Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015
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Mille-Feuille Magazine Littéraire Volume 21 2015 Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Pascale-Anne Brault [email protected], [email protected] Follow this and additional works at: http://via.library.depaul.edu/millefeuille Part of the French and Francophone Literature Commons Recommended Citation Brault, Pascale-Anne (2015) "Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015," Mille-Feuille Magazine Littéraire: Vol. 21, Article 1. Available at: http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 This Issue is brought to you for free and open access by the French Program at Via Sapientiae. It has been accepted for inclusion in Mille-Feuille Magazine Littéraire by an authorized administrator of Via Sapientiae. For more information, please contact [email protected], [email protected]. Article 1 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Mille-Feuille Magazine Littéraire Printemps 2015 DePaul University Department of Modern Languages http://via.library.depaul.edu/millefeuille/ Published by Via Sapientiae, 2015 1 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Pour toute correspondance, s'adresser au comité de rédaction, Mille-Feuille, DePaul University, Department of Modern Languages, 2320 N. Kenmore Avenue, Chicago, IL 60614-3210, (773) 325-7320 [email protected] Mille-Feuille: 1. du latin millefolium, nom vulgaire d'une espèce d'achillée dont les feuilles sont très finement découpées en tous sens. Appelée encore 'herbe aux coupures', 'herbe au charpentier', 'herbe au voiturier', c'est une plante vivace qui croît au bord des chemins, dans les pelouses sèches, et dont les fleurs, blanches ou roses, sont réunies en capitules. 2. pâtisserie, connue aux Etats-Unis sous le nom de 'Napoleon'. Composée de fins feuillets de pâte feuilletée entre lesquels on intercale une crème pâtissière au beurre ou une crème chantilly. 3. les mille feuillets de prose et de poésie qui, nous l'espérons, finiront par voir le jour dans notre magazine littéraire. 4. texte à dévorer goulûment. S'assurer, lorsque l'on y plongera les dents, que le contenu en déborde de toutes parts. Bon appétit! http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 2 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Mille-Feuille Magazine Littéraire Printemps 2015 DePaul University Department of Modern Languages Rédacteurs en chef Pascale-Anne Brault Pascale Kichler Jessica Martino Rédacteurs en chef adjoints Pedro Antonino, Madison Bagby, Paul Carlson, Geniqua Dorsainvil, Zachary Fraum, Anna Freed, Morgan Greene, Megan Heck, Kaitlyn Hoffman, Eleanor Hughes, Laurel Kane, Lillian Kelly, Sarah Kmiec, Evgeniia Kruopite, Alicja Kubas, Emily Lambert, Megan Lomasney, Caroline Lucius, Janna Lyhus, Denise Macias, Kristin Monroe, Caitlyn Pagenkopf, Sureepoul Pattumma, Kathryn Schlough, Claude Shy, Shelby Smith, Miko Stulajter, Lindsey White, Laura Williams, Lily Zenger Photographe Dean Sansovich Mise en page et assistance technique Camila Sublewski Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter le vingt-etunième numéro de Mille-Feuille et remercions tous les participants ainsi que le Doyen de Liberal Arts and Social Sciences, le Département de Langues Modernes et ses professeurs, le Study Abroad Office de DePaul University, ainsi que l’Ecole FrancoAméricaine de Chicago (EFAC), Lincoln Park High School, et Bishop Noll Institute, qui nous ont permis, grâce à leurs subventions généreuses et leurs nombreuses contributions, de donner suite à nos premiers numéros. Bonne lecture! Published by Via Sapientiae, 2015 3 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Copyright DePaul University 2015 http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 4 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Liste des auteurs et des traducteurs Pedro Antonino 26, 75 Nicolas Attlan 73 Ayuna Batoeva 91 Madison Bagby 36 Emma Bonnard 13, 31 Milo Bonnard 24 Pascale-Anne Brault 94 Christina Campbell 66 Marie Christophell 57 Louis Crassier 19 Alyssa Crépieux 60 Clare Dallman 40 Nathan Darras 52 Kevin Doherty 92 Geniqua Dorsainvil 35 Morro Ellory 51 Lydia Fitting 49 Ashley Fleshman 96 Shawneice Floyd 98 Anna Freed 38, 44 Jonelyn Gabriel 45 Lise Gilly 47 Morgan Greene 41, 88, 106 Jonathan Griffiths 86 Caroline Guindon 2 Keith Gurtzweiler 6 Kellye Guzik 48 Black Hawk Hancock 110 Megan Heck 50 Katie Hoffman 17 Amelia Hruby 76 Sophie Jensen 27 Anna Kalandyk 87 Anne-Brigitte Kassi 1 Lily Kelly 81 Khafiz Kerimov 74 Evan Kirkeeng 18 Published by Via Sapientiae, 2015 Sarah Kmiec 32 Evgeniia Kruopite 16 Alicja Kubas 82, 102 Gabriel Kuentzmann 61 Veronica Lalov 69 Aleksia Le Tien 72 Marnice Lewis 113 Caroline Lucius 53, 89, 104 Sarah Luyengi 95 Janna Lyhus 78 Anne Malina 20 Denise Marcias 108 Alyssa Marcy 90 Jessica Martino 84 Rolande Sonya Mbatchou 68 Kirby McKinnon 5, 10 Kristin Monroe 79 Clayton Newmiller 12 Gina O'Neill 25 Sureepoul Pattumma 33 Genevieve Pocius 62 Bradley Ramos 14 Arthur Rature 105 Martin Reader 67 Claire Sanchez 28 Matthew Scherer 70 Katie Schlough 34 Claude Shy 54 Bradley Smith 22, 46, 58 Shelby Smith 83 Alfonso Soto 93 Miko Stulajter 4 Camila Sublewski 30 Mark Turcotte 11, 56 Mélusine Velde 21 Elias Widawsky 112 Laura Williams 42, 80, 101 5 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 6 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 On aurait dit un soir d'été ordinaire Des nuages violacés Recouvraient subrepticement la lune gibbeuse Au loin, mon regard se perd là où le pacifique rencontre l'horizon, Un doux parfum d'eucalyptus me fit soudain oublier le bazar, Celui qu'avait laissé la chamelle qui me transportait lentement vers d'autres horizons Anne-Brigitte Kassi Published by Via Sapientiae, 2015 1 7 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Alba berlinoise Blafarde, triste, grisée d’insomnie Marchant tantôt vers les bois rabougris J’ai vu ma jumelle vomissante… Je me promène dans la Grunewald tous les jours, très tôt le matin, en me prenant pour Verlaine, Baudelaire. Cela fait taire les voix de la nuit, les voix de mes cauchemars d’insomniaque. J’avance en égrenant des vers qui n’ont ni rime ni raison, des petits vers blancs qui, comme les miettes de mes contes préférés, tombent sans bruit dans le sillon douloureux de mes pas. Si je n’étais pas si épuisée, je ferais l’effort d’en retenir quelques uns et de les noter au retour dans un de mes cahiers. Plutôt que de les abandonner là aux oiseaux d’automne : Blafarde, triste, grisée d’insomnie Marchant tantôt vers les bois rabougris J’ai vu mon émétique jumelle La lune Chétive, frissonnante, abandonnée À l’aube méchante qui l’avait molestée Blafardement ma lune en pissant A geint Trois fois je répète tout haut chétive, frissonnante, abandonnée, mais pourtant, en rentrant à la maisonnette de tante Susannah, j’aurai déjà tout oublié ce que la lune m’avait inspiré. Seule la perfection du silence matinal m’accompagnera jusqu’au pas de la porte. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 2 8 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Je tournerai la clé dans la serrure, j’accrocherai mon manteau à la patère et je prendrai attentivement note de lui, de ce silence bleuté, me signalant la fin d’une autre nuit berlinoise. Je m’en réjouirai en mettant l’eau à bouillir, en enfilant une petite laine sur mon spleen transi par la consomption lunaire. Ah… la douce et délicieuse finitude d’une nuit de novembre infinie : baume quotidien sur mes incurables bobos. Caroline Guindon Published by Via Sapientiae, 2015 3 9 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Quand vous serez bien vieille Quand vous serez bien vieille et grise et assoupie, Et dodelinant près du feu, vous saisirez ce livre, Et lirez lentement, et rêverez du doux regard Dont vos yeux brillaient autrefois, et de leurs ombres profondes; Combien ont aimé vos moments de ravissante grâce, Et votre beauté d’un amour faux ou véritable, Mais un homme aima l'âme de pèlerin en vous, Et aima les chagrins de votre visage changeant, Et se penchant auprès des rondins rougeoyants, Il murmura, un peu tristement, que l’Amour avait fui Et arpenté les hautes montagnes Et caché son visage au milieu d'une foule d'étoiles. Traduction de « When You Are Old » de William Butler Yeats Miko Stulajter http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 4 10 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Les oiseaux Les plumes vertes du quetzal battent rapidement, Se mêlant aux feuilles d’arbres. Le soleil brille—grande lanterne dans le ciel, Ses rayons, une lumière d’or Voyant le quetzal, la dilettante nubile s’assied, Se résignant à sa beauté, Par la nature, entièrement enchantée Là-bas, une palombe comparait devant elle, Faisant des soubresauts telle une ballerine, Ses plumes—velours riches dans la lumière du soleil. Voyant la palombe, la dilettante nubile s’assied, Captivée par ses mouvements, Par la nature, entièrement enchantée. Kirby McKinnon Published by Via Sapientiae, 2015 5 11 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Lettre inattendue au sujet d’un livre non trouvé le 14 janvier 2007 Bonjour Pascale-Anne ! Je ne sais pas quoi vous écrire pour Mille-Feuille cette année. Plus ça change, plus c’est la même chose. J’ai plus de trente ans maintenant, et aucun coup de tonnerre ne m’a frappé, aucun éclaircissement ne s’est révélé à moi. Est-ce vraiment mon destin de suivre la route évidente dont les points de repère ont été choisis pour moi par d’autres ? Oui je sais, de quoi je parle. Cet après-midi je suis entré dans une librairie type grand magasin. Mes parents m’ayant donné une sorte de carte de crédit, j’ai décidé d’aller voir ce que cette librairie avait d’intéressant. Rien ne m’a frappé. J’ai regardé le long des rangées, des étagères, j’ai fouillé dans les coins, j’ai frôlé quelques livres organisés en piles sur la table — quel ordre ! Je les ai inspectés, touchés, pris et reposés tour à tour. Pas un ne m’a ému. Pas un livre ne m’a donné un intérêt tel que j’aie eu envie de l’acheter. En revanche, j’ai ressenti un dégoût, un peu d’angoisse ou plutôt un doute — peut-être les auteurs sont-ils brillants, mais moi non ? — j’ai éprouvé une curiosité flétrie. Je suis sorti les mains vides. Que ce soit clair : j’ai un problème. