L`histoire des sourds
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L`histoire des sourds
|1 L’histoire des Sourds ou l’origine des malentendus. Introduction En dehors des associations pour Sourds et malentendants, on a souvent l’impression que l’histoire des Sourds est peu ou pas connue. Or, cette histoire est riche d’enseignements d’une part, et d’autre part, elle permet de comprendre les réactions, les frustrations et les peurs de nombreux Sourds aujourd’hui. En effet, l’histoire des Sourds et, de surcroit, celle de la Langue des signes L’histoire des Sourds et de la Langue des Signes est marquée par certaines dates clés, certains personnages et certains faits marquants, connus de tous les Sourds et malentendants. Après avoir expliqué brièvement les raisons pour lesquelles on parle de « Sourds » plutôt que de personnes sourdes, nous reviendrons entre autre, sur l’histoire de l’Abbé de l’Épée, et le fameux Congrès de Milan, afin de mieux comprendre dans quels débats et quels enjeux, les Sourds se situent aujourd’hui. Développement « Sourds » et « sourds » Aussi, avant d’aller plus loin, nous aimerions apporter une petite précision quant à la terminologie utilisée lorsque nous parlons des « Sourds ». En tant qu’association défendant les droits et la citoyenneté des personnes handicapées, l’ASPH a toujours parlé de « personnes handicapées », de « personnes aveugles » ou de « personnes sourdes ». L’idée étant de toujours mettre en avant la personne avant son handicap. Ceci dit, nous ne pouvons ignorer le fait que lorsqu’il s’agit de surdité, les choses ne sont pas aussi simples… |2 Les Sourds ne se considèrent pas forcément comme « handicapés » ou « déficients ». Ils réfutent souvent la vision médicale et déficitaire de la surdité pour une vision plus sociale et culturelle. En d’autres termes, être Sourd ne signifie pas uniquement, avoir un sens en moins, mais signifie surtout avoir un autre rapport au monde (souvent plus visuel) et une autre langue, la Langue des signes. Il nous semble malheureusement encore nécessaire de rappeler que la LSFB (Langue des Signes Francophone de Belgique) est bien une langue à part entière, reconnue à l’époque, en 2003 en communauté française, et non d’un simple langage, limité à communiquer les éléments quotidiens et basiques. Non, en Langue des signes on peut philosopher, discuter, échanger, débattre, informer ou faire de l’humour. Pour toutes ces raisons, nous prenons donc le parti de parler de « Sourds » avec un « S » majuscule. Non pas pour leur nier la qualité de personne mais bien pour mettre en évidence cette communauté qui pratique la Langue des signes, et qui revendique son appartenance à la culture sourde. L’Abbé de l’Epée Charles-Michel Lespée dit l’Abbé de l’Epée1 est un personnage incontournable de l’histoire des Sourds. Ceux qui en ont entendu parler vaguement, pensent à tort qu’il est l’inventeur de la Langue des signes. Il n’en est rien. L’histoire raconte qu’un jour, il fit la rencontre de deux sœurs jumelles sourdes qui signaient (ou communiquaient en Langue des signes) entre-elles. Intéressé par les langues en général, l’Abbé de l’Epée fut intrigué par le mode de communication de ces deux jeunes filles dont le professeur est décédé. L’Abbé de l’Epée décida d’apprendre cette langue aux côtés d’elles. Très vite, il comprit les enjeux d’un tel mode de communication, pour les Sourds et créa, autour de 1760, la première école avec un enseignement en Langue des signes. 