L`engagement associatif des jeunes dans leur quartier
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L`engagement associatif des jeunes dans leur quartier
Remarques préalables : Voici le texte qui a servi de support à mon intervention ; certains passages sont repris in extenso dans le document de mon intervention. Ce texte a été publié dans la revue « Diversité », n°167, paru en 2012, pp. 59 – 65. A la fin de ce texte, la bibliographie mobilisée est présentée de façon détaillée. L’engagement associatif des jeunes dans leur quartier : quel espace de politisation ? Introduction Dans les années 1960 – 1980, la recomposition de l’Etat social et la décentralisation ouvrent une fenêtre d’opportunités pour de nouvelles formes de politiques publiques. En réaction au développement de phénomènes de violence dans certains quartiers d’habitat social, la politique de la ville est conçue dans les années 1970 – 1980 comme « une action "globale" de réparation des quartiers d’habitat social, reposant sur la transversalité (c’est-à-dire l’action conjointe de différents ministères), et la participation des habitants » (Tissot, 2005, p. 123). Concrètement, la mise en œuvre de cette politique au niveau local repose ainsi sur des partenariats étroits avec les associations. Les habitants des quartiers d’habitat social sont appelés à participer aux projets qui se développent dans le cadre des dispositifs de la politique de la ville. En réponse aux inquiétudes que suscite la jeunesse dans ces quartiers, les jeunes adultes qui y ont grandi sont particulièrement sollicités et encouragés à s’engager au niveau local. Dans le cadre d’une étude plus large sur le rapport à la politique des descendants d’immigrés dans les quartiers d’habitat social1, nous avons porté notre intérêt sur certains de ces jeunes adultes qui s’engagent dans les associations locales partenaires de la politique de la ville. L’une de nos hypothèses de départ était que ces engagements associatifs pouvaient favoriser leur politisation2 et, éventuellement, constituer une première étape vers un engagement politique plus formel. D’après nos observations3, il apparaît que ces jeunes qui sont engagés dans des associations de leur quartier y acquièrent des connaissances et des compétences politiques mais rares sont ceux qui occupent ensuite (ou souhaitent occuper) une position politique plus formelle dans leur ville. Ils se disent pourtant intéressés par la politique et affirment leur volonté de « faire quelque chose » pour leur quartier. Comment comprendre que les différentes formes de politisation de ces jeunes adultes dans le cadre associatif entraînent si peu d’engagements politiques formels ? 1 Doctorat de sociologie en cours à l’Université de Strasbourg. La politisation est ici définie comme la capacité à percevoir des différences et clivages à l’intérieur du champ politique et comme « la conversion de toutes sortes de pratiques en activités politiques » (Lagroye, 2003, p.4). 3 Le terrain de notre étude a été réalisé entre 2005 et 2009, dans deux quartiers d’habitat social de la région parisienne. Des observations participantes ont été menées et des historiques de famille ont été reconstitués. Dans le cadre de cet article, nous nous appuyons sur les entretiens biographiques réalisés auprès des jeunes adultes qui sont (ou ont été) engagés dans des associations locales ; ils sont au nombre de 18. Au moment de l’entretien, ils sont âgés de 18 à 40 ans. Ils ont tous la nationalité française. 2 1 Il ne s’agit pas ici de proposer une étude des parcours individuels d’engagement, ni de tenter de reconstituer leurs motivations. Dans le cadre de cet article, nous voulons proposer des éléments d’analyse afin de monter comment le contexte local (politique, social, économique etc.) et la position occupée par les acteurs qui s’y engagent sont des éléments incontournables pour comprendre les contraintes et ressources qui influencent leurs activités associatives. Nous verrons en particulier que, s’ils tendent à éviter des prises de position politique ouvertes, ils organisent tout de même des types d’activités « politisantes », susceptibles de s’organiser en activités politiques4. 