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 6 12 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Figurez-vous que tout était tout neuf, récent, toujours emballé dans du plastique, irréfléchi, ou bien trop réfléchi et scruté à l’excès, tout était le produit de quelque stratégie de marketing trop apparente. Les livres, les vidéos, les jeux, les affiches, les images, les messages, les mots, voire les polices de caractères, tout représentait une stratégie de marketing dont le seul but était que je consomme — rien de plus que ça. Acheter. Avaler. Faut pas se cultiver. Faut pas remettre les croyances en question. Non madame, non monsieur, non merci. Ne voici que notre humanité mâchée et remâchée, bouillie et rebouillie, et servie en anecdotes astucieuses. Je me plais à imaginer les comités de marketing comme des sortes d’usines industrielles du « goût » qui pompent, pompent, pompent, et injectent dans le marché tout un fleuve de produits et soi-disant d’expériences pour notre consommation constante. J’imagine les communications électroniques parmi ces gens-là : « Superbe, Françoise. C’est scandaleux. Ce livre va créer une grande controverse. Nous en aurons pour notre argent. » On ne manque pas de choix. Face à ces options, ce qui me surprend c’est qu’il n’y reste plus de surprises. Même la surprise, on l’a cataloguée et on l’a mise sur table. Chaque autrice et chaque auteur jouent aux experts, ils le connaissent, ce sujet quelconque, mieux que nous. Ils nous l’expliquent en morceaux coupés et faciles à digérer afin que nous en voulions plus, que nous en achetions plus. Ils savent plus que nous, et voilà. Ils savent plus que nous, et pourquoi pas en profiter ? Excusez-moi, Published by Via Sapientiae, 2015 7 13 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 mais je me demande où est le mystère dans la vie ? Ah, pardon, je l’aperçois à la rangée nº 17. Enfin bon, qu’est-ce que je cherche ? Ce que je cherche, je vous l’admets, c’est la découverte inattendue. C’est ça. C’est le livre qui me changera la vie. Le grain de savoir ou de sagesse qui me permettra de surmonter les épreuves qui surgissent ; celui qui croîtra et m’entraînera dans la vie et, géant un jour, m’hébergera jusqu’à la vieillesse. Je cherche une histoire à la fois émouvante et crédible, possible de la même façon que moi je suis possible, imparfaite mais capable de croissance, rarement astucieuse. Une histoire divine cachée dans une noix. L’apogée de l’inexplicable devenu tout d’un coup familier. Le mystère qui se révèle au bout du moment le plus ordinaire. La révélation qui s’effectue pour le pauvre homme qui ne s’en est jamais douté. L’homme, comme moi, trop simple pour s’en être jamais douté avant cette belle découverte inattendue. Dans un livre. On ne peut pas acheter cette expérience dans une librairie type grand magasin au beau milieu de l’aprèsmidi, je viens de le découvrir. La recherche de cette expérience est insensée, vous savez. Je vous écris pour vous dire, Pascale-Anne, comme si vous ne le saviez déjà pas, que je suis fou précisément car aujourd’hui je suis allé à la recherche de cette expérience extraordinaire et inattendue. C’est dans cette librairie que j’espérais saisir ma libération de cette route évidente dans la vie dont les points de repère sont ceux déjà sélectionnés et emballés en plastique pour moi. Mais bon. C’est quoi alors le prix de ma folie ? J’sais pas. C’est aux chefs de marketing http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 8 14 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 de le décider. Et franchement, peu importe : j’ai une carte de crédit dans la poche. J’espère par contre que vous vous êtes trouvé quelque chose de bon à lire. Amitiés, KG * * * le 28 janvier 2015 Ça me fait sourire de relire cette lettre que je ne vous ai jamais envoyée. Avant maintenant. D’abord, il n’y a plus guère de librairies type grand magasin national. Franchement, qui lit quand il y a tant de vidéos en continu à voir ? De plus, qui n’attend pas cette découverte inattendue, surtout quand elle est retransmise sur le site web de CANAL+ tous les mercredis soirs ? Vous ne l’avez pas vue ? Keith Gurtzweiler Published by Via Sapientiae, 2015 9 15 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 La terre Les pompiers tombent S’écrasant contre la terre Se rangeant dans le sédiment Se mélangeant avec les éléments C’est la décomposition des filaments Doucement consommés Par l’appétit insatiable de la guerre Kirby McKinnon http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 10 16 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Visitation Quand j'étais encore indien J'ai six peut-être sept ans, excité, faisant semblant de dormir dans le rougeoiement sec du poêle en fonte. Le dos de ma sœur est chaud et immobile contre le mien. Un brin de paille gratte ma cheville sous la couverture. Quelque part dans l'obscurité ma mère et son mari grognent et soufflent, les mains sur la bouche. Je cligne des yeux En travers de la pièce un bison s'ébroue, bouscule le camion jaune Tonka1 avec son museau. Traduction de « Visitation » de Mark Turcotte (avec la permission de l’auteur) Publication originale dans Le Chant de la Route, La Vague Verte éditions, France, 2001 Dominique Falkner 1 Tonka est une marque américaine très populaire de petites voitures. On note aussi la connotation et l'assonance avec le mot Lakota Sioux "Tatanka" qui veut dire bison. Published by Via Sapientiae, 2015 11 17 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Je me lançai dans un mariage L’été de mes vingt-et-un ans Et les cloches sonnèrent pour nos noces Je ne m’en souviens que maintenant N’étant plus ni célibataire, ni coureur de jupons J’étais marié et en profitais Avant qu’elle ne se mette à pondre des bébés Alors je me rendis compte de mon malheur D’abord vint Isaiah, avec ses petits doigts ridés Ensuite vinrent Charlotte et cette diablesse de Dawn Myfanwy, le laideron, mort-née Dieu merci, elle emporta sa mère Que peut-on faire, quand on est veuf Malencontreusement encombré de trois parasites Tout ce que je voulais, c’était la liberté qu’offrait ma nouvelle vie Il fallait donc que je me débarrasse de ce fardeau J’enterrai Charlotte après un biberon à la digitale Pour Dawn, ce fut facile, elle se noya dans son bain Isaiah se défendit, mais j’eus le dessus Je le réduisis en cendres pour m’avoir provoqué Et c’est ainsi que je me présente à vous, votre humble narrateur Libre et heureux Vous me croyez probablement hanté Mais il n’en est absolument rien Traduction de « The Rake’s Song » de Colin Meloy Clayton Newmiller http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 12 18 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Opéra Le lever du rideau un lever de soleil Méphisto nous salue de sa cape vermeille Tosca voit le couteau mais Wozzeck le lui prend Nedda à moitié morte appelle son amant Onéguine à genoux le vieux tsar hallucine Rusalka dans un bois que la lune illumine Un cadavre caché sous les plis d’un manteau Sérénade rythmée par des coups de marteau Coppélius vend des yeux Wotan en achète un Carmen les gratifie d'un sourire mutin Emma Bonnard Published by Via Sapientiae, 2015 13 19 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Le pêcheur Juste avant que le soleil ne s’enfonce sous l’horizon, le temps semble s’arrêter et le soleil danse sur les eaux de la Méditerranée. Sur la plage les vagues caressent perpétuellement le sable. De temps en temps, elles reculent en déposant de petits fossiles polis repérables seulement par le connaisseur astucieux. En ce momentci, derrière la jetée où les vagues se dissipent, les habitants des grandes roches volcaniques demeurent cachés dans l’ombre. Les citoyens émaciés qui habitent ces roches noires sont des réfugiés ayant fui une extermination persistante et cruelle. Quand le soleil tombe finalement dans la mer, elle devient une avec le ciel noir. Maintenant, les graffitis qui avaient éclaté en éclaboussant les murs hantent maussadement les passants. Comme les lumières commencent à illuminer la promenade, elle est peuplée de plus en plus de touristes et d’habitants en quantités égales. Un pêcheur s’assoit sur la jetée qui jouxte la promenade et se dissout dans l’abîme où le ciel et la mer ne sont plus divisés. Il s’assoit et il boit. Son homologue est situé sur un rocher noir ; il est imperturbable parmi les vagues qui s’écrasent. Il ressemble à une statue. Mais l'absence de mouvement est trompeuse: les engrenages de son esprit tournent sans arrêt, la faim lui tord les boyaux, et ses muscles se battent contre l’impulsion de bouger. D’autres indigènes sortent de leurs appartements vandalisés et délabrés. Les conversations dans les bars noient graduellement le son des vagues qui continuent à s’écraser contre les roches. L'air est rempli de l’odeur de poulpes frits et de fumée de cigarette. Des vendeurs disposent leurs petits tapis en une courtepointe sur la http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 14 20 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 promenade. Une diversité vertigineuse de bibelots s’étale dans ces magasins improvisés. Des enfants pleurent et exigent des jouets de leurs parents ; et d’autres prétendent que la promenade est un terrain de football. Les couples se tiennent enlacés— Tout à coup. Une vague s’écrase. Un clin d’œil. Ses griffes plongent dans l’eau. Un poisson lutte en vain. Sa mort déjà décidée. Le pêcheur se lève, déçu, prend sa canne à pêche, et suit le béton rouge qui serpente sur la promenade ; il disparaît dans la foule tandis que son homologue mange pour la première fois en plusieurs jours. Bradley Ramos Published by Via Sapientiae, 2015 15 21 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Miroir Je suis argenté et exact. Je n’ai aucune idée reçue. Tout ce que je vois je l’avale immédiatement. Tel qu’il est, inchangé par l'amour ou l'aversion. Je ne suis pas cruel, seulement véridique L'œil d'un petit dieu, quadrangulaire. La plupart du temps je médite sur le mur opposé, Il est rose, avec des mouchetures. Je le regarde depuis si longtemps, Je pense qu’il fait partie de mon cœur. Mais il frémit, Les visages et l'obscurité nous séparent Encore et encore. Maintenant, je suis un lac, Une femme se penche sur moi, Fixant les profondeurs pour se trouver Puis elle se tourne vers ces menteurs, Les bougies ou la lune. Je vois son dos et je le réfléchis honnêtement. Elle me récompense avec des larmes Et une agitation des mains. Je lui importe. Elle va et vient, Chaque matin, c’est son visage Qui remplace l'obscurité. En moi, elle a noyé une jeune fille, En moi une vieille femme Se lève vers elle jour après jour, Comme un poisson terrifiant. Traduction de « Mirror » de Sylvia Plath Evgeniia Kruopite http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 16 22 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Le monde est un bel endroit Où naitre un jour Si cela ne vous dérange pas Que le bonheur Ne soit pas toujours Si amusant que cela Si une pincée d’enfer Ne vous dérange pas De temps en temps Alors que tout va bien Parce que même au ciel On ne chante pas tout le temps Le monde est un bel endroit Où naitre un jour Si cela ne vous dérange pas Que certaines personnes meurent Tout le temps Ou peut-être de faim Une partie du temps Ce qui n’est pas si grave A condition Que ce ne soit pas vous Ah, le monde est un bel endroit Où naitre un jour Si cela ne vous dérange pas. Traduction d’un extrait de « The World is a Beautiful Place » de Lawrence Ferlinghetti Katie Hoffman Published by Via Sapientiae, 2015 17 23 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un pantoum au sujet de rien Qu'est-ce qu'on dit quand on n'a rien à dire mais qu’il faut articuler quelque chose d'intéressant? Quand on n'a rien à dire, on peut se concentrer sur un dispositif rhétorique impressionnant comme la structure. On peut se concentrer sur la diction, quand même. Comme la structure, on peut essayer de sembler habile avec ça. La diction, quand même... C'est quelquefois problématique; on peut essayer de sembler habile avec ça, mais au risque de sembler prétentieux. C'est quelquefois problématique-on essaye de sembler intelligent, mais, au risque de sembler prétentieux, c'est vraiment une fuite en avant. On essaye de sembler intelligent, mais, comme toujours avec la poésie, c'est vraiment une fuite en avant. Qu'est-ce qu'on dit?? Evan Kirkeeng http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 18 24 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Arles, mon village Au loin, là-bas, très loin, c’est mon petit village Il est caché par des champs et des