S CHELLENBERG W ITTMER
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NEWSLETTER Mars 2006 SCHELLENBERG WITTMER A vo ca t s Le Tribunal Fédéral se prononce sur l’interdiction faite à la banque de communiquer à son client l’existence de mesures de contrainte Il est peu d’établissements bancaires en Suisse qui n’ont pas déjà été confrontés à une interdiction de divulguer à un client l’existence d’une enquête le visant ainsi que les mesures de contrainte y relatives. Prononcées dans le cadre d’enquêtes cantonales ou nationales (principalement des chefs de blanchiment d’argent, respectivement de financement du terrorisme) ou dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide internationale en matière pénale, ces interdictions de communiquer, généralement contenues dans une ordonnance de perquisition et saisie, sont devenues un instrument très prisé des magistrats instructeurs. A tel point qu’au fil du temps, personne ne semble s’être posé la question de leur légitimité. Dans un arrêt rendu le 25 juillet 2005 (ATF 131 I 425, partiellement traduit en français à la SJ 2006 I p. 24), le Tribunal fédéral a désormais clarifié une incertitude en ce sens que l’interdiction de communiquer ne saurait perdurer indéfiniment. Pour être proportionnelle, elle doit être limitée dans le temps. Encore faut-il interpréter cette limitation temporelle. En effet, dès lors que la question doit être examinée concrètement, de cas en cas, il n’est pas possible de déterminer clairement et immuablement la durée « admissible » de ce type d’interdictions. 1 Introduction Le but ultime d’une injonction visant à interdire à une banque de porter à la connaissance de son client certains faits le concernant, est de prévenir un éventuel risque de collusion. Lorsqu’il ordonne le silence, le juge d’instruction ou le procureur en charge du dossier considère que, si la personne visée venait à connaître l’existence de l’enquête, elle serait susceptible de prendre des dispositions de nature à altérer les preuves, respectivement de mouvoir d’autres actifs déposés dans les livres de la banque ou d’un autre établissement afin qu’ils échappent à l’éventuelle mainmise de la justice. Si un tel but visant à prévenir la collusion est louable lorsque l’on se trouve en présence de soupçons concrets et fondés d’une activité délictueuse, il n’en demeure pas moins que l’injonction en soi consacre une atteinte particulièrement incisive aux droits de l’établissement bancaire dans le cadre de la relation de mandat qu’il entretient avec son client. Dans de nombreuses juridictions cantonales, mais également sur le plan fédéral, les ordonnances prononcées par les magistrats instructeurs, assorties de la fameuse interdiction de communiquer au client, sont devenues « monnaie courante » sans que la question de l’existence même de la base légale autorisant une telle interdiction n’ait été jamais concrètement examinée. En particulier, la problématique de la période pendant laquelle une telle interdiction pouvait être imposée à la banque méritait clarification. C’est cette question qui a été – partiellement – tranchée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt du 25 juillet 2005 qui fait l’objet de la présente Newsletter. 2 Les faits à l’origine de l’arrêt En avril 2004, le Ministère public de la Confédération a expédié à la banque concernée une ordonnance l’informant être en charge d’une enquête contre l’un de ses clients et contre inconnu du chef d’infraction de blanchiment au sens de l’art. 305bis du Code pénal (« CP »). Le Procureur fédéral en charge du dossier exigea de la banque la production de documents se rapportant aux relations bancaires que pouvaient détenir les personnes et entités concernées par l’enquête pénale. Après s’être dûment exécutée et en l’absence complète de réaction ou de faits nouveaux durant près de quatre mois, la banque a pris l’initiative de s’adresser au Ministère public de la Confédération pour demander la levée de la mesure lui faisant interdiction de communiquer avec ses clients. Au début du mois de septembre 2004, à la suite du refus du Procureur fédéral, la banque forma une plainte auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Après avoir ordonné un double échange d’écritures, le Tribunal pénal fédéral rendit son jugement le 24 janvier 2005 et donna droit aux conclusions prises par la banque : l’interdiction faite à la banque de communiquer avec ses clients était levée. Le jour même de la communication de l’arrêt rendu par le Tribunal pénal fédéral, le Ministère public de la Confédération déposa un recours au Tribunal fédéral avec demande d’effet suspensif qui fût accordé. Le 25 juillet 2005, le Tribunal fédéral a débouté le Ministère public de la Confédération et a confirmé le jugement entrepris ; l’interdiction de communiquer était ainsi définitivement levée. 