Companies Transformation, Penguin, New Delhi, 2001; voir « NIIT Limited. New Opportunity in a Globalizing Economy », p.262-292; et NIIT, Annual Reports, 2005-2006 to 2011-2012. 64 LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE Delhi, Rajendra Pawar, Vijay Thadani et Parappil Rajendran. Leur projet fut soutenu financièrement par Shiv Nadar, fondateur de la société Hindustan Computer Limited. C’est une société de services offrant une gamme très étendue de programmes d’éducation aux TIC. En 1982, elle a ouvert ses premiers centres à Mumbai et à Delhi, puis à Chennai. Elle est enregistrée comme société anonyme de droit public en 1988 et deux ans plus tard, en 1990, elle prend le nom de NIIT. Cette société est d’abord un succès de marketing car son sigle entretient une confusion voulue avec d’autres acronymes plus connus qui désignent, en Inde, les grandes écoles publiques d’ingénieurs comme les IIT, les IIIT et les NIT. Cette confusion est encore accrue depuis que cette société a ouvert en 2009 une université privée sous le même label, la NIIT-University, près de Delhi, un projet qui était en germe depuis le début des années 1990. Ses promoteurs ont très vite anticipé les potentialités économiques et commerciales que recelait le marché des TIC et compris que l’insuffisance de l’offre d’enseignement supérieur professionnel, au début des années 1980, ne permettrait pas de répondre à la demande de ce secteur émergent, comme Shiv Nadar pouvait en témoigner. Mais l’incertitude résidait dans la nature des produits qu’il fallait inventer. Les enfants des classes moyennes qui accédaient à des études supérieures professionnelles s’orientaient (et s’orientent encore) vers les trois secteurs que sont l’ingénierie, la médecine et, après avoir obtenu une licence (Bachelor Degree), la haute fonction publique (Indian Administrative Service). Mais il était difficile à ces jeunes étudiants d’évaluer alors les bénéfices d’une formation très technique et de l’apprentissage de langages de programmation comme le Cobol ou le Fortran. Les coûts d’accès à ces apprentissages dispensés par une entreprise privée paraissaient une barrière supplémentaire. Le développement des TIC dans les années 1980 et 1990 ont fait sauter ces obstacles. En l’espace de vingt ans, le NIIT est passé du statut de start-up à celui d’une entreprise multinationale qui affichait un revenu de 12 370 millions de roupies en 2000 et employait environ 2 000 personnes40. La crise économique qui affecta durement le secteur des TIC, en 2001-2005, entraîna une perte de deux tiers de ses revenus globaux, l’entreprise ne retrouvant qu’en 2012 son niveau de revenus atteint en 2000. Mais l’expansion du NIIT n’en APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE était pas stoppée pour autant, cette entreprise comptant en 2012 près de 4 500 employés. Le succès commercial a été permis par la mise en franchise de la marque, accompagnée d’un contrôle strict de la nature et de la qualité des services délivrés, grâce notamment à une politique de formation du personnel. En 2000 (dernier chiffre obtenu), NIIT couvrait entre 38 % et 45 % des parts du marché national de la formation parascolaire aux TIC. La société comptait 1 979 centres de formation (dont 5 % hors de l’Inde, en Indonésie et en Chine notamment), 87 % de ces centres étant sous franchise. Les stratégies commerciales développées par le NITT visent à capter la plus large fraction possible de la population, ciblée selon trois groupes : d’abord les étudiants qui n’ont pas pu intégrer une école d’ingénieurs, ensuite les employés et les cadres en activité ne pouvant retourner à l’université, enfin la population scolaire dès l’âge d’entrée à l’école primaire. Pour chacun de ces groupes, des programmes spécifiques ont été développés. Ainsi, depuis 1993, le NITT propose des cursus calqués sur les trois cycles de l’enseignement supérieur. Les étudiants, après la classe de terminale, peuvent obtenir en quatre ans un diplôme général dit le GNIIT, puis en deux années supplémentaires un diplôme dit « avancé », équivalent du master, le ANIIT, et enfin, pour les plus ambitieux, un diplôme final qui se positionne au niveau du doctorat, le FNIIT. Ces cursus très demandés ne sont pas les seuls à être offerts. On peut obtenir des qualifications sur un site Internet, NIIT-NetVarsity, qui permet aux candidats d’estimer eux-mêmes leurs performances et même de prospecter pour un emploi dans une base d’offres de postes accessible en ligne. Pour les cadres en activité, le NIIT dispose de plusieurs types de formations, soit négociées individuellement à la carte dans des Automated Learning Center (ALC), soit dans des « paquets » préparés en partenariat, comme ceux proposés par le Microsoft Authorized Technical Education Center (ATEC), que complètent encore des séries de séminaires (Foresight Seminars) ou de conférences (Infotalks). La population d’âge scolaire est également approchée de manière segmentée. Un programme spécifique s’adresse aux plus jeunes dès l’âge de cinq ans, avec le support des parents. Ce programme appelé LEDA (Learning through Exploration, Discovery and Adventures) est dispensé dans des clubs ad hoc. D’autres programmes visent les collégiens et les lycées des classes de première et de terminale, une population captive où l’entreprise recrute des candidats au GNIIT. Cette expertise pédagogique a conduit le NITT à signer des contrats de formations clés en mains avec des universités, en Inde (Ambedkar Open University du Gujarat, Université Rajiv Gandhi au Madhya Pradesh, SNDT University à Mumbai), et à l’étranger, notamment en Indonésie (Malaysian Virtual University, Atma Jaya University à Djakarta). L’expérience pédagogique et managériale ainsi accumulée a conduit cette entreprise à réaliser un vieux projet que porte potentiellement le nom de la société : devenir un nouvel acteur à part entière, en Inde, dans l’enseignement universitaire professionnel. La création de la NIIT-University, en 2009, concrétise cette ambition. Le NIIT peut ainsi reconvertir son capital de savoir-faire acquis durant deux décennies dans le secteur de l’éducation aux TIC en titres scolaires à valoir sur le marché universitaire. Enfin, un atout supplémentaire de cette entreprise est d’avoir, très tôt, diversifié ses activités pour être présente sur le marché du développement de logiciels. Les nombreux partenariats passés avec les grandes entreprises américaines comme Microsoft, Adobe, ou Oracle, parfois en exclusivité pour le marché indien, ont encore contribué à construire le renom du NIIT. Sur le marché formel de l’éducation parascolaire, le seul concurrent est la société Aptech qui représentait 30 % des parts de marché en 2000. Aptech développe les mêmes stratégies que le NIIT mais paraît se cantonner encore au marché de l’éducation parascolaire. Relevant du secteur économique informel, il existe une multitude d’officines qui proposent toutes sortes de formations élémentaires aux TIC, depuis l’apprentissage des logiciels, comme Word ou Excel, ou plus spécialisés (SPSS), ainsi que des formations de techniciens pour faire de la maintenance de matériels. l –5.6 LES SSII FRANÇAISES EN INDE– Les services économiques de l’ambassade de France en Inde (Ubifrance) répertoriaient, en 2012, 750 filiales françaises implantées dans le pays (350 entreprises et 400 sous-filiales de ces sociétés) dont les investissements étaient alors évalués à plus de 17 milliards de dollars, situant la France en troisième position derrière les États-Unis (21 milliards) et le Japon (19 milliards). Ces investissements français sont le résultat de plusieurs vagues successives d’implantations. Si Alstom et la BNP sont en Inde depuis la fin du 19e siècle, la première grande vague d’implantation date des années 1980 et la seconde autour de 2000. Cependant, ce n’est que depuis 2005-2006 que les sociétés françaises ont créé en nombre leurs filiales pour opérer en Inde. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est l’un des plus gros employeurs français, en particulier via la SSII Capgemini. Les banques figurent également en bon rang (BNP-Paribas par exemple emploie 14 000 personnes). Dans le secteur industriel, les grands pourvoyeurs d’emplois sont Schneider Electric (17 000 employés), Alcatel Lucent (12 000 employés) et Alstom (9 000 employés). Au total, les entreprises françaises emploieraient plus de 240 000 personnes pour l’essentiel de nationalité indienne, le nombre d’expatriés français étant marginal. On compte au moins une soixantaine d’entreprises françaises présentes dans le secteur des TIC, en incluant les télécommunications, l’électronique mais aussi des sociétés d’armement, comme Sagem Défense et Safran (Encadré 21). Selon les rapports publiés par Ubifrance, une quinzaine de ces entreprises emploieraient environ 70 000 personnes. Mais ces données, déjà anciennes, ne sont qu’indicatives, car plusieurs entreprises opèrent via des sociétés indiennes et elles n’ont pas toujours une grande visibilité. Près des trois quarts (71 %) de ces entreprises du secteur des TIC sont concentrées dans trois villes : Bangalore où sont installées 24 sociétés (39 %), Delhi et sa région (Noida et Gurgaon) où l’on dénombre 19 entreprises (31 %), et enfin Mumbai qui compte 7 sociétés (11 %) ; les 19 entreprises restantes sont localisées à Pune (Maharashtra), Ahmedabad (Gujerat), Cochin (Kérala), Chennai, Salem (Tamil Nadu), et Kolkata (Ouest Bengale). Certaines sociétés, notamment Capgemini ou Atos, ont des centres dans plusieurs villes. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 65 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE – ENCADRÉ 21. PRINCIPALES SOCIÉTÉS FRANÇAISES IMPLANTÉES EN INDE DANS LE SECTEUR DE L’ÉLECTRONIQUE ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION (2010) – •3 D PLM Software - Geometric Software Solution C° Ltd (Pune) : électronique grand public, développement de logiciels •4 L IT Services Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels Alcatel-Lucent (NCR, Gurgaon) : télécommunications, services et ingénierie informatique, ingénierie (transversal) •A ltran Technologies India (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique •A pnacircle Infotech Pvt Ltd (NCR, Delhi) : Internet •A stellia (Mumbai) : télécommunications •A tos Origin India Pvt Ltd (Mumbai) : services et ingénierie informatique •A xa Business Services Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique, •A xa Technology Services Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique •C apgemini India (Mumbai, NCR Gurgaon) : développement de logiciels services et ingénierie informatique •C elstream Technologies Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique •D assault Systèmes India Private Ltd (Gurgaon) : développement de logiciels •D elmia Solutions Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels •D ibcom Softech Services Pvt Ltd (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques • E -Nova Technologies Pvt Ltd (Delhi) : Internet, développement de logiciels, services et ingénierie informatique • E difixio India Pvt Ltd (Kolkata) : Internet • E lvia PCB India (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques, transport aérien • E servglobal SAS (NCR, Delhi) : télécommunications • E SI Software India Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels • E utelstat (NCR, Delhi) : industrie spatiale, satellites • F argo Telecom Pvt Ltd (Mumbai) : télécommunications • F CI OEN Connectors Ltd (Cochin) : composants électroniques • F CI Technology Services Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique •G emalto (NCR, Delhi) : commerce électronique, monétique •G lobal One India Pvt Ltd (Mumbai) : technologies de l’information (transversal), télécommunications, services et ingénierie informatique • I Tech Systems Pvt Ltd (Chennai) : développement de logiciels • Incotec Software India Pvt Ltd (Pune) : développement de logiciels Inet Process Indian Pvt Ltd (Ahmedabad) : développement de logiciels • L ectra Technologies (Bangalore) : développement de logiciels •M arkem-Imaje India Pvt Ltd (Bangalore) : logiciel chaine de distribution de produits •O berthur Card Systems India Branch (NCR, Noida) : industrie électronique, composants électroniques, commerce électronique, monétique •O boulo.com (Bangalore) : commerce électronique, monétique •O range Business Services (NCR, Gurgaon): télécommunications • P aprikaas Animation Studios (Bangalore) : audiovisuel, multimedia, photo, jeux vidéo • S afran Aerospace India Pvt Ltd (Bangalore) : construction aéronautique et spatiale, satellites • S agem Defense Securities S.A. (NCR, Delhi) : industrie de l’armement, défense • S agem Orga (NCR, Noida) : électronique grand public, commerce électronique, monétique 66 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE • S ESCOI India Solutions Pvt Ltd (Pune) : services et ingénierie informatique • S icame India Connectors (Chennai) : industrie électronique, composants électroniques • S ilicomp India Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique •O range Business Services (Bangalore) : services et ingénierie informatique • S martesting (Bangalore) : automatismes, process, mesure, contrôle, régulation • S ociété Générale Global Solution Centre Pvt Ltd (Bangalore) : technologies de l’information (transversal), services et ingénierie informatique, services financiers (transversal) • S ogeti High Tech (Bangalore) : technologies de l’information, services et ingénierie informatique • S opra India Pvt Ltd (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique • S T Microelectronics Pvt Ltd (NCR, India) : services et ingénierie informatique • S teria Ltd (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique, Services (transversal) • S tilog India Technologies (Bangalore) : audiovisuel, multimédia, photo, jeux vidéo développement de logiciels • S tudec Technologies India (Bangalore) : développement de logiciels • S word Group (Chennai) : services et ingénierie informatique • S ymtrax Ltd (Mumbai) : développement de logiciels • S yscom (NCR, Noida) : industrie électronique, composants électroniques, télécommunications • T ek Components Pvt Ltd (Pune) : industrie électronique, composants électroniques, automatismes, process, mesure, contrôle, régulation • T eleperformance (Gurgaon) : technologies de l’information (transversal) • T ES Electronic Solutions (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques • T hales Electon Devices (NCR, Delhi) : télécommunications, transport • T ractebel Engineering Pvt Ltd (NCR, Delhi) : ingénierie (transversal) • T ransoft International Pvt Ltd (Bangalore):ingénierie financières, banques •U bisoft Entertainment India Pvt Ltd (Pune): audiovisuel, multimedia, photo, jeux vidéo •V altech India Systems Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique Source : Les implantations françaises en Inde et en Asie du Sud, Guide répertoire établi par les missions économiques UBIFRANCE en Inde et les services économiques au Pakistan, au Bangladesh et à Sri Lanka, Delhi, mars 2010. Interrogés sur les politiques d’implantation de services informatiques en Inde, les responsables français des sociétés que nous avons rencontrés à Delhi, à Bangalore et à Mumbai, oscillent entre la discrétion et la pleine reconnaissance des activités de software de leurs entreprises en Inde. Ainsi, le chef de bureau de Bangalore d’une société française présente dans le développement digital nous confie que certains de leurs gros clients (français) ne souhaitent pas que leurs affaires soient traitées en Inde, pour des questions d’image de marque ou pour des raisons politiques. Dans ce cas, ajoute-t-il, la société évite de recourir à ses équipes indiennes qui sont plutôt dévolues aux PME où aux clients moins embarrassés et surtout plus soucieux du coût des services (entretien à Bangalore, 21 septembre 2013). D’autres cadres, au contraire, déclarent que c’est leur plus gros client français qui a incité la société à installer une unité de production de logiciel à Bangalore. Même les cadres français travaillant pour des grands groupes internationaux dont la présence en Inde est notoire, dans le domaine des télécommuniations par exemple, ne se livrent que sous la demande expresse de la confidentialité de leurs propos. Pour toutes ces raisons, les noms des sociétés et des personnes interrogées sont le plus souvent anonymisés. « Offshore », « délocalisation », « sous-traitance », « externalisation », les mots varient pour qualifier les activités de services développées hors de France, et le sens donné à chacun de ces termes reste flou. L’opposition entre le travail réalisé on-site (sur le site du client) et celui effectué offshore, c’est-à-dire délocalisé dans un pays étranger à celui du client, est claire. Le succès des activités de services informatiques, en Inde, résulte du passage d’un travail on-site, dans les années 1980, à un travail offshore, dans les années 2000, réduisant considérablement la présence on-site, à l’étranger, des ingénieurs indiens. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 67 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE L’un des avantages de cette évolution est la diminution des charges pour les entreprises indiennes, et en conséquence celle des coûts pour leurs clients. Mais la signification des autres termes est beaucoup moins nette. La sous-traitance suppose une délégation complète du travail à une équipe extérieure, sans contrôle de la société qui passe l’ordre, celle-ci se chargeant des corrections nécessaires, si besoin est, à la réception du produit. L’externalisation concerne la mise en place d’équipes de travail à l’étranger, souvent sous la responsabilité d’un ou plusieurs cadres français, au moins dans un premier temps. L’externalisation se fait le plus souvent via une filiale indienne de la société mère, mais pas nécessairement ; des modalités plus souples existent aussi. On présente plusieurs cas de figures en restituant le point de vue des cadres français intérrogés sur leur expérience des relations de travail. En 2012, Capgemini était la première SSII française par le nombre d’employés et le chiffre d’affaires gobal, devançant de loin ses concurrents que sont les sociétés Stéria et Atos-Origin (Accenture, entreprise dirigée par un français est une société d’origine américaine). La société est entrée sur le marché indien en 2001 à la suite du rachat de la branche conseil de la société américaine Ernest & Young qui disposait d’une unité d’une cinquantaine de personnes établie dans le pays depuis 1997. La Chief Executive Officer de la filiale indienne est une femme, Aruna Jayanti, née en 1963, diplômée du Narsee Monjee Institute of Management Studies de Mumbai. Aruna Jayanti a travaillé pendant dix ans pour Tata Consultancy Services, puis elle a rejoint Ernst & Young quelque temps avant que l’unité conseil de cette compagnie soit rachetée par Capgemini. Nommée d’abord directrice générale du service qualité de la division outsourcing, elle a été promue CEO de la filiale indienne de Capgmeini et rend compte de ses activités directement au CEO global de la société, souligne-t-elle dans ces entretiens avec la presse. Selon le magazine professionnel Dataquest, dix ans après son arrivée en Inde le chiffre d’affaires de Capgemini-India était de 31,4 billions de roupies, enregistrant en 2011 une croissance de 28 % par rapport à 2010. En 2013, la société emploie environ 40 000 personnes (une augmentation de 20 % par rapport à 2011-2012), soit un tiers des 120 000 employés du groupe et un effectif supérieur à celui de Capgemini-France. Capgemini-India est installée sur huit sites : Mumbai où est localisé le siège, Pune, Delhi (Gurgaon), Bangalore, Hyderabad, Kolkata, 68 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Chennai et récemment Salem, dans l’état du Tamil Nadu, où un centre de BPO vient d’être ouvert. Capgemini est présent sur le secteur des activités de software (développement, maintenance), de BPO et enfin dans le domaine du conseil. Les activités de Capgemini-India sont orientées vers l’exportation pour 98 %, le marché intérieur indien ne représentant que 2 % des revenus. Le modèle ancien de l’offshore, qui reposait sur une division entre le front office en Europe et le back office dans les pays émergents comme l’Inde, n’est plus en usage chez Capgemini. Ce qui prévaut désormais, et pas seulement chez Capgemini, est le modèle d’une seule équipe de travail, « one team », dont les membres peuvent être localisés en Europe, en France notamment, et en Inde. « Dans le modèle “one team”, on a une seule équipe sur le projet, qu’elle soit en Inde ou en France. On travaille avec les mêmes outils, les mêmes méthodes, les mêmes approches. Le client doit sentir qu’il n’a affaire qu’à une seule équipe. » (Cadre français, responsable de la coordination des projets chez Capgemini-India, Mumbai, entretien téléphonique, 3 avril 2013) La division du travail entre la partie exécutée en France et celle menée en Inde varie selon la maturité des clients et leurs connaissances des processus de l’offshore, selon le témoignage de ce cadre qui coordonne les projets entre l’Inde et la France. Pour qu’un projet réussisse, il faut qu’en amont les équipes techniques, en France, soient associées à la prise de décision des responsables du projet. Si les clients n’ont jamais travaillé dans ce type de structure offshore et si ils ne s’y sentent pas confortables, le gros du travail reste exécuté en France. Dans l’autre cas extrême, l’ensemble du projet peut être être éxécuté en Inde. « Dans quelques cas, on a évolué vers un modèle du tout offshore, où il n’y a plus d’intervenant français. À ce moment là, c’est un cadre indien qui prend en charge le projet et le client français va faire ses pilotages avec lui [en Inde]. On a un cas où le client vient en Inde tous les mois pour faire ces comités de pilotage et suivre le projet. » (idem) Capgemini n’a pas pour ambition de recruter des ingénieurs informaticiens indiens pour les faire travailler en France, affirme le cadre français qui supervise la coordination des projets. Si cette politique a pu être envisagée et pratiquée par le passé, notamment aux Pays-Bas (Burgers et Tourburg, 2013), elle n’est plus de mise pour la France. Plusieurs raisons expliquent l’échec de cette politique : d’abord, des questions de coûts financiers, ensuite, la résistance des informaticiens français vis-à-vis de telles pratiques, enfin, la législation très contraignante qui encadre l’embauche d’une main d’œuvre qualifiée d’origine extra-européenne (encadré 23). Capgemini-India a créé une branche d’activités de conseil qui regroupe cent-cinquante personnes et vise principalement le marché indien. Les jeunes managers sont recrutés au sein des trois Indian Institutes of Management les plus réputés, ceux d’Ahmedabad, de Bangalore et de Kolkata. Leur profil est très homogène, constate le responsable français du service conseil de Capgemini-India. Ils sont tous titulaires d’un BTech obtenu dans un IIT. Immédiatement après leurs études d’ingénieurs, ils ont suivi une formation en management, et ils n’ont pas plus d’une année ou deux d’expérience professionnelle. Le cadre interrogé a un point de vue critique sur la manière dont les jeunes diplômés indiens équilibrent leurs aspirations en termes de carrière et de compétences. « Ces jeunes sortis des IIM, dit ce cadre français, sont dotés de solides capactités d’analyse, mais à leur âge ils ne peuvent posséder l’esprit de synthèse qui s’acquiert avec l’expérience sur le terrain. Aussi, les attentes en termes de parcours professionnels sont différentes de celle que l’on observe en France. Dans un système très hiérarachique, et avec la pression familiale, le seul objectif de ces jeunes diplômés qui sortent des grandes écoles est d’occuper rapidement un poste de responsabilités. Les jeunes, à la sortie des IIM, n’ont pas toujours la patience nécessaire pour développer cette expertise qui est nécessaire pour réussir dans la profession. Le métier du conseil, souligne ce cadre, repose sur l’expérience qui seule apporte de la valeur ajoutée au client. » (Cadre français au service conseil chez Capgemini-India, Mumbai, entretien téléphonique, 20 mars 2013) Une autre difficulté à laquelle sont confrontés les activités de conseil, tient au fait que les entreprises indiennes, dans l’ensemble, sont encore peu habituées aux pratiques managériales occidentales. Cependant, les dirigeants indiens se rendent comptent que les taux de croissance dont l’Inde a bénéficié, depuis dix ans, ne sont peut-être pas nécessairement le résultat de modes de gestion très performants. Le ralentissement de la croissance du PIB, au début des années 2010, contribue à attirer l’attention sur les problèmes d’organisation interne aux entreprises. Mais pour que l’activité de conseil produise des résultats significatifs, ajoute le cadre intérrogé, il faut que les dirigeants acceptent de se remettre en question. C’est le cas pour certains grands groupes internationaux, mais pas pour la masse des entreprises. Les choses évoluent lentement mais les chefs d’entreprises indiens, poursuit ce cadre français, attestent d’un retard certain au regard de leurs homologues chinois qui ont une véritable compréhension des activités de conseil et du bénéfice qu’ils peuvent en retirer. L’organisation du travail, au sein des SSII françaises, varie selon la taille des entreprises et le type d’activité dans lesquelles elles sont engagées. On peut citer l’exemple de cette agence française leader de développement digital, qui travaille notamment sur les réseaux sociaux. Cette agence a été fondée en 2007 en France, en province, par trois jeunes diplômés d’une école de commerce publique reconnue pour son expertise dans les nouvelles technologies numériques, et par un ingénieur en sciences de l’informatique. Deux ans plus tard, les premiers succès commerciaux conduisent les fondateurs de cette société à rechercher des développeurs qualifiés mais à un coût moindre qu’en France. Le choix se porte presque sans hésitation sur l’Inde. En 2009 la société s’installe à Chennai dont la situation en bord de mer paraît attractive aux cadres français. Après des débuts difficiles mais enthousiasmants, installée provisoirement dans une maison qui servait à la fois de bureau et de logement aux cadres expatriés, la succursale indienne de la société mère est aujourd’hui confortablement établie au quatrième étage d’un immeuble moderne dans un parc technologique au sud de Chennai. En 2013, la société emploie environ 90 personnes en Inde dont une cinquantaine de développeurs et de désigneurs. Mais le marché informatique indien a luimême ses propres contraintes. Chennai, ville réputée pour son conservatisme social et culturel, attire difficilement les meilleurs informaticiens de toute l’Inde, à la différence de Bangalore, sa rivale dans le sud. C’est à Bangalore que se concentrent les grandes compagnies étrangères (Microsoft, Sap, Cisco, Intel, Texas Instrument, Siemens, Bosch, etc.) et les startups innovantes qui sont en concurrence avec les grandes SSII indiennes pour recruter les meilleurs informaticiens venus de toute l’Inde. Ce constat a conduit les diriAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 69 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE geants de l’entreprise française à ouvrir un bureau à Bangalore en 2011. La société est organisée en quatre business units (BU) d’une quinzaine de personnes chacune, chef de projet inclus, trois BU étant installées à Chennai et une à Bangalore. Les BU de Chennai sont spécialisées dans les applications publicitaires des marques pour lesquelles travaille cette société tandis que la BU de Bangalore a basculé récemment sur l’élaboration de produits, c’est-à-dire des outils techniques, des « templates », utilisés sur les plateformes des réseaux sociaux pour monter les applications. En principe, chaque BU travaille sur des projets indépendants, avec parfois un support technique ponctuel venu des équipes en France. Du point de vue commercial, applications et produits se situent sur deux marchés différents. Le premier marché (development customer) qui génère le plus de revenus est constitué par la clientèle privée, tandis que le second marché est intra-professionnel, dit B2B (Business to Business). La mise au point de produits représente un investissement à long terme. L’évolution d’un marché à l’autre a été favorisée par la récession du marché des applications qui a imposé un redéploiement des activités. Mais l’unité de Bangalore doit faire les preuves de sa rentabilité si elle veut rester positionnée sur ce segment technologique et commercial. « La mise au point d’une application pour un client engage une division technique du travail. D’une manière générale, chez nous, on distingue nettement, d’une part, les développeurs côté serveur dont le travail consiste à faire circuler les flux d’informations entre le navigateur et le serveur qui gère l’application, soit pour simplifier, tout ce qui se passe derrière l’écran et, d’autre part, les développeurs qui sont côté client, c›est-à-dire qui prennent en charge tout ce qui se passe sur le navigateur, ce que l’on voit sur son écran. Les désigneurs forment un groupe à part, et ils travaillent toujours dans une équipe séparée des développeurs ; ce sont eux qui s’occupent des images, des logos, etc., tout ce que les développeurs côté client vont mettre sur le site, ce qui va faire que l’application est réussie ou pas. On fait une maquette fonctionnelle, un wire-frame, avec des designs (du logo, des images, du graphique) qui sont intégrées dans l’application, et on arrive ainsi à une version “beta” qui est présentée au client ; il y a toujours un moment de discussion pour éli70 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE miner les bugs, faire les ultimes mises au point, puis la version est validée et mise en ligne. La réalisation d’une application est souvent rapide, quelques jours. C’est très différent des projets industriels qui peuvent demander plusieurs mois de réalisation. Quand on recrute des développeurs qui ont l’habitude de travailler sur des projets longs, ils doivent s’adapter à un autre mode de travail. » (Entretien avec le chef de bureau de Bangalore, 21 septembre 2013) Anil (prénom changé), le chef de bureau de Bangalore, qui est aussi le responsable de la BU produits de la société, est un jeune ingénieur français né en 1989, d’origine indienne par son père, diplômé en sciences de l’informatique de l’École centrale de Nantes. Il avait eu l’opportunité de se familiariser avec le milieu informatique de Bangalore à l’occasion d’un semestre passé à l’Indian Institute of Sciences de Bangalore dans le cadre d’un programme d’échange signé entre l’École centrale et l’IISc. Il est fréquent de trouver de jeunes ingénieurs ou des cadres, des hommes et quelque fois des femmes, qui sont d’origine indienne et travaillent pour des sociétés françaises établies en Inde. Certains peuvent parler une langue indienne en usage dans leur famille, le tamoul notamment pour ceux qui sont issus du milieu français de Pondichéry. C’est le cas de Kumar (prénom changé) qui dirige à Bangalore la filiale indienne de la Société Informatique Industrielle (SII), basée à Toulouse, et dont le champ d’activités est l’industrie aérospatiale, les télécommunications et les TIC. Fondée en 1979, la SII s’est installée à Bangalore au début de 2013 à la demande de son principal client Airbus France dont le partenaire indien venait de cesser sa collaboration. Le bas coût de la main d’œuvre est un facteur important qui pèse dans la décision de l’offshore. Selon Kumar, le coût horaire d’un ingénieur français est de l’ordre de 18 à 23 $ alors qu’il est environ de 7 à 8 $ en Inde. Cependant, le gain en termes de coût ne suffit pas toujours pour emporter la décision de l’offshore. Dans le domaine de la défense, par exemple, certains clients français sont réticents à travailler avec l’Inde. Prévalent à la fois des raisons de confidentialité, le sentiment qu’ils n’auront pas une bonne maîtrise du travail effectué ou, tout simplement, l’effet d’une mauvaise expérience antérieure que les clients ne souhaitent pas renouveler. L’offshore avec l’Europe de l’Est soulève moins de difficultés, côté client, remarque Kumar. SII dispose actuellement d’une petite équipe de huit développeurs dédiés à Airbus France. La filiale indienne travaille donc à 100 % en offshore, mais elle a entrepris de diversifier ses activités pour attaquer le marché local, l’objectif étant d’atteindre 75 % d’offshore et 25 % de contrat local et peut-être d’arriver à 50 %-50 % d’ici à deux ans. Pour cela, la société souhaite disposer d’une équipe globale de quinze ingénieurs d’ici la fin de l’année 2013, et de trente environ en 2014. Toutefois, la STI recherche des spécialistes en avionique (tout ce qui relève des systèmes de communications internes aux avions), une spécialité plutôt rare sur le marché du travail en Inde, même si l’industrie aéronautique est bien développée dans la capitale du Karnataka. « À Bangalore, en une semaine je recrute un développeur compétent en Java ou C ++, mais il me faut un mois pour trouver un spécialiste en avionique » dit Kumar, ajoutant qu’il lui faut parfois débaucher les ingénieurs chez les concurrents. En outre, il faut encore former ces ingénieurs aux systèmes français, soit en les envoyant en France, ce qui n’est jamais simple en terme de visa si le séjour excède 30 jours, soit en faisant venir un spécialiste français. Chez SII, le travail est organisé selon le principe du « one team », évoqué dans le cas de Capgemini, un modèle que la société désigne comme Integrated Shared Team Extented Project (ISTEP) : les ingénieurs indiens à Bangalore travaillent en tandem avec les ingénieurs qui sont à la société mère en France. Dans les exemples évoqués précédemment, les entreprises françaises opèrent via leur succursale indienne. Mais dans d’autres cas, une société