Le secteur des TIC en Inde

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Le secteur des TIC en Inde
2014-07
N°
Février 2014
Le secteur des technologies de l’information et
de la communication (TIC) est le symbole du développement
économique de l’Inde et de ses évolutions sociales. Les milliers
d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout
en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers
d’affaires dans les grandes métropoles comme Bangalore,
Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule
de « cols blancs », la présence de ces personnels qualifiés dans
les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite
d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment
aux États-Unis, certains revenus investis en Inde, tout contribue
à la renommée de ce succès économique et social.
Aussi, les pays occidentaux, dont la France, s’interrogent
sur le nouveau modèle de relations et d’échanges
qui s’instaure actuellement.
ISBN 978-2-7336-0726-8
LES ÉTUDES DE L’EMPLOI CADRE
–Le secteur des technologies
de l’information et de la
communication en Inde–
Responsables du projet : Roland Lardinois
(Centre de Sciences humaines-CNRS UMIFRE 20,
Delhi-Inde), avec la collaboration de P. Vignesh
Illavarasam (IIT-Delhi).
Équipe projet du département études et recherche
de l’Apec : Raymond Pronier et Hélène Alexandre
Direction du Département études et recherche
de l’Apec : Pierre Lamblin
Association pour l’emploi des cadres
51 boulevard brune – 75689 Paris cedex 14
Centre de relations clients
0810 805 805*
du lundi au vendredi de 9h à 19h
www.apec.fr
EDOBSA0180-01.14
*prix d’un appel local
2014-07
N°
Février 2014
Partenariat de recherche entre
l’Apec et Roland Lardinois (Centre
de Sciences humaines-CNRS UMIFRE
20, Delhi-Inde), avec la collaboration
de P. Vignesh Illavarasam (IIT-Delhi).
– L e secteur des
technologies
de l’information
et de la
communication
en Inde –
Sociographie du monde de l’informatique :
formation, emploi…
–LES ÉTUDES
DE L’EMPLOI CADRE
DE L’APEC–
Observatoire du marché de l’emploi cadre, l’Apec analyse et anticipe
les évolutions dans un programme annuel d’études et de veille :
grandes enquêtes annuelles (recrutements, salaires, métiers et mobilité
professionnelle des cadres, insertion professionnelle des jeunes diplômés…)
et études spécifiques sur des thématiques clés auprès des jeunes
de l’enseignement supérieur, des cadres et des entreprises.
Le département Études et Recherche de l’Apec et sa quarantaine
de collaborateurs animent cet observatoire.
Toutes les études de l’Apec sont disponibles gratuitement
sur le site www.cadres.apec.fr > rubrique Marché de l’emploi
© Apec, 2013
Cet ouvrage a été créé à l’initiative de l’Apec, Association
Pour l’Emploi des Cadres, régie par la loi du 1er juillet 1901,
et publié sous sa direction et en son nom. Il s’agit d’une œuvre
collective, l’Apec en a la qualité d’auteur.
L’Apec a été créée en 1966 et est administrée par les
partenaires sociaux (MEDEF, CGPME, UPA, CFDT Cadres,
CFE-CGC, FO-Cadres, UGICA-CFTC, UGICT-CGT).
Toute reproduction totale ou partielle par quelque procédé
que ce soit, sans l’autorisation expresse et conjointe de l’Apec,
est strictement interdite et constituerait une contrefaçon
(article L122-4 et L335-2 du code de la Propriété intellectuelle).
03 06 Présentation générale
Introduction
1
–
PETITE HISTOIRE DES TIC
–
–SOMMAIRE–
12 15 17 19 Un développement en trois phases
Le rôle de l’État
Les associations professionnelles
Les entrepreneurs transnationaux
2
–
ÉCONOMIE DES TIC
–
23
24
26
L’essor de l’économie des services
Définition du secteur des TIC et sources des données
La place des TIC dans l’économie des services
3
–
LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE
–
30
31
32
34
Un enseignement de masse aux mains du secteur privé
Géographie de l’offre d’écoles
Géographie de l’offre de disciplines
L’ouverture à l’international
4
–
UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS
–
38
40
41
43
44
Les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs
Les diplômes et les grades
Le nombre annuel d’ingénieurs diplômés
La qualité de l’enseignement professionnel
Les ingénieurs et les études de management
5
–
LES SOCIÉTÉS DE SERVICE EN INGÉNIERIE INFORMATIQUE
–
46
Trois sources de données : Prowess, Dataquest, Nasscom
50
L’espace des sociétés de services informatiques
52
Essai de typologie
62
La faillite frauduleuse de la quatrième SSII de l’Inde : Satyam
63
Le marché parascolaire des TIC. Le succès du National Institute of
Information Technology
65
Les SSII françaises en Inde
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
1
6
–
LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS
–
78 81 81 82 83 Tata Consultancy Services (TCS) et Infosys
Lason India Limited (Chennai)
SRA Engineering Solutions (Chennai)
Une startup (Delhi)
Réduire le fossé formation emploi : le campus Infosys à Mysore
–SOMMAIRE–
7
–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE.
PORTRAIT DE GROUPE
–
88
Présentation de l’enquête
90
Qu’appelle-t-on un informaticien ?
92
Portrait de groupe
96
Le secteur des TIC est-il un milieu professionnel fermé ?
98
Essai de typologie
103
La question des diplômes
109Les informaticiens comme nouvelle fraction des classes moyennes
urbaines
8
–
RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT.
LE POINT FAIBLE DES TIC
–
118
Structure des centres de R&D
120Investissements étrangers des entreprises indiennes et potentiels
de recherches
123R&D et processus d’innovation
9
–
CONCLUSION
–
35 1
139 143 2
Glossaire
Bibliographie
Abstract
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– PRÉSENTATION GÉNÉRALE –
–
LES PARTENARIATS DE RECHERCHE
DE L’APEC –
–
Depuis 2007, le Département études et recherche de
l’Apec engage chaque année un appel à des projets
de recherche en partenariat auprès des chercheurs de
la sphère publique. Cette démarche vise à renforcer
des partenariats sur des thématiques intéressant
l’Apec, les partenaires sociaux et les clients de l’Apec.
Chaque recherche porte sur des sujets différents et
l’apport de l’Apec varie selon les projets : co-construction de projet de recherche, apport financier pour
optimiser des travaux en cours, appui technique
pour des enquêtes sur Internet… L’objectif est de
construire de véritables partenariats dans des logiques de complémentarité d’expertises : les chercheurs apportent leurs expertises pointues et spécialisées pour approfondir les sujets et étudier des
méthodologies spécifiques, le Département études
et recherche de l’Apec apporte, lui, une connaissance approfondie de l’emploi cadre développée
depuis plus de quarante ans.
Peu de temps auparavant, un partenariat avec trois
chercheurs du LISE (Laboratoire Interdisciplinaire
pour la Sociologie Économique du CNAM-Paris) avait
permis d’éclairer les déterminants et les logiques de
la nouvelle division internationale du travail à l’œuvre
dans le secteur des services informatiques et de
mieux en connaître les acteurs, les principes et les
effets sur l’organisation du travail en France1.
Le projet dirigé par Roland Lardinois est apparu
d’emblée dans toute son originalité et ses apports
potentiels. Installé depuis de nombreuses années en
Inde, et fin observateur des évolutions de sa société,
il était particulièrement bien placé pour y investiguer
les sources d’information et le terrain des entreprises,
ainsi que pour décrire et expliquer les logiques qui y
sous-tendent l’émergence et l’installation à la fois du
secteur et de ses spécialistes, catégorie nouvelle à la
fois sur le plan professionnel et sur le plan social. Il
semblait en effet important de dépasser les fantasmes et les caricatures au sujet de ces informaticiens indiens.
Les enseignements de la recherche
–
Une étude qui éclaire sur une société et une économie où les transformations sont profondes
–
Le travail d’investigation réalisé a utilisé toutes les
méthodes classiques des études et des recherches :
recherches et veilles documentaires, entretiens qualitatifs, enquête quantitative.
Ceci a pour premier effet de faire de l’Inde étudiée
un monde plus proche, mais néanmoins spécifique,
tant par rapport aux pays développés que par rapport
aux autres pays émergents.
Loin des fantasmes et des grandiloquences, et avec
pourtant en permanence la toile de fonds de réalités
démultipliées, toutes les données accumulées proposent une nouvelle lecture de la réalité indienne.
Elles donnent à voir les conditions d’émergence d’une
classe moyenne éduquée et urbaine dans un pays où
la grande majorité des emplois relèvent du secteur
primaire (agriculture) et dont la population vit massivement en milieu rural. Elles montrent aussi l’impact
des choix politiques, publics et privés, privilégiant le
développement du secteur des services IT dans une
SOCIOGRAPHIE DU MONDE
DE L’INFORMATIQUE EN INDE
La recherche dirigée par Roland Lardinois, sociologue
au Centre de Sciences Humaines de Delhi (CNRS) est
une sociographie, soit l’étude descriptive de réalités
et de faits sociaux dans un contexte particulier.
Le contexte initial
Lorsqu’en 2009 l’Apec a décidé d’accompagner cette
recherche, les « informaticiens indiens » faisaient couler beaucoup d’encre en France depuis déjà quelque
temps. Pour résumer, ils incarnaient alors à eux seuls
le processus de délocalisation des emplois qualifiés.
Ce processus était généralement attribué à une mondialisation qui ne pouvait que défavoriser des pays
anciennement développés, que ce soit en termes
d’échanges commerciaux ou en ce qui concerne les
marchés du travail.
1. I. Berrebi-Hoffmann, M. Lallement
et O. Piriou (Lise-CNRS-Cnam),
« La division internationale du
travail dans les services
informatiques ». Apec, coll. Apec,
2010.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
3
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
économie très dépendante, d’une part des infrastructures, et d’autre part de la domination toujours plus
importante de l’économie et des emplois informels.2
Le résultat doit modifier sensiblement le regard le
plus souvent porté en France sur les conditions
d’émergence et les caractéristiques des informaticiens
indiens.
Ce regard est d’ailleurs très différent de celui des pays
anglo-saxons, et tout particulièrement des États-Unis,
la principale destination de l’émigration de la maind’œuvre qualifiée indienne. Alors que la tendance
dominante en France est de considérer ces informaticiens comme une main-d’œuvre locale, très nombreuse et bon marché, mais peu apte à se substituer
aux informaticiens français, les pays anglo-saxons en
ont une tout autre expérience.
Ainsi, les deux chercheurs soulignent le rôle majeur
de ces émigrés dans l’émergence du secteur des IT en
Inde à leur retour, avec les biographies de plusieurs
cas de notoriété mondiale, cas dotés d’un double statut : celui d’experts et celui de créateurs et dirigeants
d’entreprises. À ce titre, il n’est pas inutile de rappeler
que les « entrepreneurs » constituent historiquement
une figure centrale dans la société indienne.
Une recherche qui ouvre des pistes d’études
nouvelles
Le travail qui a été réalisé a eu pour objectif de répondre à divers questionnements. Au fil de l’avancement de la recherche, il est apparu que nombre des
questions sur la situation indienne étaient rarement
posées dans le cadre franco-français. Si bien que certains des éclairages qu’elle apporte ne peuvent être
comparés avec la situation en France même, ce qui
suggère de s’y intéresser.
2. L ’économie informelle – ou
« grise », « souterraine », « noire » est
opposée à l’économie « officielle ».
Cette économie et les emplois liés
existent partout dans le monde,
mais dans des proportions
extrêmes. En 2009, un rapport de
l’Ocde estimait que l’emploi
informel (c’est-à-dire mal
rémunéré et sans protection
sociale) représentait 60 % de
l’emploi total dans le monde et
prévoyait qu’il allait augmenter. Il
est la forme d’emploi dominante
en Inde, à l’instar des autres pays
en développement, où sa
proportion varie de 54 %
(Amérique du Sud) à plus de
80 % en Afrique sub-saharienne
et en Asie.
4
Les chercheurs ont travaillé ainsi sur la question des
déterminants sociaux du choix du métier d’informaticien et sur le rôle de l’origine sociale dans le choix de
« faire de l’informatique » en Inde, où l’on sait que le
système des castes est très présent, sans forcément
en connaître toutes les implications mais aussi toutes
les évolutions.
Les stratégies qui président à la création et au développement des formations en informatique et le rôle
central des entreprises dans cette politique sont également traités. De fait, une des clés du lien entre formation et emploi en Inde est précisément la place des
acteurs et financements privés dans la création et
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
l’organisation de pans entiers de l’enseignement supérieur, en particulier dans les domaines de spécialités conduisant aux métiers de l’informatique. Alors
qu’en France l’implication des entreprises dans l’organisation des formations de l’enseignement supérieur
est rarement directe, et difficilement assumée par la
collectivité tout entière, en Inde, plus de 50 % de
l’enseignement supérieur est privé et plusieurs universités ou instituts portent le nom de leur fondateur, en
l’occurrence un chef d’entreprise. Si l’on devait étudier
un exemple « exotique » dans le domaine des stratégies et des investissements éducatifs du secteur privé,
le cas indien pourrait servir, y compris pour les débats
que cela suscite aujourd’hui dans la société indienne,
qui aujourd’hui fait le bilan polémique de cette forte
implication.
Les informaticiens : un monde professionnel mondial, toujours évolutif et complexe
La démarche sociographique, a priori la plus pragmatique pour investiguer une réalité sociale contemporaine, ne va concrètement pas de soi. En cela, l’Inde
n’est pas un « terrain » spécifique, et tout enquêteur
en France peut reconnaître les difficultés que luimême rencontre. Revue des sources existantes, évaluation de leur fiabilité, accès aux données, disponibilité des acteurs, réalisation d’un terrain quantitatif,
traitement et exploitation des résultats : à chaque
étape, des obstacles surgissent, et les réponses apportées se doivent d’en tenir compte. En cela, les proximités entre l’Inde et la France sont évidentes.
En France, le nombre d’informaticiens (cadres et non
cadres) est toujours une estimation. Ceux qui travaillent dans le secteur public ne sont pas identifiés,
tandis que l’on se heurte à la définition des métiers
dans le secteur privé, qui fait toujours débat.
Ici comme en Inde, le rôle que jouent les différents
acteurs est essentiel pour expliquer en partie cette
impression de confusion : les pouvoirs publics, les instances productrices de statistiques nationales, les organisations professionnelles, les entreprises,… produisent
tous des chiffres et des nomenclatures de métiers et de
secteurs, avec les mêmes zones d’incertitude.
Autre point commun, l’absence relative d’adéquation
« formation/emploi ». Le phénomène est particulièrement marqué pour les diplômés des écoles d’ingénieurs : dûment formés pour occuper les emplois
qualifiés du secteur, ces derniers ne s’y font pas toujours recruter et/ou n’y restent pas. Simultanément,
des personnes détenant des diplômes d’autres spécialités et/ou de niveau relativement plus faible, occupent ces emplois qualifiés.
Quant à la qualité des renseignements obtenus au
cours des entretiens, nul n’ignore la difficulté de distinguer entre le souhait d’informer et celui d’exprimer
son point de vue, ce dernier n’étant pas toujours le
résultat d’une investigation objective : il en est par
exemple ainsi de la comparaison entre les débutants
indiens et les débutants français nouvellement recrutés, les premiers étant supposés moins bien « préparés » que les seconds. Quand on sait les débats que
suscite en France la « professionnalisation » des formations du supérieur, on peut en conclure que la différence n’est peut-être pas aussi évidente que ceux qui
recrutent en Inde le supposent.
Ainsi, la collecte des données est aussi difficile en
Inde qu’en France, du fait d’un côté de leur rareté ou
de leur absence, mais aussi de l’autre en raison de la
diversité des auteurs et des producteurs, ainsi que des
objectifs donnés à l’information diffusée. Si la sociologie ne semble pas connaître en Inde la place, ou du
moins la notoriété, qu’elle a en France, les moyens et
les outils en sont disponibles, avec des limites et des
difficultés que la sociologie française des professions
connaît bien aussi.
Informaticiens en Inde, informaticiens en France :
de nombreuses similitudes
À partir des données disponibles, il se vérifie que la
diversité des profils, la complexité des dispositifs de
formation et la faible adéquation entre spécialités de
formation et postes occupés ne sont pas des particularités françaises.
Les informaticiens indiens et les informaticiens français présentent de nombreux traits communs : diversité des profils, mobilité élevée, position relativement
élevée dans la hiérarchie sociale, population urbaine,
taux de féminisation relativement faible mais non
nul, vieillissement…
Et dans les deux pays, si l’attractivité de ces métiers
a été très forte pendant de nombreuses années, cela
semble être moins le cas maintenant.
On voit également que, comme ici, la « qualité » des
enseignements fait débat : la revue de littérature sur
ce point offre un éventail de points de vue très divers,
pour ne pas dire divergents. On y trouve autant d’analyses pour saluer la qualité des informaticiens indiens
que pour dénigrer la faiblesse de leurs formations,
« obligeant » les entreprises à les former, ce qui pourtant pourrait aller de soi.
Ce qui est par contre très différent, c’est leur environnement.
Ainsi, la description de l’appareil éducatif indien
frappe moins par sa complexité, peu éloignée de celle
du système français, que par les effectifs auxquels
elle renvoie : le système d’enseignement supérieur
indien accueille environ 12 % d’une classe d’âge, soit
environ 10 millions d’étudiants ; on compte plus de
3 000 écoles d’ingénieurs et plus de 450 000 Bachelors of Engineering sont délivrés chaque année. On
retient également l’importance de la sélection (beaucoup de candidats et peu d’élus ; coût élevé des
études) et, enfin et peut-être surtout, comme cela a
déjà été signalé, la place occupée par les entreprises
privées, ce qui ne signifie pas cependant que l’Etat
fédéral soit « absent ».
Au final, l’exemple indien montre que les logiques
d’implantations à l’international s’éloignent en partie
du modèle classique de la division internationale du
travail, du moins dans le domaine des TIC. Si les stratégies d’offshoring sont toujours mises en œuvre, la
place prise par les marchés de consommation internes
est devenue essentielle. De fait, la politique d’investissements directs ou indirects en Inde a longtemps
trouvé son explication dans la logique classique des
exportations de services et de la division internationale du travail. Aujourd’hui, elle est portée par le
marché de consommation que représente l’Inde, désormais au 3e rang des pays d’utilisateurs d’Internet.
Cette évolution a des conséquences radicales sur les
objectifs liés aux politiques d’implantation des entreprises dans le monde, qu’elles soient françaises,… ou
indiennes.
D’un côté, le premier employeur français en Inde est
Capgemini avec plus de 40 000 salariés. Les entreprises françaises emploient au total plus de 240 000
personnes, en majorité qualifiées. L’essentiel de ces
salariés est de nationalité indienne, le nombre d’expatriés français étant marginal3. Encore l’estimation
reste-t-elle délicate et conduit probablement à une
sous-estimation4.
Mais, parallèlement, les entreprises indiennes ont
elles aussi opté pour une installation durable dans
des pays comme la France. C’est le cas des sociétés
Wipro, TCS ou Infosys… Leur objectif est en fait le
même que celui des entreprises qui s’installent en
Inde en optant pour la stratégie de l’articulation
étroite du « glocal » (global/local). Et pour cela, elles
3. Selon l’Insee (Insee Première,
mars 2013), en 2010, près de
2 500 groupes français hors
secteur bancaire contrôlent 31 000
filiales hors de France, employant
4,7 millions de salariés à
l’étranger contre 4,2 millions de
salariés en France. La première
zone d’implantation des groupes
est l’Union européenne, avec 43 %
des effectifs à l’étranger devant
les États-Unis (11 %) et la Chine
(9 %). À l’étranger, ces groupes
contrôlent davantage de filiales
industrielles ou commerciales
qu’en France : les filiales
étrangères concentrent 41 % de
leurs effectifs dans l’industrie,
22 % dans le commerce contre
27 % et près de 15 % dans les
filiales françaises.
4. En effet, la législation indienne a
été longtemps particulièrement
contraignante pour les entreprises
étrangères et les investissements
français ont été partiellement
transformés en investissements de
Singapour, ou par des prises de
participation peu visibles.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
5
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
embauchent des cadres français, après avoir été ellesmêmes souvent créées par des informaticiens indiens
recrutés aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Ces liens historiques forts avec les pays anglophones
marquent indéniablement le monde indien des TIC.
Outre la langue, les transferts sont à la fois nombreux,
d’origines diverses et disséminés : les nomenclatures
de secteurs et de métiers, les niveaux de formation, les
titres délivrés, avec, en outre, une culture de l’entreprenariat qui voit converger les modèles de sociétés.
C’est cet ensemble d’évolutions d’origines diverses
mais convergentes à l’échelle mondiale qui conduit
un cadre français travaillant en Inde à affirmer lors
de son interview par Roland Lardinois réalisée début
2013 : « Dans le modèle “one team”, on a une seule
équipe sur le projet, qu’elle soit en Inde ou en France.
On travaille avec les mêmes outils, les mêmes méthodes, les mêmes approches. Le client doit sentir qu’il
n’a affaire qu’à une seule équipe. »
Les chercheurs
Roland Lardinois est sociologue, Directeur de recherches émérite au CNRS (Centre d’études de l’Inde
et de l’Asie du Sud à l’Ecole des hautes études en
sciences sociales, Paris). Spécialiste de l’Inde, il a
passé quatre ans (2010-2013) au Centre de sciences
humaines, à Delhi, où il a initié un projet de recherches franco-indien sur l’histoire et la sociologie
des ingénieurs indiens. Il a publié notamment L’invention de l’Inde. Entre ésotérisme et sciences sociales,
Paris, CNRS Éditions, 2007.
P. Vigneswara Ilavarasan (PhD, IIT-Kanpur) est professeur associé au département de management de
l’Indian Institut of Technology de Delhi. Ses recherches portent sur le secteur des technologies de
l’information et de la communication, et sur les
usages sociaux de la téléphonie mobile en Inde. Il a
reçu plusieurs distinctions, notamment le Outstanding Young Faculty Fellowship Award du IIT-Delhi
(2008-2013) et le Prof. M.N. Srinivas Memorial Prize
délivré par la Indian Sociological Society (2009). Il
est l’auteur notamment de « Indian software workforce : A labour process view », dans C. Upadhya et A.
R. Vasavi (dirs.) In an outpost of the Global Economy :
Work and Workers in the India’s Information Technology Industry, 2008, Routledge, New Delhi, p.162189, et de « Center for Global’or ‘Local for Global’?
R&D Centers of ICT Multinationals in India » dans
Howlett, R. J (dir.) Innovation through Knowledge
Transfer 2010, Berlin, Springer, 2011, 275-282. l
– INTRODUCTION –
Le secteur des technologies de l’information et de la
communication (TIC) est devenu, depuis une dizaine
d’années, l’image de marque du développement économique de l’Inde et le symbole de l’entrée de ce
pays dans l’ère de la postmodernité, celle des réseaux
du monde de l’informatique, de l’Internet et de la
téléphonie mobile. Les milliers d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout en ville
et dans les campagnes, le développement des quartiers d’affaires et de services dans les grandes métropoles comme Bangalore, Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule d’employés en col
blanc, la présence de ces techniciens qualifiés dans
les entreprises nord-américaines et européennes, la
réussite d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment aux États-Unis, revenus pour
certains investir en Inde dans les TIC, tout cela contri6
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
bue encore à la renommée de ce succès économique
et social. Aussi, les pays du sud observent avec intérêt
ce qui est présenté comme un modèle de développement qui pourrait être reproduit dans d’autres
contextes nationaux.
Quelques chiffres fournissent des clefs pour cette
fascination.
Pour l’année fiscale 2011, selon les chiffres du syndicat professionnel de ce secteur (Nasscom, National
Association of Software and Services Companies),
l’ensemble du secteur des TIC et des services associés
(Business Process Outsourcing, BPO) aurait généré
des revenus de l’ordre de 88,1 milliards (billions) de
dollars dont 76,1 milliards, soit 86 % du total, reviendraient au seul secteur des services informatiques. Le
taux de croissance annuel du secteur des TIC serait
passé de 1,2 % en 1998 à 6,4 % en 2011. Toujours
pour cette même année fiscale, le nombre total d’employés qualifiés était estimé à 2,5 millions de personnes et les emplois indirects induits par le secteur
seraient de l’ordre de 8,3 millions : dans la majorité
des cas, il s’agit d’emplois dans des activités annexes
(sécurité, entretien, restauration, transports) qui absorbent une main d’œuvre peu qualifiée.
Autre motif de fascination, le secteur des TIC a vu
émerger de nouvelles catégories d’entrepreneurs privés. Leur principale caractéristique est de ne pas être
issus des groupes marchands traditionnels du monde
indien. À leurs côtés, quelques familles de riches commerçants hindous ou musulmans ont su profiter de
l’essor de ce nouveau marché pour diversifier leurs
activités et même parfois réaliser de véritables reconversions.
Les revenus tirés du secteur des TIC ont également
induit l’essor d’autres secteurs économiques, comme
ceux de l’immobilier et du commerce, pour répondre
aux demandes de consommation de ces nouvelles
catégories d’employés qualifiés. Si le nombre d’employés du secteur des TIC paraît modeste au regard
de la majorité rurale et paysanne de la population
indienne qui regroupe environ 69 % de la population
totale, ces employés hautement qualifiés engagés
dans un secteur d’activités technologiques de pointe
ont un rôle central de producteurs de normes, de
valeurs, de références sociales pour l’ensemble de la
population.
Ce rapport présente une vue d’ensemble du secteur
indien des TIC. Il commence par une présentation
synthétique des politiques scientifiques qui ont préparé l’essor du secteur des TIC (Chapitre 1). Y est
rappelé le rôle des trois acteurs principaux que sont,
d’une part, la puissance publique, qu’il s’agisse de
l’Union indienne ou des états fédérés, d’autre part,
les associations professionnelles et, enfin, les acteurs
transnationaux. Ces derniers acteurs sont les hommes
d’affaires indiens, presque tous des ingénieurs, qui
ont fait fortune à l’étranger, aux États-Unis surtout,
avant de revenir investir dans ce secteur de pointe en
Inde. L’économie des TIC (Chapitre 2) est ensuite située au sein de l’économie des services qui est au
centre de la croissance de l’Inde depuis deux décennies. Il est d’abord souligné que les données disponibles pour apprécier l’ensemble de ce secteur sont
hétérogènes et difficiles à mobiliser de manière cohérente. L’essor des TIC résulte en premier lieu de la
disponibilité d’une main-d’œuvre d’ingénieurs et de
techniciens qualifiés que l’Inde produit en masse
dans des milliers d’écoles d’ingénieurs (Engineering
Colleges) dont les campus couvrent les villes et les
campagnes (Chapitre 3). Quelles sont ces écoles,
quels principes différencient les écoles d’élite comme
les Indian Institutes of Technology de la masse des
petites écoles qui s’apparentent plus à des IUT français ou même à des centres d’apprentissage ? Quelles
sont les principales voies d’accès qui permettent
d’entrer dans ces écoles ? Quels sont les certificats, les
diplômes et les grades qu’elles délivrent ? Y a-t-il un
titre d’ingénieur en Inde (Chapitre 4) ?
L’espace social des SSII indiennes fait l’objet d’une
étude quantitative inédite menée sur les deux cents
premières entreprises de ce secteur (Chapitre 5).
L’objectif de ce travail est de comprendre comment se
présente ce milieu entrepreneurial très diversifié mais
largement dominé par quelques dizaines de grands
groupes. Plusieurs encarts présentent des portraits
d’entreprises qui font la réputation de l’Inde (TCS,
Infosys, Wipro, HCL, etc.) et les ingénieurs entrepreneurs qui les ont bâties. Ensuite, les procédures de
recrutement du secteur des TIC, qui varient selon la
taille et les moyens financiers de ces entreprises, sont
analysées. Elles sont orientées depuis peu vers un
mode industrialisé de sélection et complétées par des
mesures de formation en interne du personnel recruté
en vue de pallier les manques du secteur éducatif
(Chapitre 6). L’étude de la population des ingénieurs
informaticiens (Chapitre 7) est fondée sur une enquête menée auprès de 500 employés localisés dans
les grandes métropoles. Cette étude privilégie les
employés qualifiés, les ingénieurs software et les
cadres et managers et étudient leurs formations, qualifications professionnelles et parcours en termes
d’emplois. Une dernière section de ce chapitre esquisse le portrait socio-économique de ces catégories
d’employés qui représentent les nouvelles fractions
émergentes des classes moyennes urbaines. Enfin, il
faut souligner que le secteur des TIC est confronté à
une difficulté majeure qui peut compromettre l’évolution future de ces activités technologiques : la faiblesse de la part consacrée par les SSII indiennes à la
recherche et au développement (Chapitre 8).
En conclusion, la place de l’Inde sur le marché mondial des TIC est discutée, à partir des résultats d’une
enquête internationale menée par un observatoire de
ce secteur d’activité. La montée en puissance de la
Chine doit faire réfléchir les responsables indiens,
hommes politiques et acteurs entrepreneurials, sur les
gains de productivité à trouver dans les sociétés indiennes, afin de soutenir un taux de croissance qui
s’est ralenti ces dernières années. l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
7
INTRODUCTION
–
ENCADRÉ 1 : INDE, PRÉSENTATION
–
L’Union Indienne est une république fédérale constituée de vingt-huit états et de sept territoires de
l’Union. Le régime politique est une démocratie parlementaire structurée par une chambre basse
(Lokh Sabha, ou Chambre du peuple) dont les députés sont élus au suffrage universel direct, et d’une
chambre haute (Rajya Sabha, ou Conseil des États), composée de membres nommés et élus au suffrage indirect. Les politiques publiques relèvent de trois échelles de décision qui sont parfois concurrentes : le niveau central de l’Union, le niveau fédéral des États et des Territoires de l’Union, enfin le
niveau local dont les structures de gouvernance varient selon le statut des municipalités.
La population de l’Inde est estimée à 1210 millions d’habitants selon les résultats du recensement
de 2011. Le taux de croissance annuel de la population est de 1,6 % par an (2001-2011), ce taux
diminuant régulièrement depuis les années 1980. Avec 17,5 % de la population mondiale, l’Inde est
le second pays le plus peuplé au monde, après la Chine.
Les deux langues officielles utilisées par le gouvernement de l’Union indienne sont l’anglais et le
hindi (cette dernière langue étant parlée majoritairement dans le nord de l’Inde). Cependant, la
constitution reconnaît vingt-deux langues officielles, chaque état de l’Union ayant sa propre langue
administrative.
Dans ce pays multiconfessionnel, les hindous représenteraient 80,5 % de la population totale, les
musulmans 13,4 %, les chrétiens 2,3 %, les sikhs 1,9 %, les bouddhistes 0,8 %, les jains 0,4 % et les
divers 0,7 % ; par ailleurs, la population tribale est de l’ordre de 8 %, mais les catégories de classement
ne sont pas univoques et cette population est souvent répartie parmi d’autres groupes confessionnels
(ces chiffres sont extraits du Census 2001).
La société hindoue proprement dite est organisée en quatre ordres (varna) qui tirent leur origine des
textes classiques anciens de l’hindouisme. Il s’agit des prêtres (brahmanes), des rois (kshatriya), des
commerçants (vaishya), et des gens ordinaires (shudra). Ces ordres se subdivisent en groupes endogames, souvent associés à une occupation, et ordonnés selon leur degré de pureté rituelle. Ce sont
les « jâti », ou castes proprement dites (selon le mot portugais casta) qui organisent toujours une part
de la vie ordinaire des hindous, en particulier pour les mariages. Les groupes considérés comme
« impurs » et dits « Intouchables », improprement appelés « hors castes », sont désignés maintenant
comme « Dalits » (opprimés) ; ils n’appartiennent pas aux quatre ordres précédents des « varna », mais
ils sont intégrés au système des castes (jâti), par le bas. Par ailleurs, l’État central a défini juridiquement d’autres grands groupes de castes, Scheduled Castes, Scheduled Tribes, Other Backward Castes/
Classes, qui sont au principe des politiques de « discrimination positive » selon un système complexe
de quotas, mises en place dans l’enseignement public supérieur et dans la fonction publique.
8
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– Carte 1 –
États et villes principales de l’Inde
AFGHANISTAN
Jammu-etCachemire
CHINA
Himachal
Pradesh
Punjab Chandigarh
Harayana
PAKISTAN
Uttarkand
Dehli
Arunachal Pradesh
NEPAL
BHUTAN
SIKKIM
Uttar Pradesh
Rajasthan
Assam
Bihar
Gujarat
Dadra et
Nagar Haveli
Mumbai
(Bombay)
Jharkhand
Madhya Pradesh
Meghalaya
BANGLADESH
Bengale Occ.
Chattisgarh
Kolkata
(Calcutta)
Tripura
Nagaland
Manipur
Mizoram
BIRMANIE
Orissa
Maharashtra
Hyderabad
Andhra
Pradesh
Goa
Karnataka
Chennai
Kerala
Tamil Nadu
Pondichéry
SRI LANKA
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
9
10
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–1–
– B RÈVE
HISTOIRE
DES TIC
EN INDE –
12 15 17 19 Un développement en trois phases
Le rôle de l’État
Les associations professionnelles
Les entrepreneurs transnationaux
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
11
–1–
BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE
Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) s’inscrit dans
l’histoire des politiques scientifiques et technologiques mises en place par l’État dès
l’indépendance de l’Inde en 1948 (encadré 2). Cependant, l’essor de ce secteur est plus récent.
Il date du milieu des années 1980 et surtout des années 1990 lorsque furent introduites des
réformes structurelles qui ont mis partiellement fin à une économie étatique laissant peu de
place aux entreprises privées et aux forces du marché. Après avoir présenté les trois grandes
périodes de l’histoire des TIC, le rôle structurant de l’État dans le développement de ce secteur
est rappelé, alors qu’il est pourtant dominé par les entreprises privées.
– 1.1 UN DÉVELOPPEMENT EN TROIS PHASES –
La première phase s’étend des années 1950 jusqu’au
milieu des années 1980. Pendant cette période, la
politique de l’État en matière d’informatique s’inscrit
dans le modèle socialiste de développement que défend le premier ministre Jawaharlal Nehru. Il s’agit de
doter le pays des infrastructures industrielles de base
en matière de routes, de chemins de fer, de grands
barrages, d’électricité. L’ensemble du secteur industriel
est sous le contrôle de l’État ; il n’y a pas de grandes
différences stratégiques entre les secteurs hardware
et software, et le gouvernement ne fait preuve d’aucune prospective commerciale. Ce sont les grands
instituts publics de recherche et d’enseignement qui
initient l’introduction de l’informatique, notamment
le Indian Statistical Institute à Kolkata, le Tata Institute of Fundamental Research à Mumbai et l’Indian
Institute of Technology à Kanpur. Cette première
phase est marquée par l’entrée d’IBM sur le marché
indien en 1961 et par son éviction en 1978, en réponse au refus de la société américaine d’ouvrir son
capital aux investisseurs indiens et de partager ses
droits de propriétés intellectuels. Son départ permet
aux entreprises indiennes et aux premiers informaticiens, dont beaucoup avaient été formés par IBM,
d’assurer la continuité de la maintenance du matériel
laissé par IBM et d’occuper ainsi le marché national.
La seconde phase, plus courte, va du milieu des années
1980 au début des années 1990. Elle est associée à la
politique technologique initiée par le premier ministre
Rajiv Gandhi, à la tête du gouvernement de l’Union
après l’assassinat d’Indira Gandhi en 1984. Si celui-ci
impulse une politique innovante en matière des TIC,
son action s’inscrit dans le droit fil des mesures précédemment mises en place par le gouvernement d’Indira
Gandhi. L’État reconnaît alors le potentiel économique
que représente le développement du secteur des services informatiques (software). Les restrictions douanières à l’importation sont progressivement levées,
12
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
mais le gouvernement central manque encore d’une
vision à long terme pour définir une politique viable.
Cependant, les entreprises multinationales sont progressivement autorisées à s’installer en Inde, et malgré
les difficultés administratives et technologiques encore
fortes, Texas Instrument ouvre un bureau à Bangalore
et démontre, pour les partenaires indiens et américains, la viabilité de la délocalisation des services informatiques en Inde. La création à Mumbai de la National
Association of Software and Service Companies (Nasscom), dont le siège est aujourd’hui établi à Delhi, témoigne des changements qui s’opèrent alors dans le
milieu entrepreneurial des TIC.
Toutefois, troisième phase, ce n’est qu’à partir du début
des années 1990 que le secteur des TIC prend réellement son essor sous l’effet des politiques libérales
menées tant par le gouvernement central de l’Union
que par celui de quelques états fédérés comme ceux
de l’Andhra Pradesh, du Karnataka et du Tamil Nadu
dans le sud de l’Inde. Confronté à un fort déséquilibre
de sa balance des paiements, en 1991, le gouvernement Indien, soutenu par la Banque mondiale et le
Fonds monétaire international, s’engage dans la privatisation de l’économie, assouplit les règles du contrôle
des changes et favorise les investissements étrangers
directs (Foreign Direct Investment) dans l’économie
nationale. La convertibilité partielle de la roupie en
devises étrangères, en 1993, favorise le développement du secteur privé et permet l’essor d’une économie
de biens et de services dont les TIC ont été l’un des
grands bénéficiaires. Le secteur du matériel hardware,
malgré son fort potentiel sur le marché intérieur, est
délaissé au profit d’un modèle de services software
orienté vers les seules exportations à destination des
pays développés (États-Unis, Europe). L’Inde passe alors
rapidement d’un système de services peu qualifiés sur
site (on-site) à l’étranger à un système de production
délocalisée (offshore) en Inde.
–
ENCADRÉ 2 : CHRONOLOGIE DE LA POLITIQUE DES TIC
–
la maintenance du matériel qu’IBM laisse dans le pays
1951 IBM ouvre un bureau commercial à Calcutta
1953Premier calculateur analogique indien développé à
l’Indian Statistical Institute (ISI) à Kolkata
Partenariat TCS-Burroughs (Tata Burroughs Limited)
pour vendre et entretenir du matériel Burroughs en Inde
1958 ISI importe un ordinateur soviétique URAL
1961IBM introduit son ordinateur modèle 1401 en Inde et
ouvre un centre de formation à Delhi
1979 TCS est autorisé à ouvrir un bureau aux États-Unis
1962Premier ordinateur digital indien (TIFRAC) installé au
Tata Institute of Fundamental Research à Mumbai
1983Premières mesures pour autoriser l’importation sans taxe
des ordinateurs ou de leurs composants, qui sont assemblés en Inde ; autorisation d’investissements aux capitaux étrangers ; création du Center of Development of
Telematics (C-DOT) pour mettre en place les systèmes de
télécommunications indiens
1963Committee on Electronics, sous la présidence de Homi J.
Bhaba (président de la Commission pour l’énergie atomique)
1966Azim Premji reprend l’entreprise familiale Wipro spécialisée dans les oléagineux
1967Electronics Corporation of India Lt (production d’ordinateurs en concurrence avec IBM)
1968 Création de Tata Consultancy Services (TCS) à Mumbai
1970 Department of Electronics
1971
Electronics Commission (remplace le Electronics Committee) ; la politique en matière électronique passe du
contrôle du ministère de la Défense aux mains des
scientifiques
1973
Santa Cruz Electronics Export Processing Zone (SEEPZ),
Mumbai
Microcomputer Panel Report
1974TCS signe le premier contrat d’importation pour le secteur privé d’un ordinateur Burroughs B1728 pour développer des softwares installés sur site aux États-Unis
1975Azim Premji, directeur général de Wipro, crée la première
division informatique au sein du groupe
1976Programme pour inciter les Indiens non-résidents (NRI) à
investir en Inde ; baisse des taxes à l’importation de matériel hardware destiné au développement de software
Création de Hindustan Computer Limited (HCL)
1977Partenariat entre TCS et la société américaine Burroughs
pour faire de l’import-export de hardware et de software
1978IBM refuse d’ouvrir sa société aux capitaux indiens ; le
gouvernement central dirigé par la coalition du Janata,
de centre gauche, contraint IBM à quitter l’Inde en laissant le marché aux entreprises indiennes qui vont assurer
Microcomputer Policy
1981 Création de la société Infosys
1985Début de l’informatisation de quelques banques et bureaux de réservation des chemins de fer indiens ; diffusion de l’informatique en dehors des milieux de la recherche scientifique
Ouverture à Mumbai du premier supermarché informatique
Texas Instrument s’installe à Bangalore malgré de nombreuses difficultés administratives, ce qui marque le
début du processus d’outsourcing
1986Computer Software Export Development and Training
Policy (Software classé dans la catégorie Open General
License)
1987Entrée des entreprises multinationales sur le marché
indien par l’intermédiaire des sociétés filiales
1988Electronics and Software Export Promotion Council (Ministry of Commerce)
National Association of Software and Service Companies
(Nasscom)
Software exempté de tout droit de douane
1990 Importation du premier super computer CRAY X-MP-14
iFlex est fondée à Mumbai : entreprise fournissant des
services informatiques pour le secteur bancaire, aujourd’hui leader du marché indien
1991
Software Technological Parks of India (sous la responsabilité du Department of Electronics)
Saha Computers & Communications, première entreprise
indienne fabriquant des ordinateurs portables
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
13
–1–
BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE
Joint venture entre Hindustan Computer Limited (HCL)
et Hewlett Packard (HP) pour développer le multiprocesseur UNIX pour HP ; marque le début du secteur Recherche et Développement
Centre for Development of Advanced Computing (CDAC) développe le premier supra ordinateur indien,
PARAM 1000
1991Crise de la balance des paiements ; New Industry Policy :
premier assouplissement des règles de convertibilité de
la roupie indienne ; les investissements étrangers directs
(FDI) ont autorisés
1992IBM revient en Inde pour la vente de hardware et l’exportation de services software
1993 Convertibilité de la roupie pour les comptes courants
Introduction du visa de type H1-B par les États-Unis pour
les informaticiens indiens qui entrent massivement sur
le marché américain dans le cadre de la phase préparatoire au passage à l’année 2000 (dite en anglais Y2K)
1994National Telecom Policy ; diminution du coût des
infrastructures des télécommunications et augmentation
des services offerts
Infosys ouvre une filiale aux États-Unis et Wipro une
unité Recherche et Développement
HCL-HP produisent le premier ordinateur indien avec un
processeur Pentium
1995 Premier cyber-café à Mumbai
Informatisation complète du système de réservations en
ligne des chemins de fer indiens, premier grand succès
public du secteur des TIC
VSNL (Videsh Sanchar Nigam Limited), premier pourvoyeur public de services Internet
1996 Rediff. com, premier portail indien
1998National IT Task Force mise en place par le gouvernement pour étendre l’informatisation du secteur public
1999 Infosys, première SSII indienne introduite au NASDAQ
National Telecom Policy
100 % Foreign Direct Investment recommandé par le
gouvernement dans le secteur des TIC
2001Ministère des Technologies de l’information et des communications
11 septembre, attentats de New York ; 13 décembre,
attaque du parlement indien à New Delhi, en conséquence forte décroissance du secteur des TIC
2002Début en Inde de la Centrino Mobile Technology utilisée
pour les Notebooks
TCS coté au NASDAQ
2004Deux gouvernements fédérés réputés pour avoir favorisé
le développement des TIC dans leur état perdent les
élections en Andhra Pradesh et au Karnataka
Plusieurs SSII annoncent des chiffres d’affaire supérieurs
à la barre symbolique du billion (un milliard) de dollars
Annonce du lancement de la connexion haut débit à
2.4GHz
2009Faillite retentissante de la société Satyam Computer
Services établie à Hyderabad (Andhra Pradesh)
Rachat de Satyam par Tech Mahindra
2012Trente chefs d’entreprises de pointe du secteur software
s’organisent en think tank sous le nom de iSpirt (Indian
Software Product Industry Round Table) au sein de la
Nasscom.
Mise en place d’unités de recherches dans les grands
instituts scientifiques indiens par les entreprises multinationales
Trois types d’acteurs sont présents dans le secteur
des TIC et il faut les prendre chacun en compte pour
comprendre les débats qui traversent ce milieu. Il
s’agit, d’abord, des agences publiques de l’État cen-
14
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
tral et des états fédérés, ensuite, des organisations
professionnelles et, enfin, de la communauté indienne transnationale. l
– 1.2 LE RÔLE DE L’ÉTAT –
L’interprétation du rôle de l’État dans le développement du secteur des TIC est controversée par les acteurs eux-mêmes. Nombre d’entrepreneurs soutiennent que l’État a été, sinon une entrave, au mieux
un acteur indifférent à l’essor du secteur informatique. Ils considèrent que ce secteur illustre le succès
de l’esprit d’entreprise du capitalisme indien une fois
libéré des entraves bureaucratiques de l’économie
étatique. À l’encontre de cette vue sommaire et fondamentalement fausse, Kiran Karnik, qui fut président de la Nasscom de 2000 à 2008, rappelle que
le secteur des TIC n’aurait pas pu se développer sans
l’intervention de l’État. Aujourd’hui, ce dernier continue d’encourager, d’encadrer et de favoriser la politique d’exportation des services informatiques.
Le développement du secteur informatique a d’abord
été permis par l’existence d’ingénieurs formés dans
le réseau des écoles d’élites publiques, les Indian Institutes of Technology (IIT) et les National Institutes of
Technology (NIT), mis en place par l’État lors de l’indépendance de l’Inde et, depuis une vingtaine d’années,
les Indian Institute of Information Technology (IIIT, dit
« triple IT »). On note cependant que presque tous les
grands entrepreneurs du secteur des TIC ont complété
leur formation d’ingénieur à l’étranger, principalement aux États-Unis, et cela dès les années 1950.
L’État a toujours joué un rôle primordial, mais ce sont
les états fédérés, en particulier l’état du Maharashtra
et ceux du sud de l’Inde (Andhra Pradesh, Tamil
Nadu) qui ont initié le développement de grande
ampleur des écoles d’ingénieurs, en privatisant largement ce secteur éducatif souvent aidé par les pouvoirs publics, au moins au début et c’est l’existence
d’une main d’œuvre anglophone sortie de ces écoles
qui a permis l’essor du secteur des TIC.
Dans les années 1970 et 1980, le gouvernement a
d’abord favorisé le développement d’une activité industrielle orientée vers la production de matériel informatique (hardware). Mais devant la nécessité d’importer
une partie de ce matériel qui était ensuite assemblé
en Inde, le gouvernement central a encouragé les entrepreneurs à faire entrer des devises étrangères pour
équilibrer la balance des paiements. C’est ainsi que la
politique d’exportation des services informatiques a
été favorisée par l’État. Les sociétés comme Wipro ou
Hindustan Computer Limited (HCL) étaient d’abord
engagées dans la production d’ordinateurs individuels
avant de se spécialiser dans les services de software
pour l’exportation. Le marché intérieur du software
était alors encore inexistant et non rentable. Avant de
fonder Infosys en 1981, Narayana Murty avait créé une
petite société de services software et tenta de se développer sur le marché intérieur, mais ce fut un échec. En
revanche, l’Inde bénéficiant du décalage horaire favorable avec les États-Unis, les entreprises pouvaient livrer au matin des services commandités dans les vingtquatre heures précédentes, ce que Tata Consultancy
Services comprit dès ses premiers contrats.
Pour assumer ses fonctions d’encadrement des politiques informatiques, l’État s’est doté de deux
agences publiques, d’une part, le Software Technological Park of India, dit STPI (encadré 3) et, d’autre
part, le Electronics and Computer Software Export
Promotion Council, dit ESC (encadré 4).
–
ENCADRÉ 3 : SOFTWARE TECHNOLOGICAL PARKS
OF INDIA (STPI)
–
Le Software Technological Parks of India (STPI) est une structure administrative
mise en place en 1991 sous l’égide de ce qui était alors le Department of
Electronics et qui est devenu aujourd’hui le Department of Information Technology au sein du Ministry of Communication and Information Technology. Ce
programme concerne un seul type de service orienté vers l’exportation, il s’agit
des activités associées au développement et à la maintencance de software. Il
est destiné en premier lieu à faciliter l’organisation matérielle des entreprises
dans des zones géographiques où les infrastructures sont prises en charge par
l’État (notamment le câblage en fibre optique). Le programme distingue trois
types de structures qui sont implantées dans les grandes métropoles sur l’ensemble du territoire : d’abord, des unités vouées à 100 % à l’exportation, ensuite des zones privilégiées d’exportation et, enfin, des unités plus vastes que
sont les parcs scientifiques ou technologiques. En 2009-2010, le STPI recense
7 000 unités opérationnelles dont 5 800 travaillant pour l’exportation. Les
entreprises qui font le choix d’opérer dans le cadre du STPI bénéficient également d’une assistance bureaucratique centralisée pour les procédures d’exportation et, surtout, elles jouissent d’avantages fiscaux importants : droit de
change sur la totalité des transactions, exonération de taxes à l’exportation,
possibilité de vendre sur le marché intérieur 50 % de la valeur des exportations,
et exonération fiscale (au moins pour les dix premières années du programme,
jusqu’en 2011). L’administration du STPI tente également d’améliorer et d’harmoniser les standards de production et aussi de vendre le secteur des TIC à
l’étranger en organisant des tables rondes, des ateliers et des séminaires, notamment au sein des parcs technologiques. (Source : Software Technology Parks
of India, Annual Report 2007-2008 et 2009-2010).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
15
–1–
BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE
Le STPI désigne à la fois l’agence publique chargée
d’encadrer et de faciliter l’exportation de services
software et les unités physiques de productions où
sont installées les sociétés productrices de services ;
il peut s’agir simplement de quelques pièces dans un
immeuble, qui bénéficient du statut de STPI ou d’espaces plus vastes, software clusters, constituant des
petits parcs d’activités de services insérés dans le tissu
urbain. Le Electronics and Computer Software Export
Council-ESC (encadré 4) est une agence publique
chargée uniquement de promouvoir le secteur des TIC
à l’étranger.
En dehors de ces deux agences centrales, les états
fédérés se sont dotés de services administratifs en
charge d’encadrer les politiques dans le secteur des
TIC. Les aides des états se traduisent essentiellement
par la création de zones spéciales d’activités économiques (Special Economic Zones, SEZ) en milieu ur-
–
ENCADRÉ 4 : ELECTRONICS AND COMPUTER SOFTWARE
EXPORT PROMOTION COUNCIL (ESC)
–
Le Electonics and Computer Software Export Promotion Council (ESC), créé
en 1989 par le gouvernement de l’Union indienne, est un bureau central
chargé d’encadrer et de faciliter les exportations de tous produits hardware
et software développés par les entreprises du secteur des TIC. À cette fin les
entreprises indiennes doivent s’enregistrer auprès du ESC qui leur attribue
un « Registration-cum-Membership Certificate ». En contrepartie, le ESC fournit
toutes les informations économiques, politiques et institutionnelles nécessaires aux entreprises pour accéder aux marchés d’exportations ; l’agence
tient des stands dans les foires et expositions internationales et elle organise
des rencontres avec des délégations étrangères, notamment des Buyer-SellerMeets (BSM) avec les entreprises étrangères. L’évènement annuel le plus
important, que réalise le ESC depuis huit ans, est appelé India Soft, foire
commerciale orientée plutôt vers les petites et moyennes entreprises et visant
les marchés des pays de l’Afrique, de l’Amérique latine ainsi que les Émirats
arabes.
Le ESC a des antennes dans presque tous les software clusters. Mais ses bureaux sont modestes en moyens financiers et humains. Les employés sont
souvent sous-payés, de l’ordre de 6 000 roupies, soit moitié moins que les
salaires d’entrée dans les centres d’appel, qui sont eux-mêmes dans les
tranches inférieures des salaires du secteur des TIC.
Quoi qu’il en soit, les rapports annuels publiés par le ESC sont une des
sources d’informations gouvernementales et permettent d’avoir une vue
d’ensemble sur les exportations des différents segments du secteur des TIC.
16
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
bain ou péri-urbain. L’état se charge de fournir les
terrains des SEZ et de les viabiliser au moins pour les
infrastructures de base, eau, électricité, routes, transports. En outre, les entreprises bénéficient d’exonérations fiscales importantes, très incitatives. Les états
fédérés interviennent également pour apporter du
capital (venture capital) aux petites entreprises innovantes. À noter cependant que ces SEZ ne sont pas
spécifiquement destinées au secteur des TIC.
L’État demeure donc un acteur très présent au sein
du secteur des TIC, leur essor étant devenu vital pour
l’ensemble de l’économie de l’Inde. Récemment encore, le gouvernement de l’Union a décidé d’ouvrir de
nouveaux instituts de technologie spécialisés dans
les TIC (voir infra) afin de répondre aux besoins en
main d’œuvre diplômée. Autre marque de son intervention, l’exemption de taxes des STPI, d’abord prévue pour une période de dix ans et qui devait prendre
fin en 1991, se poursuit toujours en 2012.
Par ailleurs, l’État central est lui-même un important
consommateur des TIC pour ses propres services. Le
gouvernement a initié un système d’identification
biométrique individuelle de la population. À cette fin,
il a créé une agence, Unique Identification Authority
of India (UIDA), placée sous la présidence de Nandan
Nilekani, l’un des fondateurs de la société Infosys, qui
a rang de ministre. L’UIDA est chargée de développer
une carte d’identité à puce électronique appelée Aadhaar (en hindi aadhaar signifie « support », « fondation ») dont chaque Indien, à terme, devra être porteur. Cette carte vise d’abord à rationaliser le système
de distribution des aides (revenu minimum, allocation de santé, subside engrais, pension, bourse) afin
d’accroitre le rendement des subsides versés par
l’Union. C’est aussi une carte bancaire permettant de
recevoir ces aides publiques directement sur un
compte bancaire – que les plus démunis se voient
donc contraint d’obtenir – et de retirer de l’argent
dans les distributeurs automatiques de billets dont
tous les villages s’équipent. À terme, ce projet doit
constituer, à l’échelle des états fédérés, un vaste système d’informations individuelles très variées, parfois
confidentielles (sur la santé par exemple). Aussi, des
défenseurs des libertés individuelles se sont élevés
contre les objectifs de ce projet qu’ils contestent sur
le fonds et sur la forme. l
– 1.3 LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES –
À côté de l’État, il existe trois types d’associations
professionnelles qui structurent le secteur des TIC,
respectivement à l’échelle centrale, à l’échelle des
régions ou des états fédérés et enfin à l’échelle internationale. Toutes ces associations servent de représentants des entrepreneurs auprès des autorités administratives avec lesquelles elles négocient les
avantages fiscaux et mobilisent les réseaux politiques
d’état pour accéder aux marchés étrangers. Elles sont
aussi productrices d’informations diverses sous
formes de rapports réguliers et d’enquêtes ponc-
tuelles. Souvent critiquées pour le lobbying dont elles
font preuve, en particulier en faveur des plus grandes
sociétés de service informatiques, ces associations
jouent un rôle important auprès des pouvoirs publics
dont elles ont été longtemps les premières sources
d’information.
La Nasscom (encadré 5) est l’association professionnelle centrale la plus active depuis une vingtaine
d’années et aussi la plus connue. Il n’est pas indifférent que son office central soit localisé à New Delhi,
dans la capitale politique, qui n’est devenue que
–
ENCADRÉ 5 : LA NASSCOM
–
La National Association of Software and Services Companies
(Nasscom) est née d’un conflit d’intérêts entre les producteurs
de matériel (hardware) et les producteurs de logiciels et de services (software) au sein de la Manufacturers Association of Information Technology (MAIT) qui avait été fondée en 1982. Cette
dernière association était contrôlée par les entrepreneurs de
hardware qui s’opposaient à l’arrivée en Inde d’entreprises étrangères concurrentes, et ceux-ci freinaient le développement d’un
secteur software indépendant des producteurs de hardware. En
1987, une cinquantaine d’entreprises de software quittèrent la
MAIT pour fonder la Nasscom, malgré l’hostilité du gouvernement d’alors qui voyait dans cette division un risque d’affaiblissement du secteur émergent des TIC. « Les entreprises de
software avaient le sentiment d’être traitées comme les cousins
pauvres du secteur hardware, tant par les industriels que par le
gouvernement. Mais aujourd’hui la situation s’est inversée et ce
sont les industriels du hardware qui se plaignent d’être mal
traités », rapporte Kiran Karnik, l’un des anciens présidents de
la Nasscom (Karnik 2012).
La Nasscom fonctionne comme une « coalition de concurrents »,
selon l’expression de Karnick, capable de mettre en commun
leurs ressources, d’échanger des informations, d’organiser des
colloques, de mobiliser l’opinion publique et de faire du lobbying auprès du gouvernement pour définir les axes d’une nouvelle politique des services informatiques. Dans les années
1980, les dirigeants de ces entreprises soutenaient l’installation
en Inde de filiales des géants de l’informatique comme IBM,
Texas Instrument, Hewlett Packard ou Microsoft, pensant que
les entreprises indiennes y gagneraient à la fois du point de vue
technologique et du point de vue économique pour pénétrer le
marché américain. La Nasscom organise ses activités de lobbying tant aux États-Unis qu’auprès de l’Union européenne pour
défendre les vertus de la pratique de l’offshore et contrer les
tendances protectionnistes toujours vives dans ces pays.
Un des atouts de la Nasscom est d’appuyer son activité de promotion des TIC par de puissants rapports commandés notamment au cabinet McKinsey, et largement repris dans les médias.
Malgré le coût financier d’accès à ces rapports et le caractère
opaque de leurs données (statistiques non référencées présentées dans un jargon économico-managérial adapté au milieu
professionnel visé), ceux-ci restent la première source d’informations, en l’absence d’études équivalentes qui seraient produites
par le ministère des Communications et des technologies de
l’information, créé tardivement en 2001.
De 700 membres environ au début des années 2000, la Nasscom revendique près de1300 membres institutionnels en
2012. L’association se veut le porte-parole de l’ensemble du
secteur IT dont elle reconnaît pourtant qu’il rassemblerait
environ 4 000 entreprises (lorsque l’agence du STPI avance le
chiffre de 7 000 unités sous son programme). Beaucoup de
ces unités sont de petites ou très petites entreprises dont les
cycles de vie peuvent être très courts et dont les intérêts sont
mal représentés par l’association qui, depuis sa création, défend surtout les intérêts des plus puissantes sociétés de services informatiques en termes de chiffres d’affaires et de personnel employé.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
17
–1–
BRÈVE HISTOIRE DES TIC EN INDE
tardivement un des lieux de concentration des sociétés informatiques. La Nasscom a des bureaux régionaux à Mumbai, Hyderabad, Bangalore et Chennai
mais leurs représentants n’ont pas la notoriété du
président de l’association, et c’est dans les bureaux à
Delhi que les décisions importantes sont prises. Elle
a mis en place des comités spécialisés (Special Interest Groups, SIG) en charge des petites et moyennes
entreprises et distribue des prix, notamment en matière d’innovation technologique, célébrés dans des
manifestations publiques relayées par les medias.
Il existe deux associations régionales, d’une part, la
Software Exporters Association of Pune (SEAP), au
Maharashtra et, d’autre part, la Hyderabad Software
Exporters Association, basée dans la capitale de l’état
de l’Andhra Pradesh. Ces deux associations, de taille
plus modeste que la Nasscom, représentent essentiellement les entreprises de leur état respectif et n’ont
pas d’ambition nationale à l’échelle de l’Inde.
Le troisième type d’association est constitué des
chambres de commerce liant l’Inde avec des pays
étrangers, comme la Indo-German Chamber of Commerce, la Indo-US Chamber of Commerce ou la IndoFrench Chamber of Commerce and industry (IFCCI).
Ces chambres de commerce sont généralistes et le
secteur des TIC n’est qu’un de leurs champs d’activités. Elles ont un bureau central, à Mumbai par
exemple pour la IFCCI, et des bureaux régionaux
comme à Chennai, toujours pour la IFCCI. Elles organisent des tables rondes pour mettre en contact tous
les acteurs du monde industriel des deux pays concernés et facilitent l’installation des entreprises étrangères en Inde. Il existe enfin une association qui vise
les petites et moyennes entreprises du secteur des
technologiques de pointe : basée à Bangalore, Interactive Technology, Software and Media Association
(ITSMA) qui est plutôt orientée vers le milieu des
medias, propose des services à destination des pays
européens, mais sa taille reste assez modeste comparée aux autres acteurs professionnels.
18
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Les associations précédentes sont réservées aux entreprises et non aux individus qui travaillent dans le
secteur des TIC. Pour ces derniers il existe de nombreuses associations professionnelles ouvertes aux
ingénieurs informaticiens, par exemple la Computer
Society of India (CSI), The Indus Entrepreneurs (TiE),
Software Process Improvement Network (SPIN), et le
Information Technology Professional Forum (ITPF).
Toutes ces associations ont des branches dans les
grandes métropoles indiennes mais ne sont pas toutes
très actives. La CSI, créée en 1965, est l’une des plus
anciennes sociétés professionnelles du secteur des
TIC. Son bureau est tenu par des informaticiens qui
travaillent dans le service public, mais elle est ouverte
au secteur privé. Elle a pour objectif la diffusion des
connaissances technologiques parmi ses membres.
L’association The Indus Entrepreneurs (TiE) a été créée
en 1992 par des informaticiens indiens travaillant
dans la Silicon Valley aux États-Unis. Elle dispose de
plusieurs bureaux régionaux en Inde et compte onze
branches dans différents pays. C’est l’association la
plus connue grâce à ses membres qui ont fondé leurs
entreprises en Inde. Elle est également très active pour
trouver des partenaires privés (venture capitalists)
prêts à risquer leurs capitaux dans les technologies de
pointe. Enfin, le ITPF est lié au Software Engineering
Institute de l’université Carnegie Mellon aux ÉtatsUnis : ses activités sont axées sur les aspects technologiques des métiers de l’informatique. L’association
a ouvert une branche à Bangalore en 2003.