3 Les enjeux Par le passé, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la notion de « mesures de contrainte » dans une procédure pénale visait la menace ou l’application de la contrainte à l’encontre de l’accusé ou de tiers. Il y a ainsi notamment mesure de contrainte lors de la remise de documents bancaires – ou d’informations relatives à un compte bancaire – lorsque la levée du secret bancaire est ordonnée. La mesure qui fait interdiction à la banque de communiquer avec son client doit donc être considérée comme une mesure de contrainte s’inscrivant dans le cadre d’une procédure pénale, susceptible d’emporter des restrictions à plusieurs droits fondamentaux, à savoir la liberté économique et la liberté de communication. La garantie de la liberté économique est ancrée à l’art. 27 al. 1 de la Constitution fédérale (« Cst »). En présence d’une injonction faite à la banque qui restreint son droit de communiquer avec un client, c’est le libre exercice de l’activité économique lucrative privée, composante de la liberté économique, qui est atteint. En effet, la liberté économique protège les particuliers contre les ingérences injustifiées de l’Etat dans leur activité économique. Il découle de l’essence même du mandat confié par le client à la banque que cette dernière est tenue de porter à la connais- sance du mandant tous les faits qui concernent la relation contractuelle et qui sont susceptibles d’avoir un impact sur cette relation. Il s’agit-là de l’exécution de l’obligation qui incombe à la banque de renseigner et de conseiller son client. Dès lors, la mesure de contrainte faisant interdiction à la banque de communiquer l’existence de faits pertinents à son client constitue une interférence incisive dans les rapports contractuels entre l’établissement bancaire et le client sous l’angle de la liberté économique. La liberté de communication est considérée comme l’un des piliers de toute société démocratique qui a choisi d’être régie selon les règles d’un Etat de droit. Elle est garantie tant par la Constitution suisse que par la Convention Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH ») et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (dit « Pacte ONU II »). La liberté de communication recouvre des notions larges telles que la liberté de chacun de recevoir et diffuser librement des informations, l’interdiction de la censure mais également la liberté d’expression. A partir du moment où un établissement bancaire est restreint dans la possibilité de divulguer librement certains faits à son client, il existe une entrave à la liberté de communication de cet établissement bancaire. Les libertés fondamentales connaissent également des limites puisque des restrictions peuvent y être apportées aux conditions précisées à l’article 36 Cst. Ainsi, toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et être proportionnée au but visé. Enfin, l’essence des droits fondamentaux est inviolable. Le dernier enjeu à mentionner ici est celui qui a trait au respect du principe de la proportionnalité. Le principe de la proportionnalité implique que même la poursuite d’un intérêt public en soi justifié ne permet pas l’utilisation de n’importe quel moyen. La proportionnalité exige donc que l’Etat se limite, dans son activité qui restreint une liberté fondamentale, au strict nécessaire. Les moyens utilisés doivent rester dans une relation raisonnable par rapport aux buts poursuivis. En outre, le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; enfin, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis. 4 L’arrêt du 25 juillet 2005 (ATF 131 I 425) Pour asseoir sa décision de ne pas tolérer une interdiction de communiquer qui soit imposée à la banque de manière illimitée dans le temps, le Tribunal fédéral a développé les motifs résumés ci-après : I Lorsque des soupçons suffisants laissent présumer que des infractions relevant de la juridiction fédérale ont été commises, le Procureur Général de la Confédération ordonne par écrit l’ouverture de l’enquête. Le Procureur Général et la police judiciaire procèdent aux investigations nécessaires à l’identification des auteurs et à la constatation des faits 2 SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER MARS 2006 L’ordonnance en question faisait interdiction à l’établissement bancaire (soit ses organes et employés) de divulguer aux clients concernés l’existence de l’enquête, sous la menace des peines prévues par l’art. 292 CP. Cette disposition prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents, sera puni des arrêts ou de l'amende ». SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER MARS 2006 essentiels, ainsi qu’à la conservation des traces et des preuves ; ils prennent les autres mesures qui ne souffrent aucun retard, conformément