peut externaliser certaines activités indépendamment de sa filiale indienne. Le groupe français Ingénico, l’un des deux leaders mondiaux des technologies de paiements électroniques, en fournit une illustration. Ingénico gère l’ensemble de la chaine technologique depuis la fabrication des terminaux (dont une partie est sous-traitée en Asie, mais pas en Inde) qui inclut une part de software dit embarqué, jusqu’aux plateformes logicielles que ces terminaux requièrent ainsi que les services annexes de bureautiques associés aux paiements électroniques. Les activités du groupe dans le monde sont organisées par régions. L’Inde appartient à la région Asie-Pacifique dont le bureau régional, localisé à Singapour, est dirigé par un cadre français expatrié. En Inde, le groupe Ingénico délivre ses services via sa filiale Ingenico International India Pvt Ltd dont l’équipe de trente personnes (quinze informaticiens et quinze commerciaux) est entièrement indienne. Cette société de services, basée à Delhi, commercialise les produits du groupe Ingénico dont elle assure le suivi technologique auprès des clients indiens. Toutefois, depuis 2012, le groupe Ingénico a décidé d’externaliser à Bangalore une partie de ses activités, non de services mais de production logicielle. Deux raisons ont déterminé ce choix, d’abord, la réduction des coûts salariaux et, ensuite, la recherche de nouvelles compétences technologiques. La business unit (BU) d’Ingénico installée à Bangalore relève directement de la direction du groupe, en France, et elle est totalement indépendante d’Ingenico India du point de vue administratif, logistique et technologique. Contrairement à cette dernière filiale, la BU de Bangalore ne délivre donc aucun service aux clients avec lesquels elle n’a aucun contact. Cette unité développe des produits software, c’est-à-dire des outils technologiques qui sont ensuite intégrés par les équipes françaises sur les plateformes logicielles du groupe, puis commercialisés par les différentes filiales, y compris en Inde. On a là un exemple, au sein d’un même groupe, d’une division qui est générale au secteur des TIC, en Inde, entre, d’une part, les sociétés orientées vers les services aux clients (ce que sont la majorité des SSII indiennes) et, d’autre part, les sociétés qui développent des produits. Cette unité-produit d’Ingénico est hébergée par une SSII indienne, Indecomm Global Services (IGS), un partenaire qui prend en charge toutes les infrastructures matérielles (locaux, bureautique, services des ressources humaines, etc.) qu’elle facture au groupe Ingénico. Même le recrutement des employés de la BU d’Ingénico est fait par IGS, selon les spécifications données par le groupe. Ce partenariat facilite considérablement le fonctionnement de la BU car le responsable français n’est pas directement confronté aux difficultés diverses que soulèvent le choix des locaux, le recrutement et la gestion du personnel. Une fois recrutés, les employés sont dédiés à Ingénico et ils ne peuvent en aucune façon travailler pour Indecomm. L’équipe est composée de 70 personnes, essentiellement des développeurs, des testeurs et cinq project managers, dont un tiers de femmes qui sont plutôt dans la partie test. La taille des projets est variable, en termes de nombre de personnes. Le plus gros projet, dirigé par une femme, rassemble vingt personnes, d’autres une quinzaine, et d’autres encore, six à huit personnes. Chaque équipe projet est subdivisée en unités techniques de cinq à six personnes dirigées par un team lead (un senior developer ayant APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 71 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE surtout une fonction de coach, d’apprentissage, et de supervision purement technique). Pour les sociétés étrangères qui souhaitent externaliser des activités en Inde, les obstacles administratifs sont nombreux, en particulier pour les PME qui ne peuvent mobiliser les ressources (personnel, assistance, conseil) dont disposent les multinationales. On peut citer l’exemple d’une autre société française qui se positionne sur le e-commerce. La manière dont cette société a géré l’implantation d’une petite unité d’informaticiens à Bangalore nous renseigne sur ces difficultés rencontrées (encadré 22). De même qu’Ingénico a eu recours à un partenaire indien pour s’installer à Bangalore, cette société de e-commerce s’est elle aussi alliée à une petite entreprise française de services sur le net d’une dizaine de personnes, déjà basée dans cette ville. Cette société a mis son cadre juridique et ses infrastruc- – ENCADRÉ 22 : DÉLOCALISATION OU EXTERNALISATION, L’EXPÉRIENCE D’UN WEB-DÉVELOPPEUR FRANÇAIS À BANGALORE – Loïc (prénom modifié), né en 1985, vit à Bangalore depuis octobre 2012, mais il y est venu à partir de 2011 pour des séjours de courtes durées. Il est salarié pour une société française qui est leader européen de la gestion publicitaire et du e-commerce sur Internet. Au départ, il était chargé de recruter une petite équipe de développeurs indiens pour mettre au point un site web qui n’existait pas en France. Il s’agit d’un site dit de cashback sur lequel des offres promotionnelles d’achat de produits ou de services sont offertes aux clients qui visitent le site. D’emblée, Loïc s’interroge sur la notion de délocalisation puisque le travail fait en Inde n’était pas réalisé en France. Mais il reconnait que la raison de l’externalisation de cette unité en Inde tient au bas coût de la main d’œuvre : en termes de salaire, un bon développeur, à Bangalore, coûte six fois moins cher qu’en France. Loïc a travaillé pendant un an avec une petite équipe de sept personnes, tous des hommes, car les femmes qu’il avait recrutées ont dû quitter l’équipe pour des raisons familiales. Pour le recrutement de ses employés Loïc, qui ne connait pas le système d’enseignement technologique indien, ne se fie pas beaucoup aux écoles d’où sortent les candidats, ni même à leur nombre d’années d’expérience. L’ancienneté n’est pas un handicap, dit-il avec une pointe d’humour, mais cela veut dire que je vais avoir une personne formée dans des technologies déjà obsolètes. Ce qui compte, pour lui, c’est l’habileté technologique des développeurs, leurs capacités de raisonnement logique, qui ont dû s’accroitre avec l’ancienneté, en principe, leur manière de résoudre les « bugs » ou de s’en accommoder jusqu’au moment où il faut bien résoudre les difficultés rencontrées. 72 Les candidats sont recrutés par voie d’annonce sur les sites d’emplois comme Naukri.com, un site indien, ou MonsterIndia.com. En arrivant, les candidats ne sont pas soumis à un entretien d’embauche, ce qui les surprend, mais à un test technologique, sur papier, qui dure environ une heure. Le test contient quelques questions difficiles que même un développeur français moyen ne résoudrait pas facilement. Pour être sélectionné, il faut obtenir une note de 14/20 au test. Les résultats ne sont pas communiqués immédiatement. Si les candidats réussissent le test de sélection, ils sont alors convoqués pour un entretien. Cela permet de tester leur motivation, dit Loïc. Il y a parfois des candidats qui se présentent avec un très bon CV mais qui refusent de passer le test, ceux-ci je les élimine, ajoute-il, et d’autres qui sont sélectionnés mais ne reviennent pas pour l’entretien. L’objectif de l’entretien, pour Loïc, est d’apprécier le comportement humain du développeur, sa manière de se comporter en groupe, sa relation avec les autres développeurs indiens qui sont déjà dans l’équipe. Le salaire des développeurs, dit-il, n’est pas vraiment un sujet de négociation. Le candidat fait une proposition, en fonction de son salaire précédent, qui presque toujours est ajustée à l’offre du marché et, en général, Loïc l’accepte car la différence du coût salarial entre la France et l’Inde est telle que les variations des demandes représentent un coût marginal faible pour les responsables de la société française. Dans son équipe de sept développeurs, les salaires peuvent donc varier de un à deux, selon les personnes, entre 300€ et 600€ par exemple. (Entretien fait à Bangalore, 19 septembre 2013) APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE tures à la disposition de Loïc, prenant en charge formellement les salaires des développeurs et se payant par une commission sur chaque personne recrutée. Quelques mois plus tard, pour diminuer les coûts, Loïc a passé un contrat avec une autre société française spécialisé dans l’externalisation des activités de services. Mais les relations de travail n’ont pas été bonnes et, finalement, il a ouvert sa propre société de services à Bangalore. Aujourd’hui, Loïc dispose de deux casquettes. D’un côté il travaille toujours pour la même société française de média ; via sa nouvelle structure personnelle, il recrute les informaticiens pour cette société française et il gère trois sites Web pour cette même compagnie qui ne vise que le marché français ou européen. De ce point de vue, la société qui est basée en France n’a qu’un seul salarié en Inde. De l’autre côté, via sa société qu’il vient de créer, Loïc prépare ses produits qui sont destinés à une clientèle locale vivant à Bangalore. Dans cette phase de restructuration, il entend se redéployer pour son compte avec cinq ou sept web développeurs seulement. Cette multi-activité est très commune dans le secteur du web, dit Loïc. Les développeurs expérimentés peuvent travailler pour une société principale et, parallèlement, élaborer d’autres produits qu’ils commercialisent via des structures personnelles. Les cadres que nous avons interrogés distinguent trois types de difficultés dans la collaboration entre équipes d’ingénieurs français et indiens. La première difficulté est la barrière de la langue car il faut travailler en anglais, la deuxième difficulté est l’éloignement géographique des équipes du projet et, enfin, la troisième difficulté concerne les cultures de travail qui diffèrent entre la France et l’Inde, tout cela rendant la communication parfois difficile au sein des équipes. L’un des éléments qui revient fréquemment dans les discussions avec les cadres français est le manque d’autonomie des ingénieurs indiens qui sont habitués à un encadrement vertical, attendant que les consignes circulent de haut en bas de la hiérarchie et donc prenant peu d’initiatives. La structure hiérarchique de la société indienne, le respect du principe de seniorité, et un système d’enseignement qui valorise la répétition au détriment de l’invention et de l’innovation, contribuent à produire une culture de travail différente de celle connue en France. En règle générale, sur un projet donné, un responsable français attend que les ingénieurs et les techniciens suivent une succession rationnelle d’étapes où s’en- chaînent, idéalement, évaluation, prise de décision, autocritique, discussion et correction. Mais en Inde, il se heurte souvent au silence des employés et aux difficulté qu’ils rencontrent à verbaliser les problèmes techniques auxquels ils peuvent être confrontés. D’autre part, les exigences en termes de qualité du travail, qu’il s’agisse d’un service ou d’un produit, sont souvent plus floues au sein des équipes indiennes, ce qui nécessite un renforcement du contrôle qualité. Enfin, il y a une réelle difficulté à tenir les délais sur lesquels les équipes se sont engagées. Les cadres rencontrés sont très attentifs a ce qu’ils appellent la « culture de la responsabilité ». C’est un élément qui revient dans tous les entretiens avec les responsables, tant français qu’indiens d’ailleurs, qu’il s’agisse de hauts cadres ou d’enseignants dans les écoles d’ingénieurs, y compris les écoles qui forment l’élite des ingénieurs, comme les IIT. « En Inde, les gens sont plutôt en mode attentiste, plus passif, qu’actif par rapport à la prise de responsabilité, à l’initiative, par rapport à ce qu’on peut avoir en France ; il sont plutôt en attente. C’est un problème important pour eux de montrer qu’ils ont des difficultés. Nos collaborateurs ont du mal à s’exprimer, à soulever des questions, à mettre les problèmes sur la table. Ce n’est pas dans la culture de dire : voilà, j’ai un problème, est-ce que vous pouvez m’aider à le résoudre. Visà-vis des clients, c’est plutôt de dire oui, je vais le faire, mais derrière, la réalisation, on ne peut pas en être totalement sûr. Cette capacité à dire non, à exprimer des difficultés est le point le plus important. C’est un sujet sur lequel on demande à nos interlocuteurs français d’être très vigilants. » (Cadre français, responsable de la coordination des projets chez Capgemini-India, Mumbai, entretien téléphonique, 3 avril 2013) Les entreprises mutinationales, comme Capgemini, ont développé des structures de formation internes qui ont pour but d’harmoniser les modes de travail entre les pays où sont implantées ces compagnies. Mais les entretiens laissent entrevoir une différence entre les hauts cadres qui circulent d’un pays à l’autre, pour leur profession et les formations qu’ils recoivent, et le reste des employés qui occupent des positions plus basses dans la hiérarchie des tâches et de l’encadrement. L’objectif de ce système de formation permanente est cependant de développer une culture internationale d’entreprise, quelle que soit la APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 73 –5– LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE localisation géographique des unités. Un cadre français de Capgemini, représentatif de ces managers formés à l’international, témoigne. « En arrivant en Inde, je n’ai pas du tout été perdu dans une nouvelle structure ou une approche différente de notre métier. À partir d’un certain niveau, mes collègues indiens vont aller en France suivre des cycles de formation organisés par Capgemini Université. Ces formations adaptées à leurs besoins se font dans un contexte international avec d’autres personnes qui viennent de France, de Hollande, des États-Unis, de GrandeBretagne. C’est comme cela qu’on arrive à avoir une culture d’entreprise commune aux différentes unités. Les moyens de communication que l’on retrouve sur l’intranet sont tous identiques, avec bien sûr des contenus spécifiques pour chaque pays. Mais tout cela est vraiment commun : on utilise les mêmes référentiels méthodologiques, on a des services pour entrer dans les projets qui sont communs à tous les projets, quelle que soient leurs localisations. Capgemini développe clairement une culture transnationale. » (idem) La pratique de l’offshore, en France, est souvent mise en regard avec la politique d’immigration choisie que certains pays européens tentent de mettre en œuvre avec plus ou moins de succès. Le programme mis en place par l’Allemagne, il y a plusieurs années, pour accueillir quelques milliers d’ingénieurs indiens, n’a pas été un grand succès. Néanmoins, un nouveau cadre législatif se met en place pour réglementer l’entrée en Europe d’une main d’œuvre qualifiée. Mais les tensions entre directives européennes et politiques nationales, fluctuantes au gré des majorités gouvernementales, freinent la mise en place de ces mesures. l – ENCADRÉ 23 : L’UNION EUROPÉENNE ET LA POLITIQUE D’IMMIGRATION DITE CHOISIE – L’entrée sur le territoire de l’Union européenne des ressortissants étrangers « hautement qualifiés » professionnellement qui désirent travailler et vivre dans les pays de la communauté, est soumis à la directive européenne 2009/50/EC du 25 mai 2009 qui régit l’obtention d’une Carte bleue européenne. Selon cette directive qui doit encore être validée par les instances réglementaires de chaque pays, l’obtention de cette carte est soumise aux conditions suivantes. Les nationaux étrangers devront, d’abord, être titulaires d’un diplôme certifiant un niveau d’études supérieures équivalent à Bac +3 ou d’une expérience professionnelle de cinq ans d’ancienneté, ensuite, être en possession d’un contrat d’embauche pour une durée d’un an minimum et, enfin, déclarer des revenus d’un montant annuel de 44 000 €, ce seuil étant abaissé à 33 000 € pour certains secteurs professionnels, notamment les ingénieurs et les employés du secteur des technologies de l’information et de la communication. Aucun test d’employabilité n’est exigé à l’entrée sur le marché du travail. Les étrangers qui sont déjà titulaires d’une Carte bleue européenne depuis dix-huit mois sont automatiquement qualifiés 74 pour obtenir une Carte bleue européenne en France. Ils ne requièrent pas de visa pour entrer en France et disposent d’un délai d’un mois pour obtenir leur nouvelle Carte bleue valable sur le territoire français de la préfecture de leur lieu de résidence. Les autorités préfectorales se doivent de délivrer la nouvelle carte bleue dans un délai de quatre-vingt-dix jours après le dépôt du dossier pour le titulaire principal, et dans un délai de six mois pour les membres de sa famille. La validité de cette carte est de trois ans, ou égale à la durée du contrat de travail si celui-ci est inférieur à trois années. Les membres de la famille peuvent recevoir une carte de résidence et de travail renouvelable annuellement. Après une résidence d’une durée de cinq années dans les pays de l’UE, dont deux en France, les titulaires d’une Carte bleue européenne et les membres de leur famille peuvent demander un permis de résidence de longue durée dans les pays de l’UE. Sources : Directive européenne 2009/50/EC ; entretiens avec le conseiller scientifique de l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne en Inde (avril 2012), et avec le responsable des échanges universitaires du service culturel et scientifique de l’ambassade de France en Inde (juillet 2012). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – Carte 2 – Localisation géographique des sociétés informatiques membres de la NASSCOM en Inde (2012) Chandigarh Ludhiana New Dehli Noida Gurgaon Jaipur Lucknow Udaipur Ahmedabad Rajkot Jabalpur Bhopal Indore Vadodara Nagpur Raipur Calcutta Bhubaneshwar Nashik Mumbai Ranchi Jalgaon Vishakhapatnam Pune Kohlapur Hyderabad Goa Bengalore Chennai Nombre de sociétés Mysore Calicut Coimbatore Kochi Pondicherry Salem Madurai < 10 11-100 > 101 Thiruvananthapuram Source : Centre de Sciences humaines Delhi et Nasscom Directory, 2012 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 75 76 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS– –6– 78 81 81 82 83 Tata Consultancy Services (TCS) et Infosys Lason India Limited (Chennai) SRA Engineering Solutions (Chennai) Une startup (Delhi) Réduire le fossé formation emploi : le campus Infosys à Mysore APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 77 –6– LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS Les SSII indiennes recrutent leurs employés selon deux grandes procédures : soit sur les campus, lors des « foires aux emplois » (job fairs) organisées chaque année dans les écoles d’ingénieurs par leur cellule de placements, soit hors-campus, pour rechercher des licenciés en sciences et des titulaires d’un master en Computer Application (MCA). Ces recrutements visent le personnel qualifié employé dans les différents secteurs d’activité des SSII, et non les emplois technologiques faiblement qualifiés du secteur du Business Process Outsourcing (BPO) et des centres d’appel. Les procédures de recrutement sur campus se déroulent en général en trois ou quatre temps dans un ordre variable, chaque étape étant éliminatoire. Les étudiants doivent d’abord répondre aux critères d’éligibilité établis par les entreprises. Ils sont ensuite soumis à une série de tests écrits portant sur leurs aptitudes intellectuelles générales, puis ils passent un entretien individualisé avec des ingénieurs qui évaluent leurs compétences techniques et, enfin, un entretien avec un responsable des relations humaines. À cela, s’ajoute parfois une réunion de groupe réunissant sept à huit étudiants qui doivent débattre sur un thème donné sous le regard d’un recruteur chargé d’apprécier leurs comportements au sein d’une équipe. Mais ce schéma varie selon l’importance des SSII, les écoles qu’elles visent et le degré de maturité de leurs procédures.Vont être décrits quatre modes de recrutement, l’un pour deux des plus importantes SSII indiennes, le second pour une SSII de taille moyenne, le troisième pour une petite société, et la dernière enfin pour une start-up. –6.1 TATA CONSULTANCY SERVICES (TCS) ET INFOSYS– Les modes de recrutement de TCS et d’Infosys permettent de comprendre comment les plus puissantes SSII (comme Wipro, Cognizant, MindTree et Hindustan Computer Limited) orientent en amont, pour leurs propres besoins économiques, la formation de ce personnel qualifié. Les critères de sélection, hautement compétitifs, visent à recruter les étudiants ayant les meilleurs résultats scolaires au sein d’un enseignement technologique de masse dont la qualité est régulièrement mise en cause par le monde de l’entreprise. Les recrutements des freshers se font à la fin du 6e semestre, c’est-à-dire en fin de la 3e année d’études, pendant les mois d’avril et de mai, avant que ne débutent les vacances d’été correspondant en Inde à la saison chaude. En collaboration avec les cellules de placements des écoles, les SSII envoient sur les campus leurs équipes de ressources humaines qui procèdent aux tests de sélection et aux entretiens. Au terme du processus qui ne dure qu’un ou deux jours pour les grandes entreprises, les étudiants sélectionnés reçoivent une lettre d’embauche qui prendra effet deux semestres plus tard, à la fin de leur quatrième année d’études du Bachelor of Engineering. Mais avant d’intégrer véritablement l’entreprise, ils devront encore suivre une formation interne d’une durée de trois à six mois. Les SSII recrutent dans toutes les 78 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE disciplines d’ingénierie, et pas seulement dans les disciplines des TIC, drainant ainsi une grande partie des ingénieurs diplômés en ingénierie civile, mécanique ou électricité. Cette diversité des profils de recrutement répond aussi en partie à l’informatisation croissante des métiers au sein des divers secteurs d’ingénierie. Tata Consultancy Services (encadré 14) emploie environ 170 000 personnes en Inde, soit près de 70 % de sa main d’œuvre. Le recrutement des nouveaux diplômés représente 60 % du total du personnel embauché chaque année par TCS. Depuis cinq à sept ans, les procédures de recrutement sont très formalisées. En 2012, TCS a recruté 45 000 nouveaux employés, et, parmi eux, 3 500 étudiants en une journée sur un même campus, record obtenu par une équipe d’une centaine de recruteurs à l’université SRM (Sri Ramaswamy Memorial) à Chennai au Tamil Nadu. La première étape de la procédure mise en palce par TCS consiste à sélectionner, parmi les 3 500 écoles d’ingénieurs (chiffres de 2011), les 500 écoles que le groupe accrédite afin de préparer les recrutements en amont. Cette sélection est faite en interne par TCS : ses équipes visitent les établissements, les notent puis les classent selon une liste de critères portant sur la qualité des infrastructures, les qualifications des enseignants, la nature des programmes et les résultats scolaires des étudiants. La seconde étape porte sur les programmes de formation et d’animation que TCS développe avec les enseignants et les étudiants de ces écoles. Ses équipes visitent régulièrement les écoles accréditées où elles présentent le groupe Tata, l’évolution du secteur des TIC, les différentes branches d’activité, et les demandes en termes de qualification. Le groupe a mis en place un portail pédagogique, Academic Interface Programme, qui gère les différentes actions visant les écoles : stages pour les étudiants, récompenses pour les meilleurs élèves et enseignants, ateliers thématiques, patronage d’activités scolaires ou culturelles (notamment les grandes techno-fêtes annuelles que chaque école organise). Les étudiants sont également invités à se connecter sur le portail qui est conçu sur un mode interactif pour qu’ils se familiarisent avec le groupe. « Une fois que les écoles sont accréditées, nous nous embarquons dans un processus d’interaction continue avec elles. » (Entretien avec le directeur des ressources humaines, responsable de l’embauche des nouvelles recrues pour l’ensemble de TCS, Chennai, février 2012) La troisième étape est celle du recrutement proprement dit. Le jour venu, les étudiants sont rassemblés devant des terminaux d’ordinateurs dans les salles de l’école et doivent s’inscrire en ligne sur le portail de TCS. Pour être éligibles au recrutement, les étudiants doivent aligner des résultats scolaires constants à hauteur minimum de 60/100 pour la classe de seconde, de terminale et durant les trois premières années de leurs études d’ingénieurs. Tout élève ayant obtenu moins de 60/100 en classe de seconde (Class X), quels que soient ses résultats scolaires ultérieurs, est éliminé du processus de recrutement. Ce critère (élevé parfois à 65/100) vaut d’ailleurs pour toutes les grandes SSII. Il peut être durci par une présélection des étudiants ayant validé toutes leurs matières sans aucun report d’une année sur l’autre : c’est le critère du zéro ATKT (Allowed to Keep Terms, certificat qui permet à un étudiant de passer en année supérieure même s’il lui reste à valider de une à quatre matières). Ces critères de présélection ne valent bien sûr que pour le recrutement des freshers. Pour les employés recrutés en cours de carrière, seule compte leur expérience professionnelle, règle qui permet aux moins chanceux des freshers d’intégrer ultérieurement un grand groupe. Quatrième étape, les étudiants retenus doivent répondre à des tests d’aptitudes générales. Ces tests sont entièrement informatisés et conçus pour éviter tout copiage (d’un poste à l’autre, les tests ne sont pas formellement identiques). Une seconde liste d’étudiants est établie selon le score final obtenu. Les équipes de recrutement procèdent alors à la cinquième étape qui consiste en deux séries d’entretiens individualisés portant d’abord sur les compétences technologiques puis sur les compétences générales (soft skills). À la fin de la journée, TCS est en mesure de délivrer par email une proposition d’embauche aux étudiants sélectionnés, à valoir à la fin de l’année universitaire suivante. Infosys a mis en place des procédures de recrutement similaires à celles de TCS. La société sélectionne les écoles avec lesquelles elle collabore et déploie deux programmes pour s’attirer les nouveaux diplômés : le premier, Instep ou Infosys Global Internship Program, s’adresse aux étudiants des grandes universités du monde entier qui souhaitent accomplir un stage sur le campus d’Infosys à Bangalore ; le second, Campus Connect, permet à Infosys d’établir des liens avec les écoles en Inde, de manière comparable au programme de TCS. Campus Connect est un programme de collaboration entre le monde des entreprises de services et celui de l’enseignement pour ajuster les compétences des étudiants aux besoins de l’industrie. (Infosys, Campus Connect Program Overview, version 3.0, Avril 2008, p. 3) Infosys cherche cependant à élargir la base sociale et géographique de son recrutement, notamment pour les employés du secteur BPO (Business Process Outsourcing), en formant les jeunes des moyennes et petites villes de l’Inde pour travailler dans les centres d’appel. Dispensé par les enseignants des écoles sélectionnées, selon le principe qu’il faut « former les formateurs », ce programme intitulé Project Genesis comporte deux volets. Le premier module (Language enhancement) vise l’amélioration des compétences linguistiques écrites et verbales en langue anglaise, tandis que le second module (Analytical Skills) s’attache à développer les compétences d’analyse des étudiants. Mais Infosys travaille plus en amont encore pour se faire connaître des jeunes, bien avant qu’ils n’accèdent aux études professionnelles longues. Le Catch Them Young Program s’adresse aux lycéens des APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 79 –6– 80 LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS classes de seconde à la terminale auxquels est proposé un mois d’initiation aux TIC. Au terme de ce stage, ils sont invités à travailler pendant deux mois avec Infosys sur un projet qu’ils auront élaboré avec l’entreprise. Infoys anime également des ateliers de sensibilisation aux TIC, en langues indiennes, auprès des collégiens des zones rurales. Ce travail qui ne vise aucun recrutement, est présenté par Infosys comme partie intégrante de son programme de responsabilité sociale (Corporate Social Responsability), programme pour lequel il a reçu le prix de la National Outsourcing Association en 2011. Comme le déclare la société sur son site, c’est aussi une manière de diffuser son « image de marque avec conscience ». Hindustan Compter Limited (HCL) dispose d’un programme homologue, HCL Learning, qui entend « couvrir dans toutes ses dimensions éducatives, les besoins en formation et en apprentissage des écoles et des universités, pour les individus comme pour les entreprises », selon le site Internet du programme. L’entreprise française Capgemini-India, qui emploie 40 000 personnes en Inde, procède pour ses recrutements de manière analogue aux grandes SSII que l’on vient d’évoquer. Recruter entre 6 000 et 8 000 employés par an (volume dans les deux dernières années 2011-2012), dont une grande partie de freshers, impose ces grandes campagnes de recrutement sur les campus. Les nouvelles recrues suivent ensuite une formation complémentaire d’une durée de huit semaines en interne, avec des évaluations à la fin de chaque semaine et en fin de cycle de formation, avant d’être confirmées dans leur recrutement. Le contrôle des processus de recrutement et de formation par les SSII est renforcé par la contrainte scolaire qui pèse sur les étudiants. La réputation des écoles se fondant sur leur taux de placement, les étudiants doivent se soumettre obligatoirement aux tests d’embauche de toutes les sociétés qui se présentent dans l’école, et la pression est forte pour qu’ils acceptent la première offre qui leur est faite. Un étudiant de l’université privée Sathyabama, à Chennai, raconte ainsi qu’il a été recruté par Hindustan Computer Limited (HCL) après avoir été éliminé de quatre autres entreprises à différents stages de la sélection (l’école n’était pas accréditée par TCS). C’est l’entreprise qui détermine aussi le domaine dans lequel vont travailler les étudiants (en Dot. net, en Java, ou en C ++…) selon leurs résultats aux tests techniques et selon les besoins du moment de l’entreprise. Mais, un an plus tard, certains étudiants n’intègrent pas la SSII qui les a recrutés, soit parce qu’ils ont trouvé mieux de leur côté, soit parce qu’ils ont décidé de poursuivre leurs études afin d’obtenir un diplôme en management, Post Graduate Diploma in Management (PGDM). Cependant, les enseignants des écoles d’élites, en particulier ceux des Indian Institutes of Technology, s’opposent fortement à cette production en masse de techniciens dont les qualifications sont directement déterminées par et orientées vers les besoins des grandes sociétés du secteur des TIC. « C’est une sélection assez forte. Le processus est beaucoup plus long qu’en France. En France, on recrute un ingénieur et il est directement opérationnel, parfois un peu trop vite. Il n’y a pas cet investissement de formation suite à l’embauche. Ici [en Inde], c’est un processus de formation intégré de huit semaines qui est obligatoire. Et après, il peut y avoir un programme d’une durée d’un mois en double commande sur un projet « Les IIT n’ont pas pour vocation de produire des Bachelor of Technology qui soient directement employables par l’industrie ; il y a d’autres écoles pour cela ; notre vocation est de former des ingénieurs qui sachent analyser un problème. » (Entretien avec les professeurs Shantakumar, département d’aérospatial, et B. Ramamoorthy, département de mécanique, IIT-Chennai, février 2012) l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE avant d’être totalement opérationnel. » (Cadre Capgemini-India, Mumbai, entretien 3 avril 2013) –6.2. LASON INDIA LIMITED– Lason India, petite filiale d’une entreprise américaine, employait environ 2 000 personnes à Chennai en 2006, avant d’être rachetée par l’entreprise indienne HOV Services, qui compte aujourd’hui près de 15 000 employés. Lason opérait essentiellement dans le secteur du BPO, mais l’entreprise disposait aussi d’un volant d’ingénieurs pour des tâches plus techniques. Avant la fusion avec HOV Services, au début des années 2000, les procédures de recrutement se faisaient encore par voie d’annonce sur les sites spécialisés en ligne, comme Naukri.com, mais gérer l’embauche de plusieurs centaines d’employés était laborieux. L’entreprise décida alors de recruter directement sur les campus. Opérant exclusivement depuis Chennai, Lason India a circonscrit son recrutement à l’état du Tamil Nadu, mais au lieu de s’adresser aux grands établissements implantés à Chennai, l’entreprise a visé les écoles du sud de l’état, autour des villes de Tirunelveli et de Madurai. « Nous avions fait une étude qui montrait que les jeunes diplômés de la région de Chennai avaient des attentes élevées en termes de salaire, et qu’ils ne restaient pas longtemps chez nous ; on avait un taux d’attrition important parmi ces recrues. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes déplacés dans le sud. » (Entretien avec une ancienne DRH Lason India, responsable du recrutement, Chennai, février 2012) Une fois le bassin de recrutement choisi, l’équipe chargée des recrutements a sélectionné entre dix et quinze collèges en utilisant des réseaux d’informateurs, puis passé des annonces dans la presse et dans les radios locales afin de faire connaître leur présence dans la région, et invité les étudiants à se rendre à la « foire à l’emploi » organisée dans une des écoles et où les étudiants des autres écoles environnantes devaient se présenter. Contrairement aux grandes SSII, Lason recrutait uniquement les élèves ingénieurs en fin de quatrième année d’études. Le critère d’éligibilité se limitait aux résultats du 8e semestre, mais il était fixé à 75 %, sans matière à rattraper. Le millier d’étudiants éligibles passait une série de tests pour juger de leurs compétences générales et environ 800 étaient sélectionnés pour l’étape suivante : un entretien individuel, et 500 à 600 d’entre eux étaient alors soumis à une troisième épreuve de discussion de groupe. Enfin, une dernière épreuve portait sur les compétences proprement techniques. « On mettait les tests techniques à la fin parce que le plus important, pour nous, c’étaient les compétences générales, leur manière de parler, leur attitude, car ils devaient traiter des dossiers confidentiels de nos clients [des dossiers médicaux notamment]. C’était plus facile d’améliorer leurs compétences techniques, mais s’ils avaient eu une mauvaise scolarité générale, on ne peut pas rattraper cela. » (idem) Au terme du processus, 300 à 400 étudiants recevaient à la fin de la semaine de sélection une lettre d’embauche pour un emploi permanent. Mais il fallait encore tenir compte d’une perte de 10 à 15 % des candidats qui ne se présentaient pas au moment prévu pour leurs embauches. l –6.3 SRA ENGINEERING SOLUTIONS (CHENNAI)– SRA Engineering Solutions est une petite SSII qui emploie 300 employés, 200 sur le site de Chennai et 100 aux États-Unis. L’entreprise est organisée en quatre domaines : TIC, Business Process, Management, Business Intelligence et Engineering services, mais elle tire 80 % de ses revenus de sa division TIC dont les activités sont destinées à l’exportation vers les États-Unis. La société a été fondée en 1986 par trois personnes : S. Srinivasan, un ingénieur BTech (mécanique) et MTech (compturer science) de IIT-Madras, employé d’IBM pendant neuf ans avant que la société américaine ne soit expulsée d’Inde en 1978, V. Kannan, ingénieur BTech du Guindi Engineering College de Chennai (dont la réputation est égale à celle d’un IIT) et MTech (computer science) de IIT-Madras et, enfin, par V. Thyagarajan, diplômé du Vivekananda College de Chennai, ayant une longue expérience dans le secteur de l’informatique, notamment aux États-Unis. L’entreprise est installée sur trois niveaux dans un immeuble modeste du centre-ville et non dans le corAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 81 –6– LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS ridor des TIC au sud de Chennai où le gouvernement du Tamil Nadu a mis en place des Zones Economiques Spéciales (ZES) pour accueillir les grandes SSII, mais dont le coût d’installation est un frein à la relocalisation de l’entreprise. SRA emploie des ingénieurs diplômés en computer science, en électronique et communication, en électricité, et en mécanique, et recrute les nouveaux diplômés exclusivement hors campus. Faute de moyens financiers et humains suffisants, SRA recrutent des étudiants venant d’écoles de second rang, celles avec lesquelles les puissantes SSII ne travaillent pas, car les dirigeants de SRA savent qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les moyens dont disposent les grandes entreprises. « Nous contactons les écoles qui n’ont pas de cellule de placements car nous ne participons pas aux “foires aux emplois” sur les campus, cela coûte trop cher et les grandes entreprises raflent les meilleurs candidats. Il est très difficile d’être en compétition avec elles. […] De toute façon, on ne procède pas à des recrutements de masse, on n’a pas d’employés “on bench” [employés “sur le banc”, en attente d’être affectés sur un projet], on essaie qu’il n’y ait pas trop d’attente entre les projets. » (Entretien avec une directrice des ressources humaines de SRA System Lt, Chennai, février 2012) Le processus de recrutement n’est pas moins sélectif pour autant, de l’ordre de 10 % des candidats. Pour recruter chaque année dix à quinze nouveaux diplômés, SRA fait passer des tests à une centaine d’étudiants et en retient une trentaine pour des entretiens avant le choix final. « On fait passer aux freshers des tests d’aptitude générale, des tests de logique de raisonnement, et on apprécie leur compétences élémentaires en mathématiques, en Computer science et en anglais. Puis il y a une épreuve de discussion de groupe et enfin un entretien individualisé où on les interroge sur leur projet de fin d’études et sur leurs attentes professionnelles. » (idem) l –6.4 UNE START-UP À DELHI– La National Capital Region (NCR), unité administrative du grand Delhi, englobe deux villes nouvelles où se développent depuis une quinzaine d’années les activités du secteur des TIC. Il s’agit des villes de Gurgaon, située dans l’état de l’Haryana au sud de Delhi, et de Noida à l’est, dans l’état de l’Uttar Pradesh. L’entreprise K. a été créée en 2002 par un groupe de cinq professeurs et de sept étudiants (MTech) du département de Computer science (sciences informatiques) de IIT-Delhi, dans le cadre d’un programme d’incubation de nouvelles entreprises (Technology Business Incubation Unit) mis en place en 1992 sur le modèle américain de la Silicon Valley En 2005, trois des sept ingénieurs ont fait le pari que la start-up était viable, et ils ont installé l’entreprise à Noida. L’entreprise se positionne sur un secteur particulier, celui des usages de la détection et de la reconnaissance optique, ses produits s’appliquent à la vidéo surveillance ou à l’étude du trafic routier par exemple. En 2010, l’unité de production employait 43 personnes, classant la société dans la catégorie des petites entreprises innovantes ; en 2013, elle compte près de 80 employés. Pour développer ses produits, elle doit faire appel à parts égales à des spécialistes du hardware, plutôt diplômés 82 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE en électronique et en électricité, et à des spécialistes de software, plutôt diplômés en computer science. Mais il faut aussi distinguer les employés qui sont du côté « support » (20 %) et ceux du côté « opération », ces derniers se divisant encore en trois domaines techniques (système embarqué, optique, application). « Cette année [2010] nous n’avons pas pu attirer un seul diplômé du IIT-Bombay, les salaires qu’on leur proposait étaient trop inférieurs aux offres qui leur étaient faites par ailleurs. » (Entretien avec la responsable des ressources humaines, Noida, avril 2010) Jusqu’à présent, l’entreprise a recruté essentiellement des freshers lors des campagnes de recrutement menées dans les écoles d’élite : IIT-Kharagpur (Bengale), IIT-Bombay et IIT-Madras, et les deux grandes écoles d’ingénieurs de Delhi, la Delhi Technological University et le Netaji Subash Institute of Technology. Mais les recrutements de qualité sont difficiles pour cette petite entreprise qui doit offrir des salaires compétitifs. Elle n’a pas pu recruter de jeunes ingénieurs issus du IIT-Delhi, malgré les liens institutionnels de l’entreprise avec cette école. l –6 .5 RÉDUIRE LE FOSSÉ FORMATION-EMPLOI : L’EXEMPLE DU CAMPUS INFOSYS– Selon les informations diffusées par la Nasscom, 25% seulement des diplômés en ingénierie seraient directement employables par les sociétés de services informatiques. La question de la qualité de l’enseignement et celle de la formation complémentaire après recrutement et avant le premier emploi sont donc cruciales pour ces dernières, comme le souligne par exemple le directeur de la filiale indienne de la compangie américaine Oracle (encadré 24). Ce constat a conduit Infosys à ouvrir son propre centre de formation que l’on présente ci-dessous. – ENCADRÉ 24 : ENTRETIEN AVEC KRISHAN DHAWAN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE ORACLE-INDIA. – Krishan Dhawan a été directeur général de Oracle-India en 2005-2010. Né à Prague, ce fils d’un diplomate indien a fait ses études supérieures dans les écoles indiennes d’élites, au St Stephens College de l’Université de Delhi dont il est licencié en économie (BCom Hons) et à l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad où il a obtenu un diplôme en management. En 1978, il entre à la Bank of America lors d’une campagne ordinaire de recrutement sur campus. Il reste vingt-cinq ans dans cette banque où il occupe différents postes d’importances aux États-Unis et en Asie. Après un bref passage dans une société de services spécialisée dans le BPO (EXL Services), il devient consultant, puis rejoint Oracle India en 2005, riche de vingt-cinq ans d’expérience managériale dans le milieu de la finance. On a traduit cidessous des extraits d’un entretien publié sur le site de la Nasscom, Delhi, 19 juillet 2007. Question : Comment les mondes de l’industrie et de l’enseignement peuvent-ils collaborer pour réduire le déficit croissant des compétences en Inde ? Krishan Dhawan : C’est un double processus. Les sociétés du secteur des TIC peuvent aider les écoles d’ingénieurs à définir leurs curricula en s’assurant que les savoirs et les compétences enseignés sont pertinents pour l’industrie. Cette collaboration peut se faire de manière formelle ou informelle. Vous avez par exemple le Mentorship Programme de la Nasscom qui s’adresse aux entreprises et chez Oracle notre programme Oracle Academy qui vise la formation permanente ; dans les deux cas, il s’agit de remédier aux défauts des compétences. Mais je pense que les écoles dites Polytechnics (encadré 7) constituent un secteur négligé en Inde. Tous les emplois des TIC ne demandent pas d’avoir un grade universitaire, technique ou pas. Il faudrait que l’industrie aide les Polytechnics à redéfinir leurs curriculum afin d’être plus en phase avec les besoins de ce secteur d’activité. Oracle, par exemple, intervient dans une centaine de Polytechnics du Karnataka, en collaboration avec le BITES (Board of IT Education Standards) de cet état, et nous travaillons aussi avec une soixantaine de Jawahar Knowledge Centres41 en Andhra Pradesh. En ce qui concerne les compétences non-techniques (soft skills), en matière d’expression, de travail en groupe, de prise d’initiative, je pense qu’il faut mettre en place des programmes dans les écoles secondaires et les lycées. Question : Quelles sont les compétences qui devraient être enseignées aux étudiants pour améliorer l’employabilité de la main d’œuvre ? Quelle est la contribution d’Oracle dans le cas de l’Inde ? Krishan Dhawan : Pour les années à venir, les étudiants qui veulent travailler dans le secteur des TIC doivent avoir accès aux technologies de pointe utilisées par les entreprises partout dans le monde. Oracle India fait tout son possible en ce sens. Dans nos programmes non-lucratifs, nous offrons aux lycéens et aux étudiants des logiciels gratuits ou à des prix subventionnés très bas. Ces outils incluent des plateformes d’auto-apprentissage, des logiciels éducatifs comme par exemple Think.com, ThinkQuest et même Oracle Academy ; avec ces outils nous touchons déjà 400 000 élèves en Inde. Mais nous avons aussi des programmes commerciaux qui permettent d’obtenir des certifications. Ces programmes sont accessibles soit en ligne soit dans des centres de formation Oracle ou chez nos partenaires. L’an dernier [2006] nous avons enregistré 95 000 inscriptions pour ces différents programmes. » 41. Équivalent à des centres dits Polytechnics. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 83 –6– LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS Le Campus d’Infosys (visite effectuée 16 septembre 2013) est situé dans la proche banlieue de la ville de Mysore, au Karnataka, dont est originaire Narayana Murty, le fondateur de la société (encadré 19), à centcinquante kilomètres au sud de Bangalore, la capitale politique de l’état (encadré 12) où est installé le siège d’Infosys. Le campus qui s’étend sur 135 hectares de parc boisé se compose de trois ensembles distincts : d’un côté, un centre de formation pour les ingénieurs nouvellement recrutés (trainees) par la société, de l’autre, des development centers ou business units actuellement au nombre de six – ces deux ensembles sont répartis autour de plusieurs terrains de sports et d’une salle multiplexe prévue pour visionner des films et accueillir des conférences – enfin, le fonds du campus abrite une zone résidentielle réservée aux seuls stagiaires et à quelques cadres dirigeants. Du point de vue architectural, le style des bâtiments associe trois registres. L’imposant bâtiment central du centre de formation (Infosys Global Education Center II) inauguré en 2009, à l’entrée du campus, est de style néo-classique gréco-romain. La façade semi-circulaire donnant sur une cour dallée ouverte agrémentée d’un jet d’eau musical, combine fenêtres en trompe l’œil, colonnades doriques et chapiteaux supportant un linteau en triangle, le tout surmonté d’un dôme de soixante mètres de haut qui évoque celui de Florence et se signale au loin en arrivant de la ville. Le bâtiment composé de deux étages et d’un sous-sol, au parterre en marbre orné du pays, abrite quatrevingt-dix-huit salles de classes d’une capacité de cent places chacune, trois halls de réunion et trente-sept bureaux pour les enseignants. La bibliothèque, également de style néo-classique avec étagères en bois moulé à l’ancienne et véranda qui laisse pénétrer un flot de lumière, occupe tout l’espace du second étage. Elle rassemble environ 8 000 ouvrages en accès libre qui peuvent être empruntés au moyen d’un système automatisé réduisant le personnel au minimum (trois employés) et plus d’un millier de revues accessibles en ligne (il n’y a aucune revue papier). Le centre de formation (auquel est adjoint un autre bâtiment mois imposant inauguré en 2005) a une capacité totale d’accueil et d’hébergement de 10 000 infosyiens, nouvelles recrues et stagiaires de la société venant de tous les états de l’Inde et des pays où Infosys est implanté. À l’opposé du pôle de formation, les unités de production, business units, composent un second ensemble aux allures résolument modernistes, composées de 84 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE structures de verre et d’acier aux formes géométriques dissymétriques. Chaque unité organisée en open space à une capacité d’environ mille employés, et elles abritent actuellement 6 500 ingénieurs qui habitent tous hors du campus. Mais d’autres unités de production sont en construction, selon un style architectural imposant propre aux bâtiments de l’état du Karnataka, et qui ne sont pas sans évoquer l’architecture russe des années 1930. Centres de formation et business units sont agrémentés de neuf restaurants (food courts) fermés ou en terrasse, où l’on sert une multi-cuisine (indienne) et dans lesquels les employés viennent consommer librement à toute heure du jour. Enfin, au fonds du campus, le complexe résidentiel ressemble aux banlieues urbaines que peuple la middle class américaine, alignement de maisons individuelles de plein pied avec jardins ou petits immeubles de trois étages organisés autour d’un patio fleuri auxquels on accède par de vastes allées plantées de verdure. Cela est presque un avant-goût du rêve américain qui nourrit l’imaginaire de ces cols blancs de la modernité indienne. Les principales SSII indiennes ont mis en place des programmes de formation pour les freshers qu’elles recrutent. Mais Infosys est la seule société à disposer d’un véritable campus organisé à cet effet. Les programmes de formation qui sont dispensés ont un double objectif, d’abord, compléter les lacunes de l’enseignement que les jeunes ingénieurs ont reçu dans leurs engineering colleges, ensuite, former ces ingénieurs aux outils technologiques qui sont spécifiques à Infosys. À cet égard, les formations sont étroitement adaptées aux besoins conjoncturels du marché auxquels la société doit pouvoir répondre rapidement. Pour les freshers, il n’y a quasiment pas de rupture entre la période de recrutement dans les colleges et l’entrée sur le campus de Mysore qui est vécue comme un prolongement de leurs années d’études. Car dès leur diplôme en poche, les nouvelles recrues doivent suivre des formations dispensées on line par la compagnie et se soumettre à des tests de contrôle. Les formations reçues sur le campus varient en contenu et en durée selon les résultats à ces tests. La formation de base, dont la durée tend à se réduire pour être en phase avec l’évolution du marché, s’étale sur vingt-trois semaines et porte sur quatre domaines : Technical, Process & Quality, Soft Skills et Values. Les trainees sont soumis à un contrôle continu intensif tout au long de ces six mois de formation, ce qui fait dire à certains qu’ils n’ont guère le loisir de bénéficier des infrastructures sportives et de loisir mises à leur disposition. Selon le directeur du centre de formation que nous avons rencontré, il y aurait environ 35 % à 40% de filles parmi les trainees et, de fait, dans cette population très juvénile, la mixité est notable sur l’ensemble du campus, dans les allées comme dans les restaurants. Le campus d’Infosys est unique en son genre par sa taille et les idées directrices qui ont présidé à sa conception, réunissant à la fois un centre de formation et des unités de production. D’après les infor- mations dont la presse se fait l’écho, mais qui nous été démenties en personne par le directeur du Centre global de formation que nous avons interrogé, la question de la rentabilité de ce campus pourrait amener la société, à terme, à convertir ce centre en une véritable Corporate University délivrant ses propres diplômes technologiques, selon un modèle déjà très répandu en Inde où l’on compte une bonne dizaine de ces universités adossées à un groupe industriel. l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 85 86 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – –7– 88 Présentation de l’enquête 90 Qu’appelle-t-on un informaticien ? 92 Portrait de groupe 96 Le secteur des TIC est-il un milieu professionnel fermé ? 98 Essai de typologie 103 La question des diplômes 109Les informaticiens comme nouvelle fraction des classes moyennes urbaines APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 87 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE –7.1 PRÉSENTATION DE L’ENQUÊTE– 42. L ’analyse de cette enquête a été effectuée en partie par Alain Olivi dans le cadre du stage de troisième année de l’École polytechnique, effectuée au Centre de Sciences Humaines à Delhi ; Alain Olivi, « La Fabrique de l’ingénieur indien : le cas du secteur informatique », Rapport de fin de stage, New Delhi. (Centre de Sciences Humaines, 2012). L’analyse des employés du secteur des TIC est confrontée aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans l’analyse des entreprises. Faute de connaître les caractéristiques de la population de référence, il est impossible de qualifier la représentativité de l’enquête très limitée que nous avons pu mener auprès de quelquesuns d’entre eux (n = 500). En se fondant néanmoins sur la connaissance partielle que l’on peut avoir de ce milieu professionnel, soit par des études de terrain ou à travers la presse spécialisée, nous avons défini plusieurs critères de sélection des personnes enquêtées, qui sont autant de caractéristiques de l’échantillon (encadré 25)42. – ENCADRÉ 25 : CADRAGE DE L’ENQUÊTE – Le protocole d’enquête L’enquête a été menée par téléphone, entre novembre 2011 et janvier 2012, auprès de cinq cents employés en activité dans le secteur des TIC. La moitié des personnes interrogées devaient être salariées des vingt premières entreprises ci-dessous : 1. Tata Consultancy Services (TCS) 11. Cisco India 2. Wipro Technologies 12. Oracle India 3. Infosys Technologies 13. HCL Infosystem 4. HP India 14. Intel India 5. IBM 15. Accenture 6. Ingram Micro 16. Tech Mahindra 7. Satyam Computer Services 17. Microsoft India 8. Cognizant Technologies Solutions 18. SAP India 9. Redington India 19. Dell India 10. Hindustan Computers Limited 20. Lenovo India La moitié restante des personnes enquêtées devaient être salariées des entreprises sélectionnées en dehors de cette liste. La population de l’enquête a été en outre stratifiée selon le nombre d’années d’expérience réparti ainsi : < 2 ans expérience 16 % 2-5 ans 36 % 5-10 ans 32 % 10-15 ans 14 % > 15 ans 2% Enfin, 25 % des personnes interrogées devaient être des femmes. Le questionnaire Le questionnaire était construit autour de trois thèmes détaillés en 131 questions totalisant 334 modalités : les activités professionnelles, l’éducation et formation professionnelle, et le milieu d’origine socio-économique. La première partie visait à saisir les tâches auxquelles les ingénieurs sont employés au quotidien. On demandait de men- 88 tionner les champs de l’informatique dans lesquels ils travaillaient (à partir de catégories prédéfinies : software, database, network, system, hardware, web, etc.), puis de donner la dénomination de leur emploi telle qu’elle était définie par l’entreprise (job designation), et de lister les trois tâches (duties) les plus importantes de leur occupation présente. En complément, on présentait un ensemble de vingt-trois compétences (skills) en informatique et en management pour lesquelless on demandait aux enquêtés d’en définir l’importance dans leur emploi présent et d’autoévaluer leur degré d’aptitude dans ces compétences. Un autre ensemble de questions portait sur l’entreprise, le salaire et les différents bénéfices et avantages associés (bonus, stock-options, retraite, assurances, flexibilité, etc.). On a également interrogé les employés sur leurs relations avec des clients étrangers ou leurs séjours de travail à l’étranger. Enfin, on souhaitait retracer les parcours professionnels en obtenant des renseignements sur les emplois précédents, les modes de recrutement, les raisons de changement d’emploi et les évolutions entre emploi technique et emploi de type managérial. La seconde partie portait sur le parcours scolaire retracé depuis la classe de terminale jusqu’aux études supérieures. En effet, en Inde, les employeurs recrutent les nouveaux entrants, les freshers sur la base des résultats scolaires obtenus depuis les classes de lycée jusqu’à la licence en ingénierie. Une section portait sur les formations professionnelles suivies et les certifications spécialisées obtenues (Microsoft, Oracle, SAP par exemple). La troisième partie du questionnaire, enfin, avait pour objectif d’obtenir des informations d’ordre socio-économique sur la famille dont étaient issus ces ingénieurs, la religion, le milieu géographique d’origine (urbain, rural), la langue maternelle, APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE le sentiment d’appartenance de caste et de classe, et l’occupation des parents. Une dernière question portait sur la présence ou non d’ingénieurs parmi les autres membres de la famille. Difficultés rencontrées La première difficulté rencontrée est liée au fait que le questionnaire s’est révélé trop long et trop compliqué pour être administré facilement par téléphone auprès de personnes contactées sur leur lieu de travail. La seconde difficulté a concerné les emplois occupés, ou les postes. Les métiers déclarés ont manqué de précision et sou- vent leurs domaines d’application ne correspondaient pas aux nomenclatures des magazines spécialisés dans les TIC que nous avions reprises. La reconstitution des parcours professionnels s’est aussi avérée difficile faute de pouvoir se fonder sur des grilles de métiers stabilisées. Enfin, les questions de la troisième partie portant sur les origines socio-économiques familiales ont été souvent perçues comme relevant de la vie privée et sans lien avec les questions d’ordre professionnel auxquelles les enquêtés sont habitués à répondre. Pour toutes ces raisons, l’exploitation du questionnaire a dû être réduite et simplifiée. Voici les principales caractéristiques de la population enquêtée (tableaux 12-15). La population se compose de 73 % d’hommes et de 27 % de femmes, conformément au protocole d’enquête. Ces informaticiens travaillent dans des entreprises multinationales indiennes ou américaines pour la majorité d’entre elles (84 %), et le plus souvent cotées sur les places boursières en Inde (67 %). 30 % travaillent à Bangalore, 24 % à Mumbai, 13 % à Pune (soit 37 % pour ces deux villes qui bornent une conurbation industrielle en cours de développement), et 17 % à Delhi et dans sa couronne péri-urbaine. Chennai et Hyderabad sont sous-représentés au regard des sociétés de services membres de la Nasscom dont on a cartographié l’implantation (voir carte 2). l – Tableau 13 – Répartition géographique de la population enquêtée – Tableau 12 – Répartition de la population enquêtée par sexe – Tableau 14 – Répartition par type d’entreprise Ville État % Bangalore Karnataka 148 30 Chennai Tamil Nadu 42 8 Hyderabad Andhra Pradesh 30 6 Mumbai Maharashtra 118 24 Pune Maharashtra 63 13 NCR National Capital Region 84 17 Autres Divers 15 2 Total Ensemble Inde 500 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 Sexe Nb % Entreprise Nb % Hommes 366 73 Nationale 79 16 Femmes 134 27 Multinationale 421 84 Total 500 100 Total 500 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 Nb Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 15 – Entreprises cotées en bourse (Inde) Cotée en bourse Nb % Oui 336 67 Non 164 33 Total 500 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 89 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE –7.2 QU’APPELLE-T-ON UN INFORMATICIEN ?– Les métiers de l’informatique constituent une des boîtes noires du secteur des TIC en Inde. Ils n’ont pas fait l’objet d’études empiriques dont nous ayons connaissance, leurs définitions ne révèlent aucun consensus et le nombre des personnes exerçant ces activités mal définies n’est connu que par une évaluation assez grossière faite par la Nasscom. On dispose pourtant de plusieurs types de classification des activités, mais aucune n’est réellement opérante. Il n’y a pas de nomenclatures stabilisées pour décrire les métiers de l’informatique exercés en Inde. Le ministère du Travail et de l’emploi dispose d’une classification nationale des emplois occupés (« occupation »), ou des postes, (Indian NCO), qui est une adaptation de la classification standard internationale (ISCO). Deux nomenclatures sont disponibles. La première, Indian NCO-68, fondée sur l’ISCO-66 distingue quatre groupes d’employés techniques pour le secteur informatique : les programmeurs, les analystes systèmes, les opérateurs de traitement automatique de données, et les opérateurs de machines informatiques. Cette nomenclature est utilisée pour les enquêtes que conduit la National Statistical Survey Organisation (NSSO). La seconde nomenclature, plus récente mais peu utilisée, Indian NCO-04, fondée sur l’ISCO 88, ne distingue plus que trois catégories que l’on peut regrouper en deux : d’une part les informaticiens professionnels et les associés et, d’autre part, les secrétaires et employés qui effectuent la saisie de données sur ordinateur. Ces deux classifications des métiers de l’informatique sont sans rapport réel avec les emplois occupés que l’on observe dans les entreprises du secteur des TIC. Les données en provenance des entreprises sont de deux sortes. Les employés sont classés, d’une part, selon les catégories utilisées dans les grilles de salaires (salary band) et, d’autre part, selon des désignations liées aux tâches effectuées (job designation). Les grilles de salaires sont assez peu étendues, aussi les entreprises recourent-elles à la multiplication des désignations afin que les employés se sentent gratifiés d’un titre visant à rehausser leur place dans les hiérarchies des postes occupés. Ces désignations changent d’une entreprise à l’autre, et même d’un centre à l’autre au sein de la même entreprise dont les activités sont divisées en plusieurs branches. En outre, les entreprises sont réticentes à rendre publiques les informations afin de se protéger des concurrents. 90 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE « Je peux vous expliquer les différents types de métiers qu’il y a dans le centre de Wipro où je travaille, mais je serai incapable de vous dire ce qu’il en est dans les autres centres, à Delhi. Wipro doit avoir une dizaine d’unités ici dans la région de Delhi (la National Capital Region). Je ne sais même pas si vous pourrez trouver un HR chez Wipro qui a une connaissance complète de la division des postes dans toutes les unités de la société. Et puis tout cela c’est un peu secret. » (Entretien avec H. B. Project Manager, Wipro, Delhi, février 2012) Pourtant, les tâches qu’un ingénieur ou un informaticien effectue sont relativement normalisées, comme en témoignent le Soft-Ware Engineering Book of Knowledge (SWEBOK) ou, encore, les certifications techniques que délivrent par exemple Microsoft ou Oracle, grands producteurs de logiciels et des formations qui les accompagnent. Mais dans la pratique, les tâches spécifiques que les mêmes agents sont susceptibles d’effectuer varient selon les entreprises. Un ingénieur système peut effectuer des tâches complexes ou s’occuper du fonctionnement de quelques serveurs selon la nature de l’entreprise et de l’équipe dans laquelle il travaille. Par ailleurs, ces métiers techniques n’ont pas vraiment donné lieu à une structuration en profession, au sens anglo-saxon du terme. Les désignations de programmeur, développeur, ou ingénieur informaticien sont peu stabilisées et les associations professionnelles peu présentes sur ce terrain. Enfin, ce secteur de services étant relativement récent, en Inde, les entreprises, qui travaillent principalement pour l’exportation, ont eu tendance à mettre en place des nomenclatures formelles des postes afin d’attester une conformité aux normes du secteur, gage du sérieux technique de la société. Une dernière source externe d’informations pour aborder la diversité des métiers des TIC, est fournie par les sites d’offres d’emplois comme Naukri.com (un site indien, naukri signifie travail, en hindi) et Monster.com (un site américain) qui servent de relais entre les employeurs et les employés. Monster, par exemple, identifie quatre secteurs techniques : système administration et maintenance, design et développement, system implementation, et management. Chacun de ces secteurs englobe différents postes techniques totalisant soixante intitulés d’emplois qui se distribuent dans dix-sept branches activités (encadré 26). – ENCADRÉ 26 : NOMENCLATURE DES EMPLOIS DU SECTEUR DES TIC PAR BRANCHES D’ACTIVITÉ, SECTEURS TECHNIQUES ET POSTES SELON L’AGENCE D’EMPLOI MONSTER.COM – BRANCHES D’ACTIVITE - Advertising - Automotive/Ancillaries - Banking/Financial services - Consultancy - Dotcom - E-Learning - Education - Engineering, Procurement, Construction - Entertainment, Media, Publishing - IT Computer/Hardware - IT Computer/Software - ITES/BPO/KPO - Insurance - Machinery, Equipment manufacturing - Retailing - Semiconductor - Telecom SECTEURS TECHNIQUES & EMPLOIS OCCUPÉS 1. Administration & Maintenance (9 postes) - Database administrator - System administrator - Hardware Installation/maintenance engineer - Network administrator - Security system engineer - Technical support engineer - Software Installation/maintenance engineer - Web master/Web site manager - IT networking (Electronic Data Processing, EDP) manager 2. Design & Development (32 postes) - Software engineer/programmer - Team leader/technical leader - Project leader/project manager - System analyst/technical architect - Database architect/designer - Network designer - Software test engineer - Graphic designer/animator - Instructional designer - Product manager - Configuration manager/release manager - Hardware design engineer - Hardware design technical leader - Program manager - Vice-President (VP)/General Manager (GM) Quality - Information system (MIS) manager - VP/head – technology (IT) - Chief Technology Officer - Chief Information Officer - Vie-President (VP) – Operations/Chief Operating Officer (COO) - Strategic Business Unit (SBU) Head/Profit centre head - CEO/Managing Director (MD)/Country manager - Director on board - Delivery manager - Security analyst - Trainer/Faculty - Technical writer - Quality assurance executive - Quality assurance – manager - Computer operator – data entry - External consultant - Other software hardware, Electronic Data Processing (EDP) 3. System implementation (7 postes) - Business analyst - Data warehousing consultant - System integrator - ERP (Enterprise Resource Planning), Customer Relationship Management) CRM – Functional consultant - ERP, CRM – Technical consultant - ERP, CRM – Support engineer - Electronic Data Processing (EDP) 4. Management (11 postes) - Program manager - VP/GM Quality - Information system, Management Information system (MIS) manager - VP Head – Technology (IT) - Chief Technology Officer- Chief Information Officer - VP Operation, Chief Operating Officer (COO) - SBU head – Profit Centre head - CEO/MD/Country manager - Director on board - Delivery manager Source : http://www.monsterindia.com/ APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 91 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE Cette nomenclature des métiers de l’informatique donne une idée des profils de poste que cherchent les employeurs, mais elle est trop détaillée pour être utilisée dans une enquête ne concernant que cinq cents personnes. Les fonctions déclarées dans l’enquête ont donc dû être retravaillées afin d’être précisées puis synthétisées de manière significative. À cette fin, les réponses portant sur les champs d’activité (database, software, network), les compétences (skills) et les intitulés de postes déclarés ont été combinées. La question sur les compétences n’a pas soulevé de difficultés auprès des enquêtés. En effet, les salariés de ce secteur sont habitués à remplir des grilles d’auto-évaluation dans le cadre des pro- grammes de management mis en place par les responsables des ressources humaines des entreprises. L’auto-évaluation des objectifs et des compétences fait partie des modes de régulation de ces métiers où chaque salarié