Une étude menée sur le fonctionnement de ces associations atteste que les entreprises s’adressent en
priorité à la Nasscom lorsqu’elles recherchent des
informations ou des aides pour développer leurs
marchés à l’étranger. Les petites et moyennes entreprises, alors mêmes qu’elles sont nombreuses à adhérer à ce groupement professionnel, sont plus critiques à son égard car elles estiment que ses actions
sont guidées principalement par les intérêts des
grandes entreprises. l
– 1.4 LES ENTREPRENEURS TRANSNATIONAUX –
La dernière catégorie d’acteurs présents dans le secteur des TIC regroupe les entrepreneurs indiens ou
d’origine indienne. Ces personnes ont le statut légal
de Non-Resident Indians (NRI), de Person of Indian
Origin (PIO) ou, encore, de Overseas Citizenship of
India (OCI) et, depuis une vingtaine d’années, les
gouvernements successifs les encouragent à investir
dans l’économie indienne. Nombre d’ingénieurs issus des Indian Institutes of Technology, établis aux
États-Unis et secondairement en Europe dans les
années 1970 et 1980, agissent comme des acteurs
transnationaux. Ils mettent à profit leur double
connaissance de la demande technologique des
entreprises occidentales et de l’offre de main
d’œuvre qualifiée en Inde pour créer de nouvelles
entreprises : leurs directions sont localisées aux
États-Unis ou en Europe et elles opèrent à travers
leurs agences de développement ou leurs filiales en
Inde, à Pune, à, Bangalore, à Hyderabad ou à Chennai. Ces chefs d’entreprises, regroupés au sein de
l’association The Indus Entrepreneurs, ne sont pas
seulement des investisseurs en capital-risque (venture capitalists) dans les startups du secteur des TIC.
Ils contribuent à produire l’idée de l’« entreprise globale » caractérisée par une culture de travail (petites
équipes, relations horizontales, horaires flexibles),
un environnement matériel (type d’immeuble en
verre et acier, bureaux en open space) et un mode
de gestion managériale des employés, que l’on retrouve plus ou moins dans tous les pays où ces entreprises sont implantées.
On ne peut cependant réduire l’ensemble du secteur
des TIC, qui est très diversifié, à l’image que produisent ces entreprises transnationales. Il faut également prendre en compte les relations qu’elles entretiennent avec les autres entreprises du secteur.
Plusieurs questions demeurent. Les grandes entreprises multinationales ont-elles un effet général
d’entraînement pour l’ensemble du secteur, ou bien
opèrent-elles sur un segment limité, ayant certes une
grande visibilité, mais au total peu d’effets sur les
entreprises plus modestes ? l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
19
20
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– L’ÉCONOMIE
INDIENNE
DES TIC –
–2–
23
24
26
L’essor de l’économie des services
Définition du secteur des TIC et sources des données
La place des TIC dans l’économie des services
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
21
–2–
L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC
De l’avis des économistes indiens (Nayyar, 2012), les
activités de services constituent un secteur hétérogène, et elles sont d’autant plus difficiles à objectiver
qu’elles relèvent pour une grande part du secteur
économique dit informel (encadré 6). Les données
–
ENCADRÉ 6 : LES CADRES DE L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE,
SECTEUR ORGANISÉ ET ÉCONOMIE INFORMELLE
–
L’économie de l’Inde se caractérise par un dualisme très fort entre, d’un côté,
un secteur organisé règlementé par l’État, qu’il soit public ou privé et, de
l’autre côté, un secteur dit informel échappant largement à toute régulation :
ce dernier secteur est de loin le plus important puisqu’il regroupe environ
95 % des emplois, le secteur organisé ne représentant que 5 % seulement
de ces derniers. Dans un pays où près de 70 % de la population vit toujours
en milieu rural, l’ensemble de la population active, en 2010, se répartit pour
51 % dans le secteur primaire, 22 % dans le secteur secondaire et 27 % dans
le secteur tertiaire. L’importance de ce dernier secteur souligne la contradiction à laquelle l’Inde doit faire face : d’un côté, une population rurale pauvre
(34 % de la population villageoise vit en dessous du seuil de pauvreté estimé
à 1,25 $ par habitant et par jour) et, de l’autre, une économie de services
qui offre peu d’emplois pour cette masse paysanne (Source : Economic Survey
2012-2013).
– Tableau 1 –
Distribution de la population active du secteur organisé par branches d’activité
pour les secteurs public et privé en 2011 (en %)
Branches d’activité
Public
Privé
% Ensemble
Agriculture, pêche et mines
9,1
9,2
9,1
Industrie
5,9
47,2
22,4
Énergie
4,8
0,6
3,1
Construction
4,9
0,9
3,3
13,8
1,7
9,0
1,0
4,8
2,5
Transports
Commerce, hôtellerie
Finances, immobilier
7,9
15,0
10,7
Administration, défense
27,5
0,1
16,6
Éducation
15,4
15,8
15,5
Santé, travail social
9,5
3,8
7,2
Autres
0,3
0,9
0,5
100,0
100,0
100,0
Ensemble
Source : Employment Review 2011, Government of India, Ministry of Labour & Employment, Directorate General of Employment and Training,
New Delhi, 2013.
22
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
statistiques publiées par les organismes publics
agrègent trois segments. Le premier segment regroupe les secteurs du commerce, des transports et
de l’hôtellerie ; le second inclut la finance, les assurances, l’immobilier et les services aux entreprises
(business services) ; enfin, le troisième englobe les
secteurs de l’éducation, de la santé et les services
sociaux. Les activités réunies sous l’appellation des
TIC appartiennent toutes au secteur économique dit
formel et relèvent des business services. Mais ce segment se subdivise lui-même selon deux types de services, d’une part, les services associés aux TIC proprement dits (ITES) et, d’autre part, les services plus
usuels comme comptabilité, audit, services juridiques,
consultance, etc., soit autant de services classiques
profondément transformés par les TIC. La désagrégation statistique de ces deux composantes est difficile,
aussi les économistes réduisent-ils implicitement la
catégorie business services aux TIC. Enfin, les statistiques indiennes varient selon les sources, fussentelles issues des institutions publiques. Ces statistiques
présentent donc une marge d’incertitude relativement élevée et les données présentées ci-après ne
fournissent que des valeurs indicatives, même si elles
valent cependant en termes de tendance.
Le tableau 1 indique la répartition de la population
active (main workers) par branches d’activité pour
le secteur organisé en 2011. Les activités économiques qui dépendent de l’état regroupent 60 % de
la main d’œuvre et celles qui ressortent du domaine
privé 40 %. La part du secteur public reste prépondérante dans l’administration et la défense (28 %),
les transports, notamment ferroviaires (14 %), et
l’éducation (15 %). Le secteur privé domine dans
l’industrie (47 %), notamment depuis les années
1990 lorsque l’État s’est désinvesti du secteur industriel et a libéralisé les conditions d’entrée des entrepreneurs sur le marché économique, dans le secteur
financier et immobilier (15 %), et il fait jeu égal avec
le secteur public dans l’éducation (16 %). Entre 2009
et 2011, les emplois ont diminué de 1,4 % dans le
secteur public tandis qu’ils ont augmenté de 10,4 %
dans le secteur privé.
Les données les plus récentes dont on dispose sur la
répartition de la population active selon le niveau
d’instruction (tableau 2) font clairement apparaître
la faible qualification scolaire et professionnelle de
cette population. En 2001, 72 % des actifs masculins et 80 % des actifs féminins considérés comme
étant alphabétisés n’ont pas fréquenté l’école au-
delà de l’enseignement primaire. À l’autre extrême,
7 % des actifs masculins et 6 % des actifs féminins
seulement sont passés par l’enseignement supérieur
court (Bac +2) ou long (Bac +3 et Bac +4 pour
l’enseignement technique). Le développement sans
précédent de l’enseignement professionnel supérieur a sensiblement remédié à ce déséquilibre mais
sans le transformer de manière nette en terme d’instruction. Les activités des TIC, pour vitales qu’elles
soient du point de vue de la croissance économique
de l’Inde, ne rassemblent qu’une part très faible de
la population active globale (moins de trois millions
en 2011). l
– Tableau 2 –
Population active selon le niveau d’instruction et le sexe en 2001 (en %)
Niveau d’instruction
Hommes
Femmes
Ensemble
≤ classes de 6e
71,7
80,0
72,9
≥ 6 mais ≤ Baccalauréat
21,7
14,6
20,7
Bac + 2 (BTS)
0,6
0,8
0,7
≥ Bac + 3 (sauf technique)
5,2
3,6
5,0
Enseignement technique sup.
(≥ Bac + 4)
0,7
1,1
0,7
e
Ensemble
Population alphabétisée
(total)
100,0
100,0
100,0
20 247 574
3 191 382
23 438 956
Source : Census of India 2001, Economic Tables B 3SC, All India (les données concernent les personnes employées pendant une durée de six mois et
plus sur la période de référence).
– 2.1 L’ESSOR DE L’ÉCONOMIE DES SERVICES –
La nouvelle politique initiée à partir de 1991 a favorisé le décollage de l’économie indienne dont le taux
de croissance annuel du produit domestique brut
(PDB) fournit un indice. Ce taux qui était inférieur à
3 % dans les années 1970 est passé à plus de 6 %
dans les deux décennies suivantes avant d’atteindre
9 % en 2007-2008 (tableau 3). Mais le taux de croissance qui était de l’ordre de 9 % par an en 2010-2011,
diminue depuis trois ans et, en 2012-2013, il est estimé autour de 5 % (Economic Survey 2012-2013).
Ce développement économique est tiré par le secteur
des services qui enregistre un taux de croissance bien
supérieur à celui du secteur agricole et du secteur
industriel. L’ensemble du secteur des services a progressé au rythme de 4 % par an en 1971-1980, d’un
peu moins de 7 % dans les deux décennies 19812000, de 11 % en 2007-2008 et, enfin de 12 % en
2011-2012, soit une croissance continue qui en fait
la force motrice de l’économie indienne.
Cette évolution se traduit par un changement dans la
composition du produit domestique brut. La part du
secteur agricole a diminué presque de moitié
entre 1970 et 2000, passant de 46 % à 24 %, et s’est
effondré encore dans la dernière décennie à 8 %. La
part du secteur industriel stagne depuis 1980 à moins
de 22 %. Enfin, les services, dont la part a augmenté
régulièrement dans les trois dernières décennies du
20e siècle, représentent 65 % du produit domestique
brut au début des années 2000 (tableau 4). l
– Tableau 3 –
Taux de croissance par secteurs d’activité du produit domestique brut
de 1971-1980 à 2007-2008 (en %)
Secteurs
1971-1980
1981-1990
1991-1998
2007-2008
Agriculture
1,3
4,4
3,7
2,6
Industrie
4,4
6,4
7,0
8,6
Manufacture
4,3
5,8
7,5
9,4
Services
4,0
6,3
6,4
10,6
Taux croissance du PDB
2,9
5,6
5,7
8,7
Source : Rakesh Mohan, « Growth Record of the Indian Economy, 1950-2008 », dans Pulapre Balakrishnan (dir.), Economic Reform and Growth in India.
Essays from Economic and Political Weekly, New Delhi, Orient BlackSwan, 2011, p. 31.
– Tableau 4 –
Parts du produit domestique brut par grands secteurs d’activité de 1970-1971
à 2010-2011 (en %)
Secteur
1970-1971
1980-1981
1990-1991
2000-2001
2010-2011
Agriculture
46,3
39,7
32,2
24,0
8,0
Industrie
15,6
17,6
21,7
21,8
27,0
Services
38,1
42,7
46,1
54,2
65,0
Ensemble
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
Source : DVS Shastry, Balwant Singh, Kaushik Battacharya, et NK Unnikrishnan, « Sectoral Linkages and Growth Prospects. Reflections on the Indian
Economy », dans Pulapre Balakrishnan, Economic Reform and Growth in India, op. cit., p. 247 ; et Economic Survey 2012-2013.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
23
–2–
L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC
–2 .2 DÉFINITION DU SECTEUR DES TIC
ET SOURCES DES DONNÉES –
Avant d’examiner l’évolution du secteur des TIC au
sein de l’ensemble des activités de services, il faut
s’interroger sur les produits et les services que l’on
désigne sous l’expression des TIC et sur les données
dont on dispose pour les étudier.
Au sein des TIC, on distingue trois grands secteurs
d’activité selon le type de biens délivrés.
• Le premier secteur rassemble la production de
matériel informatique (composants électroniques,
biens de télécommunications, ordinateurs), soit le
hardware. Les rapports publiés par le Electonics and
Computer Software Export Promotion Council (ESC)
répartissent la production hardware selon les catégories suivantes :
– Électronique grand public,
– Télécommunications (hardware) et services associés,
– Instruments électroniques et équipement médical,
– Composants électroniques,
– Matériel (hardware).
• Le second secteur concerne la production de services informatiques proprement dits (télécommunications, vente de matériel, production et maintenance
de logiciels), soit le Computer software.
• Enfin un troisième secteur, le Business Process Outsourcing (BPO), regroupe des activités délocalisées de
traitement de données (mise en forme de relevés
médicaux, de comptes rendus juridiques, gestion bancaire, traductions ou travaux de mise en page pour
les éditeurs). Toutes ces activités – appelées back office – sont effectuées pour le compte d’entreprises
étrangères ou indiennes. La main d’œuvre est faiblement qualifiée et effectue des tâches segmentées,
simples et répétitives. Au sens strict, les activités de
type BPO ne relèvent pas du secteur des TIC bien
qu’elles en utilisent les moyens électroniques. Néanmoins, beaucoup de grandes sociétés sont présentes
sur ces deux secteurs, comme Infosys, Wipro ou Capgemini. Dans les rapports, en particulier ceux publiés
par les associations professionnelles, ces activités
sont souvent incluses dans les TIC où elles apparaissent sous le label « TIC et services associés » (Information Technology Enabled Services -BPO, ou ITESBPO), sans qu’il soit toujours aisé de les distinguer
des services précédents.
24
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
On dispose de données statistiques variées sur l’ensemble de ces activités. Elles fournissent une vue générale du secteur des TIC et de son évolution depuis plus
de trente ans. Cependant, en l’absence de nomenclatures statistiques harmonisées, ces données sont hétéroclites et rarement comparables à l’échelle nationale
et plus encore à l’échelle internationale. L’Inde dispose
pourtant d’une nomenclature officielle, la National
Industrial Classification (NIC), qui permet de classer
uniformément, en principe, toutes les activités industrielles et la main d’œuvre correspondante. Cette nomenclature s’inspire de l’International Standard Industrial Classification (ISIC), produite par le Département
des affaires économiques et sociales des Nations-Unies,
mais elle s’en écarte parfois pour tenir compte des
particularités industrielles du pays. En outre, toutes les
agences productrices de statistiques ne recourent pas
nécessairement à la NIC ou à la ISIC.
Une description sommaire des principales sources de
données concernant les TIC permet de comprendre la
complexité de ce secteur d’activité mais aussi, simultanément, celle de l’administration indienne. Ces
activités s’exerçant dans le cadre du secteur économique formel et étant orientées vers l’exportation,
peu d’entreprises échappent à l’observation de l’administration. Trois sources principales de données
publiques relevant toutes des services du ministère
en charge des statistiques permettent de mesurer ce
secteur en termes de production industrielle, de services et d’emplois, mais la qualité des données varie
selon les procédures de collecte mises en œuvre.
• La production de hardware est approchée par les
données rassemblées dans les Annual Survey of Industries (ASI),
• Les activités de service sont détaillées dans la série
des National Account Statistics,
• Enfin les données sur l’emploi sont accessibles dans
les publications de la National Sample Survey Organisation (NSSO). Cet organisme conduit depuis
plus de cinquante ans des enquêtes thématiques
nationales par sondage portant à la fois sur le secteur formel et informel (à la différence des deux
sources précédentes).
Ces trois sources sont complétées par les données
rassemblées par le Software Technological Park of
India (STPI). Les rapports annuels publiés par cet office distinguent quatre types d’activités de services :
– les services TIC proprement dits,
– les services TIC-BPO,
– les services d’ingénierie,
– et la production de software.
Chacun de ces services est encore subdivisé en segments d’activités spécialisées qui font l’objet d’un enregistrement détaillé auprès de la Reserve Bank of India
(RBoI), mais les données sont difficilement accessibles
aux chercheurs. En outre, le cadre légal, juridique et
financier, offert par les STPI n’est qu’une option possible pour les entreprises. Celles-ci sont libres de développer leurs activités en totalité ou partiellement au
sein des STPI, ou de se déployer de manière indépendante en dehors de cette structure légale.
Une autre difficulté importante demeure concernant
les données du secteur des TIC. Les informations les
plus publicisées sur ce secteur ne proviennent pas des
institutions publiques mais d’une agence privée, la
National Association of Software and Services Companies (Nasscom). Depuis plus de 25 ans, ce syndicat
professionnel s’est imposé comme le premier pourvoyeur d’informations à l’adresse des professionnels
du secteur, du grand public mais aussi de l’État central, en l’absence d’agences publiques assumant de
manière méthodique la production de données statistiques. Association ayant pour tâche d’élaborer et
de vendre sur le marché national et international le
secteur des TIC, la Nasscom a élaboré ses propres
nomenclatures. Ce faisant, on ne trouve aucune continuité d’un rapport à l’autre, ni aucune cohérence avec
les nomenclatures publiques existantes. Au fil d’enquêtes commanditées au bureau d’études américain
McKinsey et dont la méthodologie est opaque, la
Nasscom présente le secteur des TIC en usant d’un
jargon commercial économico-financier qu’il est parfois difficile de comprendre5.
Dans le dernier rapport annuel publié (Strategic Review, 2011), le secteur des TIC est divisé en onze segments verticaux :
– banque, finance et assurance ; industrie,
– vente au détail,
– services,
– santé,
– transports,
– média et communications,
– bâtiment,
– technologies de pointe et télécommunications,
– services publics
– autres.
Les activités de chaque segment sont ensuite déployées selon plusieurs types de services : système
d’exploitation ; software ; maintenance ; conseil ; réseaux, etc. Par ailleurs, les activités de BPO sont subdivisées en sept ou parfois huit segments : économie
de la connaissance ; centres relations clientèle (call
centers) ; finance et comptabilité ; ressources humaines ; formation ; transport et logistique ; autres.
Ces catégories ne correspondent à aucune des nomenclatures officielles mentionnées précédemment
(NCI, ISIC), et les données publiées par la Nasscom
ne permettent aucun rapprochement avec celles produites par les agences publiques.
Au côté de la Nasscom, deux autres sources privées
productrices de données statistiques ont été utilisées
pour notre rapport. Il s’agit, d’une part, du Center for
Monitoring Indian Economy (CMIE), centre de recherche privé localisé à Mumbai et, d’autre part, du
magazine mensuel spécialisé dans les TIC, Dataquest.
Ces deux institutions, comme la Nasscom, produisent
des données à l’échelle des entreprises, mais l’analyse
de ces données, comme nous le verrons ci-dessous,
soulèvent des problèmes de méthode. Une dernière
difficulté, enfin, tient aux unités de compte qui varient d’une source à l’autre, les rendant peu comparables. Il s’agit soit de la roupie indienne pour les
statistiques officielles (présentées en lakh = 100 000
roupies, ou en crore = 100 lakhs = 10 000 000 roupies), soit du dollar américain pour presque tous les
autres rapports, notamment ceux de la Nasscom. l
5. N
ous avons rencontré à plusieurs
reprises les responsables des
rapports publiés par la Nasscom
mais sans obtenir d’informations
claires et précises sur les
méthodes de collecte des données
et les définitions utilisées.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
25
–2–
L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC
–2 .3 LA PLACE DES TIC DANS L’ÉCONOMIE
DE SERVICES –
« The IT/ITES exports have grown to a staggering
US$ 46.3 billion in 2008-2009, in the IT sector
currently employing 2.2 million professionals
directly and another 8 million people indirectly
accounts for over 5 % of GDP, a majority of the
Fortune 500 and Global 2000 corporations are
outsourcing IT/ITES from India and it is the
premier destination for the global sourcing of
IT/ITES accounting for 55 % of the global
market in offshore IT services and garnering
35 % of the TIES/BPO market. » (Nasscom, Strategic Report, 2010)
– Tableau 5 –
Taux de croissance annuel des exportations de services par secteurs d’activité
de 1993-1997 à 2002-2005 (en %)
Secteur
Tourisme
1993-1997
7,7
1999-2001
1,6
2002-2005
33,2
Transports
6,6
12,5
36,4
Assurance
18,3
11,7
47,2
Divers
26,0
4,3
49,8
na
7,3
35,3
14,0
4,8
45,6
Divers dont Software
Ensemble services
Source : C. Veeramani, « Sources of India’s Export Growth in Pre-and Post-Reform Periods », Economic and Political Weekly, 42, 25, 23 June 2007 ; repris
dans Pulapre Balakrishnan (dir.), Economic Reform and Growth in India, op. cit., p. 283.
6. L ors de la crise financière des
pays asiatiques, en 1997,
l’économie indienne aurait été
relativement épargnée, voir Pami
Dua et Arunima Sinha, East Asian
Crisis and Currency Pressure : The
Case of India, Center for
Development Economics,
Department of Economics, Delhi
School of Economics, Working
Paper 18, 2007, 31 pages.
7. C. Veeramani, « Sources of India’s
Export Growth in Pre- and
Post-Reform Periods », Economic
and Political Weekly, 42, 25, 23
June 2007 ; repris dans Pulapre
Balakrishnan (dir.), Economic
Reform and Growth in India, op.
cit., p. 283.
26
On peut mesurer l’essor du secteur des TIC en examinant le taux de croissance des exportations de services par secteur d’activité (tableau 5). Le début des
années 2000 marque le décollage des exportations
de services, une phase qui se prolonge jusqu’en 2010.
Le taux de croissance des exportations, tous secteurs
de services confondus, est passé de 4 % en 19801985 à 11 % en 1986-1990, à 14 % en 1993-19976,
avant d’atteindre 46 % en 2002-2005. Cette croissance des exportations a suivi la demande mondiale,
et ce sont les bas coûts, notamment de la main
d’œuvre, qui expliquent les performances de ce secteur. Mais la part de l’Inde dans l’ensemble mondial
des exportations de services reste faible, de l’ordre de
moins de 2 %.7
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Les figures 1, 2 et 3 informent sur l’évolution des secteurs hardware et software sur les quinze dernières
années. On note les deux seuils de décollage de ce
secteur, en 2005 et en 2010, en particulier pour les
activités de software dont les revenus ont triplé
entre 2005 et 2010. Pour les deux composantes, la
part du marché domestique reste faible, mais la progression du marché intérieur du software progresse au
même rythme que l’ensemble du secteur.
Cependant, l’évolution conjointe, d’une part, des
revenus des activités de software et, d’autre part, du
poids des exportations dans ce secteur depuis plus
de vingt-cinq ans (1985-2012), permet de mesurer
la rapidité du développement de ces activités, quasiment inexistantes au milieu des années 1980 (figure 4). Deux tendances sont observées. Premièrement, ce secteur d’activité ne progresse que très
lentement durant les dix premières années (19851995), mais se développe très fortement depuis le
début des années 2000. Deuxièmement, dès ses
débuts, le secteur du software est orienté vers l’exportation qui représente 30 % des revenus en 19851986. Cette part double en dix ans pour atteindre
60 % en 1995-1996 et la part des exportations
continue d’augmenter depuis 15 ans, mais plus lentement, ces dernières représentant aujourd’hui 75 %
des revenus de ce secteur.
Les activités de services associées aux TIC, qui ont
profondément transformé la structure de l’économie
indienne, constituent également le premier secteur
pour la création d’emplois, en particulier dans le secteur privé. Dans la première décennie du 20e siècle,
le nombre total de personnes directement employées
dans le secteur des TIC a augmenté de plus de 90 %,
passant de 1 470 000 salariés en 2000 à 2 450 000
en 2005, et à près de 2 800 000 en 2012 (figure 5).
En termes de niveau scolaire, il s’agit d’emplois qualifiés : le niveau d’entrée dans le secteur des activités
assosiées aux TIC se situe au niveau Bac +3 (soit le
niveau Classe XII +3 en Inde) au minimum et le plus
souvent au niveau Bac +4. Il faut noter cependant
qu’au sein du système d’enseignement supérieur technologique indien, la qualité des formations est très
variable selon les écoles.
– Figure 1 –
Évolution de la production de hardware et de software de 1999-2000 à 2011-2012
(indice 100 = 1999-2000, en crores de roupies)
1082
2011-2012
908
2010-2011
2005-2006
1742
510
487
363
201
2000-2001
131
155
111
1999-2000
100
100
100
Hard & Software
1426
549
Software
Hardware
Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi
Mais le développement du secteur des services s’accompagne d’un paradoxe. Si les revenus tirés de ce
secteur contribuent aujourd’hui pour plus de 60 % au
produit domestique brut, en termes d’emploi, les activités de services ne représentent que 25 % du total des
emplois de ce secteur (Nayyar, 2012). À l’opposé, le
secteur agricole dont la contribution au PDB a chuté
depuis plus de dix ans, représente encore plus de 53 %
du total des emplois, et le secteur industriel 22 %, soit
une part équivalente à la contribution de ces dernières
activités au PDB. L’Inde est ainsi dans une situation
contradictoire : d’un côté, le gouvernement doit gérer
une population majoritairement rurale, jeune, peu qualifiée et souvent au chômage et, de l’autre côté, les
emplois offerts par les activités de services, celles notamment qui sont associées aux TIC, concernent une
main d’œuvre urbaine et hautement qualifiée. À l’évidence, ces activités de services ne sont pas à même
d’absorber la masse des ruraux sous-employés.
Cependant, les enquêtes emploi conduites par la
NSSO conduisent à relativiser le poids économique
du secteur des TIC, car les services sont un domaine
très segmenté. Au premier rang de l’ensemble du secteur des services, le commerce de gros et de détail
occupait 35,5 millions de personnes en 2004-2005,
soit 38 % de l’ensemble des emplois de services.
Viennent ensuite les activités regroupant l’éducation,
la santé et les services assimilés, soit 25 % des emplois des services, puis la communication, 15 %,
– Figure 2 –
Évolution de la production de hardware de 1999-2000 à 2011-2012
(indice 100 = 1999-2000, en crores de roupies)
2011-2012
510
370
2010-2011
459
331
2005-2006
2000-2001
1999-2000
201
176
111
98
3171
2886
687
342
100
100
100
Total Hardware
Domestic Hardware
Export Hardware
Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi
l’administration et la défense, 8 %, et enfin le business services qui lui ne représente que 3 % du total
des emplois de services (Nayyar, 2012).
En termes de qualification, il faut également relativiser les vues générales que produisent les associations
professionnelles. Selon les données des enquêtes
emploi, la part des employés qualifiés (techniciens,
ingénieurs et cadres administratifs) représentait enviAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
27
–2–
L’ÉCONOMIE INDIENNE DES TIC
– Figure 3 –
Évolution de la production de software de 1999-2000 à 2011-2012 indice 100 en
1999-2000 (en crores de roupies)
1742
1274
2011-2012
2010-2011
1093
2005-2006
411
1938
1426
1566
549
607
155
131
165
2000-2001
100
100
100
1999-2000
Total Hardware
Domestic Hardware
Export Hardware
Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology, Department of Information Technology, New Delhi
– Figure 4 –
Évolution des revenus des services software et part des exportations de 1985-1986
à 2009-2010 (en $ EU)
90
70
80
60
50
60
Revenus
Exportations
70
50
40
40
30
30
20
20
Exportations (% revenus)
2011-2012
2009-2010
2007-2008
2005-2006
2003-2004
2001-2002
1999-2000
1997-1998
1995-1996
1993-1994
1991-1992
0
1989-1990
0
1987-1988
10
1985-1986
10
Revenus (billions $ US)
Sources : Balaji Parthasarathy (2004), Subash Bhatnagar (2006), Nasscom.
ron 55 % du total des emplois de services sur la période 1993-2004, les commerciaux, les employés de
bureau, et les agents de services divers regroupant
35 % des employés. Enfin, une catégorie résiduelle
de 10 % n’est pas spécifiée8 (Nayyar 2012).
L’essor du secteur des services en Inde remet en cause
les idées admises par les économistes sur les modèles
historiques de développement. Tout se passe en effet
comme si l’Inde avait manqué l’étape de la révolution
industrielle suivie par tous les pays développés, y compris par des pays comme la Chine. En Inde, ce sont
les activités de services, en particulier les services
associés aux TIC, qui sont le premier facteur causal
de la croissance économique depuis trois décennies.
Cet essor est tout à fait réel. Il peut être attribué,
d’une part, à des facteurs externes, comme la politique de dérégulation des marchés, de privatisation
du secteur public, et l’existence d’une main-d’œuvre
qualifiée et, de l’autre, à une élasticité des revenus
soutenant une demande de services et de biens considérés jusqu’alors comme ne relevant pas des premières nécessités. Les économistes s’interrogent néanmoins sur le caractère pérenne de cette croissance.
Mais une partie des activités de services, en particulier dans le secteur des TIC, ont pris une forme industrielle et leur évolution est encore susceptible de
gains de productivité. Les économies d’échelle, les
changements technologiques, et une part croissante
des revenus réalisés par des exportations peuvent
avoir des effets positifs sur les autres secteurs d’activités et soutenir la croissance globale de l’économie
à moyen terme. l
– Figure 5 –
Évolution du nombre d’employés dans le secteur
des TIC entre 1999-2000 et 2004-2005
2500000
2000000
1500000
1000000
500000
8. C
e sont les services de santé et
de l’éducation qui emploient le
personnel le plus qualifié, soit
respectivement entre 73 % et
87 %, selon les données des
enquêtes emploi publiées par la
National Sample Survey
Organisation.
28
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
0
TIC Services TIC Manufacture
1999-2000
Total TIC
2004-2005
Source : Annual Reports of the Ministry of Communication and Information Technology,
Department of Information Technology, New Delhi
– LES ÉCOLES
D’INGÉNIEURS
ET L’OFFRE
DISCIPLINAIRE –
–3–
30
31
32
34
Un enseignement de masse aux mains du secteur privé
Géographie de l’offre d’écoles
Géographie de l’offre de disciplines
L’ouverture à l’international
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
29
–3–
LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE
Les filières de l’enseignement technologique doivent être appréhendées au sein du système
éducatif indien (encadré 7). Dans ce chapitre, sont décrits l’espace des écoles dont les
ingénieurs, et notamment les informaticiens, sont issus, les enseignements qu’ils ont reçus, et
les qualifications qu’ils peuvent faire valoir sur le marché du travail.
–
ENCADRÉ 7 : LE SYSTÈME ÉDUCATIF INDIEN
–
9.Ce certificat est délivré par le
Central Board of Secondary
Education (CBSE) qui est, à
l’échelle de l’Union indienne,
l’office principal en charge de
l’enseignement secondaire.
Cependant, il existe d’autres
Boards of Education à l’échelle de
l’Union et, surtout, à l’échelle des
états fédérés. Les programmes
d’enseignement varient selon les
Boards. Mais c’est le CBSE qui
organise les deux grands concours
nationaux d’entrée dans les écoles
publiques d’ingénieurs en prenant
pour référence ses propres
programmes. Les élèves qui
souhaitent présenter ces concours
ont donc intérêt à choisir une
école relevant du CBSE lorsqu’ils
entrent en classe X (Première).
Selon la constitution indienne, l’éducation est un
domaine dit « concurrent » qui relève à la fois de
l’Union et des états fédérés. L’enseignement élémentaire est organisé en douze classes (de la
classe I à la classe XII) couvrant trois sections,
celle du primaire, du secondaire et du secondaire
supérieur. L’enseignement secondaire s’étend sur
cinq années, de la classe VI (équivalent à la 6e) à
la classe X (classe de 2e). La fin du cycle secondaire est sanctionnée par un examen, le Secondary School Leaving Certificate (SSLC).
L’obtention de ce certificat ouvre sur deux options
scolaires. La première option est l’entrée dans le
secondaire supérieur qui est un cycle de spécialisation pré-universitaire, encore dit SSLC + 2 ou simplement +2, correspondant aux classes XI (classe de 1e)
et XII (terminale). Ce cycle comprend trois sections :
humanités, économie et sciences. Le programme de
la section scientifique est centré sur trois disciplines,
mathématiques, physique et chimie, qui constituent
l’ossature des concours d’entrée dans les écoles
d’ingénieurs. La seconde option, en fin de classe X,
est l’entrée dans un centre d’apprentissage (Vocational Training Center) qui délivre un certificat pro-
fessionnel au terme de deux années de cours.
La fin des études pré-universitaires est sanctionnée par un examen, le All India Senior School
Certificate Examination9 (AISSCE), qui serait
l’équivalent du baccalauréat français. Mais,
contrairement à celui-ci, le AISSCE ne permet pas
un accès libre à l’enseignement supérieur. À ce
stade, deux grandes options sont possibles. La
première option est l’entrée dans l’enseignement
supérieur long, mais seulement après avoir passé
avec succès divers concours ou tests d’aptitudes.
L’université délivre des grades (degrees) dont le
premier est le grade de bachelier, Bachelor,
équivalent à la licence, au terme de trois ans
d’études pour les disciplines classiques des arts,
des humanités et des sciences, et de quatre ans
pour les études d’ingénieur. La seconde option, à
la sortie de la classe XII, est l’entrée dans une
école professionnelle de cycle court, dite Polytechnics, qui délivre un diplôme, et non un grade,
après trois ans d’études, notamment des diplômes
d’ingénieur. Les titulaires d’un diplôme d’ingénieur peuvent alors intégrer une école d’ingénieurs en seconde année et obtenir ainsi un BEng.
–3 .1 UN ENSEIGNEMENT DE MASSE AUX MAINS
DU SECTEUR PRIVÉ –
10. Sauf mention contraire, les
données chiffrées concernant les
écoles d’ingénieurs proviennent
des rapports du All India Council
of Technical Education (AICTE)
disponibles sur le site web de cet
organisme qui est rattaché au
Ministry of Human Resource and
Development (MHRD), en charge
de l’ensemble du système
éducatif. En 2012, le nombre
d’écoles d’ingénieurs serait de
3300 selon le MHRD (Annual
Report 2011-2012). Les données
présentées ci-dessous se
rapportent toutes à l’année 2011.
30
Depuis une dizaine d’années, l’enseignement technologique supérieur a connu un développement sans précédent en Inde. Entre 2000 et 2011, le nombre d’école
d’ingénieurs, ou Engineering Colleges (« collège » au
sens britannique de collège universitaire) a été multiplié par près de quatre, passant de 780 à plus de 3 000
collèges10. Cette masse de collèges est caractérisée par
la part écrasante du secteur privé qui rassemble 92 %
des écoles pour l’ensemble de l’Inde : cette proportion
varie entre 66 % pour l’état du Kérala et 96 % pour
l’état de l’Andhra Pradesh. Le secteur public est limité
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
à 8 % des établissements, hors grandes écoles comme
les Indian Institutes of Technology (IIT).
Cette emprise du secteur privé tient au désinvestissement financier de l’État dans les années 1980
et 1990. Cette politique était conforme aux recommandations de la Banque mondiale qui jugeait que
ce secteur d’activité n’était pas vital pour le développement économique du pays, la priorité étant alors
donnée à l’enseignement primaire. Depuis les années
2000, le gouvernement central a changé de politique
en ouvrant de nouvelles écoles publiques d’ingé-
nieurs, notamment huit IIT. Il s’efforce également de
mieux contrôler l’expansion du secteur privé. Les
coûts fixes pour ouvrir un nouveau collège sont élevés
(en termes foncier, immobilier, technologique et humain), aussi de nombreux entrepreneurs autofinancent leurs écoles en sollicitant des dons et en
prélevant d’importants droits fixes par étudiant (capitation fees). Ce système où se conjuguent affairisme
local, népotisme, jeu de pouvoir et politique de castes
a donné lieu à toutes sortes de pratiques délictueuses
qui ternissent la réputation de nombre d’écoles d’ingénieurs (Kaul, 1993).
La vaste majorité des écoles d’ingénieurs, publiques
et privées, sont affiliées à une université technologique d’état, cette dernière étant une instance administrative qui fixe les programmes, le montant des
frais de scolarité et délivre le grade (degree) de bache-
lor. Cependant, certains établissements ont un statut
autonome qui prend plusieurs formes. Il s’agit soit
« d’établissements d’importance nationale », tels les
Indian Institutes of Technology, soit d’universités à
part entière, par exemple la Delhi Technological University de l’état de Delhi, soit, encore, de quasi universités (Deemed-to-be-University) comme le Birla
Institute of Technology and Science localisé dans
l’état du Rajasthan, à Pilani, le village d’origine de la
famille Birla. En se développant, un collège affilié à
une université peut devenir progressivement autonome. Ces statuts présentent plusieurs avantages
pour ces établissements qui ont la liberté de définir
leur cursus et le contenu de leurs enseignements, de
fixer le montant des droits d’inscription et des frais
de scolarité et, surtout, de délivrer un grade d’ingénieur en leur nom propre. l
– 3.2 GÉOGRAPHIE DE L’OFFRE D’ÉCOLES –
Le développement actuel de l’enseignement technologique s’accompagne de trois grands déséquilibres
dont les effets se cumulent : un déséquilibre de l’offre
d’écoles, un déséquilibre du type d’écoles et, enfin,
un déséquilibre de l’offre de disciplines.
Le premier déséquilibre réside dans l’inégale répartition géographique des écoles (tableau 6).
On distingue quatre grands groupes d’états. Le premier groupe est constitué des deux états du sud de
l’Inde, l’Andhra Pradesh (23 % des écoles avec 650
Engineering Colleges), et le Tamil Nadu (16 % avec
450 Engineering Colleges). Ces deux états rassemblent à eux seuls près de 40 % du total des écoles
d’ingénieurs11. Un second groupe de quatre états,
Uttar Pradesh, Madhya Pradesh, Haryana, au nord,
Maharashtra, Karnataka, au sud, dispose d’un nombre
d’écoles variant entre 140 et 300, et représente 37 %
du total des écoles. Les deux derniers groupes sont
relativement sous-équipés en écoles d’ingénieurs. Un
premier ensemble, Kérala, Rajasthan, Orissa, Ouest
Bengale, Gujarat, Punjab, Chattisgarh, regroupe des
états qui n’offrent que 50 à 100 écoles seulement,
soit 21 % du total. Cependant des changements sont
en cours. Ainsi, au Kérala, les initiatives privées se
développent dans le secteur de l’éducation après avoir
été longtemps contenues par les gouvernements de
gauche où dominait le Parti communiste indien, défenseur du secteur public.
11. C
es données portent sur 2 846 écoles d’ingénieurs, soit environ 95 % du
nombre total d’écoles mentionné par le AICTE.
– Tableau 6 –
Distribution des écoles d’ingénieurs par état en 2010-2011
États
Nb collèges
%
% cumulé
Andhra Pradesh
646
22,7
22,7
Tamil Nadu
443
15,6
38,3
Uttar Pradesh
298
10,5
48,8
Maharashtra
251
8,8
57,6
Madhya Pradesh
203
7,1
64,7
Karnataka
169
5,9
70,6
Haryana
136
4,8
75,4
Kérala
105
3,7
79,1
Rajasthan
96
3,4
82,5
Orissa
88
3,1
85,6
Ouest Bengale
86
3,0
88,6
Gujarat
76
2,7
91,3
Punjab
73
2,6
93,9
Chattisgarh
61
2,1
96,0
Uttarakhand
25
0,9
96,9
Bihar
17
0,6
97,5
Assam
16
0,6
98,1
Delhi
16
0,6
98,7
Himachal Pradesh
12
0,4
99,1
Pondicherry
11
0,4
99,5
Jharkhand
11
0,3
99,8
7
0,2
100,0
2 846
100,0
Jammu & Kashmir
Ensemble
Source : AICTE (2011). Les données disponibles en 2010-2011 portent sur 82 % des écoles répertoriées par le AICTE (sont exclus notamment les états
de l’est de l’Inde).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
31
–3–
12. E ntretien avec le directeur du
Manipal Institute of Technology,
University of Manipal, Karnataka,
décembre 2009.
LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE
Le dernier groupe d’états représente 4 % du total des
écoles d’ingénieurs et contient deux états qui se caractérisent par un sous-équipement aigu en écoles d’ingénieurs : il s’agit de l’état de Delhi, et surtout de l’état
très peuplé du Bihar, dont le sous-développement économique et social a fait l’objet de nombreuses études
socioéconomiques. Mais dans ce cas encore, de profondes évolutions sont en cours, en particulier dans le
développement de l’enseignement technologique.
Au total, deux ensembles régionaux concentrent près
des trois quarts des écoles d’ingénieurs. La première
région est le sud de l’Inde où il faut considérer ensemble
les états du Tamil Nadu, de l’Andhra Pradesh, du Maharashtra et du Karnataka dont la capitale est Bangalore,
internationalement connue pour l’excellence du secteur
informatique. Ces quatre états regroupent plus de la
moitié des écoles d’ingénieurs, soit 53 %.
La seconde région, au nord de l’Inde, est constituée des
états contigus les plus peuplés de l’Inde. Aux états du
Madhya Pradesh et de l’Uttar Pradesh il faut adjoindre
l’état de l’Haryana et celui de Delhi. En effet, la National Capital Region (NCR), qui englobe l’état de Delhi
et sa grande couronne s’étend à la fois sur l’état de
l’Uttar Pradesh et celui de l’Haryana où sont implantés
des entreprises des TIC et des écoles qui ne trouvent
plus d’espace dans l’état de Delhi, spatialement saturé.
Ces quatre états du nord de l’Inde rassemblent 17 %
des écoles d’ingénieurs. Et au total, ces deux ensembles
régionaux du sud et du nord comptent pour 70 % de
l’ensemble des écoles d’ingénieurs de l’Inde.
Le second déséquilibre structurel tient à l’opposition
entre deux grands types d’écoles d’ingénieurs selon la
nature des cursus courts (BEng) ou longs (master et
thèse) que celles-ci proposent. En 2011, selon les données publiées par le AICTE, 30 % à 40 % des écoles
n’assuraient qu’un enseignement de premier cycle limité au BEng. Ces écoles forment une main-d’œuvre
moyennement qualifiée qui rejoint rapidement le mar-
ché du travail, en particulier celui du secteur des services. Simultanément, le développement exponentiel
du nombre des écoles d’ingénieurs depuis le début des
années 2000 se heurte à une forte pénurie d’enseignants qualifiés. En conséquence, l’enseignement
constitue un débouché important pour les titulaires
d’un BEng sans expérience professionnelle, en particulier pour les femmes, comme nous l’avons constaté
dans l’état du Tamil Nadu.
L’offre de cursus longs menant au master et à la thèse
(Ph.D.) est un enjeu d’importance dans la compétition à laquelle se livrent les écoles pour s’attacher une
clientèle d’étudiants dans un contexte de privatisation massive de l’enseignement professionnel. Mais
les écoles se heurtent à la règle édictée par le AICTE
selon laquelle, au-delà de la licence (Post-Graduation), les cursus doivent être assurés par des enseignants titulaires d’une thèse.
Or les activités de recherche et développement restent
le point faible du secteur des TIC (voir ci-dessous chapitre 9). Les docteurs en ingénierie ne sont pas assez
nombreux pour soutenir autant qu’il le faudrait la
mise en place de cycles longs dans les écoles d’ingénieurs. C’est la raison pour laquelle on observe une
mobilité scolaire ascendante importante entre le 1e
et le 2e cycle de l’enseignement technologique. Dans
les IIT, les étudiants en master et en thèse sont originaires pour la plupart d’écoles de rang scolaire inférieur, tandis que les élèves des IIT titulaires d’un
BTech partent faire un master ou une thèse à l’étranger, aux États-Unis le plus souvent. Aussi, nombre
d’écoles privées s’efforcent de mettre en place une
production maison de docteurs. Elles recrutent un
docteur en ingénierie et encouragent leurs enseignants à s’inscrire en thèse avec celui-ci afin d’obtenir
une masse critique de professeurs à même de soutenir la mise en place de filière longues pour retenir les
étudiants au-delà du BEng12. l
– 3.3 GÉOGRAPHIE DE L’OFFRE DISCIPLINAIRE –
Le troisième déséquilibre, enfin, affecte l’offre de disciplines (tableau 7). Depuis une quinzaine d’années,
celle-ci est largement orientée vers le secteur des TIC.
Cette tendance se fait au détriment des disciplines
comme l’ingénierie civile, la mécanique, l’électricité
ou la chimie, les disciplines reines de la formation des
ingénieurs indiens jusqu’aux années 1980.
Les disciplines relevant directement des TIC sont divisées en deux sous-groupes.
32
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
• Le premier groupe (TIC 1), réunit les trois disciplines qui sont enseignées quasiment dans toutes
les écoles : « électronique et communication »,
« sciences informatiques » et « technologie de l’information ». Pour l’ensemble de l’Inde, ce noyau disciplinaire représente 56 % des places offertes dans
les écoles d’ingénieurs.
• Un second groupe (TIC 2) est constitué de trois
disciplines voisines qui ne sont pas toujours présentes
dans tous les cursus : « électronique et électricité »,
« électronique et télécommunications » et « informatique ». Ce groupe secondaire représente 14 % des
places offertes dans les écoles.
Au total, ces six disciplines des TIC (TIC 1 + TIC 2)
regroupent 70 % du total des places offertes dans
les écoles d’ingénieurs pour l’ensemble de l’Inde.
Mais elles sont localisées pour l’essentiel dans les
états du sud de l’Inde, les états de l’Andhra Pradesh
et du Tamil Nadu comptant pour 44 % des places
dans les branches des TIC.
La distribution de l’offre disciplinaire en ingénierie
varie selon les états. Ces variations provoquent la
migration des étudiants qui se déplacent d’un état à
l’autre, surtout des états du nord et du nord-est de
l’Inde vers les états du sud, pour s’inscrire dans les
écoles d’ingénieurs. Ces différences tiennent à la fois
au nombre de places disponibles par branches, luimême variable selon le nombre d’écoles dans chaque
état, et à la différenciation interne des programmes
proposés par les écoles. Celles-ci ne sont pas totalement libres de l’offre qu’elles présentent. Le nombre
de places par branches et la nature des spécialisations proposées obéissent à des règles imposées par
le AICTE dont l’agrément est nécessaire pour toute
ouverture d’un nouveau cursus.
Pour estimer les variations régionales de l’offre disciplinaire, on dispose de statistiques portant sur les
places disponibles par branches et par état. Des
trente-cinq états et territoires de l’Union qui composent l’Inde, on en a retenu dix-sept dont les données regroupent 98 % de l’ensemble des places ouvertes dans l’Inde entière. Premièrement, la
distribution des branches d’ingénierie pour les quinze
premières disciplines de ces états est présentée par
ordre d’importance décroissante. Ces distributions
illustrent la diversité de l’offre de formations proposée par chaque état. Deuxièmement, chacun de ces
dix-sept états est classé, d’une part, selon la proportion totale des TIC dans les formations offertes et,
d’autre part, selon les parts respectives des deux sousgroupes des TIC identifiés précédemment. Dans les
deux cas, les variations régionales de l’offre disciplinaire au profil moyen pour l’ensemble de l’Inde sont
comparées (tableau 8).
Deux traits principaux différencient les profils disciplinaires des états. Le premier trait tient à la diversité
plus ou moins grande de l’offre, compte tenu du
poids général des TIC dans les formations proposées.
Le second trait est la force de résistance des disciplines traditionnelles, notamment la mécanique et le
– Tableau 7 –
Nombre de places offertes par disciplines dans les écoles d’ingénieurs pour l’ensemble
de l’Inde en 2010-2011
Disciplines
Nombre total de places
%
% cumulé
Electrical & Communication
204 062
21,1
21,1
Computer science
200 974
20,8
41,9
Information Technology
135 143
14,0
55,9
Mechanical
128 167
13,3
69,1
Electrical and Electronics
95 271
9,9
79,0
Civil
67 019
6,9
85,9
Electrical
28 450
2,9
88,8
Electronics & Telecommunications
24 725
2,6
91,4
Instrumentation & Control
20 734
2,1
93,5
Computer
17 185
1,8
95,3
Biotechnology
7 263
0,8
96,1
Electronics
7 231
0,7
96,8
Chemical
6 914
0,7
97,5
Aeronautics
5 154
0,5
98,1
Autres
18 722
1,9
100,0
Total
967 014
100,0
Source : AICTE (2011)
– Tableau 8 –
Distribution des branches d’ingénierie par état en 2010-2011 (en % de places
offertes)
États
TCI 1
TCI 2
Total TCI
Autres
Ensemble TCI
+ Autres
Andhra Pradesh
66,2
16,7
82,9
17,1
100,0
Madhya Pradesh
60,6
13,5
74,1
25,9
100,0
Karnataka
60,0
13,9
73,9
26,1
100,0
Rajasthan
58,5
14,3
72,8
27,2
100,0
Panjab
66,8
3,9
70,7
29,3
100,0
Uttar Pradesh
61,9
8,6
70,5
29,5
100,0
Haryana
64,2
6,2
70,4
29,6
100,0
Inde
55,9
14,3
70,2
29,8
100,0
Tamil Nadu
54,7
14,3
69,0
31,0
100,0
Kérala
52,3
12,3
64,6
35,4
100,0
Delhi
53,2
9,4
62,6
37,4
100,0
Orissa
40,2
21,9
62,1
37,9
100,0
Ouest Bengale
54,5
3,3
57,8
42,2
100,0
Bihar
45,3
12,5
57,8
42,2
100,0
Maharashtra
22,3
34,6
56,9
56,9
100,0
Chattisgarh
45,6
9,4
55,0
45,0
100,0
Gujarat
35,2
15,1
50,3
49,7
100,0
Assam
39,2
9,6
48,8
51,2
100,0
Source : AICTE (2011)
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
33
–3–
LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE
génie civil. De ce double point de vue, l’état du Bihar
dont on a déjà noté le sous-équipement en écoles
d’ingénieurs se caractérise par une offre relativement
fermée et, surtout, par la prédominance des deux
disciplines traditionnelles, mécanique et génie civil,
qui arrivent en tête des places offertes, derrière les
TIC. La résistance de la discipline mécanique vaut
pour le Panjab, l’Haryana, le Chattisgarh, mais aussi
dans le sud, pour le Kérala et le Karnataka. La première ville de l’Inde associée au secteur des TIC, Bangalore, ne doit pas oblitérer que l’état du Karnataka
présente un caractère mixte du point de vue de l’offre
des branches d’ingénierie. Les états du sud, Tamil
Nadu et Andhra Pradesh, affichent également une
offre relativement fermée mais au seul profit des TIC
comme on l’a déjà noté.
À l’opposé, l’état de Delhi proprement dit, qui ne dispose que d’une quinzaine d’écoles d’ingénieurs, offre
un éventail très complet de formations. La raison tient
à la présence de trois grandes écoles d’ingénieurs, le
IIT-Delhi, la Delhi Technological University (anciennement Delhi College of Engineering) et le Netaji Subhash Engineering College, ces deux dernières écoles
étant du rang des National Institutes of Technology.
Or ces grandes écoles se caractérisent toujours par
une offre très large à même de représenter toutes les
disciplines.
La répartition des états selon la part des TIC dans
l’ensemble des formations d’ingénieurs bousculent
les classements précédents. Certes, avec plus de 80 %
des places réservées pour les TIC, l’état de l’Andhra
Pradesh se différencie toujours nettement de l’ensemble. Mais l’état du Tamil Nadu offre une part de
TIC (69 %) tout juste inférieure à la moyenne nationale (70 %), tandis que le Maharashtra, avec 57 %
des formations réservées aux TIC est très en-dessous
de cette moyenne. La concentration des sociétés informatiques et des écoles autour de la ville de Pune, ne
suffit pas à bouleverser l’offre pour l’ensemble de
l’état. En revanche, le Karnataka, dont a noté la
bonne résistance de la branche mécanique, affiche
plus de 74 % de formation dans les TIC, derrière le
Madhya Pradesh (74 %). À l’opposé des états ruraux
comme le Bihar, le Chattisgarh, ou même le Gujarat
ont les parts les plus basses, toutes inférieures à 60 %
de l’ensemble des formations.
L’essor des écoles d’ingénieurs, concomitant du développement du secteur économique des TIC, la forte
proportion des écoles formant exclusivement des
BEng, et enfin, le double déséquilibre de l’offre de
places et de disciplines au profit des TIC, permettent
de souligner que le haut enseignement technologique est étroitement orienté vers les besoins en main
d’œuvre de ce secteur de services. l
– 3.4 L’OUVERTURE À L’INTERNATIONAL –
Les grands établissements scientifiques ont la possibilité de signer des accords de coopération (dit Memorandum of Understanding, MoU) avec des écoles et
des universités étrangères. Ces accords permettent
d’organiser des échanges d’étudiants et de professeurs, le plus souvent pendant un semestre. En 2010,
le service français de la coopération universitaire en
Inde recensait une bonne centaine de MoU signés
entre écoles françaises et indiennes, comme c’est le
cas par exemple pour le IIT-Delhi qui a accueilli, en
2011, une dizaine d’étudiants français venant de différentes grandes écoles d’ingénieurs de Paris et de
province. Toutefois, d’une année à l’autre ces
échanges n’ont rien de régulier. Nombre d’écoles indiennes affichent sur leur site internet des MoU qui
n’ont souvent été suivis d’aucun échange après leur
signature. Ils contribuent surtout à construire l’image
internationale des établissements indiens soucieux
34
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
de s’attirer une clientèle d’étudiants séduits par cette
ouverture potentielle à l’international.
Ces MoU n’autorisent pas de collaboration plus étroite,
comme la mise en place de programmes d’études
conjoints menant par exemple à un double diplôme.
Un projet de loi visant à autoriser l’implantation des
universités étrangères en Inde pour y délivrer leurs
propres diplômes est toujours en attente d’être présenté devant le Parlement en 2013. Cette loi suscite
de très fortes résistances car les opposants, pour des
raisons d’ordre nationaliste plus ou moins fondées,
redoutent une concurrence inégale en termes de
moyens avec les universités indiennes autant que l’arrivée d’établissements étrangers de second rang qui
s’implanteraient en Inde pour des raisons commerciales et non pour la qualité de leur enseignement.
Le présent gouvernement central, que conduit le Parti
du Congrès indien avec ses partis alliés, est cepen-
dant favorable à des accords de collaboration (l’équivalent des joint ventures du monde de l’industrie),
sous le contrôle de l’University Grant Commission,
avec des établissements étrangers classés parmi les
quatre cents premiers des palmarès mondiaux des
universités (dont trois classements sont en concurrence, le QS World Ranking Universities, le classement
dit de Shanghai et celui établi par le Times Higher
Education). Selon ces critères, une vingtaine d’écoles
françaises seraient potentiellement concernées. Ainsi,
l’École centrale de Paris vient de signer un accord
avec le groupe industriel Mahindra qui a ouvert une
école d’ingénieurs à Hyderabad en septembre 2013,
sur le campus de l’ex SSII Satyam que le groupe
Mahindra a rachetée après la faillite frauduleuse de
cette société (voir infra section 5.4). On a là un
exemple de ces corporate universities que plusieurs
groupes industriels ont déjà mis en place, comme la
Jindal University, près de Delhi, fondée par l’un des
magnats de l’acier, par ailleurs membre du parlement,
Naveen Jindal.
Une autre voie d’accès au marché des étudiants indiens, pour les établissements étrangers, est de signer
des accords avec des universités ou des centres de
recherches totalement privés qui ne sont pas sous le
contrôle administratif de l’UGC ou du All Indian
Council for Technical Education dont relèvent les
Engineering Colleges. On peut citer les deux exemples
suivants.
Le premier exemple est celui du SSN (Sri Sivasubramaniya Nadar) College of Engineering de Chennai, créé
en 1996 par Shiv Nadar, un des grands patrons du
secteur des TIC (encadré 16). Le collège est affilié à
l’université technologique de l’état du Tamil Nadu
(Anna University). Mais il inclut une école spécialisée,
la SSN School of Advanced Software Engineering (SSNSASE), qui délivre des masters of Science in Information
Technology en collaboration avec le Software Engineering Institute de l’université Carnegie Mellon aux ÉtatsUnis. En outre, à côté du programme de master, Carnegie Mellon offre aux étudiants de SSN-SASE un
certificat en informatique qui leur permet d’intégrer le
cursus du BEng de l’école d’ingénieurs de Carnegie
Mellon. Ce certificat a donc une valeur d’échange sur
deux marchés différents ; il vaut, d’une part, sur le marché national indien du travail informatique et, d’autre
part sur le marché universitaire américain comme droit
d’entrée à l’université de Carnegie Mellon.
Le second exemple concerne l’accord passé entre,
d’une part, l’Esigelec, école française d’ingénieurs
spécialisée en électronique et en télécommunica-
tions, établie à Rouen et, d’autre part, le Manipal
Center for Information Science de l’Université de
Manipal au Karnataka13.
L’université de Manipal, première université privée
établie en Inde en 1953, est aujourd’hui une vaste
entreprise éducationnelle internationale ayant des
campus dans le monde entier (en Asie, en Afrique, en
Amérique du nord et Amérique latine, et même au
Royaume Uni). Manipal, à l’origine un modeste village situé près de la côte de la mer d’Arabie, à
400 km à l’ouest de Bangalore, est aujourd’hui une
ville dont l’activité économique se réduit aux seuls
services de l’éducation et de l’enseignement supérieur. L’école d’ingénieur la plus réputée est le Manipal Institute of Technologie (MIT) ouverte dès la fondation de l’université. Cependant, bien
qu’établissement privé recrutant ses étudiants par un
concours propre à l’université de Manipal, le MIT est
soumis au contrôle du AICTE et il ne peut mettre en
place de double diplôme en collaboration avec des
écoles étrangères.
C’est la raison pour laquelle l’université de Manipal
a ouvert une autre structure privée totalement indépendante, le Manipal Center for Information Science
(MCIS) avec lequel l’Esigelec a signé un accord de
coopération au niveau post licence. Cet accord porte
sur un master de science (MSc), et non un master de
technologie (MTech) car ce dernier aurait requis l’approbation du AICTE. Il s’agit donc d’un MSc spécialisé
en « système d’information » (« embedded systems »),
qui prend la forme d’un double diplôme délivré par
Esigelec et l’Université de Manipal après un cursus de
quatre semestres. Le premier semestre se déroule sur
le campus de Manipal, le second sur celui d’Esigelec
à Rouen, tandis que les 3e et 4e semestres sont consacrés à un projet de recherche mené dans une entreprise ou un laboratoire universitaire, en France ou en
Inde. L’objectif des deux écoles est d’envoyer en
France quinze à vingt étudiants par an.
Mis en place en 2009, ce programme, en 2013, a
concerné au total soixante-dix étudiants. Le coût global des études en France (enseignement et hébergement inclus) est de l’ordre de 11 à 12 lakhs de roupies
(environ 15 000  €, au cours de change actuel, fin
2013), soit un tiers du coût des études équivalentes
menées aux États-Unis. Le programme se heurte cependant à la politique élitiste du gouvernement indien qui tente de limiter les accords aux grandes
écoles internationales. L’un des moyens pour limiter
ces accords se fait par l’intermédiaire des banques
auxquelles les familles ont parfois recours pour finan-
13. Entretien avec Vidya Suresh,
responsable régional d’Esigelec en
Inde (Bangalore, 9 août 2013).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
35
–3–
LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS ET L’OFFRE DISCIPLINAIRE
cer les études à l’étranger de leurs enfants. Les directeurs des banques sont invités à vérifier le rang de
classement des établissements étrangers que veulent
intégrer les étudiants qui sollicitent des prêts et à les
refuser en cas de rang peu élevé, comme c’est le cas
pour Esigelec. Un candidat a ainsi été recalé faute de
disposer des ressources financières nécessaires pour
mener à bien son projet.
L’Esiglec, déjà bien implantée en Chine avant de
s’orienter vers le marché universitaire indien, cherche
néanmoins à développer de nouveaux programmes
avec Manipal et avec d’autres universités privées en
Inde. Le projet le plus ambitieux que vise Esigelec est
d’attirer des étudiants indiens dans une filière de
double licence d’ingénieur (BEng) réalisée en collaboration avec l’International Center for Applied
Sciences (ICAS) de l’université de Manipal. Cette
structure ad hoc indépendante du AICTE propose un
tronc commun d’enseignement d’ingénierie de deux
années à Manipal, suivi de deux ou trois années dans
une école étrangère (les accords actuels concernent
dix-sept écoles aux Royaume Uni, aux États-Unis, au
Canada et en Australie). Les étudiants doivent donc
être familiers avec la langue de l’école d’accueil, en
l’occurrence le français pour l’Esigelec. Pour cette raison, l’Alliance française de Bangalore a ouvert un
36
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
bureau sur le campus de l’université de Manipal, et
offre des cours de Français Langue Étrangère (FLE)
car le potentiel de recrutement est énorme au sein
d’une masse de quinze mille étudiants. Après cinq
ans d’études dans cette filière, ces derniers sont titulaires d’un double diplôme (degree) d’ingénieur. Les
étudiants recrutés à l’ICAS ont un niveau scolaire
supérieur à eux qui entrent au Manipal Institute of
Technology (70 % et plus en fin de classe de Terminale, contre 60 % pour le MIT). Pour un cursus mené
en collaboration avec l’Esigelec, le coût total des
études d’une durée de cinq ans serait actuellement
de l’ordre de 30 lakhs de roupies (plus de 35 000 €,
au cours de change actuel, fin 2013), ce qui reste très
inférieur au coût des autres écoles étrangères partenaires de ce programme. La difficulté de ce projet, à
laquelle se heurtent toutes les écoles étrangères, est
d’aller chercher les élèves en amont, en classe de
première et de terminale, notamment dans les lycées
internationaux privés qui se développent en Inde (on
en compte une trentaine ayant déjà une solide réputation pour la qualité de leur enseignement). L’Esigelec négocie également un accord du même type avec
l’université privée Chitkara, au Panjab. Mais à ce jour,
l’Esigelec n’a pas encore recruté d’étudiants et ces
projets en restent à la phase de prospection. l
–UN INGÉNIEUR,
DES INGÉNIEURS–
–4–
38
40
41
43
44
Les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs
Les diplômes et les grades
Le nombre annuel d’ingénieurs diplômés
La qualité de l’enseignement professionnel
Les ingénieurs et les études de management
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
37
–4–
UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS
–4.1 LES VOIES D’ACCÈS AUX ÉCOLES D’INGÉNIEURS–
14. La ville de Bombay a été
rebaptisée en marathi Mumbai,
comme Madras a retrouvé son
nom tamoul Chennai, et Calcutta
est devenue Kolkata en bengali.
Mais les IIT dont le nom a été fixé
par un acte du parlement
conservent l’appellation
antérieure de ces villes.
15. Deb, Sandipan, The IITians. The
Story of a Remarkable Indian
Institution and How Its Alumni
Are Reshaping the World, New
Delhi, Penguin, Viking, 2004.
Il existe quatre modes principaux d’accès aux écoles
d’ingénieurs : deux concours panindiens, puis les
concours à l’échelle des états fédérés, enfin les
concours ou tests de sélection mis en place par des
écoles autonomes.