oliviers, J’y vais souvent m’y promener et m’y oublier Dans ce coin béni qui n’a pas d’âge. Le petit marché en est une ruche ; On y va on y vient La grande place tel un cœur qui bat est animée Au square, les balançoires sont à la merci des bambins Je m’y sens si bien que je ne l’ai jamais quitté Lieu béni de Dieu, tu as tout pour plaire Tu gardes ton charme été comme hiver. De Venus à La Croix écouter l’Histoire qui parle, Le printemps en plein automne, c’est la vie à Arles. Louis Crassier Published by Via Sapientiae, 2015 19 25 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un revolver Voici un revolver. Il a une langue incroyable qui lui est propre. Il dispense des ultimatums incontestables. C’est le mot de la fin. Un seul petit doigt d'homme peut avec lui raconter une histoire terrifiante. La faim, la peur, la vengeance, le brigandage se cachent derrière lui. C’est la griffe de la jungle rendue rapide et puissante. C’est le bâton du sauvage à la précision magnifique. Il est plus rapide qu’aucun juge et qu’aucune cour de justice. Il est moins subtil et perfide qu’un avocat ou dix. Une fois qu’il a parlé, le dossier ne peut, à la Cour Suprême, être pourvu en appel pas plus qu’un mandamus, une injonction, ou un report ne peuvent intervenir et interférer avec l’intention originale. Et rien dans la philosophie humaine ne persiste plus bizarrement que la croyance ancienne que Dieu est toujours du côté de ceux qui possèdent la plupart des revolvers. Traduction de « A Revolver » de Carl Sandburg Anne Malina http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 20 26 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Paris Une rue de pavés, de pavés irréguliers, Un couple attablé, attablé à un café, Ma ville, ma ville Paris, une faiblesse associée A cette seule année, qui aurait dû durer. Mais ma vie dans le passé, Marquée par cette longue année, Me fait sans cesse rêver, Un rêve chassé Par l'éternité. Mélusine Velde Published by Via Sapientiae, 2015 21 27 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 ONZIEME Janvier 2013 En novembre dernier, je me suis installé dans mon sixième logement à Paris. Il est à cinq minutes à pied de la maison de la famille d’accueil qui m’a hébergé pendant mes premiers mois parisiens, de janvier à mai 2006. Un Américain à Paris, c’est depuis le 11ème arrondissement que j’ai découvert cette ville. En grimpant la rue du Chemin Vert jusqu’en haut, je tombais sur le cimetière du Père-Lachaise, avec ses petits chemins pavés traçant des courbes au milieu des arbres et des sépultures sculptées. En descendant la même rue jusqu’en bas, j’arrivais à la Bastille, avec sa colonne, son opéra et ses terrasses toujours bondées. En prenant la rue Saint-Maur vers le nord, je repérais les bars de la rue Oberkampf et les charmes de Ménilmontant. En me dirigeant plutôt vers l’ouest, je gagnais la place de la République, avec sa statue de Marianne, avant d’atteindre les écluses du canal SaintMartin. Et si j’allais vers le sud, j’étais vite arrivé place Léon Blum, que domine la mairie de l’arrondissement, et près de laquelle j’habite maintenant. Tous les matins, je prenais le métro de bonne heure pour me rendre en cours. L’ambiance que dégage Paris tôt le matin à cette période de l’année est difficile à fixer en mots. Mais depuis que je suis de retour dans le quartier et que je me lève tôt, comme avant, pour aller à l’université, j’ai la joyeuse impression de revivre, depuis janvier, mes premiers mois parisiens. La fraîcheur des matins hivernaux ; l’odeur des premières cigarettes de la journée ; l’eau que font couler les agents de nettoyage aux bords des trottoirs ; les gens http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 22 28 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 vêtus de beaux manteaux qui marchent d’un pas déterminé vers leurs destinations ; les distributeurs de journaux qui nous rencontrent à la bouche du métro ; les portes des immeubles qui s’ouvrent et se referment ; les premières voitures qui se mettent en route ; de plus en plus, les oiseaux, de retour de leur migration, qui chantent ; les premières lueurs de l’aube qui rayonnent de plus en plus tôt, à mesure que les jours s’allongent, et qui annoncent le printemps qui arrive à grands pas — autant d’impressions qui me rappellent cette époque où j’étais au commencement d’une nouvelle vie, une nouvelle vie que j’aime, et où je suis tombé amoureux de cette ville que j’appelle désormais chez moi. Bradley Smith Published by Via Sapientiae, 2015 23 29 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Le slam dunk D’un geste maîtrisé, Il avance sans marcher, Fait deux pas et puis s’élance, La sueur coule, son cœur danse, Ses semelles quittent le parquet, Sans difficultés et sans regret, Il repousse ses adversaires, Flotte dans les airs, Sa main libre se colle de l’autre côté, Du ballon qui lui se trouve slammé, D’un geste brusque et provocateur. Milo Bonnard http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 24 30 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Ce que c’est Je ne peux pas aimer comme une quille. Pas comme la piste. Pas comme la chaussure bleue. Je peux aimer comme une grange, ou une cheminé de chagrin qui siphonne des farines de mon époque antérieure et impopulaire. Voici un étang où des milliers de têtards noirs musardent sur les pierres. Voici un radeau de bois, que fait basculer une assemblée d’ados. Et il n’y a aucun nuage dans le ciel. Aucun avion. Il n’y a même pas un ciel. Et il n’y a même pas un ciel derrière cela. Traduction de « What It’s Like » de Bianca Stone Gina O’Neill Published by Via Sapientiae, 2015 25 31 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Qui est là toujours là dans la ville et qui pourtant sans cesse arrive et qui pourtant sans cesse s’en va C’est le vent crie le paradis un allié du temps Et puis le frais il apporte Et la tiédeur se sert de lui quand la saison a de la chance et le vent c’est comme un père Des fois il chérit, il respire très gentiment il étreint les graines quand arrive le printemps Des fois il hurle, il s’énerve et vous secoue comme un fou et il pousse si vous poussez ou embrasse pour vous caresser et toujours il vole de nouveau quand commande le ciel de la terre. D’après « La Seine a rencontré Paris » de Jacques Prévert Pedro Antonino http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 26 32 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Montagnes Sous un ciel d’une couleur indécise Vit un peuple d’une espèce imprécise Dans un monde où l’absurde est normal Nulle distinction entre humain et animal. Des dragons à cinq têtes, des sorcières sans visage Errent sous un nuage vivant et observent le paysage Où hommes, femmes et êtres omniscients Acceptent leurs différences en communiant. Sophie Jensen Published by Via Sapientiae, 2015 27 33 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un oiseau libre saute sur le dos du vent et dérive en aval jusqu’au bout du courant et trempe son aile dans les rayons orange du soleil et ose réclamer le ciel. Mais un oiseau traqué dans sa cage étroite peut rarement voir à travers ses barreaux d’irascibilité ses ailes sont taillées et ses pattes entravées alors il ouvre le bec pour chanter. L’oiseau captif chante d’une roulade effrayée de choses inconnues mais toujours désirées et sa mélodie se fait entendre sur la colline distante car l’oiseau captif chante la liberté. L’oiseau libre pense à une autre brise et aux alizés doux à travers les arbres soupirant et aux gros vers sur une pelouse qu’illumine l’aube et il dit du ciel que c’est le sien Mais un oiseau captif se tient sur la tombe des rêves son ombre hurle sur un cri de cauchemar ses ailes sont taillées et ses pattes entravées alors il ouvre le bec pour chanter. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 28 34 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 L’oiseau captif chante d’une roulade effrayée de choses inconnues mais toujours désirées et sa mélodie se fait entendre sur la colline distante car l’oiseau captif chante la liberté. Traduction de « Je sais pourquoi l’oiseau captif chante » de Maya Angelou Claire Sanchez Published by Via Sapientiae, 2015 29 35 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Navire de réfugiés Comme une fécule de maïs, je glisse devant les yeux de ma grand-mère. Sa Bible à ses côtés, elle enlève ses lunettes. Le pudding épaissit. Maman m’a élevée sans langue. Je suis devenue orpheline de mon nom espagnol. Les mots sont étrangers, trébuchant sur ma langue. Je regarde mon reflet dans le miroir : peau de bronze, cheveux noirs. Je me sens prisonnière à bord d’un navire de réfugiés. Le navire qui ne se mettra jamais à quai. El barco que nunca atraca. Traduction de "Refugee Ship" de Lorna Dee Cervantes Camila Sublewski http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 30 36 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La guerre La guerre, monstre laid aux longs doigts épineux, S'est échappée un jour des pages d'un roman. Elle essaie de voiler son visage hideux Et son absurdité d'un nuage de sang De nous persuader de choses ridicules, De tous nous assourdir avec ses explosions Et de faire germer les graines minuscules De l'envie, de la haine et de la damnation. Mais c'est une intruse - ne l'oublions jamais! Nos cœurs sont faits d'amour, nos esprits de lumière; Un jour nous curerons le grand mal de la guerre Et nous rétablirons le bonheur de la paix. Emma Bonnard Published by Via Sapientiae, 2015 31 37 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 D’une lettre à sa fille Achève chaque jour et termine ce que tu as à faire. Tu as fait ce que tu pouvais. Quelques gaffes et absurdités ont sans aucun doute fait petit à petit leur chemin ; Oublie-les dès que tu le pourras. Demain est un nouveau jour ; Commence-le positivement et sereinement Comme si rien d’imparfait ne pouvait arriver Et t’encombrer avec tes vieilles inepties. Ce jour est tout ce qui est bon et juste. Il est trop précieux, peuplé d’espoirs et d’invitations pour gâcher un moment en songeant aux hiers. Traduction de « From a Letter to His Daughter » de Ralph Waldo Emerson Sarah Kmiec http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 32 38 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 L’orchidée la plus petite L’amour est un climat où les petites choses trouvent refuge, afin de ne pas grandir (bien que je l’aie une fois prétendu) les cattleyas exigeants du côté de chez Swann, glamours au milieu des faubourgs, serres écrasantes, bonheurs et cruautés à l’heure du thé, mais cet état sauvage presque impossible à identifier, à peine plus qu’une pousse, je l’ai trouvée florissante dans les creux d’un bord de mer en granitun joyeux enchevêtrement, petite, blanche, réaliste orchidée déclarant son authenticité, si vous étreignez le sol bien fort, dans une puissante et domestique bouffée de vanille en plein air. Traduction de « The Smaller Orchid » d’Amy Clampitt Sureepoul Pattumma Published by Via Sapientiae, 2015 33 39 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Évènement Comme les éléments se solidifient ! – Le clair de lune, cette falaise de craie dans sa crevasse où nous nous couchons dos à dos. J’entends le cri d’un hibou depuis son indigo froid. Des voyelles intolérables pénètrent mon cœur. L’enfant dans le berceau blanc soupire en tournant, il ouvre sa bouche, exigeant. Son petit visage est sculpté en bois rouge peiné. Puis il y a les étoiles – indéracinables, fortes. Un