dispose d’une marge d’action lui permettant théoriquement de gérer individuellement ses activités pour pouvoir évoluer dans l’entreprise. Une idée sous-jacente à l’utilisation des compétences auto-déclarées est que celles-ci forment des groupes de variables significativement corrélées : les personnes exerçant les mêmes activités mobiliseraient les mêmes compétences, la structure latente de ces dernières pouvant être prise, alors, comme une approximation de l’ensemble des métiers. l – ENCADRÉ 27 : LES PROCÉDURES D’ÉVALUATION DES EMPLOYÉS CHEZ INFOSYS – Chez Infosys, les employés sont soumis deux fois par an à une évaluation dont l’enjeu financier est triple : attribution d’une prime de performance, augmentation du salaire ou promotion (proposée en général tous les deux ans). Cette évaluation porte, d’une part, sur les tâches accomplies dans une période d’observation donnée et, d’autre part, sur les capacités d’analyse et d’apprentissage des employés. Six critères notés de 1 à 5 sont retenus : la réactivité, les facultés de concentration, les capacités d’innovation, les qualités de la relation avec les clients, la valeur ajoutée aux tâches, et les capacités d’organisation, de planification du travail. Cette évaluation suit différentes étapes : test d’auto-évaluation, entretien en face à face avec le team leader et avec le project manager, rapport du project manager aux services des relations humaines, retour de l’évaluation à l’ingénieur concerné et prise de décision finale. L’auto-évaluation est effectuée au moyen d’outils automatisés dont les procédures sont hautement normalisées. Infosys utilise un programme en ligne appelé PerforMagic. Afin de rationaliser les profils de carrières au sein de l’entreprise, de nouvelles procédures de promotion ont été mise en place, en 2009, au moyen d’un programme dénommé « iRace » (pour Infosys Role and Career Enhancement). « Les employés sont promus tous les deux ans, ils obtiennent un nouvel intitulé de poste, un nouveau salaire, de nouveaux bénéfices mais ils continuent de faire le même travail, alors les gens sont déçus » déclarait Nandita Gurjar, Global HRD chez Infosys en 2009. En effet, les employés, peu satisfaits de ces nouvelles procédures, ont rapidement caricaturé celles-ci en la nommant « I Race », « je cours … après une promotion ». –7.3 PORTRAIT DE GROUPE– Nomenclature des métiers Les difficultés rencontrées pour établir la grille des emplois occupés ne nous ont pas permis de procéder aux mêmes opérations pour les emplois antérieurs qui n’étaient pas assez bien renseignés. La 92 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE présentation des résultats portent donc sur la situation dans l’emploi au moment de l’enquête. Il s’agit d’une vue instantanée qui ne renseigne pas ou peu sur les parcours professionnels mais qui informe sur la situation de l’emploi au moment de l’enquête. On distingue trois groupes principaux d’informaticiens selon le type d’activité dominante. Le premier, le plus important en structure (56 %) est composé de la masse des « ingénieurs software » qui peuvent être répartis selon qu’ils sont plutôt versés dans la programmation, le test, le design, ou le support technique. Une deuxième catégorie (20 %) regroupe les informaticiens orientés vers les tâches autres que la programmation, comme la gestion système ou de bases de données. Les managers proprement dits, qui dirigent des équipes d’ingénieurs software impliqués dans des projets forment 14 % de la population enquêtée. Enfin, on a regroupé dans une catégorie un peu hétéroclite les personnes en charge du marketing et les consultants ERP (Progiciel de gestion intégré) qui ont souvent des profils scolaires proches (ils ont fait plutôt des études commerciales), et quelques employés de bureau aux tâches mal définies. Une population jeune et peu expérimentée Le premier caractère de cette population, et le plus frappant à l’observation, est sa jeunesse. L’âge médian est environ 28 ans : 42 % des individus ont entre 27 et 31 ans, et 93 % entre 22 et 36 ans au 1er janvier 2012. Au-delà de quarante ans, les ingénieurs semblent sortir professionnellement de la masse des informaticiens, et ils disparaissent quasiment de notre échantillon après 50 ans. La deuxième caractéristique qui distingue cette main d’œuvre est son niveau scolaire élevé, dans un pays où les taux d’accès à l’enseignement secondaire supérieur et plus encore à l’université restent faibles. Plus de 97 % des personnes interrogées sont titulaires d’un diplôme d’études supérieures de niveau Bac +3 ou Bac +4 selon le diplôme (pourcentage sous-estimé compte tenu des données manquantes ou mal renseignées pour les 3 % restant), et pour plus d’un tiers, 36 % d’entre eux sont titulaires d’un master. Par contre, il n’y a pratiquement pas de titulaire de thèse (PhD, un seul cas observé). Le type de diplôme met en évidence des sous-groupes spécifiques. Ainsi, de manière moins attendue, un peu plus de la moitié seulement de cette population, 54 %, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur (BEng ou BTech). Ou si l’on préfère, 46 % ne sont pas des ingénieurs, au moins par le diplôme. Cependant 34 % ont une licence de sciences (BSc) dont les options mathématiques, physique, chimie, et ingénierie informatique rapprochent ces diplômes d’un BTech. D’ailleurs, il était possible dans un passé récent d’obtenir un BSc en ingénierie (BScEng). La présence de ces – Tableau 16 – Typologie des emplois occupés ou des postes observés % 1. Ingénierie software 56 - développeur 27 - test 6 - design, analyste 16 - support technique 7 2. Techniciens 20 - database 6 - network 7 - système 6 - hardware 1 3. Management 14 4. Quality, marketing, business analysis 3 5. ERP, web, bureautique 7 Ensemble 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 17 – Année d’obtention du BEng/BTech Nb % 1970-1989 19 4 1990-1999 197 42 2000-2004 217 46 2005-2010 34 _8 467 100 Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 18 – Structure par âge de la population au 1er janvier 2012 Tranches d’âge Âge moyen % 1955-1964 47-56 52,0 1 1965-1969 42-46 44,5 2 1970-1974 37-41 39,5 4 1975-1979 32-36 34,5 22 1980-1984 27-31 29,5 42 1985-1989 22-26 24,5 29 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 93 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – Tableau 19 – Types de licence Bachelor Nb BA % 18 BCom 4 39 8 BSc 164 34 BTech 263 54 2 0 486 100 Diploma Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 20– Types de master et PGDM Post Graduation Nb % master % total (n=500) MTech 16 9 3 MSc 29 16 6 MCA 85 47 17 MBA, Mcom 41 23 8 MA 2 1 1 PGDM 6 3 1 Total 179 100 36 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 21– Durée totale d’activité professionnelle (en années) Nb < 0,5 an % % cumulé 7 1 1 0,5 to < 1 22 4 6 1 to < 1,5 24 5 11 1,5 to < 2 26 5 16 2 to < 2,5 24 5 21 2,5 to < 3 19 4 24 3 to < 3,5 50 10 34 3,5 to < 4 19 4 38 4 to < 4,5 47 9 48 4,5 to < 5 20 4 52 5 to < 10 164 33 84 > 10 ans 78 16 100 Total 500 100,0 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 94 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE diplômés dans le secteur des TIC est donc compréhensible et vient renforcer le profil scientifique de cette main d’œuvre puisque, au total, 88 % des personnes enquêtées sont détentrices d’un diplôme scientifique et professionnel. Les 12 % restant de l’échantillon ont un diplôme sans aucun lien avec le secteur informatique (humanités, économie ou sciences politiques). Mais il faut encore prendre en compte la part de la population, 17 % de l’échantillon, qui détient un diplôme de master spécifique au secteur des TIC : il s’agit du Master of Computer Application (MCA) qui est obtenu en trois ans après soit un Bachelor of Computer Application (BCA) soit une autre licence (BSc par exemple). Ce diplôme est une voie parallèle d’entrée dans le secteur des TIC, ou de consolidation de leur position pour les étudiants qui n’ont pas suivi la filière des écoles d’ingénieurs. Le MCA peut être obtenu par les employés qui sont déjà en activité et poursuivent leurs études soit en cours du soir, soit par correspondance pour obtenir un master ou un diplôme ; c’est le cas pour 13 % des personnes interrogées. L’ensemble, diplômés BTech et détenteurs d’un MCA, représentent 70 % de l’échantillon. La troisième caractéristique de cette population est sa faible ancienneté professionnelle (tableau 21). 52 % des individus ont moins de cinq ans d’expérience, et 84 % en ont moins de 10 ans. Pour l’ensemble de l’échantillon, la durée moyenne d’activité est de 7,1 ans (en prenant une durée moyenne de 20 ans pour le groupe ouvert ayant 10 ans d’activité et plus). Mais cette durée moyenne tombe à 4,6 ans pour la forte proportion des informaticiens qui ont moins de 10 ans d’activité. Cette structure dissymétrique peut être mise en relation directe à la fois avec le développement récent de ce secteur d’activité et avec la structure par âge de la population enquêtée. Nous n’avons pas de données sur les départs de la profession parmi les cadres supérieurs. En conclusion, une population jeune, dotée d’un niveau de scolarisation élevé, d’une formation technologique qualifiée, et ayant une ancienneté professionnelle faible au sein d’un secteur économique relativement récent, caractérise globalement les informaticiens indiens qui ont répondu à l’enquête. Cet aperçu est complété en présentant la distribution globale des salaires, avec un croisement selon l’occupation et la durée de l’expérience professionnelle. La distribution globale des salaires reflète le même type de dissymétrie que celles observées précédemment avec une concentration dans les tranches de salaires inférieurs et moyens : 38 % des individus ont un salaire annuel inférieur à 4,5 lakhs et 56 % inférieur à 6 lakhs, et 44 % seulement ont un salaire compris entre 6 et 25 lakhs (on observe seulement deux cas pour lequel le salaire annuel déclaré se situe dans la tranche des 25-35 lakhs). La médiane des salaires est comprise entre 4,5 et 6 lakhss et le salaire moyen annuel s’élève à 6,7 lakhs (soit l’équivalent approximatif de 860 € mensuel en prenant pour un taux de change 1 €=65 roupies). L’appréciation subjective des salaires n’apportent pas beaucoup de surprise, la population enquêtée ayant un point de vue assez conforme aux attentes : 61 % des personnes jugent normal le salaire qu’elles perçoivent, 21 % estiment qu’elles sont mal payées et 18 % jugent être assez bien ou très bien payées (tableaux 23-24). Le tableau 25 indique le salaire moyen selon les différents emplois occupés des informaticiens parmi lesquels on distingue trois groupes qui ne correspondent pas aux catégories établies. Un premier ensemble de métiers se distingue par des salaires uniformément bas, inférieurs à 4,5 lakhs : il s’agit des techniciens hardware, network et system ainsi que les web développeurs. Viennent ensuite les emplois de l’ingénierie technique dont les salaires varient entre 4,5-8 lakhs, soit sensiblement en dessous de la moyenne : software développeurs, test engineers, ingénieurs support technique software, administrateurs de base de données, et consultants ERP. Le dernier groupe rassemble l’ingénierie conceptuelle (software analystes) et les métiers du management et du marketing dont les salaires, supérieurs à 8 lakhs annuels, sont plus hétérogènes que ceux des deux premiers groupes, sans doute en raison de la dispersion des hauts salaires. – Tableau 22 – Distribution des salaires annuels (en lakhs de roupies) Salaires % % cumulé – Tableau 23 – Appréciation de la qualité du salaire Qualité Nb Très bien 34 7 Assez bien % 56 11 306 61 Assez mal 64 13 Très mal 40 8 500 100 Normalement Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 24 – Satisfaction salariale selon les tranches de salaire (en %) Salaires (lakhs) Bien payé Normal Mal payé Ensemble < 4, 5 3 22 13 38 4,5 - 8 6 23 5 34 8 - 15 6 14 3 22 > 15 2 3 0 6 Total 18 61 21 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 25 – Distribution des salaires selon le poste et l’ancienneté professionnelle Postes Ancienneté (année) Salaire moyen (lakhs de roupies) 1. Ingénierie software - développeurs 3,8 5,2 - test 4,4 5,4 - design, analyste 6,5 8,5 - support technique 5,5 5,9 - database 5,1 5,7 - network 4,6 3,2 - système 5,2 4,4 - hardware 4,4 3,6 10,9 12,3 2. Ingénierie technique <3 20 20 3. Management 3-6 36 56 4. Quality, marketing, business analysis 8,8 9,8 6 - 10 26 82 5. Web 2,8 3,4 10 - 15 12 94 6. ERP 6,9 6,5 > 15 6 100 7. Bureautique 1,6 1,0 Total 100 Ensemble 7,1 6,7 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 95 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE La distribution des salaires selon l’expérience professionnelle ne reproduit pas la même classification. Les software/web développeurs sont relativement moins expérimentés tandis que les managers et, dans une moindre mesure, les software analystes et les consultants ERP ont une durée d’expérience sensiblement plus élevée. Les autres groupes ont une expérience moyenne autour de la médiane (5 ans d’expérience). Bien que ces deux premières classifications soient sensiblement différentes, le salaire reste très corrélé à l’expérience, la corrélation entre les deux variables étant significative du point de vue statistique (niveau de confiance de 1 %). l –7 .4 LE SECTEUR DES TIC CONSTITUE-T-IL UN MILIEU PROFESSIONNEL FERMÉ ?– Le secteur des TIC est non seulement relativement récent, c’est aussi un domaine où les activités changent très vite en fonction de l’évolution des technologies et des besoins de l’industrie. Ces changements ont des incidences sur les qualifications de la main-d’œuvre qui doit régulièrement ajuster ses compétences pour satisfaire les besoins des entreprises et répondre aux offres d’emploi, changer de domaine technique, et – Tableau 26 – Personnes ayant changé de poste depuis l’embauche selon la durée dans le poste Durée (années) % <1 22 1<2 45 2<3 55 3<4 67 4<5 71 >5 80 Ensemble 50 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 27 – Changement des tâches depuis l’embauche dans l’emploi occupé Nb % % cum Beaucoup 129 Assez 125 25 51 81 16 67 Pas du tout 165 33 100 Total 500 100 Un peu 26 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 96 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 26 aussi évoluer vers des tâches plus complexes, plus gratifiantes et mieux rémunérées. Bien qu’il s’agisse de registres d’activité très différents, un diplômé BEng a souvent pour ambition de passer rapidement du côté du management en devenant chef de projet. Les compétences des informaticiens ne sont pas données une fois pour toute, elles évoluent dans le temps. Elles résultent, d’un côté, de la demande des entreprises et, de l’autre, de l’offre de qualification des employés, qualification qui est elle-même varaible selon l’ancienneté dans ces métiers. C’est la raison pour laquelle Infosys, par exemple, a mis en place sur son campus de Mysore (voir section 6.5) des systèmes de formation professionnelle qui évoluent constamment en fonction des besoins de l’entreprise. Les données recueillies semblent confirmer cet état de fait. À la question « avez-vous changé de poste ou de niveau de responsabilité depuis votre embauche ? », 22 % des personnes employées depuis un an répondent positivement (tableau 26). Ce pourcentage augmente ensuite rapidement, passant à 50 % après environ deux ans, mais stagne autour de 70 % pour la tranche des 3-5 ans. Globalement, 50 % de la population enquêtée n’occupe plus l’emploi pour lequel elle a été embauchée. Cette observation est confirmée par la proportion équivalente d’individus pour lesquels les tâches ont significativement changé (« beaucoup », « assez ») au cours de leur présent emploi (tableau 27). Par ailleurs, près de 56 % des informaticiens interrogés ont suivi une formation professionnelle dans les douze derniers mois. Il est possible que le fait de suivre une formation ne soit pas indépendant de l’entreprise. Les grandes sociétés comme TCS, Wipro on Infosys ont développé des programmes de formation que ne peuvent mettre en place des petites struc- tures. Il semblerait qu’en moins de deux ans, presque toute la population a suivi de nouvelles formations. Si on considère les diplômes supplémentaires reçus à côté des titres scolaires de base (licence et master), 38 % des personnes de l’échantillon possèdent une certification professionnelle, 20 % un diplôme, le plus souvent en management (PGDM), et 13 % enfin suivent des études parallèlement à leur activité professionnelle pour obtenir un master ou un PGDM. On est donc en présence d’une population déjà qualifiée mais qui est engagée dans un processus d’accumulation de certifications et de nouveaux diplômes pour progresser dans les parcours professionnels. Comment approcher ces parcours ? L’observation des données révèle des évolutions linéaires d’emplois par tranche d’âge. Si on fait l’hypothèse qu’il y a peu de différences entre un informaticien en début de carrière aujourd’hui et son homologue il y a cinq ans, alors la structure globale des emplois selon l’âge observée dans l’échantillon permet de reconstituer en partie les parcours professionnels et les profils de carrière. Les conditions de validité sont, d’une part, que la structure de l’emploi soit restée relativement stable dans les cinq dernières années et, d’autre part, que le faible nombre d’observations ne favorise pas les cas individuels atypiques. Mais il faut encore savoir si le secteur des TIC fonctionne comme un marché de l’emploi relativement « fermé » ou pas. D’où vient et où va la maind’œuvre une fois entrée dans le secteur des TIC ? 16 % des enquêtés (80 personnes) n’ont pas débuté dans ce domaine d’activité, dont un petit groupe de consultants ERP qui constituent donc un sous-groupe particulier. Les données permettent de penser qu’il y a peu d’allers-retours entre le secteur informatique et des secteurs d’activités hors informatique. Sur les 351 personnes dont l’emploi actuel n’est pas le premier, seules 31 d’entre elles (soit 9 % des 351) ne travaillaient pas auparavant dans l’informatique, 4 seulement ont commencé dans le secteur et en sont sorties avant d’y revenir. – ENCADRÉ 28 : QUELLE SYNDICALISATION DANS LES SSII ? – UNITES, Union for Information & Technology Enabled Services in India, créée en 2005, est affiliée à UNI Global Union, fédération internationale des syndicats du secteur des services dont le siège est en Suisse. UNITES s’adresse aux employés des différents segments de l’économie des TIC : Technologies de l’information proprement dits, Business Process Outsourcing et centres d’appel. Le syndicat s’efforce d’organiser les techniciens, les cadres, mais aussi le personnel d’entretien et de sécurité. Sa tâche est notamment de négocier avec les employeurs la législation sur les conditions de travail. Karthik Shekhar, ingénieur de formation et ancien employé d’IBM, secrétaire général de UNITES, revendique plus de 50 000 visiteurs du site web de l’organisation, mais il reconnaît que la mobilisation est difficile. Si le monde du travail, en Inde, est riche d’une longue tradition syndicale, celle-ci s’est développée dans le cadre d’une économie étatique dominée par le secteur public (industrie, chemins de fer, administration). L’économie des services et des TIC en particulier, qui émerge avec la libéralisation de l’économie, à partir de 1991, est le fait d’entreprises privées employant une main d’œuvre qualifiée dont l’idéologie et les valeurs sont à l’opposé de celles du secteur public de l’Inde post-indépendante. En outre, les SSII opèrent à partir de Zones Economiques Spéciales (ZES) où la législation du travail est soumise à de nombreuses restrictions au nom du principe « de service d’utilité publique » de ces zones franches (Jaivir Singh 2009). La puissante fédération professionnelle des SSII indiennes, la Nasscom (Encadré 5), est hostile à toute action de type syndical et refuse de dialoguer avec UNITES. La Nasscom a par ailleurs initié un fichier national nominatif des employés du secteur des TIC, qui permet aux employeurs de s’assurer de la fiabilité professionnelle de leur personnel. Mis en place pour répondre aux demandes de sécurisation des données dont traitent les SSII, UNITES craint que ses membres, déjà marginalisés, n’y soient fichés et leurs carrières compromises. (Entretien avec R. Kartikh Shekhar, secrétaire général de UNITES Professionals, réalisé à Delhi, le 22 mars 2012). APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 97 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE L’âge moyen du premier emploi dans le secteur informatique, tous premiers emplois confondus, est d’environ 23 ans, pour ceux qui ont commencé directement dans le secteur des TIC comme pour les autres, l’écart entre les deux groupes n’étant que de six mois. Cet âge correspond à celui d’un ingénieur nouvellement sorti de l’école, un « fresher », diplômé soit d’un BTech en quatre ans obtenu à 22 ans, soit d’un Bachelor et Master of Computer Application en six ans obtenu à 24 ans. Lorsque le premier emploi n’est pas dans l’informatique, sa durée est courte et il ne semble pas directement lié au second emploi lorsque celui-ci est dans le secteur des TIC. Ce sont essentiellement les titulaires d’une licence en commerce (BCom) qui ont débuté leur vie professionnelle en dehors du secteur des TIC, avec des postes dans les fonctions de Business/Marketing/Management. Mais leurs parcours se rapproche ensuite de celui des BTech. Pour résumer, les individus qui n’ont pas commencé leur carrière dans le secteur des TIC n’ont pas été recrutés pour leur expérience professionnelle (inférieure à six mois), ni sans doute pour leur formation académique, ni même pour des emplois particuliers. Leur premier emploi parait de l’ordre de l’opportunité immédiate. L’hypothèse qui se dégage est la suivante. Au début des années 2000, la demande des entreprises était très supérieure à l’offre de travailleurs formés, en particulier dans le secteur de l’ingénierie des TIC. La proportion des personnes ayant réalisé leur carrière entièrement dans le secteur de l’informatique est proche de 91 %. La part la plus large des individus n’ayant pas débuté dans l’informatique est le fait d’ingénieurs spécialisés dans la mécanique ou l’électronique (30 sur 80) à une époque où les formations à l’ingénierie informatique (« computer sciences ») n’étaient pas aussi répandues en Inde. L’hypothèse d’un milieu professionnel des TIC assez fermé semble donc tout à fait acceptable. l –7.5 ESSAI DE TYPOLOGIE– Nous avons procédé à deux analyses de correspondances multivariées dans le but d’établir une cartographie élémentaire des métiers de l’informatique, en prenant en compte à la fois le niveau d’études, la durée totale d’activité ou, si l’on préfère, d’expérience dans le secteur des TIC, et le salaire. Le but est d’établir un découpage net par tranches d’âge qui permette de reconstituer les parcours professionnels. Le premier axe de l’analyse factorielle (figure 11) oppose l’ensemble des individus à la fois selon le niveau de salaire et selon l’expérience professionnelle, deux facteurs qui sont fortement corrélés, comme on l’a noté précédemment. À la gauche du plan se situent les métiers/postes à hauts salaires (> 10 lakhs) des ingénieurs surdiplômés (MTech ou BTech + MBA) employés dans les postes de marketing et ingénieurs d’affaires. Ces activités s’opposent aux emplois à bas salaires (< 3 lakhs), situés dans le cadre supérieur droit du plan, métiers de la bureautique, du web ou des techniciens hardware. Parmi les emplois à bas salaires, il faut inclure nombre de développeurs de software dont les salaires moyens sont légèrement supérieurs aux autres groupes de ce pôle, bien que les tranches basses y soient surreprésentées. Cette opposition en termes de salaires est corrélée avec la durée d’activité dans le 98 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE secteur des TIC. Les métiers d’entrée à bas salaires, déjà mentionnés, se distinguent des métiers requérant plus d’expérience professionnelle notamment ceux du management, au sens large. La position de diplômés en commerce (BCom) à la droite de l’axe semble cohérente au regard des métiers avec lesquels ils sont associés, notamment ceux du marketing. Mais leur proximité avec des individus surdiplômés soulève des interrogations que l’on tentera d’expliquer. Le second axe permet de préciser la répartition des individus selon le type de diplôme ou, si l’on préfère, selon leur qualification scolaire. Cet axe est construit autour de l’opposition entre, d’une part, en haut de l’axe, les individus ne disposant pas de qualification spécifique au secteur des TIC, il s’agit de détenteurs d’une licence de lettres (BA) ou de sciences (BSc) et, d’autre part, en bas de l’axe, les individus qui ont un BTech, un master d’informatique (MCA) ou un master de sciences (MSc). Les premiers correspondent aux métiers d’entrée à bas salaires (network, bureautique), et les seconds, la masse des informaticiens dont les métiers sont au cœur des TIC (développeurs, database, system analyst), associés avec des tranches de salaires moyens (4,5-6 lakhs) et une durée d’expérience de 3-5 ans. La classification hiérarchique ascendante (CHA) à – Figure 11 – L’espace des informaticiens (plan des axes 1 & 2 de l’ACM) < 1,5 ans network 1,5 bureautique < 3 lakhs no degree BSc BA 1,0 system >10 years MBA quality/sales/business 0,5 BCom management 15-3 ans test > 10 lakhs erp BTech+MBA hardware technical support MTech web 0 database 8-10 lakhs 5-10 ans MSc 3-4,5 lakhs BTech software development -0,5 6-8 lakhs MCA 3 à 5 ans software analysis -1,50 -0,75 4,5-6 lakhs 0 0,75 Source : Alan Olivi (2013) laquelle on a procédé donne une partition en trois clusters ; la partition reste stable même si l’on ajoute d’autres variables actives. Ces trois pôles, assez intuitifs, sont : les techniciens supérieurs, les ingénieurs informaticiens et les managers. Les techniciens supérieurs Le premier cluster représente 22 % de la population enquêtée. Le groupe concentre les salaires les plus faibles (< 3 lakhs de roupies) et les expériences professionnelles les plus courtes : 70 % des individus du cluster ont moins de 3 années d’expérience. Mais les 30 % restant sont répartis dans les tranches d’activité supérieures, ce qui dénote une relative dispersion de la catégorie. Il s’agit d’une population plutôt inexpérimentée, composée pour 40 % de personnes dans des métiers à composante technique (network, hardware, system). Le reste de la population regroupe des ingénieurs techniques (software development, technical support, test engineer) qui, à l’exception des ingénieurs-test surreprésentés, sont présents dans des proportions comparable au reste de la population. Les non-titulaires de diplômes spécifiques aux TIC (BA, BSc) constituent 35 % de ce groupe et les BTech 45 %. Les diplômés du second cycle (MTech, BTech + MBA) sont peu présents. Au sein de ce cluster, 43 % des individus étaient encore à l’université ; 20 % seulement ont été recrutés sur campus par les grandes sociétés d’informatique, contre 70 % pour l’ensemble de l’échantillon. Seuls 2 % des individus de ce groupe ont travaillé à l’étranger (contre 30 % pour l’ensemble de l’échantillon), et peu ont eu l’opportunité de travailler avec des étrangers. Une part élevée n’a reçu ni promotion (« pas de changement de position ou de niveau de responsabilité »), ni même connu de changement de mission de travail (« changement de tâche »). Enfin, du point de vue social, ils ont des contrats de travail peu avantageux : 50 % des individus de ce groupe n’ont pas de couverture médicale ni de congés de maternité/paternité. La durée moyenne d’activité révèle deux faits. D’abord, les ingénieurs techniques de ce cluster (software développeurs, technical support, web, et les ingénieurs tests) ont globalement moins d’anAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 99 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE cienneté que les techniciens, donc moins d’expérienceprofessionnelle que ceux-ci. Ensuite, les techniciens ont des profils d’ancienneté plus variés que les ingénieurs de ce même cluster. Ce groupe rassemble donc, d’un côté, de très jeunes ingénieurs en début de carrière et de l’autre, pour les deux-tiers, des techniciens plus expérimentés car entrés depuis plus longtemps dans ces métiers. En outre, les ingénieurs qui sont associés ici aux techniciens ont été moins fréquemment recrutés sur campus que le reste de la population. La CHA les rassemble en raison de leurs caractères communs en termes de diplômes et de salaires (faibles dans les deux cas), ce que semblent confirmer les variables supplémentaires que l’on a introduites, et qui confèrent au cluster sa relative homogénéité : ils ont peu bénéficié d’avancement (car ils débutent dans le secteur), et leurs conditions de travail sont assez mauvaises. L’homogénéité de ce cluster indique qu’il s’agit bien d’une sous-population spécifique qui demanderait d’être étudiée de manière distincte de la masse des ingénieurs que l’on présente maintenant. Les ingénieurs software On a procédé à une seconde analyse de correspondances multivariée et à une nouvelle classification hiérarchique ascendante (CHA) des informaticiens interrogés en excluant le groupe des techniciens (hardware, system, network et bureautique). Il en résulte une CHA en quatre clusters centrés sur les ingénieurs software que l’on présente ci-dessous. On laisse de côté l’analyse factorielle qui est redondante avec celle menée précédemment. Le premier cluster des ingénieurs software rassemble 57 % de la population retenue pour cette analyse. La durée moyenne d’expérience professionnelle est de 5 ans. Les individus de ce groupe se concentrent dans les tranches d’expérience 3-5 ans et 5-10 ans. Les clusters 2 et 3 rassemblent respectivement 18 % et 9 % de la population et ils se caractérisent par des durées d’expérience de travail supérieures, soit en moyenne 8,9 ans pour le cluster 3 et 11,5 ans pour le cluster 2. Enfin les individus du quatrième cluster, 16 % de la population de la CHA, se distinguent par une expérience professionnelle assez faible centrée sur les durées inférieures à 3 ans pour la moitié d’entre eux. Les groupes qui se dégagent de la CHA distinguent également des écarts de salaires assez nets : moins de 3 lakhs annuels pour le cluster 4, de 3-8 lakhs pour 100 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE le cluster 1, plus de 10 lakhs pour le cluster 2 ; enfin, le cluster 3 n’est pas représenté par une tranche de salaire précise, mais par une sous-représentation des tranches inférieures à 6 lakhs. Cette partition permet de dégager une typologie assez claire des informaticiens. a) Les web développeurs sont tous dans le cluster 4 ; les ingénieurs-tests sont présents à part sensiblement égale dans le cluster 4 (50 % d’entre eux) et dans le cluster 1 (47 %). On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit d’emplois de début de carrière. b) Les software développeurs sont plutôt groupés dans le cluster 1 mais chevauchent aussi le cluster 4 ; il s’agit d’emplois d’entrée et de milieu de carrière. c) Les software analystes sont centrés sur le cluster 4, et correspondent à des emplois de milieu et de fin de carrière. d) Les projects managers sont centrés sur le cluster 2 et chevauchent le cluster 1 ; ils correspondent à des emplois de fin de carrière. e) Le pôle qualité/analyste d’affaire/marketing est entièrement inclus dans le cluster 3. Il ne s’agit pas d’emplois de début de carrière et sans doute de fin de carrière. f) Les métiers d’administration de base de données et de support post-développement sont dispersés dans les quatre clusters, aussi on peut se demander s’il s’agit de parcours professionnels singuliers ou non. Cette typologie fondée sur la CHA dessine ainsi un arc de carrière assez intuitif : les informaticiens évoluent successivement d’emplois d’ingénierie technique à des métiers plus conceptuels avant de passer en fin de carrière à des fonctions de manager. D’autres caractéristiques de ces ingénieurs émergent encore de cette typologie. Dans l’ensemble de la population enquêtée, 27 % déclarent avoir travaillé à l’étranger, seuls pour 77 % d’entre eux, et pour des durées variant entre 3 et 24 mois pour 82 % d’entre eux, la durée moyenne des séjours s’établissant à 13 mois (tableaux 28-32). Les destinations de travail à l’étranger sont réparties en quatre zones géographiques : les États-Unis sont le premier pays d’accueil des informaticiens indiens (32 % des personnes interrogées), suivis par le Royaume Uni et l’Europe (dans laquelle on a inclus Israël) à parts égales pour 19 %, puis Singapour avec 15 % des individus, l’Afrique du Sud et les Émirats apparaissent comme des zones de services des TIC de plus faible importance pour l’Inde, soit respectivement 7 % et 5 % des séjours à l’étranger. Les informaticiens ayant eu – ENCADRÉ 29 : UN PARCOURS VIA LE BODY SHOPPING ET L’OFFSHORE – La trajectoire professionnelle de Prashanth illustre un parcours très courant, dans les années 1990, lorsque le marché du travail des informaticiens était en phase de démarrage. On observe dans ce récit la conjonction de formations techniques très ouvertes ouvrant sur des emplois plus ou moins temporaires selon un mode de recrutement que l’on nomme en anglais body shopping (Xian Bao 2007). Selon ce type de régulation du marché du travail, des offices de placement (body shops), en Inde, recrutent des ingénieurs ou des techniciens qualifiés qui sont envoyés en équipe à l’étranger (États-Unis, Europe, Australie notamment) pour travailler chez les clients (on-site) sur des projets spécifiques. Une fois les tâches contractuelles accomplies, ces ingénieurs sont soit déplacés sur d’autres projets, dans le même pays ou dans un autre, soit mis en attente (on bench, littéralement sur le banc) avant d’être affectés à d’autres tâches. Cette manière de s’adapter au plus près des conditions de volatilité de