Le premier des deux concours panindiens est le Joint
Entrance Examination (JEE) qui ouvre la porte des
Indian Institutes of Technology, les écoles publiques
les plus sélectives scolairement. Localisés sur l’ensemble du territoire indien, les IIT ont été au nombre
de six jusqu’au milieu des années 1990 : Kharagpur
près de Kolkata (1951), Bombay14 (1958), Madras
(1959), Kanpur, dans l’état de l’Uttar Pradesh (1960),
Delhi (1961), auxquels fut adjoint le IIT de Guwahati,
dans l’état de l’Assam (1994). En 2001, le collège
d’ingénieurs de Roorkee a obtenu le titre de IIT (encadré 8). Mais à la fin des années 2000, l’état a ouvert
huit autres IIT, portant leur nombre total à quinze.
En 2011, environ 450 000 candidats au JEE ont été
comptabilisés pour 9 700 places, soit un taux de réussite de l’ordre de 2 %. Le nombre limité de IIT et le
caractère extrêmement sélectif de leur concours d’entrée, expliquent que ces écoles aient conservé le monopole de la formation de l’élite des ingénieurs indiens,
sorte de caste de technocrates qui se dénomment entre
eux les « IITiens »15 et se déclinent en sortes de souscastes selon le IIT et la branche dont ils sont diplômés.
–
ENCADRÉ 8 : DU THOMASSON COLLEGE OF CIVIL
ENGINEERING AU IIT-ROORKEE
–
Le IIT-Roorkee témoigne de l’histoire centenaire des écoles d’ingénieurs
en Inde. Située alors dans la bourgade de Roorkee en pleine campagne
au pied de l’Himalaya, à 180 kilomètres au nord de Delhi, dans l’état de
l’Uttarakhand, cette école a été créée en 1853 sous le nom de Thomasson College of Civil Engineering. Sa vocation était alors de former les
topographes, les dessinateurs, les techniciens, puis les ingénieurs civils
et militaires employés dans la construction des systèmes d’irrigation de
la plaine du Gange. Lors de l’indépendance de l’Inde en 1948, l’école est
devenue le College of Engineering Roorkee puis, en 2001, ce collège a
été intégré au club fermé des Indian Institutes of Technology. C’est le
seul IIT à ne pas avoir été créé dès son origine, ce qui a d’ailleurs suscité
une opposition au sein de la famille des IIT.
38
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Le second concours national, le All India Engineering
Entrance Examination (AIEEE) donne accès aux écoles
publiques de second rang, comme les National Institutes of Engineering (NIT), les Indian Institutes of Information Technology (IIIT) et les autres écoles assimilées,
soit au total 70 établissements en 2012. Le nombre de
candidats a fortement augmenté ces dernières années,
signe du succès que rencontrent les études d’ingénieurs. Mais ce concours est presque aussi sélectif que
le JEE. En 2006, 397 000 candidats se sont présentés
au AIEEE pour 9 900 places disponibles, soit un taux
de réussite de moins de 3 % comparable à celui du JEE.
En 2011, il y a eu 1 200 000 candidats pour environ
35 000 places, soit un taux de réussite proche de 3 %,
en légère augmentation par rapport aux années précédentes. L’affluence des candidats tient au fait que
ces derniers obtiennent un rang de classement panindien (All India Rank AIR) qui est un atout pour négocier une place dans les écoles privées.
Les IIT recrutent leurs étudiants dans tous les états de
l’Inde sur le seul critère du rang de classement au
concours d’entrée. Les étudiants optent pour un IIT et
une discipline selon leur rang national. Les NIT recrutent une première moitié de leurs étudiants à
l’échelle panindienne, la seconde moitié étant composée d’étudiants originaires de l’état dans lequel le NIT
est implanté. Ces deux concours nationaux, qui ont été
fondus en un concours unique en 2013 (mais les IIT
ont réintroduit une sélection interne), délimitent de
manière stricte l’espace des écoles d’élites publiques.
Le troisième type de concours d’entrée dans une école
d’ingénieurs est organisé par les universités technologiques des états fédérés et concerne les étudiants
des collèges qui y sont affiliés. Le choix de l’école se
fait selon le rang au concours, à l’exception de l’état
du Tamil Nadu qui est sorti de ce cadre juridique.
Dans cet état, les écoles d’ingénieurs recrutent sur la
base des notes obtenues en classe de Terminale
(classe XII) dans les trois matières de base (mathématiques, physique et chimie). Les raisons de ce changement sont politiques. Il s’agit de faire accéder aux
études professionnelles longues des étudiants issus
de milieux modestes, souvent ruraux, dont les familles
n’ont pas les moyens de payer les cours privés de
préparation aux concours des écoles d’ingénieurs (es
cours privés constituent un système scolaire parallèle
bien organisé et très lucratif).
–
ENCADRÉ 9 : QUOTAS ET POLITIQUE DE « DISCRIMINATION POSITIVE »
–
Les accès aux établissements d’enseignement supérieur et à la
fonction publique sont structurés par la politique des quotas
réservés à des groupes de la société hindoue, forme que prend
en Inde la « discrimination positive ». Cette politique a été mise
en place dès le milieu des années 1930. Après l’indépendance,
elle a été étendue à l’échelle de l’Union comme à celle des
états fédérés et complétée par un article de la constitution qui
reconnait aux « minorités » religieuses et linguistiques le droit
d’administrer leurs propres institutions scolaires.
Depuis 2008, tous les établissements d’enseignement supérieur relevant du gouvernement central sont soumis au système
des quotas, sans aucune exception. Pour comprendre la diversité sociale et culturelle des jeunes diplômés, enjeu sociétal très
fort désigné comme « inclusiveness policy » par les entreprises
privées, il faut prendre en compte les effets de cette politique
qui se fonde sur un système complexe dont les grands principes
vont être donnés succinctement.
La loi indienne distingue trois grands groupes de castes pour
lesquels sont fixés des quotas concernant les étudiants, les
enseignants et le personnel administratif. Ces groupes et les
pourcentages respectifs de réservation sont les suivants : Scheduled Castes16 (ST ou castes répertoriées, anciennement les
Intouchables aujourd’hui appelé Dalits, « opprimés »), 15 % ;
Scheduled Tribes (SC ou tribus répertoriées), 8 % ; Other
Backward Castes/Classes (OBC ou castes dites en retard du
point de vue du développement économique, social et culturel),
27 % ; enfin, la catégorie résiduelle est dite Open Category (OC)
à laquelle revient 51 % des sièges. En théorie, un arrêt de la
Cour suprême interdit que le pourcentage de réservation pour
les trois premiers groupes (SC, ST et OBC) excède 50 %. Enfin,
les étudiants concourant sous ces quotas bénéficient encore
d’une décote de 10 % sur les seuils d’admission dans l’enseignement supérieur. Si le dernier candidat de la Open Category
admis au concours d’entrée dans les IIT doit obtenir 90 points
sur 100, le premier étudiant OBC ou SC/ST sera reçu avec
seulement 81 points sur 100. Cet écart scolaire obère souvent
la scolarité de ces étudiants si aucun programme pédagogique
n’est mis en place pour combler ce retard.
Il y a trois restrictions à ces dispositions. Premièrement, la
« catégorie ouverte » est, au sens strict, ouverte à tous les can
didats, y compris aux étudiants pouvant bénéficier des quotas
précédemment définis mais qui ne sont pas tenus de concourir
sous ces quotas. Les membres des hautes castes n’ont donc
aucun privilège d’accès légal à la seule catégorie à laquelle ils
sont assignés. Deuxièmement, dans la pratique, les états fédérés ont mis en place des systèmes complexes de quotas qui
peuvent atteindre 69 % des sièges, comme dans l’état du Tamil
Nadu, ouvrant ainsi la voie à des recours juridiques. Troisième
et dernière limitation, enfin, le système des quotas concerne en
théorie l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur publics et privés, mais dans les faits, aucun établissement
privé n’applique ce système de réservation, sans que l’État
central se soit donné les moyens de sanctionner les contrevenants à ces règles de droit.
Cette politique de « discrimination positive » est doublée par la
reconnaissance du droit des minorités religieuses non-hindoues
à administrer leurs propres institutions scolaires. Deux exemples
sont donnés ici. Les musulmans disposent de deux grandes
universités, chacune dotée d’une école d’ingénieurs réputée :
l’université d’Aligarh, dans l’état de l’Uttar Pradesh et l’université Jamia Millia Islamia à Delhi. Pour les musulmans toujours,
il existe d’autres écoles d’ingénieurs moins prestigieuses organisées sous ce statut de minorité. Les chrétiens disposent également de leurs propres écoles. En Inde du sud, les chrétiens,
en majorité catholiques, sont pour la plus grande part issus des
basses castes d’Intouchables qui, étant convertis au christianisme, ne peuvent bénéficier des quotas réservés aux SC hindoues. À Chennai, au Tamil Nadu, l’un des établissements
chrétiens d’excellence est le Loyola College, dirigé par la congrégation des jésuites. Le Loyola College a ouvert, en 2008-2009,
une école d’ingénieurs, le Loyola-ICAM College of Engineering
and Technology (LICET), en coopération avec l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM) de Lille. Les élèves ingénieurs
de cette école sont pour beaucoup issus des groupes de Chrétiens-Dalits auxquels le Loyola College consacre ses moyens
éducatifs. Mais dans tous les cas, en principe, ces quotas réservés aux groupes minoritaires ne peuvent pas dépasser 50 %
des places offertes.
16. Les catégories des Scheduled Castes et des Scheduled Tribes sont reconnues par le
Government of India Act de 1935. Ces castes ont été inscrites sur une liste (schedule) qui est
jointe à cette loi, et il s’agit en principe d’une catégorie fermée. En revanche, la catégorie des
Other Backward Classes/Castes a été constituée à partir des années 1950 à l’échelle des états
fédérés, et elle est régulièrement modifiée selon l’issue des luttes politiques autour de ces
classements ; voir l’article « caste » dans Catherine Clémentin-Ojha, Christophe Jaffrelot, Denis
Matringe et Jacques Pouchepadass (dir.), Dictionnaire de l’Inde, Paris, Larousse, 2009, p. 150-156.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
39
–4–
UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS
À l’échelle des états fédérés, la majorité des écoles
sont gérées par de grandes entreprises privées et les
écoles publiques sont minoritaires. Parmi ces dernières, il faut distinguer deux types d’écoles. Nombre
d’états sont dotés d’écoles publiques d’ingénieurs réputées souvent anciennes. C’est le cas par exemple du
College of Engineering de Guindy, qui tire son nom du
quartier de Chennai où est localisé ce collège qui
jouxte le IIT-Madras. C’est la plus ancienne école
d’ingénieurs indienne qui a pour origine l’école de
topographes militaires créée par les Britanniques à
Madras en 1794. C’est également le cas du Bengal
College of Engineering, première école civile d’ingénieurs créée à Kolkata en 1856 ou, encore, du Madras
Institute of Technology ouvert en 1949. Ces écoles,
très réputées pour la qualité de leur enseignement,
s’opposent à de nombreuses petites écoles sans
grands moyens ni résultats en termes de placements
de leurs élèves sur le marché du travail. Le G.B. Pant
Engineering College de Delhi, par exemple, appartient
à cette dernière catégorie. Ce collège est une ancienne
école délivrant des diplômes de cycle court de niveau
Bac +2 (dite Polytechnics), promue en école d’ingénieurs en 2007 et affiliée à l’université Indaprastha,
l’une des deux universités publiques de l’état de Delhi.
Cet exemple atteste des liens entre les écoles d’ingé-
nieurs et les Polytechnics qui forment les techniciens
supérieurs dont les meilleurs élèves peuvent ensuite
intégrer une école d’ingénieurs en seconde année afin
d’y poursuivre leurs études jusqu’au BEng.
Enfin, un quatrième mode d’entrée dans les écoles
d’ingénieurs concerne les établissements privés qui
ont le statut de Deemed University et délivrent leur
propre diplôme. Mais là encore, les situations sont très
variables. Certaines Deemed Universities privées (ou
parapubliques comme le Indian Institute of Science de
Bangalore qui a ouvert une filière innovante sur les
nanotechnologies menant au BTech) sont scolairement équivalentes aux écoles publiques comme les
National Institutes of Technology. C’est le cas du Birla
Institute of Technology and Science, BITS, au Rajasthan, tandis que d’autres ont une réputation négative.
Dans ce secteur, les modes de sélection varient selon
les écoles et fonctionnent à plusieurs niveaux. Pour les
écoles les plus sélectives, une présélection est faite sur
les résultats obtenus en fin de la classe XI ou en fin
de la classe XII (minimum de points requis étant
70 % +). Il y a ensuite plusieurs épreuves de sélection,
dont un examen interne propre à l’école : c’est là que
le rang de classement au AIEE peut être demandé. Ces
écoles privées n’appliquent aucun type de quota et
leur recrutement est panindien. l
–4.2 LES DIPLÔMES ET LES GRADES–
17. Entretien avec Gilles Lacroix,
directeur OTV Chennai, et avec
Satish, BEng civil, MTech
Environmental engineering,
responsable de l’équipe des
dessinateurs OTV, Chennai, février
2012.
18.Entretien avec Jacques Paren,
Engineering Manager, Noida, 14
Septembre 2011.
40
Il existe quatre types de titre universitaire parmi les
ingénieurs indiens :
• le Diploma in Engineering (DEng),
• le Bachelor of Sciences in Engineering (BScEng),
• le Bachelor of Engineering (BEng),
et le Bachelor of Technology (BTech).
Cette diversité des désignations s’explique plus par
l’histoire de l’enseignement supérieur technologique
que par des différences de formations professionnelles.
Les titulaires d’un Diploma of Engineering, délivré par
les écoles polytechniques, sont encore nombreux dans
le monde industriel, même si ce diplôme a perdu de
sa valeur à mesure que le nombre de BEng ou de
BTech augmentait. Les services d’ingénierie recrutent
souvent ces diplômés qui travaillent par exemple
comme dessinateurs en utilisant des logiciels de Computer Aided Designed (CAD). C’est le cas de l’entreprise OTV, la filiale technologique de Veolia dont le
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
bureau d’études à Chennai emploie une cinquantaine
de ces diplômés ingénieurs17. Par ancienneté et promotion interne, les titulaires d’un DEng peuvent être
reconnus comme ingénieurs à la fois dans leurs rôles
et dans leur désignation, c’est le cas par exemple chez
Alstom dont tout le service dessin est informatisé18.
Le grade de BScEng, hérité du système d’enseignement britannique, était encore délivré par les facultés
des sciences dans les années 1970 au terme de
quatre années d’études. Il se déclinait selon les spécialités, y compris pour les disciplines de la famille
des TIC (science de l’informatique, technologie de
l’information). Aujourd’hui ce grade a quasiment disparu des cursus des facultés des sciences.
Le BEng est le titre général délivré par les collèges
universitaires établis à partir du début de la seconde
moitié du 19e siècle. C’est le cas notamment du Bengal
Engineering College (aujourd’hui Bengal Engineering
and Science University) ouvert dès 1856 à Shibpur, près
de Kolkata, pour former des ingénieurs civils. Lors de
l’indépendance de l’Inde, en 1948, il y avait une centaine d’écoles d’ingénieurs dans tout le pays.
Le BTech désigne à l’origine le grade universitaire
délivré par les Indian Institutes of Technology (IIT). La
première promotion est celle du IIT-Kharagpur, situé
près de Calcutta, en 1951-1955. Le cursus calqué sur
un modèle allemand durait à l’origine cinq ans (une
année préparatoire avant les quatre années d’études
spécialisées), puis il a été ramené à quatre ans afin
d’harmoniser les parcours qui étaient inspirés d’autres
modèles européens (russe, américain et britannique).
Les IIT sont des établissements autonomes, avec le
pouvoir de conférer leurs grades, à la différence des
collèges ordinaires affiliés à une université.
Avec le développement sans précédent du nombre
des écoles d’ingénieurs, à partir de la seconde moitié
des années 1980, la concurrence s’est instaurée entre
ces nouvelles écoles et les IIT. Ces derniers n’ayant
aucun monopole garanti par l’État du grade de
BTech, celui-ci a été repris par nombre d’écoles d’ingénieurs sans que l’autorité centrale chargée de réguler
l’enseignement technologique, le All Indian Council
for Technical Education (AICTE), s’y oppose. Les différences entre les contenus d’enseignement des BTech
et des BEng, parfois évoquées pour justifier les deux
titres, ne sont pas probantes. l
–4.3 LE NOMBRE ANNUEL D’INGÉNIEURS DIPLÔMÉS–
Les statistiques sur le nombre de diplômés des
écoles d’ingénieurs sont produites par l’Institute of
Applied Manpower Research (IAMR), une institution
publique dont les travaux s’adressent en priorité aux
différents ministères et départements du gouvernement, ainsi qu’aux commissions chargées d’éclairer
les politiques à mettre en œuvre, en particulier la
Planning Commission. Mais les rapports annuels
que publie l’IAMP ne permettent guère de saisir
l’évolution récente de ce secteur.
L’une des difficultés pour estimer le nombre de diplômés est l’absence d’une instance régulatrice du titre
d’ingénieur (encadré 10). En l’absence de source
unique et fiable, ce nombre fait l’objet d’estimations
qui nourrissent les spéculations nationales et internationales. Sur la base de données se rapportant aux
années 2005-2007, plusieurs auteurs estiment que
l’Inde délivrait annuellement environ 350 000 BEng
(Bachelor of Engineering) ou BTech (Bachelor of Technology)19. En 2010, on estime qu’il sortait environ
450 000 nouveaux ingénieurs par an.
En tout état de cause, ces estimations restent très
inférieures aux 600 000 ingénieurs diplômés parfois
annoncé dans la presse anglo-saxonne et internationale, annonce alarmiste destinée à prouver le risque
pour les « nationaux » de l’arrivée « massive » des informaticiens indiens sur les marchés du travail des pays
occidentaux.
Ces données attestent du caractère massif du champ
éducatif professionnel mais elles doivent être relativisées. D’abord, l’accès à l’enseignement supérieur
est encore limité à 12 % des classes d’âge 18-24 ans.
Ensuite, la répartition des étudiants de premier cycle
est déséquilibrée : 43 % d’entre eux se concentrent
dans les facultés des arts ; 18 % dans les facultés des
sciences ; 14 % dans les écoles d’ingénieurs, et autant
dans les écoles de commerce ; les études médicales
et les études juridiques, encore difficile d’accès, ne
rassemblent chacune que 2 % de l’ensemble des étudiants du premier cycle.
19. Gary Gereffi, Vivek Wadhwa, Ben
Rissing et Ryan Ong, « Getting the
Number Right: International
Engineering Education in United
States, China, and India », Journal
of Engineering Education, January
2008, p. 13-25 ; voir aussi Rajan
Banerjee et Vinayak P. Mulay,
Engineering Education in India,
Delhi, Macmillan, 2010. Ce
rapport date de 2007 et les séries
de données, très grossièrement
estimées, s’arrêtent en 2006 ; les
chiffres sont du même ordre de
grandeur que ceux proposés par
Gary Gereffi et alii.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
41
–4–
UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS
–
ENCADRÉ 10 : LE TITRE D’INGÉNIEUR
–
Il n’existe pas de titre d’ingénieur garanti par un
acte législatif réglementant l’activité de la profession, ou par une commission panindienne représentative du milieu professionnel. L’association
généraliste The Institution of Engineers (India),
créée en 1920, propose divers niveaux d’adhésion
selon les qualifications et l’expérience professionnelle des ingénieurs. Cette association dispense
également des formations certifiantes qui permettent d’acquérir le titre d’ingénieur (dénommé
Institution Engineer) équivalent au BEng. Au
terme de leur formation, les membres peuvent
recevoir le titre de Chartered Engineer (CEng).
Mais en l’état actuel des relations entre système
de formation et système productif, l’intérêt professionnel de ce titre n’est guère évident. Pour
les élèves issus des écoles d’élites (IIT, IIIT, NIT),
le grade associé à ces écoles est à lui seul le gage
d’un bon recrutement. Par ailleurs, le titre de
Chartered Engineer n’a aucune valeur pour la
masse des élèves qui sortent des écoles de qualité scolaire moyenne et se font embaucher par
les grandes sociétés de services informatiques
qui, en outre, disposent de leur propre système
de formation. En revanche, ce titre présente un
intérêt pour les gradués des petites écoles d’ingénieurs qui veulent travailler de manière indépendante, par exemple en association avec des architectes lorsqu’il s’agit d’ingénieurs civils. Le
titre de CEng (India) offre une garantie formelle
minimale pour la clientèle de ces cabinets.
Dès 1944, IEI a élaboré un premier code de
conduite professionnelle valable pour les
membres de l’association. Dans les années 1990,
cette dernière a engagé une démarche pour faire
voter par le parlement un Engineers Act afin de
réglementer la profession. L’un des enjeux de
cette loi est d’en définir le périmètre. Doit-elle
concerner une élite d’ingénieurs professionnels
certifiés ou englober plus largement d’autres
groupes professionnels aux certifications plus
floues ?
En 2004, I’Institution Engineers (India) et le
Engineering Council of India (fédération d’une
42
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
vingtaine d’associations d’ingénieurs créée en
2002) ont rédigé une nouvelle proposition de loi
(Engineers’Bill) qui a été soumise au Ministry of
Human Resources and Development (MHRD).
Cette proposition de loi se double d’un Code
d’éthique des ingénieurs professionnels qui fait
partie de l’arsenal classique de « professionnalisation » des métiers d’ingénieurs. Mais, en 2013,
la loi n’a toujours pas été présentée au parlement. Une des raisons de ce retard est que la
certification du titre d’ingénieur doit être délivrée par une instance professionnelle reconnue
par voie législative, qui n’a pas encore été mise
en place.
Le second objectif de cette proposition de loi est
de permettre aux associations professionnelles
d’accéder aux forums de l’International Engineering Alliance (IEA)20 afin de préparer les ingénieurs indiens à entrer sur le marché international de l’ingénierie. L’IEA est une structure
complexe dont il faut retenir deux choses. Premièrement l’Inde, représentée par le AICTE, a
signé l’Accord de Washington (1989) qui porte
sur l’équivalence des grades d’ingénieurs entre
les pays signataires, en majorité anglo-saxons, la
France n’ayant signé ni cet accord, ni les accords
homologues de Sydney (2001) et de Dublin
(2002). Deuxièmement, depuis 2009, l’association Institution of Engineers (India) est membre
du Engineers Mobility Forum (EMF) qui est, au
sein de l’IEA, l’instance chargée de réglementer
la mobilité individuelle des ingénieurs professionnels entre les pays. Mais un conflit est intervenu entre l’association IE (India) et le Council
of Engineering India, qui porte sur la mise en
place de l’instance de régulation du titre d’ingénieur au sein de ce forum, et ce différend bloque
de facto la présentation de la proposition de loi
devant le parlement indien.
20. L’International Engineering Alliance (IEA) est une structure
supranationale dont l’action vise à harmoniser les professions d’ingénieurs
pour faciliter la circulation de ces groupes entre les pays signataires des six
accords que cette alliance englobe ; sur les détails de cette organisation,
voir : http://www.washingtonaccord.org/
–4.4 LA QUALITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL–
La qualité de l’enseignement technologique supérieur
est un sujet qui préoccupe tous les acteurs du système, à la fois les responsables politiques, les enseignants et les employeurs, comme en témoignent régulièrement les médias qui relaient les études privées
menées sur ce sujet (encadré 11).
La faible qualité professionnelle des étudiants qui
sortent des écoles d’ingénieurs munis d’un BEng est
une conséquence directe d’un enseignement de
masse qui s’est développé très rapidement, dans les
dix à quinze dernières années, pour répondre aux
besoins immédiats du secteur des services informatiques. Les facteurs à prendre en compte pour expliquer cette situation concernent l’ensemble de la
chaine éducative : faiblesse des infrastructures scolaires, sous équipement technologique, absence
d’enseignants qualifiés au-delà du BEng, contenus
des enseignements datés, absence de pédagogie,
affairisme, corruption rampante, pression des familles
sur les écoles pour que les enfants obtiennent un
grade scolaire sans autre souci de la qualité, tout
concourt à faire de la majorité des 3 500 écoles d’ingénieurs, au mieux, des centres de formation de techniciens supérieurs qui doivent encore passer par les
écoles professionnelles des grandes SSII avant d’entrer sur le marché du travail.
Consciente de cette situation, la Banque mondiale a
développé un programme ambitieux de rénovation
de l’enseignement technologique supérieur, en collaboration avec les responsables politiques de l’Union
indienne et des états fédérés. Le Technical Education
Quality Improvement Project (TEQIP), qui s’est déroulé
durant les années 2003-2009, a concerné treize
états, dix-huit NIT et 109 écoles publiques ou financées partiellement par des fonds publics, soit environ
7 % des 1 800 écoles d’ingénieurs que comptait
l’Inde en 2003. Le projet visait à moderniser les infrastructures de ces établissements, à renforcer les
équipements technologiques, à doter les écoles de
bibliothèques, à former le personnel technique, à revoir les curriculums, à encourager le secteur de la recherche, à favoriser les échanges entre les écoles, à
renforcer les liens avec les employeurs, sans négliger
également l’insertion de ces écoles dans leur environnement économique et social local.
L’objectif à terme était, d’une part, de soutenir les efforts de productivité des entreprises en intervenant en
amont sur la qualité des enseignements technologiques et donc sur la formation professionnelle des
nouveaux diplômés et, d’autre part, de renforcer la
compétitivité de ces entreprises dont les services sont
destinés à l’exportation sur le marché international. En
dépit de la qualité de ce programme, les répercussions
escomptées ne pouvaient qu’être limitées en raison du
nombre restreint d’écoles concernées, malgré l’effet
d’entrainement attendu entre les établissements. l
–
ENCADRÉ 11 : LE NIVEAU SCOLAIRE DES ENTRANTS DANS LE SECTEUR DES
TIC SOUCIE LES SSII
–
« Les sociétés d’informatique indiennes qui recrutent en grand nombre des étudiants fraichement
sortis des écoles d’ingénieurs, se plaignent régulièrement du manque de qualité de ces futurs
employés du secteur des TIC et des services associés (ITES). Selon une recherche conduite par le
bureau d’études Knowledgefaber, localisé à Bangalore, seuls les étudiants sortis des grandes écoles
(IIT, IIIT, NIT et assimilés), qui ne représentent que 5 % du total des BTech délivrés annuellement,
seraient directement employables dans les entreprises de software comme Microsoft ou Google,
étant donnés les profils technologiques recherchés par ces entreprises. Pour le reste, 45 % seulement des étudiants sortant des autres écoles sont employables par les entreprises comme Infosys
et Wipro, compte tenu des défis que ces sociétés doivent affronter dans un secteur où les changements technologiques sont très rapides. » (Times of India, 1er avril 2013)
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
43
–4–
UN INGÉNIEUR, DES INGÉNIEURS
–4.5 LES INGÉNIEURS ET LES ÉTUDES DE MANAGEMENT–
21. Les Indian Institutes of
Management (IIM) ont été créés
par le gouvernement indien, au
début des années 1960, pour être
des écoles d’excellence en
sciences du management. Il y a
aujourd’hui treize IIM, identifiés
par le nom de la ville où ils se
situent soit, Ahmedabad,
Bangalore, Calcutta (Kolkata),
Indore, Kashipur, Kozhikode,
Lucknow, Raipur, Ranchi, Rohtak,
Shillong, Tiruchirappalli et
Udaipur. La réputation
académique de ces écoles varie,
notamment selon leur ancienneté,
les IIM d’Ahmedabad, de
Bangalore et de Calcutta étant
parmi les mieux placés dans les
classements nationaux.
22. « CAT for IIMs to be revised to
make it more inclusive », The
Hindu, 16 octobre 2012.
44
Il est difficile d’estimer le nombre de titulaires d’un
BEng ou d’un BTech qui complètent leur formation
par un diplôme en management immédiatement
après avoir terminé leurs études d’ingénieurs. D’une
part, les 3 000 écoles et plus d’ingénieurs ne font pas
de suivi de leurs étudiants au-delà de la licence et,
d’autre part, les écoles qui dispensent des diplômes
en management sont presque aussi nombreuses et
diverses que les écoles d’ingénieurs.
Il y existe deux titres universitaires en études de management. Le premier est le Master in Business Administration (MBA) qui est un degree délivré uniquement par les universités. Le second est le Post
Graduate Diploma in Management (PGDM) auquel
préparent toutes les autres écoles et instituts privés
au terme de deux années d’études. Les prestigieux
Indian Institutes of Management21 (IIM) délivrent un
PGDM qui est reconnu comme l’équivalent d’un MBA
par l’Association des universités indiennes. De même,
les IIM ne peuvent délivrer de doctorat (PhD), mais
elles ont mis en place des Fellow Programmes qui sont
considérés comme équivalents.
Les données en provenance du Common Admission
Test (CAT), concours national d’entrée dans les IIM,
fournissent quelques indications sur le profil scolaire
et social des aspirants à un titre en management de
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
ces écoles d’élites22. En 2012, il y a eu 214 068 candidats au CAT, soit une augmentation de 4 % par
rapport à 2011, augmentation plus forte pour les
filles (9 %) que pour les garçons (3 %). Parmi ces candidats, 67 % sont issus des écoles d’ingénieurs, le
reste se dispersant entre agriculture, architecture,
pharmacie, comptables agréés, titulaires d’une licence en lettres et arts et médecins (moins de 2 %).
Les étudiants issus des milieux les moins favorisés ne
représentent que 7 % de l’ensemble des candidats,
mais leur part a augmenté de 13 % depuis 2011. Les
groupes les moins favorisés des Other Backward
Castes/Classes ont augmenté le plus fortement,
17 %) ; l’augmentation est de 7 % pour les candidats
issus des Scheduled Tribes et seulement de 5 % pour
les Scheduled Castes. L’origine géographique des candidats révèle la montée de groupes issus des petites
villes et non plus seulement des grandes métropoles
urbaines.
Les salaires moyens d’entrée dans la profession du
conseil sont très attractifs, entre 12 et 18 lakhs de
roupies par an, soit cinq fois plus que le salaire d’entrée dans une SSII pour les ingénieurs titulaires d’un
BEng. Mais les études sont également plus coûteuses,
de l’ordre de 15 lakhs de roupies, soit un an de salaire
de consultant débutant. l
–LES SOCIÉTÉS
DE SERVICES
EN INGÉNIERIE
INFORMATIQUE–
–5–
46
Trois sources de données : Prowess, Dataquest, Nasscom
50
L’espace des sociétés de services informatiques
52
Essai de typologie
62
La faillite frauduleuse de la quatrième SSII de l’Inde : Satyam
63
Le marché parascolaire des TIC. Le succès du National Institute of
Information Technology
65
Les SSII françaises en Inde
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
45
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
Il n’existe pas d’étude d’ensemble des entreprises du secteur des TIC conduite à l’échelle des
sociétés de services23. L’une des raisons tient à la difficulté d’accéder à des informations
cohérentes. Les trois sources de données disponibles pour mener ce travail sont construites
selon des principes qui diffèrent, elles sont incomplètes, se recoupent peu, et ne sont donc
guère comparables. Elles permettent au mieux d’appréhender les plus grandes entreprises qui
dominent le marché. L’analyse présentée ci-après est une première tentative en ce sens.
–5 .1 TROIS SOURCES DE DONNÉES : PROWESS,
DATAQUEST, NASSCOM–
23. L a seule étude non publiée, mais
à laquelle nous avons eu accès,
est l’enquête menée en 1997 par
la Carnegie Mellon University
auprès de dix-sept sociétés situées
à Mumbai, Hyderabad et
Bangalore (Arora et alii, 1999).
46
Avant de présenter ces trois bases de données, il faut
souligner que la taille de l’univers de référence reste
floue.
La Nasscom estime le nombre total des sociétés aux
environs de 4 000 en 2010-2011, sans que l’on puisse
vérifier ce chiffre. De son côté, l’administration du
Software Technological Parks of India recense les unités opérationnelles, qui fonctionnent sous son programme, et non les entreprises. Une même entreprise
peut être divisée en plusieurs unités opérationnelles
réparties dans différents STPI. En conséquence, ces
unités sont deux fois plus nombreuses que le total
des entreprises du secteur des TIC. En prenant pour
référence le chiffre avancé par la Nasscom, les trois
sources accessibles ne couvrent que très partiellement les entreprises de ce secteur.
La première source, Prowess est une base de données produite par le Center for Monitoring Indian
Economy (CMIE). Elle concerne les entreprises enregistrées à la bourse de Bombay ou au National
Stock Exchange. C’est la base de données la plus
complète disponible sur l’ensemble des entreprises
indiennes et les filiales indiennes des entreprises
multinationales, tous secteurs d’activité confondus.
Les données économiques et financières proviennent des rapports annuels publiés par les entreprises. Cette source est fréquemment utilisée par les
économistes. Les rubriques de la base sont très
détaillées mais les données sont souvent manquantes ou simplement inutilisables du fait du
manque de suivi dans les séries.
Prowess documente 962 entreprises appartenant au
secteur des TIC. Parmi elles, 480 entreprises (le
nombre varie selon les critères sélectionnés) ont été
retenues pour les soumettre à des analyses de correspondances multiples. 18 variables réparties en 7
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
groupes ont été définies : 1) la taille de l’entreprise,
selon le nombre d’employés ; 2) le caractère international des activités ; 3) la nature des activités ; 4) les
politiques salariales ; 5) l’état financier des entreprises ; 6) la localisation des sièges ; 7) le caractère
innovant des politiques.
Le magazine Dataquest, seconde source d’informations, fournit en libre accès sur son site Internet une
base de données sur les 200 premières entreprises de
service informatique en termes de revenus. Si l’on
retient les chiffres publiés par la Nasscom, le secteur
des TIC représenterait un revenu global de 470 000
crores de roupies pour l’année fiscale 2010, et il emploierait aujourd’hui environ 2,5 millions d’employés.
Dans ces conditions, les 200 premières entreprises
classées par Dataquest réaliseraient 65 % des revenus de ce secteur d’activité et regrouperaient 72 %
du total des employés. Les informations disponibles
pour la majeure partie des entreprises sont les suivantes : 1) la date de création ; 2) le secteur principal
d’activité ; 3) le revenu pour les trois dernières années ; 4) le taux de croissance annuel du revenu ; 5)
les parts des activités réalisées sur le marché national
et à l’exportation pour les trois dernières années ; 6)
le nombre d’employés (mais les données sont manquantes pour 70 entreprises, soit 35 %) ; 7) la localisation du siège social.
La Nasscom, troisième source sur les entreprises des
TIC, maintient une base de données sur ses quelques
1 300 membres institutionnels dont les statuts sont
de deux types :
l Le premier type est celui de membre régulier, proposé aux entreprises indiennes qui ont des revenus
annuels supérieurs à un crore (10 millions) de roupies. Il s’accompagne d’un droit de vote pour élire les
membres du conseil exécutif de l’association.
l Le second type est celui de membre associé. Il
concerne, d’une part, les entreprises indiennes dont
les revenus sont inférieurs à un crore de roupies, et,
d’autre part, les entreprises étrangères, mais ce statut
ne donne aucun droit de vote.
Enfin, le coût de l’adhésion des membres réguliers est
le dernier critère qui permette de comprendre la structure de cette association et sa représentativité. Le
montant de la souscription et les droits de vote pour
élire les membres du conseil exécutif sont proportionnels aux revenus des entreprises. Les classes de revenu varient de un à 5 000 crores et plus. Pour la
première classe, de un à cinq crores, le droit d’entrée
des entreprises s’élève à 0,001 % de leur revenu, et
ces dernières disposent d’un seul droit de vote. Audelà de 500 crores de revenu, les entreprises disposent de six droits de votes, mais le montant de leur
souscription varie encore selon leurs revenus. Pour un
revenu supérieur à 10 000 crores, ce montant s’élève
à 0,06 % du revenu.
Pour les petites entreprises, en termes de revenus, le
coût d’entrée reste assez bas et il ne paraît pas devoir
être un frein à leur adhésion. De fait, la distribution des
membres de la Nasscom selon leurs revenus révèle la
prépondérance des petites entreprises24 : 88 % des
entreprises affichent des revenus inférieurs à 50 crores
de roupies (77 % entre 0-10 crores et 11 % entre 11-50
crores). À l’autre extrémité, les entreprises aux revenus
les plus élevés (5 000 crores et plus) ne représentent
que 1 % du total des membres de l’association.
Mais il faudrait connaître les revenus exacts de
toutes les entreprises pour apprécier leurs poids global au regard du total des revenus du secteur des
TIC, revenus qui déterminent leur influence au sein
de la Nasscom. On peut en faire une grossière approximation. Avec un revenu moyen de 5 crores attribué aux 997 membres de la première tranche (0-10
crores), ces entreprises ne représenteraient que 1 %
de la totalité des revenus du secteur en 2009-201025.
À l’autre extrême, la Nasscom liste 13 entreprises
ayant des revenus supérieurs à 5 000 crores de roupies. Les revenus de 8 de ces 13 entreprises sont
fournis par Dataquest ; sur cette base, ces 13 entreprises représenteraient à elles seules 7 % de l’ensemble des revenus du secteur des TIC. Faute de
données détaillées fournies par la Nasscom, il est
difficile de préciser davantage le poids de ces
grandes entreprises dans ce groupement professionnel où les petites entreprises restent largement prépondérantes en nombre. Cette dualité explique peutêtre la double image de cette association qui, de
l’intérieur, se présente comme le porte-parole de
toutes les entreprises du secteur des TIC et, de l’extérieur, donne l’image d’un puissant groupe de pression œuvrant en faveur des grandes sociétés. Les
services d’aides, de conseils et de lobbying à l’échelle
nationale et internationale que fournit l’association
sont en effet plus adaptés aux besoins des grandes
entreprises travaillant pour l’exportation qu’à ceux
des petites entreprises centrées sur un marché local
très ciblé. Le fait que la Nasscom représente mieux
les intérêts des grandes entreprises est attesté par
les propriétés sociales des membres du conseil exécutif et celles des présidents qui ne sont éligibles que
pour un mandat de quatre ans.
La localisation des sièges sociaux de sociétés répertoriées par la Nasscom et CMIE (Prowess) confirme que
l’on ne peut guère comparer les deux bases de données
(tableau 9). Les villes de New Delhi, de Mumbai et
d’Hyderabad sont surreprésentées par Prowess, comparées aux données de la Nasscom où 20 % des entreprises membres sont domiciliées à Bangalore contre
11 % de celles enregistrées par Prowess.
– Tableau  9 –
Localisation des sociétés informatiques selon Prowess et la Nasscom (en %)
Villes
Prowess (n=533)
New Delhi
Nasscom (n=1310)
18,2
6,2
--
22,4
Kolkata
4,9
3,4
Mumbai
30,0
15,0
--
6,3
Hyderabad
20,2
8,2
Bangalore
10,7
20,8
Chennai
16,0
12,3
NCR
Pune
Source : Prowess Database, Nassom Directory (2012)
La surreprésentation de Mumbai par Prowess résulte
vraisemblablement d’un biais lié à la sélection des
entreprises enregistrées sur cette place financière par
le CMIE. On note en outre l’absence de la ville de
Pune, pourtant au 2e rang pour la concentration
d’entreprises et d’écoles d’ingénieurs du Maharashtra, dans l’arrière-pays de Mumbai.
La géographie des entreprises membres de la Nasscom (carte 2 p. 75) met en évidence une opposition
de part et d’autre d’une diagonale passant par Mum-
24. Les classes de revenus varient
selon les sources publiées par la
Nasscom. Il n’est pas possible de
présenter un tableau pleinement
cohérent de ce groupement
professionnel. Mais ces données
permettent néanmoins
d’appréhender la structure globale
de l’association.
25 Soit 997entreprises x 5 crores =
4 985 crores, rapportés à 470
000 crores de revenus du secteur
des TIC.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
47
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
– Figure 6 –
Distribution des 200 premières sociétés des TIC selon leurs revenus en %
(Dataquest 2009-2010)
30
25
20
15
10
5
0
101-250
251-500
1001-2500 2501-5000
501-1000
5000 +
Source : Nasscom Directory (2012)
– Figure 7 –
Distribution des 130 premières sociétés des TIC selon le nombre d’employés en %
(Dataquest 2009-2010)
10
00
15
00
0
+
0
1-
-1
15
00
00
00
0
01
50
10
50
01
1-
-5
10
00
00
0
50
120
51
-2
0-
00
50
50
40
30
20
10
0
Source : Nasscom Directory (2012)
– Figure 8 –
Distribution des membres de la Nasscom selon les revenus des sociétés en % (2011)
100
80
60
40
20
+
50
00
50
00
25
01
-
10
01
-
25
00
00
1-
10
0
50
50
125
50
10
12
00
-1
51
0
-5
11
1-
10
0
Source : Nasscom Directory (2012)
– Figure 9 –
Distribution des sociétés membres de la Nasscom selon le nombre d’employés en
2011 (en %)
35
30
25
20
15
10
5
0
0-50
51-200
201-500
501-1000
1001-5000
5001 +
Source : Nasscom Directory (2012)
48
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
bai et Hyderabad. En Inde du nord la National Capital Region (NCR), c’est-à-dire New Delhi et sa couronne englobant, d’une part, Gurgaon et Faridabad
dans l’état de l’Haryana et, d’autre part, Noida et
Greater Noida dans l’état de l’Uttar Pradesh, regroupe
22 % des entreprises, à quasi égalité avec Bangalore
qui en regroupe 21 %. Comparé au sud de l’Inde, le
nord reste sous-développé au regard de l’implantation
des sociétés de services informatiques, exceptée la
région de Delhi. Dans les états de l’est et du nord-est,
aucun centre important ne semble encore émerger :
Kolkata ne regroupe que 3 % des membres de la
Nasscom, Bhubaneswar 0,1 %, et les états de l’est
(Assam ou Tripura) aucun.
Dans les deux cas cependant, le poids de l’Inde du
sud est sensiblement du même ordre de grandeur. Les
trois capitales des états fédérés que sont Hyderabad,
Bangalore et Chennai abritent 40 % des entreprises
enregistrées par la Nasscom et 47 % de celles listées
par Prowess.
Les entreprises répertoriées par Dataquest et par la
Nasscom (figures 6-9) se différencient selon leur
taille exprimée en nombre d’employés (cette information est mal renseignée dans la base Prowess). Les
grandes sociétés de services documentées par Dataquest opposent deux groupes, le premier groupe
constitué des sociétés qui emploient entre 1 000 et
5 000 personnes, le second des entreprises de plus de
15 000 employés. Mais les catégories sont mal ajustées. Les trois premières sociétés de services (TCS,
Wipro et Infosys) emploient toutes plus de 100 000
personnes. Cette opposition entre, d’une part, petites
et moyennes entreprises et, d’autre part, très grosses
entreprises s’observent parmi les membres de la Nasscom, avec une polarisation sur les petites et moyennes
entreprises autour de 200 personnes et des revenus
situés entre 1 et 10 crores de roupies.
La comparaison entre les trois bases de données révèle
l’hétérogénéité des trois sources. 85 entreprises sont
communes à Prowess et à Dataquest et ces 85 entreprises représenteraient 65 % du total des revenus du
secteur ICT. Mais le revenu moyen des entreprises retenues par Dataquest (1 585 crores de roupies) est trois
fois supérieur à celles listées par Prowess (522 crores).
Les grandes entreprises du secteur sélectionnées par
Dataquest s’opposent aux entreprises moyennes retenues par Prowess. Pour sa part, la Nasscom partage
une centaine de entreprises avec Prowess, et autant
avec Dataquest. À l’évidence, il est impossible de réunir en une seule base cohérente les données qui seraient communes à ces trois sources. l
–
ENCADRÉ 12 : BANGALORE, CAPITALE DES TIC
–
Les qualificatifs ne manquent pas pour projeter la ville de
Bangalore, capitale de l’état du Karnataka, en Inde du Sud,
et ses 9 millions d’habitants sur la carte de la globalisation :
« technopole » pour les uns, « ville globale » pour les autres,
« Silicon plateau » pour le gouvernement du Karnataka, ou
rien de tout cela pour d’autres encore. Il est vrai qu’au regard
de la localisation des entreprises membres de la Nasscom, la
région-capitale (NCR) de Delhi, avec 23 % des sièges sociaux,
devance légèrement Bangalore, 21 %, tandis que ces deux
villes distancent nettement les trois autres capitales régionales que sont Mumbai, 15 % des sièges, Chennai, 12 %, et
Hyderabad, 8 % seulement.
Si la localisation géographique de ce secteur d’activités est
éclatée, trois caractéristiques contribuent néanmoins à faire
de Bangalore la capitale des TIC. Premièrement, le poids de
ce secteur est élevé au regard d’une population qui est
presque deux fois et demi moindre que celle de la région capitale de Delhi qui rassemble plus de 22 millions d’habitants.
Aussi, la densité des entreprises et la forte visibilité de ses
employés aux allures juvéniles différencient nettement Bangalore de Delhi, où cette activité est spatialement beaucoup
plus éclatée dans les villes périphériques (Gurgaon et Noida
notamment). Deuxièmement, au sein de ce secteur d’activités,
la proportion d’entreprises étrangères ou de filiales indiennes
d’entreprises étrangères (plusieurs centaines en 2000) installées à Bangalore, est certainement plus élevée que dans les
autres villes de l’Inde. Troisièmement, enfin, les TIC bénéficient d’une implantation relativement ancienne, liée à l’établissement de la Karnataka State Electronics Development
Corporation (KEONICS) en 1976 et, un an plus tard, à la mise
en place de la première phase de l’Electronic City : ce parc
technologique de 136 hectares est situé à 18 km au sud de
Bangalore, son développement est aujourd’hui dans sa phase
III et il a été complété par ailleurs par d’autres parcs technologiques.
La concentration des entreprises des TIC à Bangalore (mais
aussi dans les autres métropoles de l’Inde), est d’abord le résultat des politiques publiques, celles du gouvernement de
l’état du Karnataka en l’occurrence et celles du gouvernement
central de l’Union qui en a fixé le cadre général, celui des
parcs technologiques. Comme le rappelle Kiran Karnic, président de la Nasscom (2001-2008), rien n’est plus erroné que
d’attribuer le développement de ce secteur d’activités aux
seules forces du marché et de la libre entreprise. Ce sont au
contraire de nouvelles modalités d’interaction et de négociation entre les pouvoirs publics et les entreprises du secteur
privé qui ont permis la croissance de ces activités.
La première phase de développement de la région de Bangalore résulte des politiques industrielle et éducative initiées par
Mokshagundam Visvesvaraya (1860-1962), ingénieur de formation, qui fut diwan (équivalent d’un premier ministre) de
l’état princier de Mysore en 1912-1918. L’industrialisation reposait alors sur les secteurs du bois, de la pâte à papier, du
savon (le célèbre savon au santal de Mysore), des filatures et
de l’énergie (eau, électricité). L’université de Mysore a été fondée en 1916 et l’année suivante, en 1917, le College of Engineering, aujourd’hui Sir Visvesvaraya University Engineering
College. Mais la recherche s’est cristallisée très vite autour de
l’Indian Institute of Science, créé en 1909 par J.N. Tata, aujourd’hui université parapublique où se font les recherches les
plus avancées dans les sciences dures.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Bangalore est devenue
le centre de l’industrie aéronautique (Hindustan Aeronautics
Ltd., 1940) et aujourd’hui de l’aérospatiale. Après l’Indépendance de l’Inde, en 1948, puis la formation de l’état de Mysore en 1956, renommé Karnataka en 1973, l’État central a
implanté à Bangalore des entreprises du secteur des télécommunications (Indian Telephone Industry, 1948, Bharat Electronics Ltd., 1954) et de l’industrie mécanique (Hindustan
Machine Tools, 1955).
En 1986, l’arrivée de la société américaine Texas instrument
a été favorisée par les pouvoirs publics, l’Union indienne et
l’état du Karnataka, qui ont pris en charge les infrastructures
(en termes de télécommunications notamment). Cette implantation a marqué le début d’un processus d’installation d’entreprises étrangères à Bangalore, comme Hewlett Packard,
Oracle, Motorola, Digital Equipment Corporation, Cadence,
SAP, Capgemini ou IBM (en joint-venture avec Tata Consultancy Services).
Dans le même temps, les secteurs de l’enseignement et de la
recherche ont été renforcés par deux initiatives : d’une part,
la synergie entre trois établissements publics, l’Institut des
sciences, l’Indian Space Research Organisation et le Center for
Development of Advanced Technology (C-DAC), qui constituent un pôle de recherche de pointe en électronique et en
télécommunications et, d’autre part, la création en 1999 d’un
International Institute of Information Technology (IIIT-Bangalore) établi sur le mode d’un partenariat public-privé. Ces deux
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
49
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
évolutions ont contribué à consolider la position de Bangalore
comme capitale des TIC dans un contexte de compétition
entre les états fédérés, en particulier dans le sud de l’Inde
avec, d’un côté, le parc technologique dit Cyberpath à Hyderabad (Andhra Pradesh), où Microsoft s’est installé et, de
l’autre, le « Cyber Corridor » qui s’étend sur une dizaine de
kilomètres au sud de Chennai (Tamil Nadu).
Sources : R.C. Mascarenhas, India’s Silicon Plateau. Development of Information and Communication Technology in Bangalore, Hyderabad, Orient BlackSwan, 2010 ; James Heitzman,
Network City. Planning the Information Society in Bangalore,
New Delhi, Oxford University Press, 2004.
–5 .2 L’ESPACE DES SOCIÉTÉS DE SERVICES
INFORMATIQUES–
26.L’analyse des sociétés du secteur
des TIC a été réalisée par Scott
Viallet-Thèvenin dans le cadre du
stage de master d’économie et de
politique publique de l’École
polytechnique, voir Scott
Viallet-Thèvenin, Indian IT
Companies. A Typology, Centre de
Sciences Humaines, École
Polytechnique, New Delhi, 2011.
50
Pour réaliser l’étude des sociétés de services informatiques, on a retenu les deux cents plus grandes sociétés répertoriées par Dataquest. Les informations fournies par Dataquest ont été complétées en utilisant
les deux autres sources existantes et en consultant
les sites Internet de ces sociétés. Les huit secteurs
d’activité identifiés par la Nasscom ont été repris :
• IT Software services,
• ITES (IT enabled services, BPO),
• Product development,
• Product distributer/reseller,
• Staffing services,
• Engineering services and R&D activities,
• Animation/Gaming,
• Internet commerce.
Une variable portant sur la certification internationale des entreprises a été introduite afin de prendre
en compte une procédure qui se développe car elle
permet aux entreprises concernées de mettre en
avant une référence de qualité pour s’imposer sur le
marché international. La Nasscom retient cinq types
de certifications.
Le premier est le standard ISO 9000, qui porte sur la
qualité des systèmes de management. Son adoption
permet aux entreprises de s’assurer que les besoins
de leurs clients sont globalement satisfaits. Dans
cette famille, on a distingué les standards ISO
9001:2000 et ISO 9001:2008 comme deux étapes
complémentaires dans ce processus. Le troisième type
de certification est le standard ISO 14000-environnement. Les entreprises qui l’adoptent s’engagent,
d’une part, à minimiser les effets négatifs de leurs
activités sur l’environnement, notamment sur l’air,
l’eau, la terre, et, d’autre part, à respecter l’arsenal
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
législatif sur ces questions et, enfin, à améliorer en
permanence les procédures mises en place. C’est le
cas de l’entreprise Stéria par exemple.
Deux autres types de certifications, concurrents de
ceux de la famille ISO, se rencontrent aussi dans les
entreprises. Il s’agit d’abord de la certification dite
Capability Maturity Model Integration (CCMI), définie
par le Carnegie Mellon Institute. Le CMMI dispose de
cinq niveaux correspondant à différents degrés de
réalisation de la procédure requise.
Enfin, le dernier type de certification retenue est le
People Capability Maturity Model (PCMM) axé sur la
gestion des ressources humaines.
Huit régions géographiques vers lesquelles sont orientées les activités des entreprises ont été définies :
Europe, Amérique du nord, Amérique latine, Afrique,
Asie, Moyen Orient, Océanie et enfin Inde. Cette dernière région concerne les entreprises qui opèrent essentiellement sur le marché national indien.
Au total, 22 variables ont été retenues pour caractériser chacune des deux cents sociétés avec une Analyse en composante principale26 (ACP).
L’espace des sociétés de services informatiques est
structuré par les quatre premiers axes de l’analyse en
composantes principales (ACP).
Le premier axe de l’ACP explique 19 % de la variance.
Il oppose deux types d’entreprises selon les relations
qu’elles entretiennent avec le marché national ou le
marché international. À gauche de cet axe, se situent
les entreprises qui sont spécialisées dans le service
software et les services associés (ITES), exportent vers
les États-Unis, l’Europe (principalement le Royaume
Uni), mais aussi le Moyen-Orient, l’Asie et l’Amérique
latine. Elles s’opposent aux entreprises situées sur à
–
ENCADRÉ 13 : LES VARIABLES RETENUES POUR L’ANALYSE EN COMPOSANTES
PRINCIPALES (ACP)
–
1 Membre de la Nasscom
2Local1 : entreprises dont siège social et établissement ont même localisation (même code
postal)
3Local2 : entreprises dont le siège social est localisé dans le même district
4Type d’entreprise 1: Business House
5Type d’entreprise 2 : Private firm
6Pensions : part des pensions rapporté au CA
7Salaires : part des salaires rapporté au CA
8Sécurité sociale : part des avantages sociaux rapporté au CA
9Voyages : part financière des déplacements à l’étranger rapporté au CA
10Export1 : part des exportations de biens rapporté au CA
11Export2 : part des exportations de services rapporté au CA
12Import : part des importations dans le total des coûts
13Capital fixe : part du CF dans la valeur totale de la société
14RVN : retour sur valeur nette
15RCE : retour sur capital employé
16Quick Ratio (ratio de liquidité financière)
17Profit en %
18Chiffre d’affaire (CA)
19Secteurs d’activité
20Zones géographiques d’activités
21Certifications
22 Nombre d’employés
la gauche de l’axe, et dont les activités centrées sur
la distribution et la vente sont orientées essentiellement vers le marché national indien.
Le second axe de l’ACP explique 9 % de la variance.
Il distingue, dans la partie supérieure du plan, les
entreprises qui développent des produits spécifiques
et qui possèdent une activité de R&D, deux traits qui
ne sont pas nécessairement associés. Jusqu’au début
des années 2000, le secteur des TIC était caractérisé
par l’inexistence de la recherche au sein de ces entreprises de services. Ces entreprises se caractérisent
plus que d’autres par une certification ISO 14000-environnement. Ce type de certification qualifie des
entreprises innovantes, soucieuses de présenter une
image conforme aux attentes des pays occidentaux,
dans un contexte où l’Inde, à l’instar d’autres pays
émergents comme la Chine, freinent toutes mesures
anti-pollution qui pourraient ralentir la croissance
industrielle et économique du pays.
Le troisième axe de l’ACP explique 7 % de la variance.
Il oppose des entreprises engagées dans le BPO, staffing services, e-commerce, ITES, à des entreprises plus
orientées vers l’exportation de produits pour des pays
pauvres comme l’Afrique.
Enfin, le quatrième axe explique 6 % de la variance.
Il oppose, d’un côté, les entreprises dont les activités
sont à dominante commerciale, de type distribution
de biens et de services et, de l’autre, celles qui sont
engagées dans des activités de production. Les entreprises de la première catégorie exportent vers le
Moyen-Orient, vers l’Océanie, et secondairement vers
l’Afrique, soit des pays plutôt proches de l’Inde en
termes d’environnement économique. L’Inde représente par ailleurs une part de marché importante
pour ces entreprises engagées dans les nombreuses
facettes du commerce de détails. La seconde catégorie regroupe des entreprises qui exportent plutôt des
produits vers les États-Unis et l’Europe. l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
51
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
–5.3 ESSAI DE TYPOLOGIE–
L’analyse des axes qui structurent l’espace des entreprises conduit à une classification hiérarchique ascendante et permet de construire une typologie de ces
sociétés. L’analyse porte sur 198 entreprises, deux
d’entre elles (Apple India et Asus India) n’étant pas
suffisamment renseignées pour être intégrées à cette
étude. On a procédé à un regroupement en six classes
et utilisé la méthode de couplage des moyennes pour
caractériser la distance entre deux classes. Dans ce
cas, cette distance est calculée comme la moyenne
des distances entre tous les objets pris dans l’une et
l’autre des deux classes différentes.
La date de création des 200 plus grandes entreprises
(figure 10) atteste que le secteur des TIC s’est développé à partir du début des années 1980. Sur les trois
dernières décennies (1980-2010), la création des entreprises enregistrées par la Nasscom se répartissent régulièrement autour de l’année moyenne 1993. Les plus
grandes entreprises du secteur comptent donc une
vingtaine d’années d’ancienneté, ce qui paraît plutôt
vieux si l’on considère que l’essor du secteur des TIC
date des années 1980. Cet indicateur renseigne sur la
volatilité de ce secteur économique, nombre d’entreprises ayant un cycle de vie assez court. On observe un
décrochement entre le nombre d’entreprises créées en
1995-1999 et en 2000-2004. Faut-il considérer que
cette diminution reflète la réalité économique du secteur des TIC ? On a noté que les entreprises devaient
avoir un chiffre d’affaire supérieur à un crore de roupies
pour devenir membre. Il faudrait alors connaître le
temps moyen que les entreprises mettent pour atteindre ce chiffre d’affaires.
Parmi ces entreprises qui réalisent la part la plus importante des revenus de ce secteur, 64 % sont orientées
vers des activités relativement peu qualifiées ; 40 %
– Figure 10 –
Date de création des 200 entreprises des TIC listées par Dataquest (n=197)
0
05
-2
01
4
20
00
-2
00
9
20
95
-1
99
4
19
90
-1
99
9
19
85
-1
98
4
19
80
-1
98
9
19
97
-1
75
19
97
-1
70
19
<1
97
0
4
60
50
40
30
20
10
0
Source : Dataquest
– Tableau  10 –
Propriétés des entreprises des TIC pour les six clusters de l’ACP (n=198)
Groupes
1
Nb d’entreprises
2
3
4
5
6
Moyenne
3
11
35
90
53
6
-
Nb moyen d’employés
74 600
13 000
9 500
4 200
3 700
55 000
9 000
Revenu moyen (2009) en crores
13 100
3 712
1 381
815
1 124
8 912
1 585
Productivité (en crores)
0,176
0,286
0,145
0,194
0,303
0,162
0,176
Exportations (% revenu)
93
66
55
15
50
78
36
Sources : Scott Viallet-Thévenin (2011)
– Tableau  11 –
Propriétés de six entreprises de chaque cluster
Groupes
1
2
3
4
Compagnie
TCS
Cognizant
NIIT
Année de création
1968
1994
2003
160 429
85 000
Nb d’employés
6
HCL Info-system
Mind Tree
Infosys
1976
1999
1981
3 485
128 150
7 866
113 796
Revenu (2009) en crores
26 576
15 646
1 199
11 956
1 296
21 355
Productivité (en crores)
0,165
0,184
0,344
0,093
0,165
0,188
Exportations (% revenu)
91
100
50
100
93
99
Sources : Scott Viallet-Thévenin (2011)
52
5
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
d’entre elles ont une activité de R&D, ce qui atteste la
capacité de ces entreprises à inscrire leurs activités
dans un processus de valeur ajoutée aux activités peu
qualifiées qui sont le lot de ce secteur. En moyenne,
chaque entreprise est engagée dans 2,3 activités différentes, selon la classification de la Nasscom.
Le premier groupe rassemble trois entreprises dont la
date de fondation est plus ancienne que la moyenne :
Tata Consultancy Service, historiquement la première
société de services informatiques, créée en 1968
(encadré 14), Aricent India et Hindustan Computer
Limited Technologies, toutes deux créées en 1991
(HCL Technologies émanant du groupe HCL Infosystem fondé en 1976). Ce sont trois grandes entreprises,
avec des revenus moyens de 13 100 crores de roupies
(moyenne de l’ensemble 1 585 crores). Le cœur de
leurs activités est le service software et les activités
associées dit IT Enabled Services, à hauteur des deux
tiers de leurs revenus. Ceci explique que ces entreprises aient en moyenne 4,8 secteurs d’activité différents, investissant par exemple dans le secteur des
jeux animés et du commerce sur Internet. Elles exportent dans toutes les régions du monde, excepté
l’Océanie qui reste une zone d’exportation marginale.
–
ENCADRÉ 14 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : TATA CONSULTANCY SERVICES
–
Tata Consultancy Services (TCS) a été créée en 1968, un siècle
après la fondation du groupe Tata (Tata Sons) en 1868. C’est
la plus ancienne des sociétés de services informatiques indiennes et la première par son chiffre d’affaire et son nombre
d’employés (245 000 personnes).
En 1965, la direction de Tata Sons décide de réunir dans une
même unité les ressources humaines et techniques nécessaires
à la gestion du groupe. Le service est dénommé Tata Computer Center, et fonctionne alors avec trois machines IBM. Quatre
ans plus tard, le groupe crée quatre nouvelles entités et le
centre informatique devient Tata Consultancy Services dont
Faqir Chand Kholi prend la direction en 1969.
Faqir Chand Kholi est né en 1924 dans la famille nombreuse
d’un riche commerçant hindou, à Peshawar (aujourd’hui au
Pakistan) où son père possédait alors le plus grand magasin
de cette ville. Il a fait ses études supérieures à l’université de
Lahore, au Punjab, dont il est diplômé en littérature anglaise
(BA) et en physique et mathématique appliquée (BSc Hons).
En 1945, il reçoit une bourse pour poursuivre ses études au
Canada, à la Queen’s University d’Ontario où il obtient son
BScEng (Hons) en électricité en 1948, formation qu’il complète par un MSc dans la même spécialité au Massachusetts
Institute of Technology (USA).
Après avoir travaillé deux ans aux États-Unis, F.C. Kholi rentre
en Inde en 1951 et rejoint Tata Electric (TEL) dont il devient
le directeur adjoint six ans plus tard. Sa tâche essentielle fut
d’informatiser les services de TEL. Ce succès lui vaut d’être
nommé en 1969 à la tête de TCS, la nouvelle unité informatique de Tata Sons qu’il dirige pendant vingt-deux ans. Sous
son mandat, TCS s’est développé en dehors du groupe, prospectant de nouveaux marchés (banque, assurance, bourses,
éducation), et le nombre d’employés a progressé d’une centaine à plus de 10 000 personnes.
En 1996, Subramaniam Ramadorai, entré chez TCS en 1974,
succède à Faqir Chand Kholi à la direction de cette société.