1. Une sollicitation sous contrôle La mise en œuvre de la politique de la ville entraîne des modes d’action et des discours particuliers liés au principe de « discrimination positive territoriale » (Donzelot, Mevel et Wyvekens, 2003), au fonctionnement partenarial de cette politique et à son objectif d’une participation des habitants concernés. Les dispositifs et les projets conçus, au niveau local, construisent des opportunités et des contraintes qui balisent l’engagement des jeunes adultes dans leurs quartiers. - Les opportunités en faveur de l’engagement local La politique de la ville organise deux types principaux d’interventions en vue d’améliorer les conditions de vie dans certains quartiers d’habitat social. Ce sont, d’une part, les importants travaux de rénovation du bâti et, d’autre part, un ensemble de politiques de développement social local. Ces deux volets de l’action, au départ pensés pour être menés de façon conjointe, ont progressivement été dissociés. Mais l’objectif d’une participation des habitants à leur mise en œuvre, formulé dès les premières conceptualisations de la politique de la ville et pensé comme condition sine qua none de son succès (Dubedout, 1983), est resté intacte. C’est ainsi que, dès les années 1970 – 1980, l’allocation de budgets aux collectivités territoriales qui souhaitent mettre en place les dispositifs de cette politique est conditionnée par l’existence de procédures permettant l’implication des habitants. Les municipalités doivent ainsi concevoir, dès l’origine des projets, des instances de participation destinées à la population locale. Les dispositions légales qui accompagnent la politique de la ville favorisent donc certaines formes d’engagement en encourageant le développement de structures spécifiques (conseil de quartier, comité de proximité etc.). De plus, les nombreux projets mis en place sur le territoire, avec les importants budgets qui leur sont alloués, apparaissent comme autant d’opportunités pour un engagement effectif de la population. Certains habitants répondent aux invitations des municipalités qui sollicitent leur participation ; d’autres se saisissent des possibilités offertes par les projets qui se mettent en place pour constituer leurs propres structures, le plus souvent associatives. A la faveur des projets de rénovation urbaine, des associations de locataires voient le jour (Lagier, 2009) ; accompagnant les politiques de développement social local, des structures d’animation socioculturelle se développent. Ces dernières sont souvent portées par de jeunes adultes du quartier. 4 Nous reprenons ici la distinction notamment proposée par Michel Offerlé entre activités « politiques », « politisantes » et « politisables » (Offerlé, 1998). 2 - Une participation sous contrôle Les dispositifs de la politique de la ville offrent des opportunités pour diverses formes d’engagement de la population locale. Mais, dans la pratique, l’appel à la participation des habitants prend, le plus souvent, la forme d’une « injonction participative » (Ion, 1999), d’une invitation à exercer une citoyenneté largement vidée de son potentiel politique et critique. Les structures mises en place par les institutions locales proposent essentiellement une « participation par assimilation » (Friedberg, 1972) en organisant des réunions d’information sur des projets qui sont déjà largement définis en amont et dont les contenus ne sont modifiables qu’à la marge. De même, les associations locales créées par la population suscitent des formes de méfiance et de contrôle de la part des collectivités territoriales, a fortiori lorsque ces dernières ne sont pas à l’origine de leur existence et/ou ne sont pas représentées dans leurs instances dirigeantes5. Dans des quartiers où les populations d’origine étrangère sont surreprésentées par rapport à leur proportion au niveau national, cette méfiance est souvent articulée à un discours sur la peur de communautarisme. Les jeunes adultes qui s’impliquent dans les associations locales font ainsi l’objet d’une injonction contradictoire. Leur engagement est notamment encouragé parce qu’ils sont considérés comme issus d’un groupe spécifique (« les jeunes des quartiers » et/ou « les jeunes issus de l’immigration »6) qui menacerait l’ordre républicain (Castel, 2007) ; ils sont appelés, dans le même temps, à se comporter comme des citoyens dégagés de toutes appartenances (Neveu, 1999). Ainsi, que les habitants rejoignent les structures proposées par la municipalité ou qu’ils créent des structures plus autonomes, leurs engagements font l’objet d’un contrôle