seul toucher : cela brûle et rend malade. Je ne peux pas voir tes yeux. Où fleur de pommier gèle la nuit je marche en cercles, une rainure de vieux défauts, profonds et amers. L’amour ne peut s’y installer. Un gouffre noir se révèle. Sur la falaise opposée. Une petite âme blanche ondule, un petit asticot blanc. Mes membres, aussi, m’ont quitté. Qui nous a démembrés ? Le noir est en train de fondre. Nous nous effleurons comme des estropiés. Traduction de « Event » de Sylvia Plath Katie Schlough http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 34 40 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La dernière heure de mon mari Je contemple cette gourmette que tu m’as donnée J’admire cette photo prise à Paris Adossée à un réverbère sur le Pont des Arts La peur et l’angoisse m’envahissent Quand je pense à toutes ces années Avec toi, mon lamentable époux, Qui passe tes nuits au bar le Fourbi Quand tu rentreras ivre, je tâcherai de t’amadouer Tout en implorant que tu t’endormes repu Sur ce vieux baldaquin au sommier fatigué Avec ton haleine d’ivrogne Tu chuchoteras à mon oreille Et t’affaisseras lourdement à mes côtés Peut-être cette substance aphrodisiaque Pourra-t-elle m’aider A endurer la douleur Le mal que tu me fais chaque soir Quand tu caresses la bouteille Quand tu m’embrasses Et me touche sans accord consensuel Ce soir je pense goupiller une recette Et courageusement t’intoxiquer Afin de mettre un terme A ce mariage déplorable Je tâcherais sinon de t’ignorer Pour m’accointer de ton caractère de chien Geniqua Dorsainvil Published by Via Sapientiae, 2015 35 41 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 La gomme Je ne songeais pas à une gomme ; La gomme du rédempteur vint avec moi ; Nous écrivions ensemble Mais je faisais toujours des erreurs. J’étais triste avec mes fautes de grammaire ; Je marchais à la bibliothèque ; Je parlais des corrections Sa perfection semblait dire : « Tu es sure d’être intelligente ? » La gomme offrait de sa sagesse, Un jour ma grammaire serait parfaite ; J’allais ; j’écoutais ma répétitrice, Et la gomme m’aidait toujours. Moi, dix-neuf ans, et l’air déprimé ; Elle, dix ; sa tête brillait. Les fautes faisaient chanter la gomme Et sa perspicacité me secourait. La gomme, placée sur les pages, Levait son corps nacré avec aisance Pour remédier immédiatement à mes erreurs Je ne voyais pas une vie de perfection. Un commentaire effacé, désordre gris, La gomme prenait mes imperfections Et mes fautes pleines de barbarie ; Changeait mes fautes en perfection. Un jour la gomme a arrêté d’effacer, Et d’un air mélancolique, http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 36 42 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Avec sa masse croulante Ma tutrice s’est émiettée. Je ne savais que faire ; Je pleurai dans mon cahier, La revoyant parfois avec nostalgie Et soupirant quelquefois. Je ne vis qu’elle était absente Qu’en laissant mes erreurs sur la page. « Tu es intelligente ! » me dit-elle. Depuis, j’écris sans fautes. D’après « Le relais » de Victor Hugo Madison Bagby Published by Via Sapientiae, 2015 37 43 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 La tentatrice froide Je ne songeais pas à mon temps avec elle. Où j’allai, elle vint avec moi. Nous dansons dans les rues résidentielles, Mais je n’aime pas ces désarrois. J’étais froide en sa présence ; Je marchais pour m’évader. Je parlais aux arbres avec mes sens, Mais leurs branches semblaient dire : « Allez, allez !» La rosée n’offrait pas ses perles comme auparavant, Parce qu’elle était gelée. J’allais, courais ; j’écoutais le vent, Et il criait de liberté. Moi, j’avais l’air d’un animal ; Elle avait seulement l’air d’un dieu. Les rapaces fuyaient de leurs forces royales, Et je me souviens de leurs chants terribles. Elle continuait d’être invincible, En s’appuyant sur la terre. Pour elle prendre son souffle était impossible ; Je ne vis pas même la mer. Mais une seconde de plus passa, et je vis ; La mer était encore là. Et toi, tu gelais simplement la mer dans sa vie ; Tu ne la tuais pas. J’ai toujours regardé le givre, jamais parlé avec lui. Et à ce moment-là, j’essayais de te parler. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 38 44 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 J’oubliais tes forces et tes actions, Et je te voyais plutôt comme un ami. Je ne savais que te dire d’abord, Mais tu me guidais. Nous perdions les lois de la nature, Et soupirions ensemble. Je vis qu’elle était belle, la neige. Qu’en clair, la nature n’avait pas peur d’elle. « Je n’essaye pas de te blesser, » disait-elle. Et finalement, je la compris. Anna Freed Published by Via Sapientiae, 2015 39 45 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Une chanson dans la cour de devant Je suis restée dans la cour de devant toute ma vie Je veux jeter un coup d’œil à l’arrière-cour Là où c’est plus risqué et négligé Là où une mauvaise herbe affamée pousse. Une jeune fille finit par se désintéresser d’une rose. Je veux aller dans l’arrière-cour présentement Et peut-être même un peu plus loin, Là où les enfants défavorisés jouent, Je veux du bon temps aujourd’hui Ils font des choses extraordinaires, S’amusent de façon extraordinaire. Ma mère ricane, mais je dis que c’est bien Qu’ils n’aient pas besoin De rentrer à neuf heures moins le quart. Ma mère, elle me dit, que Johnnie Mae Va grandir et devenir une mauvaise femme Que George sera emmené en prison tôt ou tard (Parce que l’hiver dernier, il a vendu notre porte de derrière) Mais, je dis c’est bien. C’est vrai, je vous le jure. Et je voudrais être une mauvaise femme, moi aussi, Et porter des braves collants en dentelle nuit noire Et défiler fièrement dans les rues Avec de la peinture sur mon visage Traduction de « A Song in the Front of the Yard » de Gwendolyn Brooks Clare Dallman http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 40 46 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La rose de la mer La rose, la rose rigoureuse, flétrie avec ses pétales secs, la fleur insuffisante, maigre, une feuille rare, plus précieuse qu’une rose mouillée seule sur une tige vous êtes prise dans la dérive. Rabougrie, avec une petite feuille, on vous jette sur le sable, on vous ramasse dans le sable croquant entraînée dans le vent. La rose-épice peut-elle révéler de tels parfums âcres pétrifiée en feuille ? Traduction de « Sea Rose » de Hilda Doolittle Morgan Greene Published by Via Sapientiae, 2015 41 47 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Tes nervures vertes J’ai cuisiné des asperges aujourd’hui. J’ai utilisé beaucoup de beurre et beaucoup de sel Et je sais que, ce faisant, j’ai éliminé toutes les raisons de manger un légume Mais aujourd’hui j’ai décidé que je m’en fous Parce que mes habitudes malsaines de légumes Ne seront jamais aussi pathétiques que le toucher de ta main quand il pleuvait Et la lumière de la rue était vacillante. Sur le pont nous regardions la rivière tournoyante L’eau cristalline faisait un sourire Tout en engloutissant le clair de lune de la manière la plus délicate. Chaque soir nous regardions le clair de lune s’oublier, Une fois, j’ai levé ton bras afin de voir tes nervures vertes. Elles semblaient être d’un gris pâle sous la pluie Et je ne pouvais pas parler. Et le matin, la pluie ayant quitté le ciel Et mes lèvres enfin décongelées, Tu as brimbalé mes carillons éoliens scintillants sous le soleil blanc. C’était vraiment amusant, doux, juvénile. Nos yeux avaient la même lueur. Aride, lisse. Pourquoi mes asperges ont-elles un goût amer maintenant? Maintenant, des rideaux souples et des draps roses Étouffent les échos de vos rires Quand tu regardes des vidéos sur youtube à l’autre bout de la pièce. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 42 48 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Je prie pour que mon sourire t’inquiète. Maintenant, je te cuisine du poulet sans goût, Et tu prétends que tu l’as mangé Comme mon enfance, moi, j’étais sous la poigne des yeux de ma mère jouant dans la cour pendant qu’elle plantait des tournesols dans le jardin bleu. Maintenant, je lève ton bras afin de voir tes nervures vertes Mais elles ne sont maintenant ni vertes ni du gris pâle du clair de lune. Elles ont la couleur de l’ecchymose sur ton genou et maintenant, Tu es comme tout le monde. Tu t’es empoisonnée avec la médiocrité et l’apathie, et tu ne t’intéresses pas À mes carillons éoliens qui jouent avec le soleil, les matins de bronze. Maintenant, j’ai des scrupules avec les articles que tu lis en ligne, entre autres choses. Tes lèvres, rouges et fraîches, deviennent blanches avec les histoires épisodiques du chaos de l’autre côté du monde, et à deux pas d’ici. Maintenant, je suis consumé par la nostomanie quand je vois de grands arbres verts Parce que je me souviens de tes nervures vertes comme des branches Et de ton cœur comme des racines. Laura Williams Published by Via Sapientiae, 2015 43 49 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Anxieux Je suis un homme plein de remords, Ma bedaine repue de bière, De venaison, Et de regret. Je suis un bateau perdu en mer. Ma quille éraflée et rêche, S’enfonce, Et crie. Je suis un caméléon, Camouflé dans le segment d’un arbre, Dissimulé, Et patient. Je suis une jupe de velours, Ma frange seule suspendue sur le présentoir, Vieille, Et se balançant. Je suis une femme qui déjeune, seule. Mon poisson goût ordinaire sauce rémoulade, Des frites, Et du lait. Je suis une fillette en colonie de vacances. La boucle de mon scoubidou mal nouée, je soupire de frustration, Déception, Et tristesse. Je suis une étudiante qui se dirige vers la classe, Mes pieds véloces me conduisent vers l’épreuve, Le stress, Et l’anxiété. Anna Freed http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 44 50 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La tache de café Sur ma table il y a une tache. Elle est ronde comme la lune. Elle est brune comme la terre. L’odeur du café toujours dans l'air. Elle me dévisage. C'est comme un mirage. Mais je ne veux pas l’essuyer. Cette tache ronde est mon sanctuaire. Jonelyn Gabriel Published by Via Sapientiae, 2015 45 51 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Bradley dans le métro Épisode 38 « Les solitaires du dernier métro » 6 août 2013 Dans le dernier métro, l’ivresse est de rigueur. Sinon, on n’est pas en symbiose avec les autres. Ceci dit, on devine sur les visages ce que sera la fin de soirée des uns et des autres — et elle ne s’annonce pas du tout de la même façon selon le cas de figure qui se présente. Pour ceux qui chantent et dansent en groupe, on sait que la soirée n’est pas encore finie. Pour les amoureux qui s’enlacent, on sait comment elle finira. Mais les visages qui me touchent le plus, ce sont ceux des solitaires qui, seuls au milieu de ces gens joyeux, ont l’air perdus dans leurs pensées, mélancoliquement conscients que leur soirée n’aura pas la fin qu’ils auraient souhaitée. Tandis que ceux autour d’eux se réjouissent de ce que leur fin de soirée sera, eux ils rêvent, non sans regret, de ce qu’elle aurait pu être… Bradley Smith http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 46 52 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La chaise vide La chaise vide dans ma salle, Me rappelle que la vie trop vite détale. Le matin, il a toujours un sourire. Dans le couloir, avec ses amis, ils conspirent, Avoir du succès dans la vie, la musique, l’amour. « Ils sont contents » croyais-je toujours. Soudainement