Ramadorai est né en 1944 à Nagpur, au Maharashtra, dans
une famille de brahmanes tamouls dont il est le quatrième
des cinq enfants : « J’ai été un enfant normal d’une famille
typique de Tam Bram (Tamoul Brahmane) » écrit-il (S.
Ramadorai 2011). Son père, fils d’un comptable villageois
tamoul qui possédait quelques terres ancestrales, a fait des
études de mathématiques, puis il est entré à la Chambre des
comptes de l’Union indienne, terminant sa carrière au poste
de directeur de la Chambre des comptes de l’état du Tamil
Nadu. Ramadorai a reçu une éducation très stricte dans
laquelle l’apprentissage des matières scientifiques, les
mathématiques en particulier, était complété par la
transmission de la haute culture lettrée brahmanique,
notamment la connaissance des langues sanskrite et tamoule.
Destiné par son père à être médecin, il délaisse la biologie
pour les mathématiques et la physique. En 1965, il obtient
son BSc de l’université de Delhi, qu’il complète par un MSc en
électronique et communication à l’Institut des sciences de
Bangalore, en 1968.
Ramadorai reçoit alors une bourse pour aller à l’Université de
Californie-Los Angeles mener un MTech en science de l’informatique (1970). Dans cette famille de « Tam Bram », il est le
premier à partir aux États-Unis pour y poursuivre ses études
et y travailler. Son premier emploi, à Los Angeles, est celui de
diagnostic programmer dans la société National Cash Register qui gère des parcs de caisses enregistreuses et des distributeurs automatiques de billets. Sur le point de contracter un
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
53
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
mariage (arrangé), sa future épouse impose comme condition
qu’il revienne travailler en Inde, craignant que celui-ci ne soit
déjà marié aux États-Unis, situation qui n’était pas rare alors
parmi les immigrés indiens. En 1972, Ramadorai entre chez
TCS, à Mumbai, comme analyste et programmeur assistant
system, pour un salaire huit fois inférieur à ce qu’il gagnait
aux États-Unis.
Dans les années 1970, malgré le strict encadrement de l’économie par l’État qui freine tout développement du secteur
privé, TCS importe un ordinateur Burroughs B1728 des ÉtatsUnis. En 1974, la société signe avec des clients occidentaux
ses premiers contrats de services informatiques qu’elle fait
exécuter en partie par ses ingénieurs à Mumbai avant d’implémenter les programmes sur le site de ses clients. C’est l’invention de l’outsourcing. Ramadorai parfait sa formation auprès
de Burroughs, au Canada, et devient à son retour ingénieur
system manager chargé de la maintenance du hardware. À
cette époque, 90 % du coût des services étaient imputables
au matériel, les 10 % restant revenant à parts égales aux
coûts de software et à la main d’œuvre. Aujourd’hui (2010),
avec les progrès technologiques, le hardware ne représente
que 5 % du coût total d’un projet, le software 45 % et la main
d’œuvre 50 %.
En 1979, la demande du marché indien est encore insuffisante pour faire de TCS une entreprise viable. La société vise
alors le marché américain et ouvre un bureau à New York dont
Ramadorai prend la direction pendant deux ans. Réalisant
que le décalage horaire entre l’Inde et les États-Unis facilite
une organisation continue du travail entre ces deux pays,
Ramadorai met en place la division du travail offshore/onshore qui permet aux équipes américaines de recevoir au matin
le travail réalisé la veille par les ingénieurs indiens. Malgré les
réticences des entreprises américaines qui ne prennent pas
encore au sérieux les potentialités de l’Inde en matière de
services informatiques, TCS parvient à emporter quelques gros
contrats qui forgent sa réputation, notamment dans le secteur
de la banque et de la finance, avec par exemple l’informatisation des services de la Banque nationale suisse ou du National Stock Exchange à Mumbai. « Il nous fallait gagner des
clients et construire la marque TCS », résume Ramadorai (op.
cit. p. 49). En 1993, Ramadorai passe neuf mois au Massachussets Institute of Technology où il suit une formation au
management destinée aux cadres des grandes entreprises.
Trois ans plus tard, il prend la direction générale de Tata
Consultancy Services, et en 2002 il dirige les opérations
d’introduction en bourse de la société dans laquelle Tata Sons
reste majoritaire, à la différence des autres sociétés du groupe.
En 2009, âgé de soixante-cinq ans, S. Ramadorai a quitté ses
fonctions de Chief Executive Officer et Managing Director et
est devenu vice-président de TCS.
Natarajan Chandrasekaran, qui lui succède cette même année
dans le poste de CEO, est également un brahmane tamoul mais
issu d’un milieu rural, à la différence de son mentor S. Ramadorai. Né en 1963 dans un gros bourg du Tamil Nadu, N. Chandra, comme il est appelé, appartient à une famille de propriétaires terriens. Il a fait ses études secondaires en tamoul
jusqu’en classe de seconde avant d’entrer au lycée (classe 10
et 11) dans la ville voisine. Titulaire d’un BSc en sciences appliquées de l’Institut de technologie de Coimbatore, il doit ensuite
travailler sur l’exploitation familiale que son père lui destine.
Mais ne souhaitant pas devenir agriculteur, il reprend ses
études de sciences au National Engineering College de Tiruchirappali où il obtient un MCA (Master Computer Application)
en 1986. À la suite d’un stage qu’il effectue chez TCS, il est
embauché comme software developper en 1987 et mène alors
toute sa carrière dans cette entreprise.
Le second groupe rassemble onze entreprises dont les
revenus annuels (3 375 crores) sont deux fois supérieurs à la moyenne de l’ensemble du groupe étudié.
Toutes ces entreprises sont très engagées dans les IT
Enabled Services mais aussi dans le « staffing services » : il s’agit de services de gestion du personnel
en termes de recrutement, de placement, et de licenciement, autant d’activités que nombre d’entreprises
sous-traitent à des sociétés spécialisées. Peu d’entreprises de ce groupe développent leurs propres produits, aucune ne fait de la distribution ou de la re54
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
vente. Mais elles sont très présentes sur le secteur du
Business Process Outsourcing (BPO), activités requérant une population d’employés de faible qualification. Elles exportent sur le marché nord-américain,
celui des pays européens, du Moyen-Orient et de
l’Asie. Ces entreprises ont un niveau de certification
supérieur à la moyenne, car il leur faut présenter des
garanties pour leurs clients, excepté en termes d’environnement. Par ailleurs, ces entreprises sont peu engagées dans des activités productrices entraînant des
risques de pollution.
–
ENCADRÉ 15 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : COGNIZANT
–
Cognizant Technology Solutions est un exemple de ces entreprises multinationales américaines créées par des entrepreneurs originaires de l’Asie du sud, qui sont implantées en Inde
et dont nombre de cadres dirigeants sont Indiens.
L’entreprise dont le siège social est au New Jersey (États-Unis)
a été créée en 1994 par un ingénieur d’origine Sri Lankaise,
Wijeyaraj Kumar Mahadeva. Celui-ci est né à Colombo où
son père, haut fonctionnaire, était secrétaire permanent du
gouvernement. Après avoir obtenu un BEng du Royal College
de Colombo, Kumar Mahadeva part à Cambridge (UK) mener
un MSc en électricité avant de compléter ses études par un
MBA à la prestigieuse Harvard Business School aux ÉtatsUnis. Il travaille d’abord à la BBC, puis dans le cabinet
d’études et de conseils McKinsey, avant de rejoindre la Dun
& Bradstreet Corporation dont il devient le directeur général
(Chief Executive Officer) pour l’Inde et la Chine. À ses débuts,
la société créée par Kumar Mahadeva, Dun & Bradstreet Satyam Computer, est une « joint-venture » entre Dun &
Bradstreet et l’entreprise indienne Satyam (Encadré 20) destinée à être l’office informatique du groupe américain et de
ses clients. Mais en deux ans, la société élargit sa clientèle,
devient indépendante en 1996, et elle entre à la bourse de
New York en 1998.
En 2003, Kumar Mahadeva quitte ses fonctions de directeur
général pour être remplacé par Laskhmi Narayanan. Né en
1953, Lakshmi Narayanan a fait ses études secondaires et
supérieures à Bangalore ; il est titulaire d’un MSc en électronique de l’Université technologique Visvesvaraya et d’un
PGDM de l’Institute of Sciences de Bangalore. En 1976,
Lakshmi Narayanan est recruté par Tata Consultancy Services
où il se forme auprès de Faqir Chand Kholi, participe à l’informatisation de la Banque nationale suisse, puis il est promu
directeur régional de TCS à Delhi. Mais en 1994, il est débauché par Dun & Bradstreet qui le recrute comme directeur
technique (Chief Technological Officer) pour ouvrir le bureau
de Cognizant à Chennai.
À cette époque, confie-t-il « on ne savait pas combien de temps
les activités liées aux TIC allaient durer 27 ». Les dirigeants
doivent donc innover en surmontant deux épreuves
importantes. La première a été de conserver les clients gagnés
à l’occasion des ajustements techniques requis par le
changement de millénaire en 1999-2000 (année dite Y2K
dans le jargon anglo-américain). La seconde, en 2000-2001,
fut de survivre à l’éclatement de la bulle spéculative d’Internet
en prenant des parts de marchés dans les services de maintenance que les autres grandes entreprises indiennes refusaient.
Cognizant a ouvert une douzaine de centres en Inde où
l’entreprise est spécialisée dans le BPO, le conseil, et les
services associées aux TICS (ITES). La société est présente
sur tous les grands secteurs d’activités : notamment banque
et finance, assurances, distribution et vente, santé, média,
télécommunications. Interrogé sur ce qui différencie Cognizant, TCS, Infosys et Wipro, Lakhsmi Narayanan déclare :
« Tata est très centré sur les coûts et les prix. Infosys essaie
d’être très innovateur. Wipro est considéré comme une entreprise axée sur le segment R&D parce que la moitié de leurs
revenus proviennent du secteur des télécommunications.
Cognizant a la réputation d’offrir à sa clientèle la meilleure
expérience.28 » Dans cette concurrence, le fait d’être coté au
NASDAQ est un atout pense Lakshmi Narayanan : « Cette
cotation a un impact positif sur les clients potentiels qui font
pas mal de recherche avant de nous approcher. Notre présence dans le top 50 de Business Week est plus crédible que
d’être dans le top 5 de la Nasscom. Nos clients nous associent avec des marques qu’ils connaissent, et, pour cette raison, être classé aux États-Unis est très important.29 »
En 2007, Lakshmi Narayanan prend sa retraite à l’âge de 55
ans, et il laisse son poste de directeur général à un jeune
manager Francisco D’Souza, âgé de 38 ans. Né en 1968 à
Nairobi (Kenya), fils d’un ambassadeur indien originaire de
Goa, celui-ci a vécu dans une dizaine de pays au gré des
changements d’affectation de son père tous les trois ans.
De citoyenneté américaine, D’Souza bénéficie du statut légal
de Person of Indian Origin30 (PIO) créé par les autorités indiennes pour favoriser le retour des entrepreneurs indiens qui
ont opté pour une autre nationalité. À la différence de ses
prédécesseurs, il n’est pas un ingénieur de formation mais un
manager, titulaire d’un Bachelor en Business Administration
de l’Université d’East Asia (Hong Kong), et d’un MBA de la
27. Rasheeda Bhagat, « Cognizant rising by Chennai beach », The Hindu Business Line, Mars
2006 (en ligne).
28. « An interview with Lakshmi Narayanan », Management Paradise.com, 11 mars 2007.
29.Raghuvir Srinivasan, « Chat with Lakhmi Narayanan », Strongbeer Blogspot, 16 mars 2009
(en ligne).
30.L’Inde ne reconnaissant pas la double citoyenneté, le statut de PIO donne aux
détenteurs de ce titre tous les droits reconnus à un citoyen indien, excepté celui
d’exercer le droit de vote.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
55
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
Carnegie Mellon University aux États-Unis. « Quand j’étais
jeune, j’ai appris tout seul la programmation, le system design,
et tous ces trucs. J’ai toujours été passionné par ça ; et je savais
que je finirais dans une société de technologie31 » dit-il.
Scolarisé dans les écoles locales des pays où il a vécu, parlant
couramment portugais, marié à une Brésilienne, il se sent à
sa place dans une entreprise cosmopolite comme Cognizant.
« Cela vient de mon éducation. Lorsque vous voyagez vous
apprenez, implicitement, et je me considère comme incroyablement privilégié d’avoir eu cette opportunité. Cognizant est un
lieu multiculturel où des gens du monde entier travaillent ensemble, se reconnaissent mutuellement pour ce qu’ils sont, et
se considèrent comme des individus32 ».
31. F rancisco D’Souza, « Giving back to Society is what you are about », entretien avec Sriram
et KS Vasanth, Business. Outlook India (online, 2007).
32. Ibid.
Le troisième groupe compte 35 entreprises dont les
revenus sont inférieurs de 13 % au revenu moyen de
l’ensemble des entreprises. Ces entreprises sont enga-
gées en moyenne dans 3,1 activités. Elles ont toutes
un niveau de certification élevé, la plupart détenant
le certificat de rang supérieur.
–
ENCADRÉ 16 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : HINDUSTAN COMPUTER LIMITED
–
Dès l’essor du secteur informatique, au milieu des années
1970, la concurrence est rude entre les entrepreneurs qui
peinent à constituer des équipes d’ingénieurs et de managers
qualifiés pour se placer sur ce marché innovant.
Hindustan Computer Limited a été créée en 1976 par Shiv
Nadar et six ingénieurs venus de DCM Data Products, la division informatique de la société Delhi Cloth Mill (DCM). Shiv
Nadar est né en 1945 dans un village du district de Tuticorin,
au sud-est de l’état du Tamil Nadu, le cinquième d’une famille
de huit enfants. La caste des Nadar dont il est issu a connu
une forte ascension économique et sociale depuis le 19e
siècle, et c’est aujourd’hui une communauté de marchands
prospères. Mais Shiv Nadar est issu de la petite classe
moyenne de fonctionnaires éduqués : son père était juge de
district, et un oncle maternel était un grand patron de la
presse tamoule. Au début des années 1960, après une scolarisation dans une école de langue tamoule, Shiv Nadar fait
ses classes de première et de terminale scientifique à l’Université américaine de Madurai, puis des études d’ingénieur au
PSG College of Engineering de Coimbatore où il obtient un
BEng en électricité et électronique en 1968. Jusqu’à l’âge de
22 ans, l’horizon social et intellectuel de Shiv Nadar est celui
des petites villes industrielles du sud de l’état du Tamil Nadu
où il réside au gré des changements de postes de son père.
En 1968, il vient travailler à Delhi au sein de DCM Data
Products où il côtoie des ingénieurs qui ont fait le succès de
grandes entreprises du secteur des TIC dans les années sui-
56
vantes, comme Ashok Soota recruté par Wipro, ou Rajendar
Pawar avec lequel Shiv Nadar a fondé l’entreprise d’éducation
en informatique, National Institute of Information Technology
(NIIT). En 1975, DCM Data Products met sur le marché le
premier micro-ordinateur indien. Mais un an plus tard, Shiv
Nadar quitte DCM Data products avec six de ses collègues
pour fonder Microcomp Limited, renommé Hindustan Computer Limited. Le coup fut rudement ressenti par DCM dont les
dirigeants, qui tentaient une reconversion industrielle, avaient
investi dans la formation de ces ingénieurs. Vinay Bharat
Ram, alors à la tête du groupe, le reconnaît : « Shiv Nadar qui
travaillait pour DCM depuis huit ans et avait bénéficié de
notre programme de formation au management, nous quitta.
C’était une assez mauvaise nouvelle car il était le plus brillant
de nos ingénieurs. Mais le pire est qu’il emporta avec lui les
plus créatifs des hauts cadres techniques et des managers. Ce
fut un coup dur.33»
En effet, Shiv Nadar et ses collègues entendaient bien se positionner sur le même segment de marché que DCM Data Products, celui de la fabrication et de la distribution des premiers
calculateurs électroniques et des micro-ordinateurs. Le contexte
va leur être favorable. En 1977, le gouvernement de centre
gauche du Janata décide d’expulser d’Inde les multinationales
33. Vinay Bharat Ram, From the Brink of Bankruptcy. The DCM Story, Pengin, Viking, New
Delhi, 2011, p. 81. La société Delhi Cloth Mill (DCM) fut la première entreprise indienne de
textile créée à Delhi en 1889.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
américaines dont IBM (Encadré 2). Ce départ libère une maind’œuvre d’ingénieurs hautement qualifiés en même temps qu’il
ouvre le marché aux entreprises indiennes de hardware.
Dans les années 1980, les premières tentatives pour s’implanter seul à l’étranger rencontrent quelques succès (Singapore)
et des échecs (États-Unis). Shiv Nadar change alors de stratégie et engage HCL dans des partenariats, d’abord avec
Hewlett-Packard, puis avec Nokia et, enfin, avec l’entreprise
japonaise d’informatique NEC.
Au milieu des années 1980, la nouvelle politique en matière
d’informatique annoncée par le gouvernement favorise le
développement de l’entreprise. HCL lance son ordinateur
Busybee sous système UNIX, qui équipe alors les banques
indiennes. En 1999, l’entrée en bourse de HCL au National
Stock Exchange a été un succès pour l’entreprise que Shiv
Nadar venait de restructurer en cinq entités. Les deux plus
importantes sont Hindustan Computer Limited Technologies
dont les activités sont centrées sur les services software, et
Hindustan Computer Limited Infosystem qui est le leader du
secteur hardware. Dans les années 2000 le groupe s’est développé par le biais d’acquisitions notamment dans le secteur
des centres d’appels (Apollo Business Technologies, Deutsche
Software Limited). Mais HCL est aussi présent sur des secteurs
Le quatrième groupe, composé de 90 entreprises, est
le plus important en nombre. Ces sociétés se distinguent par des activités largement orientées vers le
marché domestique, 10 % à 15 % seulement de leurs
services s’adressant aux pays européens ou aux ÉtatsUnis. Tous les paramètres les distinguent négativement des grandes entreprises qui dominent le marché
des TIC. Les entreprises de ce groupe sont en moyenne
plus récentes, elles ont des revenus inférieurs à la
moyenne, elles sont moins souvent certifiées, comme
si les références de qualité n’avaient pas la même
importance pour les clients indiens, et un quart seulement sont membres de la Nasscom. Ces entreprises
sont également moins polyvalentes, avec à leur actif
seulement 2,3 activités, et peu d’entre elles sont engagées dans les services softwares, occupant plutôt
le secteur de la distribution et de la vente.
Le cinquième groupe rassemble 53 entreprises et se
place en seconde position par sa taille. Il partage
avec le groupe précédent les revenus les plus bas du
secteur, c’est-à-dire de 30 % inférieur à la moyenne.
Même si elles sont moins bien dotées en certifications
innovants comme celui des biotechnologies.
Depuis une quinzaine d’années enfin, via la fondation privée
qu’il a mise en place, Shiv Nadar est entré sur le marché de
l’éducation. Dès 1981, il est l’un des fondateurs de l’entreprise
NIIT (voir infra § 6.7), pionnière dans le secteur de l’éducation
informatique parascolaire. En 1996, Shiv Nadar a créé le
SSN34 College of Engineering, à Chennai, qui est affilié à l’Université technologique du Tamil Nadu. A cette école d’ingénieurs, qui a une très bonne réputation, s’adjoint la SSN
School of Management and Computer Applications et la SSN
School of Advanced Software Engineering. Et depuis 2012, cet
entrepreneur a ouvert dans la banlieue de Delhi la Shiv Nadar
University, prenant pour modèle des grandes universités privées américaines. Cet investissement dans l’enseignement
supérieur se double de la mise en place d’un réseau d’écoles
primaires qui devraient être au nombre d’une vingtaine en
2020. Enfin, deux écoles expérimentales, Vidya Gyan schools,
dont l’une établie à Vanarasi (Bénarès), accueillent des enfants démunis issu du milieu rural, repérés pour leurs capacités intellectuelles.
34. Le collège est nommé ainsi en hommage à son père Sri Sivasubramniya Nadar (SSN).
diverses, ces entreprises exportent largement vers
l’Europe (80 % d’entre elles) et vers les États-Unis
(90 %). Plus de 80 % sont également membres de la
Nasscom, un trait à mettre en relation avec leur position sur le marché international. On trouve dans ce
groupe la société française Stéria, mais cette société
fait exception par son investissement dans les certifications, notamment en matière d’environnement.
Le sixième et dernier groupe rassemble six entreprises
qui ont 8 900 crores de revenus moyens et se placent
ainsi au second rang (notamment Wipro, Infosys,
Patni Computer System, et Larsen & Toubro Infotech).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
57
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
–
ENCADRÉ 17 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : MINDTREE
–
Subroto Bagchi est le fondateur de la société MindTree qui
emploie 9 500 employés et se classe au 42e rang, en 20102011 selon le palmarès du magazine Dataquest. Bagchi n’est
ni un héritier, ni un ingénieur de formation, ni même un diplômé en management, mais il a passé l’essentiel de sa vie
professionnelle dans le secteur des TIC où il a occupé des
postes à hautes responsabilités. Son parcours accompagne les
différentes phases technologiques que ce secteur d’activité a
connues depuis trente ans, et il illustre les opportunités de
carrières qui se sont alors ouvertes, même aux non-spécialistes.
Subroto Bagchi est né en 1957 dans une petite ville de l’état
de l’Orissa. Il est le troisième enfant d’une fratrie de cinq
garçons dans une modeste famille de brahmanes d’origine
bengalie. Il a grandi à l’écart de la culture urbaine, dans diverses bourgades où son père, petit fonctionnaire, était transféré régulièrement. La famille de Bagchi est riche d’hommes
versés dans les études : un grand-père médecin, l’autre juriste,
et un oncle professeur à l’université de Calcutta. Doté d’une
bonne maîtrise de l’anglais, grâce à son père, Bagchi a fait
des études de sciences politiques à l’université de Bhubaneswar, la capitale de l’Orissa (Bagchi 2008).
Devant gagner sa vie à l’âge de 21 ans, il entre en 1976
comme simple employé au département de l’industrie de l’état
de l’Orissa, terminant un master en sciences politiques par
cours du soir. Abandonnant l’idée de devenir haut fonctionnaire ou militaire, comme ses deux frères aînés, il est recruté
un an plus tard comme jeune manager dans l’entreprise Delhi
Coton Mill (DCM), conglomérat aux activités variées allant du
textile à la fabrique de réfrigérateurs et d’ordinateurs. Il débute
alors dans l’industrie privée avec un salaire trois fois supérieur
à celui qu’il touchait comme fonctionnaire. En 1984, après
cinq ans d’expérience dans une entreprise fondée au xixe siècle
et qui peine à se reconvertir, il trouve un emploi de vendeur de
matériel informatique dans une nouvelle entreprise qui a déjà
un pied dans le xxie siècle, Hindustan Computer Limited, fondée par Shiv Nadar, ingénieur ayant travaillé pour DCM mais
dans la branche informatique (encadré 16).
Au début des années 1980, les activités de service des TIC
sont quasiment inexistantes. Excepté Tata Consultancy Services, « les entreprises comme HCL ou Wipro ne faisaient du
service informatique que pour encaisser des dollars qui leur
permettaient d’acheter des composants électroniques pour
assembler des ordinateurs et les vendre en Inde. Le service
software, à cette époque, n’était pas leur vocation35» écrit
58
Bagchi. Mais dans ce nouveau secteur d’activités, les opportunités permettent alors de progresser sans trop se soucier du
lendemain.
Très vite opposé à la politique commerciale agressive d’HCL,
Bagchi rejoint PSI Systems, à Bangalore, qu’il quitte tout aussi
rapidement pour se faire embaucher par le constructeur automobile Mahindra dont la branche informatique, Mahindra &
Mahindra Computers (MMC) Digital Systems, ferme ses
portes moins d’un an plus tard. En l’espace d’un an, Bagchi a
au moins appris les techniques de la vente et du marketing
et il s’est fait des relations dans ce nouveau milieu.
Le secteur des services informatiques favorise l’émergence
d’un marché de la formation qui s’adresse notamment à la
clientèle privée et dont la plus éclatante réussite est le National Institute of Information Technologie, NIIT. Avec un groupe
d’anciens employés de PSI Systems, de MMC Digital Systems
et des diplômés de l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad, dans l’état du Gujerat, Bagchi fonde la société Project.21 qui vise le marché de la formation en entreprise. Malgré quelques contrats passés avec le secteur public et avec
Wipro, la société pâtit d’un sous-financement chronique et de
l’absence d’un plan de développement à long terme.
En 1988, Bagchi quitte Project.21 et se fait embaucher
comme manager par Wipro, société au sein de laquelle il
évolue pendant dix ans au gré du développement de l’entreprise. Le profil type d’un manager vente, chez Wipro, est alors
un ingénieur titulaire d’un diplôme en management, ce que
Bagchi n’est pas. Néanmoins, il est chargé de réorganiser le
secteur commercial, de gérer les relations avec les clients, de
faire également de la formation technique aux vendeurs, et
même de superviser le suivi des paiements.
En 1991, Bagchi rejoint la nouvelle unité constituée par Wipro
et la General Electric Medical Systems (devenue GE Health
Care), et il est envoyé aux États-Unis, dans la Silicon Valley.
En deux ans (1991-1993), il monte le bureau de R&D de Wipro, en collaboration avec le groupe Intel. Confronté aux difficultés des relations interculturelles entre la centaine d’ingénieurs indiens de ce bureau et leurs homologues américains,
Bagchi innove et sollicite l’intervention de LuEllen Schafer,
devenue l’une des spécialistes de la formation à l’interculturel.
35. Subroto Bagchi, Go and Kiss the World. Life lessons for the Young Professional, New Delhi,
Penguin, 2008, p. 105.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
De retour en Inde en 1993, un constructeur aéronautique lui
propose un poste avec un salaire neuf fois supérieur à celui
qu’il gagne chez Wipro. Il renonce à cette opportunité et devient directeur général de la division R&D de Wipro, travaillant en étroite collaboration avec l’un des ingénieurs qui a
contribué à la réputation du groupe, Sridhar Mitta, directeur
du secteur technologique (encadré 18). En 1996, Azim Premji
lui demande de prendre en charge la vice-présidence du
groupe Qualité-Management. Bagchi introduit alors les techniques de management dites Sigma, importées de Motorola.
Nommé à l’âge de quarante ans vice-président de la division
technologique internationale, Bagchi cumule alors les postes
les plus élevés au sein de Wipro. Cependant, après dix ans
d’expérience dans cette entreprise, il paraît ne plus rien y
découvrir de nouveau. Il répond alors aux sollicitations de la
société Bell Labs pour laquelle il doit monter un laboratoire
de recherches, Bell Lab Development Center, à Bangalore.
Mais en l’espace d’une semaine, il réalise son erreur : les
tâches qu’on lui confie ne sont pas à la hauteur du poste
qu’on lui a proposé et il doit affronter les enjeux politiques de
la multinationale Lucent Technologies qui a racheté Bell Labs.
Se comparant au « brahmane cupide dévoré par le tigre » de
la fable du Panchatantra, il se retire de Bell Labs, mais avec
un nouveau projet en tête.
Restant au cœur du secteur des TIC, Bagchi entend créer « une
société centrée sur des valeurs, en prise avec les problèmes de
société, et fondée sur le principe du partage de la richesse
créée. ». Bagchi réunit une équipe de dix personnes, et en
1999 ce groupe fonde MindTree dont le nom est inspiré d’un
terme sanskrit : manosvriksha36 (l’arbre de l’esprit). L’entreprise
définit cinq valeurs cardinales : le soin, l’apprentissage, le
développement, le partage, et la responsabilité sociale. Et elle
met en place un partenariat philanthropique avec la Spastic
Society de l’état du Karnataka qui prend en charge les enfants
atteints de paralysie cérébrale. Le logo de MindTree a été
dessiné par un de ces enfants.
36. Manovriksha, [du sanscrit, manas : mind ; virksha : tree] dans les Upanishads, est l’éternel
pourvoyeur de solutions intellectuelles, ibid. p. 186.
–
ENCADRÉ 18 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : WIPRO
–
Azim Premji est né en 1945 dans une riche famille marchande de la communauté musulmane des Khodja de Mumbai. En 1966, il fait des études d’ingénieur en électricité à
l’université de Stanford, aux États-Unis, lorsque son père
meurt brusquement. Premji doit alors rentrer en Inde pour
reprendre la direction de l’entreprise familiale spécialisée
dans les huiles végétales, Western India Palm Refined Oils
(WIPRO) ; il est tout juste âgé de 21 ans.
Azim Premji étend d’abord les activités de l’entreprise familiale aux produits alimentaires, à la cosmétique et aux produits de toilette. Mais surtout, il entre très tôt dans le secteur
des TIC et fonde en 1975 une division informatique dont le
siège est à Bangalore. Quarante ans plus tard, WIPRO est
devenu la troisième SSII indienne et beaucoup ignorent que
le groupe a encore des activités dans son secteur économique
d’origine des huiles. Wipro doit son expertise dans les TIC à
deux ingénieurs qu’Azim Premji a recrutés très tôt, Sridhar
Mitta et Ashok Soota.
Sridhar Mitta, originaire de Chittoor, petite ville située dans
l’intérieur de l’Andhra Pradesh, est issu d’une famille de petits
industriels de la pharmacie, un domaine qu’il a délaissé pour
faire des études d’ingénieurs. Il passe d’abord un BEng en
électronique dans un collège de Kakinada (une ville portuaire
sur la côte du golfe du Bengale), puis achève un master au
IIT-Kharagpur, en 1968, à une époque où les circuits intégrés
attirent la curiosité des étudiants en électronique. En 1969,
il part aux États-Unis et rejoint l’université d’état de l’Oklaoma
où il fait d’abord un MSc puis un doctorat (1972) : « Faire un
PhD n’était pas une mince affaire, pour quelqu’un qui venait
d’une famille de la classe moyenne.37 »
37. Priya Padmanabhan, « Such a long journey … », entretien avec Sriddhar Mitta, CIOL, 24
Avril 2007 (en ligne.]
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
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–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
De retour en Inde en 1973, Mitta entre dans le secteur recherche de l’entreprise publique Electronics Corporation of India, à Hyderabad, où, en sept ans, il devient manager technique. Parallèlement, il importe des composants électroniques
et monte l’un des premiers ordinateurs à bas coût, le Micro-78,
dénommé de l’année de sa mise sur le marché. Alors que les
microprocesseurs 16 bits révolutionnent la production des ordinateurs, il est déçu de constater que les dirigeants du secteur
public ne comprennent pas les enjeux de ces changements.
En 1983, Mitta rejoint l’entreprise Wipro, à Bangalore, qui
développe un projet de recherche sur les microprocesseurs 16
bits en collaboration avec une équipe de l’Indian Institute of
Sciences. Au début des années 1990, lorsque l’Internet apparaît, Mitta perçoit l’intérêt de cette innovation et anticipe les
potentialités qu’elle contient pour le travail en outsourcing. Il
répond aux demandes de laboratoires américains en Californie, engage des coopérations avec Intel, entourés d’une
équipe de collaborateurs parmi lesquels on trouve Subroto
Bagchi. En 1998, Wipro ouvre une entité aux États-Unis pour
travailler dans le secteur des semi-conducteurs, une initiative
à laquelle Sridhar Mitta participe encore. Mais en 2001, il
quitte Wipro pour se consacrer à sa propre entreprise, e-4-e
Labs, une abréviation pour « Entrepreneur for Entrepreneurs »,
qui compte plus de 2 100 employés et se positionne sur le
secteur du BPO et des services connexes aux TIC.
Ashok Soota est né en 1942 au sud-ouest du Punjab (aujourd’hui au Pakistan) dans une famille de six enfants et dont
le père était médecin militaire. À la partition de l’Inde et du
Pakistan, en 1948, les Soota qui sont hindous quittent leur
région natale et s’installent à Lucknow (capitale de l’Uttar
Pradesh). Après des études secondaires au prestigieux collège
La Martinière de cette ville, Ashok Soota entre à l’école d’ingé-
nieur de Roorkee en Inde du nord (Encadré 8) où, en 1964, il
obtient un BEng en électricité après avoir renoncé à des
études en génie civil. Il est alors employé à Kolkata dans la
société pétrolière Burmah Shell, puis en 1965, il entre dans le
conglomérat Delhi Coton Mill alors réputé pour ses méthodes
de management. Il y fait la connaissance de Subroto Bagchi,
et travaille pendant dix-neuf ans dans divers secteurs de ce
groupe ; entre temps, il obtient un MBA de l’Asian Institute
of Management de Manille aux Philippines et, en 1978, il est
élu directeur général de l’unité qui fabrique des réfrigérateurs.
Mais il se lasse de son travail chez DMC et songe à reprendre
ses études pour faire un doctorat lorsqu’il est approché par
Azim Premji.
Ashok Soota entre chez WIPRO en 1984, un an après Sridhar
Mitta, lorsque les revenus de la division informatique sont de
l’ordre de 2 millions de dollars seulement (7 crores de roupies). En l’espace de quinze ans Wipro est devenu un des
leaders de la production de hardware en même temps que
l’entreprise développe le secteur du software. Ashok Soota a
été très actif dans le secteur recherche et développement de
Wipro. La société fut pionnière sur le marché des mini-ordinateurs en utilisant le processeur Intel 386. En 1999, les revenus
du secteur informatique avoisinent les 500 millions de dollars
(2 220 crores). C’est au terme de cette croissance, dont il fut
l’un des artisans, avec Sriddhar Mitta notamment, qu’Ashok
Soota quittait Wipro pour rejoindre l’équipe rassemblée par
Subroto Bagchi autour de la société MindTree.
Dix ans plus tard, en 2011, Askhok Soota s’est séparé de
MindTree. Il a débauché dans son sillage six autres cadres de
cette société, et en compagnie de trois dirigeants de Wipro et
un de Infosys, il a créé sa propre société de services informatiques, Happiest Minds.
Quatre de ces entreprises font du ITES et exportent
plus que les autres vers les États-Unis, l’Europe
mais aussi l’Asie. Les six entreprises sont plus anciennes de sept années que la moyenne, et elles
sont toutes dotées de certifications internationales, notamment le Capability Maturity Model
Integration (CCMI) du Carnegie Mellon Institute, et
60
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
le People Capability Maturity Model (PCMM). Et
surtout, elles sont toutes membres de la Nasscom,
à la différence des entreprises des groupes un et
deux. Par leurs revenus et le nombre de leurs employés, ces six sociétés de services sont économiquement et politiquement les entreprises les plus
puissantes du secteur des TIC.
–
ENCADRÉ 19 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : INFOSYS
–
Infosys a été créée en 1981 par sept ingénieurs qui travaillaient alors pour la société Patni Computer Systems (PCS) à
Mumbai, six d’entre eux étant originaires du sud de l’Inde,
dont cinq brahmanes, et un originaire du Punjab. Infosys est
entrée à la bourse de Mumbai en 1992 et à celle de New York
en 1999. Parmi les membres du groupe fondateur, Nandan
Nilekani et surtout N. R. Narayana Murty, ancien président de
Infosys (1981-2012), incarnent la réussite de cette SSII devenue, avec 130 000 employés (2011), la seconde multinationale indienne des TIC après Tata Consultancy Services.
N. R. Narayana Murthy est né en 1946 à Mysore (Karnataka)
dans une famille de brahmanes Madhava (vishnouïte) appartenant à la petite classe moyenne urbaine. Il est le cinquième
d’une fratrie de huit enfants. Son père était maître d’école, et
un de ses oncles, haut fonctionnaire (membre du prestigieux
Indian Administrative Service). Admis en 1962 au concours
d’entrée des Indian Institutes of Technology, il doit renoncer
à intégrer un de ces instituts car ses parents n’ont pas les
moyens de payer les frais de scolarité pourtant largement
subventionné par l’État fédéral. Il entre alors au National
Institute of Engineering de Mysore, une très bonne école publique d’ingénieurs affiliée à l’Université technologique
Visvesvaraya du Karnataka dont il obtient le grade de BEng
en électricité en 1967. Deux ans plus tard, en 1969, il termine
un MTech en « control theory » au IIT-Kanpur (Uttar Pradesh).
Il est alors recruté comme chef programmeur de système à
l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad, au Gujarat,
où il travaille sur l’une des premières machines IBM introduites en Inde (1969-1971). Il séjourne ensuite deux ans en
France (1972-1974), à Paris, pour le compte d’une société
indienne chargée de mettre en place un projet de gestion du
fret en temps réel à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Cette
période, sur laquelle Naryana Murthy s’est souvent expliqué
dans ses conférences (N. R. Narayana Murthy, 2009), marque
l’abandon de ses sympathies envers les idées communistes et
une conversion aux lois de l’économie de marché.
De retour en Inde au milieu des années 1970, Narayana Mur-
thy fonde une première société, Softronics, spécialisée dans
des logiciels pour le marché indien, mais c’est un échec, faute
de clients. Il reprend un emploi salarié comme chef de projet
au Systems Research Institute de Pune (1975-1977), fondé par
l’ancien directeur de IIM-Ahmedabad, puis il entre chez Patni
Computer Systems, à Mumbai, comme responsable du groupe
informatique (1977-1981).
Nandan Nilekani est né en 1955 à Bangalore dans une famille de Chitrapur Saraswat brahmanes (shivaïtes) qui sont
originaires de la région côtière de l’ouest du Karnataka. Il est
le cadet d’une fratrie de deux garçons dont le père était directeur général des Mysore and Minerva Mills, deux usines textiles d’une entreprise privée établie à Bangalore. Après un
début de scolarité dans la capitale du Karnataka, il termine
ses études secondaires dans la petite ville de Dharward (au
nord-ouest de l’état), passe avec succès le concours d’entrée
des Indian Institutes of Technology, et intègre celui de Mumbai où il obtient son BTech en électricité en 1978. Il entre alors
chez Patni Computer Systems après avoir été auditionné par
l’un des membres de l’équipe de recrutement, Narayana
Murty. Deux ans plus tard, ce dernier quittait cette société en
entraînant avec lui six de ces ingénieurs.
Selon les propos tenus ultérieurement par Nandan Nilekani,
ce départ résultait d’un conflit entre les pratiques marchandes
parfois brutales des frères Patni, riches commerçants marwari
originaires du Gujarat, et les valeurs de brahmanes de la petite bourgeoisie urbaine dont Narayana Murthy et cinq des
autres membres du groupe sont issus. Vir Sanghi, éditeur général du quotidien Hindustan Times rapporte : « les fondateurs
d’Infosys voulaient que cette société soit l’antithèse d’une entreprise commerçante (bania) marwari traditionnelle. Les employés devaient être respectés, on ne devait pas accepter de
dessous de table, personne ne devait se servir dans les caisses
de la société, et les décisions devraient être prises par un collectif de professionnels, non par le chef de famille et ses fils ».
Infosys, résume Nilekani, c’était la révolte des brahmanes du
Sud contre les banias du nord. l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
61
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
–5 .4 LA FAILLITE FRAUDULEUSE DE LA QUATRIÈME SSII
DE L’INDE : SATYAM–
38. « Chat with Laskhmi Narayanan,
Vice-Chairman, Cognizant »,
Strongbeer Blogspot, 16 mars
2006 (en ligne).
Si la présentation des entreprises et des entrepreneurs
indiens du secteur des TIC s’apparente souvent aux récits de success stories, il faut mentionner ce qui est à ce
jour le plus gros scandale d’un secteur économique qui
passe pour être épargné de la corruption qui sévit dans
le secteur public : la faillite de la société Satyam Computer Services en 2009. Nombre d’entrepreneurs ont
été étonnés d’apprendre les fraudes de Ramalinga Raju,
comme en témoigne Lakshmi Narayanan, directeur
général de Cognizant, entreprise qui se développa à ses
débuts en partenariat avec Satyam Computer Services :
« Si quelqu’un me demandait, en me fondant sur mes
rencontres avec Raju, si je le pensais capable de faire ce
qu’il a fait, ma réponse serait ‘non’.38 »
Mais il est difficile de faire la part entre ce qui ressort
de la volonté de ne pas ternir la réputation du secteur
des TIC et ce qui relève de l’ignorance de bonne foi.
En effet, on retrouve actuellement d’anciens hauts
dirigeants de Satyam dans les entreprises associées
ou concurrentes. C’est le cas de Srini Raju, originaire
de la même caste, du même milieu social et de la
même région que le fondateur de Satyam, Ramalinga
Raju. Srini Raju est titulaire d’un BEng en ingénierie
civile du NIT-Kuruskshetra (Haryana) et d’un MSc en
environnement de l’université de l’état de l’Utah, aux
États-Unis où il a travaillé plusieurs années. Puis il
rejoint Ramalinga Raju et sa société Satyam Computer Services à Hyderabad. Il est le premier CEO à la
tête du partenariat entre Dun & Bradstreet et Satyam
(futur Cognizant), et il devient le Chief Operating
Officer de la nouvelle entité Mahindra-Satyam lorsque
cette dernière entreprise est sauvée de la liquidation
par le groupe industriel de l’automobile, Mahindra.
C’est encore le cas de Keshab Panda, aujourd’hui directeur de Larsen & Toubro Technology Services,
l’entité de services informatiques d’un des grands
groupes industriels indiens. Keshab Panda est un ingénieur de formation : il est titulaire d’un BEng de
l’université technologique du Tamil Nadu, d’un master de l’Indian Institute of Sciences de Bangalore, et
d’un doctorat mené au IIT-Bombay, avant d’avoir
complété cette formation par un Advanced Management Degree de la Wharton Business School aux
États-Unis. Keshab Panda, qui passe pour avoir été
proche de Ramalinga Raju, fut un haut dirigeant de
la nouvelle entité Mahindra Satyam où il était responsable du marché nord-américain, s’employant à
conserver les anciens clients de Satyam. Il rejoint
ensuite la société Larsen and Toubro qui détenait
alors 12 % de Mahindra Satyam. l
–
ENCADRÉ 20 : PORTRAITS D’ENTREPRISES ET D’ENTREPRENEURS : SATYAM
–
Le 7 janvier 2009, le secteur des TIC apprenait la faillite de
la société Satyam Computer Services basée à Hyderabad, la
capitale de l’état de l’Andhra Pradesh. Directeur de l’entreprise qu’il avait fondée en 1987, Ramalinga Raju venait de
rendre publique une lettre de cinq pages dans laquelle il
confessait fraudes, malversations et faux en écritures concernant l’entreprise dont il ne détenait plus que 2 % des parts.
Satyam Computer Services était supposée être alors la quatrième SSII indienne en termes de chiffres d’affaires, après
TCS, Infosys et Wipro. Deux ans auparavant, en 2006-2007,
Ramalinga Raju avait été élu président de la puissante Nasscom (encadré 5), et couvert d’honneurs par ses pairs qui lui
décernèrent le prix de la meilleur gouvernance d’entreprise et
le prix de l’entreprise citoyenne pour l’année 2007.
62
Depuis une dizaine d’années, cependant, Ramalinga Raju
avait asséché les caisses de Satyam pour financer deux
autres entreprises plus rentables, l’une spécialisée dans la
construction et les infrastructures lourdes, Maytas Infra, dirigée par son fils aîné, et l’autre qui opérait dans le secteur
immobilier, Maytas Properties (Maytas est l’écriture inversée
de Satyam). En outre, pour détourner la législation plafonnant la propriété foncière et couvrir ses activités spéculatives, Ramalinga Raju avait créé 325 sociétés, toutes enregistrées aux noms des membres de sa famille élargie.
L’investissement dans l’ingénierie informatique n’avait été
qu’une opportunité d’encaisser de substantiels bénéfices
pour un clan dont la spéculation foncière restait le ressort
principal de l’activité (Kingshuk Nag 2009).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Les Raju sont une caste de paysans implantés dans les riches
districts de l’Andhra Pradesh côtier dont est originaire la famille de Ramalinga Raju. Dans ces milieux, la terre reste le seul
capital digne d’être accumulé pour obtenir de la reconnaissance sociale et du prestige aux yeux du groupe. Né en 1954
dans le district de l’Ouest Godavari, Raju a fait des études
secondaires sans éclat dans divers collèges ordinaires des petites villes de sa région natale, avant d’obtenir une licence (BA)
en économie. Le père, ambitieux mais sans éducation scolaire,
doté d’une petite fortune foncière investie dans les sevices
hôteliers, a toutefois jugé opportun d’envoyer son fils aux
États-Unis où ce dernier obtint un MBA à l’Université d’Ohio
en 1977. Marié dès son retour en Inde, Raju est contraint
d’entrer dans les affaires familiales. Il monte d’abord une usine
de textile synthétique, sans grand succès. Son cousin, DVS
Raju, titulaire d’un BEng en électronique également de l’université d’Ohio, lui propose alors d’investir dans les services
informatiques qui s’annoncent comme un secteur lucratif. En
1987, Satyam Computers Services débute ses opérations à
Hyderabad avec une vingtaine d’employés. La même année,
le père vend un de ses hôtels et fonde la société Satyam
Constructions dont la direction échoit au frère cadet de Ramalinga, Rama Raju, titulaire d’un MBA de l’université du Texas.
Trois facteurs expliquent le développement de Satyam39 Computers. Il s’agit, d’abord, du soutien politique dont Raju a su
s’entourer en courtisant les partis politiques au pouvoir à
Hyderabad, quelles que soient leurs étiquettes partisanes,
ensuite, de la prolifération de centaines de petites écoles
d’ingénieurs qui lui ont fourni une main-d’œuvre abondante
et bon marché et, enfin, d’une politique de bas coûts lui permettant d’emporter les appels d’offres sur ses concurrents.
Satyam recrutait préférentiellement les jeunes diplômés de la
communauté des Raju, en étant moins exigeant que d’autres
entreprises sur le niveau scolaire requis. L’entreprise était réputée pour ses conditions de travail laxistes et une surabondance de personnel dont le nombre était estimé entre 45 000
et 55 000 personnes, sans être connu exactement. Nombre
d’employés et de cadres n’étaient pas inscrits sur les registres
de la société.
La récession de 2008, conjuguée à la course aux projets dont
la taille n’était pas à la hauteur des capacités financières et
technologiques des entreprises que gérait Raju, a entraîné sa
perte. Celui-ci avait emporté en 2008, pour des raisons politiques, le marché de la construction très controversée du
métro urbain d’Hyderabad sans avoir les fonds disponibles
pour le seul dépôt de garanti. Une ultime tentative pour
fondre pertes et profits en fusionnant Satyam Computers avec
Maytas Infra et Maytas Properties s’est heurtée à la crédulité
des marchés qui ont suspecté une activité spéculative et ont
sanctionné les cours de Satyam.
La Nasscom, qui œuvre à construire l’image de compétence
des entreprises de services des TIC, comprit rapidement les
risques encourus par l’ensemble de ce secteur d’activités
dont le contrat de confiance était fortement écorné. Ses
dirigeants s’employèrent, avec l’aide de l’État, à sauver le
potentiel de Satyam. La société a été reprise par le groupe
Mahindra, et le nom de Satyam, un temps maintenu accolé
à Mahindra, a maintenant disparu de la liste des sociétés
de services informatiques indiennes afin d’en faire oublier
le plus gros scandale.
39. Il est ironique de savoir que satyam, en sanscrit, signifie vérité, confiance.
–5 .5 LE MARCHÉ PARASCOLAIRE DES TIC :
L’EXEMPLE DU NATIONAL INSTITUTE OF INFORMATION
TECHNOLOGY–
L’essor du marché parascolaire en matière de formation aux technologies de l’information résulte du
décalage qui s’est manifesté dans les années 1980
entre, d’une part, la demande de main d’œuvre qualifiée des sociétés de services informatiques et, d’autre
part, l’inadéquation de l’offre produite par un système d’enseignement supérieur professionnel alors
notoirement sous-développé. C’est dans ce contexte
qu’il faut comprendre le succès d’une société comme
le National Institute of Information Technology (NIIT)
dont les fondateurs ont anticipé très tôt le potentiel
de ce marché de la formation parascolaire. Deux décennies plus tard, les dirigeants de NIIT sont effectivement parvenus à reconvertir leurs savoir-faire sur le
marché privé de l’enseignement supérieur, convertissant des certificats et des diplômes en grades universitaires.
Le National Institute of Information Technology,
anciennement Pace Education Private Limited, a été
créé en 1981 par trois ingénieurs diplômés du IITAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
63
–5–
40. Sumantra Ghoshal, Gita Piramal,
Sudeep Budhiraja, World Class in
India. A Case book of Companies
Transformation, Penguin, New
Delhi, 2001; voir « NIIT Limited.
New Opportunity in a Globalizing
Economy », p.262-292; et NIIT,
Annual Reports, 2005-2006 to
2011-2012.
64
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
Delhi, Rajendra Pawar, Vijay Thadani et Parappil
Rajendran. Leur projet fut soutenu financièrement
par Shiv Nadar, fondateur de la société Hindustan
Computer Limited. C’est une société de services offrant une gamme très étendue de programmes
d’éducation aux TIC. En 1982, elle a ouvert ses premiers centres à Mumbai et à Delhi, puis à Chennai.
Elle est enregistrée comme société anonyme de droit
public en 1988 et deux ans plus tard, en 1990, elle
prend le nom de NIIT.
Cette société est d’abord un succès de marketing car
son sigle entretient une confusion voulue avec
d’autres acronymes plus connus qui désignent, en
Inde, les grandes écoles publiques d’ingénieurs
comme les IIT, les IIIT et les NIT. Cette confusion est
encore accrue depuis que cette société a ouvert en
2009 une université privée sous le même label, la
NIIT-University, près de Delhi, un projet qui était en
germe depuis le début des années 1990.
Ses promoteurs ont très vite anticipé les potentialités économiques et commerciales que recelait le
marché des TIC et compris que l’insuffisance de
l’offre d’enseignement supérieur professionnel, au
début des années 1980, ne permettrait pas de répondre à la demande de ce secteur émergent,
comme Shiv Nadar pouvait en témoigner. Mais
l’incertitude résidait dans la nature des produits
qu’il fallait inventer. Les enfants des classes
moyennes qui accédaient à des études supérieures
professionnelles s’orientaient (et s’orientent encore)
vers les trois secteurs que sont l’ingénierie, la médecine et, après avoir obtenu une licence (Bachelor
Degree), la haute fonction publique (Indian Administrative Service). Mais il était difficile à ces jeunes
étudiants d’évaluer alors les bénéfices d’une formation très technique et de l’apprentissage de langages de programmation comme le Cobol ou le
Fortran. Les coûts d’accès à ces apprentissages dispensés par une entreprise privée paraissaient une
barrière supplémentaire. Le développement des TIC
dans les années 1980 et 1990 ont fait sauter ces
obstacles.
En l’espace de vingt ans, le NIIT est passé du statut
de start-up à celui d’une entreprise multinationale
qui affichait un revenu de 12 370 millions de roupies en 2000 et employait environ 2 000 personnes40. La crise économique qui affecta durement
le secteur des TIC, en 2001-2005, entraîna une
perte de deux tiers de ses revenus globaux, l’entreprise ne retrouvant qu’en 2012 son niveau de revenus atteint en 2000. Mais l’expansion du NIIT n’en
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
était pas stoppée pour autant, cette entreprise
comptant en 2012 près de 4 500 employés. Le succès commercial a été permis par la mise en franchise
de la marque, accompagnée d’un contrôle strict de
la nature et de la qualité des services délivrés, grâce
notamment à une politique de formation du personnel. En 2000 (dernier chiffre obtenu), NIIT couvrait
entre 38 % et 45 % des parts du marché national
de la formation parascolaire aux TIC. La société
comptait 1 979 centres de formation (dont 5 % hors
de l’Inde, en Indonésie et en Chine notamment),
87 % de ces centres étant sous franchise.
Les stratégies commerciales développées par le NITT
visent à capter la plus large fraction possible de la
population, ciblée selon trois groupes : d’abord les
étudiants qui n’ont pas pu intégrer une école d’ingénieurs, ensuite les employés et les cadres en activité
ne pouvant retourner à l’université, enfin la population scolaire dès l’âge d’entrée à l’école primaire.
Pour chacun de ces groupes, des programmes spécifiques ont été développés. Ainsi, depuis 1993, le
NITT propose des cursus calqués sur les trois cycles
de l’enseignement supérieur. Les étudiants, après la
classe de terminale, peuvent obtenir en quatre ans
un diplôme général dit le GNIIT, puis en deux années supplémentaires un diplôme dit « avancé »,
équivalent du master, le ANIIT, et enfin, pour les
plus ambitieux, un diplôme final qui se positionne
au niveau du doctorat, le FNIIT.
Ces cursus très demandés ne sont pas les seuls à être
offerts. On peut obtenir des qualifications sur un site
Internet, NIIT-NetVarsity, qui permet aux candidats
d’estimer eux-mêmes leurs performances et même de
prospecter pour un emploi dans une base d’offres de
postes accessible en ligne.
Pour les cadres en activité, le NIIT dispose de plusieurs types de formations, soit négociées individuellement à la carte dans des Automated Learning Center (ALC), soit dans des « paquets » préparés en
partenariat, comme ceux proposés par le Microsoft
Authorized Technical Education Center (ATEC), que
complètent encore des séries de séminaires (Foresight
Seminars) ou de conférences (Infotalks).
La population d’âge scolaire est également approchée de manière segmentée. Un programme spécifique s’adresse aux plus jeunes dès l’âge de cinq ans,
avec le support des parents. Ce programme appelé
LEDA (Learning through Exploration, Discovery and
Adventures) est dispensé dans des clubs ad hoc.
D’autres programmes visent les collégiens et les lycées des classes de première et de terminale, une
population captive où l’entreprise recrute des candidats au GNIIT.
Cette expertise pédagogique a conduit le NITT à signer des contrats de formations clés en mains avec
des universités, en Inde (Ambedkar Open University
du Gujarat, Université Rajiv Gandhi au Madhya Pradesh, SNDT University à Mumbai), et à l’étranger,
notamment en Indonésie (Malaysian Virtual University, Atma Jaya University à Djakarta).
L’expérience pédagogique et managériale ainsi accumulée a conduit cette entreprise à réaliser un vieux
projet que porte potentiellement le nom de la société : devenir un nouvel acteur à part entière, en
Inde, dans l’enseignement universitaire professionnel.
La création de la NIIT-University, en 2009, concrétise
cette ambition. Le NIIT peut ainsi reconvertir son capital de savoir-faire acquis durant deux décennies dans
le secteur de l’éducation aux TIC en titres scolaires à
valoir sur le marché universitaire.
Enfin, un atout supplémentaire de cette entreprise est
d’avoir, très tôt, diversifié ses activités pour être présente sur le marché du développement de logiciels.
Les nombreux partenariats passés avec les grandes
entreprises américaines comme Microsoft, Adobe, ou
Oracle, parfois en exclusivité pour le marché indien,
ont encore contribué à construire le renom du NIIT.
Sur le marché formel de l’éducation parascolaire, le
seul concurrent est la société Aptech qui représentait 30 % des parts de marché en 2000. Aptech
développe les mêmes stratégies que le NIIT mais
paraît se cantonner encore au marché de l’éducation parascolaire. Relevant du secteur économique
informel, il existe une multitude d’officines qui proposent toutes sortes de formations élémentaires aux
TIC, depuis l’apprentissage des logiciels, comme
Word ou Excel, ou plus spécialisés (SPSS), ainsi que
des formations de techniciens pour faire de la maintenance de matériels. l
–5.6 LES SSII FRANÇAISES EN INDE–
Les services économiques de l’ambassade de France
en Inde (Ubifrance) répertoriaient, en 2012, 750 filiales françaises implantées dans le pays (350 entreprises et 400 sous-filiales de ces sociétés) dont les
investissements étaient alors évalués à plus de 17
milliards de dollars, situant la France en troisième
position derrière les États-Unis (21 milliards) et le Japon (19 milliards). Ces investissements français sont
le résultat de plusieurs vagues successives d’implantations. Si Alstom et la BNP sont en Inde depuis la fin
du 19e siècle, la première grande vague d’implantation date des années 1980 et la seconde autour de
2000. Cependant, ce n’est que depuis 2005-2006
que les sociétés françaises ont créé en nombre leurs
filiales pour opérer en Inde. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est
l’un des plus gros employeurs français, en particulier
via la SSII Capgemini. Les banques figurent également en bon rang (BNP-Paribas par exemple emploie
14 000 personnes). Dans le secteur industriel, les
grands pourvoyeurs d’emplois sont Schneider Electric
(17 000 employés), Alcatel Lucent (12 000 employés)
et Alstom (9 000 employés). Au total, les entreprises
françaises emploieraient plus de 240 000 personnes
pour l’essentiel de nationalité indienne, le nombre
d’expatriés français étant marginal.
On compte au moins une soixantaine d’entreprises
françaises présentes dans le secteur des TIC, en incluant les télécommunications, l’électronique mais
aussi des sociétés d’armement, comme Sagem Défense et Safran (Encadré 21). Selon les rapports
publiés par Ubifrance, une quinzaine de ces entreprises emploieraient environ 70 000 personnes.
Mais ces données, déjà anciennes, ne sont qu’indicatives, car plusieurs entreprises opèrent via des
sociétés indiennes et elles n’ont pas toujours une
grande visibilité.
Près des trois quarts (71 %) de ces entreprises du
secteur des TIC sont concentrées dans trois villes :
Bangalore où sont installées 24 sociétés (39 %),
Delhi et sa région (Noida et Gurgaon) où l’on dénombre 19 entreprises (31 %), et enfin Mumbai qui
compte 7 sociétés (11 %) ; les 19 entreprises restantes sont localisées à Pune (Maharashtra), Ahmedabad (Gujerat), Cochin (Kérala), Chennai, Salem
(Tamil Nadu), et Kolkata (Ouest Bengale). Certaines
sociétés, notamment Capgemini ou Atos, ont des
centres dans plusieurs villes.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
65
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
–
ENCADRÉ 21. PRINCIPALES SOCIÉTÉS FRANÇAISES IMPLANTÉES
EN INDE DANS LE SECTEUR DE L’ÉLECTRONIQUE ET DES TECHNOLOGIES
DE L’INFORMATION (2010)
–
•3
D PLM Software - Geometric Software Solution C° Ltd (Pune) : électronique grand public, développement de logiciels
•4
L IT Services Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels Alcatel-Lucent (NCR, Gurgaon) :
télécommunications, services et ingénierie informatique, ingénierie (transversal)
•A
ltran Technologies India (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique
•A
pnacircle Infotech Pvt Ltd (NCR, Delhi) : Internet
•A
stellia (Mumbai) : télécommunications
•A
tos Origin India Pvt Ltd (Mumbai) : services et ingénierie informatique
•A
xa Business Services Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique,
•A
xa Technology Services Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique
•C
apgemini India (Mumbai, NCR Gurgaon) : développement de logiciels services et ingénierie
informatique
•C
elstream Technologies Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique
•D
assault Systèmes India Private Ltd (Gurgaon) : développement de logiciels
•D
elmia Solutions Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels
•D
ibcom Softech Services Pvt Ltd (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques
• E -Nova Technologies Pvt Ltd (Delhi) : Internet, développement de logiciels, services et ingénierie
informatique
• E difixio India Pvt Ltd (Kolkata) : Internet
• E lvia PCB India (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques, transport aérien
• E servglobal SAS (NCR, Delhi) : télécommunications
• E SI Software India Pvt Ltd (Bangalore) : développement de logiciels
• E utelstat (NCR, Delhi) : industrie spatiale, satellites
• F argo Telecom Pvt Ltd (Mumbai) : télécommunications
• F CI OEN Connectors Ltd (Cochin) : composants électroniques
• F CI Technology Services Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique
•G
emalto (NCR, Delhi) : commerce électronique, monétique
•G
lobal One India Pvt Ltd (Mumbai) : technologies de l’information (transversal), télécommunications, services et ingénierie informatique
• I Tech Systems Pvt Ltd (Chennai) : développement de logiciels
• Incotec Software India Pvt Ltd (Pune) : développement de logiciels Inet Process Indian Pvt Ltd
(Ahmedabad) : développement de logiciels
• L ectra Technologies (Bangalore) : développement de logiciels
•M
arkem-Imaje India Pvt Ltd (Bangalore) : logiciel chaine de distribution de produits
•O
berthur Card Systems India Branch (NCR, Noida) : industrie électronique, composants électroniques, commerce électronique, monétique
•O
boulo.com (Bangalore) : commerce électronique, monétique
•O
range Business Services (NCR, Gurgaon): télécommunications
• P aprikaas Animation Studios (Bangalore) : audiovisuel, multimedia, photo, jeux vidéo
• S afran Aerospace India Pvt Ltd (Bangalore) : construction aéronautique et spatiale, satellites
• S agem Defense Securities S.A. (NCR, Delhi) : industrie de l’armement, défense
• S agem Orga (NCR, Noida) : électronique grand public, commerce électronique, monétique
66
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
• S ESCOI India Solutions Pvt Ltd (Pune) : services et ingénierie informatique
• S icame India Connectors (Chennai) : industrie électronique, composants électroniques
• S ilicomp India Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique
•O
range Business Services (Bangalore) : services et ingénierie informatique
• S martesting (Bangalore) : automatismes, process, mesure, contrôle, régulation
• S ociété Générale Global Solution Centre Pvt Ltd (Bangalore) : technologies de l’information
(transversal), services et ingénierie informatique, services financiers (transversal)
• S ogeti High Tech (Bangalore) : technologies de l’information, services et ingénierie informatique
• S opra India Pvt Ltd (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique
• S T Microelectronics Pvt Ltd (NCR, India) : services et ingénierie informatique
• S teria Ltd (NCR, Noida) : services et ingénierie informatique, Services (transversal)
• S tilog India Technologies (Bangalore) : audiovisuel, multimédia, photo, jeux vidéo développement
de logiciels
• S tudec Technologies India (Bangalore) : développement de logiciels
• S word Group (Chennai) : services et ingénierie informatique
• S ymtrax Ltd (Mumbai) : développement de logiciels
• S yscom (NCR, Noida) : industrie électronique, composants électroniques, télécommunications
• T ek Components Pvt Ltd (Pune) : industrie électronique, composants électroniques, automatismes,
process, mesure, contrôle, régulation
• T eleperformance (Gurgaon) : technologies de l’information (transversal)
• T ES Electronic Solutions (Bangalore) : industrie électronique, composants électroniques
• T hales Electon Devices (NCR, Delhi) : télécommunications, transport
• T ractebel Engineering Pvt Ltd (NCR, Delhi) : ingénierie (transversal)
• T ransoft International Pvt Ltd (Bangalore):ingénierie financières, banques
•U
bisoft Entertainment India Pvt Ltd (Pune): audiovisuel, multimedia, photo, jeux vidéo
•V
altech India Systems Pvt Ltd (Bangalore) : services et ingénierie informatique
Source : Les implantations françaises en Inde et en Asie du Sud, Guide répertoire établi par les missions économiques UBIFRANCE en Inde et les services économiques au Pakistan, au
Bangladesh et à Sri Lanka, Delhi, mars 2010.