important qui limite les possibilités d’expression dans un registre politique, potentiellement conflictuel. - La complexité du jeu institutionnel contre l’engagement ? A un autre niveau, c’est aussi la complexité du fonctionnement institutionnel de la politique de la ville qui limite la « participation critique » (Friedberg, 1972) et l’engagement militant7 des jeunes adultes du quartier. S’il y a de multiples occasions de prendre part aux projets mis en place dans le quartier, leur montage institutionnel réduit les possibilités d’intervenir, à partir du niveau local, sur la définition de leurs orientations. L’institutionnalisation de la politique de la ville a en effet inversé la logique initiale de sa construction. D’abord conçue à partir d’expérimentations locales, elle est aujourd’hui impulsée par les institutions nationales et ses dispositifs, bien qu’adaptés aux différents contextes locaux, répondent à un cahier des charges prédéfini. Par ailleurs, le fonctionnement transversal de cette politique publique, qui implique de nombreux acteurs institutionnels, suppose une bonne connaissance des dispositifs et des enjeux politiques pour qui souhaite intervenir dans le processus de prise de décision. Les mécanismes classiques de sélection sociale des militants sont renforcés par cette complexité institutionnelle et juridique. Ceux qui s’engagent tout de même auront alors besoin de temps 5 Dans les deux quartiers dans lesquels nous avons mené notre étude, la plupart des conseils d’administration des associations locales comptent parmi leurs membres des élus locaux. 6 Les guillemets signalent ici que le vocabulaire est emprunté aux discours politiques et médiatiques. 7 L’engagement militant est ici défini comme « toute forme de participation durable à une action collective visant la défense ou la promotion d’une cause » (Sawicki et Siméant, 2009). 3 avant de pouvoir faire entendre leurs voix, avant d’avoir acquis une forme d’expertise et une légitimité à même de les faire apparaître comme des interlocuteurs valables aux yeux des responsables politiques locaux. * L’importance de la configuration locale pour la compréhension des opportunités et des freins à l’engagement ne doit pas s’arrêter au contexte politique et institutionnel. Les dimensions sociales et économiques du contexte local participent également à dessiner certaines contraintes qui pèsent sur les activités des jeunes adultes dans le cadre de leurs engagements associatifs, d’autant plus lorsqu’ils deviennent professionnels dans les associations locales. * 2. S’engager dans les associations locales : une position complexe L’institutionnalisation de la politique de la ville a entraîné la professionnalisation de ses acteurs (Tissot, 2005). En réponse aux objectifs de participation des habitants, des associations ont été créées et certains bénévoles sont, de même, progressivement devenus des professionnels. Plusieurs jeunes adultes trouvent d’ailleurs dans les associations de leur quartier un débouché professionnel. Ce nouveau statut les place dans une position ambivalente vis-à-vis de la population et des institutions locales. Cette position tend à limiter la politisation de leurs activités associatives. - L’interconnaissance encourage la discrétion Les jeunes adultes qui s’engagent dans les associations se disent « militants du social » (comme certains se définissent) ; une partie d’entre eux sont devenus des professionnels dans ces associations ou dans d’autres institutions locales. Cela les place dans une situation complexe par rapport au reste de la population. L’importance des taux de chômage dans les quartiers d’habitat social tend à faire de l’accès à ces postes un objet de concurrence entre les habitants, en particulier parmi les jeunes qui sont à la recherche d’un premier emploi. Ceux qui obtiennent ces postes, dont l’accès est contrôlé par l’équipe municipale, peuvent faire l’objet d’une méfiance de la part de la population locale. S’ils affirment alors une position politique identifiable, ils prennent le risque de se voir discrédités, accusés d’avoir profité d’une forme de clientélisme. Leur « promotion professionnelle » risque d’être vue comme une conséquence de leur adhésion à un parti politique, que ce soit pour les en « rétribuer » (parti majoritaire) ou pour les « faire taire » (parti d’opposition). Les attitudes politiques et les parcours