tout a changé, Il est parti sans expliquer, Son importance il n’avait pas vue, Sa vie devant lui, son pouvoir inconnu. Est-ce que tout était si sérieux, Que tu as cru devoir rejeter nos vœux ? On ne comprendra jamais ta peine, ton labeur, Nous pensons à toi cher ami, Arraché à la vie bien avant l’heure. Lise Gilly Published by Via Sapientiae, 2015 47 53 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Donnons sa chance à la paix Deux, un, deux, trois quatre Tout le monde parle de Bagisme, shagisme, madisme, ragisme, tagisme Cet isme-ci, cet isme-là, isme, isme, isme Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Allons-y Tout le monde parle de ministres, Sinistres, et rampes, et bombes Et évêques, et févêques, et rabbins et bambins, Et tin, tin, tins Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Je vous dis maintenant Tout le monde parle de Révolution, évolution, masturbation, Flagellation, régulation, intégration, Méditation, toutes les nations, Félicitations Tout le monde parle de John et Yoko, Timmy Leary, Rosemary, Tommy Smothers, Bobby Dylan, Tommy Cooper, Derek Taylor, Norman Mailer, Alan Ginsberg, Hare Krishna, Hare, Hare Krishna Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Ce qu’on veut dire c’est donnons sa chance à la paix Traduction de « Give Peace A Chance » de John Lennon en hommage aux morts de l’attentat contre Charlie Hebdo Kellye McKay Guzik http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 48 54 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Créer une histoire Racontez des balivernes Admirer la qualité du papier Yeux, deux pour voir le graphite glisser sur la feuille On l’utilise pour les examens Nous le perdons constamment Lydia Fitting Published by Via Sapientiae, 2015 49 55 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Les conseils de ma mère Un jour, je déjeunais de thé, yaourt et compote. Quand soudain le vent s’enroula à l’espagnolette j’aurais juré avoir entendu la voix de ma mère, mais elle n’était pas là. C’était un revenant. Cette voix incompréhensible Me disait que ma vie était pleine d’esbroufe -que les personnes ne voulaient qu’être opulentes. -que la quintessence de la vie était d’être heureux. Et ce fut tout. Le rouge-gorge chanta sur le moucharabieh. La photo de ma mère resta sur l’étagère cachant la fissure du mur. Et je retournai à mon thé, devenu froid. Megan Heck http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 50 56 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Le buffet au ciel. Une fois par an, Mon perroquet Laurent, M’emmène au ciel, Pour un buffet exceptionnel. Ils servent comme entrée, De la soupe aux araignées, Des morceaux de pain d’épices, Puis de la salade de maïs. Le plat principal D’une importance capitale Se compose de poulet dans de la sauce homard, Et de plus d’une vingtaine de sortes de caviar. Et aussi du rôti de ouistiti, Avec de délicieux spaghettis. De la corne de narval, Et des saucisses médiévales. Et finalement, Le plus grand moment, C’est le dessert, Bien servi avec des cuillères ! Le gâteau magnifique, Décoré avec une sorte de mosaïque A le goût de l’ananas Qui laisse la table enchantée du repas. Mais pendant que je mangeais, J’ai un peu oublié, Que mon pauvre perroquet, Ne pourrait plus sur terre me ramener. Morro Ellory Published by Via Sapientiae, 2015 51 57 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Le repos éternel Cet homme est just’ un homme ordinaire. Il dort sur une colline, là où les arbres Laissent passer la lumière. Cet homme dort, sous la clarté du soleil. Les yeux fermés, le visage pâle, Il se repose seul, sous le chant des oiseaux. Il a un casque dans la main, Et un drapeau américain sur son uniforme. Son arme est parallèle à son bras. Il est là, entouré par les arbres, Sous le rayon de lumière, Seul, il se repose. Il saigne du ventre Et de la tête aussi. Nathan Darras http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 52 58 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Vas-y, j'écoute Tandis que tu me parles Je paie mes factures Eh bien, cela me tue Mais j'écoute Crois-moi, j'écoute Vas-y, j'écoute Tandis que ta voix résonne Je compte les lames de parquet Vingt-sept d'ici Mais j'écoute Crois-moi, j'écoute Vas-y, j'écoute Tandis que tu exprimes ton avis Je lis la carte des vins J’essaierai un nouveau blanc Mais j'écoute Crois-moi, j'écoute Vas-y, j'écoute Tandis que tu me parles J'ai beaucoup à dire Peut-être un de ces jours M'écouteras-tu Crois-moi, j'en doute Vas-y, j'écoute Caroline Lucius Published by Via Sapientiae, 2015 53 59 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un bouquet de roses jaunes Cela fait deux ans que tu es parti. Et je suis ici, seul. Je m’assois à cet endroit comme un casanier solitaire dans la perplexité. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. Parfois, je suis troublé et cependant je reste déplorable. Je tente de mugir pour fracasser le silence, pour fracasser le son assourdissant du néant. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. Ma tête s’embrouille. Les mots ne font plus aucun sens. Bidule ou truc, rien n’est raisonnable. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. J’ai l’impression d’être une bécane sans moteur ou un chanteur sans voix. L’aspect de ma vie qui était si clair n’est désormais qu’une brume nébuleuse. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. Je balbutie, je bégaie. Je m’assois et réfléchis. Je me demande si un jour je me sentirai flambant neuf. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 54 60 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Je ne peux pas croire que tu sois parti aussi vite, tel un fulgurant couche-tôt. Je m’approche de toi avec des fleurs épineuses en souhaitant avoir une nouvelle chance. Mais ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. Me voilà devant toi. Mais je ne vois que ton nom et une épitaphe. Devant ton emballage éternel. Je sais que rien ne changera ici Alors, ce bouquet de roses jaunes, je te l’offrirai toujours. Claude Shy Published by Via Sapientiae, 2015 55 61 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Gravité Quand j'étais encore indien Je compte les étoiles dans les yeux de ma mère. Cinq, quatre, trois. Son mari est tassé dans le coin, Des chaînes raclent au fond de sa gorge. Elle gémit et se relève enfin du sol. Un os explose dans son cou. Elle commence à tournoyer. Deux, un. L'obscurité m'entraîne. Une autre cendre incandescente Tombe du ciel. Traduction de « Gravity » de Mark Turcotte (avec la permission de l’auteur) Publication originale dans Le Chant de la Route, La Vague Verte éditions, France, 2001 Dominique Falkner http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 56 62 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Invictus Hors de la nuit qui me recouvre Noir comme le Puit de pôle en pôle Je remercie les dieux quel qu’ils soient Pour mon âme invincible Dans les mains cruelles des circonstances Je n’ai eu ni grimace ni cri Sous les matraques du hasard Ma tête est saignante mais invaincue Au-delà de ce lieu de rage et de larmes Surgit seule l’horreur de l’ombre Et pourtant la menace des ans Trouve et me trouvera sans peur Peu importe la porte Peu importe les punitions sur le parchemin Je suis maître de mon sort Je suis capitaine de mon âme Traduction de « Invictus » de William Ernest Henley Marie Christophell Published by Via Sapientiae, 2015 57 63 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Bradley dans le métro Épisode 25 « Ces sourires qui n’ont pas de prix » 20 mai 2013 On dit que les Parisiens sont blasés dans le métro, mais moi, je ne suis pas d’accord. Les meilleurs quémandeurs ont très bien compris comment éveiller ces esprits apparemment endormis. Le mendiant inexpérimenté ne rencontre que des visages impassibles parce qu’il sous-estime le nombre de fois où nous sommes sollicités dans la journée. Impuissants à faire l’aumône à tous, nous nous transformons en pierre, non pas par indifférence, ni faute d’humanité, mais par honte de ne pas pouvoir secourir à tout moment son prochain. Le mendiant averti, en revanche, sait apporter de la douceur à ce monde si dur. Il demande, certes, une petite pièce ou un ticket restaurant ; mais il précise surtout que, s’il nous est impossible de lui offrir une aide pécuniaire, un petit sourire ferait aussi l’affaire. Pour nous, ça ne coûte rien ; mais pour lui, ça n’a pas de prix. Et s’il est vraiment très fort, comme certains que j’ai pu croiser, il sait susciter l’affection de la voiture entière de par le caractère même de sa quête. En demandant aux jeunes femmes charmantes « un petit numéro de téléphone » au lieu d’« une petite pièce », il n’obtient peut-être ni l’un ni l’autre, mais il aura au moins gravé dans sa mémoire un stock de beaux sourires inoubliables ! En essayant de vendre un journal qui n’intéresse personne en échange de « soit deux euros, soit un ticket restaurant, soit une cigarette, soit une barre chocolatée, soit un cours de skate », il ne vend peut-être pas plus de journaux, mais il allume tous les visages autour de lui ! Et en demandant http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 58 64 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 individuellement à chaque voyageur : « Pourriez-vous me donner cinq centimes, cinquante centimes, cinq euros, cinquante euros ou cinq cents euros ? », il n’a peut-être pas, à la fin de la journée, beaucoup de billets gris, oranges et violets dans sa poche ; mais en terme de sourires, il se sent certainement plus riche — et grâce à ces drôles de personnages qui apportent de l’éclat à notre trajet, j’en suis sûr, nous aussi. Bradley Smith Published by Via Sapientiae, 2015 59 65 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Moi la maladroite Moi je suis très maladroite. Je fais tout tomber, tout casser. Je roule dans les escaliers, Je fais des croche-pieds aux chaises. Tous les stylos glissent de ma main… Changerai-je un jour ? Alyssa Crépieux http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 60 66 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Je te donne un mouton avec un pantalon Je te donne une ruche avec des autruches Je te donne un chaton dans un chausson Je te donne un ours qui fait une course Je te donne une mouche qui louche Je te donne un pull qui fait des bulles Je te donne un lit avec un ouistiti Et pour la fin Je te donne un lapin dans un sapin! Gabriel Kuentzmann Published by Via Sapientiae, 2015 61 67 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un conte surréaliste Je ne rêve jamais. Depuis la mort de ma mère il y a dix ans, je ne peux plus. C’est assez étrange. J’ai vu des médecins, des psychologues, toutes sortes de gens, mais ils m’ont tous dit qu’il est impossible de ne pas rêver, que tout va bien et que c’est juste que j’oublie mes rêves avant de me réveiller. Je sais que ceci n’est pas possible. Quand j’étais petit, je rêvais chaque nuit, de choses fascinantes, parfois effrayantes. Ma mère m’encourageait à rêver parce que pour elle, les rêves étaient plus intéressants que la vie. Certains diraient volontiers que ma mère était folle, mais mon père, lui, l’a adorée ; il était envoûté par sa beauté. Papa était psychanalyste, et Maman était l’une de ses patientes. Ils se sont mariés, mais elle ne fut jamais contente d’être femme au foyer ; elle avait toujours envie d’échapper à son existence quotidienne. Finalement elle a trouvé sa propre façon de s’échapper, mais ce faisant, elle m’a laissé