Interrogés sur les politiques d’implantation de services informatiques en Inde, les responsables français
des sociétés que nous avons rencontrés à Delhi, à
Bangalore et à Mumbai, oscillent entre la discrétion
et la pleine reconnaissance des activités de software
de leurs entreprises en Inde. Ainsi, le chef de bureau
de Bangalore d’une société française présente dans
le développement digital nous confie que certains de
leurs gros clients (français) ne souhaitent pas que
leurs affaires soient traitées en Inde, pour des questions d’image de marque ou pour des raisons politiques. Dans ce cas, ajoute-t-il, la société évite de recourir à ses équipes indiennes qui sont plutôt
dévolues aux PME où aux clients moins embarrassés
et surtout plus soucieux du coût des services (entretien à Bangalore, 21 septembre 2013). D’autres
cadres, au contraire, déclarent que c’est leur plus gros
client français qui a incité la société à installer une
unité de production de logiciel à Bangalore. Même
les cadres français travaillant pour des grands
groupes internationaux dont la présence en Inde est
notoire, dans le domaine des télécommuniations par
exemple, ne se livrent que sous la demande expresse
de la confidentialité de leurs propos. Pour toutes ces
raisons, les noms des sociétés et des personnes interrogées sont le plus souvent anonymisés.
« Offshore », « délocalisation », « sous-traitance »,
« externalisation », les mots varient pour qualifier les
activités de services développées hors de France, et
le sens donné à chacun de ces termes reste flou.
L’opposition entre le travail réalisé on-site (sur le site
du client) et celui effectué offshore, c’est-à-dire délocalisé dans un pays étranger à celui du client, est
claire. Le succès des activités de services informatiques, en Inde, résulte du passage d’un travail on-site,
dans les années 1980, à un travail offshore, dans les
années 2000, réduisant considérablement la
présence on-site, à l’étranger, des ingénieurs indiens.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
67
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
L’un des avantages de cette évolution est la
diminution des charges pour les entreprises indiennes,
et en conséquence celle des coûts pour leurs clients.
Mais la signification des autres termes est beaucoup
moins nette. La sous-traitance suppose une délégation
complète du travail à une équipe extérieure, sans
contrôle de la société qui passe l’ordre, celle-ci se
chargeant des corrections nécessaires, si besoin est,
à la réception du produit. L’externalisation concerne
la mise en place d’équipes de travail à l’étranger,
souvent sous la responsabilité d’un ou plusieurs
cadres français, au moins dans un premier temps.
L’externalisation se fait le plus souvent via une filiale
indienne de la société mère, mais pas nécessairement ; des modalités plus souples existent aussi. On
présente plusieurs cas de figures en restituant le point
de vue des cadres français intérrogés sur leur expérience des relations de travail.
En 2012, Capgemini était la première SSII française
par le nombre d’employés et le chiffre d’affaires gobal, devançant de loin ses concurrents que sont les
sociétés Stéria et Atos-Origin (Accenture, entreprise
dirigée par un français est une société d’origine américaine). La société est entrée sur le marché indien en
2001 à la suite du rachat de la branche conseil de la
société américaine Ernest & Young qui disposait
d’une unité d’une cinquantaine de personnes établie
dans le pays depuis 1997. La Chief Executive Officer
de la filiale indienne est une femme, Aruna Jayanti,
née en 1963, diplômée du Narsee Monjee Institute of
Management Studies de Mumbai. Aruna Jayanti a
travaillé pendant dix ans pour Tata Consultancy Services, puis elle a rejoint Ernst & Young quelque temps
avant que l’unité conseil de cette compagnie soit rachetée par Capgemini. Nommée d’abord directrice
générale du service qualité de la division outsourcing,
elle a été promue CEO de la filiale indienne de Capgmeini et rend compte de ses activités directement au
CEO global de la société, souligne-t-elle dans ces entretiens avec la presse.
Selon le magazine professionnel Dataquest, dix ans
après son arrivée en Inde le chiffre d’affaires de Capgemini-India était de 31,4 billions de roupies, enregistrant en 2011 une croissance de 28 % par rapport à 2010. En 2013, la société emploie environ
40 000 personnes (une augmentation de 20 % par
rapport à 2011-2012), soit un tiers des 120 000
employés du groupe et un effectif supérieur à celui
de Capgemini-France. Capgemini-India est installée
sur huit sites : Mumbai où est localisé le siège, Pune,
Delhi (Gurgaon), Bangalore, Hyderabad, Kolkata,
68
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Chennai et récemment Salem, dans l’état du Tamil
Nadu, où un centre de BPO vient d’être ouvert. Capgemini est présent sur le secteur des activités de
software (développement, maintenance), de BPO et
enfin dans le domaine du conseil. Les activités de
Capgemini-India sont orientées vers l’exportation
pour 98 %, le marché intérieur indien ne représentant que 2 % des revenus.
Le modèle ancien de l’offshore, qui reposait sur une
division entre le front office en Europe et le back office
dans les pays émergents comme l’Inde, n’est plus en
usage chez Capgemini. Ce qui prévaut désormais, et
pas seulement chez Capgemini, est le modèle d’une
seule équipe de travail, « one team », dont les membres
peuvent être localisés en Europe, en France notamment, et en Inde.
« Dans le modèle “one team”, on a une seule
équipe sur le projet, qu’elle soit en Inde ou en
France. On travaille avec les mêmes outils, les
mêmes méthodes, les mêmes approches. Le client
doit sentir qu’il n’a affaire qu’à une seule équipe. »
(Cadre français, responsable de la coordination
des projets chez Capgemini-India, Mumbai, entretien téléphonique, 3 avril 2013)
La division du travail entre la partie exécutée en
France et celle menée en Inde varie selon la maturité
des clients et leurs connaissances des processus de
l’offshore, selon le témoignage de ce cadre qui coordonne les projets entre l’Inde et la France. Pour qu’un
projet réussisse, il faut qu’en amont les équipes techniques, en France, soient associées à la prise de décision des responsables du projet. Si les clients n’ont
jamais travaillé dans ce type de structure offshore et
si ils ne s’y sentent pas confortables, le gros du travail
reste exécuté en France. Dans l’autre cas extrême,
l’ensemble du projet peut être être éxécuté en Inde.
« Dans quelques cas, on a évolué vers un modèle
du tout offshore, où il n’y a plus d’intervenant
français. À ce moment là, c’est un cadre indien qui
prend en charge le projet et le client français va
faire ses pilotages avec lui [en Inde]. On a un cas
où le client vient en Inde tous les mois pour faire
ces comités de pilotage et suivre le projet. » (idem)
Capgemini n’a pas pour ambition de recruter des ingénieurs informaticiens indiens pour les faire travailler en France, affirme le cadre français qui supervise
la coordination des projets. Si cette politique a pu être
envisagée et pratiquée par le passé, notamment aux
Pays-Bas (Burgers et Tourburg, 2013), elle n’est plus
de mise pour la France. Plusieurs raisons expliquent
l’échec de cette politique : d’abord, des questions de
coûts financiers, ensuite, la résistance des informaticiens français vis-à-vis de telles pratiques, enfin, la
législation très contraignante qui encadre l’embauche
d’une main d’œuvre qualifiée d’origine extra-européenne (encadré 23).
Capgemini-India a créé une branche d’activités de
conseil qui regroupe cent-cinquante personnes et vise
principalement le marché indien. Les jeunes managers sont recrutés au sein des trois Indian Institutes
of Management les plus réputés, ceux d’Ahmedabad,
de Bangalore et de Kolkata. Leur profil est très homogène, constate le responsable français du service
conseil de Capgemini-India. Ils sont tous titulaires
d’un BTech obtenu dans un IIT. Immédiatement après
leurs études d’ingénieurs, ils ont suivi une formation
en management, et ils n’ont pas plus d’une année ou
deux d’expérience professionnelle. Le cadre interrogé
a un point de vue critique sur la manière dont les
jeunes diplômés indiens équilibrent leurs aspirations
en termes de carrière et de compétences.
« Ces jeunes sortis des IIM, dit ce cadre français, sont
dotés de solides capactités d’analyse, mais à leur
âge ils ne peuvent posséder l’esprit de synthèse qui
s’acquiert avec l’expérience sur le terrain. Aussi, les
attentes en termes de parcours professionnels sont
différentes de celle que l’on observe en France. Dans
un système très hiérarachique, et avec la pression
familiale, le seul objectif de ces jeunes diplômés qui
sortent des grandes écoles est d’occuper rapidement
un poste de responsabilités. Les jeunes, à la sortie
des IIM, n’ont pas toujours la patience nécessaire
pour développer cette expertise qui est nécessaire
pour réussir dans la profession. Le métier du conseil,
souligne ce cadre, repose sur l’expérience qui seule
apporte de la valeur ajoutée au client. » (Cadre
français au service conseil chez Capgemini-India,
Mumbai, entretien téléphonique, 20 mars 2013)
Une autre difficulté à laquelle sont confrontés les
activités de conseil, tient au fait que les entreprises
indiennes, dans l’ensemble, sont encore peu habituées aux pratiques managériales occidentales.
Cependant, les dirigeants indiens se rendent
comptent que les taux de croissance dont l’Inde a
bénéficié, depuis dix ans, ne sont peut-être pas nécessairement le résultat de modes de gestion très
performants. Le ralentissement de la croissance du
PIB, au début des années 2010, contribue à attirer
l’attention sur les problèmes d’organisation interne
aux entreprises. Mais pour que l’activité de conseil
produise des résultats significatifs, ajoute le cadre
intérrogé, il faut que les dirigeants acceptent de se
remettre en question. C’est le cas pour certains
grands groupes internationaux, mais pas pour la
masse des entreprises. Les choses évoluent lentement mais les chefs d’entreprises indiens, poursuit
ce cadre français, attestent d’un retard certain au
regard de leurs homologues chinois qui ont une
véritable compréhension des activités de conseil et
du bénéfice qu’ils peuvent en retirer.
L’organisation du travail, au sein des SSII françaises,
varie selon la taille des entreprises et le type d’activité
dans lesquelles elles sont engagées. On peut citer
l’exemple de cette agence française leader de développement digital, qui travaille notamment sur les
réseaux sociaux. Cette agence a été fondée en 2007
en France, en province, par trois jeunes diplômés
d’une école de commerce publique reconnue pour son
expertise dans les nouvelles technologies numériques, et par un ingénieur en sciences de l’informatique. Deux ans plus tard, les premiers succès commerciaux conduisent les fondateurs de cette société
à rechercher des développeurs qualifiés mais à un
coût moindre qu’en France. Le choix se porte presque
sans hésitation sur l’Inde. En 2009 la société s’installe à Chennai dont la situation en bord de mer
paraît attractive aux cadres français. Après des débuts difficiles mais enthousiasmants, installée provisoirement dans une maison qui servait à la fois de
bureau et de logement aux cadres expatriés, la succursale indienne de la société mère est aujourd’hui
confortablement établie au quatrième étage d’un
immeuble moderne dans un parc technologique au
sud de Chennai.
En 2013, la société emploie environ 90 personnes en
Inde dont une cinquantaine de développeurs et de
désigneurs. Mais le marché informatique indien a luimême ses propres contraintes. Chennai, ville réputée
pour son conservatisme social et culturel, attire difficilement les meilleurs informaticiens de toute l’Inde,
à la différence de Bangalore, sa rivale dans le sud.
C’est à Bangalore que se concentrent les grandes compagnies étrangères (Microsoft, Sap, Cisco, Intel, Texas
Instrument, Siemens, Bosch, etc.) et les startups innovantes qui sont en concurrence avec les grandes SSII
indiennes pour recruter les meilleurs informaticiens
venus de toute l’Inde. Ce constat a conduit les diriAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
69
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
geants de l’entreprise française à ouvrir un bureau à
Bangalore en 2011.
La société est organisée en quatre business units (BU)
d’une quinzaine de personnes chacune, chef de projet
inclus, trois BU étant installées à Chennai et une à
Bangalore. Les BU de Chennai sont spécialisées dans
les applications publicitaires des marques pour lesquelles travaille cette société tandis que la BU de
Bangalore a basculé récemment sur l’élaboration de
produits, c’est-à-dire des outils techniques, des « templates », utilisés sur les plateformes des réseaux
sociaux pour monter les applications. En principe,
chaque BU travaille sur des projets indépendants,
avec parfois un support technique ponctuel venu des
équipes en France.
Du point de vue commercial, applications et produits
se situent sur deux marchés différents. Le premier
marché (development customer) qui génère le plus de
revenus est constitué par la clientèle privée, tandis
que le second marché est intra-professionnel, dit B2B
(Business to Business). La mise au point de produits
représente un investissement à long terme. L’évolution
d’un marché à l’autre a été favorisée par la récession
du marché des applications qui a imposé un
redéploiement des activités. Mais l’unité de Bangalore
doit faire les preuves de sa rentabilité si elle veut
rester positionnée sur ce segment technologique et
commercial.
« La mise au point d’une application pour un
client engage une division technique du travail.
D’une manière générale, chez nous, on distingue
nettement, d’une part, les développeurs côté serveur dont le travail consiste à faire circuler les flux
d’informations entre le navigateur et le serveur qui
gère l’application, soit pour simplifier, tout ce qui
se passe derrière l’écran et, d’autre part, les développeurs qui sont côté client, c›est-à-dire qui
prennent en charge tout ce qui se passe sur le
navigateur, ce que l’on voit sur son écran. Les désigneurs forment un groupe à part, et ils travaillent
toujours dans une équipe séparée des développeurs ; ce sont eux qui s’occupent des images,
des logos, etc., tout ce que les développeurs côté
client vont mettre sur le site, ce qui va faire que
l’application est réussie ou pas. On fait une maquette fonctionnelle, un wire-frame, avec des designs (du logo, des images, du graphique) qui
sont intégrées dans l’application, et on arrive ainsi
à une version “beta” qui est présentée au client ;
il y a toujours un moment de discussion pour éli70
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
miner les bugs, faire les ultimes mises au point,
puis la version est validée et mise en ligne. La
réalisation d’une application est souvent rapide,
quelques jours. C’est très différent des projets industriels qui peuvent demander plusieurs mois de
réalisation. Quand on recrute des développeurs
qui ont l’habitude de travailler sur des projets
longs, ils doivent s’adapter à un autre mode de
travail. » (Entretien avec le chef de bureau de
Bangalore, 21 septembre 2013)
Anil (prénom changé), le chef de bureau de Bangalore, qui est aussi le responsable de la BU produits de
la société, est un jeune ingénieur français né en 1989,
d’origine indienne par son père, diplômé en sciences
de l’informatique de l’École centrale de Nantes. Il
avait eu l’opportunité de se familiariser avec le milieu
informatique de Bangalore à l’occasion d’un semestre
passé à l’Indian Institute of Sciences de Bangalore
dans le cadre d’un programme d’échange signé entre
l’École centrale et l’IISc.
Il est fréquent de trouver de jeunes ingénieurs ou
des cadres, des hommes et quelque fois des femmes,
qui sont d’origine indienne et travaillent pour des
sociétés françaises établies en Inde. Certains
peuvent parler une langue indienne en usage dans
leur famille, le tamoul notamment pour ceux qui
sont issus du milieu français de Pondichéry. C’est le
cas de Kumar (prénom changé) qui dirige à Bangalore la filiale indienne de la Société Informatique
Industrielle (SII), basée à Toulouse, et dont le champ
d’activités est l’industrie aérospatiale, les télécommunications et les TIC. Fondée en 1979, la SII s’est
installée à Bangalore au début de 2013 à la demande de son principal client Airbus France dont le
partenaire indien venait de cesser sa collaboration.
Le bas coût de la main d’œuvre est un facteur important qui pèse dans la décision de l’offshore. Selon
Kumar, le coût horaire d’un ingénieur français est
de l’ordre de 18 à 23 $ alors qu’il est environ de 7 à
8 $ en Inde. Cependant, le gain en termes de coût
ne suffit pas toujours pour emporter la décision de
l’offshore. Dans le domaine de la défense, par
exemple, certains clients français sont réticents à
travailler avec l’Inde. Prévalent à la fois des raisons
de confidentialité, le sentiment qu’ils n’auront pas
une bonne maîtrise du travail effectué ou, tout simplement, l’effet d’une mauvaise expérience antérieure que les clients ne souhaitent pas renouveler.
L’offshore avec l’Europe de l’Est soulève moins de
difficultés, côté client, remarque Kumar.
SII dispose actuellement d’une petite équipe de huit
développeurs dédiés à Airbus France. La filiale indienne travaille donc à 100 % en offshore, mais elle
a entrepris de diversifier ses activités pour attaquer
le marché local, l’objectif étant d’atteindre 75 %
d’offshore et 25 % de contrat local et peut-être d’arriver à 50 %-50 % d’ici à deux ans. Pour cela, la société
souhaite disposer d’une équipe globale de quinze
ingénieurs d’ici la fin de l’année 2013, et de trente
environ en 2014. Toutefois, la STI recherche des spécialistes en avionique (tout ce qui relève des systèmes
de communications internes aux avions), une spécialité plutôt rare sur le marché du travail en Inde, même
si l’industrie aéronautique est bien développée dans
la capitale du Karnataka. « À Bangalore, en une
semaine je recrute un développeur compétent en Java
ou C ++, mais il me faut un mois pour trouver un
spécialiste en avionique » dit Kumar, ajoutant qu’il lui
faut parfois débaucher les ingénieurs chez les
concurrents. En outre, il faut encore former ces
ingénieurs aux systèmes français, soit en les envoyant
en France, ce qui n’est jamais simple en terme de visa
si le séjour excède 30 jours, soit en faisant venir un
spécialiste français. Chez SII, le travail est organisé
selon le principe du « one team », évoqué dans le cas
de Capgemini, un modèle que la société désigne
comme Integrated Shared Team Extented Project (ISTEP) : les ingénieurs indiens à Bangalore travaillent
en tandem avec les ingénieurs qui sont à la société
mère en France.
Dans les exemples évoqués précédemment, les entreprises françaises opèrent via leur succursale indienne. Mais dans d’autres cas, une société peut
externaliser certaines activités indépendamment de
sa filiale indienne. Le groupe français Ingénico, l’un
des deux leaders mondiaux des technologies de
paiements électroniques, en fournit une illustration.
Ingénico gère l’ensemble de la chaine technologique
depuis la fabrication des terminaux (dont une partie
est sous-traitée en Asie, mais pas en Inde) qui inclut
une part de software dit embarqué, jusqu’aux plateformes logicielles que ces terminaux requièrent ainsi
que les services annexes de bureautiques associés
aux paiements électroniques. Les activités du groupe
dans le monde sont organisées par régions. L’Inde
appartient à la région Asie-Pacifique dont le bureau
régional, localisé à Singapour, est dirigé par un
cadre français expatrié. En Inde, le groupe Ingénico
délivre ses services via sa filiale Ingenico International India Pvt Ltd dont l’équipe de trente personnes
(quinze informaticiens et quinze commerciaux) est
entièrement indienne. Cette société de services,
basée à Delhi, commercialise les produits du groupe
Ingénico dont elle assure le suivi technologique
auprès des clients indiens.
Toutefois, depuis 2012, le groupe Ingénico a décidé
d’externaliser à Bangalore une partie de ses activités,
non de services mais de production logicielle. Deux
raisons ont déterminé ce choix, d’abord, la réduction
des coûts salariaux et, ensuite, la recherche de nouvelles compétences technologiques. La business unit
(BU) d’Ingénico installée à Bangalore relève directement de la direction du groupe, en France, et elle est
totalement indépendante d’Ingenico India du point
de vue administratif, logistique et technologique.
Contrairement à cette dernière filiale, la BU de Bangalore ne délivre donc aucun service aux clients avec
lesquels elle n’a aucun contact. Cette unité développe
des produits software, c’est-à-dire des outils technologiques qui sont ensuite intégrés par les équipes françaises sur les plateformes logicielles du groupe, puis
commercialisés par les différentes filiales, y compris
en Inde. On a là un exemple, au sein d’un même
groupe, d’une division qui est générale au secteur des
TIC, en Inde, entre, d’une part, les sociétés orientées
vers les services aux clients (ce que sont la majorité
des SSII indiennes) et, d’autre part, les sociétés qui
développent des produits.
Cette unité-produit d’Ingénico est hébergée par une
SSII indienne, Indecomm Global Services (IGS), un
partenaire qui prend en charge toutes les infrastructures matérielles (locaux, bureautique, services des
ressources humaines, etc.) qu’elle facture au groupe
Ingénico. Même le recrutement des employés de la
BU d’Ingénico est fait par IGS, selon les spécifications
données par le groupe. Ce partenariat facilite considérablement le fonctionnement de la BU car le responsable français n’est pas directement confronté
aux difficultés diverses que soulèvent le choix des
locaux, le recrutement et la gestion du personnel. Une
fois recrutés, les employés sont dédiés à Ingénico et
ils ne peuvent en aucune façon travailler pour Indecomm. L’équipe est composée de 70 personnes, essentiellement des développeurs, des testeurs et cinq
project managers, dont un tiers de femmes qui sont
plutôt dans la partie test. La taille des projets est
variable, en termes de nombre de personnes. Le plus
gros projet, dirigé par une femme, rassemble vingt
personnes, d’autres une quinzaine, et d’autres encore,
six à huit personnes. Chaque équipe projet est subdivisée en unités techniques de cinq à six personnes
dirigées par un team lead (un senior developer ayant
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
71
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
surtout une fonction de coach, d’apprentissage, et de
supervision purement technique).
Pour les sociétés étrangères qui souhaitent externaliser des activités en Inde, les obstacles administratifs
sont nombreux, en particulier pour les PME qui ne
peuvent mobiliser les ressources (personnel, assistance, conseil) dont disposent les multinationales. On
peut citer l’exemple d’une autre société française qui
se positionne sur le e-commerce. La manière dont
cette société a géré l’implantation d’une petite unité
d’informaticiens à Bangalore nous renseigne sur ces
difficultés rencontrées (encadré 22).
De même qu’Ingénico a eu recours à un partenaire
indien pour s’installer à Bangalore, cette société de
e-commerce s’est elle aussi alliée à une petite entreprise française de services sur le net d’une dizaine
de personnes, déjà basée dans cette ville. Cette
société a mis son cadre juridique et ses infrastruc-
–
ENCADRÉ 22 : DÉLOCALISATION OU EXTERNALISATION, L’EXPÉRIENCE D’UN WEB-DÉVELOPPEUR
FRANÇAIS À BANGALORE
–
Loïc (prénom modifié), né en 1985, vit à Bangalore depuis
octobre 2012, mais il y est venu à partir de 2011 pour des
séjours de courtes durées. Il est salarié pour une société française qui est leader européen de la gestion publicitaire et du
e-commerce sur Internet. Au départ, il était chargé de recruter
une petite équipe de développeurs indiens pour mettre au
point un site web qui n’existait pas en France. Il s’agit d’un
site dit de cashback sur lequel des offres promotionnelles
d’achat de produits ou de services sont offertes aux clients
qui visitent le site.
D’emblée, Loïc s’interroge sur la notion de délocalisation
puisque le travail fait en Inde n’était pas réalisé en France.
Mais il reconnait que la raison de l’externalisation de cette
unité en Inde tient au bas coût de la main d’œuvre : en termes
de salaire, un bon développeur, à Bangalore, coûte six fois
moins cher qu’en France. Loïc a travaillé pendant un an avec
une petite équipe de sept personnes, tous des hommes, car
les femmes qu’il avait recrutées ont dû quitter l’équipe pour
des raisons familiales. Pour le recrutement de ses employés
Loïc, qui ne connait pas le système d’enseignement technologique indien, ne se fie pas beaucoup aux écoles d’où sortent
les candidats, ni même à leur nombre d’années d’expérience.
L’ancienneté n’est pas un handicap, dit-il avec une pointe
d’humour, mais cela veut dire que je vais avoir une personne
formée dans des technologies déjà obsolètes. Ce qui compte,
pour lui, c’est l’habileté technologique des développeurs, leurs
capacités de raisonnement logique, qui ont dû s’accroitre avec
l’ancienneté, en principe, leur manière de résoudre les « bugs »
ou de s’en accommoder jusqu’au moment où il faut bien résoudre les difficultés rencontrées.
72
Les candidats sont recrutés par voie d’annonce sur les sites
d’emplois comme Naukri.com, un site indien, ou MonsterIndia.com. En arrivant, les candidats ne sont pas soumis à un
entretien d’embauche, ce qui les surprend, mais à un test
technologique, sur papier, qui dure environ une heure. Le test
contient quelques questions difficiles que même un développeur français moyen ne résoudrait pas facilement. Pour
être sélectionné, il faut obtenir une note de 14/20 au test.
Les résultats ne sont pas communiqués immédiatement. Si les
candidats réussissent le test de sélection, ils sont alors convoqués pour un entretien. Cela permet de tester leur motivation,
dit Loïc. Il y a parfois des candidats qui se présentent avec un
très bon CV mais qui refusent de passer le test, ceux-ci je les
élimine, ajoute-il, et d’autres qui sont sélectionnés mais ne
reviennent pas pour l’entretien.
L’objectif de l’entretien, pour Loïc, est d’apprécier le comportement humain du développeur, sa manière de se comporter
en groupe, sa relation avec les autres développeurs indiens
qui sont déjà dans l’équipe. Le salaire des développeurs, dit-il,
n’est pas vraiment un sujet de négociation. Le candidat fait
une proposition, en fonction de son salaire précédent, qui
presque toujours est ajustée à l’offre du marché et, en général,
Loïc l’accepte car la différence du coût salarial entre la France
et l’Inde est telle que les variations des demandes représentent un coût marginal faible pour les responsables de la
société française. Dans son équipe de sept développeurs, les
salaires peuvent donc varier de un à deux, selon les personnes,
entre 300€ et 600€ par exemple.
(Entretien fait à Bangalore, 19 septembre 2013)
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
tures à la disposition de Loïc, prenant en charge
formellement les salaires des développeurs et se
payant par une commission sur chaque personne
recrutée. Quelques mois plus tard, pour diminuer les
coûts, Loïc a passé un contrat avec une autre société
française spécialisé dans l’externalisation des activités de services. Mais les relations de travail n’ont
pas été bonnes et, finalement, il a ouvert sa propre
société de services à Bangalore. Aujourd’hui, Loïc
dispose de deux casquettes. D’un côté il travaille
toujours pour la même société française de média ;
via sa nouvelle structure personnelle, il recrute les
informaticiens pour cette société française et il gère
trois sites Web pour cette même compagnie qui ne
vise que le marché français ou européen. De ce point
de vue, la société qui est basée en France n’a qu’un
seul salarié en Inde. De l’autre côté, via sa société
qu’il vient de créer, Loïc prépare ses produits qui
sont destinés à une clientèle locale vivant à Bangalore. Dans cette phase de restructuration, il entend
se redéployer pour son compte avec cinq ou sept
web développeurs seulement. Cette multi-activité
est très commune dans le secteur du web, dit Loïc.
Les développeurs expérimentés peuvent travailler
pour une société principale et, parallèlement, élaborer d’autres produits qu’ils commercialisent via des
structures personnelles.
Les cadres que nous avons interrogés distinguent trois
types de difficultés dans la collaboration entre
équipes d’ingénieurs français et indiens. La première
difficulté est la barrière de la langue car il faut travailler en anglais, la deuxième difficulté est l’éloignement géographique des équipes du projet et, enfin,
la troisième difficulté concerne les cultures de travail
qui diffèrent entre la France et l’Inde, tout cela rendant la communication parfois difficile au sein des
équipes.
L’un des éléments qui revient fréquemment dans les
discussions avec les cadres français est le manque
d’autonomie des ingénieurs indiens qui sont habitués
à un encadrement vertical, attendant que les
consignes circulent de haut en bas de la hiérarchie et
donc prenant peu d’initiatives. La structure hiérarchique de la société indienne, le respect du principe
de seniorité, et un système d’enseignement qui valorise la répétition au détriment de l’invention et de
l’innovation, contribuent à produire une culture de
travail différente de celle connue en France. En règle
générale, sur un projet donné, un responsable français attend que les ingénieurs et les techniciens
suivent une succession rationnelle d’étapes où s’en-
chaînent, idéalement, évaluation, prise de décision,
autocritique, discussion et correction. Mais en Inde, il
se heurte souvent au silence des employés et aux
difficulté qu’ils rencontrent à verbaliser les problèmes
techniques auxquels ils peuvent être confrontés.
D’autre part, les exigences en termes de qualité du
travail, qu’il s’agisse d’un service ou d’un produit, sont
souvent plus floues au sein des équipes indiennes, ce
qui nécessite un renforcement du contrôle qualité.
Enfin, il y a une réelle difficulté à tenir les délais sur
lesquels les équipes se sont engagées. Les cadres rencontrés sont très attentifs a ce qu’ils appellent la
« culture de la responsabilité ». C’est un élément qui
revient dans tous les entretiens avec les responsables,
tant français qu’indiens d’ailleurs, qu’il s’agisse de
hauts cadres ou d’enseignants dans les écoles d’ingénieurs, y compris les écoles qui forment l’élite des
ingénieurs, comme les IIT.
« En Inde, les gens sont plutôt en mode attentiste,
plus passif, qu’actif par rapport à la prise de
responsabilité, à l’initiative, par rapport à ce qu’on
peut avoir en France ; il sont plutôt en attente.
C’est un problème important pour eux de montrer
qu’ils ont des difficultés. Nos collaborateurs ont
du mal à s’exprimer, à soulever des questions, à
mettre les problèmes sur la table. Ce n’est pas
dans la culture de dire : voilà, j’ai un problème,
est-ce que vous pouvez m’aider à le résoudre. Visà-vis des clients, c’est plutôt de dire oui, je vais le
faire, mais derrière, la réalisation, on ne peut pas
en être totalement sûr. Cette capacité à dire non,
à exprimer des difficultés est le point le plus important. C’est un sujet sur lequel on demande à nos
interlocuteurs français d’être très vigilants. »
(Cadre français, responsable de la coordination
des projets chez Capgemini-India, Mumbai, entretien téléphonique, 3 avril 2013)
Les entreprises mutinationales, comme Capgemini,
ont développé des structures de formation internes
qui ont pour but d’harmoniser les modes de travail
entre les pays où sont implantées ces compagnies.
Mais les entretiens laissent entrevoir une différence
entre les hauts cadres qui circulent d’un pays à
l’autre, pour leur profession et les formations qu’ils
recoivent, et le reste des employés qui occupent des
positions plus basses dans la hiérarchie des tâches et
de l’encadrement. L’objectif de ce système de formation permanente est cependant de développer une
culture internationale d’entreprise, quelle que soit la
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
73
–5–
LES SOCIETES DE SERVICES EN INGENIERIE INFORMATIQUE
localisation géographique des unités. Un cadre français de Capgemini, représentatif de ces managers
formés à l’international, témoigne.
« En arrivant en Inde, je n’ai pas du tout été perdu
dans une nouvelle structure ou une approche différente de notre métier. À partir d’un certain niveau, mes collègues indiens vont aller en France
suivre des cycles de formation organisés par Capgemini Université. Ces formations adaptées à
leurs besoins se font dans un contexte international avec d’autres personnes qui viennent de
France, de Hollande, des États-Unis, de GrandeBretagne. C’est comme cela qu’on arrive à avoir
une culture d’entreprise commune aux différentes
unités. Les moyens de communication que l’on
retrouve sur l’intranet sont tous identiques, avec
bien sûr des contenus spécifiques pour chaque
pays. Mais tout cela est vraiment commun : on
utilise les mêmes référentiels méthodologiques, on
a des services pour entrer dans les projets qui sont
communs à tous les projets, quelle que soient
leurs localisations. Capgemini développe clairement une culture transnationale. » (idem)
La pratique de l’offshore, en France, est souvent mise
en regard avec la politique d’immigration choisie que
certains pays européens tentent de mettre en œuvre
avec plus ou moins de succès. Le programme mis en
place par l’Allemagne, il y a plusieurs années, pour
accueillir quelques milliers d’ingénieurs indiens, n’a
pas été un grand succès. Néanmoins, un nouveau
cadre législatif se met en place pour réglementer
l’entrée en Europe d’une main d’œuvre qualifiée.
Mais les tensions entre directives européennes et
politiques nationales, fluctuantes au gré des majorités gouvernementales, freinent la mise en place de
ces mesures. l
–
ENCADRÉ 23 : L’UNION EUROPÉENNE ET LA POLITIQUE D’IMMIGRATION DITE CHOISIE
–
L’entrée sur le territoire de l’Union européenne des ressortissants étrangers « hautement qualifiés » professionnellement
qui désirent travailler et vivre dans les pays de la communauté, est soumis à la directive européenne 2009/50/EC du
25 mai 2009 qui régit l’obtention d’une Carte bleue européenne.
Selon cette directive qui doit encore être validée par les instances réglementaires de chaque pays, l’obtention de cette
carte est soumise aux conditions suivantes. Les nationaux
étrangers devront, d’abord, être titulaires d’un diplôme certifiant un niveau d’études supérieures équivalent à Bac +3 ou
d’une expérience professionnelle de cinq ans d’ancienneté,
ensuite, être en possession d’un contrat d’embauche pour une
durée d’un an minimum et, enfin, déclarer des revenus d’un
montant annuel de 44 000 €, ce seuil étant abaissé à
33 000 € pour certains secteurs professionnels, notamment
les ingénieurs et les employés du secteur des technologies de
l’information et de la communication. Aucun test d’employabilité n’est exigé à l’entrée sur le marché du travail.
Les étrangers qui sont déjà titulaires d’une Carte bleue européenne depuis dix-huit mois sont automatiquement qualifiés
74
pour obtenir une Carte bleue européenne en France. Ils ne
requièrent pas de visa pour entrer en France et disposent d’un
délai d’un mois pour obtenir leur nouvelle Carte bleue valable
sur le territoire français de la préfecture de leur lieu de résidence. Les autorités préfectorales se doivent de délivrer la
nouvelle carte bleue dans un délai de quatre-vingt-dix jours
après le dépôt du dossier pour le titulaire principal, et dans
un délai de six mois pour les membres de sa famille. La validité de cette carte est de trois ans, ou égale à la durée du
contrat de travail si celui-ci est inférieur à trois années. Les
membres de la famille peuvent recevoir une carte de résidence
et de travail renouvelable annuellement. Après une résidence
d’une durée de cinq années dans les pays de l’UE, dont deux
en France, les titulaires d’une Carte bleue européenne et les
membres de leur famille peuvent demander un permis de résidence de longue durée dans les pays de l’UE.
Sources : Directive européenne 2009/50/EC ; entretiens avec
le conseiller scientifique de l’ambassade de la République
fédérale d’Allemagne en Inde (avril 2012), et avec le responsable des échanges universitaires du service culturel et scientifique de l’ambassade de France en Inde (juillet 2012).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– Carte 2 –
Localisation géographique des sociétés informatiques membres de la NASSCOM en Inde (2012)
Chandigarh
Ludhiana
New Dehli
Noida
Gurgaon
Jaipur
Lucknow
Udaipur
Ahmedabad
Rajkot
Jabalpur
Bhopal
Indore
Vadodara
Nagpur
Raipur
Calcutta
Bhubaneshwar
Nashik
Mumbai
Ranchi
Jalgaon
Vishakhapatnam
Pune
Kohlapur
Hyderabad
Goa
Bengalore Chennai
Nombre de sociétés
Mysore
Calicut
Coimbatore
Kochi
Pondicherry
Salem
Madurai
< 10
11-100
> 101
Thiruvananthapuram
Source : Centre de Sciences humaines Delhi et Nasscom Directory, 2012
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
75
76
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–LE RECRUTEMENT
DES NOUVEAUX
DIPLÔMÉS–
–6–
78 81 81 82 83 Tata Consultancy Services (TCS) et Infosys
Lason India Limited (Chennai)
SRA Engineering Solutions (Chennai)
Une startup (Delhi)
Réduire le fossé formation emploi : le campus Infosys à Mysore
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
77
–6–
LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS
Les SSII indiennes recrutent leurs employés selon deux grandes procédures : soit sur les
campus, lors des « foires aux emplois » (job fairs) organisées chaque année dans les écoles
d’ingénieurs par leur cellule de placements, soit hors-campus, pour rechercher des licenciés en
sciences et des titulaires d’un master en Computer Application (MCA). Ces recrutements visent
le personnel qualifié employé dans les différents secteurs d’activité des SSII, et non les emplois
technologiques faiblement qualifiés du secteur du Business Process Outsourcing (BPO) et des
centres d’appel.
Les procédures de recrutement sur campus se déroulent en général en trois ou quatre temps
dans un ordre variable, chaque étape étant éliminatoire. Les étudiants doivent d’abord répondre
aux critères d’éligibilité établis par les entreprises. Ils sont ensuite soumis à une série de tests
écrits portant sur leurs aptitudes intellectuelles générales, puis ils passent un entretien
individualisé avec des ingénieurs qui évaluent leurs compétences techniques et, enfin, un
entretien avec un responsable des relations humaines. À cela, s’ajoute parfois une réunion de
groupe réunissant sept à huit étudiants qui doivent débattre sur un thème donné sous le regard
d’un recruteur chargé d’apprécier leurs comportements au sein d’une équipe.
Mais ce schéma varie selon l’importance des SSII, les écoles qu’elles visent et le degré de
maturité de leurs procédures.Vont être décrits quatre modes de recrutement, l’un pour deux des
plus importantes SSII indiennes, le second pour une SSII de taille moyenne, le troisième pour
une petite société, et la dernière enfin pour une start-up.
–6.1 TATA CONSULTANCY SERVICES (TCS) ET INFOSYS–
Les modes de recrutement de TCS et d’Infosys permettent de comprendre comment les plus puissantes
SSII (comme Wipro, Cognizant, MindTree et Hindustan
Computer Limited) orientent en amont, pour leurs
propres besoins économiques, la formation de ce personnel qualifié. Les critères de sélection, hautement
compétitifs, visent à recruter les étudiants ayant les
meilleurs résultats scolaires au sein d’un enseignement technologique de masse dont la qualité est régulièrement mise en cause par le monde de l’entreprise.
Les recrutements des freshers se font à la fin du 6e
semestre, c’est-à-dire en fin de la 3e année d’études,
pendant les mois d’avril et de mai, avant que ne débutent les vacances d’été correspondant en Inde à la
saison chaude. En collaboration avec les cellules de
placements des écoles, les SSII envoient sur les campus leurs équipes de ressources humaines qui procèdent aux tests de sélection et aux entretiens. Au
terme du processus qui ne dure qu’un ou deux jours
pour les grandes entreprises, les étudiants sélectionnés reçoivent une lettre d’embauche qui prendra effet
deux semestres plus tard, à la fin de leur quatrième
année d’études du Bachelor of Engineering. Mais
avant d’intégrer véritablement l’entreprise, ils devront
encore suivre une formation interne d’une durée de
trois à six mois. Les SSII recrutent dans toutes les
78
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
disciplines d’ingénierie, et pas seulement dans les
disciplines des TIC, drainant ainsi une grande partie
des ingénieurs diplômés en ingénierie civile, mécanique ou électricité. Cette diversité des profils de recrutement répond aussi en partie à l’informatisation
croissante des métiers au sein des divers secteurs
d’ingénierie.
Tata Consultancy Services (encadré 14) emploie environ 170 000 personnes en Inde, soit près de 70 % de
sa main d’œuvre. Le recrutement des nouveaux diplômés représente 60 % du total du personnel embauché
chaque année par TCS. Depuis cinq à sept ans, les
procédures de recrutement sont très formalisées.
En 2012, TCS a recruté 45 000 nouveaux employés,
et, parmi eux, 3 500 étudiants en une journée sur un
même campus, record obtenu par une équipe d’une
centaine de recruteurs à l’université SRM (Sri Ramaswamy Memorial) à Chennai au Tamil Nadu.
La première étape de la procédure mise en palce par
TCS consiste à sélectionner, parmi les 3 500 écoles
d’ingénieurs (chiffres de 2011), les 500 écoles que le
groupe accrédite afin de préparer les recrutements en
amont. Cette sélection est faite en interne par TCS :
ses équipes visitent les établissements, les notent
puis les classent selon une liste de critères portant sur
la qualité des infrastructures, les qualifications des
enseignants, la nature des programmes et les résultats scolaires des étudiants.
La seconde étape porte sur les programmes de formation et d’animation que TCS développe avec les enseignants et les étudiants de ces écoles. Ses équipes visitent régulièrement les écoles accréditées où elles
présentent le groupe Tata, l’évolution du secteur des
TIC, les différentes branches d’activité, et les demandes
en termes de qualification. Le groupe a mis en place un
portail pédagogique, Academic Interface Programme,
qui gère les différentes actions visant les écoles : stages
pour les étudiants, récompenses pour les meilleurs
élèves et enseignants, ateliers thématiques, patronage
d’activités scolaires ou culturelles (notamment les
grandes techno-fêtes annuelles que chaque école organise). Les étudiants sont également invités à se connecter sur le portail qui est conçu sur un mode interactif
pour qu’ils se familiarisent avec le groupe.
« Une fois que les écoles sont accréditées, nous
nous embarquons dans un processus d’interaction
continue avec elles. » (Entretien avec le directeur
des ressources humaines, responsable de l’embauche des nouvelles recrues pour l’ensemble de
TCS, Chennai, février 2012)
La troisième étape est celle du recrutement proprement dit. Le jour venu, les étudiants sont rassemblés
devant des terminaux d’ordinateurs dans les salles de
l’école et doivent s’inscrire en ligne sur le portail de
TCS. Pour être éligibles au recrutement, les étudiants
doivent aligner des résultats scolaires constants à
hauteur minimum de 60/100 pour la classe de seconde, de terminale et durant les trois premières années de leurs études d’ingénieurs. Tout élève ayant
obtenu moins de 60/100 en classe de seconde (Class
X), quels que soient ses résultats scolaires ultérieurs,
est éliminé du processus de recrutement. Ce critère
(élevé parfois à 65/100) vaut d’ailleurs pour toutes
les grandes SSII. Il peut être durci par une présélection des étudiants ayant validé toutes leurs matières
sans aucun report d’une année sur l’autre : c’est le
critère du zéro ATKT (Allowed to Keep Terms, certificat
qui permet à un étudiant de passer en année supérieure même s’il lui reste à valider de une à quatre
matières). Ces critères de présélection ne valent bien
sûr que pour le recrutement des freshers. Pour les
employés recrutés en cours de carrière, seule compte
leur expérience professionnelle, règle qui permet aux
moins chanceux des freshers d’intégrer ultérieurement un grand groupe.
Quatrième étape, les étudiants retenus doivent répondre à des tests d’aptitudes générales. Ces tests
sont entièrement informatisés et conçus pour éviter
tout copiage (d’un poste à l’autre, les tests ne sont
pas formellement identiques). Une seconde liste
d’étudiants est établie selon le score final obtenu.
Les équipes de recrutement procèdent alors à la cinquième étape qui consiste en deux séries d’entretiens
individualisés portant d’abord sur les compétences
technologiques puis sur les compétences générales
(soft skills).
À la fin de la journée, TCS est en mesure de délivrer
par email une proposition d’embauche aux étudiants
sélectionnés, à valoir à la fin de l’année universitaire
suivante.
Infosys a mis en place des procédures de recrutement
similaires à celles de TCS. La société sélectionne les
écoles avec lesquelles elle collabore et déploie
deux programmes pour s’attirer les nouveaux
diplômés : le premier, Instep ou Infosys Global Internship Program, s’adresse aux étudiants des grandes
universités du monde entier qui souhaitent accomplir
un stage sur le campus d’Infosys à Bangalore ; le second, Campus Connect, permet à Infosys d’établir des
liens avec les écoles en Inde, de manière comparable
au programme de TCS.
Campus Connect est un programme de collaboration entre le monde des entreprises de services et
celui de l’enseignement pour ajuster les compétences des étudiants aux besoins de l’industrie.
(Infosys, Campus Connect Program Overview,
version 3.0, Avril 2008, p. 3)
Infosys cherche cependant à élargir la base sociale et
géographique de son recrutement, notamment pour
les employés du secteur BPO (Business Process Outsourcing), en formant les jeunes des moyennes et petites
villes de l’Inde pour travailler dans les centres d’appel.
Dispensé par les enseignants des écoles sélectionnées,
selon le principe qu’il faut « former les formateurs », ce
programme intitulé Project Genesis comporte deux
volets. Le premier module (Language enhancement)
vise l’amélioration des compétences linguistiques
écrites et verbales en langue anglaise, tandis que le
second module (Analytical Skills) s’attache à développer les compétences d’analyse des étudiants.
Mais Infosys travaille plus en amont encore pour se
faire connaître des jeunes, bien avant qu’ils n’accèdent aux études professionnelles longues. Le Catch
Them Young Program s’adresse aux lycéens des
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
79
–6–
80
LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS
classes de seconde à la terminale auxquels est proposé un mois d’initiation aux TIC. Au terme de ce
stage, ils sont invités à travailler pendant deux mois
avec Infosys sur un projet qu’ils auront élaboré avec
l’entreprise. Infoys anime également des ateliers de
sensibilisation aux TIC, en langues indiennes, auprès
des collégiens des zones rurales. Ce travail qui ne vise
aucun recrutement, est présenté par Infosys comme
partie intégrante de son programme de responsabilité sociale (Corporate Social Responsability), programme pour lequel il a reçu le prix de la National
Outsourcing Association en 2011. Comme le déclare
la société sur son site, c’est aussi une manière de
diffuser son « image de marque avec conscience ».
Hindustan Compter Limited (HCL) dispose d’un programme homologue, HCL Learning, qui entend « couvrir dans toutes ses dimensions éducatives, les besoins
en formation et en apprentissage des écoles et des
universités, pour les individus comme pour les entreprises », selon le site Internet du programme.
L’entreprise française Capgemini-India, qui emploie
40 000 personnes en Inde, procède pour ses recrutements de manière analogue aux grandes SSII que l’on
vient d’évoquer. Recruter entre 6 000 et 8 000 employés par an (volume dans les deux dernières années
2011-2012), dont une grande partie de freshers, impose ces grandes campagnes de recrutement sur les
campus. Les nouvelles recrues suivent ensuite une
formation complémentaire d’une durée de huit semaines en interne, avec des évaluations à la fin de
chaque semaine et en fin de cycle de formation, avant
d’être confirmées dans leur recrutement.
Le contrôle des processus de recrutement et de formation par les SSII est renforcé par la contrainte scolaire
qui pèse sur les étudiants. La réputation des écoles
se fondant sur leur taux de placement, les étudiants
doivent se soumettre obligatoirement aux tests d’embauche de toutes les sociétés qui se présentent dans
l’école, et la pression est forte pour qu’ils acceptent
la première offre qui leur est faite. Un étudiant de
l’université privée Sathyabama, à Chennai, raconte
ainsi qu’il a été recruté par Hindustan Computer Limited (HCL) après avoir été éliminé de quatre autres
entreprises à différents stages de la sélection (l’école
n’était pas accréditée par TCS). C’est l’entreprise qui
détermine aussi le domaine dans lequel vont travailler les étudiants (en Dot. net, en Java, ou en C ++…)
selon leurs résultats aux tests techniques et selon les
besoins du moment de l’entreprise.
Mais, un an plus tard, certains étudiants n’intègrent
pas la SSII qui les a recrutés, soit parce qu’ils ont
trouvé mieux de leur côté, soit parce qu’ils ont décidé
de poursuivre leurs études afin d’obtenir un diplôme
en management, Post Graduate Diploma in Management (PGDM).
Cependant, les enseignants des écoles d’élites, en
particulier ceux des Indian Institutes of Technology,
s’opposent fortement à cette production en masse de
techniciens dont les qualifications sont directement
déterminées par et orientées vers les besoins des
grandes sociétés du secteur des TIC.
« C’est une sélection assez forte. Le processus est
beaucoup plus long qu’en France. En France, on
recrute un ingénieur et il est directement opérationnel, parfois un peu trop vite. Il n’y a pas cet
investissement de formation suite à l’embauche.
Ici [en Inde], c’est un processus de formation
intégré de huit semaines qui est obligatoire. Et
après, il peut y avoir un programme d’une durée
d’un mois en double commande sur un projet
« Les IIT n’ont pas pour vocation de produire des
Bachelor of Technology qui soient directement
employables par l’industrie ; il y a d’autres écoles
pour cela ; notre vocation est de former des ingénieurs qui sachent analyser un problème. » (Entretien avec les professeurs Shantakumar, département d’aérospatial, et B. Ramamoorthy,
département de mécanique, IIT-Chennai, février 2012) l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
avant d’être totalement opérationnel. » (Cadre
Capgemini-India, Mumbai, entretien 3 avril 2013)
–6.2. LASON INDIA LIMITED–
Lason India, petite filiale d’une entreprise américaine,
employait environ 2 000 personnes à Chennai en
2006, avant d’être rachetée par l’entreprise indienne
HOV Services, qui compte aujourd’hui près de 15 000
employés. Lason opérait essentiellement dans le secteur du BPO, mais l’entreprise disposait aussi d’un
volant d’ingénieurs pour des tâches plus techniques.
Avant la fusion avec HOV Services, au début des années
2000, les procédures de recrutement se faisaient encore
par voie d’annonce sur les sites spécialisés en ligne,
comme Naukri.com, mais gérer l’embauche de plusieurs
centaines d’employés était laborieux. L’entreprise décida alors de recruter directement sur les campus. Opérant exclusivement depuis Chennai, Lason India a circonscrit son recrutement à l’état du Tamil Nadu, mais
au lieu de s’adresser aux grands établissements implantés à Chennai, l’entreprise a visé les écoles du sud de
l’état, autour des villes de Tirunelveli et de Madurai.
« Nous avions fait une étude qui montrait que les
jeunes diplômés de la région de Chennai avaient
des attentes élevées en termes de salaire, et qu’ils
ne restaient pas longtemps chez nous ; on avait
un taux d’attrition important parmi ces recrues.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes
déplacés dans le sud. » (Entretien avec une ancienne DRH Lason India, responsable du recrutement, Chennai, février 2012)
Une fois le bassin de recrutement choisi, l’équipe
chargée des recrutements a sélectionné entre dix et
quinze collèges en utilisant des réseaux d’informateurs, puis passé des annonces dans la presse et dans
les radios locales afin de faire connaître leur présence
dans la région, et invité les étudiants à se rendre à la
« foire à l’emploi » organisée dans une des écoles et
où les étudiants des autres écoles environnantes devaient se présenter. Contrairement aux grandes SSII,
Lason recrutait uniquement les élèves ingénieurs en
fin de quatrième année d’études. Le critère d’éligibilité se limitait aux résultats du 8e semestre, mais il
était fixé à 75 %, sans matière à rattraper. Le millier
d’étudiants éligibles passait une série de tests pour
juger de leurs compétences générales et environ 800
étaient sélectionnés pour l’étape suivante : un entretien individuel, et 500 à 600 d’entre eux étaient alors
soumis à une troisième épreuve de discussion de
groupe. Enfin, une dernière épreuve portait sur les
compétences proprement techniques.
« On mettait les tests techniques à la fin parce que
le plus important, pour nous, c’étaient les
compétences générales, leur manière de parler,
leur attitude, car ils devaient traiter des dossiers
confidentiels de nos clients [des dossiers médicaux
notamment]. C’était plus facile d’améliorer leurs
compétences techniques, mais s’ils avaient eu une
mauvaise scolarité générale, on ne peut pas rattraper cela. » (idem)
Au terme du processus, 300 à 400 étudiants recevaient à la fin de la semaine de sélection une lettre
d’embauche pour un emploi permanent. Mais il fallait
encore tenir compte d’une perte de 10 à 15 % des
candidats qui ne se présentaient pas au moment
prévu pour leurs embauches. l
–6.3 SRA ENGINEERING SOLUTIONS (CHENNAI)–
SRA Engineering Solutions est une petite SSII qui emploie 300 employés, 200 sur le site de Chennai et 100
aux États-Unis. L’entreprise est organisée en quatre
domaines : TIC, Business Process, Management, Business Intelligence et Engineering services, mais elle tire
80 % de ses revenus de sa division TIC dont les activités sont destinées à l’exportation vers les États-Unis.
La société a été fondée en 1986 par trois personnes :
S. Srinivasan, un ingénieur BTech (mécanique) et
MTech (compturer science) de IIT-Madras, employé
d’IBM pendant neuf ans avant que la société américaine ne soit expulsée d’Inde en 1978, V. Kannan,
ingénieur BTech du Guindi Engineering College de
Chennai (dont la réputation est égale à celle d’un IIT)
et MTech (computer science) de IIT-Madras et, enfin,
par V. Thyagarajan, diplômé du Vivekananda College
de Chennai, ayant une longue expérience dans le
secteur de l’informatique, notamment aux États-Unis.
L’entreprise est installée sur trois niveaux dans un
immeuble modeste du centre-ville et non dans le corAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
81
–6–
LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS
ridor des TIC au sud de Chennai où le gouvernement
du Tamil Nadu a mis en place des Zones Economiques
Spéciales (ZES) pour accueillir les grandes SSII, mais
dont le coût d’installation est un frein à la relocalisation de l’entreprise.
SRA emploie des ingénieurs diplômés en computer
science, en électronique et communication, en électricité, et en mécanique, et recrute les nouveaux diplômés exclusivement hors campus. Faute de moyens
financiers et humains suffisants, SRA recrutent des
étudiants venant d’écoles de second rang, celles avec
lesquelles les puissantes SSII ne travaillent pas, car
les dirigeants de SRA savent qu’ils ne peuvent pas
rivaliser avec les moyens dont disposent les grandes
entreprises.
« Nous contactons les écoles qui n’ont pas de cellule
de placements car nous ne participons pas aux
“foires aux emplois” sur les campus, cela coûte trop
cher et les grandes entreprises raflent les meilleurs
candidats. Il est très difficile d’être en compétition
avec elles. […] De toute façon, on ne procède pas à
des recrutements de masse, on n’a pas d’employés
“on bench” [employés “sur le banc”, en attente
d’être affectés sur un projet], on essaie qu’il n’y ait
pas trop d’attente entre les projets. » (Entretien avec
une directrice des ressources humaines de SRA
System Lt, Chennai, février 2012)
Le processus de recrutement n’est pas moins sélectif
pour autant, de l’ordre de 10 % des candidats. Pour
recruter chaque année dix à quinze nouveaux diplômés, SRA fait passer des tests à une centaine d’étudiants et en retient une trentaine pour des entretiens
avant le choix final.
« On fait passer aux freshers des tests d’aptitude
générale, des tests de logique de raisonnement, et
on apprécie leur compétences élémentaires en
mathématiques, en Computer science et en anglais. Puis il y a une épreuve de discussion de
groupe et enfin un entretien individualisé où on
les interroge sur leur projet de fin d’études et sur
leurs attentes professionnelles. » (idem) l
–6.4 UNE START-UP À DELHI–
La National Capital Region (NCR), unité administrative du grand Delhi, englobe deux villes nouvelles où
se développent depuis une quinzaine d’années les
activités du secteur des TIC. Il s’agit des villes de Gurgaon, située dans l’état de l’Haryana au sud de Delhi,
et de Noida à l’est, dans l’état de l’Uttar Pradesh.
L’entreprise K. a été créée en 2002 par un groupe de
cinq professeurs et de sept étudiants (MTech) du
département de Computer science (sciences informatiques) de IIT-Delhi, dans le cadre d’un programme
d’incubation de nouvelles entreprises (Technology
Business Incubation Unit) mis en place en 1992 sur
le modèle américain de la Silicon Valley
En 2005, trois des sept ingénieurs ont fait le pari que
la start-up était viable, et ils ont installé l’entreprise
à Noida. L’entreprise se positionne sur un secteur
particulier, celui des usages de la détection et de la
reconnaissance optique, ses produits s’appliquent à
la vidéo surveillance ou à l’étude du trafic routier par
exemple. En 2010, l’unité de production employait
43 personnes, classant la société dans la catégorie
des petites entreprises innovantes ; en 2013, elle
compte près de 80 employés.
Pour développer ses produits, elle doit faire appel à parts
égales à des spécialistes du hardware, plutôt diplômés
82
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
en électronique et en électricité, et à des spécialistes de
software, plutôt diplômés en computer science. Mais il
faut aussi distinguer les employés qui sont du côté « support » (20 %) et ceux du côté « opération », ces derniers
se divisant encore en trois domaines techniques (système embarqué, optique, application).
« Cette année [2010] nous n’avons pas pu attirer
un seul diplômé du IIT-Bombay, les salaires qu’on
leur proposait étaient trop inférieurs aux offres
qui leur étaient faites par ailleurs. » (Entretien
avec la responsable des ressources humaines,
Noida, avril 2010)
Jusqu’à présent, l’entreprise a recruté essentiellement
des freshers lors des campagnes de recrutement menées dans les écoles d’élite : IIT-Kharagpur (Bengale),
IIT-Bombay et IIT-Madras, et les deux grandes écoles
d’ingénieurs de Delhi, la Delhi Technological University et le Netaji Subash Institute of Technology. Mais
les recrutements de qualité sont difficiles pour cette
petite entreprise qui doit offrir des salaires compétitifs. Elle n’a pas pu recruter de jeunes ingénieurs issus
du IIT-Delhi, malgré les liens institutionnels de l’entreprise avec cette école. l
–6 .5 RÉDUIRE LE FOSSÉ FORMATION-EMPLOI :
L’EXEMPLE DU CAMPUS INFOSYS–
Selon les informations diffusées par la Nasscom,
25% seulement des diplômés en ingénierie seraient directement employables par les sociétés de
services informatiques. La question de la qualité
de l’enseignement et celle de la formation complémentaire après recrutement et avant le premier
emploi sont donc cruciales pour ces dernières,
comme le souligne par exemple le directeur de la
filiale indienne de la compangie américaine Oracle
(encadré 24). Ce constat a conduit Infosys à ouvrir
son propre centre de formation que l’on présente
ci-dessous.
–
ENCADRÉ 24 : ENTRETIEN AVEC KRISHAN DHAWAN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE ORACLE-INDIA.
–
Krishan Dhawan a été directeur général de Oracle-India en
2005-2010. Né à Prague, ce fils d’un diplomate indien a fait
ses études supérieures dans les écoles indiennes d’élites, au
St Stephens College de l’Université de Delhi dont il est licencié en économie (BCom Hons) et à l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad où il a obtenu un diplôme en management. En 1978, il entre à la Bank of America lors d’une
campagne ordinaire de recrutement sur campus. Il reste
vingt-cinq ans dans cette banque où il occupe différents
postes d’importances aux États-Unis et en Asie. Après un
bref passage dans une société de services spécialisée dans
le BPO (EXL Services), il devient consultant, puis rejoint
Oracle India en 2005, riche de vingt-cinq ans d’expérience
managériale dans le milieu de la finance. On a traduit cidessous des extraits d’un entretien publié sur le site de la
Nasscom, Delhi, 19 juillet 2007.
Question : Comment les mondes de l’industrie et de
l’enseignement peuvent-ils collaborer pour réduire le déficit
croissant des compétences en Inde ?
Krishan Dhawan : C’est un double processus. Les sociétés du
secteur des TIC peuvent aider les écoles d’ingénieurs à définir
leurs curricula en s’assurant que les savoirs et les compétences
enseignés sont pertinents pour l’industrie. Cette collaboration
peut se faire de manière formelle ou informelle. Vous avez par
exemple le Mentorship Programme de la Nasscom qui s’adresse
aux entreprises et chez Oracle notre programme Oracle Academy qui vise la formation permanente ; dans les deux cas, il
s’agit de remédier aux défauts des compétences.
Mais je pense que les écoles dites Polytechnics (encadré 7)
constituent un secteur négligé en Inde. Tous les emplois des
TIC ne demandent pas d’avoir un grade universitaire, technique ou pas. Il faudrait que l’industrie aide les Polytechnics à
redéfinir leurs curriculum afin d’être plus en phase avec les
besoins de ce secteur d’activité. Oracle, par exemple, intervient
dans une centaine de Polytechnics du Karnataka, en collaboration avec le BITES (Board of IT Education Standards) de cet
état, et nous travaillons aussi avec une soixantaine de Jawahar
Knowledge Centres41 en Andhra Pradesh.
En ce qui concerne les compétences non-techniques (soft
skills), en matière d’expression, de travail en groupe, de prise
d’initiative, je pense qu’il faut mettre en place des programmes
dans les écoles secondaires et les lycées.
Question : Quelles sont les compétences qui devraient être
enseignées aux étudiants pour améliorer l’employabilité de la
main d’œuvre ? Quelle est la contribution d’Oracle dans le cas
de l’Inde ?
Krishan Dhawan : Pour les années à venir, les étudiants qui
veulent travailler dans le secteur des TIC doivent avoir accès
aux technologies de pointe utilisées par les entreprises partout
dans le monde. Oracle India fait tout son possible en ce sens.
Dans nos programmes non-lucratifs, nous offrons aux lycéens
et aux étudiants des logiciels gratuits ou à des prix
subventionnés très bas. Ces outils incluent des plateformes
d’auto-apprentissage, des logiciels éducatifs comme par
exemple Think.com, ThinkQuest et même Oracle Academy ;
avec ces outils nous touchons déjà 400 000 élèves en Inde.
Mais nous avons aussi des programmes commerciaux qui permettent d’obtenir des certifications. Ces programmes sont accessibles soit en ligne soit dans des centres de formation Oracle
ou chez nos partenaires. L’an dernier [2006] nous avons enregistré 95 000 inscriptions pour ces différents programmes. »
41. Équivalent à des centres dits Polytechnics.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
83
–6–
LE RECRUTEMENT DES NOUVEAUX DIPLÔMÉS
Le Campus d’Infosys (visite effectuée 16 septembre
2013) est situé dans la proche banlieue de la ville de
Mysore, au Karnataka, dont est originaire Narayana
Murty, le fondateur de la société (encadré 19), à centcinquante kilomètres au sud de Bangalore, la capitale
politique de l’état (encadré 12) où est installé le
siège d’Infosys. Le campus qui s’étend sur 135 hectares de parc boisé se compose de trois ensembles
distincts : d’un côté, un centre de formation pour les
ingénieurs nouvellement recrutés (trainees) par la
société, de l’autre, des development centers ou business units actuellement au nombre de six – ces deux
ensembles sont répartis autour de plusieurs terrains
de sports et d’une salle multiplexe prévue pour visionner des films et accueillir des conférences – enfin, le
fonds du campus abrite une zone résidentielle réservée aux seuls stagiaires et à quelques cadres dirigeants.