professionnels des jeunes adultes engagés localement font l’objet d’une forme de contrôle par la population. Ce contrôle, rendu possible par la forte interconnaissance dans les quartiers d’habitat social, les encourage à être discrets quant à leurs choix et orientations politiques. Ainsi, parmi ceux que nous avons rencontrés, plusieurs racontent qu’en période électorale, lorsque des voisins, des connaissances du quartier venaient leur demander leur avis, ils préféraient ne rien dire. Cette discrétion quant à leurs préférences partisanes vient en fait préserver leur légitimité professionnelle, à deux niveaux principalement. D’une part, il s’agit de montrer qu’ils ont acquis leur emploi de façon légitime, du fait de leurs seules compétences. D’autre part, cette discrétion leur permet d’apparaître comme des professionnels autonomes dans leurs pratiques et au service de tous les habitants. La distance entretenue avec le champ politique par les bénévoles et les 4 professionnels des associations locales apparaît ainsi comme une stratégie de préservation de la légitimité de leur rôle. - La dépendance vis-à-vis des institutions locales Les prises de position politique de ces jeunes adultes sont également limitées par la dépendance financière de leurs associations vis-à-vis des institutions publiques qui leur accordent des subventions. Au sein des deux quartiers dans lesquels nous avons travaillé, toutes les associations (dont au moins une partie des activités s’inscrit dans les objectifs de la politique de la ville) sont financées par les institutions publiques, à différents échelons administratifs. Selon les cas, il peut s’agir de la municipalité, du département, de la région, de la Caisse des dépôts et consignations, de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) etc. Ces différentes institutions travaillent en partenariat pour la mise en œuvre des projets locaux de la politique de la ville qu’elles financent. Mais, le plus souvent, ce sont les municipalités qui adaptent les dispositifs conçus par les ministères partenaires, en fonction des enjeux et besoins propres aux quartiers dans lesquels ils sont mis en place ; ce sont elles qui portent les projets une fois validés. Les municipalités ont donc un rôle central dans la gestion de leurs « projets de ville ». De plus, parce que les équipes municipales connaissent bien les associations locales, elles ont un pouvoir important dans l’attribution de leurs financements. Elles maîtrisent leur propre budget mais peuvent également influencer les octrois de subventions par les autres institutions partenaires, plus éloignées du « terrain ». Les responsables et membres des associations locales, qu’ils soient bénévoles ou professionnels, ont donc intérêt à taire leurs opinions politiques, a fortiori si celles-ci sont en opposition avec celles des élus municipaux membres du parti politique majoritaire. Les jeunes adultes engagés dans la vie de leur quartier tendent ainsi à afficher une neutralité politique afin de préserver les financements de leurs activités associatives. Ceci s’observe en particulier lors des périodes de campagnes électorales, comme nous avons pu le constater lors de la campagne pour les élections municipales de 2008. * Les stratégies « d’évitement du politique » (Eliasoph, 2010 [1998]) ne sont pas propres aux jeunes adultes engagés dans les associations de leurs quartiers et peuvent s’observer dans de nombreuses autres configurations. Mais le contexte particulier des quartiers d’habitat social, marqué par une forte interconnaissance et des formes de concurrence entre les jeunes adultes pour l’accès aux emplois, renforce cette tendance à la dissimulation de leurs convictions politiques. Il n’en reste pas moins que cet « évitement du politique » ne signifie pas son absence ; il contribue à sa production au niveau local. * 3. La politique « à couvert » Les jeunes leaders et membres des associations locales tendent à construire un rapport déconflictualisé au politique tout en développant des « activités politisantes » (Offerlé, 1998), qui comportent une dimension politique sans pour autant s’inscrire dans les clivages et conflits politiques locaux. 