à l’art. 101 de la Loi fédérale sur la procédure pénale (« PPF »). Ainsi, la procédure pénale fédérale ne connaît pas de « numerus clausus » des mesures de contrainte dans le cadre de la procédure d’enquête. I En procédure pénale fédérale, les actes d’instruction sont généralement tenus secrets. I Une interdiction procédurale de nature pénale signifiée à un tiers à la procédure a pour but de protéger le bon déroulement de l’enquête contre des risques de collusion. Tel est notamment le cas d’une ordonnance de production de documents adressée à la banque auprès de laquelle le compte visé a été ouvert. I Le Tribunal fédéral procède ensuite à l’analyse des mesures de contrainte sous l’angle de la conformité au droit fédéral. La Loi fédérale sur la procédure pénale ne contient aucune disposition expresse permettant d’assortir une interdiction de communiquer à une ordonnance de production de documents adressée à des particuliers. Le Tribunal fédéral considère cependant qu’il y a lieu d’examiner si la clause générale contenue à l’art. 101 PPF pourrait constituer une base légale suffisante dans le cas d’espèce et si l’atteinte en question demeure proportionnelle. I Notre plus Haute Cour parvient à la conclusion qu’une restriction de communiquer imposée à une banque n’entraîne pas une atteinte particulièrement sensible aux libertés constitutionnelles de communication et économique si la mesure est nécessaire et limitée dans le temps. I Le Tribunal fédéral considère donc qu’une interdiction de communiquer imposée à la banque est en principe admissible pour autant qu’elle soit limitée dans le temps. En revanche, une mesure illimitée dans le temps visant à interdire à un établissement bancaire de communiquer des informations à autrui constituerait une atteinte grave à sa liberté de communication et à sa liberté économique et nécessiterait une base légale formelle et expresse. I Dans le cas qui lui est soumis, le Tribunal fédéral a jugé que l’interdiction de communiquer devait être levée dès lors que son maintien ne pouvait plus se justifier au regard du principe de la proportionnalité. 5 Portée de l’arrêt du Tribunal fédéral 5.1 Limitation dans le temps L’ATF 131 I 425 vient clarifier une situation jusqu’alors insatisfaisante sur le plan de la sécurité du droit. Désormais et en l’état actuel de la loi fédérale sur la procédure pénale, seule une interdiction limitée dans le temps peut être enjointe par l’autorité compétente à une banque, aux fins de l’empêcher d’informer son client de l’existence d’une procédure pénale. Une interprétation devra encore être effectuée de cas en cas puisque les juges du Tribunal fédéral ne définissent pas le moment à partir duquel une telle mesure apparaît disproportionnée. En l’espèce, la décision attaquée avait été rendue près d’une année avant le prononcé de l’arrêt du Tribunal fédéral. Cependant, c’est une période de quatre mois qui séparait le prononcé de l’interdiction de communiquer et le refus de lever cette mesure suite à la requête de la banque. En matière de lutte contre le blanchiment d’argent, l’intermédiaire financier qui a procédé à une communication au sens de l’art. 9 de la Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent dans le secteur financier (« LBA ») doit bloquer, durant une période maximale de cinq jours ouvrables, les valeurs patrimoniales dont il sait ou présume avoir un lien avec une infraction de blanchiment d’argent (art. 10 al. 1 LBA). Par ailleurs, l’intermédiaire financier n’est en droit d’informer ni les personnes concernées, ni des tiers de la communication qu’il a faite. Mais cette restriction légale ne dure que le temps du blocage, c’est-à-dire un maximum de cinq jours ouvrables. L’article 8 al. 2 de la Loi fédérale relative au traité conclu avec les Etats-Unis d’Amérique sur l’entraide judiciaire en matière pénale (« LTEJUS ») stipule expressément que la possibilité de faire garder le secret sur l'existence de la demande d'entraide et sur tous les faits en rapport avec elle doit être limitée dans le temps. Il est encore relevé que les articles 283 et 284 du Projet de Code de procédure pénale suisse unifié, qui traitent des mesures de surveillance de comptes bancaires, ne sauraient constituer une base légale formelle suffisante dès lors que la possibilité de prononcer de telles mesures, illimitées dans le temps, devrait être clairement mentionnée dans le droit normatif ; cela n’est pas le cas dans la teneur actuelle du projet d’unification de la procédure pénale en Suisse. Enfin, les articles 71 et 162 du Projet de Code de procédure pénale suisse – dont l’entrée en vigueur ne devrait toutefois pas intervenir avant 2010 – prévoient expressément que l’obligation de garder le secret pourra être imposée à certains participants à la procédure, notamment les témoins, sous