seul. Elle a tué mon père, et puis elle a disparu. Je savais qu’elle était morte le jour où mes rêves se sont arrêtés. J’ai oublié la majorité des rêves de mon enfance, mais il y a une image qui reste avec moi après toutes ces années. Je l’ai appelé l’homme blanc, et il m’a hanté pendant toute ma jeunesse. C’était un homme, habillé en vêtements du 19ième siècle, à la peau très blanche. Il avait des cheveux plutôt longs et gras, mais la chose qui me donnait surtout des frissons était ses yeux. Ils étaient toujours fermés. Il avait les yeux fermés et pourtant, il savait toujours où me trouver. Dans mes rêves, cet homme me suivait, mais je ne savais pas pourquoi. C’était impossible de m’évader, d’échapper à son regard. Il me voyait ; pas juste mon extérieur, mais tout ce qui était en moi. J’ai toujours le sang figé quand je pense à ce personnage. Même http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 62 68 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 après m’être réveillé d’un de ces rêves, j’avais toujours très peur, il était si réel. Mon père, ayant trouvé cela intéressant, a essayé d’analyser ces rêves. Il a pensé que si je comprenais la raison pour mes cauchemars, ils cesseraient. « On dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme, » m’a-t-il dit ; en regardant quelqu’un dans les yeux, on peut les connaître. Cet homme aux yeux fermés était donc un symbole de ma peur de l’inconnu. Un peu faible pour un psychanalyste, mais bon. Moi, je pensais autrement. Si les yeux sont les fenêtres de l’âme, cet homme n’avait pas d’âme. Ce n’était peut-être pas un homme…. J’avais l’impression que c’était un fantôme, pas l’illusion d’un fantôme, mais un vrai être qui me hantait en rêve. C’était peut-être la trace de quelqu’un qui avait à peine existé dans sa vie réelle. Mais qu’est-ce que la vie réelle ? Ces derniers temps, j’ai l’impression que je ne le sais plus. Je mène une vie normale depuis la mort de mes parents : ma tante m’a élevé en homme raisonnable, et c’est exactement ce que je suis devenu. Je travaille tous les jours dans une entreprise respectable, j’ai un appartement, une voiture, et une très jolie fiancée. Je n’ai plus de cauchemars ridicules ; je suis totalement sain d’esprit. Du moins, je l’étais. Récemment, je me sens différent. J’ai tout ce qu’il me faut dans la vie, mais je ne sais plus si ça me suffit. Peut-être est-ce même excessif. Tout ce que je sais c’est que dernièrement, quelque chose a changé en moi. Je me sens vide, et je n’ai aucune idée pourquoi. J’ai envie parfois de me débarrasser de toutes mes possessions, mon boulot, ma fiancée, mais je sais que c’est dingue ! J’ai tout ce qu’il me faut dans la vie. Ce n’est pas logique de la quitter. J’ai raconté tout cela à mon patron, et il m’a dit que c’est juste une dépression temporaire, que je Published by Via Sapientiae, 2015 63 69 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 travaille trop et je suis fatigué. On travaille dans une entreprise pharmaceutique, donc je sais qu’il connaît les symptômes de la dépression, mais moi aussi je les connais, et je vous jure que je ne suis pas déprimé. Je crains que le problème ne soit encore pire que cela : la folie. Après la discussion sur ma « dépression », ce jour-là, mon patron m’a conseillé de partir tôt, pour me détendre un peu. J’ai quitté le bureau, mais je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas rentrer chez moi : ma fiancée était là, et je n’avais pas envie de la voir. J’ai décidé de faire une promenade, de flâner un peu avant de rentrer. En passant devant un magasin qui vendait des télévisions, j’ai vu un truc bizarre aux informations. Une femme est descendue dans la rue, revolver au poing, et a tiré au hasard, tant qu’elle pouvait dans la foule. C’était une histoire inquiétante, mais en même temps ce n’était pas surprenant pour moi. Le visage de cette femme m’était aussi très familier, mais je n’arrivais pas à le situer. Cette histoire m’a tant intrigué que bientôt je me suis complètement perdu. Soudain, c’était comme si j’étais dans un autre monde. Rien n’était familier, les rues étaient si sombres, si vides. J’ai cherché quelqu’un à qui demander mon chemin, mais il n’y avait personne. Finalement j’ai vu un homme en train de chercher quelque chose dans une poubelle. Je lui ai tapé sur l’épaule, et quand il s’est retourné, ce n’était pas le visage que j’attendais. J’ai vu le visage pâle et vide de l’homme blanc de mes rêves. Je suis resté paralysé sous son regard aux yeux fermés pendant au moins une minute. Je ne savais pas si je n’avais pas rêvé depuis dix ans, ou si je n’arrêtais pas de rêver depuis dix ans. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 64 70 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Et puis, quelque chose d’encore plus bizarre s’est produit : l’homme a ouvert ses yeux. Ils étaient tout blancs ; il n’avait pas d’iris, ni de pupilles. « Qui êtes-vous ? » m’a-t-il demandé. « Je ne sais plus » fut ma réponse. Il referma ses yeux étincelants en me disant : « Il serait temps que vous décidiez. » Genevieve Pocius Published by Via Sapientiae, 2015 65 71 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 L’or ne dure pas toujours Nature se change en or Cette teinte, son vrai trésor Sa feuille précoce est une fleur ; Mais seulement pour une heure Ensuite feuille tombe sur feuille L’Eden sombre dans le deuil, L’aube devient le jour L’or ne dure pas toujours Traduction de « Nothing Gold Can Stay » de Robert Frost Christina Campbell http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 66 72 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 En hommage à Ésope Le renard et la chèvre Un jour un renard tomba dans un puits profond et ne put trouver aucun moyen de s’échapper. Une chèvre, tourmentée par la soif, vint au même puits, et voyant le renard, lui demanda si l'eau était bonne. Dissimulant son triste sort sous une apparence joyeuse, le renard se livra à un éloge prodigue de l'eau, en disant qu’elle était excellente au-delà de toute mesure. Le renard encouragea la chèvre à descendre. La chèvre, consciente de sa soif, inconsidérément descendit, mais alors qu’elle buvait, le renard l'informa de la difficulté dans laquelle ils se trouvaient et lui suggéra un plan pour leur évasion. «Si,» dit-il, «vous placez vos pattes avant sur le mur et recourbez votre tête, je pourrai grimper sur votre dos et m’échapper, en échange de quoi je vous aiderai à sortir.» La chèvre donna facilement son accord et le renard, sans plus d’ambages, sauta sur son dos. S’étant stabilisé avec les cornes de la chèvre, il atteint en toute sécurité la bouche du puits et s’enfuit aussi vite qu'il le put. Lorsque la chèvre le réprimanda d’avoir manqué à sa promesse, il se retourna et il cria: «Eh, là ! vieille folle! Si vous aviez autant de matière grise dans votre tête que vous avez de poils dans votre barbe, vous ne seriez jamais descendue avant d’avoir inspecté le chemin, et vous ne vous seriez jamais exposée à des dangers irréversibles.» La prochaine fois, regardez donc, avant de sauter. Martin Reader Published by Via Sapientiae, 2015 67 73 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Du péché à L`Éternel Tant attristée par ce sentiment J'avais échoué, je goûtais au châtiment La honte, à travers leurs regards Catégorisée de ratée, complètement à l'écart Abattue, voici quand est venu l'espoir. À genoux, j'ai tout confessé Des ténèbres, Sa lumière m'a ravivée Oui, je n'oublierai jamais ce jour Mon péché exposé, plus aucun détour J'ai lâché prise, son Fils m'a rattrapée. Rolande Sonya Mbatchou http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 68 74 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Distinct et salé, Comme le fromage persillé, Un goût piquant chatouille ma langue. Respirer est difficile. L'air est épais, chaud, et sec —même étouffant. À l'horizon, Une jeune enfant gambade. Elle tient dans les mains une loutre en peluche. Des petits pouffements de rire dans la rue. Elle s’approche de moi. Je reste en place. Mes jambes sont rigides —même crispées. Nos regards se croisent. Sa petite main délicate Effleure ma cuisse. Et à ce moment éphémère Je suis captivée —même muette. Mon cœur se gonfla Rempli d’une sensation inconnue. Je regardai en arrière, Mais la petite fille avait disparu. Le moment évanoui —même perdu. Veronica Lalov Published by Via Sapientiae, 2015 69 75 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 24/9/14 13:16 Cimetière du Père-Lachaise Ma chemise rouge a quelque chose d'agressif qui tranche avec le paysage urbain de Paris. Les nuages descendent sur la ville. Ils pénètrent toutes les ruelles, tous les pavés, toutes les fissures dans le trottoir. Gris. La couleur de la ville. Les Français ont un penchant bizarre pour le contrôle de la nature. Tous les buissons sont soigneusement taillés afin de rappeler à l'observateur occasionnel qu'on s'en occupe. Ici, ce n'est pas le cas. L'herbe pousse frénétiquement entre les pierres tombales sans être arrêtées par des mains humaines. Quel mal arrivera-t-il aux morts si un sécateur voltige près de leur lieu de repos? C'est vraiment là qu’ils reposent? « Je suis allé au Père-Lachaise aujourd'hui. » « Ah bon? A qui as-tu rendu visite? » La dernière fois que je suis venu ici, les frissons se sont propagés le long de ma colonne vertébrale quand j'ai lancé une cigarette à moitié fumée et encore allumée vers la pierre tombale de Jim Morrison. Les récits de sa mort racontent qu'il prononçait le prénom de son amante alors qu'il était en train de mourir, finalement seul, dans le bain de son appartement parisien. Je me demande si on dit ça pour avoir une vision romantique des derniers moments d'un homme qui était finalement tellement perturbé qu'il ne pouvait plus supporter le monde. Les buissons sont soigneusement taillés afin de rappeler à l'observateur occasionnel qu'on s'en occupe. http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 70 76 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Est-ce que nous vivons la vie, ou est-ce la vie qui nous vit? On n'est pas responsable de notre existence primitive, mais peut-être que l'on est responsable de l'ultime fin de cette existence. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à New York récemment pour attirer l'attention sur le changement climatique; un événement qui s'est passé dans ce qui équivaut à moins de temps qu'il n’en faut à l'univers pour clignoter. L'industrialisation. La production. À quel prix? Les buissons sont soigneusement taillés afin de rappeler à l'observateur occasionnel qu'on s'en occupe. Je suis sûr que les dizaines de milliers de manifestants à New York ont jeté des déchets dans les rues. Je me demande si la même parole aurait été aussi efficace si elle avait été de quelqu'un d'autre que Leonardo DiCaprio. Probablement pas. Le charbon brûle. Les graffitis poussent comme des plantes grimpantes sur les murs de Paris. Les buissons sont soigneusement taillés afin de rappeler à l'observateur occasionnel qu'on s'en occupe. Matthew Scherer Published by Via Sapientiae, 2015 71 77 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Sur le pont Je suis sur le pont où l’air est tout doux. En-dessous vivent les nénuphars. Quand je me penche depuis le pont, je vois mon reflet dans l’eau. Quand je marche sur le pont, le pont sait que je pars … Alors je pars en lui disant au revoir. Aleksia Le Tien http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 72 78 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Vous l’avez vue ? Vous l’avez vue ? Non, pas du tout. On ne l’a pas trouvée Personne ne l’a trouvée. Je ne me rappelle plus Où donc cette lettre A pu passer. Nicolas Attlan Published by Via Sapientiae, 2015 73 79 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 La fontaine romaine La rafale s’élève et retombant remplit Le bassin de marbre qui se voile avant de déborder Dans la coupe d’un second bassin; Trop plein le second fait onduler Son déluge dans le troisième Et chacun donne et reprend en même temps Et s’écoule et se repose. Traduction de « Der Römische Brunnen » de Conrad Ferdinand Khafiz Kerimov http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 74 80 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La tête laide Le petit maltais marchait dans la rue sombre. Brachycéphale, son crâne étroit et ovoïde. Sa tête autrefois parfaite, enfiévrée par la beauté, Ne l’était plus. Il souffrait seul l’agonie. Pedro Antonino Published by Via Sapientiae, 2015 75 81 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Eh, alors, j’suis pas femme, moi ? Eh bien, les enfants, là où il y a autant de bruit il doit y quelque chose de déséquilibré. Je pense qu’entre les noirs du Sud et les femmes au Nord, toutes réclamant leurs droits, les hommes blancs vont très bientôt être dans le pétrin. Mais de quoi parle-t-on ? Cet homme là-bas dit qu’il faut aider les femmes à monter en voiture, et les transporter au-dessus des fossés, et leur donner la meilleure place partout. Personne ne m’aide jamais, moi, à monter en voiture, et personne ne me transporte par-dessus les flaques de boue, ni ne me donne la meilleure place ! Eh alors, j’suis pas femme, moi ? Regardez-moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré et planté et engrangé, et aucun homme ne pouvait faire mieux que moi. Eh alors, j’suis pas femme, moi ? Je pouvais travailler et manger autant qu’un homme – quand on voulait bien me donner du travail – et supporter le coup de fouet aussi ! J’suis pas une femme, moi ? J’ai donné naissance à treize enfants et j’ai vu la plupart d'entre eux vendus en esclavage, et quand j’ai crié avec ma douleur de mère, seule Jésus m’a entendu. Alors, quoi, j’suis pas une femme, moi ? Et puis, ils parlent aussi de cette chose dans la tête ; qu’est-ce ils l’appellent ? [un membre du public chuchote « intellect »] Oui, c'est ça, chéri. Qu’est-ce que ça à voir avec les droits des femmes ou les droits des noirs ? Si mon récipient ne contient qu’un demilitre et le vôtre un litre, ne seriez-vous pas méchant de ne pas me laisser avoir mon petit demi-litre plein ? Et puis ce petit homme en noir là-bas, il dit que les femmes ne peuvent avoir autant de droits que les http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 76 82 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 hommes, parce que le Christ n’était pas une femme ! D’où est-ce qu’il vient votre Christ ? D’où est-ce qu’il vient votre Christ ? De Dieu et d’une femme ! L’homme n’a rien eu à voir avec Lui. Si la première femme que Dieu a jamais faite était toute seule assez forte pour faire marcher le monde sur sa tête, ces femmes ensemble doivent pouvoir le remettre sur pied avec la tête en haut ! Et maintenant qu’elles demandent à le faire, les hommes feraient mieux de les laisser. Je vous sais bien gré de m’avoir entendue, et maintenant, la vieille Sojourner, n’a plus rien à dire. Traduction de « Ain’t I A Woman ? » de Sojourner Truth Amelia Hruby Published by Via Sapientiae, 2015 77 83 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 A propos d’ambigüité – Marchands de sagesse ! Marchands de connaissance! Guides ! Chefs ! Anciens ! Professeurs ! Je vous hais, directeurs ! Car, dans vos expériences, aventures, entreprises, Vous niez les autres, comme moi, qui sont absolument perdus ! Car vos contes, vos dialogues, vos critiques, me rendent pensive ! Car, avec vos commentaires, je considère que je ne me connais pas même! Car vous êtes libres, et vous êtes contents de l’ambigüité! Car vous êtes en train d’enseigner ! Vous parlez de pratiquer les meilleures façons de vivre ! Rien qu’à songer au temps où j’étais contente avec ma perspective limitée du monde, Où je pensais savoir tout ce dont j’avais besoin ! Que de bêtises ! De joie ! De rien ! Que d’explorations dénuées de sens ! Et dans ces mystères, je profite de l’assouvissement. Je regardais le monde avec une perception obscure Et je balbutiais : « Mes profs … pourquoi chercher plus? » Je pensais être contente Or simplement, j’avais trouvé un sens à ma vie Qui aurait pu me donner la satisfaction de vivre Un rendez-vous avec ma conscience. Grands Dieux ! C’est trop facile de chercher le blâme chez les autres, même quand cela n’existe pas Plutôt qu’identifier ce qui devrait être amélioré Chez soi-même. D’après « A propos d’Horace » de Victor Hugo Janna Lyhus http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 78 84 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Les brutes Il dit non avec la voix Mais il dit oui avec le corps Il dit oui à ce qu’il croit Il dit non à ses « amis » Il est fort, mais On l’intimide Et tous ses « amis » sont des brutes Soudain il se met à pleurer Et les brutes se mettent à rire Les blagues et les coups bas Les défis et les menaces Les sobriquets et les railleries Et malgré leur amitié Les brutes anéantissent leur pair Avec un chagrin amer, alors Sur les bancs près du lycée Il tourne le dos à ses anciens amis D’après « Le cancre » de Jacques Prévert Kristin Monroe Published by Via Sapientiae, 2015 79 85 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Tombez, les feuilles, tombez Tombez, les feuilles, tombez; Mourez, les fleurs, partez au loin; Prolongez la nuit et raccourcissez le jour. Chaque feuille me parle de bonheur Flottant depuis l’arbre d’automne. Je sourirai quand des couronnes de neige Fleuriront là où la rose devrait pousser; Je chanterai quand le pourrissement de la nuit Acheminera un jour plus morne. Traduction de « Fall, Leaves, Fall » d’Emily Brontë Laura Williams http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 80 86 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Qui suis-je ? Ma tête se heurte contre les étoiles. Mes pieds sont aux sommets. Les bouts de mes doigts sont dans les vallées Et sur les côtes de la vie universelle. Au fond de l’écume qui répand des sons primitifs, J’attrape et je joue avec les galets de la destinée. J’ai parcouru l’enfer et j’en suis retourné plusieurs fois. Je sais tout du paradis, car j’ai parlé avec Dieu. Je m’essaie au sang et aux boyaux du terrible. Je connais l’attaque passionnée de la beauté Et la merveilleuse rébellion de l’homme Contre les panneaux d’interdiction : « Ne vous approchez pas. » Je m’appelle Vérité et je suis La plus furtive prisonnière de l’univers. Traduction de « Who Am I? » de Carl Sandburg Lily Kelly Published by Via Sapientiae, 2015 81 87 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Il y a un esprit qui habite dans les vents frais. L’air qu’il apporte est frisquet et parfois glacé ; Sa présence vous rappelle que vous pouvez respirer. Il ne crie pas, il chuchote. Et il se déplace par caprice, à travers l’obscurité, Partout où il y a de l’espace ; Au-dessus des étendues de vide, Il tourbillonne à travers les courbes des canyons ; Dans les forêts sombres, il dérive avec la brume. Il trouve son chemin à travers les petites fissures, Dans les maisons délabrées Où les panneaux de bois grincent à cause du vent, Où les habitants tremblent soudainement, Et violemment le maudissent. Parce qu’il est toujours trop perçant. Alors, les personnes plongent dans le sommeil Pour oublier le froid qu’ils aspirent. Mais cette sylphide n’entre pas dans les maisons fortifiées, Avec leurs fenêtres étanches et leur chaleur artificielle, Où les murs sont solides et n’émettent pas de grincements. Où tout est puissant et abondant – mais mensonger. Où ceux qui ont peur se cachent. Et en oublient combien il est bon de respirer. Mais il y en a d’autres, qui ne le repoussent pas. Ils le suivent comme s’il les appelait. Ils errent dans les rues, routes et chemins après lui. Sans lumière et sans boussole – Ignorant que cela est dangereux – Ils se perdent dans le vent de la nuit. Mais ces individus n’ont besoin ni d’ailes ni de plumes. Parce qu’ils savent bien Que l’âme peut dériver Si on lui en donne l’opportunité. Alicja Kubas http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 82 88 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Le bord La femme est perfectionnée. Mort Son corps affiche le sourire de l’accomplissement, L’illusion d’une nécessité grecque Coule dans les replis de sa toge, Nus Ses pieds semblent dire : Nous sommes arrivés si loin, c’est fini. Chaque enfant mort recroquevillé, un serpent blanc, Un à chaque petit Pichet de lait, maintenant vide. Elle les a repliés À nouveau dans son corps comme les pétales D’une rose se refermant quand le jardin Devient rigide et que les odeurs déteignent Des gorges profondes et douces de la fleur nocturne. La lune n’a pas de quoi être triste, Écarquillant les yeux depuis sa capuche d’os. Elle a l’habitude de ce genre de choses. Son obscurité crépite et entraîne. Traduction de « Edge » de Sylvia Plath Shelby Smith Published by Via Sapientiae, 2015 83 89 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 “Charlie” La République est remplie Devant moi marche Charlie Il a un drôle de nom, mon guide C’est Charlie La place est multicolore Les gens sont là, tous unis Et je suis par ce froid aurore Notre Charlie On parle en phrases affligées Du massacre de janvier Là dorénavant Après ces manifestations On trouvera une solution À ce bouleversement La place est peuplée Prendre son bras peut soulager Il a un stylo à la main, mon guide Oh Charlie, oh Charlie... Dans la salle de l'université Une bande d'étudiants L’attendent impatiemment On discute, on veut le questionner Nous voulons tout savoir Charlie peut déchiffrer Faubourgs et ruelles de Paris Et les Champs-Élysées Peut-on tout mélanger Y vivre en paix ? Sinon ça va déboucher http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 84 90 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 En criant à l'avance Sur la terreur en France Et on va pleurer Et quand la salle sera vide Tous les amis seront partis Je resterai seul avec mon guide Charlie Plus question de s’ignorer De ne pas s’entraider Ou bien cinglé on deviendra Finie la guerre contre les journaux On ne veut plus de ces tombeaux Plus jamais ça Je sais qu'un jour ici C'est la fraternité qui Elle nous servira de guide Charlie, Charlie D’après «Nathalie» de Pierre Delanoë Jessica Martino Published by Via Sapientiae, 2015 85 91 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 L’araignée patiente, sans bruit Une araignée patiente, sans bruit, j’ai remarqué, là, sur un petit promontoire, elle se tenait, isolée ; remarqué, là, comment elle explorait le vague et vaste espace. Elle lançait ses filaments vers l’avant, filament, filament, hors d’elle-même ; À jamais les déroulant – À jamais les projetant sans relâche. Et toi, ô mon Âme, où tu te tiens, Entourée, entourée, d’incommensurables océans d’espace. Inlassablement songeant, t’aventurant, lançant – recherchant les sphères, afin de les relier les unes aux autres ; Jusqu’à ce que le pont de tes besoins soit créeJusqu’à ce que cette ancre malléable soit fixée. Jusqu’à ce que le fil de soie que tu projettes s’accroche quelque part, ô mon Âme. Traduction de « A