Du point de vue architectural, le style des bâtiments
associe trois registres. L’imposant bâtiment central du
centre de formation (Infosys Global Education Center
II) inauguré en 2009, à l’entrée du campus, est de
style néo-classique gréco-romain. La façade semi-circulaire donnant sur une cour dallée ouverte agrémentée d’un jet d’eau musical, combine fenêtres en
trompe l’œil, colonnades doriques et chapiteaux supportant un linteau en triangle, le tout surmonté d’un
dôme de soixante mètres de haut qui évoque celui de
Florence et se signale au loin en arrivant de la ville.
Le bâtiment composé de deux étages et d’un sous-sol,
au parterre en marbre orné du pays, abrite quatrevingt-dix-huit salles de classes d’une capacité de cent
places chacune, trois halls de réunion et trente-sept
bureaux pour les enseignants. La bibliothèque, également de style néo-classique avec étagères en bois
moulé à l’ancienne et véranda qui laisse pénétrer un
flot de lumière, occupe tout l’espace du second étage.
Elle rassemble environ 8 000 ouvrages en accès libre
qui peuvent être empruntés au moyen d’un système
automatisé réduisant le personnel au minimum (trois
employés) et plus d’un millier de revues accessibles
en ligne (il n’y a aucune revue papier). Le centre de
formation (auquel est adjoint un autre bâtiment mois
imposant inauguré en 2005) a une capacité totale
d’accueil et d’hébergement de 10 000 infosyiens,
nouvelles recrues et stagiaires de la société venant de
tous les états de l’Inde et des pays où Infosys est
implanté.
À l’opposé du pôle de formation, les unités de production, business units, composent un second ensemble
aux allures résolument modernistes, composées de
84
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
structures de verre et d’acier aux formes géométriques
dissymétriques. Chaque unité organisée en open
space à une capacité d’environ mille employés, et
elles abritent actuellement 6 500 ingénieurs qui
habitent tous hors du campus. Mais d’autres unités
de production sont en construction, selon un style
architectural imposant propre aux bâtiments de l’état
du Karnataka, et qui ne sont pas sans évoquer l’architecture russe des années 1930. Centres de formation
et business units sont agrémentés de neuf restaurants
(food courts) fermés ou en terrasse, où l’on sert une
multi-cuisine (indienne) et dans lesquels les employés
viennent consommer librement à toute heure du jour.
Enfin, au fonds du campus, le complexe résidentiel
ressemble aux banlieues urbaines que peuple la
middle class américaine, alignement de maisons individuelles de plein pied avec jardins ou petits immeubles de trois étages organisés autour d’un patio
fleuri auxquels on accède par de vastes allées plantées de verdure. Cela est presque un avant-goût du
rêve américain qui nourrit l’imaginaire de ces cols
blancs de la modernité indienne.
Les principales SSII indiennes ont mis en place des
programmes de formation pour les freshers qu’elles
recrutent. Mais Infosys est la seule société à disposer
d’un véritable campus organisé à cet effet. Les programmes de formation qui sont dispensés ont un
double objectif, d’abord, compléter les lacunes de
l’enseignement que les jeunes ingénieurs ont reçu
dans leurs engineering colleges, ensuite, former ces
ingénieurs aux outils technologiques qui sont spécifiques à Infosys. À cet égard, les formations sont étroitement adaptées aux besoins conjoncturels du marché auxquels la société doit pouvoir répondre
rapidement. Pour les freshers, il n’y a quasiment pas
de rupture entre la période de recrutement dans les
colleges et l’entrée sur le campus de Mysore qui est
vécue comme un prolongement de leurs années
d’études. Car dès leur diplôme en poche, les nouvelles
recrues doivent suivre des formations dispensées on
line par la compagnie et se soumettre à des tests de
contrôle. Les formations reçues sur le campus varient
en contenu et en durée selon les résultats à ces tests.
La formation de base, dont la durée tend à se réduire
pour être en phase avec l’évolution du marché, s’étale
sur vingt-trois semaines et porte sur quatre domaines :
Technical, Process & Quality, Soft Skills et Values. Les
trainees sont soumis à un contrôle continu intensif
tout au long de ces six mois de formation, ce qui fait
dire à certains qu’ils n’ont guère le loisir de bénéficier
des infrastructures sportives et de loisir mises à leur
disposition. Selon le directeur du centre de formation
que nous avons rencontré, il y aurait environ 35 % à
40% de filles parmi les trainees et, de fait, dans cette
population très juvénile, la mixité est notable sur
l’ensemble du campus, dans les allées comme dans
les restaurants.
Le campus d’Infosys est unique en son genre par sa
taille et les idées directrices qui ont présidé à sa
conception, réunissant à la fois un centre de formation et des unités de production. D’après les infor-
mations dont la presse se fait l’écho, mais qui nous
été démenties en personne par le directeur du
Centre global de formation que nous avons interrogé, la question de la rentabilité de ce campus
pourrait amener la société, à terme, à convertir ce
centre en une véritable Corporate University délivrant ses propres diplômes technologiques, selon un
modèle déjà très répandu en Inde où l’on compte
une bonne dizaine de ces universités adossées à un
groupe industriel. l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
85
86
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–LES EMPLOYÉS
DU SECTEUR
INFORMATIQUE.
PORTRAIT
DE GROUPE –
–7–
88
Présentation de l’enquête
90
Qu’appelle-t-on un informaticien ?
92
Portrait de groupe
96
Le secteur des TIC est-il un milieu professionnel fermé ?
98
Essai de typologie
103
La question des diplômes
109Les informaticiens comme nouvelle fraction des classes moyennes
urbaines
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
87
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
–7.1 PRÉSENTATION DE L’ENQUÊTE–
42. L ’analyse de cette enquête a été
effectuée en partie par Alain Olivi
dans le cadre du stage de
troisième année de l’École
polytechnique, effectuée au
Centre de Sciences Humaines à
Delhi ; Alain Olivi, « La Fabrique
de l’ingénieur indien : le cas du
secteur informatique », Rapport de
fin de stage, New Delhi. (Centre
de Sciences Humaines, 2012).
L’analyse des employés du secteur des TIC est confrontée aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans
l’analyse des entreprises. Faute de connaître les caractéristiques de la population de référence, il est impossible de qualifier la représentativité de l’enquête très
limitée que nous avons pu mener auprès de quelquesuns d’entre eux (n = 500). En se fondant néanmoins
sur la connaissance partielle que l’on peut avoir de
ce milieu professionnel, soit par des études de terrain
ou à travers la presse spécialisée, nous avons défini
plusieurs critères de sélection des personnes enquêtées, qui sont autant de caractéristiques de l’échantillon (encadré 25)42.
–
ENCADRÉ 25 : CADRAGE DE L’ENQUÊTE
–
Le protocole d’enquête
L’enquête a été menée par téléphone, entre novembre 2011 et
janvier 2012, auprès de cinq cents employés en activité dans le
secteur des TIC. La moitié des personnes interrogées devaient
être salariées des vingt premières entreprises ci-dessous :
1. Tata Consultancy Services (TCS)
11. Cisco India
2. Wipro Technologies
12. Oracle India
3. Infosys Technologies
13. HCL Infosystem
4. HP India
14. Intel India
5. IBM
15. Accenture
6. Ingram Micro
16. Tech Mahindra
7. Satyam Computer Services
17. Microsoft India
8. Cognizant Technologies Solutions 18. SAP India
9. Redington India
19. Dell India
10. Hindustan Computers Limited
20. Lenovo India
La moitié restante des personnes enquêtées devaient être salariées des entreprises sélectionnées en dehors de cette liste.
La population de l’enquête a été en outre stratifiée selon le
nombre d’années d’expérience réparti ainsi :
< 2 ans expérience
16 %
2-5 ans
36 %
5-10 ans
32 %
10-15 ans
14 %
> 15 ans
2%
Enfin, 25 % des personnes interrogées devaient être des femmes.
Le questionnaire
Le questionnaire était construit autour de trois thèmes détaillés en 131 questions totalisant 334 modalités : les activités
professionnelles, l’éducation et formation professionnelle, et
le milieu d’origine socio-économique.
La première partie visait à saisir les tâches auxquelles les ingénieurs sont employés au quotidien. On demandait de men-
88
tionner les champs de l’informatique dans lesquels ils travaillaient (à partir de catégories prédéfinies : software, database,
network, system, hardware, web, etc.), puis de donner la dénomination de leur emploi telle qu’elle était définie par
l’entreprise (job designation), et de lister les trois tâches (duties) les plus importantes de leur occupation présente. En
complément, on présentait un ensemble de vingt-trois compétences (skills) en informatique et en management pour lesquelless on demandait aux enquêtés d’en définir l’importance
dans leur emploi présent et d’autoévaluer leur degré d’aptitude dans ces compétences.
Un autre ensemble de questions portait sur l’entreprise, le
salaire et les différents bénéfices et avantages associés (bonus, stock-options, retraite, assurances, flexibilité, etc.). On a
également interrogé les employés sur leurs relations avec des
clients étrangers ou leurs séjours de travail à l’étranger.
Enfin, on souhaitait retracer les parcours professionnels en
obtenant des renseignements sur les emplois précédents, les
modes de recrutement, les raisons de changement d’emploi
et les évolutions entre emploi technique et emploi de type
managérial.
La seconde partie portait sur le parcours scolaire retracé depuis la classe de terminale jusqu’aux études supérieures. En
effet, en Inde, les employeurs recrutent les nouveaux entrants,
les freshers sur la base des résultats scolaires obtenus depuis
les classes de lycée jusqu’à la licence en ingénierie. Une section portait sur les formations professionnelles suivies et les
certifications spécialisées obtenues (Microsoft, Oracle, SAP
par exemple).
La troisième partie du questionnaire, enfin, avait pour objectif
d’obtenir des informations d’ordre socio-économique sur la
famille dont étaient issus ces ingénieurs, la religion, le milieu
géographique d’origine (urbain, rural), la langue maternelle,
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
le sentiment d’appartenance de caste et de classe, et l’occupation des parents. Une dernière question portait sur la présence ou non d’ingénieurs parmi les autres membres de la
famille.
Difficultés rencontrées
La première difficulté rencontrée est liée au fait que le questionnaire s’est révélé trop long et trop compliqué pour être
administré facilement par téléphone auprès de personnes
contactées sur leur lieu de travail.
La seconde difficulté a concerné les emplois occupés, ou les
postes. Les métiers déclarés ont manqué de précision et sou-
vent leurs domaines d’application ne correspondaient pas aux
nomenclatures des magazines spécialisés dans les TIC que
nous avions reprises. La reconstitution des parcours professionnels s’est aussi avérée difficile faute de pouvoir se fonder
sur des grilles de métiers stabilisées.
Enfin, les questions de la troisième partie portant sur les origines socio-économiques familiales ont été souvent perçues
comme relevant de la vie privée et sans lien avec les questions
d’ordre professionnel auxquelles les enquêtés sont habitués à
répondre.
Pour toutes ces raisons, l’exploitation du questionnaire a dû
être réduite et simplifiée.
Voici les principales caractéristiques de la population
enquêtée (tableaux 12-15). La population se compose de 73 % d’hommes et de 27 % de femmes,
conformément au protocole d’enquête. Ces informaticiens travaillent dans des entreprises multinationales indiennes ou américaines pour la majorité
d’entre elles (84 %), et le plus souvent cotées sur les
places boursières en Inde (67 %). 30 % travaillent à
Bangalore, 24 % à Mumbai, 13 % à Pune (soit 37 %
pour ces deux villes qui bornent une conurbation industrielle en cours de développement), et 17 % à
Delhi et dans sa couronne péri-urbaine. Chennai et
Hyderabad sont sous-représentés au regard des sociétés de services membres de la Nasscom dont on a
cartographié l’implantation (voir carte 2). l
– Tableau  13 –
Répartition géographique de la population enquêtée
– Tableau  12 –
Répartition de la population enquêtée par sexe
– Tableau  14 –
Répartition par type d’entreprise
Ville
État
%
Bangalore
Karnataka
148
30
Chennai
Tamil Nadu
42
8
Hyderabad
Andhra Pradesh
30
6
Mumbai
Maharashtra
118
24
Pune
Maharashtra
63
13
NCR
National Capital Region
84
17
Autres
Divers
15
2
Total
Ensemble Inde
500
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
Sexe
Nb
%
Entreprise
Nb
%
Hommes
366
73
Nationale
79
16
Femmes
134
27
Multinationale
421
84
Total
500
100
Total
500
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
Nb
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  15 –
Entreprises cotées en bourse (Inde)
Cotée en bourse
Nb
%
Oui
336
67
Non
164
33
Total
500
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
89
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
–7.2 QU’APPELLE-T-ON UN INFORMATICIEN ?–
Les métiers de l’informatique constituent une des
boîtes noires du secteur des TIC en Inde. Ils n’ont pas
fait l’objet d’études empiriques dont nous ayons
connaissance, leurs définitions ne révèlent aucun
consensus et le nombre des personnes exerçant ces
activités mal définies n’est connu que par une évaluation assez grossière faite par la Nasscom. On dispose
pourtant de plusieurs types de classification des activités, mais aucune n’est réellement opérante. Il n’y a
pas de nomenclatures stabilisées pour décrire les
métiers de l’informatique exercés en Inde.
Le ministère du Travail et de l’emploi dispose d’une
classification nationale des emplois occupés (« occupation »), ou des postes, (Indian NCO), qui est une
adaptation de la classification standard internationale (ISCO). Deux nomenclatures sont disponibles. La
première, Indian NCO-68, fondée sur l’ISCO-66 distingue quatre groupes d’employés techniques pour le
secteur informatique : les programmeurs, les analystes systèmes, les opérateurs de traitement automatique de données, et les opérateurs de machines informatiques. Cette nomenclature est utilisée pour les
enquêtes que conduit la National Statistical Survey
Organisation (NSSO). La seconde nomenclature, plus
récente mais peu utilisée, Indian NCO-04, fondée sur
l’ISCO 88, ne distingue plus que trois catégories que
l’on peut regrouper en deux : d’une part les informaticiens professionnels et les associés et, d’autre part,
les secrétaires et employés qui effectuent la saisie de
données sur ordinateur. Ces deux classifications des
métiers de l’informatique sont sans rapport réel avec
les emplois occupés que l’on observe dans les entreprises du secteur des TIC.
Les données en provenance des entreprises sont de
deux sortes. Les employés sont classés, d’une part, selon les catégories utilisées dans les grilles de salaires
(salary band) et, d’autre part, selon des désignations
liées aux tâches effectuées (job designation). Les grilles
de salaires sont assez peu étendues, aussi les entreprises recourent-elles à la multiplication des désignations afin que les employés se sentent gratifiés d’un
titre visant à rehausser leur place dans les hiérarchies
des postes occupés. Ces désignations changent d’une
entreprise à l’autre, et même d’un centre à l’autre au
sein de la même entreprise dont les activités sont divisées en plusieurs branches. En outre, les entreprises
sont réticentes à rendre publiques les informations afin
de se protéger des concurrents.
90
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
« Je peux vous expliquer les différents types de
métiers qu’il y a dans le centre de Wipro où je travaille, mais je serai incapable de vous dire ce qu’il
en est dans les autres centres, à Delhi. Wipro doit
avoir une dizaine d’unités ici dans la région de
Delhi (la National Capital Region). Je ne sais
même pas si vous pourrez trouver un HR chez Wipro
qui a une connaissance complète de la division des
postes dans toutes les unités de la société. Et puis
tout cela c’est un peu secret. » (Entretien avec H. B.
Project Manager, Wipro, Delhi, février 2012)
Pourtant, les tâches qu’un ingénieur ou un informaticien effectue sont relativement normalisées, comme
en témoignent le Soft-Ware Engineering Book of
Knowledge (SWEBOK) ou, encore, les certifications
techniques que délivrent par exemple Microsoft ou
Oracle, grands producteurs de logiciels et des formations qui les accompagnent. Mais dans la pratique,
les tâches spécifiques que les mêmes agents sont
susceptibles d’effectuer varient selon les entreprises.
Un ingénieur système peut effectuer des tâches complexes ou s’occuper du fonctionnement de quelques
serveurs selon la nature de l’entreprise et de l’équipe
dans laquelle il travaille. Par ailleurs, ces métiers techniques n’ont pas vraiment donné lieu à une structuration en profession, au sens anglo-saxon du terme.
Les désignations de programmeur, développeur, ou
ingénieur informaticien sont peu stabilisées et les
associations professionnelles peu présentes sur ce
terrain. Enfin, ce secteur de services étant relativement récent, en Inde, les entreprises, qui travaillent
principalement pour l’exportation, ont eu tendance
à mettre en place des nomenclatures formelles des
postes afin d’attester une conformité aux normes du
secteur, gage du sérieux technique de la société.
Une dernière source externe d’informations pour
aborder la diversité des métiers des TIC, est fournie
par les sites d’offres d’emplois comme Naukri.com (un
site indien, naukri signifie travail, en hindi) et Monster.com (un site américain) qui servent de relais entre
les employeurs et les employés. Monster, par exemple,
identifie quatre secteurs techniques : système administration et maintenance, design et développement,
system implementation, et management. Chacun de
ces secteurs englobe différents postes techniques
totalisant soixante intitulés d’emplois qui se distribuent dans dix-sept branches activités (encadré 26).
–
ENCADRÉ 26 : NOMENCLATURE DES EMPLOIS DU SECTEUR DES TIC PAR BRANCHES D’ACTIVITÉ,
SECTEURS TECHNIQUES ET POSTES SELON L’AGENCE D’EMPLOI MONSTER.COM
–
BRANCHES D’ACTIVITE
- Advertising
- Automotive/Ancillaries
- Banking/Financial services
- Consultancy
- Dotcom
- E-Learning
- Education
- Engineering, Procurement, Construction
- Entertainment, Media, Publishing
- IT Computer/Hardware
- IT Computer/Software
- ITES/BPO/KPO
- Insurance
- Machinery, Equipment manufacturing
- Retailing
- Semiconductor
- Telecom
SECTEURS TECHNIQUES & EMPLOIS OCCUPÉS
1. Administration & Maintenance (9 postes)
- Database administrator
- System administrator
- Hardware Installation/maintenance engineer
- Network administrator
- Security system engineer
- Technical support engineer
- Software Installation/maintenance engineer
- Web master/Web site manager
- IT networking (Electronic Data Processing, EDP) manager
2. Design & Development (32 postes)
- Software engineer/programmer
- Team leader/technical leader
- Project leader/project manager
- System analyst/technical architect
- Database architect/designer
- Network designer
- Software test engineer
- Graphic designer/animator
- Instructional designer
- Product manager
- Configuration manager/release manager
- Hardware design engineer
- Hardware design technical leader
- Program manager
- Vice-President (VP)/General Manager (GM) Quality
- Information system (MIS) manager
- VP/head – technology (IT)
- Chief Technology Officer
- Chief Information Officer
- Vie-President (VP) – Operations/Chief Operating Officer
(COO)
- Strategic Business Unit (SBU) Head/Profit centre head
- CEO/Managing Director (MD)/Country manager
- Director on board
- Delivery manager
- Security analyst
- Trainer/Faculty
- Technical writer
- Quality assurance executive
- Quality assurance – manager
- Computer operator – data entry
- External consultant
- Other software hardware, Electronic Data Processing (EDP)
3. System implementation (7 postes)
- Business analyst
- Data warehousing consultant
- System integrator
- ERP (Enterprise Resource Planning), Customer Relationship
Management) CRM – Functional consultant
- ERP, CRM – Technical consultant
- ERP, CRM – Support engineer
- Electronic Data Processing (EDP)
4. Management (11 postes)
- Program manager
- VP/GM Quality
- Information system, Management Information system (MIS)
manager
- VP Head – Technology (IT)
- Chief Technology Officer- Chief Information Officer
- VP Operation, Chief Operating Officer (COO)
- SBU head – Profit Centre head
- CEO/MD/Country manager
- Director on board
- Delivery manager
Source : http://www.monsterindia.com/
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
91
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
Cette nomenclature des métiers de l’informatique
donne une idée des profils de poste que cherchent les
employeurs, mais elle est trop détaillée pour être utilisée dans une enquête ne concernant que cinq cents
personnes.
Les fonctions déclarées dans l’enquête ont donc dû
être retravaillées afin d’être précisées puis synthétisées de manière significative. À cette fin, les réponses
portant sur les champs d’activité (database, software,
network), les compétences (skills) et les intitulés de
postes déclarés ont été combinées.
La question sur les compétences n’a pas soulevé
de difficultés auprès des enquêtés. En effet, les
salariés de ce secteur sont habitués à remplir des
grilles d’auto-évaluation dans le cadre des pro-
grammes de management mis en place par les
responsables des ressources humaines des entreprises. L’auto-évaluation des objectifs et des compétences fait partie des modes de régulation de
ces métiers où chaque salarié dispose d’une marge
d’action lui permettant théoriquement de gérer
individuellement ses activités pour pouvoir évoluer dans l’entreprise.
Une idée sous-jacente à l’utilisation des compétences
auto-déclarées est que celles-ci forment des groupes
de variables significativement corrélées : les personnes exerçant les mêmes activités mobiliseraient
les mêmes compétences, la structure latente de ces
dernières pouvant être prise, alors, comme une approximation de l’ensemble des métiers. l
–
ENCADRÉ 27 : LES PROCÉDURES D’ÉVALUATION DES EMPLOYÉS CHEZ INFOSYS
–
Chez Infosys, les employés sont soumis deux fois par an à une
évaluation dont l’enjeu financier est triple : attribution d’une
prime de performance, augmentation du salaire ou promotion
(proposée en général tous les deux ans).
Cette évaluation porte, d’une part, sur les tâches accomplies
dans une période d’observation donnée et, d’autre part, sur
les capacités d’analyse et d’apprentissage des employés. Six
critères notés de 1 à 5 sont retenus : la réactivité, les facultés
de concentration, les capacités d’innovation, les qualités de
la relation avec les clients, la valeur ajoutée aux tâches, et les
capacités d’organisation, de planification du travail. Cette
évaluation suit différentes étapes : test d’auto-évaluation,
entretien en face à face avec le team leader et avec le project
manager, rapport du project manager aux services des relations humaines, retour de l’évaluation à l’ingénieur concerné
et prise de décision finale. L’auto-évaluation est effectuée au
moyen d’outils automatisés dont les procédures sont hautement normalisées. Infosys utilise un programme en ligne appelé PerforMagic.
Afin de rationaliser les profils de carrières au sein de l’entreprise, de nouvelles procédures de promotion ont été mise en
place, en 2009, au moyen d’un programme dénommé
« iRace » (pour Infosys Role and Career Enhancement). « Les
employés sont promus tous les deux ans, ils obtiennent un
nouvel intitulé de poste, un nouveau salaire, de nouveaux
bénéfices mais ils continuent de faire le même travail, alors les
gens sont déçus » déclarait Nandita Gurjar, Global HRD chez
Infosys en 2009. En effet, les employés, peu satisfaits de ces
nouvelles procédures, ont rapidement caricaturé celles-ci en
la nommant « I Race », « je cours … après une promotion ».
–7.3 PORTRAIT DE GROUPE–
Nomenclature des métiers
Les difficultés rencontrées pour établir la grille des
emplois occupés ne nous ont pas permis de procéder aux mêmes opérations pour les emplois antérieurs qui n’étaient pas assez bien renseignés. La
92
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
présentation des résultats portent donc sur la situation dans l’emploi au moment de l’enquête. Il
s’agit d’une vue instantanée qui ne renseigne pas
ou peu sur les parcours professionnels mais qui
informe sur la situation de l’emploi au moment de
l’enquête.
On distingue trois groupes principaux d’informaticiens
selon le type d’activité dominante. Le premier, le plus
important en structure (56 %) est composé de la masse
des « ingénieurs software » qui peuvent être répartis selon qu’ils sont plutôt versés dans la programmation, le
test, le design, ou le support technique. Une deuxième
catégorie (20 %) regroupe les informaticiens orientés
vers les tâches autres que la programmation, comme la
gestion système ou de bases de données. Les managers
proprement dits, qui dirigent des équipes d’ingénieurs
software impliqués dans des projets forment 14 % de la
population enquêtée. Enfin, on a regroupé dans une
catégorie un peu hétéroclite les personnes en charge du
marketing et les consultants ERP (Progiciel de gestion
intégré) qui ont souvent des profils scolaires proches (ils
ont fait plutôt des études commerciales), et quelques
employés de bureau aux tâches mal définies.
Une population jeune et peu expérimentée
Le premier caractère de cette population, et le plus
frappant à l’observation, est sa jeunesse. L’âge médian est environ 28 ans : 42 % des individus ont entre
27 et 31 ans, et 93 % entre 22 et 36 ans au 1er janvier 2012. Au-delà de quarante ans, les ingénieurs
semblent sortir professionnellement de la masse des
informaticiens, et ils disparaissent quasiment de notre
échantillon après 50 ans.
La deuxième caractéristique qui distingue cette main
d’œuvre est son niveau scolaire élevé, dans un pays
où les taux d’accès à l’enseignement secondaire supérieur et plus encore à l’université restent faibles. Plus
de 97 % des personnes interrogées sont titulaires
d’un diplôme d’études supérieures de niveau Bac +3
ou Bac +4 selon le diplôme (pourcentage sous-estimé
compte tenu des données manquantes ou mal renseignées pour les 3 % restant), et pour plus d’un tiers,
36 % d’entre eux sont titulaires d’un master. Par
contre, il n’y a pratiquement pas de titulaire de thèse
(PhD, un seul cas observé).
Le type de diplôme met en évidence des sous-groupes
spécifiques. Ainsi, de manière moins attendue, un peu
plus de la moitié seulement de cette population,
54 %, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur (BEng ou
BTech). Ou si l’on préfère, 46 % ne sont pas des ingénieurs, au moins par le diplôme. Cependant 34 % ont
une licence de sciences (BSc) dont les options mathématiques, physique, chimie, et ingénierie informatique rapprochent ces diplômes d’un BTech. D’ailleurs, il était possible dans un passé récent d’obtenir
un BSc en ingénierie (BScEng). La présence de ces
– Tableau  16 –
Typologie des emplois occupés ou des postes observés
%
1. Ingénierie software
56
- développeur
27
- test
6
- design, analyste
16
- support technique
7
2. Techniciens
20
- database
6
- network
7
- système
6
- hardware
1
3. Management
14
4. Quality, marketing, business analysis
3
5. ERP, web, bureautique
7
Ensemble
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  17 –
Année d’obtention du BEng/BTech
Nb
%
1970-1989
19
4
1990-1999
197
42
2000-2004
217
46
2005-2010
34
_8
467
100
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  18 –
Structure par âge de la population au 1er janvier 2012
Tranches d’âge
Âge moyen
%
1955-1964
47-56
52,0
1
1965-1969
42-46
44,5
2
1970-1974
37-41
39,5
4
1975-1979
32-36
34,5
22
1980-1984
27-31
29,5
42
1985-1989
22-26
24,5
29
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
93
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
– Tableau  19 –
Types de licence
Bachelor
Nb
BA
%
18
BCom
4
39
8
BSc
164
34
BTech
263
54
2
0
486
100
Diploma
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  20–
Types de master et PGDM
Post
Graduation
Nb
% master
% total
(n=500)
MTech
16
9
3
MSc
29
16
6
MCA
85
47
17
MBA, Mcom
41
23
8
MA
2
1
1
PGDM
6
3
1
Total
179
100
36
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  21–
Durée totale d’activité professionnelle (en années)
Nb
< 0,5 an
%
% cumulé
7
1
1
0,5 to < 1
22
4
6
1 to < 1,5
24
5
11
1,5 to < 2
26
5
16
2 to < 2,5
24
5
21
2,5 to < 3
19
4
24
3 to < 3,5
50
10
34
3,5 to < 4
19
4
38
4 to < 4,5
47
9
48
4,5 to < 5
20
4
52
5 to < 10
164
33
84
> 10 ans
78
16
100
Total
500
100,0
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
94
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
diplômés dans le secteur des TIC est donc compréhensible et vient renforcer le profil scientifique de
cette main d’œuvre puisque, au total, 88 % des personnes enquêtées sont détentrices d’un diplôme
scientifique et professionnel. Les 12 % restant de
l’échantillon ont un diplôme sans aucun lien avec le
secteur informatique (humanités, économie ou
sciences politiques).
Mais il faut encore prendre en compte la part de la
population, 17 % de l’échantillon, qui détient un diplôme de master spécifique au secteur des TIC : il
s’agit du Master of Computer Application (MCA) qui
est obtenu en trois ans après soit un Bachelor of Computer Application (BCA) soit une autre licence (BSc
par exemple). Ce diplôme est une voie parallèle
d’entrée dans le secteur des TIC, ou de consolidation
de leur position pour les étudiants qui n’ont pas suivi
la filière des écoles d’ingénieurs. Le MCA peut être
obtenu par les employés qui sont déjà en activité et
poursuivent leurs études soit en cours du soir, soit par
correspondance pour obtenir un master ou un diplôme ; c’est le cas pour 13 % des personnes interrogées. L’ensemble, diplômés BTech et détenteurs d’un
MCA, représentent 70 % de l’échantillon.
La troisième caractéristique de cette population est
sa faible ancienneté professionnelle (tableau 21).
52 % des individus ont moins de cinq ans d’expérience, et 84 % en ont moins de 10 ans. Pour l’ensemble de l’échantillon, la durée moyenne d’activité
est de 7,1 ans (en prenant une durée moyenne de 20
ans pour le groupe ouvert ayant 10 ans d’activité et
plus). Mais cette durée moyenne tombe à 4,6 ans
pour la forte proportion des informaticiens qui ont
moins de 10 ans d’activité. Cette structure dissymétrique peut être mise en relation directe à la fois avec
le développement récent de ce secteur d’activité et
avec la structure par âge de la population enquêtée.
Nous n’avons pas de données sur les départs de la
profession parmi les cadres supérieurs.
En conclusion, une population jeune, dotée d’un niveau de scolarisation élevé, d’une formation technologique qualifiée, et ayant une ancienneté professionnelle faible au sein d’un secteur économique
relativement récent, caractérise globalement les informaticiens indiens qui ont répondu à l’enquête.
Cet aperçu est complété en présentant la distribution
globale des salaires, avec un croisement selon l’occupation et la durée de l’expérience professionnelle.
La distribution globale des salaires reflète le même
type de dissymétrie que celles observées précédemment avec une concentration dans les tranches de
salaires inférieurs et moyens : 38 % des individus ont
un salaire annuel inférieur à 4,5 lakhs et 56 % inférieur à 6 lakhs, et 44 % seulement ont un salaire
compris entre 6 et 25 lakhs (on observe seulement
deux cas pour lequel le salaire annuel déclaré se situe
dans la tranche des 25-35 lakhs). La médiane des
salaires est comprise entre 4,5 et 6 lakhss et le salaire
moyen annuel s’élève à 6,7 lakhs (soit l’équivalent
approximatif de 860 € mensuel en prenant pour un
taux de change 1 €=65 roupies).
L’appréciation subjective des salaires n’apportent pas
beaucoup de surprise, la population enquêtée ayant
un point de vue assez conforme aux attentes : 61 %
des personnes jugent normal le salaire qu’elles perçoivent, 21 % estiment qu’elles sont mal payées et
18 % jugent être assez bien ou très bien payées
(tableaux 23-24).
Le tableau 25 indique le salaire moyen selon les différents emplois occupés des informaticiens parmi
lesquels on distingue trois groupes qui ne correspondent pas aux catégories établies. Un premier ensemble de métiers se distingue par des salaires uniformément bas, inférieurs à 4,5 lakhs : il s’agit des
techniciens hardware, network et system ainsi que les
web développeurs. Viennent ensuite les emplois de
l’ingénierie technique dont les salaires varient entre
4,5-8 lakhs, soit sensiblement en dessous de la
moyenne : software développeurs, test engineers, ingénieurs support technique software, administrateurs de
base de données, et consultants ERP. Le dernier
groupe rassemble l’ingénierie conceptuelle (software
analystes) et les métiers du management et du marketing dont les salaires, supérieurs à 8 lakhs annuels,
sont plus hétérogènes que ceux des deux premiers
groupes, sans doute en raison de la dispersion des
hauts salaires.
– Tableau  22 –
Distribution des salaires annuels (en lakhs de roupies)
Salaires
%
% cumulé
– Tableau  23 –
Appréciation de la qualité du salaire
Qualité
Nb
Très bien
34
7
Assez bien
%
56
11
306
61
Assez mal
64
13
Très mal
40
8
500
100
Normalement
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau 24 –
Satisfaction salariale selon les tranches de salaire (en %)
Salaires (lakhs)
Bien payé
Normal
Mal payé
Ensemble
< 4, 5
3
22
13
38
4,5 - 8
6
23
5
34
8 - 15
6
14
3
22
> 15
2
3
0
6
Total
18
61
21
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  25 –
Distribution des salaires selon le poste et l’ancienneté professionnelle
Postes
Ancienneté
(année)
Salaire moyen
(lakhs de roupies)
1. Ingénierie software
- développeurs
3,8
5,2
- test
4,4
5,4
- design, analyste
6,5
8,5
- support technique
5,5
5,9
- database
5,1
5,7
- network
4,6
3,2
- système
5,2
4,4
- hardware
4,4
3,6
10,9
12,3
2. Ingénierie technique
<3
20
20
3. Management
3-6
36
56
4. Quality, marketing, business analysis
8,8
9,8
6 - 10
26
82
5. Web
2,8
3,4
10 - 15
12
94
6. ERP
6,9
6,5
> 15
6
100
7. Bureautique
1,6
1,0
Total
100
Ensemble
7,1
6,7
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
95
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
La distribution des salaires selon l’expérience professionnelle ne reproduit pas la même classification. Les software/web développeurs sont relativement moins expérimentés tandis que les managers
et, dans une moindre mesure, les software analystes et les consultants ERP ont une durée d’expérience sensiblement plus élevée.
Les autres groupes ont une expérience moyenne
autour de la médiane (5 ans d’expérience).
Bien que ces deux premières classifications soient
sensiblement différentes, le salaire reste très corrélé
à l’expérience, la corrélation entre les deux variables
étant significative du point de vue statistique (niveau de confiance de 1 %). l
–7 .4 LE SECTEUR DES TIC CONSTITUE-T-IL UN MILIEU
PROFESSIONNEL FERMÉ ?–
Le secteur des TIC est non seulement relativement récent, c’est aussi un domaine où les activités changent
très vite en fonction de l’évolution des technologies et
des besoins de l’industrie. Ces changements ont des
incidences sur les qualifications de la main-d’œuvre
qui doit régulièrement ajuster ses compétences pour
satisfaire les besoins des entreprises et répondre aux
offres d’emploi, changer de domaine technique, et
– Tableau  26 –
Personnes ayant changé de poste depuis l’embauche
selon la durée dans le poste
Durée (années)
%
<1
22
1<2
45
2<3
55
3<4
67
4<5
71
>5
80
Ensemble
50
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  27 –
Changement des tâches depuis l’embauche dans l’emploi occupé
Nb
%
% cum
Beaucoup
129
Assez
125
25
51
81
16
67
Pas du tout
165
33
100
Total
500
100
Un peu
26
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
96
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
26
aussi évoluer vers des tâches plus complexes, plus gratifiantes et mieux rémunérées. Bien qu’il s’agisse de
registres d’activité très différents, un diplômé BEng a
souvent pour ambition de passer rapidement du côté
du management en devenant chef de projet.
Les compétences des informaticiens ne sont pas données une fois pour toute, elles évoluent dans le
temps. Elles résultent, d’un côté, de la demande des
entreprises et, de l’autre, de l’offre de qualification
des employés, qualification qui est elle-même varaible
selon l’ancienneté dans ces métiers. C’est la raison
pour laquelle Infosys, par exemple, a mis en place sur
son campus de Mysore (voir section 6.5) des systèmes
de formation professionnelle qui évoluent constamment en fonction des besoins de l’entreprise.
Les données recueillies semblent confirmer cet état
de fait. À la question « avez-vous changé de poste ou
de niveau de responsabilité depuis votre embauche ? », 22 % des personnes employées depuis un
an répondent positivement (tableau 26). Ce pourcentage augmente ensuite rapidement, passant à
50 % après environ deux ans, mais stagne autour de
70 % pour la tranche des 3-5 ans. Globalement, 50 %
de la population enquêtée n’occupe plus l’emploi
pour lequel elle a été embauchée. Cette observation
est confirmée par la proportion équivalente d’individus pour lesquels les tâches ont significativement
changé (« beaucoup », « assez ») au cours de leur présent emploi (tableau 27).
Par ailleurs, près de 56 % des informaticiens interrogés ont suivi une formation professionnelle dans les
douze derniers mois. Il est possible que le fait de
suivre une formation ne soit pas indépendant de
l’entreprise. Les grandes sociétés comme TCS, Wipro
on Infosys ont développé des programmes de formation que ne peuvent mettre en place des petites struc-
tures. Il semblerait qu’en moins de deux ans, presque
toute la population a suivi de nouvelles formations.
Si on considère les diplômes supplémentaires reçus à
côté des titres scolaires de base (licence et master),
38 % des personnes de l’échantillon possèdent une
certification professionnelle, 20 % un diplôme, le
plus souvent en management (PGDM), et 13 % enfin
suivent des études parallèlement à leur activité professionnelle pour obtenir un master ou un PGDM.
On est donc en présence d’une population déjà qualifiée mais qui est engagée dans un processus d’accumulation de certifications et de nouveaux diplômes
pour progresser dans les parcours professionnels.
Comment approcher ces parcours ?
L’observation des données révèle des évolutions linéaires d’emplois par tranche d’âge. Si on fait l’hypothèse qu’il y a peu de différences entre un informaticien en début de carrière aujourd’hui et son
homologue il y a cinq ans, alors la structure globale
des emplois selon l’âge observée dans l’échantillon
permet de reconstituer en partie les parcours professionnels et les profils de carrière. Les conditions de
validité sont, d’une part, que la structure de l’emploi
soit restée relativement stable dans les cinq dernières
années et, d’autre part, que le faible nombre d’observations ne favorise pas les cas individuels atypiques.
Mais il faut encore savoir si le secteur des TIC fonctionne comme un marché de l’emploi relativement
« fermé » ou pas. D’où vient et où va la maind’œuvre une fois entrée dans le secteur des TIC ?
16 % des enquêtés (80 personnes) n’ont pas débuté dans ce domaine d’activité, dont un petit
groupe de consultants ERP qui constituent donc un
sous-groupe particulier.
Les données permettent de penser qu’il y a peu d’allers-retours entre le secteur informatique et des secteurs d’activités hors informatique. Sur les 351 personnes dont l’emploi actuel n’est pas le premier,
seules 31 d’entre elles (soit 9 % des 351) ne travaillaient pas auparavant dans l’informatique, 4 seulement ont commencé dans le secteur et en sont sorties
avant d’y revenir.
–
ENCADRÉ 28 : QUELLE SYNDICALISATION DANS LES SSII ?
–
UNITES, Union for Information & Technology Enabled Services
in India, créée en 2005, est affiliée à UNI Global Union, fédération internationale des syndicats du secteur des services
dont le siège est en Suisse.
UNITES s’adresse aux employés des différents segments de
l’économie des TIC : Technologies de l’information proprement
dits, Business Process Outsourcing et centres d’appel. Le syndicat s’efforce d’organiser les techniciens, les cadres, mais
aussi le personnel d’entretien et de sécurité. Sa tâche est notamment de négocier avec les employeurs la législation sur
les conditions de travail.
Karthik Shekhar, ingénieur de formation et ancien employé
d’IBM, secrétaire général de UNITES, revendique plus de
50 000 visiteurs du site web de l’organisation, mais il reconnaît
que la mobilisation est difficile. Si le monde du travail, en Inde,
est riche d’une longue tradition syndicale, celle-ci s’est développée dans le cadre d’une économie étatique dominée par le
secteur public (industrie, chemins de fer, administration).
L’économie des services et des TIC en particulier, qui émerge
avec la libéralisation de l’économie, à partir de 1991, est le
fait d’entreprises privées employant une main d’œuvre qualifiée dont l’idéologie et les valeurs sont à l’opposé de celles du
secteur public de l’Inde post-indépendante. En outre, les SSII
opèrent à partir de Zones Economiques Spéciales (ZES) où la
législation du travail est soumise à de nombreuses restrictions
au nom du principe « de service d’utilité publique » de ces
zones franches (Jaivir Singh 2009). La puissante fédération
professionnelle des SSII indiennes, la Nasscom (Encadré 5),
est hostile à toute action de type syndical et refuse de dialoguer avec UNITES. La Nasscom a par ailleurs initié un fichier
national nominatif des employés du secteur des TIC, qui permet aux employeurs de s’assurer de la fiabilité professionnelle
de leur personnel. Mis en place pour répondre aux demandes
de sécurisation des données dont traitent les SSII, UNITES
craint que ses membres, déjà marginalisés, n’y soient fichés
et leurs carrières compromises.
(Entretien avec R. Kartikh Shekhar, secrétaire général de
UNITES Professionals, réalisé à Delhi, le 22 mars 2012).
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
97
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
L’âge moyen du premier emploi dans le secteur
informatique, tous premiers emplois confondus, est
d’environ 23 ans, pour ceux qui ont commencé
directement dans le secteur des TIC comme pour
les autres, l’écart entre les deux groupes n’étant
que de six mois. Cet âge correspond à celui d’un
ingénieur nouvellement sorti de l’école, un « fresher », diplômé soit d’un BTech en quatre ans obtenu
à 22 ans, soit d’un Bachelor et Master of Computer
Application en six ans obtenu à 24 ans. Lorsque le
premier emploi n’est pas dans l’informatique, sa
durée est courte et il ne semble pas directement
lié au second emploi lorsque celui-ci est dans le
secteur des TIC. Ce sont essentiellement les titulaires d’une licence en commerce (BCom) qui ont
débuté leur vie professionnelle en dehors du secteur des TIC, avec des postes dans les fonctions de
Business/Marketing/Management. Mais leurs
parcours se rapproche ensuite de celui des BTech.
Pour résumer, les individus qui n’ont pas commencé
leur carrière dans le secteur des TIC n’ont pas été
recrutés pour leur expérience professionnelle (inférieure à six mois), ni sans doute pour leur formation académique, ni même pour des emplois particuliers. Leur premier emploi parait de l’ordre de
l’opportunité immédiate.
L’hypothèse qui se dégage est la suivante. Au début
des années 2000, la demande des entreprises était
très supérieure à l’offre de travailleurs formés, en particulier dans le secteur de l’ingénierie des TIC. La
proportion des personnes ayant réalisé leur carrière
entièrement dans le secteur de l’informatique est
proche de 91 %. La part la plus large des individus
n’ayant pas débuté dans l’informatique est le fait
d’ingénieurs spécialisés dans la mécanique ou l’électronique (30 sur 80) à une époque où les formations
à l’ingénierie informatique (« computer sciences »)
n’étaient pas aussi répandues en Inde.
L’hypothèse d’un milieu professionnel des TIC assez
fermé semble donc tout à fait acceptable. l
–7.5 ESSAI DE TYPOLOGIE–
Nous avons procédé à deux analyses de correspondances multivariées dans le but d’établir une cartographie élémentaire des métiers de l’informatique, en
prenant en compte à la fois le niveau d’études, la
durée totale d’activité ou, si l’on préfère, d’expérience
dans le secteur des TIC, et le salaire. Le but est d’établir un découpage net par tranches d’âge qui permette de reconstituer les parcours professionnels.
Le premier axe de l’analyse factorielle (figure 11) oppose l’ensemble des individus à la fois selon le niveau
de salaire et selon l’expérience professionnelle, deux
facteurs qui sont fortement corrélés, comme on l’a noté
précédemment. À la gauche du plan se situent les
métiers/postes à hauts salaires (> 10 lakhs) des ingénieurs surdiplômés (MTech ou BTech + MBA) employés
dans les postes de marketing et ingénieurs d’affaires.
Ces activités s’opposent aux emplois à bas salaires (< 3
lakhs), situés dans le cadre supérieur droit du plan,
métiers de la bureautique, du web ou des techniciens
hardware. Parmi les emplois à bas salaires, il faut inclure nombre de développeurs de software dont les
salaires moyens sont légèrement supérieurs aux autres
groupes de ce pôle, bien que les tranches basses y
soient surreprésentées. Cette opposition en termes de
salaires est corrélée avec la durée d’activité dans le
98
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
secteur des TIC. Les métiers d’entrée à bas salaires,
déjà mentionnés, se distinguent des métiers requérant
plus d’expérience professionnelle notamment ceux du
management, au sens large. La position de diplômés
en commerce (BCom) à la droite de l’axe semble cohérente au regard des métiers avec lesquels ils sont associés, notamment ceux du marketing. Mais leur proximité avec des individus surdiplômés soulève des
interrogations que l’on tentera d’expliquer.
Le second axe permet de préciser la répartition des individus selon le type de diplôme ou, si l’on préfère, selon
leur qualification scolaire. Cet axe est construit autour
de l’opposition entre, d’une part, en haut de l’axe, les
individus ne disposant pas de qualification spécifique
au secteur des TIC, il s’agit de détenteurs d’une licence
de lettres (BA) ou de sciences (BSc) et, d’autre part, en
bas de l’axe, les individus qui ont un BTech, un master
d’informatique (MCA) ou un master de sciences (MSc).
Les premiers correspondent aux métiers d’entrée à bas
salaires (network, bureautique), et les seconds, la masse
des informaticiens dont les métiers sont au cœur des
TIC (développeurs, database, system analyst), associés
avec des tranches de salaires moyens (4,5-6 lakhs) et
une durée d’expérience de 3-5 ans.
La classification hiérarchique ascendante (CHA) à
– Figure 11 –
L’espace des informaticiens (plan des axes 1 & 2 de l’ACM)
< 1,5 ans
network
1,5
bureautique
< 3 lakhs
no degree
BSc
BA
1,0
system
>10 years
MBA
quality/sales/business
0,5
BCom
management
15-3 ans
test
> 10 lakhs
erp
BTech+MBA
hardware
technical support
MTech
web
0
database
8-10 lakhs
5-10 ans MSc
3-4,5 lakhs
BTech
software development
-0,5
6-8 lakhs
MCA
3 à 5 ans
software analysis
-1,50
-0,75
4,5-6 lakhs
0
0,75
Source : Alan Olivi (2013)
laquelle on a procédé donne une partition en trois
clusters ; la partition reste stable même si l’on ajoute
d’autres variables actives. Ces trois pôles, assez intuitifs, sont : les techniciens supérieurs, les ingénieurs
informaticiens et les managers.
Les techniciens supérieurs
Le premier cluster représente 22 % de la population
enquêtée. Le groupe concentre les salaires les plus
faibles (< 3 lakhs de roupies) et les expériences professionnelles les plus courtes : 70 % des individus du
cluster ont moins de 3 années d’expérience. Mais les
30 % restant sont répartis dans les tranches d’activité
supérieures, ce qui dénote une relative dispersion de
la catégorie. Il s’agit d’une population plutôt inexpérimentée, composée pour 40 % de personnes dans
des métiers à composante technique (network, hardware, system). Le reste de la population regroupe des
ingénieurs techniques (software development, technical support, test engineer) qui, à l’exception des ingénieurs-test surreprésentés, sont présents dans des
proportions comparable au reste de la population.
Les non-titulaires de diplômes spécifiques aux TIC
(BA, BSc) constituent 35 % de ce groupe et les BTech
45 %. Les diplômés du second cycle (MTech, BTech
+ MBA) sont peu présents. Au sein de ce cluster, 43 %
des individus étaient encore à l’université ; 20 % seulement ont été recrutés sur campus par les grandes
sociétés d’informatique, contre 70 % pour l’ensemble
de l’échantillon.
Seuls 2 % des individus de ce groupe ont travaillé à
l’étranger (contre 30 % pour l’ensemble de l’échantillon), et peu ont eu l’opportunité de travailler avec des
étrangers. Une part élevée n’a reçu ni promotion
(« pas de changement de position ou de niveau de
responsabilité »), ni même connu de changement de
mission de travail (« changement de tâche »). Enfin,
du point de vue social, ils ont des contrats de travail
peu avantageux : 50 % des individus de ce groupe
n’ont pas de couverture médicale ni de congés de
maternité/paternité.
La durée moyenne d’activité révèle deux faits.
D’abord, les ingénieurs techniques de ce cluster
(software développeurs, technical support, web, et
les ingénieurs tests) ont globalement moins d’anAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
99
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
cienneté que les techniciens, donc moins d’expérienceprofessionnelle que ceux-ci. Ensuite, les techniciens ont des profils d’ancienneté plus variés que
les ingénieurs de ce même cluster. Ce groupe rassemble donc, d’un côté, de très jeunes ingénieurs en
début de carrière et de l’autre, pour les deux-tiers,
des techniciens plus expérimentés car entrés depuis
plus longtemps dans ces métiers. En outre, les ingénieurs qui sont associés ici aux techniciens ont été
moins fréquemment recrutés sur campus que le reste
de la population. La CHA les rassemble en raison de
leurs caractères communs en termes de diplômes et
de salaires (faibles dans les deux cas), ce que
semblent confirmer les variables supplémentaires
que l’on a introduites, et qui confèrent au cluster sa
relative homogénéité : ils ont peu bénéficié d’avancement (car ils débutent dans le secteur), et leurs
conditions de travail sont assez mauvaises. L’homogénéité de ce cluster indique qu’il s’agit bien d’une
sous-population spécifique qui demanderait d’être
étudiée de manière distincte de la masse des ingénieurs que l’on présente maintenant.
Les ingénieurs software
On a procédé à une seconde analyse de correspondances multivariée et à une nouvelle classification
hiérarchique ascendante (CHA) des informaticiens
interrogés en excluant le groupe des techniciens
(hardware, system, network et bureautique). Il en résulte une CHA en quatre clusters centrés sur les ingénieurs software que l’on présente ci-dessous. On laisse
de côté l’analyse factorielle qui est redondante avec
celle menée précédemment.
Le premier cluster des ingénieurs software rassemble
57 % de la population retenue pour cette analyse.
La durée moyenne d’expérience professionnelle est
de 5 ans. Les individus de ce groupe se concentrent
dans les tranches d’expérience 3-5 ans et 5-10 ans.
Les clusters 2 et 3 rassemblent respectivement 18 %
et 9 % de la population et ils se caractérisent par des
durées d’expérience de travail supérieures, soit en
moyenne 8,9 ans pour le cluster 3 et 11,5 ans pour
le cluster 2. Enfin les individus du quatrième cluster,
16 % de la population de la CHA, se distinguent par
une expérience professionnelle assez faible centrée
sur les durées inférieures à 3 ans pour la moitié
d’entre eux.
Les groupes qui se dégagent de la CHA distinguent
également des écarts de salaires assez nets : moins de
3 lakhs annuels pour le cluster 4, de 3-8 lakhs pour
100
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
le cluster 1, plus de 10 lakhs pour le cluster 2 ; enfin,
le cluster 3 n’est pas représenté par une tranche de
salaire précise, mais par une sous-représentation des
tranches inférieures à 6 lakhs.
Cette partition permet de dégager une typologie assez claire des informaticiens.
a) Les web développeurs sont tous dans le cluster 4 ;
les ingénieurs-tests sont présents à part sensiblement
égale dans le cluster 4 (50 % d’entre eux) et dans le
cluster 1 (47 %). On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit
d’emplois de début de carrière.
b) Les software développeurs sont plutôt groupés
dans le cluster 1 mais chevauchent aussi le cluster 4 ;
il s’agit d’emplois d’entrée et de milieu de carrière.
c) Les software analystes sont centrés sur le cluster 4,
et correspondent à des emplois de milieu et de fin de
carrière.
d) Les projects managers sont centrés sur le cluster 2
et chevauchent le cluster 1 ; ils correspondent à des
emplois de fin de carrière.
e) Le pôle qualité/analyste d’affaire/marketing est
entièrement inclus dans le cluster 3. Il ne s’agit pas
d’emplois de début de carrière et sans doute de fin
de carrière.
f) Les métiers d’administration de base de données et
de support post-développement sont dispersés dans
les quatre clusters, aussi on peut se demander s’il
s’agit de parcours professionnels singuliers ou non.
Cette typologie fondée sur la CHA dessine ainsi un
arc de carrière assez intuitif : les informaticiens évoluent successivement d’emplois d’ingénierie technique à des métiers plus conceptuels avant de passer
en fin de carrière à des fonctions de manager.
D’autres caractéristiques de ces ingénieurs émergent
encore de cette typologie. Dans l’ensemble de la
population enquêtée, 27 % déclarent avoir travaillé
à l’étranger, seuls pour 77 % d’entre eux, et pour des
durées variant entre 3 et 24 mois pour 82 % d’entre
eux, la durée moyenne des séjours s’établissant à 13
mois (tableaux 28-32). Les destinations de travail
à l’étranger sont réparties en quatre zones géographiques : les États-Unis sont le premier pays d’accueil
des informaticiens indiens (32 % des personnes interrogées), suivis par le Royaume Uni et l’Europe
(dans laquelle on a inclus Israël) à parts égales pour
19 %, puis Singapour avec 15 % des individus,
l’Afrique du Sud et les Émirats apparaissent comme
des zones de services des TIC de plus faible importance pour l’Inde, soit respectivement 7 % et 5 % des
séjours à l’étranger. Les informaticiens ayant eu
–
ENCADRÉ 29 : UN PARCOURS VIA LE BODY SHOPPING ET L’OFFSHORE
–
La trajectoire professionnelle de Prashanth illustre un parcours très courant, dans les années 1990, lorsque le marché
du travail des informaticiens était en phase de démarrage. On
observe dans ce récit la conjonction de formations techniques
très ouvertes ouvrant sur des emplois plus ou moins temporaires selon un mode de recrutement que l’on nomme en anglais body shopping (Xian Bao 2007). Selon ce type de régulation du marché du travail, des offices de placement (body
shops), en Inde, recrutent des ingénieurs ou des techniciens
qualifiés qui sont envoyés en équipe à l’étranger (États-Unis,
Europe, Australie notamment) pour travailler chez les clients
(on-site) sur des projets spécifiques. Une fois les tâches
contractuelles accomplies, ces ingénieurs sont soit déplacés
sur d’autres projets, dans le même pays ou dans un autre, soit
mis en attente (on bench, littéralement sur le banc) avant
d’être affectés à d’autres tâches. Cette manière de s’adapter
au plus près des conditions de volatilité de ce marché du
travail engage des relations économiques et sociales très inégalitaires entre les différents acteurs présents sur ce type de
marché, et entre les pays prestataires de services (l’Inde) et
les pays qui offrent ce type d’opportunités de travail.
Prashanth est né en 1971 dans une famille de brahmane de
la petite classe moyenne urbaine du Karnataka : son père,
aujourd’hui décédé, avait fait des études jusqu’en classe de
première mais était devenu pilote dans l’armée de l’air, tandis
que sa mère, femme au foyer, a une licence de lettres (BA).
Prashanth a fait des études secondaires moyennes. Il obtient
un score de 56/100 en fin de classe XII (terminale), en 1988,
et son rang au concours d’entrée dans les écoles publiques
d’ingénieurs (Common Entrance Test) de l’état du Karnataka
le disqualifie pour intégrer l’un des rares Engineering Colleges
de l’état : il se classe 6 000 pour environ 5 000 sièges que
convoitent aussi des étudiants des états voisins. Il étudie alors
dans un bon collège universitaire de Bangalore (St Joseph
College) où il obtient en 1991 une licence renforcée de
sciences, en électronique (BSc Honour, electronics), avec une
option en électronique digitale.
Les emplois d’informaticiens sont encore rares au début des
années 1990. Après plus d’un an de chômage, il entre, par
l’entremise d’une relation de son père, dans une société qui fait
de la réparation et maintenance de matériel (hardware) à Bangalore. Pendant les trois premiers mois, il se forme sur le tas
sans recevoir de salaire. Parallèlement, il s’inscrit en cours privé
chez Aptech (entreprise de formation permanente en informa-
tique, classée aujourd’hui seconde en chiffre d’affaires derrière
NIIT) dans une formation diplômante (Post Graduate Diploma)
en Computer Application. Son père a fait un emprunt pour
payer le coût de cette formation qui représente deux mois et
demi de son salaire modeste. Prashanth obtient son diplôme
en 1994, il est placé par Aptech comme programmeur dans
une société de services. La société est spécialisée dans la mise
au point de logiciels de gestion de marchandises pour des PME.
Il travaille cinq ans dans cette entreprise, fait un séjour de six
mois à Singapour et il devient senior analyst.
En 1999, par l’intermédiaire d’un ancien employé de sa société, Prashanth a l’opportunité de partir aux États-Unis où les
ingénieurs indiens sont très demandés pour résoudre les problèmes informatiques anticipés par le passage à l’an 2000
(bug de « Y2K » dans le jargon anglo-saxon). Il travaille aux
États-Unis pendant deux ans, enchaînant les contrats de trois
à six mois, et même d’une année. De retour à Bangalore en
2002, il lui faut trois mois pour se réadapter et trois autres
mois pour retrouver un emploi. Prashanth, qui entre temps a
appris le langage de programmation Java, entre dans une
petite entreprise indienne placée à la fois sur le marché des
TIC et sur celui du BPO. Puis cette société est rachetée par
Accenture. Prashanth conserve son emploi et il a l’occasion de
faire un court séjour aux États-Unis chez un client d’Accenture.
Mais très vite, il est déçu par la confusion qui règne dans l’organisation du travail et par l’absence de plan de carrière. Prashanth quitte Accenture après un an et trouve un nouvel emploi
dans une start-up indienne dont les fondateurs se révèlent être
des escrocs. La société débauche rapidement une grande
partie de ces informaticiens, il n’échappe pas au licenciement.
Maintenant marié, Prashanth souhaite repartir travailler aux
États-Unis mais en compagnie de sa femme. Les conditions
de départ sont devenues plus strictes au milieu des années
2000. Pour obtenir un visa délivré au consulat américain à
Chennai (maintenant à quatre heures de route de Bangalore),
il faut passer par un premier intermédiaire censé recruter des
ingénieurs pour son entreprise aux États-Unis. Celui-ci prend
une commission fixe pour obtenir le visa d’entrée, mais il ne
garantit aucun emploi. Prashanth n’a obtenu son visa qu’au
bout de huit mois. De leur côté, les entreprises américaines
ne procèdent à aucun recrutement direct dont elles jugent les
procédures trop lourdes et trop coûteuses. Elles délèguent ce
travail à des agents recruteurs indiens qui opèrent sur le sol
américain. C’est donc par l’entremise d’un second intermé-
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
101
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
diaire que doit passer Prashanth à son arrivée aux États-Unis.
Après être resté une vingtaine de jours « on the bench », il est
enfin placé dans une entreprise qui fait du commerce en ligne.
Les conditions de travail sont négociées par cet agent qui
prélève son pourcentage et verse son salaire à Prashanth sans
que ce dernier connaisse les termes du contrat passé avec
l’entreprise américaine. Même les augmentations de salaire
se décident entre l’employé et l’agent recruteur. En 20052009, le salaire horaire reçu par Prashanth a varié entre 40$
et 50$ selon la conjoncture, ce qui lui assurait des revenus
environ deux fois supérieurs à ceux qu’il recevait à Bangalore.
La récession de 2009 a conduit Prashanth à rentrer sur Bangalore tout en continuant de travailler pour la même entreprise
américaine de commerce en ligne. Les négociations passent
cette fois par un agent indien opérant en Inde. En 2010, Prashanth a négocié un salaire horaire de 23$. Il n’a signé aucun
contrat ni avec cet intermédiaire, ni avec l’entreprise américaine, mais il suppose que cet intermédiaire peut avoir un accord écrit avec l’entreprise ; il n’est certain de rien cependant.
Entre Prashanth et son agent recruteur dont la raison sociale
est une coquille vide, tout est affaire de parole, de confiance.
(Entretien réalisé à Bangalore, le 6 octobre 2010)
– Tableau  28 –
Part des employés ayant travaillé hors de l’Inde
– Tableau  31 –
Pays de destination
%
Nb
%
Oui
133
27
Amérique du Nord
32
Non
367
73
Royaume Uni
19
Total
500
100
Reste Europe (y.c. Israël)
19
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
Émirats arabes unis
Extrême-Orient (Singapore)
– Tableau  29 –
Durée des séjours de travail à l’étranger
Nb
< 3mois
%
8
6
3 - 6 mois
39
29
6 mois - 1 an
37
28
1 - 2 ans
33
25
> 2 ans
16
12
133
100
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  30 –
Situation à l’étranger
Seul
En famille
Total
Nb
%
102
77
31
23
133
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
102
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
5
15
Afrique du Sud
7
Autres
3
Total
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
l’occasion de travailler à l’étranger (81 % de l’ensemble de l’échantillon, 59 % déclarant avoir un
contact fréquent) sont surreprésentés dans le cluster
2, sous-représentés dans le cluster 1 et absents du
quatrième cluster. Il semble donc que seuls les informaticiens expérimentés soient envoyés à l’étranger.
Le résultat est similaire, bien que moins marqué,
s’agissant des informaticiens côtoyant simplement
des clients étrangers dans le cadre de leur travail qui
sont sous-représentés dans le cluster 4 et surreprésentés dans le second.
Concernant les formations professionnelles en emploi, la proportion d’ingénieurs qui ont effectué une
formation professionnelle est identique dans
chaque cluster mais le type de formation diffère. Il
s’agit de formations en system software centrées sur
le premier cluster mais également présente dans le
quatrième, et de formations en langage informatique, réparties dans les premier et deuxième clusters, destinées vraisemblablement à des ingénieurs
plus qualifiés. Les formations en management
concernent de manière attendue les individus des
deuxième et troisième clusters. Enfin, les formations
en application software et communication sont également réparties et concernent donc aussi les métiers plus techniques. l
– Tableau  32 –
Fréquence du travail avec des étrangers
Nb
%
Jamais
95
19
Quelques fois
73
15
Rarement
35
7
Fréquemment
297
59
Total
500
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
–7.6 LA QUESTION DES DIPLÔMES–
La relation observée au sein de chaque cluster de la
CHS entre le niveau de qualification scolaire (diplômes), le type d’emploi et l’ancienneté d’expérience
professionnelle dans le secteur informatique soulève
des questions auxquelles il est difficile de répondre
de manière assurée. L’incertitude tient à la fois à la
faiblesse de l’échantillon, au manque de précision des
réponses à l’enquête autant qu’à la complexité des
situations dans ce secteur.