ce marché du travail engage des relations économiques et sociales très inégalitaires entre les différents acteurs présents sur ce type de marché, et entre les pays prestataires de services (l’Inde) et les pays qui offrent ce type d’opportunités de travail. Prashanth est né en 1971 dans une famille de brahmane de la petite classe moyenne urbaine du Karnataka : son père, aujourd’hui décédé, avait fait des études jusqu’en classe de première mais était devenu pilote dans l’armée de l’air, tandis que sa mère, femme au foyer, a une licence de lettres (BA). Prashanth a fait des études secondaires moyennes. Il obtient un score de 56/100 en fin de classe XII (terminale), en 1988, et son rang au concours d’entrée dans les écoles publiques d’ingénieurs (Common Entrance Test) de l’état du Karnataka le disqualifie pour intégrer l’un des rares Engineering Colleges de l’état : il se classe 6 000 pour environ 5 000 sièges que convoitent aussi des étudiants des états voisins. Il étudie alors dans un bon collège universitaire de Bangalore (St Joseph College) où il obtient en 1991 une licence renforcée de sciences, en électronique (BSc Honour, electronics), avec une option en électronique digitale. Les emplois d’informaticiens sont encore rares au début des années 1990. Après plus d’un an de chômage, il entre, par l’entremise d’une relation de son père, dans une société qui fait de la réparation et maintenance de matériel (hardware) à Bangalore. Pendant les trois premiers mois, il se forme sur le tas sans recevoir de salaire. Parallèlement, il s’inscrit en cours privé chez Aptech (entreprise de formation permanente en informa- tique, classée aujourd’hui seconde en chiffre d’affaires derrière NIIT) dans une formation diplômante (Post Graduate Diploma) en Computer Application. Son père a fait un emprunt pour payer le coût de cette formation qui représente deux mois et demi de son salaire modeste. Prashanth obtient son diplôme en 1994, il est placé par Aptech comme programmeur dans une société de services. La société est spécialisée dans la mise au point de logiciels de gestion de marchandises pour des PME. Il travaille cinq ans dans cette entreprise, fait un séjour de six mois à Singapour et il devient senior analyst. En 1999, par l’intermédiaire d’un ancien employé de sa société, Prashanth a l’opportunité de partir aux États-Unis où les ingénieurs indiens sont très demandés pour résoudre les problèmes informatiques anticipés par le passage à l’an 2000 (bug de « Y2K » dans le jargon anglo-saxon). Il travaille aux États-Unis pendant deux ans, enchaînant les contrats de trois à six mois, et même d’une année. De retour à Bangalore en 2002, il lui faut trois mois pour se réadapter et trois autres mois pour retrouver un emploi. Prashanth, qui entre temps a appris le langage de programmation Java, entre dans une petite entreprise indienne placée à la fois sur le marché des TIC et sur celui du BPO. Puis cette société est rachetée par Accenture. Prashanth conserve son emploi et il a l’occasion de faire un court séjour aux États-Unis chez un client d’Accenture. Mais très vite, il est déçu par la confusion qui règne dans l’organisation du travail et par l’absence de plan de carrière. Prashanth quitte Accenture après un an et trouve un nouvel emploi dans une start-up indienne dont les fondateurs se révèlent être des escrocs. La société débauche rapidement une grande partie de ces informaticiens, il n’échappe pas au licenciement. Maintenant marié, Prashanth souhaite repartir travailler aux États-Unis mais en compagnie de sa femme. Les conditions de départ sont devenues plus strictes au milieu des années 2000. Pour obtenir un visa délivré au consulat américain à Chennai (maintenant à quatre heures de route de Bangalore), il faut passer par un premier intermédiaire censé recruter des ingénieurs pour son entreprise aux États-Unis. Celui-ci prend une commission fixe pour obtenir le visa d’entrée, mais il ne garantit aucun emploi. Prashanth n’a obtenu son visa qu’au bout de huit mois. De leur côté, les entreprises américaines ne procèdent à aucun recrutement direct dont elles jugent les procédures trop lourdes et trop coûteuses. Elles délèguent ce travail à des agents recruteurs indiens qui opèrent sur le sol américain. C’est donc par l’entremise d’un second intermé- APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 101 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE diaire que doit passer Prashanth à son arrivée aux États-Unis. Après être resté une vingtaine de jours « on the bench », il est enfin placé dans une entreprise qui fait du commerce en ligne. Les conditions de travail sont négociées par cet agent qui prélève son pourcentage et verse son salaire à Prashanth sans que ce dernier connaisse les termes du contrat passé avec l’entreprise américaine. Même les augmentations de salaire se décident entre l’employé et l’agent recruteur. En 20052009, le salaire horaire reçu par Prashanth a varié entre 40$ et 50$ selon la conjoncture, ce qui lui assurait des revenus environ deux fois supérieurs à ceux qu’il recevait à Bangalore. La récession de 2009 a conduit Prashanth à rentrer sur Bangalore tout en continuant de travailler pour la même entreprise américaine de commerce en ligne. Les négociations passent cette fois par un agent indien opérant en Inde. En 2010, Prashanth a négocié un salaire horaire de 23$. Il n’a signé aucun contrat ni avec cet intermédiaire, ni avec l’entreprise américaine, mais il suppose que cet intermédiaire peut avoir un accord écrit avec l’entreprise ; il n’est certain de rien cependant. Entre Prashanth et son agent recruteur dont la raison sociale est une coquille vide, tout est affaire de parole, de confiance. (Entretien réalisé à Bangalore, le 6 octobre 2010) – Tableau 28 – Part des employés ayant travaillé hors de l’Inde – Tableau 31 – Pays de destination % Nb % Oui 133 27 Amérique du Nord 32 Non 367 73 Royaume Uni 19 Total 500 100 Reste Europe (y.c. Israël) 19 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 Émirats arabes unis Extrême-Orient (Singapore) – Tableau 29 – Durée des séjours de travail à l’étranger Nb < 3mois % 8 6 3 - 6 mois 39 29 6 mois - 1 an 37 28 1 - 2 ans 33 25 > 2 ans 16 12 133 100 Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 30 – Situation à l’étranger Seul En famille Total Nb % 102 77 31 23 133 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 102 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 5 15 Afrique du Sud 7 Autres 3 Total 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 l’occasion de travailler à l’étranger (81 % de l’ensemble de l’échantillon, 59 % déclarant avoir un contact fréquent) sont surreprésentés dans le cluster 2, sous-représentés dans le cluster 1 et absents du quatrième cluster. Il semble donc que seuls les informaticiens expérimentés soient envoyés à l’étranger. Le résultat est similaire, bien que moins marqué, s’agissant des informaticiens côtoyant simplement des clients étrangers dans le cadre de leur travail qui sont sous-représentés dans le cluster 4 et surreprésentés dans le second. Concernant les formations professionnelles en emploi, la proportion d’ingénieurs qui ont effectué une formation professionnelle est identique dans chaque cluster mais le type de formation diffère. Il s’agit de formations en system software centrées sur le premier cluster mais également présente dans le quatrième, et de formations en langage informatique, réparties dans les premier et deuxième clusters, destinées vraisemblablement à des ingénieurs plus qualifiés. Les formations en management concernent de manière attendue les individus des deuxième et troisième clusters. Enfin, les formations en application software et communication sont également réparties et concernent donc aussi les métiers plus techniques. l – Tableau 32 – Fréquence du travail avec des étrangers Nb % Jamais 95 19 Quelques fois 73 15 Rarement 35 7 Fréquemment 297 59 Total 500 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 –7.6 LA QUESTION DES DIPLÔMES– La relation observée au sein de chaque cluster de la CHS entre le niveau de qualification scolaire (diplômes), le type d’emploi et l’ancienneté d’expérience professionnelle dans le secteur informatique soulève des questions auxquelles il est difficile de répondre de manière assurée. L’incertitude tient à la fois à la faiblesse de l’échantillon, au manque de précision des réponses à l’enquête autant qu’à la complexité des situations dans ce secteur. On note que nombre d’individus en début de carrière sont titulaires d’un diplôme universitaire de premier cycle, c’est-à-dire d’une licence, il s’agit d’un BSc ou d’un BTech, tandis que les ingénieurs en milieu de carrière sont quasiment tous en possession d’un diplôme de deuxième cycle, d’un master, soit d’un MTech ou d’un MCA, ou de l’équivalent d’un MBA (il s’agit en fait d’un PGDM). Si on fait l’hypothèse d’une progression des carrières et non d’une fermeture des différents niveaux d’emplois, l’apparition d’un diplôme supplémentaire dans une tranche d’âge particulière d’ingénieurs suggère deux sous-hypothèses : il s’agit d’un diplôme acquis soit parallèlement à l’activité salariée, soit après une interruption momentanée de travail. Pour tester ces hypothèses, on a mesuré le temps de latence entre l’obtention d’un diplôme de licence et celui d’un master (soit deux années pour un PGDM et trois années pour un MCA). Ainsi 73 % des personnes interrogées ont obtenu un diplôme en management (PGDM) au minimum quatre ans après une licence, et 42 % un MCA au minimum après cinq ans. À quoi correspond l’acquisition de ce diplôme ? Les entreprises encouragent-elles des managers ou des ingénieurs à passer un PGDM ou un MCA en guise de formation ou, au contraire, ces diplômes de second cycle sont-ils des moyens d’ascension professionnelle pour occuper des postes de managers ou d’ingénieurs plus qualifiés, dans une stratégie de promotion ou de changement d’emploi ? Il semble que ce soit la seconde raison qui prévale puisque la moitié des titulaires de PGDM (50 %) ne sont encore employés, ni dans les fonctions managériales, ni dans l’analyse d’affaire, ni dans le marketing. Ils sont donc en attente d’une promotion ou d’un nouveau poste. La surreprésentation des diplômes hors spécialités On a noté précédemment que les titulaires de licences ne concernant pas l’informatique non-professionnelles, soit licence de lettres (BA), de commerce (BCom) ou de sciences (BSc), étaient surreprésentés parmi les ingénieurs informaticiens. Si l’on compare les qualifications scolaires de l’ensemble de la population ayant une durée d’activité professionnelle supérieure ou inférieure à cinq ans, il apparaît que la proportion totale du groupe des titulaires d’un BCom, d’un BA et de ceux qui ne disposent d’aucune licence a été divisée par deux au cours des cinq dernières années. Cette tendance est encore plus saillante parmi les informaticiens titulaires seulement d’une licence, qui constituent la masse des ingénieurs software présentement sur le marché des TIC. La proportion des titulaires de licences non-spécialisées a été diminuée par trois dans les cinq années 20002005 Tout se passe comme si dans la tranche des informaticiens ayant moins de cinq ans d’expérience, les informaticiens issus de formations non-spécialisées avaient été remplacés, au moins en termes de proportion, par des BTech. La question est alors de comprendre pourquoi cette catégorie d’informaticiens APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 103 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – ENCADRÉ 30 : UN PARCOURS ORDINAIRE DE IT ANALYST – Nitin, jeune marié de trente ans aux allures juvéniles, est originaire d’un village situé à trois cents kilomètres au nord de Delhi, dans l’état de l’Uttar Pradesh. Bien que la famille soit de confession jain, le père de Nitin est paysan, une occupation rare chez les jain dont le principe de non-violence (ne tuer aucun être vivant), les conduit plutôt vers des activités intellectuelles. D’ailleurs, les oncles et les cousins travaillent quasiment tous dans des activités de services, et beaucoup sont ingénieurs dans le secteur des TIC, certains diplômés d’un IIT. Nitin a étudié dans son village jusqu’en classe de 4e (classe VIII) avant de poursuivre ses études dans une école secondaire de Ghaziabad, agglomération de plus de deux millions d’habitants englobée dans la conurbation de Delhi, et où réside et travaille son frère, un ingénieur mécanique. Les résultats scolaires de Nitin ne sont pas mauvais (il obtient 75/100 en fin de terminale, classe XII), mais il doit prendre une année de cours privés, après la fin de ses études secondaires, pour préparer l’examen national d’entrée dans les écoles d’ingénieurs (AIEEE) qu’il présente en 2003, se classant au 2400e rang. Prenant ses distances avec sa famille qui voulait le voir rester dans la région de Delhi, il s’inscrit dans l’école d’ingénieurs de la Sathyabama University, une université privée (Deemed University) localisée à Chennai, capitale de l’état du Tamil Nadu. La première année est difficile. Nitin n’est pas familier avec l’Inde du sud, il parle le hindi mais ne comprend pas le tamoul et maîtrise mal l’anglais, les deux langues dans lesquels les cours sont dispensés. En outre, il n’a jamais utilisé un ordinateur avant de rejoindre son école. Mais il profite des cours de remise à niveau dispensés en première année, et il s’intègre parfaitement en seconde année. Il n’a d’autre choix que de travailler pour réussir. Les frais de scolarité et de logement se montent à environ 100000 Rs par an, il ne peut pas changer d’école en cours de scolarité, et ne peut donc échouer sans mettre en défaut le soutien familial dont il bénéficie. À la fin de sa troisième année, lorsque les recrutements se profilent, Nitin rêve d’être embauché par l’une des deux sociétés de services, TCS ou Cognizant. Mais en 2006, TCS exclut la Sathyabama University de son panel de recrutement, et Nitin échoue aux tests de d’embauche de Wipro, de Cognizant, d’Infosys et de MindTree. Finalement, il passe avec succès les épreuves de sélection du cinquième recruteur, HCL Technologies, entreprise qu’il intègre l’année suivante comme « jeune diplômé » (fresher), son grade de BTech en poche. Les 104 quelques huit cents ingénieurs recrutés par HCL cette même année suivent trois mois de formation spécifique à Chennai, en collaboration avec le Sri Shiv Nadar Engineering College ouvert par l’un des fondateurs de HCL (Encadré 16). Les affectations dans une filière technologique se font d’office, sans égard pour la formation de base, en fonction des seuls résultats obtenus aux tests techniques. Nitin est placé sur la plateforme technologique DotNet de Microsoft pour lequel HCL travaille. Sa période de formation en interne achevée, il est envoyé pour un mois dans une unité de HCL à Hyderabad (capitale de l’état de l’Andhra Pradesh) où il travaille directement pour Microsoft qui a son centre de recherches dans cette ville. Puis Nitin rejoint un centre HCL à Noida (Uttar Pradesh), dans la banlieue de Delhi, se rapprochant ainsi de sa famille. Son salaire annuel d’embauche, en 2007, est de 2,5 lakhs de roupies et atteint 2,75 lakhs un an plus tard, soit environ 20-23000 Rs par mois. C’est le salaire d’embauche moyen de cette main d’œuvre qualifiée dans le secteur des TIC. Pour comparaison, un instituteur dans une école publique débute avec un salaire mensuel variant entre 10 000 et 15 000 roupies selon les états. Après deux ans et demi passées chez HCL, Nitin, insatisfait de son salaire, répond à une offre de TCS qui recrute des spécialistes de la technologie DotNet. Il passe avec succès deux tests techniques et deux entretiens, l’un avec un manager d’équipe, l’autre avec un responsable des relations humaines et il est finalement recruté en octobre 2009 avec un salaire de 3,95 lakhs de roupies. Mais après un an chez TCS son salaire grimpe à 5,2 lakhs, soit 43 000 roupies par mois. Quatre ans après la sortie de l’école, le jeune software ingénieur a doublé son salaire, et il est promu « IT Analyst ». Du point de vue technique, il estime cependant que ses tâches n’ont pas beaucoup changé, mais il a plus de responsabilités car il est « team lead » en second, co-gérant une équipe de sept à huit software ingénieurs au sein d’un gros projet. La prochaine étape sera de passer du côté des « consultants » techniques, fonction qui ouvre sur un nouveau parcours professionnel menant aux postes de cadres (dans l’acception française du terme), ce qu’il n’est pas. Mais à moyen terme, l’objectif de Nitin est de partir travailler aux États-Unis pour TCS, un rêve qu’il espère réaliser d’ici un à deux ans. (Entretien réalisé à Delhi, le 18 mars 2012) APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – Tableau 33 – Distribution des informaticiens selon l’ancienneté dans l’occupation et le type de diplôme (en %) Expérience BA, BCom BSc BTech MSc MCA, Master Computer Application PGDM BTech, MTech, PGDM Total < 5 ans 4,8 12,0 56,4 6,0 14,4 2,0 4,4 100,0 > 5 ans 11,4 9,7 35,4 5,7 19,9 8,9 8,9 100,0 8,1 10,9 46,0 5,8 17,1 5,4 6,7 100,0 Total (n=496) Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 34 – Distribution des informaticiens titulaires d’un BA ou d’un BCom selon l’ancienneté dans l’occupation et le type d’emploi technique (en %) Expérience Data Base, Network, système, support technique hardware Analystes software Développeurs, ingénieurs test Management Total < 5 ans 13,3 17,1 11,7 55,8 2,1 100,0 < 5 ans 13,0 13,0 20,9 19,7 33,5 100,0 Total (n=479) 13,2 15,0 16,3 37,8 17,7 100,0 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 non-spécialistes est relativement surreprésentée parmi les fractions des individus occupant des postes d’ingénieurs les plus âgés, les plus expérimentés et les mieux payés, c’est-à-dire parmi ceux qui sont aussi dans des postes de responsabilités ? Pour répondre à cette interrogation, on a comparé la proportion des informaticiens titulaires d’un diplôme non-spécailisé (BA/BCom) parmi les employés qui ont moins de cinq ans d’expérience et ceux qui en ont plus de cinq, en distinguant cinq groupes de métiers de l’informatique : les métiers relatifs aux bases de données et aux supports software, les techniciens (network, system, hardware), les ingénieurs conceptuels (software analystes), l’ingénierie software technique (test, web et software développeurs), et enfin les métiers du management (tableaux 33 et 34). Parmi les informaticiens les plus expérimentés (5 ans et plus d’activité), les individus « non spécialisés » sont employés dans les mêmes métiers que les autres, ils sont même légèrement moins représentés parmi les métiers de management où on les attendrait. En revanche, parmi les informaticiens les moins expérimentés (moins de 5 ans d’activité), les individus les moins spécialisés sont employés majoritairement dans des tâches d’encadrement technique (network, hardware par exemple) et pas du tout dans les métiers de management. Tout se passe comme si les individus de ce groupe constituaient aujourd’hui une main-d’œuvre de réserve à même de pourvoir les emplois les moins qualifiés du secteur des TIC. On peut préciser les qualifications scolaires de ces informaticiens non-spécialistes en étudiant les notes qu’ils ont obtenues à leur diplôme de licence. Cette information est fournie sans difficulté car c’est l’un des critères de sélection qu’utilisent les sociétés informatiques lorsqu’elles recrutent leurs employés. Comparés aux titulaires d’un BTech, les notes obtenues par ce groupe d’informaticiens sont inférieures en moyenne de 10 points, pour ceux qui ont moins de cinq ans d’expérience. Et ces notes sont encore inférieures de huit points pour ceux qui ont plus de cinq ans d’activité dans le secteur des TIC. En outre, les informaticiens moins diplômés ayant plus de cinq ans d’expérience n’avaient pas plus que les autres d’expérience accumulée dans le secteur des TIC lors de leur recrutement présent. Dans tous les cas, ce ne sont donc pas leur formation académique ou d’hypothétiques compétences techniques acquises lors d’une activité professionnelle qui ont déterminé l’embauche de ces informaticiens. Évolution du marché du travail 2000-2010 Il faut alors faire l’hypothèse que le recrutement, pour ce groupe d’informaticiens, « par défaut » de compétences professionnelles spécifiques est le résultat APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 105 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – Tableau 35 – Type de diplôme des informaticiens selon leur expérience dans le secteur des TIC (en %) Expérience Computer Sc Elect & Comm Inf Techn Mechanics Sciences Autres Total < 5 ans 38 27 19 4 7 5 100 > 5 ans 29 19 6 10 20 16 100 Total 34 23 13 7 13 10 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 36 – Part du recrutement sur campus selon le type de diplômes (en %) Recrutement sur campus BTech BSc BCom Total < 5 ans d’expérience 69 28 3 100 > 5 ans d’expérience 50 39 11 100 Total 63 31 6 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 d’une inadéquation du marché du travail, dans les années 2000, entre la demande des sociétés et l’offre d’étudiants qualifiés. Plusieurs indices soutiennent cette hypothèse. Le tableau 35 indique la répartition des individus enquêtés selon leur discipline dominante (dite « majeure ») pour les deux groupes d’employés ayant moins et plus de cinq ans d’expérience professionnelle dans le secteur des TIC. Dans les dix dernières années, les données attestent d’un recrutement plus professionnalisé des informaticiens. La part des individus diplômés dans l’une des trois disciplines reines des TIC, Computer Science, Electronics & Communication, et Information Technology, passe de 54 % à 84 % entre les deux groupes d’employés, tandis que celle des diplômés en mécanique, science pure et autres (commerce et humanités) diminue de manière très nette. Dans les dix dernières années, il y a donc eu clairement une transition dans le recrutement des informaticiens d’une population peu qualifiée du point de vue technologique à une population formée spécifiquement aux TIC. Si l’on examine maintenant la proportion d’individus qui ont été recrutés pour leur premier emploi directement sur le campus de leur université, et dont on peut supposer que leur spécialisation intéressait directement les sociétés d’informatique, deux éléments sont à noter. Globalement, la proportion d’étudiants recrutés sur campus double dans les dix dernières années, passant de 22 % pour le groupe ayant plus de cinq 106 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE ans d’expérience à 47 % pour les informaticiens ayant moins de cinq ans d’ancienneté dans le métier. Cette évolution affecte uniquement les titulaires d’une licence d’ingénierie (BTech), leur part recrutée sur campus passant de 50 % à 69 %. Il semble donc y avoir eu une convergence des formations proposées par les écoles d’ingénieurs et des besoins du secteur des TIC : d’une part, les écoles d’ingénieurs ont connu un développement sans précédent au cours des années 2000, deuxièmement, la proportion des étudiants formés à l’informatique a donc mécaniquement augmenté, enfin, troisièmement, les entreprises ont systématisé le recrutement de ces étudiants sur les campus, comme on l’a noté pour les plus grandes sociétés comme TCS, Infosys et Wipro. Il y a donc eu de la part des entreprises du secteur des TIC une transition d’un recrutement faible et non ciblé à un recrutement massif et ciblé. Ce changement explique que les grandes sociétés aient été amenées à formaliser leurs procédures de recrutement de masse. La distribution des informaticiens titulaires d’un BTech selon le nombre d’années d’expérience professionnelle confirme que les sociétés de services informatiques ont eu progressivement recours, depuis le début des années 2000, à la masse des diplômés BTech (ou BEng) qui sortent des Colleges of engineering (tableau 37). La proportion d’informaticiens qualifiés issus des formations ad hoc passe progressivement d’un peu plus d’un tiers (33 %) des individus dans la tranche des plus de dix ans d’expérience, à moins de la moitié (48 %) dans la tranche des 5-10 ans, et atteint environ 60 % des employés pour les tranches inférieures à cinq ans d’expérience professionnelle. Qualification scolaire et emploi : le cas des BTech Deux raisons justifient que l’on étudie les relations entre qualification scolaire et emploi des diplômés d’un BTech. D’abord, ces derniers ont le profil acadé- – ENCADRÉ 31 : « NOUS NE SOMMES PAS LA CLASSE OUVRIÈRE » – Rajiv, âgé d’une quarantaine d’années, travaille depuis quatorze ans chez Tata Consultancy Services (TCS, voir Encadré 14) où il est aujourd’hui delivery manager dans une unité située à Gurgaon, au sud de Delhi. Il est originaire de Saharanpur, une ville populeuse de la plaine du Gange, au nord-ouest de l’état de l’Uttar Pradesh, qui compte aujourd’hui 700 000 habitants et est issu d’une famille de confession jain dont les membres occupent des professions intellectuelles ou sont engagés dans des activités de service (ingénierie et secteur des TIC notamment). Ses deux parents étaient enseignants, professeur et directeur d’un lycée (higher secondary school) à Saharanpur où Rajiv a fait ses études secondaires. Au début des années 1990, il y avait seulement neuf écoles publiques d’ingénieurs dans cet état le plus peuplé du nord de l’Inde (il y en a aujourd’hui plus de deux cents). En 1993, Rajiv entre à la faculté d’ingénierie de l’Université Deen Dayal Upadhyay de Gorakhpur dont il est licencié en mécanique (BEng Mechanical) en 1997. Selon une stratégie de mobilité scolaire ascendante tout à fait caractéristique du système d’enseignement supérieur technologique, ses bons résultats en licence lui permettent d’intégrer le IIT de Kanpur, dans l’état de l’Uttar Pradesh, au niveau de la maîtrise et, en 1999, il obtient un master en management industriel de cette grande école d’ingénieur. Cette même année, il est recruté par TCS lors d’une campagne de recrutement menée par cette SSII sur le campus du IITKanpur. D’abord, il suit une formation interne d’une durée de deux mois au centre TCS situé à Thiruvananthapuram (ex Trivandrum), capitale de l’état du Kérala. « Dans les écoles d’ingénieur, on reçoit uniquement les bases d’un enseignement technique. Dans cette formation, on apprend à analyser les demandes du client, comment exécuter un projet, comment concevoir un software, le construire, le développer, toutes ces choses purement professionnelles. Puis, à côté, on reçoit aussi une formation pour les ‘soft skills’, comment faire une présentation devant le client, comment se comporter, tout cela on ne l’apprend pas dans les écoles. » Rajiv est ensuite envoyé comme fresher dans un centre TCS de Mumbai où il débute comme développeur. Chez TCS comme dans toutes les sociétés du secteur des TIC, il faut faire la distinction entre les occupations techniques des employés (leur rôle) et leur titre dans l’entreprise, leur rang hiérarchique (désignation) qui est mentionné sur leur feuille de paye et auquel est indexé leur salaire. La désignation renseigne sur l’ancienneté de l’employé dans la société mais elle ne dit rien de son occupation réelle car une même désignation, par exemple comme manager, consultant, ingénieur software, recouvre des activités professionnelles diverses. Ce nouvel entrant fraîchement diplômé de son école commence comme ingénieur software auquel sont assignées deux occupations élémentaires, celle de développeur et celle de testeur, avant de devenir analyste et architecte. « Les développeurs, ce sont ceux qui écrivent les codes ; en fait, le travail est fait surtout par les développeurs et les testeurs. Après, on peut devenir analyste et architecte au sein d’une équipe. Ceuxlà, ils n’écrivent pas les codes, mais ils les préparent, ils les conçoivent. Je suis resté développeur pendant deux à trois ans, ce qui est normal, puis je suis devenu team lead, et finalement manager. Mais il m’a fallu huit ans de travail pour devenir manager » nous confie Rajiv. « Aujourd’hui [mars 2012], je suis delivery manager, c’est-à-dire que je m’occupe du suivi du projet auprès du client, jusqu’au moment où le produit est livré et mis en place, je fais aussi le suivi financier du projet. » Cependant, dans la pratique, la distinction des rôles n’est pas toujours très nette. Les rôles sont flexibles. Le team lead est désigné par le manager du projet auprès de qui il rapporte de l’état d’avancement du travail et des difficultés rencontrées. En général, le chef d’équipe est lui-même un développeur sur le projet qui est assigné à l’équipe. « Chez TCS, un manager ne s’occupe pas de plus de cinq à six projets en même temps. La taille de l’équipe dépend naturellement de l’importance du projet, la taille moyenne est de dix à douze ingénieurs, au maximum de vingt à trente personnes. Au-delà, c’est vraiment rare. » La flexibilité technique des tâches est un élément de la flexibilité générale de l’organisation du travail. Les ingénieurs informaticiens, dans ces SSII, sont très sensibles à cette relative liberté d’organisation de leur temps de travail. Chez TCS, les horaires officiels sont « 9h-18h, avec une heure pour le repas, donc 8h de travail [l’heure de repas n’est pas toujours ainsi décomptée]. Mais c’est flexible, vous pouvez venir plus tôt ou plus tard, si vous le souhaitez. La seule contrainte, c’est que le projet soit terminé comme prévu, c’est cela qui est important. Parfois, si c’est nécessaire, on travaille le samedi et le dimanche, mais sans compensation financière. Parfois on travaille plus, parfois on travaille moins. Si on fait beaucoup d’extra, on peut APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 107 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE récupérer, c’est une question d’arrangement interne. Mais les heures supplémentaires ne sont pas payées. Nous ne sommes pas la classe ouvrière » souligne Rajiv qui marque la distance qui distingue cette classe de service du secteur privé non seulement de la classe ouvrière, mais aussi des employés de bureau du secteur public dont ils sont souvent issus par leurs origines familiales. Le changement de désignation correspond à une promotion qui est planifiée en gros tous les trois ans au terme d’un processus d’évaluation très régulier mené par les délégués aux ressources humaines (DRH). La promotion se fait sur proposition du manager qui supervise les équipes. « On reçoit une note, et si on vous attribue deux A (AA) alors vous êtes bon pour une promotion ; en gros il n’y a que 10 % des employés d’une équipe qui sont classés A ; 30 % reçoivent un B, 40 % un C et le reste un D ; ils sont obligés de mettre des D, il y a une forte pression en ce sens. » Le salaire comporte une part fixe de 60 % et une part flexible de 40 % liée aux résultats ; cette part n’est pas négociable. « Les freshers, développeurs, testeurs, gagnent de 3,5 à 4 lakhs de roupies par an ; les analystes et les petits cadres, ce sera autour de 6 lakhs, et puis ensuite pour les managers de rang moyen de 15 à 18 lakhs. Disons, que 80 % des employés sont dans ces trois groupes de salaires. » Les revenus relativement élevés de ces fractions d’ingénieurs employés dans des secteurs de pointe, et les modes de vie que ces revenus permettent, différencient doublement ce groupe. Cette classe de service s’oppose, d’une part, à la masse de la population rurale, aux ouvriers précaires ou salariés, aux petits commerçants indépendants et aux employés mal payés des services publiques mais, d’autre part, elle ne se reconnaît pas dans les fractions des élites politiques ou économiques dont chacun sait que l’opulence que ces groupes affichent est souvent liée à une grande corruption. Aussi, les milieux ingénieurs du secteur des TIC sont très présents dans le mouvement anticorruption qui anime la société civile depuis quelques années. C’est vrai, reconnaît Rajiv « que le milieu des TIC n’est pas très engagé politiquement, mais il y a beaucoup de discussion chez TCS à propos de la corruption et du mouvement qui s’est développé, on a fait partie de ceux qui l’ont soutenu. » (Entretien réalisé à Delhi le 10 mars 2012) mique type des informaticiens actuels, dont ils représentent 53 % de la population ; ensuite, leur sur-sélection par les entreprises, conjointement à la diminution de la part des autres types de diplômes dans la population enquêtée, indique que ce sont bien les BTech qui ont le profil académique le plus proche des besoins des entreprises du secteur des TIC. D’un point de vue pratique, un BTech assure le même niveau de qualification, voire un niveau supérieur, à un titulaire d’un MCA dont la formation est plus longue d’une année (3 ans de BCA + 3 ans de MCA contre 4 ans de BTech). – Tableau 37 – Titulaires d’un BTech selon l’ancienneté professionnelle (%) Expérience < 1,5 ans 1,5 à 3 ans Titulaire d’un BTech oui 58 non 42 61 39 Total 100 100 3 à 5 ans 63 37 100 5 à 10 ans 48 52 100 > 10 ans 37 63 100 Total 53 47 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 108 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE On a croisé la répartition des enquêtés selon les métiers de l’informatique et les qualifications scolaires pour les trois majeures : Computer Science, Electronics & Communication, et Information Technology (tableau 38). Quelle que soit la spécialisation d’origine, les ingénieurs informaticiens sont recrutés massivement pour les fonctions de software développeurs, et aucune structure de dépendance ne se dégage entre la formation et la fonction occupée. Il semble que les spécificités de l’enseignement de BTech, pour les trois majeures du secteur des TIC, aient peu d’influence sur leur emploi. Un ingénieur formé en Electronics & Communication se voit dispenser très peu d’heures de cours de programmation, voire aucune. Il est donc surprenant d’observer que plus de la moitié d’entre eux (52 %) occupent des postes d’analystes (15 %) et de développeurs (37 %). Si les entreprises recrutent de plus en plus de BTech, il ne semble pas que ce soit en raison de la qualité de leur formation spécifique puisque le recrutement est indépendant de la formation des jeunes ingénieurs. Jusqu’en 2005 au moins, le recrutement des entreprises semblent indépendant de la spécialisation des ingénieurs. l –7.7 LES INFORMATICIENS COMME NOUVELLE FRACTION DES CLASSES MOYENNES URBAINES– – Tableau 38 – Répartition des informaticiens selon leur spécialisation et le type d’emploi (en %) Métiers Computer Sc Database, techniciens Electronics & Com Information Tech Total 13 10 15 12 Network, système 4 17 15 12 Software analystes 17 15 15 16 Software développeurs 49 37 46 43 Test, web 17 21 9 17 100 100 100 100 Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 Pour terminer ce chapitre, on présentera quelques données recueillies lors de l’enquête sur le profil sociodémographique de cette population des informaticiens indiens. Les indicateurs fournissent une image assez attendue, en mettant en lumière les caractéristiques de ces nouvelles couches des classes moyennes supérieures indiennes. Il s’agit d’abord d’une population urbaine pour plus de la moitié des individus, soit 55 % d’entre eux (tableau 39). Cependant, un peu plus d’un tiers seulement, 37 %, sont nés dans une grande ville de plus de cinq millions d’habitants ; il s’agit le plus fréquemment de la capitale des états fédérés ou d’une grande ville de taille équivalente (tableaux 40 et 41). En outre, 38 % déclarent être originaires d’un chef-lieu de district, proportion à rapprocher des 30 % des personnes qui disent être d’origine péri-urbaine. Enfin, une fraction non négligeable des individus, de 10 % à 25 %, se classe dans le milieu rural ou semirural, celui des gros bourgs agraires dont le réseau structure les campagnes indiennes. Pour réel qu’il soit, le caractère urbain de cette population et l’effet de grande métropole doivent donc être relativisés. Cette population urbaine a été scolarisée pour une moitié (51 %) dans des établissements secondaires publics et pour l’autre (49 %) dans des écoles privées. Mais la grande majorité des personnes enquêtées ont suivi un enseignement en langue anglaise (83 %) dans la filière menant à un baccalauréat scientifique (89 %). Comme on l’a montré précédemment, la plupart des informaticiens en poste au moment de l’enquête se caractérise par des résultats scolaires très moyens. Les deux tiers des individus enquêtés, soit 64 % d’entre eux, ont des résultats compris dans la tranche 60-80 sur 100 en classe de terminale, cette proportion pour la même tranche de résultats étant de 77 % en licence d’ingénieur (BEng ou BTech). – Tableau 39 – Origine urbaine ou rurale Nb % Urbaine 273 55 Semi urbaine 147 30 76 15 496 100 Rurale Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 40 – Origine selon la taille de la ville Nb % > 5 millions h. 172 37 1 - 5 millions h. 106 22 100.000 - 1 million h. 143 30 50 11 471 100 < 100.000 h. Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 109 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – ENCADRÉ 32 : DEUX PARCOURS DE JEUNES FEMMES INGÉNIEURES – Firdhaus est née dans une famille de musulmans sunnites de Delhi, descendants du côté paternel de propriétaires terriens originaires d’un district rural assez pauvre de l’état de l’Haryana, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Delhi. Dans cette famille qu’elle dit plutôt aisée, son père, dans les années 1950, est le premier homme à être parti faire ses études à la Jamia Millia Islamia University de Delhi, une université centrale très réputée. Après avoir obtenu une licence de lettres (Bachelor of Art), il a intégré le corps de la police de Delhi où il a terminé sa carrière au grade d’Assistant Commissioner. La mère de Firdhaus est analphabète, mais elle et son mari ont encouragé leurs neufs enfants, six filles et trois garçons, à faire des études supérieures, chacun dans des domaines différents. Le père de Firdhaus, qui voulait être docteur, a encouragé sa fille à faire des études de médecine, mais celle-ci a échoué de peu au concours d’entrée et, finalement, elle a été admise à la faculté d’ingénieurs de l’université Jamia Millia dont le campus est situé près du quartier à majorité musulmane où vit la famille. « Je n’ai pas tenté le concours d’entrée dans les IIT parce que je n’étais pas au courant ; mon père qui était très occupé par son travail avait peu de temps à nous consacrer, ma mère n’a pas été à l’école. Je ne connaissais pas tout cela. Alors je suis rentré à la Jamia Millia » ditelle. À la fin de la troisième année de son BTech Electrical, elle a passé les tests de recrutement des grandes SSII et a été sélectionnée par la société Mahindra Satyam (Encadré 20). C’était en plein boom informatique de l’année 2000 et les recrutements se faisaient en masse. Mais après avoir complété son BTech l’année suivante, en 2001, elle décline l’offre qui lui a été faite, souhaitant poursuivre ses études en électronique : « Je n’ai jamais été intéressée par le secteur des TIC » confie-t-elle. En l’absence d’une offre d’études en électronique à l’université Jamia Millia, elle s’inscrit pour un master en Control Instrumentation à la faculté d’ingénieurs de l’université musulmane d’Aligarh située à 140 km au sud de Delhi, dans l’état de l’Uttar Pradesh. Toutefois, elle partage son temps entre les deux universités, d’un côté, elle suit les cours théoriques à l’université d’Aligarh et, de l’autre, elle enseigne à la Jamia Millia où elle mène aussi ses travaux pratiques dans des laboratoires mieux équipés que ceux d’Aligarh. Dans le nord de l’Inde, ces deux universités centrales qui relèvent de l’Union indienne réservent 50 % de leurs postes pour les étudiants 110 musulmans et elles sont connues pour l’excellence de leurs enseignements, la Jamia Millia ayant en outre la réputation d’offrir un environnement intellectuel plus libéral que celui d’Aligarh. Sa spécialisation en électronique ne fut pas facile, et elle a dû combler ses lacunes en suivant une formation privée du National Institute of Information Technology (voir section 5.5 ci-dessus). Firdhaus obtient finalement son master en Control Instrumentation en 2007 et elle cherche alors un emploi. Elle passe plusieurs entretiens, mais cette jeune femme dont un foulard (hijab) enserre élégamment la tête, pratique très commune en Inde, est en butte à des remarques anti-religieuses qu’elle estime déplacées. Elle trouve cependant un emploi dans une société allemande de la banlieue de Delhi, mais les conditions de travail en équipe de nuit qu’on lui impose la conduisent à quitter la société avant même de terminer son année probatoire. Elle est alors recrutée par une entreprise sud-coréenne travaillant dans le secteur des infrastructures et de l’énergie. Elle est employée comme technical database manager, en charge de gérer la documentation technique de l’entreprise. Après avoir passé une année et demie dans ce poste, elle est promue marketing manager et encadre une petite équipe de cinq personnes. Son travail consiste à faire de la prospection de marché en Inde pour trouver de nouveaux contrats et étendre les activités de la société. Cette jeune femme qui nous reçoit en tête à tête, sans aucun embarras, reconnaît qu’elle rencontre parfois des difficultés avec le personnel indien qui tolère mal l’affichage de son appartenance religieuse musulmane, mais jamais avec les cadres coréens qui sont très libéraux. « Je n’ai jamais eu de problème avec mes collègues sud-coréens, parfois avec des Indiens, oui. Mais la direction de la société est encore totalement entre les mains des Coréens, ce qui entraîne une certaine retenue de la part de mes collègues » dit-elle. Firdhaus explique qu’elle a une pratique religieuse sur son lieu de travail (prières), avec l’accord de sa direction, mais qu’il n’y a aucune interférence avec son travail, avant d’ajouter : « J’ai confiance en moi, mes performances sont meilleures que celles de mes collègues, et l’an dernier j’ai été récompensée pour mon travail, sans que ma religion fasse obstacle. Donc si mon travail donne satisfaction, je peux m’exprimer librement auprès de ma direction et expliquer les difficultés auxquelles je suis confrontée ; même mes collègues indiens l’ont compris finalement, et ils me demandent parfois de relayer leurs réclamations auprès de la direction, en raison de mes APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE performances, pas de ma religion. » Elle souhaite cependant reprendre ses études d’électronique et aimerait obtenir un doctorat, mais pour l’heure ce n’est encore qu’un projet. Minakshi est hindoue, née en 1986 dans une famille de petit entrepreneur indépendant installée à Delhi. Sa mère est sortie de l’école après la classe de seconde (Classe X) et son père est titulaire de l’équivalent du Baccalauréat (examen de fin de classe XII). Il possédait une petite papeterie avant de se lancer dans un service de courrier privé qui emploie aujourd’hui cinq personnes. La configuration familiale apparaît comme un facteur structurant les choix scolaires de Minakshi. Sans vivre réellement en famille indivise, son père partage une maison avec son frère, l’oncle paternel de Minakshi, qui est pédopsychiatre, directeur médical d’une clinique publique de l’état de Delhi. Les deux frères ont chacun deux enfants, un garçon et une fille (Minakshi est l’aînée), dont les trajectoires scolaires et professionnelles encadrent les choix assumés par Minakshi. Après avoir fait de bonnes études secondaires, il lui a fallu décider de la matière dominante d’une filière scientifique qui s’est imposée comme la voie d’excellence pour les classes de première et de terminale. Minakshi a été tentée par la biologie et les études médicales, comme son cousin, jeune chirurgien cardiologue, avant d’opter pour les mathématiques car elle souhaitait alors devenir enseignante. Mais la famille a estimé que le choix de ce métier n’était pas assez prometteur financièrement. Alors, sur les conseils de chacun, Minakshi s’est orientée vers des études d’ingénieur et d’architecte (les IIT offrent des spécialisations en architecture avec un cursus en cinq ans pour le BArch au lieu de quatre années pour un BTech). Mais les concours panindiens s’apparentent à une loterie. Minakshi n’a pas fait un bon score (classée entre les 7000e et 8000e rangs) ni au Joint Entrance Examination (JEE), ni au AIEE, concours d’entrée pour les IIT et les NIT. En revanche, elle s’est classée en bonne position (307e rang) au concours d’entrée du Netaji Subhash Institute of Technology de Delhi, école d’ingénieur équivalente à un NIT mais dont le concours d’entrée est indépendant du AIEE. En 2007, à la fin de sa troisième année d’études d’ingénieurs, Minakshi effectue un stage en France au Centre de recherches en informatique (CRI), à Fontainebleau, où elle collabore avec un doctorant, et l’année suivante, en 2008, âgée de 22 ans, elle obtient son BTech en électronique. Au terme de ses quatre années d’études d’ingénieur, Minakshi doit gagner sa vie pour aider financièrement ses parents qui ont encore à leur charge les études professionnelles (dans l’hôtellerie) du frère cadet que la sœur aînée encadre scolairement. Celle-ci doit alors décider dans quel secteur d’activité et dans quel type d’entreprise elle souhaite travailler. L’expérience familiale lui permet encore d’orienter ses choix. Sa cousine paternelle, d’une année son aînée, a elle aussi menée des études d’ingénieur, renonçant à devenir journaliste pour satisfaire aux souhaits de la famille. En 2008, cette dernière travaille alors pour la SSII Satyam (Encadré 20), à la veille de la faillite de cette société, qui allait secouer le secteur des TIC. « Depuis, elle a changé deux ou trois fois de société », dit Minakshi. « Actuellement [mai 2012], elle travaille pour une société américaine basée à Noida [dans la grande banlieue de Delhi]. Elle est ingénieure software [titulaire d’un BEng Electronics], elle développe des software en Java, je crois. Lorsque je discute avec elle, j’ai le sentiment que son travail est assez médiocre et qu’elle n’en est pas très contente. J’ai décidé alors de travailler plutôt pour une petite entreprise. » À l’occasion d’une campagne de recrutement sur le campus du Netaji Subhash Institute, Minakshi est sélectionnée puis recrutée par une start-up spécialisée dans le traitement des images, et localisée également dans la région-capitale de Delhi. Elle débute comme development engineer et travaille sur une dizaine de projets pendant un an afin de se familiariser avec les produits que la société élabore. « Ce qui est bien, dans cette société, c’est qu’on participe un peu à tous les aspects des projets, qu’il s’agisse de faire de la documentation, du test, du développement, du design, de la planification ; j’ai fait tout cela. Au début, j’avais des ingénieurs seniors comme tuteurs. Mais après, j’ai travaillé seule, et j’ai même été envoyée aux États-Unis pour suivre un projet particulier. » Le départ de Minakshi aux États-Unis a fait l’objet d’une discussion au sein de la famille. Ses parents ne tenaient pas à ce qu’elle reste dans ce pays, et elle non plus d’ailleurs. Intégrée dans une petite équipe de cinq personnes au début de son séjour, elle est restée seule presqu’une année ensuite, ayant pu obtenir un visa de travail. Mais au début de 2013, elle est revenue travailler au siège à Delhi. Elle n’a jamais éprouvé de difficulté en tant que femme dans son parcours. Malgré l’environnement familial très prégnant, elle a toujours assumé les décisions qui n’ont jamais été prises contre sa volonté. Et au sein de cette petite société où elle travaille actuellement, elle n’a jamais ressenti aucune discrimination liée au sexe. « Je ne me suis jamais sentie différente, déplacée. Dans la société où je travaille chacun est traité de manière égale, même aux États-Unis où je suis la seule femme à travailler pour cette société, je ne me sens pas discriminée ou mise de côté. » Lorsque Minakshi envisage son futur professionnel, la comparaison avec son cousin qui est devenu chirurgien entre encore APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 111 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE en ligne de compte. Celui-ci est l’homme le plus diplômé de la famille, dit-elle, il représente un modèle de réussite, d’excellence avec lequel Minakshi compare son parcours. Elle aimerait reprendre ses études, préparer un master et ensuite un doctorat en électronique, suivant ainsi l’exemple de son cousin. Ses parents l’encouragent dans cette voie, mais maintenant qu’elle travaille, ce projet est difficile à mener. Elle s’est efforcée de se maintenir dans le cadre des examens et des concours qui balisent les parcours scolaires en Inde. Elle s’est présentée trois fois au concours d’entrée des écoles de management, par pure gymnastique intellectuelle, pour conserver son niveau en mathématiques, mais en fait, elle n’est pas intéressée par un MBA, et souhaite rester dans la filière technologique. La question du mariage se profile car elle devra être mariée avant son frère cadet, mais après que celui aura terminé ses études et trouvé un emploi. Cependant, la société change, heureusement, dit-elle de manière laconique, et elle ne sait pas encore très clairement ce que sera son futur. Mais elle souhaite continuer à travailler et pourquoi pas retourner aux États-Unis, mais pas seule cette fois. (Entretiens réalisés à Delhi le 6 mars 2012 et le 4 mai 2012) – Tableau 41 – Lieu de naissance Capitale État Autres grandes villes Nb % 160 32 27 5 Chef-lieu district 188 38 Villages et bourgs 121 25 Total 496 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 42 – Résultats scolaires comparés en classe de terminale et au BEng (%) Notes scolaires Terminale BEng < 60 15 16 60-69 31 45 70-79 33 32 80-84 11 5 85 > 11 2 Total 100 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 À titre de comparaison, les grandes écoles comme les IIT recrutent les meilleurs étudiants dans les tranches de notes scolaires > 90 sur 100 et même > 95 sur 100 pour les matières les plus sélectives, comme Computer Sciences. D’ailleurs, pas un seul informaticien de notre échantillon n’est issu d’une grande école d’ingénieurs. Du point de vue familial, 55 % des individus sont célibataires, 44 % sont mariés et 1 % déclarent vivre 112 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE avec un partenaire. La forte proportion de célibataires tient à la structure par âge de la population qui est jeune, pour beaucoup à peine sortie de l’université. Parmi les 44 % des personnes mariées, un peu moins de la moitié sont sans enfants (47 %), souvent en raison encore de leur jeune âge. Mais pour ceux qui ont déjà une charge de famille, celle-ci est réduite à un enfant dans 40 % des cas, ou deux enfants pour 12 % des personnes mariées. Ces données ne sont qu’indicatives, mais elles sont un indice de la structure familiale réduite de ces nouvelles fractions d’employés qualifiés dont les deux conjoints travaillent dans 61 % des cas. La situation de ces couples contraste avec celle de leurs parents pour lesquels, dans 80 % des cas, la mère est déclarée comme étant femme au foyer sans activité salariée extérieure. Enfin, si le nombre de personnes non mariées ayant déclaré vivre avec un partenaire est faible (7 individus), il faut relever que leur déclaration s’est faite dans une société où les valeurs morales associées au mariage sont très prégnantes et pèsent sur les femmes célibataires. Plusieurs questions ont permis d’analyser la position de ces informaticiens dans la structure sociale de l’Inde : d’une part, sur la perception que cette population a d’elle-même en termes de classes et de castes et, d’autre part, sur son sentiment au regard de sa mobilité sociale comparée à la situation des parents. En premier lieu, 92 % des personnes enquêtées sont hindous et 2 % jains. Les musulmans qui représentent environ 13 % de l’ensemble de la population de l’Inde sont donc quasiment absents de notre échantillon avec seulement 3 % du total ; les chrétiens sont en proportion sensiblement égale à leur part dans la population de l’Inde. (Pour une comparaison avec l’ensemble de la population, voir encadré 1. Le recensement ne publie pas la répartion de la population active par secteurs d’activités et groupes religieux). Cette population majoritairement hindoue est issue des « bonnes castes » de la société indienne, c’est-à-dire celles regroupées sous la « Catégorie générale » (encore dite « Open Category »). Rappelons que la définition des « bonnes castes » est donnée par défaut, puisque ce sont celles qui ne bénéficient pas des quotas de réservation dans l’enseignement supérieur public et dans les emplois de la fonction publique. On précise plus loin cette notion de « bonnes castes ». Le groupe des castes intermédiaires, OBC (Other Backward Castes) rassemble 14 % des informaticiens et celui des basses castes 3 % seulement. La catégorie du groupe résiduel « Hors catégorie » (3 %) correspond à celle des musulmans qui n’entrent pas dans cette classification des castes d’État (à l’exclusion également des chrétiens), sauf exception dans certains états fédérés. Appartenir au groupe officiel de la « Catégorie générale » ne signifie pas pour autant que tous se perçoivent comme étant issus de hautes castes. Globalement, seule la moitié des individus, 53 %, se reconnaissent de hautes castes, 42 % disent appartenir à des castes moyennes et 5 % seulement à des basses castes (SC – Scheduled Castes – ou ST – Scheduled Tribes – et quelques chrétiens probablement, mais pas tous). Bien que les catégories de castes mobilisées ici soient très grossières, les données recueillies sont cohérentes, signe que les personnes se classent avec pertinence sous ce rapport et sans trop de réserve, même si la question est toujours délicate à formuler. Cette cohérence apparaît dans le tableau 46 où l’on croise l’appartenance de caste perçue avec la caste officielle déclarée. Dans ce cas, la Catégorie générale se décompose en deux groupes distincts : 44 % des individus de cette catégorie se perçoivent comme étant issus de hautes castes, et 29 % de castes moyennes. Cette représentation de la société indienne en castes est enrichie par la perception de « l’appartenance de classe » (tableau 47). De manière attendue, 75 % des personnes interrogées se classent dans les fractions supérieures des classes moyennes, et 18 % dans les fractions inférieures ; 6 % seulement déclarent appartenir aux classes supérieures. En Inde où les disparités sociales sont très fortes, les classes urbaines dites moyennes, elles mêmes très différenciées, n’ont de moyenne que le nom. Si l’on ne retient que l’indicateur du salaire, les informaticiens indiens sont très – Tableau 43 – Distribution selon la religion Hindou Jain Nb % 459 91 8 2 Chrétien 13 3 Musulman 17 3 3 1 500 100 Autres (Sikh, Bouddhiste) Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 44 – Appartenance aux castes d’État Nb % 398 80 70 14 Scheduled Tribes (ST) 13 3 Hors catégorie 15 3 496 100 Catégorie générale Other Backward Castes (OBC) Scheduled Castes (SC) & Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 45 – Situation de caste auto-déclarée Nb % Hautes castes 241 53 Castes moyennes 192 42 23 5 456 100 Basses castes Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 nettement au-dessus de ce qui serait un salaire moyen indien, indice tiré vers le bas par la forte proportion des pauvres en milieu rural. Mais rapporté à leur position de classe de services, employés ou techniciens supérieurs, c’est à juste titre que cette population se perçoit comme appartenant aux fractions supérieures des classes moyennes indiennes. Les informations sur les origines sociales des individus enquêtés font apparaître une part importante de personnes issues de familles de fonctionnaires. Pour 45 % d’entre eux, le père travaille dans le secteur public, et c’est probablement le cas aussi de pères mentionnés comme cadres sans autre précision du secteur d’actiAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 113 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE – Tableau 46 – Castes d’État et castes perçues Castes Catégorie générale OBC SC & ST Hors catégorie Sans réponse Total Hautes castes 44 2 0 2 0 48 Castes moyennes 29 9 1 0 0 38 Basses castes 1 2 2 0 0 5 Sans réponse 6 1 0 1 1 9 79 14 3 3 1 100 Total Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 47 – Sentiment d’appartenance à une classe sociale Classes Nb % Classes supérieures, fractions supérieures 14 3 Classes supérieures, fractions inférieures 17 3 Classes moyennes, fractions supérieures 374 75 Classes moyennes, fractions inférieures 89 19 Classes inférieures Total 2 0 496 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 48 – Occupation du père Occupation Nb % Service public 202 45 Dirigeant et cadre 166 36 Employé 21 5 Professionnel 28 6 Ouvrier, paysan Total 34 8 451 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 – Tableau 49 – Niveau d’éducation des deux parents Diplôme Père Mère Nb % Nb % < Licence 153 31 282 56 Licence 247 49 158 32 Master 88 18 54 11 PhD Total 12 2 3 1 500 100 496 100 Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011 114 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE vité. Ces familles se caractérisent aussi par un fort capital scolaire des deux parents : 80 % des pères ont un niveau d’études égal ou supérieur à la licence et 43 % des mères, et un écart d’éducation fréquemment observé entre les conjoints. On peut donc déduire de ce niveau d’études que les pères occupent ou occupaient plutôt des postes dans les rangs moyens et supérieurs de la fonction publique. Dans 42 % des cas, les pères sont eux-mêmes ingénieurs. Les entretiens menés révèlent que très souvent les pères sont des ingénieurs civils qui travaillent dans le service des travaux publics (Public Works Department) et sont membres du corps des ingénieurs d’État, le Indian Engineering Civil Service, soit à l’échelle du gouvernement central de l’Union soit à celle de l’état fédéré. Les individus observés sont donc majoritairement issus des fractions des classes moyennes liées à l’État, occupant des positions qui assurent des revenus réguliers, même modestes, et bénéficiant de bonnes conditions de vie urbaine, notamment dans des parcs de logements publics, le tout permettant aux enfants de ces familles un accès facilité aux bonnes écoles secondaires, condition nécessaire à la réussite aux concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs. Néanmoins, 62 % des personnes interrogées ont le sentiment d’un changement de statut social alors même qu’elles continuent d’appartenir aux fractions des classes moyennes. Pour comprendre ce sentiment, il faut prendre en compte le déplacement professionnel que les enfants de ces familles ont opéré. Alors que leurs parents sont liés au service public, les enfants de ces familles sont employés dans le secteur privé, bénéficiant de nouvelles opportunités économiques et sociales qui n’ont pas été offertes à leurs parents dans la seconde moitié du 20e siècle. l – ENCADRÉ 33 : « LA BRU AUX DOLLARS » – Sudha Murty, Dollar Bahu, New Delhi, Penguin, 2007 Ce livre conte le conflit de valeurs qui divise une famille brahmane de la petite bourgeoisie urbaine de l’état du Karnataka, en Inde du sud, dont les membres sont à la fois les témoins et les acteurs des changements économiques sociaux et culturels portés par le développement du secteur des technologies de l’information en Inde au tournant du XXIe siècle. Vinuta, jeune institutrice, s’installe avec ses beaux-parents à Bangalore après son mariage avec Girish, le fils cadet de la famille, titulaire d’une licence en économie et modeste employé de banque. En jeune épouse modèle, Vinuta doit s’ajuster à son nouvel environnement familial, s’occuper de son mari, de son beau-père, maître de sanscrit, et de sa belle-mère, Gouramma, en s’efforçant de ne pas paraître trop affectée par le manque de considération dont cette dernière fait preuve envers elle. Mais lorsque Chandra, le frère aîné de Girish, revient des États-Unis après six ans d’absence pour se marier avec Jamuna, Vinuta doit encore endurer l’humiliante comparaison à laquelle se livre Gouramma entre la vie simple du fils cadet et de sa femme et, tout à l’opposé, celle qu’affichent Chandra et Jamuna, la bru couverte de dollars. L’aisance économique de ces derniers atteste, aux yeux de Gouramma, de la réussite professionnelle, économique et sociale de ce couple d’indiens ayant accompli le « rêve » américain de réussite, si fortement inscrit dans l’imaginaire de ces fractions de classe urbaines et éduquées. En effet, Chandra est un ingénieur civil qui a émigré aux États-Unis où il a fini par trouver un emploi régulier dans le secteur informatique et son mode de vie, ou plutôt celui que sa mère lui prête, en fait aux yeux de celle-ci un modèle de réussite faisant ressortir la vie étroite et conformiste du fils cadet. À l’occasion de la naissance du premier enfant de Chandra et de Jamuna, Gouramma s’embarque pour un voyage aux États-Unis. Le récit, jusqu’alors centré sur la famille indivise que constituent les parents et le couple du fils cadet vivant à Bangalore, se focalise alors sur la famille nucléaire du fils aîné dont la mère ne tarit pas d’éloges, pleine de la fierté que lui procure la trajectoire professionnelle et sociale de son fils préféré. Mais cette visite qui s’annonçait sous le signe du bonheur se révèle être l’histoire d’une désillusion, l’exploration d’un monde matérialiste, désenchanté, aux relations égalitaires entre les personnes sans considération de genre ni de statut, aux vies de couples brisées, en bref, un monde sans règle, sans idéal spirituel ni repère culturel. Allant de déception en déception, Gouramma reconsidère alors l’histoire de sa famille et de ses enfants afin de retrouver le socle de valeurs dans lequel s’ancre la vie quotidienne de cette petite bourgeoisie urbaine hindoue de haute caste, attachée à sa culture lettrée, à ses rituels, à son sens de l’ordre du monde qui règle la succession des générations et désigne à chacun ses devoirs, ses droits et ses attentes de bonheur socialement définies. Alors la chute s’impose, l’argent roi ne fait pas le bonheur nous dit l’auteur, Sudha Murty, qui conclut : « L’invincible dollar était tombé… ». Ce récit didactique a été écrit originellement en langue kannada puis traduit en anglais, dans une langue simple qui vise à toucher un large public, avant d’être adapté pour la télévision. Malgré son manque de véritable épaisseur romanesque et des personnages réduits à des stéréotypes, ce conte moral réaliste retient l’attention parce que son auteur, Sudha Murty (ou Murthy), outre le fait qu’elle a épousé N. R. Narayana Murthy, le fondateur de l’entreprise Infosys, est, dans les années 1970, l’une des rares femmes ingénieures à travailler dans le monde industriel à une époque où beaucoup d’entreprises pratiquaient une politique de recrutement explicitement discriminante envers les femmes. Sudha Kulkarni, de son nom de jeune fille, est née en 1950 à Shiggaon, un bourg au nord de l’état du Karnataka, dans une famille de Deshastha brahmanes dont le père était médecin dans un hôpital public. Au B.V. Bhoomaraddi College of Engineering and Technology, de Hubli, où elle entre en 1968, Sudha est la seule femme de sa classe, une singularité qui lui vaut de recevoir une médaille d’or du Chief Minister de l’état du Karnataka lorsqu’elle obtient sa licence d’ingénieure en électricité en 1972. Puis elle intègre l’Institut des Sciences de Bangalore où elle achève une maitrise en ingénierie informatique (Computer Science) en 1974. Sudha envisage alors de partir aux États-Unis pour y mener un doctorat lorsqu’une offre de recrutement d’ingénieurs de la Tata Engineering and Locomotive Company (TELCO) attire son attention. Cette société annonce qu’elle ne recrute que des hommes et précise, sans justification, que les candidatures féminines sont exclues. Choquée par cette discrimination, Sudha Kulkarni fait part de sa réprobation dans une lettre adressée à J.R.D. Tata (né à Paris en 1904-mort à Genève en 1993) qui accepte sa candidature. Malgré leurs réticences, les dirigeants de TELCO recrutent Sudha Kulkarni qui travaille dans cette société pendant huit ans (1974-1982) d’abord dans les ateliers de APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 115 –7– LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE Jamshedpur, aujourd’hui dans l’état du Jharkhand, puis à Pune dans l’état du Maharashtra. Au milieu des années 1970, Sudha Kulkarni rencontre N. R. Narayana Murthy qui lui est présenté par un ami commun, G. K. Prasanna devenu l’un des dirigeants de Wipro. Narayana Murthy rentre de deux années passées en France et il est alors sans situation stable, s’essayant à plusieurs emplois avant de prendre un poste de manager dans la société Patni Computer Sytems à Mumbai en 1977 (voir Encadré 19). Sudha et Narayana se marient un an plus tard, en 1978. Cependant, Sudha continue de travailler chez TELCO jusqu’en 1982, un an après la fondation de la société Infosys à laquelle elle contribue financièrement en y investissant 10 000 roupies, toutes ses économies d’alors. 116 Sudha Murty est venue à l’écriture il y a une quinzaine d’années, se souvenant que son enfance a été bercée des histoires que lui contait sa grand-mère paternelle qui vivait avec ses parents, selon le modèle de la famille indivise. Elle est l’auteur d’une quinzaine de livres pour enfants ou à l’attention du grand public dans lesquels elle met en scène des histoires édifiantes qui entendent transmettre les valeurs de dévouement, de don et de désintérêt qu’elle dit avoir héritées de sa famille. Ces livres pédagogiques se veulent encore une autre forme d’expression des principes éthiques que défend Sudha Murty, présidente de la fondation Infosys qui finance de nombreux projets philanthropiques à l’attention des groupes les plus déshérités dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou du développement rural. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –LA RECHERCHEDÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC– –8– 118 Structure des centres de R&D 120Investissements étrangers des entreprises indiennes et potentiels de recherches 123R&D et processus d’innovation APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 117 –8– LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC Ce sont pour l’essentiel les entreprises étrangères qui sont à l’initiative des activités de recherche et de développement ((R&D) du secteur des TIC en Inde. Les investissements étrangers directs (Foreign Direct Investment, FDI) dans l’économie indienne ont connu trois grandes phases dans les dernières décennies. D’abord, dans les années 1980, les entreprises étrangères sont venues en Inde pour exploiter le marché de la main d’œuvre locale. Ce fut le cas par exemple du fabricant japonais d’automobiles Suzuki, l’une des premières entreprises à avoir monté un partenariat avec une entreprise indienne, initiative qui fut suivie par d’autres grands investisseurs étrangers. Ensuite, dans les années 1990, les grandes entreprises électroniques spécialisées dans le software sont entrées sur le marché indien, soit directement, soit par l’intermédiaire de filiales. La troisième étape enfin, à partir des années 2000, est marquée par l’entrée sur le marché indien des unités de Recherche-Développement (R&D) des entreprises étrangères qui étaient déjà présentes dans le secteur des TIC ou qui ont ouvert leurs centres de recherche en Inde, comme c’est le cas pour IBM et Microsoft par exemple. –8.1 STRUCTURES DES CENTRES DE R&D– Les entreprises américaines sont très largement majoritaires en nombre dans le secteur R&D des TIC : 73 % des centres de recherche ont leurs sièges sociaux aux – Tableau 50 – Localisation des sièges sociaux des centres de R&D du secteur des TIC établis en Inde (en %) % Autriche 0,6 Brésil 0,6 Canada 0,6 Chine 0,6 Finlande 0,6 Israël 0,6 Singapour 0,6 Taiwan 0,6 Turquie 0,6 Pays-Bas 1,2 Suède 1,2 Suisse 1,2 Japon 3,1 Allemagne 3,8 Corée du Sud 3,8 France 3,8 Grande-Bretagne États-Unis Total (n=160) 3,8 72,5 100,0 Sources : Dépouillement de la presse professionnelle (rapports de la Nasscom, Dataquest) et des publications d’organismes spécialisés (CMIE, TIFAC, DSIR) 118 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE États-Unis ; les pays de la zone euro (France, Allemagne) ne représentent que 8 % de l’ensemble des centres, la Grande-Bretagne, avec 4 % des centres, ne s’en distinguant nullement (tableau 50). De nombreuses raisons expliquent le nombre élevé des centres de recherche liés aux entreprises américaines. D’abord, celles-ci ont été les premières à délocaliser une partie de leurs services de base en Inde et les États-Unis restent le premier pays consommateur des services du secteur indien des TIC. Ensuite, historiquement, les États-Unis ont été le premier pays où les jeunes ingénieurs indiens diplômés sont allés très tôt poursuivre leurs études pour y mener un master ou un doctorat, ce mouvement migratoire s’intensifiant dans les années 1980. Nombre de ces diplômés hautement qualifiés sont alors restés aux États-Unis où ils se sont insérés professionnellement dans le secteur des TIC, beaucoup d’entre eux réussissant à des postes de responsabilité ou devenant des chefs d’entreprises. Tous ces ingénieurs ont accumulé un capital de savoir-faire qu’ils ont mis au service des clients indiens avec lesquels ils avaient des contacts professionnels, amicaux ou familiaux. Ces ingénieurs ont ainsi servi d’intermédiaires entre les entreprises américaines, d’une part, et les entreprises indiennes, d’autre part, étant capables d’éclairer le marché des TIC du côté tant de la demande que de l’offre de services. Enfin, le fait que les élites indiennes soient scolarisées et éduquées en langue anglaise est un atout important pour le développement de relations professionnelles privilégiées entre l’Inde et les ÉtatsUnis (la faiblesse des liens avec la Grande-Bretagne s’explique par le fait que ce pays n’est pas leader sur le marché des TIC). Les entreprises américaines ont souvent servi de modèle pour les entreprises des autres pays qui les ont imitées dans leur implantation sur le marché indien, qu’il s’agisse des services offshore et des activités de recherche. Pour toutes ces entreprises, les stratégies de développement sont décidées dans les sièges sociaux des pays d’origine et l’Inde constitue un terrain d’application et de mise en œuvre dont l’avantage premier demeure le bas coût de la main d’œuvre qualifiée. Ce n’est que très progressivement que les filiales indiennes ont gagné en autonomie et en indépendance pour mettre en place leurs propres politiques et faire preuve d’innovation dans le développement des activités de pointe. La proximité géographique entre l’Inde et les pays émergents du Moyen-Orient et de l’Asie orientale a également contribué à cette ouverture (Engardio, 2008). Plusieurs études permettent de préciser la nature des activités menées par ces centres de recherche, le type de produits développés, et la manière dont ils s’adaptent au marché indien (Archibugi et Pietrobelli, 2003, Ilavarasan, 2010). On distingue trois grands types de centres de recherche selon leur implication régionale et le segment du marché visé. Le premier type concerne les entreprises qui reconnaissent les compétences technologiques de la main d’œuvre indienne, mais considèrent l’implantation de leurs centres de recherche en Inde sous le seul angle du coût des produits développés. Ces centres réalisent des produits conçus ailleurs qu’en Inde, et ceux-ci sont destinés au marché global, international. Un second ensemble de centre de recherche s’adresse au marché local, ou régional, à l’échelle du sous-continent indien. Ce marché potentiellement immense reste sousdéveloppé. Pourtant, il existe de nombreuses niches commerciales, par exemple pour la mise au point de produits électroniques en langues indiennes dans le secteur des télécommunications et de la téléphonie mobile, en fort développement depuis une quinzaine d’années. Nombre d’entreprises étrangères perçoivent ces potentialités commerciales et leurs centres de recherche implantés en Inde ont orienté leurs activités vers ce segment du marché intérieur en mobilisant les compétences des ingénieurs indiens. On peut qualifier ce type de centres de recherche comme étant des unités régionales visant un marché régional. Un troisième type de centre de recherche adossé aux entreprises multinationales, intègre leurs activités dans les stratégies industrielles globales des entre- prises. Les activités développées en Inde sont une composante des recherches générales mises en œuvre par ces entreprises multinationales. Certaines de ces entreprises reconnaissent que leurs unités indiennes, qui mobilisent les savoir-faire des ingénieurs indiens, contribuent principalement au marché global sans considérations régionales. Ces centres peuvent être qualifiés d’unités régionales travaillant pour le marché international (ou global). Globalement, la répartition du marché entre ces trois types de centres de recherche est la suivante : les centres travaillant pour le marché international représentent 50 % du total des centres, les centres qui ont un fort ancrage régional mais travaillent également pour le marché global 46 %, et 4 % s’adressent au marché local, ce dernier chiffre témoignant de la faiblesse de la demande intérieure mais aussi du fort potentiel de croissance de ce marché. Cette division entre centres de recherche correspond également à des types d’activité différents qui témoignent de la position de l’Inde sur l’échelle de la valeur ajoutée aux services du secteur des TIC. Les centres de recherche travaillant pour le marché global mais sans fort engagement régional empruntent uniquement au modèle économique fondé sur le coût du travail de la main d’œuvre qualifiée mobilisée. Les projets développés demeurent entièrement sous la responsabilité de la société mère et les unités indiennes sont de simples exécutants, mais la valeur ajoutée demeure bien supérieure à celle des produits ordinaires de tous services ordinaires. À l’inverse, dans le cas des centres à fort ancrage local et travaillant pour le marché international, les relations avec les entreprises mères sont moins inégalitaires, les unités indiennes assumant la responsabilité des produits réalisés. Le développement des centres régionaux travaillant pour le marché international témoigne de l’importance croissante de la position de l’Inde sur ce marché technologique global. La croissance de la valeur ajoutée des services et des produits développés en Inde contribue, d’une part, à disséminer régionalement l’expertise des entreprises multinationales et, d’autre part, à augmenter globalement les compétences technologiques nationales. Ce type de centres de recherche offre à la main d’œuvre qualifiée indienne l’opportunité de faire ses preuves sur ce segment de marché global. Les centres régionaux travaillant pour le marché régional exploitent un segment du marché des TIC délaissé par les grandes entreprises qui jugent que ce secteur n’est pas encore assez rentable pour elles, selon leurs critères éconoAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 119 –8– LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC miques. On résume dans le tableau 51 ci-dessous les principales innovations que les centres de recherche développent en Inde. La plupart des centres de recherche ont été créés selon le premier modèle, avant d’évoluer progressivement vers le second type, ancré régionalement et orienté vers le marché international. Dans un premier temps, le centre établi en Inde doit faire les preuves de son savoir-faire en exécutant des projets conçus – Tableau 51 – Innovations technologiques développées par les entreprises multinationales Domaines de recherche Nouvelles Technologies Exemples d’innovations Intel Dunnington : Premier processeur (Central Processing Unit, CPU) à six cœurs Adobe Premiere elements: logiciel de montage vidéo CISCO transpondeur d’urgence pour renforcer la sécurité dans les transports aériens Texas Instruments: LoCosto, multi semi-conducteur Google India traduction Applications financières Google Finance Finnacle / Flexicube Adventnet Zoho Oracle 10g, système de gestion de bases de données relationnelles Affaires, management MindTree : Solution Management Entreprise Source: Nasscom, 2009. par la société mère. Les modalités du travail exécuté dans les centres de recherche sont totalement intégrées aux processus de la société mère : mission entre les pays partenaires, vidéo conférences, courriels, etc. Deux modèles d’intégration opèrent. Le premier modèle engage l’entreprise internationale à évaluer les capacités et les compétences de ses différents centres de recherche dans le monde, à les mettre en réseau et à construire un projet dont chaque centre réalise la partie qui lui est allouée. Le second modèle accorde plus d’autonomie et d’initiative aux collaborateurs du centre indien. Le dépôt de brevets (patents) est un indicateur du développement des innovations technologiques produites en Inde. Toutefois, il importe de savoir si ces brevets sont déposés au nom du centre de recherche indien ou sous celui de la société mère. Les sources secondaires que l’on a pu dépouiller témoignent d’une situation ambiguë. D’un côté, les trois quarts des centres de recherche indiens déclarent que les brevets seraient déposés en leur nom, de l’autre, les données attestent que les entreprises multinationales enregistrent les brevets dans le pays où est localisé leur siège social, sans toujours créditer les unités indiennes de leur dû. Seuls les chercheurs indiens qui ont contribué aux innovations sont mentionnés dans les brevets. Ces chercheurs sont compensés de leur travail et de leurs mérites en termes financiers, en récompenses internes ou par une promotion. Mais aucun de ces chercheurs ne reconnaît partager une part des revenus que génèrent ces brevets. l –8 .2 INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS DES ENTREPRISES INDIENNES ET POTENTIELS DE RECHERCHE– Un rapport de la Nasscom indique que la contribution du sceteur des TIC aux investissements étrangers directs (FDI), mesurée selon la valeur des fusions et acquisitions, a doublé entre 2007 et 2008. Sur ces deux années, le nombre total d’opérations engageant des entreprises indiennes a augmenté de 17 %, leur valeur passant de 2,9 billions de $ en 2007 à 3,4 billions de $ en 2008. La part des entreprises indiennes représenterait 11 % du total des F & A de ce secteur. Cependant, pour l’ensemble du secteur, le nombre total des transactions a diminué, passant de 159 opérations en 2007 à 98 en 2008. En conséquence, la taille moyenne des transactions 120 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE a augmenté de 18,2 millions en 2007 à 32,4 millions en 2008. Dans le secteur des TIC, les processus de fusions et d’acquisitions diffèrent selon la taille des entreprises. Les grandes entreprises rachètent des entreprises moins pour grandir que pour accéder à des savoirfaire, acquérir de l’expertise sur certains segments du marché auxquels elles n’accédaient pas jusqu’alors. Les opérations de rachat, auxquelles procèdent les entreprises de rang moyen, visent à la fois un accroissement de leur taille globale et l’accès à de nouvelles expertises technologiques. Le troisième groupe d’entreprises, les plus petites, cherchent à acquérir des – Tableau 52 – Fusions et acquisitions dans le secteur des TIC en 2003-2004 (en $) Investisseur Compagnie cible Montant investi (en million de $) Datamatics Technologies CorPay Solutions (US) 9,0 ICICI OneSource FirstRing (India) - Hinduja TMT C3 (Philippines) 3,9 Zensar Suntech Data Systems 0,7 B2K Corporation Talisma (technical outsourcing service) - WNS ClaimsBPO (US) - Lawkim Upstream LLC (US) 6,0 TCS Airline Financial Services (India) 5,8 Essar Aegis Communications Group (US) 28,0 Indian Rayon Transworks (India) 13,0 Mascot IT&T Perot Systems Vision HealthSource 10,0 MedusInd Solutions SRF Infotech (India) - iGate Quintant Services Ismart L&L Services Optimus (Polaris) iBackOffice Citigroup e-Serve 122,0 IBM (annoncé 2005-06) Daksh 150,0 4,5 19,9 0,9 - Partnerships/Joint Ventures Msource (Mphasis) Accenture Partnership Infowavz Contact Power Inc. (UK) Partnership Sutherland Group ISANI Group (US) Partnership L&T Infotech ACS Partnership Tracmail Webhelp; Spherenomics JV ; nouvelle compagnie TWS Holdings Datamatics Technologies Cadmus JV ; nouvelle compagnie KnowledgeWorks Global Ltd Bharti TeleTech Holding JV ; nouvelle compagnie TeleTech Services ITC Infotech ClientLogic JV ; devenue CLI3L Source : Dataquest entreprises de même taille qu’elles pour se renforcer dans leur secteur d’activité. En dehors de ces stratégies d’acquisitions, les entreprises indiennes sont aussi engagées dans un processus de diversification géographique de leur domaine d’activité. Les secteurs les plus concernés par ces transactions de fusionsacquisitions sont ceux des activités de service informatique et des semi-conducteurs, suivis par tous les gros logiciels de gestion (De, 2006). L’étude de la presse spécialisée permet de donner quelques exemples de ces opérations de fusions et d’acquisitions dans le secteur des TIC (tableau 53). Si les entreprises indiennes ont étendu leurs domaines d’activité technologiques au moyen de ces fusions et acquisitions, il n’est pas certain qu’elles aient nécessairement acquis de nouvelles capacités APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 121 –8– LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC – Tableau 53 – Fusions et acquisitions dans le secteur des TIC en 2000-2010 Entreprises Fusion avec ou Acquisition Raisons / Bénéfices Polaris Fusion avec OrbiTech Acquisition de la propriété intellectuelle des produits OrbiTech dans le domaine bancaire. Wipro Acquisition Spectramind Expansion du secteur BPO et accroissement de la rentabilité de ces secteurs. Wipro Acquisition de American Management Systems Acquisition des compétences professionnelles et d’une clientèle importante dans le domaine de l’expertise énergétique. Wipro Acquisition de l’unité R&D de Ericsson Acquisition de l’expertise dans le secteur des télécommunications. Wipro GE Medical Systems (India) Acquisition de propriétés intellectuelles dans le domaine des systèmes médicaux, servant de plateforme pour étendre l’offre de services de santé en Inde et dans le Pacifique. Moksha Systems Challenger Systems & X media Élargissement de la clientèle et développement de l’expertise dans le secteur de la banque, des services financiers et des assurances. Mphasis Acquisition de Navion software, basé en Chine Extension du domaine d’action aux marches chinois et japonais et développement d’un centre de données pour les opérations en Inde. Mascot Systems Acquisition de eJiva (États-Unis), et de Aqua Regia (Inde) Expansion en taille et développement des compétences dans le secteur d’activité, et, in fine, élargissement de l’éventail des services etextension de la base de la clientèle. Source : http:// www.expresscomputeronline.com/20030407/indtrend1.shtml (accès 25 avril 2010, la page n’est plus accessible) en R&D. Ces entreprises travaillent toujours, en priorité, pour les besoins de leurs clients occidentaux et peu d’entre elles développent des produits et des services adaptés à la demande de la clientèle du sous-continent indien, ou même pour le marché des produits libres (open source). Malgré les déclarations publiques de leurs dirigeants, l’activité de R&D demeure peu développée, comme en témoigne le nombre de brevets déposés ou les revenus tirés de ces innovations. Wipro, par exemple, l’une des cinq premières entreprises en termes de nombre d’employés et de revenu global généré, a acquis en 2003 la société autrichienne Nerve Wire et l’américaine mPower. L’acquisition de Nerve Wire a ainsi permis à Wipro d’entrer sur le marché européen et d’accéder à des nouvelles technologies, concernant notamment les usages de Blue tooth et le système des réseaux locaux sans fil (WLAN). L’acquisition de la société mPower ouvre en principe sur les technologies du paiement en ligne tout en accroissant les moyens de pénétrer le marché américain. Mais les retours en termes de R&D restent incertains. Les entreprises indiennes tentent encore de renforcer 122 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE leur pôle R&D en rachetant des unités de recherches dépendantes d’entreprises étrangères. Quatorze de ces unités dites captives ont été intégrées à des entreprises indiennes ces dernières années. Ainsi, les entreprises Symphony Services et Global Logic ont acquis respectivement sept et quatre centres de recherche. Hindustan Computer Limited, Persistent, Larsen & Toubro ont acquis chacun une unité de R&D. Comme le note un responsable indien : « Ces centres de R&D étaient rattachés à des entreprises multinationales du secteur des TIC. Mais ces entreprises ont réduit leurs investissements dans ces centres de recherche en même temps qu’ils en abandonnaient le contrôle, favorisant ainsi leur acquisition par les entreprises indiennes. La récession globale qui a touché le secteur des TIC se prolongeant, les entreprises multinationales ont cédé plus facilement leurs unités de R&D. » (cité dans M. Sharma, 2009) Chacun de ces centres regroupe une centaine d’employés, mais les détails financiers de ces acquisitions ne sont pas connus. Après ces acquisitions, les unités passées dans le giron des entreprises indiennes continuent de servir leur clientèle habituelle pendant trois à cinq ans, cette durée pouvant être étendue après expertise. C’est ainsi que les entreprises indiennes accèdent à de nouveaux marchés et enrichissent leur capital technologique. Dans le domaine des télécommunications, le processus d’acquisition a constitué la stratégie principale de développement du secteur. Ainsi, la société Bharti Airtel a acquis Zain Telecoms pour ses opérations en Afrique (Maroc et Soudan exclus), pour la somme de 10,7 billions de dollars, tandis que Reliance Infocomm s’est porté acquéreur de la société américaine Flag Telecoms pour 191 millions de dollars. l –8.3 R&D ET PROCESSUS D’INNOVATION– Deux types d’entreprises font donc de la recherche dans le secteur des TIC en Inde : d’une part, les grandes entreprises nationales indiennes et, d’autre part, les centres des entreprises étrangères multinationales. Les entreprises nationales sont engagées dans des recherches innovantes d’ordre interne et externe. Les activités de type interne, à l’usage des entreprises, concernent essentiellement les domaines de la gestion (de produits, de services ou des ressources humaines). Il est difficile d’estimer les sommes investies dans ces activités sur lesquelles les entreprises communiquent peu, mais comme le révèle une étude portant sur 278 entreprises indiennes enregistrées au Indian National Stock Exchange (INSE), les investissements sont au total assez faibles : « Seules 12 des 278 entreprises enregistrées au INSE, soit 4,3 % du total, disposent d’un centre R&D ou engagent des dépenses dans ce secteur. Les entreprises dépensent moins de 1 % de leurs revenus dans des activités de R&D. La dépense moyenne des entreprises en R&D représente 3,8 % de leurs revenus commerciaux. Pour l’ensemble des entreprises indiennes et étrangères, tous secteurs technologiques confondus (hardware, software, télécommunications, électronique industrielle), 63 % déclarent des dépenses en R&D en 1999-2000, mais la majeure partie d’entre elles adaptent des produits déjà développés ; 9,6 % seulement des entreprises développent des innovations. » (Nollen, 2004, p. 11) Les activités de R&D de type externe concernent des clients étrangers qui délocalisent leurs activités de recherche. Dans le milieu des TIC, ces activités de recherche externes sont classées sous la rubrique « engineering services and R&D and software products », et elles sont considérées comme des services à forte valeur ajoutée. Ces activités représentent une dépense globale de 8,6 billions de dollars et elles constituent 13 % du total des revenus du secteur des TIC en 2008, 74 % de ces activités étant destinées à l’exportation. Cependant, les revenus générés par le segment R&D (licence de software, propriété intellectuelle) restent faibles, de l’ordre de 1,1 billions de dollars, sur des revenus globaux du secteur estimés à 64 billions de dollars US en 2008 (Nasscom, 2009). On dispose de deux autres études portant sur les centres R&D du secteur des TIC mais les résultats sont divergents. Dans la première étude (Zinnov, 2008), l’auteur a recensé 594 centres R&D, mais il s’avère que toutes les entreprises multinationales se déclarent comme abritant de tels centres. Dans le second travail (Ilavarasam, 2010), l’auteur ne dénombre que 160 centres de R&D pour lesquels des informations sont disponibles. Néanmoins, le travail de Zinnov permet de dégager quelques grandes tendances. Si on recense les premiers centres de recherche dès le milieu des années 1980, ce n’est qu’à partir de 2000 que ceux-ci se sont développés, après que les entreprises indiennes ont fait preuve de leurs capacités technologiques et managériales à gérer des projets. Selon Zinnov, 262 centres auraient été créés en 2003-2005, soit dans les années qui ont suivi le « boom du millenaire » de l’année 2000 (Y2K). Cette date marque en effet un tournant dans l’économie des TIC pour deux raisons conjointes. D’abord, les entreprises américaines ont été de fort demandeurs d’informaticiens indiens qui sont arrivés en masse aux États-Unis, ensuite, ces derniers ayant démontré leurs compétences, ces mêmes entreprises multinationales ont été convaincues de délocaliser leurs activités en Inde, notamment en matière de recherche et de développement. Sur les 564 centres qui ont été dénombrés, la répartition par secteurs est la suivante : 26 % sont des centres dévolus aux logiciels d’entreprises, 19 % aux télécommunications et aux réseaux, 14 % aux systèmes et plateformes, 13 % aux semi-conducteurs et matériel électronique, et 3 % seulement pour les logiciels destinés aux particuliers (tableau 54). Mais en termes de produits, la concentration des activités est très nette : 66 % APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 123 –8– LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC – Tableau 54 – Répartition sectorielle des centres R&D des TIC Secteur % (n=594) Consumer software 3 Enterprise software 26 Software platforms/systems 14 Semiconducteur/Electronic Design et Analyse 13 Telecom & Networking 19 Consumer electronics 8 Computing systems 9 Manufacturing 8 Source : d’après Zinnov (2008). – Tableau 55 – Distribution des centres de R&D selon le nombre d’employés et leurs revenus Nombre d’employés Revenus (millions de $) 1–100 100–200 200–500 500+ Total 10–50 23 3 1 3 30 50–100 14 2 2 5 23 100–200 7 2 5 7 21 200+ 4 2 5 15 26 48 9 13 30 100 Total Source : adapté de Zinnov (2008) – Tableau 56 – Brevets déposés par les entreprises indiennes en 2007-2008 Entreprises HP (multinational) Brevets 2007 Brevets 2008 77 50 Infosys 0 2 TCS 3 17 Sasken 6 5 Subex 4 8 i-flex 0 0 Mindtree 0 0 Sources : adapté de Dataquest (2008). Cette liste n’est qu’indicative, certains centres importants, comme celui de Texas Instruments India, étant absent du recensement de Dataquest sont engagés dans le développement de logiciels, 15 % dans les services d’ingénierie, et 20 % dans le domaine des systèmes embarqués. 124 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE La distribution des centres selon le nombre d’employés est assez homogène, avec un léger avantage aux petites unités (30 % du total) comprenant de 10 à 50 personnes (tableau 55). De même, on observe une concentration des centres dans la catégorie des revenus les plus faibles, 48 % des unités générant des revenus entre 1 et 100 millions de $ US. Bangalore regroupe 52 % de ces centres, suivis par Pune (16 %) et la région capitale de Delhi (15 %). Un autre indicateur du développement de la recherche dans le secteur des TIC est fourni par le nombre de brevets déposés. En l’absence de données officielles, on doit s’en remettre aux estimations publiées dans la presse professionnelle ou produites par des travaux indépendants. Ainsi, il y aurait plus de brevets attribués aux entreprises multinationales qu’aux entreprises indiennes. En 2001-2004, selon Nollen, il n’y aurait eu que 4 brevets accordés par les Américains à des entreprises indiennes contre 118 attribués à des entreprises étrangères, américaines ou non, installées en Inde. Les données publiées par le magasine Dataquest confirment cette estimation de Nollen (tableau 56). En matière de brevets et de propriétés intellectuelles, les multinationales étrangères sont donc beaucoup plus productives que les entreprises nationales. Ces dernières ont pourtant quelques succès à leur actif, en particulier dans le domaine des services. Les plus grandes entreprises indiennes proposaient toutes à leur début des logiciels qu’elles avaient développés en interne. Mais ce segment a perdu de son importance, n’étant plus adapté à l’état du marché à mesure que celui-ci se diversifiait. L’écart a grandi entre les producteurs de services et les clients étrangers, et les fonds nécessaires manquaient, les innovations demandant de gros investissements pour répondre aux demandes du marché (Athreye, 2005). En outre, l’évolution de la structure du marché a conduit les entreprises indiennes à privilégier les exportations de services, d’où leurs succès relatif en termes d’innovation pour améliorer le processus de délivrance de ce service. Néanmoins, note un rapport de l’OCDE : « Les succès de l’Inde en matière de brevets augmentent rapidement. En termes de croissance annuelle moyenne d’application des brevets, l’Inde se classe seconde après la Chine pour la période 1995-2003, selon l’Office européen des brevets. Le taux de croissance annuelle est sept fois supérieur au taux mondial. Mais malgré cette croissance, le nombre de brevets indiens demeure faible. La part de l’Inde dans l’ensemble des brevets du secteur – Tableau 57 – Distribution des revenus selon le lieu d’activité de 1995-1996 à 2004-2005 (en %) Type 1995-96 1998-99 1999-2000 2001-01 2001-02 2000-03 2003-04 2004- 05 On-site 66 54.4 57.4 56 45.2 43 36 29 Offshore 33 44.4 43.6 44 55 57.3 64 71 Sources : d’après Bhatnagar (2006) et rapports de la NASSCOM. des TIC enregistrés par le Patent Cooperation Treaty était de 0,3 % en 2004. Les co-investissements étrangers sont élevés, ce qui suggère une relative ouverture du marché indien mais aussi une dépendance des partenaires étrangers pour les activités de recherche. »43 (OECD/ODCE, 2010) Transition du on-site au offshore L’activité indienne des TIC peut être créditée de trois innovations majeures. La première innovation porte sur la transition des activités on-site aux activités offshore. Aujourd’hui, les entreprises indiennes fournissent des services dans le domaine de l’ingénierie, du logiciel, dans la recherche et le développement, autant de domaines considérés comme requérant des qualifications intellectuelles et technologiques de niveau élevé. Ce positionnement témoigne d’une évolution du secteur des TIC qui est passé d’activités à faible valeur ajoutée, comme celles liées au BPO, à des activités à plus forte valeur ajoutée, comme le développement de logiciels. Dans les années 1990, au début de l’essor du secteur des TIC, les entreprises indiennes se sont distinguées par le système dit du « body shoping » qui consiste à envoyer à l’étranger les ingénieurs informaticiens pour travailler dans les entreprises clientes, selon le principe du travail sur site. La crainte du bug informatif massif à l’occasion du passage à l’an 2000, Y2K, fut le moment fort de cette période qui a permis aux entreprises indiennes de faire la preuve de la qualité de leur main d’œuvre et de leurs capacités de gestion du travail requis. Ce système a été très bien décrit et on en recueille encore des témoignages aujourd’hui. À partir du début des années 2000, les entreprises indiennes sont passées du travail sur site au travail délocalisé dit offshore, les revenus des activités sur site diminuant régulièrement depuis 2001-2002 (tableau 57). Les informaticiens indiens envoyés à l’étranger, pendant la première période où ils travaillaient sur site, étaient relativement peu qualifiés. La majeure partie d’entre eux n’avaient pas de licence d’ingénieur, comme l’exigeaient les lois américaines concernant l’émigration des travailleurs qualifiés. À partir des années 2001-2002, beaucoup de ces informaticiens sont rentrés en Inde et ont été intégrés dans les équipes de travail offshore des entreprises. Ce passé explique la forte proportion d’informaticiens peu diplômés parmi les plus âgés en poste, comme l’enquête l’a montré - 50 % dans l’échantillon observé-, mais la proportion pourrait être plus forte encore selon d’autres estimations. Cependant, le travail offshore nécessite un encadrement par du personnel qualifié. De fait, le recrutement de ces dernières années est marqué par l’entrée sur le marché du travail de personnes diplômées, ayant au moins d’une licence de science et d’ingénieurs informaticiens sortis des écoles, en croissance exponentielle à partir des années 2000. Cette transition du travail sur site au travail offshore témoigne de l’expérience que les entreprises indiennes ont gagnée en matière technologique et managériale. Les entreprises se sont rapidement adaptées aux normes de certification professionnelles requises dans le seteur des services informatiques, telle les normes ISO ou CMM, comme on l’a montré dans l’étude du champ entrepreneurial (Chapitre 5). Ce processus de normalisation de l’expertise professionnelle en matière de services informatiques assure la confiance de la clientèle autant que celle des cadres et des employés qualifiés des entreprises indiennes. Standardisation des services La seconde innovation réalisée par les entreprises indiennes est la mise en produit standardisé des services (productised services). Dans sa phase initiale de croissance, les entreprises indiennes ont tenté de développer leurs propres produits. Ce fut le cas par exemple de Narayana Murty, le fondateur d’Infosys, qui créa Softronics, en 1976, dans le but de répondre 43. Adapté de « The ICT sector in India: performance, growth and key challenges », DSTI/ ICCP/ IE(2008)7/ Final, OECD/ODCE, 30 juin 2010. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 125 –8– 44. Dataquest, 2007,http://dqindia. ciol.com/content/DQTop20_07/ ITGaints07/2007/107080318. asp, (accès 9 mai 2010, la page n’est plus accessible). 