commination des peines prévues à l’article 292 CP, et pour autant que le but de la procédure ou un intérêt privé l’exige. Dans ces cas, l’obligation devra être limitée dans le temps. Etablir un pronostic quant à la durée admissible d’une interdiction de communiquer imposée à un établissement bancaire est un exercice difficile. Il appartiendra à la jurisprudence de dresser les contours plus précis des limites dans le temps qui sont admissibles lors du prononcé de telles interdictions. Nous sommes d’avis qu’une interdiction de communiquer excédant un mois (ou deux mois dans des cas exceptionnels comportant des procédures particulièrement complexes) serait disproportionnée. Au-delà de cette période, un contrôle de la décision devrait avoir lieu (avec la possibilité d’une prolongation pour autant que les conditions du cas d’espèce le justifient). 3 Le droit pénal administratif ne connaît pas de disposition qui prévoit expressément la possibilité pour l’autorité en charge d’une enquête d’imposer un silence à la personne qui fait l’objet d’une injonction visant à obtenir des pièces et des informations. La question se pose donc de savoir si l’autorité compétente est en droit d’imposer une mesure faisant interdiction à un mandataire de communiquer à son mandant ou à des tiers l’existence d’une enquête administrative en cours. De manière générale, il est douteux qu’une autorité administrative soit fondée à prononcer des mesures de contrainte visant à interdire à un mandataire de communiquer à son mandant l’existence d’une enquête administrative en cours. En effet, dès lors que de telles mesures de contrainte portent une atteinte importante à des droits reconnus comme fondamentaux (liberté de communication, liberté économique), et peuvent donc se justifier dans le cadre d’une enquête pour des faits susceptibles d’être pénalement relevants, elles ne sauraient être imposées pour des infractions présumées dont la nature est administrative. On relèvera enfin que la révision de l’article 38 de la Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (« LBVM »), entrée en vigueur le 1er février 2006 (et qui fera l’objet de notre newsletter du mois d’avril 2006), dont le but est notamment de faciliter et d’accélérer l’assistance administrative internationale, ne prévoit nullement la possibilité pour l’autorité d’exécution (i.e. la Commission fédérale des Banques) d’enjoindre à la banque ou au négociant de valeurs mobilières concerné de taire l’existence de l’enquête menée par l’autorité étrangère. 6 Par son ATF 131 I 425, le Tribunal fédéral a désormais clarifié une incertitude en ce sens que l’interdiction ne saurait perdurer indéfiniment. Pour être proportionnelle, elle doit être limitée dans le temps. Encore faut-il interpréter cette limitation temporelle. En effet, dès lors que la question doit être examinée concrètement, de cas en cas, il n’est pas possible de déterminer clairement et immuablement la durée « admissible » de ce type d’interdictions. Contacts Le contenu de cette Newsletter ne peut pas être assimilé à un avis ou conseil juridique ou fiscal. Si vous souhaitez obtenir un avis sur votre situation particulière, votre personne de contact habituelle auprès de Schellenberg Wittmer ou l’un des avocats suivants répondra volontiers à vos questions : I A Genève: VINCENT JEANNERET [email protected] BENJAMIN BORSODI [email protected] I A Zurich: PETER BURCKHARDT [email protected] MARTIN BERNET [email protected] Conclusion Ordonnée dans le cadre d’une procédure pénale, l’interdiction de communiquer enjointe à un mandataire en relation avec des mesures visant son mandant a connu une inflation sensible ces dernières années. Prononcées dans le cadre d’enquêtes cantonales ou nationales (principalement des chefs de blanchiment d’argent, respectivement de financement du terrorisme) ou dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide internationale en matière pénale, ces interdictions, généralement contenues dans une ordonnance de perquisition et saisie, sont devenues un instrument très prisé des magistrats instructeurs. L’interdiction de communiquer imposée à un établissement bancaire constitue indubitablement une mesure de contrainte. Or, dans un Etat de droit, toute mesure de contrainte doit pouvoir s’appuyer sur une base légale. Cette dernière doit être formelle ou matérielle en fonction de la gravité de l’atteinte portée aux libertés constitutionnelles concernées. 15bis, rue des Alpes Case postale 2088 CH-1211 Genève 1 Tél. +41 (0) 22 707 8000 Fax +41 (0) 22 707 8001 Löwenstrasse 19 Case postale 6333 CH-8023 Zurich Tél. +41 (0) 44 215 5252 Fax +41 (0) 44 215 5200 www.swlegal.ch 4 SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER MARS 2006 5.2 Droit pénal administratif et assistance internationale en matière administrative