On note que nombre d’individus en début de carrière
sont titulaires d’un diplôme universitaire de premier
cycle, c’est-à-dire d’une licence, il s’agit d’un BSc ou
d’un BTech, tandis que les ingénieurs en milieu de carrière sont quasiment tous en possession d’un diplôme
de deuxième cycle, d’un master, soit d’un MTech ou
d’un MCA, ou de l’équivalent d’un MBA (il s’agit en
fait d’un PGDM). Si on fait l’hypothèse d’une progression des carrières et non d’une fermeture des différents
niveaux d’emplois, l’apparition d’un diplôme supplémentaire dans une tranche d’âge particulière d’ingénieurs suggère deux sous-hypothèses : il s’agit d’un diplôme acquis soit parallèlement à l’activité salariée,
soit après une interruption momentanée de travail.
Pour tester ces hypothèses, on a mesuré le temps de
latence entre l’obtention d’un diplôme de licence et
celui d’un master (soit deux années pour un PGDM et
trois années pour un MCA). Ainsi 73 % des personnes
interrogées ont obtenu un diplôme en management
(PGDM) au minimum quatre ans après une licence, et
42 % un MCA au minimum après cinq ans.
À quoi correspond l’acquisition de ce diplôme ? Les
entreprises encouragent-elles des managers ou des
ingénieurs à passer un PGDM ou un MCA en guise
de formation ou, au contraire, ces diplômes de second
cycle sont-ils des moyens d’ascension professionnelle
pour occuper des postes de managers ou d’ingénieurs
plus qualifiés, dans une stratégie de promotion ou de
changement d’emploi ? Il semble que ce soit la seconde raison qui prévale puisque la moitié des titulaires de PGDM (50 %) ne sont encore employés, ni
dans les fonctions managériales, ni dans l’analyse
d’affaire, ni dans le marketing. Ils sont donc en attente d’une promotion ou d’un nouveau poste.
La surreprésentation des diplômes hors
spécialités
On a noté précédemment que les titulaires de licences
ne concernant pas l’informatique non-professionnelles, soit licence de lettres (BA), de commerce
(BCom) ou de sciences (BSc), étaient surreprésentés
parmi les ingénieurs informaticiens. Si l’on compare
les qualifications scolaires de l’ensemble de la population ayant une durée d’activité professionnelle supérieure ou inférieure à cinq ans, il apparaît que la
proportion totale du groupe des titulaires d’un BCom,
d’un BA et de ceux qui ne disposent d’aucune licence
a été divisée par deux au cours des cinq dernières
années. Cette tendance est encore plus saillante
parmi les informaticiens titulaires seulement d’une
licence, qui constituent la masse des ingénieurs
software présentement sur le marché des TIC. La proportion des titulaires de licences non-spécialisées a
été diminuée par trois dans les cinq années 20002005 Tout se passe comme si dans la tranche des
informaticiens ayant moins de cinq ans d’expérience,
les informaticiens issus de formations non-spécialisées avaient été remplacés, au moins en termes de
proportion, par des BTech. La question est alors de
comprendre pourquoi cette catégorie d’informaticiens
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
103
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
–
ENCADRÉ 30 : UN PARCOURS ORDINAIRE DE IT ANALYST
–
Nitin, jeune marié de trente ans aux allures juvéniles, est originaire d’un village situé à trois cents kilomètres au nord de Delhi,
dans l’état de l’Uttar Pradesh. Bien que la famille soit de confession jain, le père de Nitin est paysan, une occupation rare chez
les jain dont le principe de non-violence (ne tuer aucun être
vivant), les conduit plutôt vers des activités intellectuelles. D’ailleurs, les oncles et les cousins travaillent quasiment tous dans
des activités de services, et beaucoup sont ingénieurs dans le
secteur des TIC, certains diplômés d’un IIT. Nitin a étudié dans
son village jusqu’en classe de 4e (classe VIII) avant de poursuivre ses études dans une école secondaire de Ghaziabad,
agglomération de plus de deux millions d’habitants englobée
dans la conurbation de Delhi, et où réside et travaille son frère,
un ingénieur mécanique. Les résultats scolaires de Nitin ne sont
pas mauvais (il obtient 75/100 en fin de terminale, classe XII),
mais il doit prendre une année de cours privés, après la fin de
ses études secondaires, pour préparer l’examen national d’entrée dans les écoles d’ingénieurs (AIEEE) qu’il présente en
2003, se classant au 2400e rang.
Prenant ses distances avec sa famille qui voulait le voir rester
dans la région de Delhi, il s’inscrit dans l’école d’ingénieurs
de la Sathyabama University, une université privée (Deemed
University) localisée à Chennai, capitale de l’état du Tamil
Nadu. La première année est difficile. Nitin n’est pas familier
avec l’Inde du sud, il parle le hindi mais ne comprend pas le
tamoul et maîtrise mal l’anglais, les deux langues dans lesquels les cours sont dispensés. En outre, il n’a jamais utilisé
un ordinateur avant de rejoindre son école. Mais il profite des
cours de remise à niveau dispensés en première année, et il
s’intègre parfaitement en seconde année. Il n’a d’autre choix
que de travailler pour réussir. Les frais de scolarité et de logement se montent à environ 100000 Rs par an, il ne peut pas
changer d’école en cours de scolarité, et ne peut donc échouer
sans mettre en défaut le soutien familial dont il bénéficie.
À la fin de sa troisième année, lorsque les recrutements se
profilent, Nitin rêve d’être embauché par l’une des deux
sociétés de services, TCS ou Cognizant. Mais en 2006, TCS
exclut la Sathyabama University de son panel de recrutement,
et Nitin échoue aux tests de d’embauche de Wipro, de Cognizant, d’Infosys et de MindTree. Finalement, il passe avec succès les épreuves de sélection du cinquième recruteur, HCL
Technologies, entreprise qu’il intègre l’année suivante comme
« jeune diplômé » (fresher), son grade de BTech en poche. Les
104
quelques huit cents ingénieurs recrutés par HCL cette même
année suivent trois mois de formation spécifique à Chennai,
en collaboration avec le Sri Shiv Nadar Engineering College
ouvert par l’un des fondateurs de HCL (Encadré 16). Les affectations dans une filière technologique se font d’office, sans
égard pour la formation de base, en fonction des seuls résultats obtenus aux tests techniques. Nitin est placé sur la plateforme technologique DotNet de Microsoft pour lequel HCL
travaille. Sa période de formation en interne achevée, il est
envoyé pour un mois dans une unité de HCL à Hyderabad
(capitale de l’état de l’Andhra Pradesh) où il travaille directement pour Microsoft qui a son centre de recherches dans cette
ville. Puis Nitin rejoint un centre HCL à Noida (Uttar Pradesh),
dans la banlieue de Delhi, se rapprochant ainsi de sa famille.
Son salaire annuel d’embauche, en 2007, est de 2,5 lakhs de
roupies et atteint 2,75 lakhs un an plus tard, soit environ
20-23000 Rs par mois. C’est le salaire d’embauche moyen de
cette main d’œuvre qualifiée dans le secteur des TIC. Pour
comparaison, un instituteur dans une école publique débute
avec un salaire mensuel variant entre 10 000 et 15 000 roupies selon les états.
Après deux ans et demi passées chez HCL, Nitin, insatisfait
de son salaire, répond à une offre de TCS qui recrute des
spécialistes de la technologie DotNet. Il passe avec succès
deux tests techniques et deux entretiens, l’un avec un manager d’équipe, l’autre avec un responsable des relations humaines et il est finalement recruté en octobre 2009 avec un
salaire de 3,95 lakhs de roupies. Mais après un an chez TCS
son salaire grimpe à 5,2 lakhs, soit 43 000 roupies par mois.
Quatre ans après la sortie de l’école, le jeune software ingénieur a doublé son salaire, et il est promu « IT Analyst ». Du
point de vue technique, il estime cependant que ses tâches
n’ont pas beaucoup changé, mais il a plus de responsabilités
car il est « team lead » en second, co-gérant une équipe de
sept à huit software ingénieurs au sein d’un gros projet. La
prochaine étape sera de passer du côté des « consultants »
techniques, fonction qui ouvre sur un nouveau parcours professionnel menant aux postes de cadres (dans l’acception
française du terme), ce qu’il n’est pas. Mais à moyen terme,
l’objectif de Nitin est de partir travailler aux États-Unis pour
TCS, un rêve qu’il espère réaliser d’ici un à deux ans.
(Entretien réalisé à Delhi, le 18 mars 2012)
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– Tableau  33 –
Distribution des informaticiens selon l’ancienneté dans l’occupation et le type de diplôme (en %)
Expérience
BA, BCom
BSc
BTech
MSc
MCA, Master
Computer Application
PGDM
BTech,
MTech, PGDM
Total
< 5 ans
4,8
12,0
56,4
6,0
14,4
2,0
4,4
100,0
> 5 ans
11,4
9,7
35,4
5,7
19,9
8,9
8,9
100,0
8,1
10,9
46,0
5,8
17,1
5,4
6,7
100,0
Total (n=496)
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  34 –
Distribution des informaticiens titulaires d’un BA ou d’un BCom selon l’ancienneté dans l’occupation et le type d’emploi technique (en %)
Expérience
Data Base,
Network, système,
support technique
hardware
Analystes
software
Développeurs,
ingénieurs test
Management
Total
< 5 ans
13,3
17,1
11,7
55,8
2,1
100,0
< 5 ans
13,0
13,0
20,9
19,7
33,5
100,0
Total (n=479)
13,2
15,0
16,3
37,8
17,7
100,0
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
non-spécialistes est relativement surreprésentée
parmi les fractions des individus occupant des postes
d’ingénieurs les plus âgés, les plus expérimentés et
les mieux payés, c’est-à-dire parmi ceux qui sont aussi
dans des postes de responsabilités ?
Pour répondre à cette interrogation, on a comparé la
proportion des informaticiens titulaires d’un diplôme
non-spécailisé (BA/BCom) parmi les employés qui
ont moins de cinq ans d’expérience et ceux qui en ont
plus de cinq, en distinguant cinq groupes de métiers
de l’informatique : les métiers relatifs aux bases de
données et aux supports software, les techniciens
(network, system, hardware), les ingénieurs conceptuels (software analystes), l’ingénierie software technique (test, web et software développeurs), et enfin
les métiers du management (tableaux 33 et 34).
Parmi les informaticiens les plus expérimentés (5 ans
et plus d’activité), les individus « non spécialisés » sont
employés dans les mêmes métiers que les autres, ils
sont même légèrement moins représentés parmi les
métiers de management où on les attendrait. En revanche, parmi les informaticiens les moins expérimentés (moins de 5 ans d’activité), les individus les moins
spécialisés sont employés majoritairement dans des
tâches d’encadrement technique (network, hardware
par exemple) et pas du tout dans les métiers de management. Tout se passe comme si les individus de ce
groupe constituaient aujourd’hui une main-d’œuvre
de réserve à même de pourvoir les emplois les moins
qualifiés du secteur des TIC.
On peut préciser les qualifications scolaires de ces
informaticiens non-spécialistes en étudiant les notes
qu’ils ont obtenues à leur diplôme de licence. Cette
information est fournie sans difficulté car c’est l’un
des critères de sélection qu’utilisent les sociétés informatiques lorsqu’elles recrutent leurs employés. Comparés aux titulaires d’un BTech, les notes obtenues
par ce groupe d’informaticiens sont inférieures en
moyenne de 10 points, pour ceux qui ont moins de
cinq ans d’expérience. Et ces notes sont encore inférieures de huit points pour ceux qui ont plus de cinq
ans d’activité dans le secteur des TIC. En outre, les
informaticiens moins diplômés ayant plus de cinq ans
d’expérience n’avaient pas plus que les autres d’expérience accumulée dans le secteur des TIC lors de leur
recrutement présent. Dans tous les cas, ce ne sont
donc pas leur formation académique ou d’hypothétiques compétences techniques acquises lors d’une
activité professionnelle qui ont déterminé l’embauche
de ces informaticiens.
Évolution du marché du travail 2000-2010
Il faut alors faire l’hypothèse que le recrutement, pour
ce groupe d’informaticiens, « par défaut » de compétences professionnelles spécifiques est le résultat
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
105
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
– Tableau  35 –
Type de diplôme des informaticiens selon leur expérience dans le secteur des TIC (en %)
Expérience
Computer Sc
Elect & Comm
Inf Techn
Mechanics
Sciences
Autres
Total
< 5 ans
38
27
19
4
7
5
100
> 5 ans
29
19
6
10
20
16
100
Total
34
23
13
7
13
10
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau 36 –
Part du recrutement sur campus selon le type de diplômes (en %)
Recrutement sur campus
BTech
BSc
BCom
Total
< 5 ans d’expérience
69
28
3
100
> 5 ans d’expérience
50
39
11
100
Total
63
31
6
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
d’une inadéquation du marché du travail, dans les
années 2000, entre la demande des sociétés et l’offre
d’étudiants qualifiés. Plusieurs indices soutiennent
cette hypothèse.
Le tableau 35 indique la répartition des individus
enquêtés selon leur discipline dominante (dite « majeure ») pour les deux groupes d’employés ayant
moins et plus de cinq ans d’expérience professionnelle dans le secteur des TIC. Dans les dix dernières
années, les données attestent d’un recrutement plus
professionnalisé des informaticiens. La part des individus diplômés dans l’une des trois disciplines reines
des TIC, Computer Science, Electronics & Communication, et Information Technology, passe de 54 % à
84 % entre les deux groupes d’employés, tandis que
celle des diplômés en mécanique, science pure et
autres (commerce et humanités) diminue de manière
très nette. Dans les dix dernières années, il y a donc
eu clairement une transition dans le recrutement des
informaticiens d’une population peu qualifiée du
point de vue technologique à une population formée
spécifiquement aux TIC.
Si l’on examine maintenant la proportion d’individus
qui ont été recrutés pour leur premier emploi directement sur le campus de leur université, et dont on peut
supposer que leur spécialisation intéressait directement les sociétés d’informatique, deux éléments sont
à noter. Globalement, la proportion d’étudiants recrutés sur campus double dans les dix dernières années,
passant de 22 % pour le groupe ayant plus de cinq
106
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
ans d’expérience à 47 % pour les informaticiens
ayant moins de cinq ans d’ancienneté dans le métier.
Cette évolution affecte uniquement les titulaires
d’une licence d’ingénierie (BTech), leur part recrutée
sur campus passant de 50 % à 69 %. Il semble donc
y avoir eu une convergence des formations proposées
par les écoles d’ingénieurs et des besoins du secteur
des TIC : d’une part, les écoles d’ingénieurs ont connu
un développement sans précédent au cours des années 2000, deuxièmement, la proportion des étudiants formés à l’informatique a donc mécaniquement augmenté, enfin, troisièmement, les entreprises
ont systématisé le recrutement de ces étudiants sur
les campus, comme on l’a noté pour les plus grandes
sociétés comme TCS, Infosys et Wipro. Il y a donc eu
de la part des entreprises du secteur des TIC une
transition d’un recrutement faible et non ciblé à un
recrutement massif et ciblé. Ce changement explique
que les grandes sociétés aient été amenées à formaliser leurs procédures de recrutement de masse.
La distribution des informaticiens titulaires d’un
BTech selon le nombre d’années d’expérience professionnelle confirme que les sociétés de services informatiques ont eu progressivement recours, depuis le
début des années 2000, à la masse des diplômés
BTech (ou BEng) qui sortent des Colleges of engineering (tableau 37). La proportion d’informaticiens
qualifiés issus des formations ad hoc passe progressivement d’un peu plus d’un tiers (33 %) des individus
dans la tranche des plus de dix ans d’expérience, à
moins de la moitié (48 %) dans la tranche des 5-10
ans, et atteint environ 60 % des employés pour les
tranches inférieures à cinq ans d’expérience professionnelle.
Qualification scolaire et emploi : le cas des BTech
Deux raisons justifient que l’on étudie les relations
entre qualification scolaire et emploi des diplômés
d’un BTech. D’abord, ces derniers ont le profil acadé-
–
ENCADRÉ 31 : « NOUS NE SOMMES PAS LA CLASSE OUVRIÈRE »
–
Rajiv, âgé d’une quarantaine d’années, travaille depuis quatorze ans chez Tata Consultancy Services (TCS, voir Encadré
14) où il est aujourd’hui delivery manager dans une unité située à Gurgaon, au sud de Delhi. Il est originaire de Saharanpur, une ville populeuse de la plaine du Gange, au nord-ouest
de l’état de l’Uttar Pradesh, qui compte aujourd’hui 700 000
habitants et est issu d’une famille de confession jain dont les
membres occupent des professions intellectuelles ou sont
engagés dans des activités de service (ingénierie et secteur
des TIC notamment). Ses deux parents étaient enseignants,
professeur et directeur d’un lycée (higher secondary school) à
Saharanpur où Rajiv a fait ses études secondaires.
Au début des années 1990, il y avait seulement neuf écoles
publiques d’ingénieurs dans cet état le plus peuplé du nord
de l’Inde (il y en a aujourd’hui plus de deux cents). En 1993,
Rajiv entre à la faculté d’ingénierie de l’Université Deen Dayal
Upadhyay de Gorakhpur dont il est licencié en mécanique
(BEng Mechanical) en 1997. Selon une stratégie de mobilité
scolaire ascendante tout à fait caractéristique du système
d’enseignement supérieur technologique, ses bons résultats
en licence lui permettent d’intégrer le IIT de Kanpur, dans
l’état de l’Uttar Pradesh, au niveau de la maîtrise et, en 1999,
il obtient un master en management industriel de cette
grande école d’ingénieur.
Cette même année, il est recruté par TCS lors d’une campagne
de recrutement menée par cette SSII sur le campus du IITKanpur. D’abord, il suit une formation interne d’une durée de
deux mois au centre TCS situé à Thiruvananthapuram (ex
Trivandrum), capitale de l’état du Kérala. « Dans les écoles
d’ingénieur, on reçoit uniquement les bases d’un enseignement
technique. Dans cette formation, on apprend à analyser les
demandes du client, comment exécuter un projet, comment
concevoir un software, le construire, le développer, toutes ces
choses purement professionnelles. Puis, à côté, on reçoit aussi
une formation pour les ‘soft skills’, comment faire une présentation devant le client, comment se comporter, tout cela on ne
l’apprend pas dans les écoles. » Rajiv est ensuite envoyé
comme fresher dans un centre TCS de Mumbai où il débute
comme développeur.
Chez TCS comme dans toutes les sociétés du secteur des TIC,
il faut faire la distinction entre les occupations techniques des
employés (leur rôle) et leur titre dans l’entreprise, leur rang
hiérarchique (désignation) qui est mentionné sur leur feuille
de paye et auquel est indexé leur salaire. La désignation renseigne sur l’ancienneté de l’employé dans la société mais elle
ne dit rien de son occupation réelle car une même désignation, par exemple comme manager, consultant, ingénieur
software, recouvre des activités professionnelles diverses.
Ce nouvel entrant fraîchement diplômé de son école commence comme ingénieur software auquel sont assignées deux
occupations élémentaires, celle de développeur et celle de
testeur, avant de devenir analyste et architecte. « Les développeurs, ce sont ceux qui écrivent les codes ; en fait, le travail
est fait surtout par les développeurs et les testeurs. Après, on
peut devenir analyste et architecte au sein d’une équipe. Ceuxlà, ils n’écrivent pas les codes, mais ils les préparent, ils les
conçoivent. Je suis resté développeur pendant deux à trois ans,
ce qui est normal, puis je suis devenu team lead, et finalement
manager. Mais il m’a fallu huit ans de travail pour devenir
manager » nous confie Rajiv. « Aujourd’hui [mars 2012], je suis
delivery manager, c’est-à-dire que je m’occupe du suivi du projet auprès du client, jusqu’au moment où le produit est livré et
mis en place, je fais aussi le suivi financier du projet. »
Cependant, dans la pratique, la distinction des rôles n’est pas
toujours très nette. Les rôles sont flexibles. Le team lead est
désigné par le manager du projet auprès de qui il rapporte de
l’état d’avancement du travail et des difficultés rencontrées.
En général, le chef d’équipe est lui-même un développeur sur
le projet qui est assigné à l’équipe. « Chez TCS, un manager
ne s’occupe pas de plus de cinq à six projets en même temps.
La taille de l’équipe dépend naturellement de l’importance du
projet, la taille moyenne est de dix à douze ingénieurs, au
maximum de vingt à trente personnes. Au-delà, c’est vraiment
rare. »
La flexibilité technique des tâches est un élément de la flexibilité générale de l’organisation du travail. Les ingénieurs informaticiens, dans ces SSII, sont très sensibles à cette relative
liberté d’organisation de leur temps de travail. Chez TCS, les
horaires officiels sont « 9h-18h, avec une heure pour le repas,
donc 8h de travail [l’heure de repas n’est pas toujours ainsi
décomptée]. Mais c’est flexible, vous pouvez venir plus tôt ou
plus tard, si vous le souhaitez. La seule contrainte, c’est que le
projet soit terminé comme prévu, c’est cela qui est important.
Parfois, si c’est nécessaire, on travaille le samedi et le dimanche,
mais sans compensation financière. Parfois on travaille plus,
parfois on travaille moins. Si on fait beaucoup d’extra, on peut
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
107
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
récupérer, c’est une question d’arrangement interne. Mais les
heures supplémentaires ne sont pas payées. Nous ne sommes
pas la classe ouvrière » souligne Rajiv qui marque la distance
qui distingue cette classe de service du secteur privé non
seulement de la classe ouvrière, mais aussi des employés de
bureau du secteur public dont ils sont souvent issus par leurs
origines familiales.
Le changement de désignation correspond à une promotion
qui est planifiée en gros tous les trois ans au terme d’un processus d’évaluation très régulier mené par les délégués aux
ressources humaines (DRH). La promotion se fait sur proposition du manager qui supervise les équipes. « On reçoit une
note, et si on vous attribue deux A (AA) alors vous êtes bon
pour une promotion ; en gros il n’y a que 10 % des employés
d’une équipe qui sont classés A ; 30 % reçoivent un B, 40 %
un C et le reste un D ; ils sont obligés de mettre des D, il y a
une forte pression en ce sens. » Le salaire comporte une part
fixe de 60 % et une part flexible de 40 % liée aux résultats ;
cette part n’est pas négociable. « Les freshers, développeurs,
testeurs, gagnent de 3,5 à 4 lakhs de roupies par an ; les analystes et les petits cadres, ce sera autour de 6 lakhs, et puis
ensuite pour les managers de rang moyen de 15 à 18 lakhs.
Disons, que 80 % des employés sont dans ces trois groupes de
salaires. »
Les revenus relativement élevés de ces fractions d’ingénieurs
employés dans des secteurs de pointe, et les modes de vie que
ces revenus permettent, différencient doublement ce groupe.
Cette classe de service s’oppose, d’une part, à la masse de la
population rurale, aux ouvriers précaires ou salariés, aux petits
commerçants indépendants et aux employés mal payés des
services publiques mais, d’autre part, elle ne se reconnaît pas
dans les fractions des élites politiques ou économiques dont
chacun sait que l’opulence que ces groupes affichent est souvent liée à une grande corruption. Aussi, les milieux ingénieurs
du secteur des TIC sont très présents dans le mouvement anticorruption qui anime la société civile depuis quelques années.
C’est vrai, reconnaît Rajiv « que le milieu des TIC n’est pas très
engagé politiquement, mais il y a beaucoup de discussion chez
TCS à propos de la corruption et du mouvement qui s’est développé, on a fait partie de ceux qui l’ont soutenu. »
(Entretien réalisé à Delhi le 10 mars 2012)
mique type des informaticiens actuels, dont ils représentent 53 % de la population ; ensuite, leur sur-sélection par les entreprises, conjointement à la
diminution de la part des autres types de diplômes
dans la population enquêtée, indique que ce sont
bien les BTech qui ont le profil académique le plus
proche des besoins des entreprises du secteur des TIC.
D’un point de vue pratique, un BTech assure le même
niveau de qualification, voire un niveau supérieur, à
un titulaire d’un MCA dont la formation est plus
longue d’une année (3 ans de BCA + 3 ans de MCA
contre 4 ans de BTech).
– Tableau  37 –
Titulaires d’un BTech selon l’ancienneté professionnelle (%)
Expérience
< 1,5 ans
1,5 à 3 ans
Titulaire d’un BTech
oui
58
non
42
61
39
Total
100
100
3 à 5 ans
63
37
100
5 à 10 ans
48
52
100
> 10 ans
37
63
100
Total
53
47
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
108
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
On a croisé la répartition des enquêtés selon les métiers de l’informatique et les qualifications scolaires
pour les trois majeures : Computer Science, Electronics
& Communication, et Information Technology (tableau 38). Quelle que soit la spécialisation d’origine,
les ingénieurs informaticiens sont recrutés massivement pour les fonctions de software développeurs, et
aucune structure de dépendance ne se dégage entre
la formation et la fonction occupée. Il semble que les
spécificités de l’enseignement de BTech, pour les trois
majeures du secteur des TIC, aient peu d’influence sur
leur emploi. Un ingénieur formé en Electronics & Communication se voit dispenser très peu d’heures de
cours de programmation, voire aucune. Il est donc
surprenant d’observer que plus de la moitié d’entre
eux (52 %) occupent des postes d’analystes (15 %) et
de développeurs (37 %). Si les entreprises recrutent
de plus en plus de BTech, il ne semble pas que ce soit
en raison de la qualité de leur formation spécifique
puisque le recrutement est indépendant de la formation des jeunes ingénieurs. Jusqu’en 2005 au moins,
le recrutement des entreprises semblent indépendant
de la spécialisation des ingénieurs. l
–7.7 LES INFORMATICIENS COMME NOUVELLE FRACTION
DES CLASSES MOYENNES URBAINES–
– Tableau  38 –
Répartition des informaticiens selon leur spécialisation et le type d’emploi (en %)
Métiers
Computer Sc
Database, techniciens
Electronics & Com
Information Tech
Total
13
10
15
12
Network, système
4
17
15
12
Software analystes
17
15
15
16
Software développeurs
49
37
46
43
Test, web
17
21
9
17
100
100
100
100
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
Pour terminer ce chapitre, on présentera quelques
données recueillies lors de l’enquête sur le profil sociodémographique de cette population des informaticiens indiens. Les indicateurs fournissent une image
assez attendue, en mettant en lumière les caractéristiques de ces nouvelles couches des classes moyennes
supérieures indiennes.
Il s’agit d’abord d’une population urbaine pour plus
de la moitié des individus, soit 55 % d’entre eux
(tableau 39). Cependant, un peu plus d’un tiers seulement, 37 %, sont nés dans une grande ville de plus
de cinq millions d’habitants ; il s’agit le plus fréquemment de la capitale des états fédérés ou d’une grande
ville de taille équivalente (tableaux 40 et 41). En
outre, 38 % déclarent être originaires d’un chef-lieu
de district, proportion à rapprocher des 30 % des
personnes qui disent être d’origine péri-urbaine. Enfin, une fraction non négligeable des individus, de
10 % à 25 %, se classe dans le milieu rural ou semirural, celui des gros bourgs agraires dont le réseau
structure les campagnes indiennes. Pour réel qu’il
soit, le caractère urbain de cette population et l’effet
de grande métropole doivent donc être relativisés.
Cette population urbaine a été scolarisée pour une
moitié (51 %) dans des établissements secondaires
publics et pour l’autre (49 %) dans des écoles privées. Mais la grande majorité des personnes enquêtées ont suivi un enseignement en langue anglaise
(83 %) dans la filière menant à un baccalauréat
scientifique (89 %).
Comme on l’a montré précédemment, la plupart des
informaticiens en poste au moment de l’enquête se
caractérise par des résultats scolaires très moyens. Les
deux tiers des individus enquêtés, soit 64 % d’entre
eux, ont des résultats compris dans la tranche 60-80
sur 100 en classe de terminale, cette proportion pour
la même tranche de résultats étant de 77 % en licence d’ingénieur (BEng ou BTech).
– Tableau  39 –
Origine urbaine ou rurale
Nb
%
Urbaine
273
55
Semi urbaine
147
30
76
15
496
100
Rurale
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  40 –
Origine selon la taille de la ville
Nb
%
> 5 millions h.
172
37
1 - 5 millions h.
106
22
100.000 - 1 million h.
143
30
50
11
471
100
< 100.000 h.
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
109
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
–
ENCADRÉ 32 : DEUX PARCOURS DE JEUNES FEMMES INGÉNIEURES
–
Firdhaus est née dans une famille de musulmans sunnites de
Delhi, descendants du côté paternel de propriétaires terriens
originaires d’un district rural assez pauvre de l’état de l’Haryana, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Delhi.
Dans cette famille qu’elle dit plutôt aisée, son père, dans les
années 1950, est le premier homme à être parti faire ses
études à la Jamia Millia Islamia University de Delhi, une université centrale très réputée. Après avoir obtenu une licence
de lettres (Bachelor of Art), il a intégré le corps de la police
de Delhi où il a terminé sa carrière au grade d’Assistant Commissioner. La mère de Firdhaus est analphabète, mais elle et
son mari ont encouragé leurs neufs enfants, six filles et trois
garçons, à faire des études supérieures, chacun dans des domaines différents. Le père de Firdhaus, qui voulait être docteur, a encouragé sa fille à faire des études de médecine, mais
celle-ci a échoué de peu au concours d’entrée et, finalement,
elle a été admise à la faculté d’ingénieurs de l’université Jamia Millia dont le campus est situé près du quartier à majorité
musulmane où vit la famille. « Je n’ai pas tenté le concours
d’entrée dans les IIT parce que je n’étais pas au courant ; mon
père qui était très occupé par son travail avait peu de temps
à nous consacrer, ma mère n’a pas été à l’école. Je ne connaissais pas tout cela. Alors je suis rentré à la Jamia Millia » ditelle.
À la fin de la troisième année de son BTech Electrical, elle a
passé les tests de recrutement des grandes SSII et a été
sélectionnée par la société Mahindra Satyam (Encadré 20).
C’était en plein boom informatique de l’année 2000 et les
recrutements se faisaient en masse. Mais après avoir complété
son BTech l’année suivante, en 2001, elle décline l’offre qui
lui a été faite, souhaitant poursuivre ses études en électronique : « Je n’ai jamais été intéressée par le secteur des TIC »
confie-t-elle.
En l’absence d’une offre d’études en électronique à l’université Jamia Millia, elle s’inscrit pour un master en Control Instrumentation à la faculté d’ingénieurs de l’université musulmane d’Aligarh située à 140 km au sud de Delhi, dans l’état
de l’Uttar Pradesh. Toutefois, elle partage son temps entre les
deux universités, d’un côté, elle suit les cours théoriques à
l’université d’Aligarh et, de l’autre, elle enseigne à la Jamia
Millia où elle mène aussi ses travaux pratiques dans des laboratoires mieux équipés que ceux d’Aligarh. Dans le nord de
l’Inde, ces deux universités centrales qui relèvent de l’Union
indienne réservent 50 % de leurs postes pour les étudiants
110
musulmans et elles sont connues pour l’excellence de leurs
enseignements, la Jamia Millia ayant en outre la réputation
d’offrir un environnement intellectuel plus libéral que celui
d’Aligarh. Sa spécialisation en électronique ne fut pas facile,
et elle a dû combler ses lacunes en suivant une formation
privée du National Institute of Information Technology (voir
section 5.5 ci-dessus). Firdhaus obtient finalement son master
en Control Instrumentation en 2007 et elle cherche alors un
emploi. Elle passe plusieurs entretiens, mais cette jeune
femme dont un foulard (hijab) enserre élégamment la tête,
pratique très commune en Inde, est en butte à des remarques
anti-religieuses qu’elle estime déplacées. Elle trouve cependant un emploi dans une société allemande de la banlieue
de Delhi, mais les conditions de travail en équipe de nuit
qu’on lui impose la conduisent à quitter la société avant
même de terminer son année probatoire.
Elle est alors recrutée par une entreprise sud-coréenne travaillant dans le secteur des infrastructures et de l’énergie. Elle est
employée comme technical database manager, en charge de
gérer la documentation technique de l’entreprise. Après avoir
passé une année et demie dans ce poste, elle est promue
marketing manager et encadre une petite équipe de cinq personnes. Son travail consiste à faire de la prospection de marché en Inde pour trouver de nouveaux contrats et étendre les
activités de la société. Cette jeune femme qui nous reçoit en
tête à tête, sans aucun embarras, reconnaît qu’elle rencontre
parfois des difficultés avec le personnel indien qui tolère mal
l’affichage de son appartenance religieuse musulmane, mais
jamais avec les cadres coréens qui sont très libéraux. « Je n’ai
jamais eu de problème avec mes collègues sud-coréens, parfois
avec des Indiens, oui. Mais la direction de la société est encore
totalement entre les mains des Coréens, ce qui entraîne une
certaine retenue de la part de mes collègues » dit-elle. Firdhaus
explique qu’elle a une pratique religieuse sur son lieu de travail (prières), avec l’accord de sa direction, mais qu’il n’y a
aucune interférence avec son travail, avant d’ajouter : « J’ai
confiance en moi, mes performances sont meilleures que celles
de mes collègues, et l’an dernier j’ai été récompensée pour mon
travail, sans que ma religion fasse obstacle. Donc si mon
travail donne satisfaction, je peux m’exprimer librement auprès
de ma direction et expliquer les difficultés auxquelles je suis
confrontée ; même mes collègues indiens l’ont compris
finalement, et ils me demandent parfois de relayer leurs
réclamations auprès de la direction, en raison de mes
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
performances, pas de ma religion. » Elle souhaite cependant
reprendre ses études d’électronique et aimerait obtenir un
doctorat, mais pour l’heure ce n’est encore qu’un projet.
Minakshi est hindoue, née en 1986 dans une famille de petit
entrepreneur indépendant installée à Delhi. Sa mère est sortie
de l’école après la classe de seconde (Classe X) et son père est
titulaire de l’équivalent du Baccalauréat (examen de fin de
classe XII). Il possédait une petite papeterie avant de se lancer
dans un service de courrier privé qui emploie aujourd’hui cinq
personnes. La configuration familiale apparaît comme un facteur structurant les choix scolaires de Minakshi. Sans vivre
réellement en famille indivise, son père partage une maison
avec son frère, l’oncle paternel de Minakshi, qui est pédopsychiatre, directeur médical d’une clinique publique de l’état de
Delhi. Les deux frères ont chacun deux enfants, un garçon et
une fille (Minakshi est l’aînée), dont les trajectoires scolaires
et professionnelles encadrent les choix assumés par Minakshi.
Après avoir fait de bonnes études secondaires, il lui a fallu
décider de la matière dominante d’une filière scientifique qui
s’est imposée comme la voie d’excellence pour les classes de
première et de terminale. Minakshi a été tentée par la biologie
et les études médicales, comme son cousin, jeune chirurgien
cardiologue, avant d’opter pour les mathématiques car elle
souhaitait alors devenir enseignante. Mais la famille a estimé
que le choix de ce métier n’était pas assez prometteur financièrement. Alors, sur les conseils de chacun, Minakshi s’est
orientée vers des études d’ingénieur et d’architecte (les IIT
offrent des spécialisations en architecture avec un cursus en
cinq ans pour le BArch au lieu de quatre années pour un
BTech). Mais les concours panindiens s’apparentent à une loterie. Minakshi n’a pas fait un bon score (classée entre les 7000e
et 8000e rangs) ni au Joint Entrance Examination (JEE), ni au
AIEE, concours d’entrée pour les IIT et les NIT. En revanche,
elle s’est classée en bonne position (307e rang) au concours
d’entrée du Netaji Subhash Institute of Technology de Delhi,
école d’ingénieur équivalente à un NIT mais dont le concours
d’entrée est indépendant du AIEE.
En 2007, à la fin de sa troisième année d’études d’ingénieurs,
Minakshi effectue un stage en France au Centre de recherches
en informatique (CRI), à Fontainebleau, où elle collabore avec
un doctorant, et l’année suivante, en 2008, âgée de 22 ans,
elle obtient son BTech en électronique.
Au terme de ses quatre années d’études d’ingénieur, Minakshi
doit gagner sa vie pour aider financièrement ses parents qui
ont encore à leur charge les études professionnelles (dans
l’hôtellerie) du frère cadet que la sœur aînée encadre scolairement. Celle-ci doit alors décider dans quel secteur d’activité
et dans quel type d’entreprise elle souhaite travailler. L’expérience familiale lui permet encore d’orienter ses choix. Sa
cousine paternelle, d’une année son aînée, a elle aussi menée
des études d’ingénieur, renonçant à devenir journaliste pour
satisfaire aux souhaits de la famille. En 2008, cette dernière
travaille alors pour la SSII Satyam (Encadré 20), à la veille de
la faillite de cette société, qui allait secouer le secteur des TIC.
« Depuis, elle a changé deux ou trois fois de société », dit Minakshi. « Actuellement [mai 2012], elle travaille pour une société américaine basée à Noida [dans la grande banlieue de
Delhi]. Elle est ingénieure software [titulaire d’un BEng Electronics], elle développe des software en Java, je crois. Lorsque
je discute avec elle, j’ai le sentiment que son travail est assez
médiocre et qu’elle n’en est pas très contente. J’ai décidé alors
de travailler plutôt pour une petite entreprise. » À l’occasion
d’une campagne de recrutement sur le campus du Netaji
Subhash Institute, Minakshi est sélectionnée puis recrutée par
une start-up spécialisée dans le traitement des images, et
localisée également dans la région-capitale de Delhi.
Elle débute comme development engineer et travaille sur une
dizaine de projets pendant un an afin de se familiariser avec
les produits que la société élabore. « Ce qui est bien, dans cette
société, c’est qu’on participe un peu à tous les aspects des
projets, qu’il s’agisse de faire de la documentation, du test, du
développement, du design, de la planification ; j’ai fait tout
cela. Au début, j’avais des ingénieurs seniors comme tuteurs.
Mais après, j’ai travaillé seule, et j’ai même été envoyée aux
États-Unis pour suivre un projet particulier. »
Le départ de Minakshi aux États-Unis a fait l’objet d’une discussion au sein de la famille. Ses parents ne tenaient pas à
ce qu’elle reste dans ce pays, et elle non plus d’ailleurs. Intégrée dans une petite équipe de cinq personnes au début de
son séjour, elle est restée seule presqu’une année ensuite,
ayant pu obtenir un visa de travail. Mais au début de 2013,
elle est revenue travailler au siège à Delhi.
Elle n’a jamais éprouvé de difficulté en tant que femme dans
son parcours. Malgré l’environnement familial très prégnant,
elle a toujours assumé les décisions qui n’ont jamais été prises
contre sa volonté. Et au sein de cette petite société où elle
travaille actuellement, elle n’a jamais ressenti aucune discrimination liée au sexe. « Je ne me suis jamais sentie différente,
déplacée. Dans la société où je travaille chacun est traité de
manière égale, même aux États-Unis où je suis la seule femme
à travailler pour cette société, je ne me sens pas discriminée
ou mise de côté. »
Lorsque Minakshi envisage son futur professionnel, la comparaison avec son cousin qui est devenu chirurgien entre encore
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
111
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
en ligne de compte. Celui-ci est l’homme le plus diplômé de
la famille, dit-elle, il représente un modèle de réussite, d’excellence avec lequel Minakshi compare son parcours. Elle aimerait reprendre ses études, préparer un master et ensuite un
doctorat en électronique, suivant ainsi l’exemple de son cousin. Ses parents l’encouragent dans cette voie, mais maintenant qu’elle travaille, ce projet est difficile à mener. Elle s’est
efforcée de se maintenir dans le cadre des examens et des
concours qui balisent les parcours scolaires en Inde. Elle s’est
présentée trois fois au concours d’entrée des écoles de management, par pure gymnastique intellectuelle, pour conserver
son niveau en mathématiques, mais en fait, elle n’est pas
intéressée par un MBA, et souhaite rester dans la filière technologique. La question du mariage se profile car elle devra
être mariée avant son frère cadet, mais après que celui aura
terminé ses études et trouvé un emploi. Cependant, la société
change, heureusement, dit-elle de manière laconique, et elle
ne sait pas encore très clairement ce que sera son futur. Mais
elle souhaite continuer à travailler et pourquoi pas retourner
aux États-Unis, mais pas seule cette fois.
(Entretiens réalisés à Delhi le 6 mars 2012 et le 4 mai 2012)
– Tableau  41 –
Lieu de naissance
Capitale État
Autres grandes villes
Nb
%
160
32
27
5
Chef-lieu district
188
38
Villages et bourgs
121
25
Total
496
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  42 –
Résultats scolaires comparés en classe de terminale et
au BEng (%)
Notes scolaires
Terminale
BEng
< 60
15
16
60-69
31
45
70-79
33
32
80-84
11
5
85 >
11
2
Total
100
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
À titre de comparaison, les grandes écoles comme les
IIT recrutent les meilleurs étudiants dans les tranches
de notes scolaires > 90 sur 100 et même > 95 sur 100
pour les matières les plus sélectives, comme Computer
Sciences. D’ailleurs, pas un seul informaticien de notre
échantillon n’est issu d’une grande école d’ingénieurs.
Du point de vue familial, 55 % des individus sont
célibataires, 44 % sont mariés et 1 % déclarent vivre
112
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
avec un partenaire. La forte proportion de célibataires tient à la structure par âge de la population qui
est jeune, pour beaucoup à peine sortie de l’université. Parmi les 44 % des personnes mariées, un peu
moins de la moitié sont sans enfants (47 %), souvent
en raison encore de leur jeune âge. Mais pour ceux
qui ont déjà une charge de famille, celle-ci est réduite
à un enfant dans 40 % des cas, ou deux enfants pour
12 % des personnes mariées. Ces données ne sont
qu’indicatives, mais elles sont un indice de la structure familiale réduite de ces nouvelles fractions d’employés qualifiés dont les deux conjoints travaillent
dans 61 % des cas. La situation de ces couples
contraste avec celle de leurs parents pour lesquels,
dans 80 % des cas, la mère est déclarée comme étant
femme au foyer sans activité salariée extérieure. Enfin, si le nombre de personnes non mariées ayant
déclaré vivre avec un partenaire est faible (7 individus), il faut relever que leur déclaration s’est faite
dans une société où les valeurs morales associées au
mariage sont très prégnantes et pèsent sur les
femmes célibataires.
Plusieurs questions ont permis d’analyser la position
de ces informaticiens dans la structure sociale de
l’Inde : d’une part, sur la perception que cette population a d’elle-même en termes de classes et de castes
et, d’autre part, sur son sentiment au regard de sa
mobilité sociale comparée à la situation des parents.
En premier lieu, 92 % des personnes enquêtées sont
hindous et 2 % jains. Les musulmans qui représentent
environ 13 % de l’ensemble de la population de l’Inde
sont donc quasiment absents de notre échantillon
avec seulement 3 % du total ; les chrétiens sont en
proportion sensiblement égale à leur part dans la
population de l’Inde. (Pour une comparaison avec
l’ensemble de la population, voir encadré 1. Le recensement ne publie pas la répartion de la population
active par secteurs d’activités et groupes religieux).
Cette population majoritairement hindoue est issue
des « bonnes castes » de la société indienne, c’est-à-dire
celles regroupées sous la « Catégorie générale » (encore
dite « Open Category »). Rappelons que la définition
des « bonnes castes » est donnée par défaut, puisque
ce sont celles qui ne bénéficient pas des quotas de
réservation dans l’enseignement supérieur public et
dans les emplois de la fonction publique. On précise
plus loin cette notion de « bonnes castes ». Le groupe
des castes intermédiaires, OBC (Other Backward
Castes) rassemble 14 % des informaticiens et celui des
basses castes 3 % seulement. La catégorie du groupe
résiduel « Hors catégorie » (3 %) correspond à celle des
musulmans qui n’entrent pas dans cette classification
des castes d’État (à l’exclusion également des chrétiens), sauf exception dans certains états fédérés.
Appartenir au groupe officiel de la « Catégorie générale » ne signifie pas pour autant que tous se perçoivent comme étant issus de hautes castes. Globalement, seule la moitié des individus, 53 %, se
reconnaissent de hautes castes, 42 % disent appartenir à des castes moyennes et 5 % seulement à des
basses castes (SC – Scheduled Castes – ou ST – Scheduled Tribes – et quelques chrétiens probablement,
mais pas tous).
Bien que les catégories de castes mobilisées ici soient
très grossières, les données recueillies sont cohérentes, signe que les personnes se classent avec pertinence sous ce rapport et sans trop de réserve, même
si la question est toujours délicate à formuler. Cette
cohérence apparaît dans le tableau 46 où l’on croise
l’appartenance de caste perçue avec la caste officielle
déclarée. Dans ce cas, la Catégorie générale se
décompose en deux groupes distincts : 44 % des individus de cette catégorie se perçoivent comme étant
issus de hautes castes, et 29 % de castes moyennes.
Cette représentation de la société indienne en castes
est enrichie par la perception de « l’appartenance de
classe » (tableau 47). De manière attendue, 75 % des
personnes interrogées se classent dans les fractions
supérieures des classes moyennes, et 18 % dans les
fractions inférieures ; 6 % seulement déclarent appartenir aux classes supérieures. En Inde où les disparités
sociales sont très fortes, les classes urbaines dites
moyennes, elles mêmes très différenciées, n’ont de
moyenne que le nom. Si l’on ne retient que l’indicateur du salaire, les informaticiens indiens sont très
– Tableau  43 –
Distribution selon la religion
Hindou
Jain
Nb
%
459
91
8
2
Chrétien
13
3
Musulman
17
3
3
1
500
100
Autres (Sikh, Bouddhiste)
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  44 –
Appartenance aux castes d’État
Nb
%
398
80
70
14
Scheduled Tribes (ST)
13
3
Hors catégorie
15
3
496
100
Catégorie générale
Other Backward Castes (OBC)
Scheduled Castes (SC) &
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  45 –
Situation de caste auto-déclarée
Nb
%
Hautes castes
241
53
Castes moyennes
192
42
23
5
456
100
Basses castes
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
nettement au-dessus de ce qui serait un salaire
moyen indien, indice tiré vers le bas par la forte proportion des pauvres en milieu rural. Mais rapporté à
leur position de classe de services, employés ou techniciens supérieurs, c’est à juste titre que cette population se perçoit comme appartenant aux fractions
supérieures des classes moyennes indiennes.
Les informations sur les origines sociales des individus
enquêtés font apparaître une part importante de personnes issues de familles de fonctionnaires. Pour 45 %
d’entre eux, le père travaille dans le secteur public, et
c’est probablement le cas aussi de pères mentionnés
comme cadres sans autre précision du secteur d’actiAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
113
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
– Tableau  46 –
Castes d’État et castes perçues
Castes
Catégorie générale
OBC
SC & ST
Hors catégorie
Sans réponse
Total
Hautes castes
44
2
0
2
0
48
Castes moyennes
29
9
1
0
0
38
Basses castes
1
2
2
0
0
5
Sans réponse
6
1
0
1
1
9
79
14
3
3
1
100
Total
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  47 –
Sentiment d’appartenance à une classe sociale
Classes
Nb
%
Classes supérieures, fractions supérieures
14
3
Classes supérieures, fractions inférieures
17
3
Classes moyennes, fractions supérieures
374
75
Classes moyennes, fractions inférieures
89
19
Classes inférieures
Total
2
0
496
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  48 –
Occupation du père
Occupation
Nb
%
Service public
202
45
Dirigeant et cadre
166
36
Employé
21
5
Professionnel
28
6
Ouvrier, paysan
Total
34
8
451
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
– Tableau  49 –
Niveau d’éducation des deux parents
Diplôme
Père
Mère
Nb
%
Nb
%
< Licence
153
31
282
56
Licence
247
49
158
32
Master
88
18
54
11
PhD
Total
12
2
3
1
500
100
496
100
Source : Enquête Centre de Sciences Humaines (Delhi), 2010-2011
114
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
vité. Ces familles se caractérisent aussi par un fort capital scolaire des deux parents : 80 % des pères ont un
niveau d’études égal ou supérieur à la licence et 43 %
des mères, et un écart d’éducation fréquemment observé entre les conjoints. On peut donc déduire de ce
niveau d’études que les pères occupent ou occupaient
plutôt des postes dans les rangs moyens et supérieurs
de la fonction publique. Dans 42 % des cas, les pères
sont eux-mêmes ingénieurs. Les entretiens menés révèlent que très souvent les pères sont des ingénieurs
civils qui travaillent dans le service des travaux publics
(Public Works Department) et sont membres du corps
des ingénieurs d’État, le Indian Engineering Civil Service, soit à l’échelle du gouvernement central de
l’Union soit à celle de l’état fédéré.
Les individus observés sont donc majoritairement issus des fractions des classes moyennes liées à l’État,
occupant des positions qui assurent des revenus réguliers, même modestes, et bénéficiant de bonnes conditions de vie urbaine, notamment dans des parcs de
logements publics, le tout permettant aux enfants de
ces familles un accès facilité aux bonnes écoles secondaires, condition nécessaire à la réussite aux concours
d’entrée dans les écoles d’ingénieurs.
Néanmoins, 62 % des personnes interrogées ont le
sentiment d’un changement de statut social alors
même qu’elles continuent d’appartenir aux fractions
des classes moyennes. Pour comprendre ce sentiment,
il faut prendre en compte le déplacement professionnel que les enfants de ces familles ont opéré. Alors
que leurs parents sont liés au service public, les enfants de ces familles sont employés dans le secteur
privé, bénéficiant de nouvelles opportunités économiques et sociales qui n’ont pas été offertes à leurs
parents dans la seconde moitié du 20e siècle. l
–
ENCADRÉ 33 : « LA BRU AUX DOLLARS »
–
Sudha Murty, Dollar Bahu, New Delhi, Penguin, 2007
Ce livre conte le conflit de valeurs qui divise une famille brahmane de la petite bourgeoisie urbaine de l’état du Karnataka,
en Inde du sud, dont les membres sont à la fois les témoins
et les acteurs des changements économiques sociaux et culturels portés par le développement du secteur des technologies
de l’information en Inde au tournant du XXIe siècle.
Vinuta, jeune institutrice, s’installe avec ses beaux-parents à
Bangalore après son mariage avec Girish, le fils cadet de la
famille, titulaire d’une licence en économie et modeste employé de banque. En jeune épouse modèle, Vinuta doit s’ajuster à son nouvel environnement familial, s’occuper de son
mari, de son beau-père, maître de sanscrit, et de sa belle-mère,
Gouramma, en s’efforçant de ne pas paraître trop affectée par
le manque de considération dont cette dernière fait preuve
envers elle. Mais lorsque Chandra, le frère aîné de Girish, revient des États-Unis après six ans d’absence pour se marier
avec Jamuna, Vinuta doit encore endurer l’humiliante comparaison à laquelle se livre Gouramma entre la vie simple du fils
cadet et de sa femme et, tout à l’opposé, celle qu’affichent
Chandra et Jamuna, la bru couverte de dollars. L’aisance économique de ces derniers atteste, aux yeux de Gouramma, de
la réussite professionnelle, économique et sociale de ce couple
d’indiens ayant accompli le « rêve » américain de réussite, si
fortement inscrit dans l’imaginaire de ces fractions de classe
urbaines et éduquées.
En effet, Chandra est un ingénieur civil qui a émigré aux
États-Unis où il a fini par trouver un emploi régulier dans le
secteur informatique et son mode de vie, ou plutôt celui que
sa mère lui prête, en fait aux yeux de celle-ci un modèle de
réussite faisant ressortir la vie étroite et conformiste du fils
cadet. À l’occasion de la naissance du premier enfant de
Chandra et de Jamuna, Gouramma s’embarque pour un
voyage aux États-Unis. Le récit, jusqu’alors centré sur la famille indivise que constituent les parents et le couple du fils
cadet vivant à Bangalore, se focalise alors sur la famille nucléaire du fils aîné dont la mère ne tarit pas d’éloges, pleine
de la fierté que lui procure la trajectoire professionnelle et
sociale de son fils préféré.
Mais cette visite qui s’annonçait sous le signe du bonheur se
révèle être l’histoire d’une désillusion, l’exploration d’un
monde matérialiste, désenchanté, aux relations égalitaires
entre les personnes sans considération de genre ni de statut,
aux vies de couples brisées, en bref, un monde sans règle, sans
idéal spirituel ni repère culturel. Allant de déception en déception, Gouramma reconsidère alors l’histoire de sa famille et
de ses enfants afin de retrouver le socle de valeurs dans lequel
s’ancre la vie quotidienne de cette petite bourgeoisie urbaine
hindoue de haute caste, attachée à sa culture lettrée, à ses
rituels, à son sens de l’ordre du monde qui règle la succession
des générations et désigne à chacun ses devoirs, ses droits et
ses attentes de bonheur socialement définies. Alors la chute
s’impose, l’argent roi ne fait pas le bonheur nous dit l’auteur,
Sudha Murty, qui conclut : « L’invincible dollar était tombé… ».
Ce récit didactique a été écrit originellement en langue kannada puis traduit en anglais, dans une langue simple qui vise
à toucher un large public, avant d’être adapté pour la télévision. Malgré son manque de véritable épaisseur romanesque
et des personnages réduits à des stéréotypes, ce conte moral
réaliste retient l’attention parce que son auteur, Sudha Murty
(ou Murthy), outre le fait qu’elle a épousé N. R. Narayana
Murthy, le fondateur de l’entreprise Infosys, est, dans les années 1970, l’une des rares femmes ingénieures à travailler
dans le monde industriel à une époque où beaucoup d’entreprises pratiquaient une politique de recrutement explicitement discriminante envers les femmes.
Sudha Kulkarni, de son nom de jeune fille, est née en 1950 à
Shiggaon, un bourg au nord de l’état du Karnataka, dans une
famille de Deshastha brahmanes dont le père était médecin
dans un hôpital public. Au B.V. Bhoomaraddi College of Engineering and Technology, de Hubli, où elle entre en 1968,
Sudha est la seule femme de sa classe, une singularité qui lui
vaut de recevoir une médaille d’or du Chief Minister de l’état
du Karnataka lorsqu’elle obtient sa licence d’ingénieure en
électricité en 1972. Puis elle intègre l’Institut des Sciences de
Bangalore où elle achève une maitrise en ingénierie informatique (Computer Science) en 1974. Sudha envisage alors de
partir aux États-Unis pour y mener un doctorat lorsqu’une
offre de recrutement d’ingénieurs de la Tata Engineering and
Locomotive Company (TELCO) attire son attention. Cette société annonce qu’elle ne recrute que des hommes et précise,
sans justification, que les candidatures féminines sont exclues.
Choquée par cette discrimination, Sudha Kulkarni fait part de
sa réprobation dans une lettre adressée à J.R.D. Tata (né à
Paris en 1904-mort à Genève en 1993) qui accepte sa candidature. Malgré leurs réticences, les dirigeants de TELCO recrutent Sudha Kulkarni qui travaille dans cette société pendant huit ans (1974-1982) d’abord dans les ateliers de
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
115
–7–
LES EMPLOYÉS DU SECTEUR INFORMATIQUE. PORTRAIT DE GROUPE
Jamshedpur, aujourd’hui dans l’état du Jharkhand, puis à
Pune dans l’état du Maharashtra.
Au milieu des années 1970, Sudha Kulkarni rencontre N. R.
Narayana Murthy qui lui est présenté par un ami commun, G.
K. Prasanna devenu l’un des dirigeants de Wipro. Narayana
Murthy rentre de deux années passées en France et il est alors
sans situation stable, s’essayant à plusieurs emplois avant de
prendre un poste de manager dans la société Patni Computer
Sytems à Mumbai en 1977 (voir Encadré 19). Sudha et Narayana se marient un an plus tard, en 1978. Cependant,
Sudha continue de travailler chez TELCO jusqu’en 1982, un
an après la fondation de la société Infosys à laquelle elle
contribue financièrement en y investissant 10 000 roupies,
toutes ses économies d’alors.
116
Sudha Murty est venue à l’écriture il y a une quinzaine d’années, se souvenant que son enfance a été bercée des histoires
que lui contait sa grand-mère paternelle qui vivait avec ses
parents, selon le modèle de la famille indivise. Elle est l’auteur
d’une quinzaine de livres pour enfants ou à l’attention du
grand public dans lesquels elle met en scène des histoires
édifiantes qui entendent transmettre les valeurs de dévouement, de don et de désintérêt qu’elle dit avoir héritées de sa
famille. Ces livres pédagogiques se veulent encore une autre
forme d’expression des principes éthiques que défend Sudha
Murty, présidente de la fondation Infosys qui finance de nombreux projets philanthropiques à l’attention des groupes les
plus déshérités dans les secteurs de l’éducation, de la santé
ou du développement rural.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–LA RECHERCHEDÉVELOPPEMENT
DANS LE SECTEUR
DES TIC–
–8–
118
Structure des centres de R&D
120Investissements étrangers des entreprises indiennes et potentiels
de recherches
123R&D et processus d’innovation APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
117
–8–
LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC
Ce sont pour l’essentiel les entreprises étrangères qui sont à l’initiative des activités de
recherche et de développement ((R&D) du secteur des TIC en Inde. Les investissements
étrangers directs (Foreign Direct Investment, FDI) dans l’économie indienne ont connu trois
grandes phases dans les dernières décennies. D’abord, dans les années 1980, les entreprises
étrangères sont venues en Inde pour exploiter le marché de la main d’œuvre locale. Ce fut le
cas par exemple du fabricant japonais d’automobiles Suzuki, l’une des premières entreprises à
avoir monté un partenariat avec une entreprise indienne, initiative qui fut suivie par d’autres
grands investisseurs étrangers. Ensuite, dans les années 1990, les grandes entreprises
électroniques spécialisées dans le software sont entrées sur le marché indien, soit directement,
soit par l’intermédiaire de filiales. La troisième étape enfin, à partir des années 2000, est
marquée par l’entrée sur le marché indien des unités de Recherche-Développement (R&D) des
entreprises étrangères qui étaient déjà présentes dans le secteur des TIC ou qui ont ouvert
leurs centres de recherche en Inde, comme c’est le cas pour IBM et Microsoft par exemple.
–8.1 STRUCTURES DES CENTRES DE R&D–
Les entreprises américaines sont très largement majoritaires en nombre dans le secteur R&D des TIC : 73 %
des centres de recherche ont leurs sièges sociaux aux
– Tableau  50 –
Localisation des sièges sociaux des centres de R&D du
secteur des TIC établis en Inde (en %)
%
Autriche
0,6
Brésil
0,6
Canada
0,6
Chine
0,6
Finlande
0,6
Israël
0,6
Singapour
0,6
Taiwan
0,6
Turquie
0,6
Pays-Bas
1,2
Suède
1,2
Suisse
1,2
Japon
3,1
Allemagne
3,8
Corée du Sud
3,8
France
3,8
Grande-Bretagne
États-Unis
Total (n=160)
3,8
72,5
100,0
Sources : Dépouillement de la presse professionnelle (rapports de la Nasscom, Dataquest) et des
publications d’organismes spécialisés (CMIE, TIFAC, DSIR)
118
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
États-Unis ; les pays de la zone euro (France, Allemagne) ne représentent que 8 % de l’ensemble des
centres, la Grande-Bretagne, avec 4 % des centres, ne
s’en distinguant nullement (tableau 50).
De nombreuses raisons expliquent le nombre élevé
des centres de recherche liés aux entreprises américaines. D’abord, celles-ci ont été les premières à délocaliser une partie de leurs services de base en Inde et
les États-Unis restent le premier pays consommateur
des services du secteur indien des TIC. Ensuite, historiquement, les États-Unis ont été le premier pays où
les jeunes ingénieurs indiens diplômés sont allés très
tôt poursuivre leurs études pour y mener un master
ou un doctorat, ce mouvement migratoire s’intensifiant dans les années 1980. Nombre de ces diplômés
hautement qualifiés sont alors restés aux États-Unis
où ils se sont insérés professionnellement dans le secteur des TIC, beaucoup d’entre eux réussissant à des
postes de responsabilité ou devenant des chefs d’entreprises. Tous ces ingénieurs ont accumulé un capital
de savoir-faire qu’ils ont mis au service des clients
indiens avec lesquels ils avaient des contacts professionnels, amicaux ou familiaux. Ces ingénieurs ont
ainsi servi d’intermédiaires entre les entreprises américaines, d’une part, et les entreprises indiennes,
d’autre part, étant capables d’éclairer le marché des
TIC du côté tant de la demande que de l’offre de
services. Enfin, le fait que les élites indiennes soient
scolarisées et éduquées en langue anglaise est un
atout important pour le développement de relations
professionnelles privilégiées entre l’Inde et les ÉtatsUnis (la faiblesse des liens avec la Grande-Bretagne
s’explique par le fait que ce pays n’est pas leader sur
le marché des TIC).
Les entreprises américaines ont souvent servi de
modèle pour les entreprises des autres pays qui les
ont imitées dans leur implantation sur le marché indien, qu’il s’agisse des services offshore et des activités de recherche. Pour toutes ces entreprises, les stratégies de développement sont décidées dans les
sièges sociaux des pays d’origine et l’Inde constitue
un terrain d’application et de mise en œuvre dont
l’avantage premier demeure le bas coût de la main
d’œuvre qualifiée. Ce n’est que très progressivement
que les filiales indiennes ont gagné en autonomie et
en indépendance pour mettre en place leurs propres
politiques et faire preuve d’innovation dans le développement des activités de pointe. La proximité géographique entre l’Inde et les pays émergents du
Moyen-Orient et de l’Asie orientale a également
contribué à cette ouverture (Engardio, 2008).