1Pour une biographie un peu plus détaillée : www.renelegal.fr/pgabbedelepee3.html ou http://fr.wikipédia.org/wiki/charles-Michel_de_L%27Épée#Biographie |3 L’Abbé de l’Epée, et la France en quelque sorte, montre l’exemple et s’occupe de l’éducation de ces Sourds qu’on prenait pour des enfants inéducables, arriérés ou encore sauvages… Son succès est national et international, puisque même des personnes de la Haute société lui envoient des enfants sourds (encore appelés sourds-muets à l’époque2). Son travail est reconnu et salué. Au moment de sa mort, en décembre 1789, sa maison devenue école pour Sourds, comporte près d’une centaine d’élèves. L’Abbé de l’Epée a ainsi commencé une nouvelle « tradition » qui était vouée à la perpétuation. Ce n’était pas sans compter sur le Congrès de Milan… Congrès de Milan Dès 1878, se tient chaque année le « Congrès international pour l’amélioration du sort des sourds-muets ». Après Paris et Lyon, c’est à Milan que se tint ce Congrès en 1880. Et s’il est bien une période noire dans l’histoire des Sourds, ce n’est autre que celle de ce Congrès, ainsi que les années qui ont suivi. En effet, à la fin de ce Congrès, l’enseignement de la Langue des signes est tout simplement interdit (!) au profit de la méthode orale. Les Sourds n’ont plus le droit d’utiliser la Langue des signes et doivent oraliser. Aucun choix possible. Ce Congrès apparait comme une énorme mascarade.3 Tant par le choix du lieu du congrès (les italiens étant défenseurs de l’oralisme) que des personnes invitées pour mener les débats et voter. Quelques Sourds (trois) sont néanmoins présents, mais aucun interprète ne s’y trouve alors que des traductions sont prévues dans d’autres langues.4 Différentes résolutions sont votées à la quasi-unanimité. Ainsi « le congrès, considérant l’incontestable supériorité de la parole sur les signes, pour rendre 2Aujourd’hui, l’appellation « sourds-muets » est rejetée par les Sourds pour diverses raisons que vous pouvez découvrir dans la brochure « 5 bonnes raisons pour ne plus utiliser « sourd-muet(te) » téléchargeable sur www.apedaf.be/5-bonnes-raisons-pour-ne-plus ENCREVÉ, F. « Réflexions sur le congrès de Milan et ses conséquences sur la langue des signes française à la fin du xixe siècle », Le Mouvement Social 2/ 2008 (n° 223), p. 83-98 4 http://fr/wikipedia.org/wiki/Congrès_de_Milan 3 |4 le sourd-muet à la société et lui donner une plus parfaite connaissance de la langue, déclare : que la méthode orale doit être préférée à celle de la mimique pour l’éducation et l’instruction des sourds-muets. que le moyen le plus naturel et le plus efficace par lequel le sourdparlant acquerra la connaissance de la langue, est la méthode objective (intuitive), celle qui consiste à désigner d’abord par la parole, puis par l'écriture, les objets et les faits mis sous les yeux des élèves. Que dans leurs conversation avec les parlants les sourds-muets se servent exclusivement de la parole. Que les élèves nouvellement venus dans l’école forment une classe à part, dans laquelle l’enseignement sera donné par la parole. Que ces élèves soient absolument séparés des autres sourds-muets, qui étant trop avancés ne peuvent plus être instruits par la parole et dont l’éducation sera terminée avec les signes. Que chaque année on établisse dans l’école une nouvelle classe de parole, jusqu’à ce que tous les anciens élèves instruits par la mimique aient achevé leur éducation ».5 Nous tenions à remettre en partie le contenu6 de ce qui a été approuvé lors de ce Congrès, pour bien montrer toute la violence symbolique qui est faite aux Sourds. On y parle de « mimiques » et non de Langue, on sépare des élèves « sourds-signants » des autres sourds, pour éviter qu’ils ne communiquent entre eux, en Langue des signes. On oblige les sourds à oraliser et on leur interdit de signer. Dans certains pays qui favorisaient l’oralisme (comme l’Italie), ces décisions ne changèrent rien. Quant à d’autres états plus éloignés, comme le Canada ou les Etats-Unis qui favorisent la Langue des signes, ces décisions ne changèrent rien également. Le séisme a donc eu lieu principalement dans les pays francophones. 