5 - Un rapport déconflictualisé au politique Les jeunes qui s’engagent au niveau local tendent, dans le cadre de leurs activités associatives, à favoriser la conciliation des points de vue davantage que la conflictualisation autour d’enjeux locaux. Les activités mises en place sont accompagnées de pratiques et de discours publics dépolitisés, qui ne sont que rarement reliés à des justifications directement politiques et partisanes. C’est, par exemple, ce que l’on observe chez Tarek8, un jeune homme de 31 ans qui a créé, avec des amis du quartier, une association d’animation socioculturelle en 2002. Depuis 2004, cette association travaille en partenariat avec plusieurs institutions locales. Au cours de l’entretien mené avec lui, nous parlons des liens entre ses activités associatives et la politique locale. Il dit être tout à fait conscient des relations d’intérêts réciproques entre son association et l’équipe municipale, relations que les membres du bureau de l’association cherchent à utiliser et à préserver. Il dit ainsi : « pour l’instant, on a toujours évité de prendre position ». A titre personnel, il s’interdit de même d’émettre des avis politiques, publiquement : « moi j’ai mes idées mais je les garde pour moi ». Selon lui, l’engagement partisan comporte trop d’inconvénients. Cela limite les marges de discussion et de négociation avec l’ensemble des formations politiques locales. Tarek dit également : « je ne veux pas être encarté parce qu’il faut faire des compromis ». Cette distance entretenue avec les partis politiques locaux permet à son association de durer et lui offre, à lui, davantage d’opportunités professionnelles : en 2007, il est recruté par la municipalité comme agent d’animation avant d’être nommé en 2009 à la tête du service d’animation de la ville. Mais cette distance vis-à-vis de la politique qualifiée par Tarek de « militante » ne l’empêche pas de développer des compétences politiques et des stratégies lui permettant de mettre en place des activités dont la visée politique, entendue au sens large comme une volonté d’intervenir collectivement sur le champ politique local, est dissimulée mais bien présente. - Des activités politisantes Après plusieurs années d’expérience au sein de son association et, plus récemment, au sein de l’équipe municipale, Tarek développe une fine connaissance des dispositifs et des enjeux locaux. Il dit que le cadre associatif concentre tous les apprentissages politiques (« travailler en groupe, porter des projets, convaincre les gens de participer » etc.) et il se sert de ce qu’il a appris pour faire avancer sa conception de ce que doit être l’action municipale. Critiquant le fait que, selon lui, la municipalité ne concerte pas assez la population sur les projets mis en œuvre, il envisage de constituer, grâce à un questionnaire, « un stock des demandes [de la population] pour le transmettre aux institutions », comme « un cahier de doléances ». Conscient de la portée politique de ce projet, il souhaite le faire porter par une autre association que la sienne et demande confirmation des conditions d’anonymat que nous lui avons garanties au début de l’entretien. Nous avons là un exemple, parmi d’autres, de la façon dont les apprentissages politiques accumulés par les jeunes adultes dans le cadre des associations locales peuvent rejaillir dans leurs projets et leurs activités. En position de médiateurs – traducteurs entre différentes sphères sociales, ils acquièrent de nombreuses compétences didactiques et discursives, proches des dispositions classiques à l’engagement politique : s’exprimer en public, traduire 8 Pour garantir l’anonymat, le prénom a été modifié et la ville n’est pas mentionnée. 6 des enjeux dans différentes sphères sociales, négocier des marges de manœuvre etc. De plus, ils mobilisent ou construisent d’importants réseaux de sociabilités sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour « peser » dans le jeu politique local. Ses apprentissages reposent sur une part importante d’autodidactie. Ils permettent, dans bien des cas, de faire évoluer la « participation par assimilation » en « participation critique » (Friedberg, 1972) ou, plutôt, d’introduire des éléments critiques dans les activités qu’ils organisent en partenariat avec les institutions locales. L’introduction de formes critiques de participation dans les activités associatives mises en place par les jeunes du quartier permet, parfois, de faire évoluer les représentations et les attitudes des acteurs institutionnels de la politique locale, comme l’a notamment montré Catherine Delcroix dans son