Plusieurs études permettent de préciser la nature des
activités menées par ces centres de recherche, le type
de produits développés, et la manière dont ils
s’adaptent au marché indien (Archibugi et Pietrobelli,
2003, Ilavarasan, 2010). On distingue trois grands
types de centres de recherche selon leur implication
régionale et le segment du marché visé. Le premier
type concerne les entreprises qui reconnaissent les
compétences technologiques de la main d’œuvre indienne, mais considèrent l’implantation de leurs
centres de recherche en Inde sous le seul angle du
coût des produits développés. Ces centres réalisent
des produits conçus ailleurs qu’en Inde, et ceux-ci sont
destinés au marché global, international. Un second
ensemble de centre de recherche s’adresse au marché
local, ou régional, à l’échelle du sous-continent indien. Ce marché potentiellement immense reste sousdéveloppé. Pourtant, il existe de nombreuses niches
commerciales, par exemple pour la mise au point de
produits électroniques en langues indiennes dans le
secteur des télécommunications et de la téléphonie
mobile, en fort développement depuis une quinzaine
d’années. Nombre d’entreprises étrangères perçoivent ces potentialités commerciales et leurs centres
de recherche implantés en Inde ont orienté leurs activités vers ce segment du marché intérieur en mobilisant les compétences des ingénieurs indiens. On peut
qualifier ce type de centres de recherche comme étant
des unités régionales visant un marché régional. Un
troisième type de centre de recherche adossé aux
entreprises multinationales, intègre leurs activités
dans les stratégies industrielles globales des entre-
prises. Les activités développées en Inde sont une
composante des recherches générales mises en œuvre
par ces entreprises multinationales. Certaines de ces
entreprises reconnaissent que leurs unités indiennes,
qui mobilisent les savoir-faire des ingénieurs indiens,
contribuent principalement au marché global sans
considérations régionales. Ces centres peuvent être
qualifiés d’unités régionales travaillant pour le marché international (ou global).
Globalement, la répartition du marché entre ces trois
types de centres de recherche est la suivante : les
centres travaillant pour le marché international représentent 50 % du total des centres, les centres qui ont
un fort ancrage régional mais travaillent également
pour le marché global 46 %, et 4 % s’adressent au
marché local, ce dernier chiffre témoignant de la faiblesse de la demande intérieure mais aussi du fort
potentiel de croissance de ce marché.
Cette division entre centres de recherche correspond
également à des types d’activité différents qui témoignent de la position de l’Inde sur l’échelle de la
valeur ajoutée aux services du secteur des TIC. Les
centres de recherche travaillant pour le marché global
mais sans fort engagement régional empruntent uniquement au modèle économique fondé sur le coût du
travail de la main d’œuvre qualifiée mobilisée. Les
projets développés demeurent entièrement sous la
responsabilité de la société mère et les unités indiennes sont de simples exécutants, mais la valeur
ajoutée demeure bien supérieure à celle des produits
ordinaires de tous services ordinaires. À l’inverse,
dans le cas des centres à fort ancrage local et travaillant pour le marché international, les relations avec
les entreprises mères sont moins inégalitaires, les
unités indiennes assumant la responsabilité des produits réalisés. Le développement des centres régionaux travaillant pour le marché international témoigne de l’importance croissante de la position de
l’Inde sur ce marché technologique global. La croissance de la valeur ajoutée des services et des produits
développés en Inde contribue, d’une part, à disséminer régionalement l’expertise des entreprises multinationales et, d’autre part, à augmenter globalement
les compétences technologiques nationales. Ce type
de centres de recherche offre à la main d’œuvre qualifiée indienne l’opportunité de faire ses preuves sur
ce segment de marché global. Les centres régionaux
travaillant pour le marché régional exploitent un segment du marché des TIC délaissé par les grandes
entreprises qui jugent que ce secteur n’est pas encore
assez rentable pour elles, selon leurs critères éconoAPEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
119
–8–
LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC
miques. On résume dans le tableau 51 ci-dessous les
principales innovations que les centres de recherche
développent en Inde.
La plupart des centres de recherche ont été créés selon le premier modèle, avant d’évoluer progressivement vers le second type, ancré régionalement et
orienté vers le marché international. Dans un premier
temps, le centre établi en Inde doit faire les preuves
de son savoir-faire en exécutant des projets conçus
– Tableau  51 –
Innovations technologiques développées par les entreprises multinationales
Domaines
de recherche
Nouvelles Technologies
Exemples d’innovations
Intel Dunnington : Premier processeur (Central
Processing Unit, CPU) à six cœurs
Adobe Premiere elements: logiciel de montage vidéo
CISCO transpondeur d’urgence pour renforcer la
sécurité dans les transports aériens
Texas Instruments: LoCosto, multi semi-conducteur
Google India traduction
Applications financières
Google Finance
Finnacle / Flexicube
Adventnet Zoho
Oracle 10g, système de gestion de bases de données
relationnelles
Affaires, management
MindTree : Solution Management Entreprise
Source: Nasscom, 2009.
par la société mère. Les modalités du travail exécuté
dans les centres de recherche sont totalement intégrées aux processus de la société mère : mission entre
les pays partenaires, vidéo conférences, courriels, etc.
Deux modèles d’intégration opèrent. Le premier modèle engage l’entreprise internationale à évaluer les
capacités et les compétences de ses différents centres
de recherche dans le monde, à les mettre en réseau
et à construire un projet dont chaque centre réalise
la partie qui lui est allouée. Le second modèle accorde plus d’autonomie et d’initiative aux collaborateurs du centre indien.
Le dépôt de brevets (patents) est un indicateur du
développement des innovations technologiques produites en Inde. Toutefois, il importe de savoir si ces
brevets sont déposés au nom du centre de recherche
indien ou sous celui de la société mère. Les sources
secondaires que l’on a pu dépouiller témoignent
d’une situation ambiguë. D’un côté, les trois quarts
des centres de recherche indiens déclarent que les
brevets seraient déposés en leur nom, de l’autre, les
données attestent que les entreprises multinationales enregistrent les brevets dans le pays où est localisé leur siège social, sans toujours créditer les unités
indiennes de leur dû. Seuls les chercheurs indiens qui
ont contribué aux innovations sont mentionnés dans
les brevets. Ces chercheurs sont compensés de leur
travail et de leurs mérites en termes financiers, en
récompenses internes ou par une promotion. Mais
aucun de ces chercheurs ne reconnaît partager une
part des revenus que génèrent ces brevets. l
–8 .2 INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS DES ENTREPRISES
INDIENNES ET POTENTIELS DE RECHERCHE–
Un rapport de la Nasscom indique que la contribution du sceteur des TIC aux investissements étrangers directs (FDI), mesurée selon la valeur des fusions et acquisitions, a doublé entre 2007 et 2008.
Sur ces deux années, le nombre total d’opérations
engageant des entreprises indiennes a augmenté
de 17 %, leur valeur passant de 2,9 billions de $ en
2007 à 3,4 billions de $ en 2008. La part des entreprises indiennes représenterait 11 % du total des F
& A de ce secteur. Cependant, pour l’ensemble du
secteur, le nombre total des transactions a diminué,
passant de 159 opérations en 2007 à 98 en 2008.
En conséquence, la taille moyenne des transactions
120
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
a augmenté de 18,2 millions en 2007 à 32,4 millions en 2008.
Dans le secteur des TIC, les processus de fusions et
d’acquisitions diffèrent selon la taille des entreprises.
Les grandes entreprises rachètent des entreprises
moins pour grandir que pour accéder à des savoirfaire, acquérir de l’expertise sur certains segments du
marché auxquels elles n’accédaient pas jusqu’alors.
Les opérations de rachat, auxquelles procèdent les
entreprises de rang moyen, visent à la fois un accroissement de leur taille globale et l’accès à de nouvelles
expertises technologiques. Le troisième groupe d’entreprises, les plus petites, cherchent à acquérir des
– Tableau 52 –
Fusions et acquisitions dans le secteur des TIC en 2003-2004 (en $)
Investisseur
Compagnie cible
Montant investi
(en million de $)
Datamatics Technologies CorPay Solutions (US)
9,0
ICICI OneSource
FirstRing (India)
-
Hinduja TMT
C3 (Philippines)
3,9
Zensar
Suntech Data Systems
0,7
B2K Corporation
Talisma (technical outsourcing service)
-
WNS
ClaimsBPO (US)
-
Lawkim
Upstream LLC (US)
6,0
TCS
Airline Financial Services (India)
5,8
Essar
Aegis Communications Group (US)
28,0
Indian Rayon
Transworks (India)
13,0
Mascot
IT&T
Perot Systems
Vision HealthSource
10,0
MedusInd Solutions
SRF Infotech (India)
-
iGate
Quintant Services
Ismart
L&L Services
Optimus (Polaris)
iBackOffice
Citigroup
e-Serve
122,0
IBM (annoncé 2005-06)
Daksh
150,0
4,5
19,9
0,9
-
Partnerships/Joint Ventures
Msource (Mphasis)
Accenture
Partnership
Infowavz
Contact Power Inc. (UK)
Partnership
Sutherland Group
ISANI Group (US)
Partnership
L&T Infotech
ACS
Partnership
Tracmail
Webhelp; Spherenomics
JV ; nouvelle compagnie TWS Holdings
Datamatics Technologies Cadmus
JV ; nouvelle compagnie KnowledgeWorks Global Ltd
Bharti
TeleTech Holding
JV ; nouvelle compagnie TeleTech Services
ITC Infotech
ClientLogic
JV ; devenue CLI3L
Source : Dataquest
entreprises de même taille qu’elles pour se renforcer
dans leur secteur d’activité. En dehors de ces stratégies d’acquisitions, les entreprises indiennes sont
aussi engagées dans un processus de diversification
géographique de leur domaine d’activité. Les secteurs
les plus concernés par ces transactions de fusionsacquisitions sont ceux des activités de service informatique et des semi-conducteurs, suivis par tous les
gros logiciels de gestion (De, 2006). L’étude de la
presse spécialisée permet de donner quelques
exemples de ces opérations de fusions et d’acquisitions dans le secteur des TIC (tableau 53).
Si les entreprises indiennes ont étendu leurs domaines d’activité technologiques au moyen de ces
fusions et acquisitions, il n’est pas certain qu’elles
aient nécessairement acquis de nouvelles capacités
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
121
–8–
LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC
– Tableau 53 –
Fusions et acquisitions dans le secteur des TIC en 2000-2010
Entreprises
Fusion avec ou Acquisition
Raisons / Bénéfices
Polaris
Fusion avec OrbiTech
Acquisition de la propriété intellectuelle
des produits OrbiTech dans le domaine bancaire.
Wipro
Acquisition Spectramind
Expansion du secteur BPO et accroissement
de la rentabilité de ces secteurs.
Wipro
Acquisition de American Management
Systems
Acquisition des compétences professionnelles
et d’une clientèle importante dans le domaine
de l’expertise énergétique.
Wipro
Acquisition de l’unité R&D de Ericsson
Acquisition de l’expertise dans le secteur
des télécommunications.
Wipro
GE Medical Systems (India)
Acquisition de propriétés intellectuelles
dans le domaine des systèmes médicaux, servant
de plateforme pour étendre l’offre de services
de santé en Inde et dans le Pacifique.
Moksha Systems
Challenger Systems & X media
Élargissement de la clientèle et développement de
l’expertise dans le secteur de la banque,
des services financiers et des assurances.
Mphasis
Acquisition de Navion software,
basé en Chine
Extension du domaine d’action aux marches chinois
et japonais et développement d’un centre
de données pour les opérations en Inde.
Mascot Systems
Acquisition de eJiva (États-Unis),
et de Aqua Regia (Inde)
Expansion en taille et développement des
compétences dans le secteur d’activité, et, in fine,
élargissement de l’éventail des services etextension
de la base de la clientèle.
Source : http:// www.expresscomputeronline.com/20030407/indtrend1.shtml (accès 25 avril 2010, la page n’est plus accessible)
en R&D. Ces entreprises travaillent toujours, en priorité, pour les besoins de leurs clients occidentaux et
peu d’entre elles développent des produits et des
services adaptés à la demande de la clientèle du
sous-continent indien, ou même pour le marché des
produits libres (open source). Malgré les déclarations
publiques de leurs dirigeants, l’activité de R&D demeure peu développée, comme en témoigne le
nombre de brevets déposés ou les revenus tirés de
ces innovations. Wipro, par exemple, l’une des cinq
premières entreprises en termes de nombre d’employés et de revenu global généré, a acquis en 2003
la société autrichienne Nerve Wire et l’américaine
mPower. L’acquisition de Nerve Wire a ainsi permis
à Wipro d’entrer sur le marché européen et d’accéder
à des nouvelles technologies, concernant notamment les usages de Blue tooth et le système des réseaux locaux sans fil (WLAN). L’acquisition de la société mPower ouvre en principe sur les technologies
du paiement en ligne tout en accroissant les moyens
de pénétrer le marché américain. Mais les retours en
termes de R&D restent incertains.
Les entreprises indiennes tentent encore de renforcer
122
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
leur pôle R&D en rachetant des unités de recherches
dépendantes d’entreprises étrangères. Quatorze de
ces unités dites captives ont été intégrées à des entreprises indiennes ces dernières années. Ainsi, les entreprises Symphony Services et Global Logic ont acquis
respectivement sept et quatre centres de recherche.
Hindustan Computer Limited, Persistent, Larsen &
Toubro ont acquis chacun une unité de R&D. Comme
le note un responsable indien : « Ces centres de R&D
étaient rattachés à des entreprises multinationales du
secteur des TIC. Mais ces entreprises ont réduit leurs
investissements dans ces centres de recherche en
même temps qu’ils en abandonnaient le contrôle, favorisant ainsi leur acquisition par les entreprises indiennes. La récession globale qui a touché le secteur
des TIC se prolongeant, les entreprises multinationales
ont cédé plus facilement leurs unités de R&D. » (cité
dans M. Sharma, 2009)
Chacun de ces centres regroupe une centaine d’employés, mais les détails financiers de ces acquisitions
ne sont pas connus. Après ces acquisitions, les unités
passées dans le giron des entreprises indiennes continuent de servir leur clientèle habituelle pendant trois
à cinq ans, cette durée pouvant être étendue après
expertise. C’est ainsi que les entreprises indiennes
accèdent à de nouveaux marchés et enrichissent leur
capital technologique.
Dans le domaine des télécommunications, le processus d’acquisition a constitué la stratégie principale
de développement du secteur. Ainsi, la société Bharti
Airtel a acquis Zain Telecoms pour ses opérations en
Afrique (Maroc et Soudan exclus), pour la somme de
10,7 billions de dollars, tandis que Reliance Infocomm s’est porté acquéreur de la société américaine
Flag Telecoms pour 191 millions de dollars. l
–8.3 R&D ET PROCESSUS D’INNOVATION–
Deux types d’entreprises font donc de la recherche
dans le secteur des TIC en Inde : d’une part, les
grandes entreprises nationales indiennes et, d’autre
part, les centres des entreprises étrangères multinationales. Les entreprises nationales sont engagées
dans des recherches innovantes d’ordre interne et
externe. Les activités de type interne, à l’usage des
entreprises, concernent essentiellement les domaines
de la gestion (de produits, de services ou des ressources humaines). Il est difficile d’estimer les sommes
investies dans ces activités sur lesquelles les entreprises communiquent peu, mais comme le révèle une
étude portant sur 278 entreprises indiennes enregistrées au Indian National Stock Exchange (INSE), les
investissements sont au total assez faibles :
« Seules 12 des 278 entreprises enregistrées au INSE,
soit 4,3 % du total, disposent d’un centre R&D ou
engagent des dépenses dans ce secteur. Les entreprises
dépensent moins de 1 % de leurs revenus dans des
activités de R&D. La dépense moyenne des entreprises
en R&D représente 3,8 % de leurs revenus commerciaux. Pour l’ensemble des entreprises indiennes et
étrangères, tous secteurs technologiques confondus
(hardware, software, télécommunications, électronique industrielle), 63 % déclarent des dépenses en
R&D en 1999-2000, mais la majeure partie d’entre
elles adaptent des produits déjà développés ; 9,6 %
seulement des entreprises développent des
innovations. » (Nollen, 2004, p. 11)
Les activités de R&D de type externe concernent des
clients étrangers qui délocalisent leurs activités de
recherche. Dans le milieu des TIC, ces activités de
recherche externes sont classées sous la rubrique
« engineering services and R&D and software products », et elles sont considérées comme des services
à forte valeur ajoutée. Ces activités représentent
une dépense globale de 8,6 billions de dollars et
elles constituent 13 % du total des revenus du secteur des TIC en 2008, 74 % de ces activités étant
destinées à l’exportation. Cependant, les revenus
générés par le segment R&D (licence de software,
propriété intellectuelle) restent faibles, de l’ordre de
1,1 billions de dollars, sur des revenus globaux du
secteur estimés à 64 billions de dollars US en 2008
(Nasscom, 2009).
On dispose de deux autres études portant sur les
centres R&D du secteur des TIC mais les résultats
sont divergents. Dans la première étude (Zinnov,
2008), l’auteur a recensé 594 centres R&D, mais il
s’avère que toutes les entreprises multinationales se
déclarent comme abritant de tels centres. Dans le
second travail (Ilavarasam, 2010), l’auteur ne dénombre que 160 centres de R&D pour lesquels des
informations sont disponibles. Néanmoins, le travail
de Zinnov permet de dégager quelques grandes tendances. Si on recense les premiers centres de recherche dès le milieu des années 1980, ce n’est qu’à
partir de 2000 que ceux-ci se sont développés, après
que les entreprises indiennes ont fait preuve de leurs
capacités technologiques et managériales à gérer
des projets. Selon Zinnov, 262 centres auraient été
créés en 2003-2005, soit dans les années qui ont
suivi le « boom du millenaire » de l’année 2000
(Y2K). Cette date marque en effet un tournant dans
l’économie des TIC pour deux raisons conjointes.
D’abord, les entreprises américaines ont été de fort
demandeurs d’informaticiens indiens qui sont arrivés
en masse aux États-Unis, ensuite, ces derniers ayant
démontré leurs compétences, ces mêmes entreprises
multinationales ont été convaincues de délocaliser
leurs activités en Inde, notamment en matière de
recherche et de développement. Sur les 564 centres
qui ont été dénombrés, la répartition par secteurs est
la suivante : 26 % sont des centres dévolus aux logiciels d’entreprises, 19 % aux télécommunications et
aux réseaux, 14 % aux systèmes et plateformes,
13 % aux semi-conducteurs et matériel électronique,
et 3 % seulement pour les logiciels destinés aux particuliers (tableau 54). Mais en termes de produits,
la concentration des activités est très nette : 66 %
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
123
–8–
LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC
– Tableau  54 –
Répartition sectorielle des centres R&D des TIC
Secteur
% (n=594)
Consumer software
3
Enterprise software
26
Software platforms/systems
14
Semiconducteur/Electronic Design
et Analyse
13
Telecom & Networking
19
Consumer electronics
8
Computing systems
9
Manufacturing
8
Source : d’après Zinnov (2008).
– Tableau  55 –
Distribution des centres de R&D selon le nombre d’employés et leurs revenus
Nombre d’employés
Revenus (millions de $)
1–100
100–200
200–500
500+
Total
10–50
23
3
1
3
30
50–100
14
2
2
5
23
100–200
7
2
5
7
21
200+
4
2
5
15
26
48
9
13
30
100
Total
Source : adapté de Zinnov (2008)
– Tableau  56 –
Brevets déposés par les entreprises indiennes
en 2007-2008
Entreprises
HP (multinational)
Brevets
2007
Brevets
2008
77
50
Infosys
0
2
TCS
3
17
Sasken
6
5
Subex
4
8
i-flex
0
0
Mindtree
0
0
Sources : adapté de Dataquest (2008). Cette liste n’est qu’indicative, certains centres importants,
comme celui de Texas Instruments India, étant absent du recensement de Dataquest
sont engagés dans le développement de logiciels,
15 % dans les services d’ingénierie, et 20 % dans le
domaine des systèmes embarqués.
124
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
La distribution des centres selon le nombre d’employés est assez homogène, avec un léger avantage
aux petites unités (30 % du total) comprenant de 10
à 50 personnes (tableau 55). De même, on observe
une concentration des centres dans la catégorie des
revenus les plus faibles, 48 % des unités générant des
revenus entre 1 et 100 millions de $ US. Bangalore
regroupe 52 % de ces centres, suivis par Pune (16 %)
et la région capitale de Delhi (15 %).
Un autre indicateur du développement de la recherche dans le secteur des TIC est fourni par le
nombre de brevets déposés. En l’absence de données
officielles, on doit s’en remettre aux estimations publiées dans la presse professionnelle ou produites par
des travaux indépendants. Ainsi, il y aurait plus de
brevets attribués aux entreprises multinationales
qu’aux entreprises indiennes. En 2001-2004, selon
Nollen, il n’y aurait eu que 4 brevets accordés par les
Américains à des entreprises indiennes contre 118
attribués à des entreprises étrangères, américaines ou
non, installées en Inde. Les données publiées par le
magasine Dataquest confirment cette estimation de
Nollen (tableau 56).
En matière de brevets et de propriétés intellectuelles,
les multinationales étrangères sont donc beaucoup
plus productives que les entreprises nationales. Ces
dernières ont pourtant quelques succès à leur actif,
en particulier dans le domaine des services. Les plus
grandes entreprises indiennes proposaient toutes à
leur début des logiciels qu’elles avaient développés
en interne. Mais ce segment a perdu de son importance, n’étant plus adapté à l’état du marché à mesure que celui-ci se diversifiait. L’écart a grandi entre
les producteurs de services et les clients étrangers, et
les fonds nécessaires manquaient, les innovations
demandant de gros investissements pour répondre
aux demandes du marché (Athreye, 2005). En outre,
l’évolution de la structure du marché a conduit les
entreprises indiennes à privilégier les exportations de
services, d’où leurs succès relatif en termes d’innovation pour améliorer le processus de délivrance de ce
service. Néanmoins, note un rapport de l’OCDE :
« Les succès de l’Inde en matière de brevets augmentent
rapidement. En termes de croissance annuelle moyenne
d’application des brevets, l’Inde se classe seconde après
la Chine pour la période 1995-2003, selon l’Office européen des brevets. Le taux de croissance annuelle est sept
fois supérieur au taux mondial. Mais malgré cette croissance, le nombre de brevets indiens demeure faible. La
part de l’Inde dans l’ensemble des brevets du secteur
– Tableau  57 –
Distribution des revenus selon le lieu d’activité de 1995-1996 à 2004-2005 (en %)
Type
1995-96
1998-99
1999-2000
2001-01
2001-02
2000-03
2003-04
2004- 05
On-site
66
54.4
57.4
56
45.2
43
36
29
Offshore
33
44.4
43.6
44
55
57.3
64
71
Sources : d’après Bhatnagar (2006) et rapports de la NASSCOM.
des TIC enregistrés par le Patent Cooperation Treaty
était de 0,3 % en 2004. Les co-investissements étrangers sont élevés, ce qui suggère une relative ouverture
du marché indien mais aussi une dépendance des partenaires étrangers pour les activités de recherche. »43
(OECD/ODCE, 2010)
Transition du on-site au offshore
L’activité indienne des TIC peut être créditée de trois
innovations majeures. La première innovation porte
sur la transition des activités on-site aux activités offshore. Aujourd’hui, les entreprises indiennes fournissent des services dans le domaine de l’ingénierie,
du logiciel, dans la recherche et le développement,
autant de domaines considérés comme requérant des
qualifications intellectuelles et technologiques de
niveau élevé. Ce positionnement témoigne d’une évolution du secteur des TIC qui est passé d’activités à
faible valeur ajoutée, comme celles liées au BPO, à
des activités à plus forte valeur ajoutée, comme le
développement de logiciels.
Dans les années 1990, au début de l’essor du secteur
des TIC, les entreprises indiennes se sont distinguées
par le système dit du « body shoping » qui consiste à
envoyer à l’étranger les ingénieurs informaticiens
pour travailler dans les entreprises clientes, selon le
principe du travail sur site. La crainte du bug informatif massif à l’occasion du passage à l’an 2000, Y2K,
fut le moment fort de cette période qui a permis aux
entreprises indiennes de faire la preuve de la qualité
de leur main d’œuvre et de leurs capacités de gestion
du travail requis. Ce système a été très bien décrit et
on en recueille encore des témoignages aujourd’hui.
À partir du début des années 2000, les entreprises
indiennes sont passées du travail sur site au travail
délocalisé dit offshore, les revenus des activités sur
site diminuant régulièrement depuis 2001-2002
(tableau 57).
Les informaticiens indiens envoyés à l’étranger, pendant la première période où ils travaillaient sur site,
étaient relativement peu qualifiés. La majeure partie
d’entre eux n’avaient pas de licence d’ingénieur,
comme l’exigeaient les lois américaines concernant
l’émigration des travailleurs qualifiés. À partir des
années 2001-2002, beaucoup de ces informaticiens
sont rentrés en Inde et ont été intégrés dans les
équipes de travail offshore des entreprises. Ce passé
explique la forte proportion d’informaticiens peu diplômés parmi les plus âgés en poste, comme l’enquête l’a montré - 50 % dans l’échantillon observé-,
mais la proportion pourrait être plus forte encore
selon d’autres estimations. Cependant, le travail offshore nécessite un encadrement par du personnel
qualifié. De fait, le recrutement de ces dernières années est marqué par l’entrée sur le marché du travail
de personnes diplômées, ayant au moins d’une licence de science et d’ingénieurs informaticiens sortis
des écoles, en croissance exponentielle à partir des
années 2000.
Cette transition du travail sur site au travail offshore
témoigne de l’expérience que les entreprises indiennes
ont gagnée en matière technologique et managériale.
Les entreprises se sont rapidement adaptées aux
normes de certification professionnelles requises dans
le seteur des services informatiques, telle les normes
ISO ou CMM, comme on l’a montré dans l’étude du
champ entrepreneurial (Chapitre 5). Ce processus de
normalisation de l’expertise professionnelle en matière de services informatiques assure la confiance de
la clientèle autant que celle des cadres et des employés qualifiés des entreprises indiennes.
Standardisation des services
La seconde innovation réalisée par les entreprises
indiennes est la mise en produit standardisé des services (productised services). Dans sa phase initiale de
croissance, les entreprises indiennes ont tenté de
développer leurs propres produits. Ce fut le cas par
exemple de Narayana Murty, le fondateur d’Infosys,
qui créa Softronics, en 1976, dans le but de répondre
43. Adapté de « The ICT sector in
India: performance, growth and key
challenges », DSTI/ ICCP/
IE(2008)7/ Final, OECD/ODCE, 30
juin 2010.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
125
–8–
44. Dataquest, 2007,http://dqindia.
ciol.com/content/DQTop20_07/
ITGaints07/2007/107080318.
asp, (accès 9 mai 2010, la page
n’est plus accessible).
126
LA RECHERCHE -DÉVELOPPEMENT DANS LE SECTEUR DES TIC
aux besoins du marché indien. Mais ce fut un échec
pour Narayana Murty comme pour d’autres entrepreneurs en raison notamment du manque d’investissement et de la faiblesse de la demande intérieure. Ces
entreprises ont changé de stratégies et sont passées
de la production de logiciels à l’exportation de services informatiques, une option à la fois moins risquée et beaucoup plus rentable financièrement
(Athreye, 2005).
Trois types d’entreprises ont des raisons différentes
de se positionner sur le marché des services. Pour les
grandes entreprises, comme TCS et Infosys par
exemple, l’activité de services répond à deux objectifs : augmenter les marges de bénéfices et professionnaliser les relations avec leurs clients. Dans ce cas,
l’économie des services est liée au coût du travail, et
les revenus varient selon le nombre d’employés. Néanmoins, si les entreprises ont amélioré leur productivité, notamment en rationnalisant les processus de
travail, les droits de propriété intellectuelle associés
aux services développés sont une source de revenus,
et les bénéfices globaux ne sont pas uniquement
dépendants du coût de la main d’œuvre. Dans la
conjoncture d’augmentation des salaires et d’une
roupie forte, les entreprises misent sur la qualité des
produits pour améliorer leurs profits.
La seconde catégorie d’entreprises rassemble des nouveaux entrants, de petite taille en termes de nombre
d’employés et de chiffre d’affaires.
Ces entreprises peuvent travailler dans différents secteurs mais les produits qu’elles développent ne sont
disponibles que dans un ou deux domaines spécialisés, à la différence de la politique des grandes sociétés. C’est le cas par exemple des entreprises comme
3i Infotech et Ramco.
Enfin, la troisième catégorie d’entreprises, celles qui
sont structurées selon une organisation verticale ou
par branches de leurs activités, considèrent leurs produits comme une extension de leurs services et inversement. Ces sociétés proposent des services et des
produits placés dans le même domaine d’activités.
Dans le secteur des TIC, on désigne leurs activités
comme des « mises en produit de services » (productised services). On trouve sur ce segment les entreprises connues comme i-flex, Polaris, et Subex Azure.
Bien que leur clientèle soit diverse, ces entreprises
également différenciées en termes de branches
d’activités et de compétences technologiques,
proposent des produits standardisés qu’elles offrent
à des clients différents d’un même domaine industriel,
au prix de simples adaptations. On parle de « mise en
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
produit de services » car les services ne sont pas complètement développés et doivent être ajustés rapidement aux demandes spécifiques de la clientèle. C’est
le cas du secteur bancaire où un progiciel peut être
adapté avec de légères modifications dans plusieurs
banques, mais aussi dans la délivrance de services où
l’expertise est facilement transposable.
Dans les faits, de nombreux produits informatiques
destinés au marché international sont des applications pour un secteur d’activités particulier, souvent
développées dans des pays comme l’Inde. Les produits destinés au cœur des activités bancaires ont fait
la réputation des entreprises connues comme Flexcube, Finacle, et IntellecT, i-flex, Polaris, mais aussi des
plus petites entreprises comme Infrasoft et CashTech.
Plus récemment, le secteur des télécommunications
a vu le succès de produits indiens développés par des
entreprises comme Aricent, Tech Mahindra ou SubexAzure. Ce dernier secteur avec celui de la banque
et des services de la finance et de l’assurance (Banking, Financial Services and Insurances, dit BFSI) sont
les deux premiers domaines d’activités intégrées des
entreprises indiennes de services informatiques44.
Formation et ressources humaines
La dernière innovation dont ont fait preuve les entreprises indiennes des TIC concerne le renforcement de
leur activité dans le domaine de la formation, déjà
évoqué précédemment. Les activités de services dans
le secteur des TIC génèrent des revenus étroitement
corrélés avec l’accroissement du personnel employé.
Augmenter les revenus veut dire, souvent, accroître la
taille des projets, donc celle des équipes engagées
dans la réalisation de ces derniers. Aussi, le contrôle
de la gestion des ressources humaines est devenu un
facteur important de réussite pour les entreprises.
Dans un rapport récent, la Nasscom souligne que 8 %
seulement des jeunes licenciés en ingénierie sont
aptes à l’emploi dans le secteur des TIC, pointant
ainsi à la fois les lacunes de l’enseignement, la perte
de potentiel des diplômés et le travail immense de
formation auquel les entreprises doivent faire face.
Une bonne moitié des employés étant recrutés au
sein des disciplines scientifiques sans avoir acquis les
connaissances nécessaires dans les TIC, les entreprises doivent résoudre ce manque en interne. Aussi
les grandes entreprises (comme TCS, Infosys ou Wipro) disposent de leurs propres services de formation
à l’intention des jeunes diplômés, les stages pouvant
aller de deux semaines à trois mois, voire six mois
pour les freshers. La nature, la durée, l’intensité des
formations professionnelles varient selon la nature
des projets réalisés par les entreprises. Les grandes
entreprises sont capables de mobiliser un grand
nombre de programmeurs dans n’importe quel domaine technologique en un temps très court. À côté
de cette formation interne, des sociétés spécialisées
offrent leurs services à la demande, comme NIIT, et
des entreprises comme TCS peuvent leur sous-traiter
certaines formations. En conséquence, le marché de
la formation professionnelle dans le secteur des TIC
a connu une croissance de 13 % entre 2007-2008 et
2008-2009, les revenus générés par ces sociétés passant de 3,4 à 3,9 crores de roupies45.
Par ailleurs, les grandes entreprises collaborent toutes
avec des écoles d’ingénieurs pour définir les curricula
et former les enseignants afin que les formations répondent directement à leurs besoins. Le programme
intitulé Infosys Campus Connect, développé par Infosys, en est un exemple. Il a été lancé en 2004 dans
plus de soixante collèges et il en concerne aujourd’hui
près de quatre cents. Infosys organise en outre des
conférences, des séminaires et des ateliers de formation dans les écoles d’ingénieurs, afin de faire
connaître les besoins du secteur, d’initier des études
de cas, de présenter des projets de recherches, en invitant les enseignants à travailler sur des sujets communs aux mondes professionnel et universitaire.
Tata Consultancy Services dispose de son côté d’un
Academic Interface Programme. Il s’agit d’une plateforme en ligne qui s’adresse également aux étudiants,
aux enseignants et à tous les acteurs institutionnels
concernés par les TIC, en Inde et à l’étranger. En
2009, ce programme concernait 500 écoles d’ingénieurs en Inde (sur environ 3 500 au total) et 85 instituts à l’étranger. La même année, TCS a proposé 130
cycles de formations pour les enseignants, qui auraient été suivis par 4 000 d’entre eux, et 400 ateliers
qui ont touché plus de 52 000 étudiants dont 1 300
ont bénéficié d’un stage chez TCS ou fait l’objet d’une
distinction de la part de l’entreprise.
À côté d’Infosys et de TCS, le troisième grand
groupe, Wipro, propose aussi son programme de
formation, Mission 10X, qui est un des composants
d’un projet plus général dénommé Wipro Quantum
Innovation lancé en 2007, le 5 septembre, jour de
fête des enseignants en Inde. Wipro a bâti sa réputation dans le secteur de la formation continue en
développant un outil qui est le résultat de recherches pédagogiques menées en collaboration
avec le milieu universitaire, les étudiants et le
monde industriel. Comme dans les cas précédents,
il s’agit de compléter les formations technologiques
des nouveaux diplômés pour les rendre employables
par les sociétés de services. Ce programme est plus
ambitieux que les deux précédents par sa taille.
Wipro a sélectionné 1 300 écoles d’ingénieurs au
sein desquelles elle entend former de manière progressive 10 000 ingénieurs sur trois ans. Au terme
de ces cessions menées dans les écoles et prévues
pour une durée d’une semaine - qui supposent le
recrutement d’une masse de formateurs dans tout
le pays -, les enseignants obtiendront une certification labellisée Wipro Learning Model censée garantir la qualité et le caractère novateur des pratiques
pédagogiques. l
45. Dataquest, 2009, http://
dqindia.ciol.com/content/
dqtop20_09/
IndustryAnalyses/2009/
109081335.asp (accès 9 mai 9,
2010, la page n’est plus
accessible)
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
127
128
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–CONCLUSION–
–9–
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
129
CONCLUSION
– L A PLACE DE L’INDE DANS LE MARCHÉ
MONDIAL DES TIC –
Entre les années 1990 et 2010, l’Inde est entrée dans
le groupe des quatre pays, incluant les États-Unis, la
Chine et le Japon, qui ont affiché un taux de croissance (mesuré en termes de parité de pouvoir d’achat)
les plus élevés. Mais le taux de croissance de l’économie de l’Inde est passé de 9 % en 2010-2011 à 6 %
en 2011-2012 et il est estimé autour de 5 % en 20122013, alors que le taux d’inflation avoisine les 10 %
en 2013. Si l’évolution générale va dans le sens d’une
réduction de la pauvreté, quels que soient les indicateurs retenus, les inégalités économiques et sociales
demeurent grandes en Inde, entre les états, entre le
milieu rural et le milieu urbain et entre les classes
sociales. Les contraintes internes (pauvreté de masse,
faiblesse des infrastructures, insuffisance des resources énergétiques), expliquent en grande partie la
faiblesse du marché intérieur, qui constitue le principal frein à la croissance.
Comme cela a été expliqué dans le chapitre 2, la
croissance économique de l’Inde résulte de l’essor du
secteur des services et, pour partie, des services associés aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette configuration socio-écono-
–
ENCADRÉ 34. LA RÉVOLUTION DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE
–
Les succès remportés en matière de téléphonie mobile, succès technologique d’abord et succès social ensuite, témoignent des paradoxes qui caractérisent la société et
l’économie indiennes. La téléphonie mobile a été introduite
en 1994, de manière limitée pour les seules villes de Delhi,
de Mumbai, de Kolkata et de Chennai. Vingt ans plus tard,
la diffusion massive du téléphone portable est un des faits
les plus visibles de la révolution technologique qui bouleverse les modes de vie et de communication de la population. Même si les usages économiques et sociaux varient
selon les groupes, la téléphonie mobile n’épargne aucun
secteur, elle touche les villes comme les campagnes, les
quartiers les plus chics comme les bidonvilles, et toutes les
couches de la population, du simple pousseur de rickshaw
à vélo au cadre supérieur. Seuls les sans-abris, en ville, sont
exclus de cette évolution.
Le nombre total d’abonnés (tous types de connexions
confondues) est passé de 340 000 en 1997 à près de 920
millions en 2012. On enregistre 38 % d’abonnés en milieu
rural et 69 % en milieu urbain Le secteur des télécommuni-
130
cations dont le taux de croissance est de 20 % par an représente environ 3 % du produit domestique brut (GDP). La
taille du marché indien attire les investissements étrangers
(Foreign Direct Investment) qui se sont élevés à 13 millions
de $ pour les années 2000-2013. Le secteur des télécommunications est divisé entre une quinzaine d’opérateurs dont
les trois plus importants sont Bharti Telecom (20 % de parts
du marché), Reliance (17 %) et Vodafone (16 %), loin devant les deux opérateurs sous contrôle public (Public Sector
Undertaking) que sont BSNL (11 %) et MTNL (0,6 %). En
termes d’appareils, Nokia a été l’une des premières sociétés
à proposer des téléphones mobiles à simple usage téléphonique bien adaptés à la demande de masse (robustesse,
lampe torche incorporée). Mais avec le développement du
marché et la diversification des usages du téléphone portable, la concurrence est forte. La société coréenne Samsung
est aujourd’hui très active, son réseau de distribution très
large et ses nouveaux produits, présentés dans la presse
quotidienne, sont en vente en Inde en même temps que
dans les pays occidentaux, et à des prix équivalents.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
mique remet en cause le processus d’industrialisation
qui fut un élément déterminant, historiquement, de
la croissance des pays occidentaux. Dans ce dernier
cas, les migrants issus des campagnes qui arrivaient
en ville furent absorbés par l’industrie naissante qui
ne requérait pas, au départ du processus d’accumulation capitaliste, une main d’œuvre qualifiée. Ce
modèle, sur lequel furent élaborés les premiers plans
quinquennaux de l’Inde indépendante, a été fortement remis en cause, à partir des années 1980 et
1990, par le développement des activités de services.
Les TIC, en effet, emploient une main d’œuvre urbaine, éduquée, maitrisant la langue anglaise, et
travaillant essentiellement pour le marché extérieur.
Or du point de vue économique et social, l’Inde doit
intégrer une masse de jeunes ruraux sans emploi, peu
éduqués, sans qualification professionnelle et ne parlant quasiment pas l’anglais.
Pour résoudre cette contradiction, les élites économiques proposent une extension des technologies de
l’information et de la communication, voyant dans
cette généralisation un moyen de transformation économique et sociale de l’Inde. L’objectif est de mettre
les TIC au service du bien public afin de rendre plus
efficace le fonctionnement des administrations, de
rationaliser les programmes d’aide et de développement élaborés à l’attention des groupes les plus défavorisés, d’étendre le système de soin et de couverture
sociale, de rendre effectif le droit à l’éducation pour
tous, de rénover la pédagogie du système d’enseignement et d’étendre les services bancaires et financiers.
En résumé, il s’agit de rendre accessible ces technologies à la plus grande part de la population, d’en favoriser la maitrise matérielle et intellectuelle, mais aussi
de former une main d’œuvre à même d’être employée
dans ces nouveaux secteurs d’activités qui sont créateurs d’emplois, générateurs de revenus et de consommation, autant de facteurs qui favorisent la croissance économique.
Dans une conjoncture d’internationalisation des activités économiques, la position de l’Inde sur le marché
mondial des TIC est importante à connaitre pour
deux raisons d’ordre différent :
D’une part, la qualité de la main d’œuvre et le faible
coût du travail incitent les entreprises occidentales à
développer leurs activités dans les pays émergents,
Mais, d’autre part, ces pays émergents se font concurrence entre eux pour s’approprier cette part de revenus tirés des nouveaux secteurs d’activité économique. La position que ces pays occupent sur le
marché mondial des TIC est donc un élément d’infor-
mation qui importe à toutes les parties concernées.
Afin d’établir cette position, les économistes du Forum économique mondial en collaboration avec
l’INSEAD46 ont élaboré un indice, le Networked Readiness Index (NRI), qui a pour objectif de mesurer
l’état de préparation des pays à la généralisation des
TIC ou, en reprenant leur langage, à la mise en réseau
de l’économie et de la société. Cette enquête menée
régulièrement depuis 2000 a porté sur 133 pays en
2090-2010 et sur 138 pays en 2010-2011.
L’indice mesure trois types de facteurs qui sont euxmêmes décomposés en trois segments : premièrement, l’environnement (état du marché, régulation
politique, infrastructures), deuxièmement, l’état de
préparation global aux TIC (traduit en termes de capacités des individus, des entreprises, des instances
publiques) enfin, troisièmement, les usages présents
des TIC (des individus, des acteurs économiques, de
la puissance publique). Chacun de ces segments est
décomposé en variables, soixante-huit au total, estimées à partir de deux types de données. Il s’agit,
d’une part, de données quantitatives, par exemple les
taux d’équipements en ordinateurs, le nombre d’utilisateurs d’Internet, le nombre de lignes de téléphone,
le nombre d’utilisateurs de téléphones portables, le
montant des investissements étrangers directs et,
d’autre part, de données d’ordre qualitatif obtenues
par une enquête d’opinion réalisée auprès des principaux acteurs du monde économique. Ces variables
sont ensuite pondérées et ordonnées pour aboutir à
des indices variant sur une échelle de un à sept. Les
pays sont alors classés selon le rang qu’ils occupent
pour chaque segment, et selon l’indice global qui
résume l’ensemble des soixante-huit variables analysées. On a retenu le classement comparé de l’Inde en
2009-2010, d’abord avec des pays asiatiques et plus
particulièrement la Chine, concurrent immédiat de
l’Inde sur le marché des TIC, et ensuite, avec les
trente-quatre pays membres de l’OCDE qui constituent un ensemble plus vaste que les pays de l’Union
européenne et au sein duquel se trouvent les principaux pays développés utilisateurs des services et de
la main d’œuvre indienne.
En 2009-2010, parmi les 133 pays analysés par le
Forum économique mondial, l’Inde affiche un NRI
de 4,1 (sur un maximum de 7 points) et se classe au
43e rang derrière la Chine qui occupe le 37e rang
avec un NRI de 4,3 (tableau 58). Les performances
de l’Inde sont légèrement supérieures à celles de la
Chine pour la partie environnement (NRI respectivement de 4,0 et 3,8) ; elles sont équivalentes en
46. L’INSEAD, anciennement connu
comme l’Institut européen
d’administration des affaires, est
une école internationale de
management fondée en 1957 et
maintenant divisée en trois
campus établis sur trois
continents, en Europe à
Fontainebleau (France), au MoyenOrient à Abu Dhabi (Émirats
arabes unis), et en Asie à
Singapour. En 2011-2013, le
doyen de l’INSEAD était Dipak C.
Jain, un statisticien d’origine
indienne, passé par les écoles de
management aux États-Unis.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
131
CONCLUSION
– Tableau  58 –
Décomposition du Networked Readiness Index pour l’Inde, les pays asiatiques et les pays de l’OCDE en 2009-2010 (n = 133)
Indicateur
Rang Inde
Indice Inde
Indice Chine
Indice Asie
Indice OCDE
I. Environnement
53
4,0
3,8
3,5
4,8
Suède (5,8)
1. Marché
35
4,7
4,1
4,1
4,8
Hong Kong (5,7)
2. Régulation politique
46
4,5
4,5
3,9
5,1
Singapour (6,8)
3. Infrastructures
83
2,7
2,9
2,5
4,5
Suède (6,0)
II. Préparation
22
5,1
5,1
4,3
4,8
Singapour (5,9)
7
5,7
5,5
4,8
4,9
Singapour (6,1)
5. Entreprises (capacités)
23
4,9
4,7
4,0
5,0
Suisse (5,9)
6. Gouvernement (capacités)
35
4,6
5,1
4,2
4,5
Singapour (6,1)
III. Usages
64
3,2
4,0
3,0
4,6
Corée Sud (5,7)
109
1,8
2,8
2,2
4,9
Suède (6,4)
8. Entreprises (usage)
26
4,0
4,7
3,3
4,3
États-Unis (6,1)
9. Gouvernement (usage)
48
3,9
4,4
3,5
4,6
Corée Sud (6,2)
Ensemble N R Index
43
4,1
4,3
3,6
4,7
Suède (5,6)
4. Individus (capacités)
7. Individus (usage)
Meilleur indice
Source : Soumitra Dutta et Irene Mia (eds.), The Global Information Technology Report 2010-2011. Transformations 2.0, 10th Anniversary Edition, INSEAD, World Economic Forum, 2011.
termes d’état de préparation aux TIC (NRI de 5,1),
mais la Chine obtient un meilleur résultat au regard
des usages présents des TIC (NRI de 3,2 pour l’Inde
et 4,0 pour la Chine).
Un résultat paraît contradictoire. En effet l’Inde,
d’un côté, affiche un indice élevé (NRI = 5,7) de
préparation de la population aux TIC et, de l’autre
côté, un indice très bas concernant l’usage de ces
technologies (NRI = 1,8). La raison est que l’indice
de préparation aux TIC est très marqué par le taux
d’équipement en écoles d’ingénieurs et par le
nombre annuel de diplômés tandis que, dans la réalité, les disparités économiques et sociales, la faiblesse générale du pouvoir d’achat des ménages et,
plus généralement, le poids de la pauvreté freinent
la diffusion de ces technologies. L’écart entre ces
deux indices mesurant l’état de préparation de la
population et les usages est de 3,9 points pour
l’Inde, mais seulement 2,7 points pour la Chine.
En termes de préparation aux TIC, l’Inde et la Chine
devancent les pays de l’OCDE qui, eux, affichent sur
ce segment un indice de 4,8 points. Cet écart témoigne des potentialités que présentent ces deux
pays asiatiques pour attirer les investissements des
pays développés dans le domaine des TIC.
132
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
Toutefois, le fait important à noter est l’évolution de
ce classement pour les pays des BRIC entre les années
2006-2007 et 2010-2011 (tableau 58). Dans les cinq
dernières années de la première décennie du 20e
siècle, quatre des cinq pays de ce groupe régressent
dans le classement du Forum économique mondial,
et, seule, la Chine dont l’indice gagne 0,6 point progresse et passe du 59e rang au 36e rang mondial.
L’indice global pour l’Inde perd un dixième de point
en cinq ans, mais malgré cette quasi-stagnation, le
pays régresse de quatre places, passant du 44e au 48e
rang. Presque tous les pays en tête de ce classement
améliorent leur position, à l’exception notable de
l’Angleterre et du Japon.
Le fort taux de croissance enregistré par l’Inde depuis une vingtaine d’années n’a pas été un élément
suffisant pour réduire de manière significative les
inégalités économiques et sociales qui divisent les
régions, les états et les groupes sociaux. Le sousdéveloppement et la mauvaise qualité des infrastructures lourdes en matière d’énergie (eau et électricité), de système de transport (routes et chemins
de fer), et de télécommunications, en particulier
pour la téléphonie fixe, restent des facteurs structurels qui font obstacle, non seulement à la pénétra-
tion des TIC mais aussi aux gains de productivité
des entreprises et aux investissements étrangers, ces
derniers se heurtant en outre à une forte résistance
d’une partie de la classe politique. La fin du contrôle
systématique de l’État (dit Licence Raj) sur le processus de développement industriel, dans les années
1990, a favorisé l’essor de la libre entreprise dont
les TIC ont grandement profité. Le secteur des sociétés de services informatiques s’est ouvert à de nouveaux agents économiques qui n’étaient pas issus
des milieux marchands et entrepreneurials traditionnels. Le recours massif à une main d’œuvre jeune,
éduquée, formée professionnellement touche largement les fractions des classes moyennes urbaines,
au-delà des franges des élites qui avaient jusqu’alors
un accès privilégié à l’enseignement supérieur.
Certes, il s’agit principalement d’une main d’œuvre
de techniciens qualifiés plutôt que d’ingénieurs, au
sens que revêt cette désignation dans les pays développés. Mais l’émergence de ce groupe socio-professionnel témoigne des opportunités professionnelles
nouvelles qui s’offrent aujourd’hui, même aux
classes moyennes d’origine rurale.
Cependant, l’État, loin de disparaître ou de s’effacer,
reste un agent essentiel du développement économique, à la fois comme incitateur, comme régulateur
des politiques publiques, et comme acteur lui-même
lorsqu’il met en place de vastes réformes du secteur
public, en matière de gouvernance par exemple.
C’est le cas du National e-Governance Plan47 adopté
dès le milieu des années 1990 et, plus récemment,
de l’agence gouvernementale, Unique Identification
Authority of India48, établie en 2009. Cette agence
a pour charge de rationaliser la distribution des
aides publiques aux groupes sociaux les plus défavorisés en généralisant l’usage des TIC, en s’adossant
– Tableau  59 –
Classement comparatif mondial de l’Inde selon le Networked Readiness Index
en 2006-et 2010-2011
Rang
2010-11
Pays
(n = 138)
NRI
2010-11
Rang
2006-07
Pays
(n = 122)
NRI
2006-07
1
Suède
5,6
2
Suède
5,7
2
Singapour
5,6
3
Singapour
5,6
5
États-Unis
5,3
7
États-Unis
5,5
13
Allemagne
5,1
16
Allemagne
5,2
15
Angleterre
5,1
9
Angleterre
5,5
19
Japon
4,9
14
Japon
5,3
20
France
4,9
23
France
5,2
34
Tunisie
4,3
35
Tunisie
4,2
36
Chine
4,3
59
Chine
3,7
48
Inde
4,0
44
Inde
4,1
56
Brésil
3,9
53
Brésil
3,8
61
Afrique du
Sud
3,9
47
Afrique du
Sud
4,0
77
Russie
3,7
70
Russie
3,5
138
Tchad
2,6
122
Tchad
2,2
Source : The Global Information Technology Report 2010-2011 (op. cit.)
pour cela à des entreprises privées, en l’occurrence
Infosys afin de développer les technologies adéquates49. Dans ce domaine comme en d’autres, l’État
reste détenteur de ressources rares dont l’accès est
l’objet d’une intense compétition entre tous les acteurs économiques et sociaux. Accéder à ce marché
des TIC, c’est contribuer à en accroitre les usages,
donc les besoins, selon un cercle vertueux à même
de développer le secteur des services, que les économistes présentent comme la seule voie de développement pour réduire les inégalités. l
47. h ttp://www.negp.gov.in/ (accès
le 4 mai 2013).
48. h ttp://uidai.gov.in/ (accès le 4
mai 2013)
49. V
oir Kunal N. Talgeri, « Can
Infosys help Congress win 2014 »,
Fortune, Avril 2013, p. 104-108.
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
133
134
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– GLOSSAIRE ­–
AICTEAll India Council of Technical Education
AIEEEAll Indian Engineering Entrance Examination, concours panindien d’entrée dans les
National Institutes of Engineering et écoles équivalentes
AIRAll India Rank, Rang obtenu au AIEEE
AISSCE
All India Senior School Certificate Examination (fin de classe XII ou classe de
terminale)
APECAsia Pacific Economic Cooperation (Engineering)
BA
Bachelor of Arts (sans spécialisation)
BCA Bachelor of Computer Application (Bac +3)
BCom Bachelor of Commerce
BEng
Bachelor of Engineering (Bac +4)
BFSI Banking Finances and Services Insurance
B hons
Bachelor honors (avec specialization, Honors)
BITS Birla Institute of Technology and Science
BPO Business Process Outsourcing
BSc hons
Bachelor of Science, sans spécialisation (Bac +3)
BScEng
Bachelor of Sciences in Engineering
BSc hons Bachelor of Science honors, grade avec spécialisation (Bac +3)
BTech Bachelor of Technology (Bac +4)
CA
Computer Application
CAT Common Admission Test, concours d’entrée dans les IIM
CBSE
Central Board of Secondary Education
C-DAC -
Center for the Development of Advanced Computing
C-DOT
Center for the Development of Telematics
CEng
Chartered Engineer
CMIE
Centre for Monitoring Indian Economy
COER College of Engineering of Roorkee
CRM Customer Relationship Management
Crore
unité de compte indienne équivalent à 10 millions de roupies (ou 100 lakhs)
CSI Computer Society of India
Dual Degree BTech-MTech
Cursus intégré depuis la première année qui permet de mener un MTech en cinq
ans au lieu de six ans normalement
Deemed University
Université privée qui n’est pas complètement autonome mais qui délivre des
diplômes en son nom
DSIRDepartment of Scientific and Industrial Research, attaché au Ministry of Science
and Technology
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
135
GLOSSAIRE
ECI
Engineering Council of India : Fédération d’une trentaine d’associations d’ingénieurs fondée à Delhi en 2002
EDPElectronic Data Processing
EMFEngineering Mobility Forum
ESCElectronics and Computer Software Export Promotion Council (en abrégé Electronics Software Council)
Enterprise Resource Planning
ERP
Engineering Service Examination : Concours d’entrée dans le corps des ingénieurs
ESE
de l’Union indienne (IES)
Engineering Technologists Mobility Forum
ETMF
FDI Foreign Direct Investment. Loi autorisant l’entrée de capitaux étrangers dans
l’économie indienne
Gross Domestic Product, Produit intérieur brut (ou Produit Domestique brut)
GDP
Information and Communication Technology (TIC en français)
ICT
The Institution of Engineers (India), Association généraliste des ingénieurs indiens
IE
créée en 1920
International Engineering Alliance
IEA
Indian Engineering Service, Corps des ingénieurs de la fonction publique organisé à
IES
l’échelle de l’Union indienne ; mais chaque état possède également son corps des
ingénieurs, State Engineering Service.
IFCCIIndo-French Chamber of Commerce and Industry
IT
Information Technology
Indian (ou International) Institute of Information Technology, dit « triple IT »
IIIT IIM Indian Institute of Management, suivi du nom de la ville où l’institut est localisé
Indian Institute of Technology, suivi du nom de la ville où l’institut est localisé, par
IIT exemple IIT-Madras (les IIT de Madras et de Bombay ont conservé la désignation
ancienne des villes où ces instituts sont localisés quoique Madras soit maintenant
appelée Chennai et Bombay Mumbai).
Information Technology Enabled Services, ensemble des activités de services
ITES
annexes aux activités de services des TIC
Information Technology Professional Forum
ITPF Joint Entrance Exam, Concours panindien d’entrée dans les Indian Institute of
JEE Technology
Knowledge Process Outsourcing
KPO Unité de compte indienne équivalent à 100000 roupies
Lakh
Master in Business Administration, délivré uniquement par les universités
MBA MCAMaster Computer Application (BA ou BCA + 3)
MEng Master of Engineering (BEng + 2)
MHRD Ministry of Human Resource and Development
MTech Master of Technology (BTech ou BEng + 3)
NASSCOM National Association of Software and Services Companies
NCO National Classification of Occupations
136
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
NCRNational Capital Region, « Grande Delhi »
NIIT National Institute of Information Technology
NIT National Institute of Technology (autrefois nommé RIT)
NRI Non-Resident Indian : désigne les Indiens résidant à l’étranger que le gouvernement
encourage à investir leurs capitaux dans l’économie indienne
National Statistical Survey Organisation
NSSO
Other Backward Castes/Classes (autres castes/classes arriérées)
OBC
Open Category : dans la politique des quotas, désigne les sièges qui sont ouverts à
OC
tous les groupes de castes (parfois appelée Merit Category).
Produit Domestique Brut (Gross Domestic Product, GDP)
PDB
Post Graduate Diploma
PGD
Post Graduate Diploma in Management : délivré par les instituts qui n’ont pas le
PGDM
statut d’université et qui ne peuvent donc décerner des MBA
Person of Indian Origin
PIO Public Sector Undertaking, Compagnies du secteur public ouvertes au captial privé
PSU
mais dans lesquelles l’État reste majoritaire
Pre-University Classes : désigne parfois les enseignements des classes XI et XII
PUC
avant l’entrée dans l’enseignement supérieur proprement dit
RBoIReserve Bank of India
RIT Regional Institute of Technology (maintenant nommé NIT)
SC Scheduled Castes (castes répertoriées, anciennement castes Intouchables)
SEAPSoftware Exporters Association of Pune
SPIN Software Process Improvement Network
Sociétés de services en ingénierie informatique
SSII Secondary School Leaving Certificate (fin de classe X ou classe de 2nd)
SSLC ST Scheduled Tribes (tribus répertoriées)
SEZ Special Economic Zone, Zone économique spéciale dotée d’un statut juridique et
fiscal spécifique sous laquelle opèrent les grandes SSII
SSN CE Sri Sivasubramaniya Nadar College of Engineering, Chennai
SSN-SASE Sri Sivasubramaniya Nadar School of Advanced Software Engineering
STPI
Software Technological Park of India : établi en 1991, désigne le statut légal sous
lequel opèrent plutôt les petites et moyennes SSII ou toutes autres unités de
services des TIC
Technologies de l’information et de la communication (ICT en anglais)
TIC
TiE The Indus Entrepeneurs
TIFAC Technology Information Forecasting and Assessment Council
UGC University Grant Commission : Commission de l’Union indienne qui supervise et
réglemente le système universitaire
Union Public Service Commission
UPS
Year 2000 désigne le passage au second millénaire
Y2K APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
137
138
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
–BIBLIOGRAPHIE–
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Arora Ashish, Arunachalam V. S., Asundi Jai, et Fernandes Ronald, The Indian Sofware Industry, Pittsburg,
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APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
– ABSTRACT– The present report provides an overview of the Information Technology (IT) sector in India. A short history of the scientifi c public policies that led up to
the boom in the IT sector forms the introductory part
(Chapter 1). The signifi cant role played by three
main actors are highlighted : the public policy
agents, represented either by the national government or the sub-national governments ; the professional associations which were nongovernmental,
autonomous bodies of the industry representatives ;
and fi nally, the transnational actors, or the Indian
businessmen who are typically engineers who made
their fortunes abroad and returned to invest in the
IT sector in India. The IT economy (Chapter 2), which
is predominantly software services export driven,
must be understood within the service economy,
which has been the driving force behind India’s
growth for the last two decades. Given the data limitations, efforts are made to present evolution of the
sector in numbers and facts. The rapid expansion of
the IT industry is also a result of the availability of
a qualifi ed workforce of engineers and technicians,
which India produces en masse, in thousands of
engineering colleges, with their campuses spread
over towns and the countryside (Chapter 3). The
next part of the report (Chapter 4) describes about
the following : How are these schools different from
elite schools like the Indian Institutes of Technology
or from the mass of small schools which are more
like French technology Institutes, or even training
centres ?, What are the main means of access that
permit entry into these schools ?, What certifi cates,
qualifi cations and ranks do they deliver ? Is there an
engineering degree in India ?
The social space of the Indian IT service companies
is the object of an original quantitative study spread
over the two hundred leading companies within this
sector (Chapter 5). The aim of this work is to describe this entrepreneurial milieu. Despite its great
diversity, it remains largely dominated by a few
dozen important groups that are described in a series of boxes. They are presented as portraits of
companies that have made India’s reputation (TCS,
Infosys, Wipro, HCL, etc.) and of the entrepreneur
engineers who built them. We go on to analyse the
recruitment procedures in the IT sector, which vary
depending on the size of the company and its fi
nancial capacity. Over the last two to four years,
however, a rapid evolution towards an industrial
mode of selection is clearly visible. Internal training
programmes have been set up long ago for the recruited personnel in order to compensate for the
gaps in the education sector (Chapter 6). The study
of computer engineers (Chapter 7) is based on a
survey carried out amongst 500 employees situated
in the large cities. This study focuses on qualifi ed
staff, software engineers and senior executives and
managers. We present their training, professional
qualifi cations and their professional trajectory
through the positions they occupy. A socio-economic
portrait of these categories of employees who represent the new emerging elements of the urban
middle classes is also presented. The industrial IT
sector is nonetheless faced with a serious problem,
that of the low investment IT service companies
make in research and development (Chapter 8) or
poor product domain orientation. This could compromise the future evolution of the companies in a
growing competitive environment.
To conclude, we situate India’s position in the international IT market, based on the results of an international survey carried out by the World Economic
Forum. This survey that has been conducted over a
period of about ten years, in over a hundred and
thirty countries, measures a society’s level of preparedness for « computerisation » on the basis of an index called the Networked Readiness Index. The evolution of this index over the last ten years shows the
stagnation of almost all the countries in the BRICS
group, India in particular, with the exception of
China. The powerful rise of China in the world IT
market should make Indian decision makers, politicians and entrepreneurial actors think about the
gains in terms of productivity that Indian companies
need to achieve in order to maintain a growth rate
that has slowed down over the last few years. l
APEC – LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION EN INDE
143
2014-07
N°
FÉVRIER 2014
–LE SECTEUR DES TECHNOLOGIES
DE L’INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION EN INDE–
Le secteur des technologies de l’information et
de la communication (TIC) est le symbole du développement
économique de l’Inde et de ses évolutions sociales. Les milliers
d’Engineering Colleges, ces écoles d’ingénieurs visibles partout
en ville et dans les campagnes, le développement des quartiers
d’affaires dans les grandes métropoles comme Bangalore,
Chennai, Hyderabad, Mumbai, Pune ou Delhi avec leur foule
de « cols blancs », la présence de ces personnels qualifiés dans
les entreprises nord-américaines et européennes, la réussite
d’entrepreneurs indiens ou d’origine indienne, notamment
aux États-Unis, certains revenus investis en Inde, tout contribue
à la renommée de ce succès économique et social.
Aussi, les pays occidentaux, dont la France, s’interrogent
sur le nouveau modèle de relations et d’échanges
qui s’instaure actuellement.
ISBN 978-2-7336-0726-8
Responsables du projet : Roland Lardinois
(Centre de Sciences humaines-CNRS UMIFRE 20,
Delhi-Inde), avec la collaboration de P. Vignesh
Illavarasam (IIT-Delhi).
Équipe projet du département études et recherche
de l’Apec : Raymond Pronier et Hélène Alexandre
Direction du Département études et recherche
de l’Apec : Pierre Lamblin
ASSOCIATION POUR L’EMPLOI DES CADRES
51 BOULEVARD BRUNE – 75689 PARIS CEDEX 14
CENTRE DE RELATIONS CLIENTS
0810 805 805*
DU LUNDI AU VENDREDI DE 9H À 19H
www.apec.fr
EDOBSA0180-01.14
*prix d’un appel local