5Historique de la langue des signes (cfwb.be) plus de détails sur les 8 résolutions : http://fr.wikipedia.org/wiki/Congrè_de_Milan#Les_Huit_r.C3.A9solutions 6Pour |5 Sur le terrain, beaucoup constatent que la méthode orale exclusive ne convient pas aux Sourds et que « l’oralisme (…) est paradoxalement devenu un obstacle à la communication et à la pratique d’un métier nécessitant des échanges. Après seulement onze ans d’expérience éducative uniquement oraliste, les sourds ne peuvent finalement effectuer que des métiers où ils sont isolés et donc non intégrés ».7 Ce n’est que près d’un siècle plus tard, en 1976, que l’interdiction d’enseigner en Langue des signes sera levée en France.8 7 ENCREVÉ, F. Op cit. 8http://www.langue-des signes.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/sites/ccls/upload/ccls_super_edito r/ccls_editor/documents/Historique.pdf&hash=46cbdcc5cf27328f0d7f2819fd3e663b42bd74f9 |6 Une nouvelle ère pour les Sourds En Belgique francophone, on commence dès les années ’80 à considérer les Sourds comme des personnes parlant une Langue, et devant avoir accès aux informations. C’est ainsi qu’une grande chaine de télévision, la RTBF, présente son JT accompagné d’une traduction gestuelle. C’est une manière d’intégrer et de reconnaitre les Sourds, comme récepteurs des informations. Dans les années ’90, en 1994, aura lieu la première « journée mondiale des Sourds » mieux connue sous l’acronyme « JMS », qui permet aux Sourds et à leur familles, de se réunir dans une ambiance festive, mais aussi de débattre, de discuter, de se faire connaitre et de rappeler qu’être Sourds n’est pas une fatalité… Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru. En 2003, comme nous l’évoquions plus haut, la LSFB a été reconnue comme Langue et en septembre 2014, la Fédération Wallonie-Bruxelles accueillait son premier Master en interprétation Français-Langue des signes. Conclusion Les grandes lignes de l’histoire des Sourds, nous permettent de comprendre les enjeux de la reconnaissance de la Langue des signes aujourd’hui. Au-delà de la simple reconnaissance officielle, c’est toute la société qui doit réfléchir pour intégrer les Sourds. Il faut se poser des questions telles que, comment rendre ces informations plus accessibles ? Pourquoi ne pas enseigner la Langue des signes et l’histoire des Sourds à l’école ? Comment penser la société pour qu’elle soit la plus inclusive possible ? Plus concevoir la surdité d’un point de vue sociologique, que purement médical est selon nous la base de la réflexion. Enfin, si un long chemin a été parcouru depuis le Congrès de Milan, il reste cependant encore beaucoup de travail quant à l’accès à l’information chez les personnes sourdes. L’ASPH, suite à une étude sur l’accès aux soins de santé de qualité, dénonçait le manque cruel d’informations sur la santé, sur la prévention, le manque de services d’accueil en Langues des signes, etc. |7 Documents et sites consultés ENCREVÉ, F. « Réflexions sur le congrès de Milan et ses conséquences sur la langue des signes française à la fin du XIXe siècle », Le Mouvement Social 2/ 2008 (n° 223), p. 83-98 http://fr.wikipédia.org/wiki/charles-Michel_de_L%27Épée#Biographie http://fr.wikipedia.org/wiki/Congrè_de_Milan#Les_Huit_r.C3.A9solutions http://fr/wikipedia.org/wiki/Congrès_de_Milan http://www.langue-dessignes.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/sites/ccls /upload/ccls_super_editor/ccls_editor/documents/Historique.pdf&hash=46cb dcc5cf27328f0d7f2819fd3e663b42bd74f9 www.apedaf.be/5-bonnes-raisons-pour-ne-plus www.renelegal.fr/pgabbedelepee3.html Chargée de l’analyse : Najoua BATIS - Chargée d’études et d’analyses Responsable de l’ASPH : Catherine LEMIERE - Secrétaire générale ASPH Date : 8 décembre 2014