étude sur les médiatrices (Delcroix, 1996). Ces mécanismes invitent à élargir la définition classique de la politique. Conclusion A partir de l’étude des activités associatives mises en place par les jeunes adultes qui s’engagent dans leurs quartiers, nous avons voulu montrer l’importance du contexte local dans la construction de leur rapport à la politique en interrogeant les spécificités de leur politisation. Chaque quartier d’habitat social a ses caractéristiques propres mais ils sont tous marqués par des politiques publiques particulières et un contexte socioéconomique comparable qui dessinent les contours d’une éventuelle politisation de l’action associative des jeunes. Mais, prendre en compte le contexte local ne signifie pas qu’il faille oublier le contexte national (Briquet et Sawicki, 1989). Les jeunes dont il est question se positionnent également par rapport aux enjeux politiques nationaux ainsi que par rapport aux représentations médiatiques dont ils font l’objet. Nombre d’entre eux font ainsi le choix de s’engager pour leur quartier mais aussi comme pour répondre, en actes, aux discours qui véhiculent le présupposé selon lequel les jeunes des quartiers d’habitat social seraient passifs, individualistes et dépolitisés. Si leur engagement associatif local est relativement apolitique (dans le sens où il ne s’articule que rarement au fait d’adhérer à un parti politique), les jeunes rencontrés ont tous un positionnement clair par rapport aux clivages politiques nationaux. S’ils restent discrets sur leurs orientations politiques, ils s’intéressent à la politique. Bibliographie BRIQUET J-L. et SAWICKI F. (1989) « L’analyse localisée du politique », Politix, vol. 2, n° 7-8. CASTEL R. (2007) La discrimination négative, Paris, Seuil. DELCROIX C. (1996) Des médiatrices dans les quartiers fragilisés : le lien, Paris, La Documentation française. DONZELOT J., MEVEL C. et WYVEKENS A. (2003), Faire société, la politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Paris, Seuil. DUBEDOUT H. (1983) Ensemble, refaire la ville, rapport au Premier ministre du Président de la Commission nationale pour le développement social des quartiers, Paris, La Documentation française. 7 ELIASOPH N. (2010 [1998]) L’Evitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne, Paris, Economica. FRIEDBERG E. (1972), « Analyse sociologique des organisations », Pour, n°28. ION J. (1999) « Injonction à participation et engagement associatif », Hommes et Migrations, n°1217, p. 80 – 94. LAGIER E. (2009), « Les ressorts de la construction d’un collectif improbable dans une association de locataires en banlieue », in Nicourd S. (dir.), Le travail militant, Rennes, Presses Universitaires de Rennes. LAGROYE J. (dir.) (2003) La Politisation, Paris, Belin. NEVEU C. (1999) « La citoyenneté entre individuel et collectif. Bref portrait de « jeunes » animateurs issus de l’immigration en citoyens », Ville – Ecole – Intégrations- septembre, n°118. OFFERLE M. (1998 [1994]) Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien. SAWICKI F. et SIMEANT J. (2009) « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, vol. 51, n°1. TISSOT S. (2005) « Reconversions dans la politique de la ville : une profession militante ? », in S. Tissot, C. Gaubert et M-H. Lechien (dir.), Reconversions militantes, Limoges, PULIM. Notice biographique LAGIER Elsa Doctorante en sociologie Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe Université de Strasbourg [email protected] Résumé de l’article Les quartiers d’habitat social sont souvent pensés comme des espaces dans lesquels les engagements associatif et politique feraient défaut. Depuis les années 1980, les attitudes politiques des jeunes adultes ayant grandi dans ces quartiers suscitent l’intérêt des médias et des pouvoirs publics. Cet intérêt prend souvent la forme d’une inquiétude quant à la capacité de ces jeunes, dont la majorité est d’origine étrangère, à « intégrer » le modèle français républicain. A partir d’une étude de leurs engagements associatifs locaux, cette contribution questionne les dynamiques de politisation des jeunes adultes des « quartiers ». Entre leurs discours qui tendent à éviter les prises de position politique et leurs activités associatives qui témoignent de formes de politisation, cette étude cherche à souligner l’importance du contexte local dans la compréhension de ces dynamiques. 8