126 LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC aux besoins du marché indien. Mais ce fut un échec pour Narayana Murty comme pour d’autres entrepreneurs en raison notamment du manque d’investissement et de la faiblesse de la demande intérieure. Ces entreprises ont changé de stratégies et sont passées de la production de logiciels à l’exportation de services informatiques, une option à la fois moins risquée et beaucoup plus rentable financièrement (Athreye, 2005). Trois types d’entreprises ont des raisons différentes de se positionner sur le marché des services. Pour les grandes entreprises, comme TCS et Infosys par exemple, l’activité de services répond à deux objectifs : augmenter les marges de bénéfices et professionnaliser les relations avec leurs clients. Dans ce cas, l’économie des services est liée au coût du travail, et les revenus varient selon le nombre d’employés. Néanmoins, si les entreprises ont amélioré leur productivité, notamment en rationnalisant les processus de travail, les droits de propriété intellectuelle associés aux services développés sont une source de revenus, et les bénéfices globaux ne sont pas uniquement dépendants du coût de la main d’œuvre. Dans la conjoncture d’augmentation des salaires et d’une roupie forte, les entreprises misent sur la qualité des produits pour améliorer leurs profits. La seconde catégorie d’entreprises rassemble des nouveaux entrants, de petite taille en termes de nombre d’employés et de chiffre d’affaires. Ces entreprises peuvent travailler dans différents secteurs mais les produits qu’elles développent ne sont disponibles que dans un ou deux domaines spécialisés, à la différence de la politique des grandes sociétés. C’est le cas par exemple des entreprises comme 3i Infotech et Ramco. Enfin, la troisième catégorie d’entreprises, celles qui sont structurées selon une organisation verticale ou par branches de leurs activités, considèrent leurs produits comme une extension de leurs services et inversement. Ces sociétés proposent des services et des produits placés dans le même domaine d’activités. Dans le secteur des TIC, on désigne leurs activités comme des « mises en produit de services » (productised services). On trouve sur ce segment les entreprises connues comme i-flex, Polaris, et Subex Azure. Bien que leur clientèle soit diverse, ces entreprises également différenciées en termes de branches d’activités et de compétences technologiques, proposent des produits standardisés qu’elles offrent à des clients différents d’un même domaine industriel, au prix de simples adaptations. On parle de « mise en APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE produit de services » car les services ne sont pas complètement développés et doivent être ajustés rapidement aux demandes spécifiques de la clientèle. C’est le cas du secteur bancaire où un progiciel peut être adapté avec de légères modifications dans plusieurs banques, mais aussi dans la délivrance de services où l’expertise est facilement transposable. Dans les faits, de nombreux produits informatiques destinés au marché international sont des applications pour un secteur d’activités particulier, souvent développées dans des pays comme l’Inde. Les produits destinés au cœur des activités bancaires ont fait la réputation des entreprises connues comme Flexcube, Finacle, et IntellecT, i-flex, Polaris, mais aussi des plus petites entreprises comme Infrasoft et CashTech. Plus récemment, le secteur des télécommunications a vu le succès de produits indiens développés par des entreprises comme Aricent, Tech Mahindra ou SubexAzure. Ce dernier secteur avec celui de la banque et des services de la finance et de l’assurance (Banking, Financial Services and Insurances, dit BFSI) sont les deux premiers domaines d’activités intégrées des entreprises indiennes de services informatiques44. Formation et ressources humaines La dernière innovation dont ont fait preuve les entreprises indiennes des TIC concerne le renforcement de leur activité dans le domaine de la formation, déjà évoqué précédemment. Les activités de services dans le secteur des TIC génèrent des revenus étroitement corrélés avec l’accroissement du personnel employé. Augmenter les revenus veut dire, souvent, accroître la taille des projets, donc celle des équipes engagées dans la réalisation de ces derniers. Aussi, le contrôle de la gestion des ressources humaines est devenu un facteur important de réussite pour les entreprises. Dans un rapport récent, la Nasscom souligne que 8 % seulement des jeunes licenciés en ingénierie sont aptes à l’emploi dans le secteur des TIC, pointant ainsi à la fois les lacunes de l’enseignement, la perte de potentiel des diplômés et le travail immense de formation auquel les entreprises doivent faire face. Une bonne moitié des employés étant recrutés au sein des disciplines scientifiques sans avoir acquis les connaissances nécessaires dans les TIC, les entreprises doivent résoudre ce manque en interne. Aussi les grandes entreprises (comme TCS, Infosys ou Wipro) disposent de leurs propres services de formation à l’intention des jeunes diplômés, les stages pouvant aller de deux semaines à trois mois, voire six mois pour les freshers. La nature, la durée, l’intensité des formations professionnelles varient selon la nature des projets réalisés par les entreprises. Les grandes entreprises sont capables de mobiliser un grand nombre de programmeurs dans n’importe quel domaine technologique en un temps très court. À côté de cette formation interne, des sociétés spécialisées offrent leurs services à la demande, comme NIIT, et des entreprises comme TCS peuvent leur sous-traiter certaines formations. En conséquence, le marché de la formation professionnelle dans le secteur des TIC a connu une croissance de 13 % entre 2007-2008 et 2008-2009, les revenus générés par ces sociétés passant de 3,4 à 3,9 crores de roupies45. Par ailleurs, les grandes entreprises collaborent toutes avec des écoles d’ingénieurs pour définir les curricula et former les enseignants afin que les formations répondent directement à leurs besoins. Le programme intitulé Infosys Campus Connect, développé par Infosys, en est un exemple. Il a été lancé en 2004 dans plus de soixante collèges et il en concerne aujourd’hui près de quatre cents. Infosys organise en outre des conférences, des séminaires et des ateliers de formation dans les écoles d’ingénieurs, afin de faire connaître les besoins du secteur, d’initier des études de cas, de présenter des projets de recherches, en invitant les enseignants à travailler sur des sujets communs aux mondes professionnel et universitaire. Tata Consultancy Services dispose de son côté d’un Academic Interface Programme. Il s’agit d’une plateforme en ligne qui s’adresse également aux étudiants, aux enseignants et à tous les acteurs institutionnels concernés par les TIC, en Inde et à l’étranger. En 2009, ce programme concernait 500 écoles d’ingénieurs en Inde (sur environ 3 500 au total) et 85 instituts à l’étranger. La même année, TCS a proposé 130 cycles de formations pour les enseignants, qui auraient été suivis par 4 000 d’entre eux, et 400 ateliers qui ont touché plus de 52 000 étudiants dont 1 300 ont bénéficié d’un stage chez TCS ou fait l’objet d’une distinction de la part de l’entreprise. À côté d’Infosys et de TCS, le troisième grand groupe, Wipro, propose aussi son programme de formation, Mission 10X, qui est un des composants d’un projet plus général dénommé Wipro Quantum Innovation lancé en 2007, le 5 septembre, jour de fête des enseignants en Inde. Wipro a bâti sa réputation dans le secteur de la formation continue en développant un outil qui est le résultat de recherches pédagogiques menées en collaboration avec le milieu universitaire, les étudiants et le monde industriel. Comme dans les cas précédents, il s’agit de compléter les formations technologiques des nouveaux diplômés pour les rendre employables par les sociétés de services. Ce programme est plus ambitieux que les deux précédents par sa taille. Wipro a sélectionné 1 300 écoles d’ingénieurs au sein desquelles elle entend former de manière progressive 10 000 ingénieurs sur trois ans. Au terme de ces cessions menées dans les écoles et prévues pour une durée d’une semaine - qui supposent le recrutement d’une masse de formateurs dans tout le pays -, les enseignants obtiendront une certification labellisée Wipro Learning Model censée garantir la qualité et le caractère novateur des pratiques pédagogiques. l 45. Dataquest, 2009, http:// dqindia.ciol.com/content/ dqtop20_09/ IndustryAnalyses/2009/ 109081335.asp (accès 9 mai 9, 2010, la page n’est plus accessible) APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 127 128 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –CONCLUSION– –9– APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 129 CONCLUSION – L A PLACE DE L’INDE DANS LE MARCHÉ MONDIAL DES TIC – Entre les années 1990 et 2010, l’Inde est entrée dans le groupe des quatre pays, incluant les États-Unis, la Chine et le Japon, qui ont affiché un taux de croissance (mesuré en termes de parité de pouvoir d’achat) les plus élevés. Mais le taux de croissance de l’économie de l’Inde est passé de 9 % en 2010-2011 à 6 % en 2011-2012 et il est estimé autour de 5 % en 20122013, alors que le taux d’inflation avoisine les 10 % en 2013. Si l’évolution générale va dans le sens d’une réduction de la pauvreté, quels que soient les indicateurs retenus, les inégalités économiques et sociales demeurent grandes en Inde, entre les états, entre le milieu rural et le milieu urbain et entre les classes sociales. Les contraintes internes (pauvreté de masse, faiblesse des infrastructures, insuffisance des resources énergétiques), expliquent en grande partie la faiblesse du marché intérieur, qui constitue le principal frein à la croissance. Comme cela a été expliqué dans le chapitre 2, la croissance économique de l’Inde résulte de l’essor du secteur des services et, pour partie, des services associés aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette configuration socio-écono- – ENCADRÉ 34. LA RÉVOLUTION DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE – Les succès remportés en matière de téléphonie mobile, succès technologique d’abord et succès social ensuite, témoignent des paradoxes qui caractérisent la société et l’économie indiennes. La téléphonie mobile a été introduite en 1994, de manière limitée pour les seules villes de Delhi, de Mumbai, de Kolkata et de Chennai. Vingt ans plus tard, la diffusion massive du téléphone portable est un des faits les plus visibles de la révolution technologique qui bouleverse les modes de vie et de communication de la population. Même si les usages économiques et sociaux varient selon les groupes, la téléphonie mobile n’épargne aucun secteur, elle touche les villes comme les campagnes, les quartiers les plus chics comme les bidonvilles, et toutes les couches de la population, du simple pousseur de rickshaw à vélo au cadre supérieur. Seuls les sans-abris, en ville, sont exclus de cette évolution. Le nombre total d’abonnés (tous types de connexions confondues) est passé de 340 000 en 1997 à près de 920 millions en 2012. On enregistre 38 % d’abonnés en milieu rural et 69 % en milieu urbain Le secteur des télécommuni- 130 cations dont le taux de croissance est de 20 % par an représente environ 3 % du produit domestique brut (GDP). La taille du marché indien attire les investissements étrangers (Foreign Direct Investment) qui se sont élevés à 13 millions de $ pour les années 2000-2013. Le secteur des télécommunications est divisé entre une quinzaine d’opérateurs dont les trois plus importants sont Bharti Telecom (20 % de parts du marché), Reliance (17 %) et Vodafone (16 %), loin devant les deux opérateurs sous contrôle public (Public Sector Undertaking) que sont BSNL (11 %) et MTNL (0,6 %). En termes d’appareils, Nokia a été l’une des premières sociétés à proposer des téléphones mobiles à simple usage téléphonique bien adaptés à la demande de masse (robustesse, lampe torche incorporée). Mais avec le développement du marché et la diversification des usages du téléphone portable, la concurrence est forte. La société coréenne Samsung est aujourd’hui très active, son réseau de distribution très large et ses nouveaux produits, présentés dans la presse quotidienne, sont en vente en Inde en même temps que dans les pays occidentaux, et à des prix équivalents. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE mique remet en cause le processus d’industrialisation qui fut un élément déterminant, historiquement, de la croissance des pays occidentaux. Dans ce dernier cas, les migrants issus des campagnes qui arrivaient en ville furent absorbés par l’industrie naissante qui ne requérait pas, au départ du processus d’accumulation capitaliste, une main d’œuvre qualifiée. Ce modèle, sur lequel furent élaborés les premiers plans quinquennaux de l’Inde indépendante, a été fortement remis en cause, à partir des années 1980 et 1990, par le développement des activités de services. Les TIC, en effet, emploient une main d’œuvre urbaine, éduquée, maitrisant la langue anglaise, et travaillant essentiellement pour le marché extérieur. Or du point de vue économique et social, l’Inde doit intégrer une masse de jeunes ruraux sans emploi, peu éduqués, sans qualification professionnelle et ne parlant quasiment pas l’anglais. Pour résoudre cette contradiction, les élites économiques proposent une extension des technologies de l’information et de la communication, voyant dans cette généralisation un moyen de transformation économique et sociale de l’Inde. L’objectif est de mettre les TIC au service du bien public afin de rendre plus efficace le fonctionnement des administrations, de rationaliser les programmes d’aide et de développement élaborés à l’attention des groupes les plus défavorisés, d’étendre le système de soin et de couverture sociale, de rendre effectif le droit à l’éducation pour tous, de rénover la pédagogie du système d’enseignement et d’étendre les services bancaires et financiers. En résumé, il s’agit de rendre accessible ces technologies à la plus grande part de la population, d’en favoriser la maitrise matérielle et intellectuelle, mais aussi de former une main d’œuvre à même d’être employée dans ces nouveaux secteurs d’activités qui sont créateurs d’emplois, générateurs de revenus et de consommation, autant de facteurs qui favorisent la croissance économique. Dans une conjoncture d’internationalisation des activités économiques, la position de l’Inde sur le marché mondial des TIC est importante à connaitre pour deux raisons d’ordre différent : D’une part, la qualité de la main d’œuvre et le faible coût du travail incitent les entreprises occidentales à développer leurs activités dans les pays émergents, Mais, d’autre part, ces pays émergents se font concurrence entre eux pour s’approprier cette part de revenus tirés des nouveaux secteurs d’activité économique. La position que ces pays occupent sur le marché mondial des TIC est donc un élément d’infor- mation qui importe à toutes les parties concernées. Afin d’établir cette position, les économistes du Forum économique mondial en collaboration avec l’INSEAD46 ont élaboré un indice, le Networked Readiness Index (NRI), qui a pour objectif de mesurer l’état de préparation des pays à la généralisation des TIC ou, en reprenant leur langage, à la mise en réseau de l’économie et de la société. Cette enquête menée régulièrement depuis 2000 a porté sur 133 pays en 2090-2010 et sur 138 pays en 2010-2011. L’indice mesure trois types de facteurs qui sont euxmêmes décomposés en trois segments : premièrement, l’environnement (état du marché, régulation politique, infrastructures), deuxièmement, l’état de préparation global aux TIC (traduit en termes de capacités des individus, des entreprises, des instances publiques) enfin, troisièmement, les usages présents des TIC (des individus, des acteurs économiques, de la puissance publique). Chacun de ces segments est décomposé en variables, soixante-huit au total, estimées à partir de deux types de données. Il s’agit, d’une part, de données quantitatives, par exemple les taux d’équipements en ordinateurs, le nombre d’utilisateurs d’Internet, le nombre de lignes de téléphone, le nombre d’utilisateurs de téléphones portables, le montant des investissements étrangers directs et, d’autre part, de données d’ordre qualitatif obtenues par une enquête d’opinion réalisée auprès des principaux acteurs du monde économique. Ces variables sont ensuite pondérées et ordonnées pour aboutir à des indices variant sur une échelle de un à sept. Les pays sont alors classés selon le rang qu’ils occupent pour chaque segment, et selon l’indice global qui résume l’ensemble des soixante-huit variables analysées. On a retenu le classement comparé de l’Inde en 2009-2010, d’abord avec des pays asiatiques et plus particulièrement la Chine, concurrent immédiat de l’Inde sur le marché des TIC, et ensuite, avec les trente-quatre pays membres de l’OCDE qui constituent un ensemble plus vaste que les pays de l’Union européenne et au sein duquel se trouvent les principaux pays développés utilisateurs des services et de la main d’œuvre indienne. En 2009-2010, parmi les 133 pays analysés par le Forum économique mondial, l’Inde affiche un NRI de 4,1 (sur un maximum de 7 points) et se classe au 43e rang derrière la Chine qui occupe le 37e rang avec un NRI de 4,3 (tableau 58). Les performances de l’Inde sont légèrement supérieures à celles de la Chine pour la partie environnement (NRI respectivement de 4,0 et 3,8) ; elles sont équivalentes en 46. L’INSEAD, anciennement connu comme l’Institut européen d’administration des affaires, est une école internationale de management fondée en 1957 et maintenant divisée en trois campus établis sur trois continents, en Europe à Fontainebleau (France), au MoyenOrient à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), et en Asie à Singapour. En 2011-2013, le doyen de l’INSEAD était Dipak C. Jain, un statisticien d’origine indienne, passé par les écoles de management aux États-Unis. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 131 CONCLUSION – Tableau 58 – Décomposition du Networked Readiness Index pour l’Inde, les pays asiatiques et les pays de l’OCDE en 2009-2010 (n = 133) Indicateur Rang Inde Indice Inde Indice Chine Indice Asie Indice OCDE I. Environnement 53 4,0 3,8 3,5 4,8 Suède (5,8) 1. Marché 35 4,7 4,1 4,1 4,8 Hong Kong (5,7) 2. Régulation politique 46 4,5 4,5 3,9 5,1 Singapour (6,8) 3. Infrastructures 83 2,7 2,9 2,5 4,5 Suède (6,0) II. Préparation 22 5,1 5,1 4,3 4,8 Singapour (5,9) 7 5,7 5,5 4,8 4,9 Singapour (6,1) 5. Entreprises (capacités) 23 4,9 4,7 4,0 5,0 Suisse (5,9) 6. Gouvernement (capacités) 35 4,6 5,1 4,2 4,5 Singapour (6,1) III. Usages 64 3,2 4,0 3,0 4,6 Corée Sud (5,7) 109 1,8 2,8 2,2 4,9 Suède (6,4) 8. Entreprises (usage) 26 4,0 4,7 3,3 4,3 États-Unis (6,1) 9. Gouvernement (usage) 48 3,9 4,4 3,5 4,6 Corée Sud (6,2) Ensemble N R Index 43 4,1 4,3 3,6 4,7 Suède (5,6) 4. Individus (capacités) 7. Individus (usage) Meilleur indice Source : Soumitra Dutta et Irene Mia (eds.), The Global Information Technology Report 2010-2011. Transformations 2.0, 10th Anniversary Edition, INSEAD, World Economic Forum, 2011. termes d’état de préparation aux TIC (NRI de 5,1), mais la Chine obtient un meilleur résultat au regard des usages présents des TIC (NRI de 3,2 pour l’Inde et 4,0 pour la Chine). Un résultat paraît contradictoire. En effet l’Inde, d’un côté, affiche un indice élevé (NRI = 5,7) de préparation de la population aux TIC et, de l’autre côté, un indice très bas concernant l’usage de ces technologies (NRI = 1,8). La raison est que l’indice de préparation aux TIC est très marqué par le taux d’équipement en écoles d’ingénieurs et par le nombre annuel de diplômés tandis que, dans la réalité, les disparités économiques et sociales, la faiblesse générale du pouvoir d’achat des ménages et, plus généralement, le poids de la pauvreté freinent la diffusion de ces technologies. L’écart entre ces deux indices mesurant l’état de préparation de la population et les usages est de 3,9 points pour l’Inde, mais seulement 2,7 points pour la Chine. En termes de préparation aux TIC, l’Inde et la Chine devancent les pays de l’OCDE qui, eux, affichent sur ce segment un indice de 4,8 points. Cet écart témoigne des potentialités que présentent ces deux pays asiatiques pour attirer les investissements des pays développés dans le domaine des TIC. 132 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE Toutefois, le fait important à noter est l’évolution de ce classement pour les pays des BRIC entre les années 2006-2007 et 2010-2011 (tableau 58). Dans les cinq dernières années de la première décennie du 20e siècle, quatre des cinq pays de ce groupe régressent dans le classement du Forum économique mondial, et, seule, la Chine dont l’indice gagne 0,6 point progresse et passe du 59e rang au 36e rang mondial. L’indice global pour l’Inde perd un dixième de point en cinq ans, mais malgré cette quasi-stagnation, le pays régresse de quatre places, passant du 44e au 48e rang. Presque tous les pays en tête de ce classement améliorent leur position, à l’exception notable de l’Angleterre et du Japon. Le fort taux de croissance enregistré par l’Inde depuis une vingtaine d’années n’a pas été un élément suffisant pour réduire de manière significative les inégalités économiques et sociales qui divisent les régions, les états et les groupes sociaux. Le sousdéveloppement et la mauvaise qualité des infrastructures lourdes en matière d’énergie (eau et électricité), de système de transport (routes et chemins de fer), et de télécommunications, en particulier pour la téléphonie fixe, restent des facteurs structurels qui font obstacle, non seulement à la pénétra- tion des TIC mais aussi aux gains de productivité des entreprises et aux investissements étrangers, ces derniers se heurtant en outre à une forte résistance d’une partie de la classe politique. La fin du contrôle systématique de l’État (dit Licence Raj) sur le processus de développement industriel, dans les années 1990, a favorisé l’essor de la libre entreprise dont les TIC ont grandement profité. Le secteur des sociétés de services informatiques s’est ouvert à de nouveaux agents économiques qui n’étaient pas issus des milieux marchands et entrepreneurials traditionnels. Le recours massif à une main d’œuvre jeune, éduquée, formée professionnellement touche largement les fractions des classes moyennes urbaines, au-delà des franges des élites qui avaient jusqu’alors un accès privilégié à l’enseignement supérieur. Certes, il s’agit principalement d’une main d’œuvre de techniciens qualifiés plutôt que d’ingénieurs, au sens que revêt cette désignation dans les pays développés. Mais l’émergence de ce groupe socio-professionnel témoigne des opportunités professionnelles nouvelles qui s’offrent aujourd’hui, même aux classes moyennes d’origine rurale. Cependant, l’État, loin de disparaître ou de s’effacer, reste un agent essentiel du développement économique, à la fois comme incitateur, comme régulateur des politiques publiques, et comme acteur lui-même lorsqu’il met en place de vastes réformes du secteur public, en matière de gouvernance par exemple. C’est le cas du National e-Governance Plan47 adopté dès le milieu des années 1990 et, plus récemment, de l’agence gouvernementale, Unique Identification Authority of India48, établie en 2009. Cette agence a pour charge de rationaliser la distribution des aides publiques aux groupes sociaux les plus défavorisés en généralisant l’usage des TIC, en s’adossant – Tableau 59 – Classement comparatif mondial de l’Inde selon le Networked Readiness Index en 2006-et 2010-2011 Rang 2010-11 Pays (n = 138) NRI 2010-11 Rang 2006-07 Pays (n = 122) NRI 2006-07 1 Suède 5,6 2 Suède 5,7 2 Singapour 5,6 3 Singapour 5,6 5 États-Unis 5,3 7 États-Unis 5,5 13 Allemagne 5,1 16 Allemagne 5,2 15 Angleterre 5,1 9 Angleterre 5,5 19 Japon 4,9 14 Japon 5,3 20 France 4,9 23 France 5,2 34 Tunisie 4,3 35 Tunisie 4,2 36 Chine 4,3 59 Chine 3,7 48 Inde 4,0 44 Inde 4,1 56 Brésil 3,9 53 Brésil 3,8 61 Afrique du Sud 3,9 47 Afrique du Sud 4,0 77 Russie 3,7 70 Russie 3,5 138 Tchad 2,6 122 Tchad 2,2 Source : The Global Information Technology Report 2010-2011 (op. cit.) pour cela à des entreprises privées, en l’occurrence Infosys afin de développer les technologies adéquates49. Dans ce domaine comme en d’autres, l’État reste détenteur de ressources rares dont l’accès est l’objet d’une intense compétition entre tous les acteurs économiques et sociaux. Accéder à ce marché des TIC, c’est contribuer à en accroitre les usages, donc les besoins, selon un cercle vertueux à même de développer le secteur des services, que les économistes présentent comme la seule voie de développement pour réduire les inégalités. l 47. h ttp://www.negp.gov.in/ (accès le 4 mai 2013). 48. h ttp://uidai.gov.in/ (accès le 4 mai 2013) 49. V oir Kunal N. Talgeri, « Can Infosys help Congress win 2014 », Fortune, Avril 2013, p. 104-108. APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 133 134 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE – GLOSSAIRE – AICTEAll India Council of Technical Education AIEEEAll Indian Engineering Entrance Examination, concours panindien d’entrée dans les National Institutes of Engineering et écoles équivalentes AIRAll India Rank, Rang obtenu au AIEEE AISSCE All India Senior School Certificate Examination (fin de classe XII ou classe de terminale) APECAsia Pacific Economic Cooperation (Engineering) BA Bachelor of Arts (sans spécialisation) BCA Bachelor of Computer Application (Bac +3) BCom Bachelor of Commerce BEng Bachelor of Engineering (Bac +4) BFSI Banking Finances and Services Insurance B hons Bachelor honors (avec specialization, Honors) BITS Birla Institute of Technology and Science BPO Business Process Outsourcing BSc hons Bachelor of Science, sans spécialisation (Bac +3) BScEng Bachelor of Sciences in Engineering BSc hons Bachelor of Science honors, grade avec spécialisation (Bac +3) BTech Bachelor of Technology (Bac +4) CA Computer Application CAT Common Admission Test, concours d’entrée dans les IIM CBSE Central Board of Secondary Education C-DAC - Center for the Development of Advanced Computing C-DOT Center for the Development of Telematics CEng Chartered Engineer CMIE Centre for Monitoring Indian Economy COER College of Engineering of Roorkee CRM Customer Relationship Management Crore unité de compte indienne équivalent à 10 millions de roupies (ou 100 lakhs) CSI Computer Society of India Dual Degree BTech-MTech Cursus intégré depuis la première année qui permet de mener un MTech en cinq ans au lieu de six ans normalement Deemed University Université privée qui n’est pas complètement autonome mais qui délivre des diplômes en son nom DSIRDepartment of Scientific and Industrial Research, attaché au Ministry of Science and Technology APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 135 GLOSSAIRE ECI Engineering Council of India : Fédération d’une trentaine d’associations d’ingénieurs fondée à Delhi en 2002 EDPElectronic Data Processing EMFEngineering Mobility Forum ESCElectronics and Computer Software Export Promotion Council (en abrégé Electronics Software Council) Enterprise Resource Planning ERP Engineering Service Examination : Concours d’entrée dans le corps des ingénieurs ESE de l’Union indienne (IES) Engineering Technologists Mobility Forum ETMF FDI Foreign Direct Investment. Loi autorisant l’entrée de capitaux étrangers dans l’économie indienne Gross Domestic Product, Produit intérieur brut (ou Produit Domestique brut) GDP Information and Communication Technology (TIC en français) ICT The Institution of Engineers (India), Association généraliste des ingénieurs indiens IE créée en 1920 International Engineering Alliance IEA Indian Engineering Service, Corps des ingénieurs de la fonction publique organisé à IES l’échelle de l’Union indienne ; mais chaque état possède également son corps des ingénieurs, State Engineering Service. IFCCIIndo-French Chamber of Commerce and Industry IT Information Technology Indian (ou International) Institute of Information Technology, dit « triple IT » IIIT IIM Indian Institute of Management, suivi du nom de la ville où l’institut est localisé Indian Institute of Technology, suivi du nom de la ville où l’institut est localisé, par IIT exemple IIT-Madras (les IIT de Madras et de Bombay ont conservé la désignation ancienne des villes où ces instituts sont localisés quoique Madras soit maintenant appelée Chennai et Bombay Mumbai). Information Technology Enabled Services, ensemble des activités de services ITES annexes aux activités de services des TIC Information Technology Professional Forum ITPF Joint Entrance Exam, Concours panindien d’entrée dans les Indian Institute of JEE Technology Knowledge Process Outsourcing KPO Unité de compte indienne équivalent à 100000 roupies Lakh Master in Business Administration, délivré uniquement par les universités MBA MCAMaster Computer Application (BA ou BCA + 3) MEng Master of Engineering (BEng + 2) MHRD Ministry of Human Resource and Development MTech Master of Technology (BTech ou BEng + 3) NASSCOM National Association of Software and Services Companies NCO National Classification of Occupations 136 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE NCRNational Capital Region, « Grande Delhi » NIIT National Institute of Information Technology NIT National Institute of Technology (autrefois nommé RIT) NRI Non-Resident Indian : désigne les Indiens résidant à l’étranger que le gouvernement encourage à investir leurs capitaux dans l’économie indienne National Statistical Survey Organisation NSSO Other Backward Castes/Classes (autres castes/classes arriérées) OBC Open Category : dans la politique des quotas, désigne les sièges qui sont ouverts à OC tous les groupes de castes (parfois appelée Merit Category). Produit Domestique Brut (Gross Domestic Product, GDP) PDB Post Graduate Diploma PGD Post Graduate Diploma in Management : délivré par les instituts qui n’ont pas le PGDM statut d’université et qui ne peuvent donc décerner des MBA Person of Indian Origin PIO Public Sector Undertaking, Compagnies du secteur public ouvertes au captial privé PSU mais dans lesquelles l’État reste majoritaire Pre-University Classes : désigne parfois les enseignements des classes XI et XII PUC avant l’entrée dans l’enseignement supérieur proprement dit RBoIReserve Bank of India RIT Regional Institute of Technology (maintenant nommé NIT) SC Scheduled Castes (castes répertoriées, anciennement castes Intouchables) SEAPSoftware Exporters Association of Pune SPIN Software Process Improvement Network Sociétés de services en ingénierie informatique SSII Secondary School Leaving Certificate (fin de classe X ou classe de 2nd) SSLC ST Scheduled Tribes (tribus répertoriées) SEZ Special Economic Zone, Zone économique spéciale dotée d’un statut juridique et fiscal spécifique sous laquelle opèrent les grandes SSII SSN CE Sri Sivasubramaniya Nadar College of Engineering, Chennai SSN-SASE Sri Sivasubramaniya Nadar School of Advanced Software Engineering STPI Software Technological Park of India : établi en 1991, désigne le statut légal sous lequel opèrent plutôt les petites et moyennes SSII ou toutes autres unités de services des TIC Technologies de l’information et de la communication (ICT en anglais) TIC TiE The Indus Entrepeneurs TIFAC Technology Information Forecasting and Assessment Council UGC University Grant Commission : Commission de l’Union indienne qui supervise et réglemente le système universitaire Union Public Service Commission UPS Year 2000 désigne le passage au second millénaire Y2K APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 137 138 APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE –BIBLIOGRAPHIE– Archibugi Daniele et Pietrobelli Carlo, « The globalisation of technology and its implications for developing countries : Windows of opportunity or further burden ? », Technological Forecasting and Social Change, 70 (9), 2003, p. 861-883. 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The IT economy (Chapter 2), which is predominantly software services export driven, must be understood within the service economy, which has been the driving force behind India’s growth for the last two decades. Given the data limitations, efforts are made to present evolution of the sector in numbers and facts. The rapid expansion of the IT industry is also a result of the availability of a qualifi ed workforce of engineers and technicians, which India produces en masse, in thousands of engineering colleges, with their campuses spread over towns and the countryside (Chapter 3). The next part of the report (Chapter 4) describes about the following : How are these schools different from elite schools like the Indian Institutes of Technology or from the mass of small schools which are more like French technology Institutes, or even training centres ?, What are the main means of access that permit entry into these schools ?, What certifi cates, qualifi cations and ranks do they deliver ? Is there an engineering degree in India ? The social space of the Indian IT service companies is the object of an original quantitative study spread over the two hundred leading companies within this sector (Chapter 5). The aim of this work is to describe this entrepreneurial milieu. Despite its great diversity, it remains largely dominated by a few dozen important groups that are described in a series of boxes. They are presented as portraits of companies that have made India’s reputation (TCS, Infosys, Wipro, HCL, etc.) and of the entrepreneur engineers who built them. We go on to analyse the recruitment procedures in the IT sector, which vary depending on the size of the company and its fi nancial capacity. Over the last two to four years, however, a rapid evolution towards an industrial mode of selection is clearly visible. Internal training programmes have been set up long ago for the recruited personnel in order to compensate for the gaps in the education sector (Chapter 6). The study of computer engineers (Chapter 7) is based on a survey carried out amongst 500 employees situated in the large cities. This study focuses on qualifi ed staff, software engineers and senior executives and managers. We present their training, professional qualifi cations and their professional trajectory through the positions they occupy. A socio-economic portrait of these categories of employees who represent the new emerging elements of the urban middle classes is also presented. The industrial IT sector is nonetheless faced with a serious problem, that of the low investment IT service companies make in research and development (Chapter 8) or poor product domain orientation. This could compromise the future evolution of the companies in a growing competitive environment. To conclude, we situate India’s position in the international IT market, based on the results of an international survey carried out by the World Economic Forum. This survey that has been conducted over a period of about ten years, in over a hundred and thirty countries, measures a society’s level of preparedness for « computerisation » on the basis of an index called the Networked Readiness Index. The evolution of this index over the last ten years shows the stagnation of almost all the countries in the BRICS group, India in particular, with the exception of China. The powerful rise of China in the world IT market should make Indian decision makers, politicians and entrepreneurial actors think about the gains in terms of productivity that Indian companies need to achieve in order to maintain a growth rate that has slowed down over the last few years. l APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE 143 2014-07 N° FÉVRIER 2014 –LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE– Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est le symbole du développement économique de l’Inde et de ses évolutions sociales. Les milliers d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers d’affaires dans les grandes métropoles comme Bangalore, Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule de « cols blancs », la présence de ces personnels qualifiés dans les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment aux États-Unis, certains revenus investis en Inde, tout contribue à la renommée de ce succès économique et social. Aussi, les pays occidentaux, dont la France, s’interrogent sur le nouveau modèle de relations et d’échanges qui s’instaure actuellement. ISBN 978-2-7336-0726-8 Responsables du projet : Roland Lardinois (Centre de Sciences humaines-CNRS UMIFRE 20, Delhi-Inde), avec la collaboration de P. Vignesh Illavarasam (IIT-Delhi). Équipe projet du département études et recherche de l’Apec : Raymond Pronier et Hélène Alexandre Direction du Département études et recherche de l’Apec : Pierre Lamblin ASSOCIATION POUR L’EMPLOI DES CADRES 51 BOULEVARD BRUNE – 75689 PARIS CEDEX 14 CENTRE DE RELATIONS CLIENTS 0810 805 805* DU LUNDI AU VENDREDI DE 9H À 19H www.apec.fr EDOBSA0180-01.14 *prix d’un appel local