Noiseless Patient Spider » de Walt Whitman Jonathan Griffiths http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 86 92 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Ne vous tenez pas sur ma tombe en pleurant Ne vous tenez pas sur ma tombe en pleurant Je ne suis pas là ; je ne dors pas. Je suis mille vents qui soufflent, Je suis les reflets diamantés sur la neige, Je suis le soleil sur les grains mûrs, Je suis la douce pluie d’automne. Quand vous vous éveillez dans le silence du matin Je suis la montée rapide et réjouissante Des oiseaux en vol circulaire. Je suis les douces étoiles qui brillent la nuit. Ne vous tenez pas sur ma tombe en pleurant, Je ne suis pas là ; je ne suis pas mort. Traduction de « No Do Not Stand At My Grave And Weep » de Mary Elizabeth Frye Anna Kalandyk Published by Via Sapientiae, 2015 87 93 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Tabula rasa Le café où je suis assise Où je suis créatrice j’imagine les célestes fantassins mais mon papier est vide, un roman vide. Je grommèle dans ma barbe mes pensées extensibles, pas maroufles pour un sou. Je gribouille des mots sans rime ni raison abjects, erronés, frivoles, toutes les combinaisons. Je vais aller vivre dans une cahute, me dis-je sans mots, ni histoires, ni poèmes. Rien de ce que j’écris n’a de sens alors, un nouveau café crème. Je grimpe sur l’escabeau et jette au loin mes soucis précaires. Il n’y a vraiment rien de nouveau et je respire le soupir de l’air. Je commence sur les bords chaque partie du corps je gribouille des mots sans rime ni raison fluides, étonnants, précis, toutes les combinaisons. Le café où je suis assise Où je suis créatrice j’imagine la nouvelle identité du papier-mâché mon papier vide et abandonné. Morgan Greene http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 88 94 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Ce qu'il avait appris Elle avait pris l'habitude tous les soirs De visiter le salon et de regarder dans le miroir ; Je l'attendais ainsi qu'un lever de soleil ; Elle entrait, et disait : j'ai besoin de tes conseils; Tapotait sur le verre et se parlait à elle-même Ne voulant pas révéler son dilemme. Puis soudain, elle se mettait à pleurer Alors, je courais à elle et la réconfortais. Le miroir me donnait un sentiment étrange, Parmi les meubles, le bazar, le mélange. Les surfaces poussiéreuses, l'éclairage sombre, Qui rendaient la salle triste, et soulignaient les ombres. Où, je ne sais comment, je voyais un visage. Elle aimait l'homme dans cette image. Et c'était un fantôme, car il était mort Il s'était noyé près d'un port. Elle songeait à lui à tout moment. Oh ! Que d'après-midi passés dans ce salon déprimant autrefois nouveau et animé. Quand nous étions libres et bien aimés. Tout près, nos amis et nous passions le temps à chanter de douces mélodies en dansant. Et dire que ce miroir a saisi tous ces souvenirs nous étions inconscients alors qu'il connaissait l'avenir; Ce miroir au milieu de nos vies Si j'avais, en regardant, demandé ce qu'il avait appris. D’après « Elle avait pris ce pli » de Victor Hugo Caroline Lucius Published by Via Sapientiae, 2015 89 95 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Les trottoirs Sont devenus une partie de moi. Ils sont les balises des villes où j’ai vécu, et où je vis: À Manhattan, les trottoirs brillent avec l’obstination de l’histoire, ils me nourrissent des bruits de pas de mes ancêtres, et me guident par la ville qu’ils ont construite d’après leurs souvenirs. Ici, à Chicago, ce sont mes pieds qui me portent, mais ce sont les trottoirs qui me conduisent, ces sentiers de ciments dispersés comme les os de mon corps, sans qui, je ne saurais être. Alyssa Marcy http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 90 96 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Attends-moi Attends-moi et je reviendrai. Je te le demande: attends-moi très fort, Attends que les pluies jaunes Induisent la tristesse, Attends que les neiges soient balayées, Attends que la chaleur vainque, Attends que les autres n’attendent plus Ayant oublié le passé. Attends que le courrier ne vienne plus, Attends que ceux qui attendent avec toi, Perdent l'espoir. Attends-moi et je reviendrai. En dépit de toutes les morts. Et ceux qui ne m'ont pas attendu Vont penser: "Il a eu de la chance." Ils ne comprendront jamais, comment En plein milieu du feu, C'est pas la chance qui m'a sauvé. Nous le saurons; Seuls toi et moi, Comment j’ai survécu, C'est parce que tu as su attendre, Comme personne. Traduction de « Жди меня » Constantin Simonov Ayuna Batoeva Published by Via Sapientiae, 2015 91 97 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 La chaîne naturelle, diffusée par la fenêtre. L’émission : la pluie. Kevin Doherty http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 92 98 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Sauvages Quand est-ce que ma ville sera sans violence Le bruit des coups de feu tous les soirs La police hors de vue Les mères en larmes pour leurs enfants, qui vivent dans la peur 314 morts en Irak, 509 morts laissés à Chicago Les gens se plaignent du changement, mais il n’y a pas d’action Des milliers laissés morts dans ma ville et les tireurs ne montrent aucune pitié Ce n’est pas vivre C’est la jungle dans mon monde Des sauvages occupent ma ville Alfonso Soto Published by Via Sapientiae, 2015 93 99 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 On m’avait dit que ce serait difficile A ce point Néanmoins On m’avait dit que ce ne serait pas facile Cette vile vie Qui par moments nous engloutit Et nous laisse conscrits déconfits Sans cesse Et sans détresse Cette vie travestie Cette lie d’abrutis Ce puit infini Mais par ailleurs Au fil des peurs Au fil des malheurs Le bonheur Est souvent à l’heure Pascale-Anne Brault http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 94 100 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Je dérive dans l'espace négatif, Un froncement de sourcils Sur mon manque de visage, Tentant d'entendre, D’une oreille ténue, Ce que personne ne dit dans cet endroit, Déshabillée Dans des vêtements inconnaissables, Je prends une pose impossible, Puis pose ma non-tête Sur mon lit d'ombre, Et quand je me réveille, Je m’assoupis. Je mange un semblant de morceau, Aujourd'hui dans la nuit négative, L'eau que je bois de mon évier fictif, Est aussi sèche que l'obscurité est lumière, Je jette une balle éphémère contre un mur impalpable, Elle rebondit et atterrit dans mes mains fuyantes, Il est difficile de garder une trace de tout cela. J’aimerais être positif, mais je suis coincé dans une ornière négative. Je ris quand je suis triste, Quand je suis en colère, je suis heureux, Tout ce que j’ouvre, je le ferme. Je cours une course à l’envers, Maintiens un rythme imprécis. Quand je gagne je perds. C’est étrange l'espace négatif. Traduction de « Negative Space» de Jack Prelutsky Sarah Luyengi Published by Via Sapientiae, 2015 95 101 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Communiqué égaré Je suis amusée par l’absence instable de ma lettre Ou bien plutôt, est-ce ta lettre maintenant ? En l’envoyant, change-t-elle de propriétaire ? Cela se passera-t-il dès qu’elle arrivera ? Se pourrait-il que cette lettre N’ait jamais été la mienne en fait Qu’elle ait été projetée depuis sa création pour toi. (Bien que, pendant sa dérive, je déclare son autonomie.) Telle une petite chose Chargée d’exigences puissantes, Évoquant une petite vague d'espoir. « Elle sera ici aujourd'hui » Doucement tu le veux dans le silence Du noir fondu rapidement à l'intérieur. Je suis sûr que ce serait se moquer de tout ce bruit. Quelle est donc la signification D’une correspondance perdue? Sa signification est déjà au-delà de ma portée Peut-être qu'elle était toujours Déjà au-delà de ma portée Mais pourtant, elle fait un geste Vers certaines limites de moi, Même si aucune lettre n’est reçue Et certainement pas le contenu D'une note malheureuse Destinée à tout corps plus réel que celui-ci Je suis le rêve que tu rêves et le rêve que je rêve Et tous les espaces étalés entre les deux http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 96 102 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Qui, ou quoi, exactement durera des siècles? Une poussière de pollen recouvrant les voies que j’aurai empruntées laissera une tache de couleur souillant les gants de ceux qui suivent de trop près. Je suis cryptique. Où est ma lettre? Ashley Fleshman Published by Via Sapientiae, 2015 97 103 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Barbe à papa un jour de pluie Ne regarde pas maintenant Je suis en train de dépérir Dans la grisaille de mes matinées Ou le blues de chaque nuit Est-ce que ce sont mes ongles qui continuent de se casser Ou peut-être le cor sur mon deuxième petit doigt de pied Les choses continuent d’émerger sur mon visage ou de ma vie Il semble que peu importe combien J’essaie, je deviens plus difficile à serrer dans les bras Je ne suis pas femme facile à désirer Ils ont demandé aux psychiatres, aux psychologues, aux politiciens et aux travailleurs sociaux La raison pour laquelle on se souviendra de cette décennie Il ne fait aucun doute que ce sera pour la solitude Si la solitude était un raisin le vin serait un grand cru Si c’était du bois les meubles seraient en acajou Mais puisque c’est la vie c’est de la barbe à papa http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 98 104 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 un jour de pluie La douce essence sucrée de la possibilité jamais tout à fait arrivée à échéance Je me suis enorgueillie d'être dans cette grande tradition bien que propre au cirque que le spectacle doit continuer bien que dans ma communauté l’expression soit C’est pas un singe qui va arrêter le spectacle Nous nous alignons tous sur un certain point à mi-chemin pour enfiler notre chemin à travers l’ennui et la futilité à la recherche du ruban bleu et de la médaille d'or Pour la plupart, on les compare à des étiquettes sur aliments Nous sommes consumés par des gens qui chantent la même vieille chanson RESTE: aussi doux que tu es dans mon coin juste un peu plus longtemps change pas chéri, chéri change pas Ou peut-être Mais quoi que tu fasses Quelque chose doit changer Certains disent que tout va changer J’ai besoin d'un changement de rythme de visage d’attitude et de vie Bien que j’aspire à ma solitude Je sais que j’ai besoin de quelque chose Published by Via Sapientiae, 2015 99 105 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Ou de quelqu'un. Ou . . . J’étrangle mes mots aussi facilement que je le fais avec mes larmes J’étouffe mes cris aussi souvent que je lance mon sourire éclatant ça ne veut rien dire Je suis de la barbe à papa un jour de pluie le rêve non réalisé d'une idée à naître Je partage avec les peintres le désir De mettre une image en trois dimensions Sur une surface unidimensionnelle Traduction de « Cotton Candy on a Rainy Day de Nikki Giovanni Shawneice Floyd http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 100 106 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 À propos de CTA Marchands de trains ! Marchands d’autobus ! Publicités ! Escaliers ! Quais ! Arrêts de bus ! Je vous hais, CTA ! Car, dans votre état, en retard, arrêté, Vous niez nos programmes, notre bonheur, notre sécurité ! Car vos wagons bondés ne sont pas suffisants ! Car avec vos annonces abrasives, vous êtes exaspérant! Car vous vous arrêtez toujours, et vous m’inquiétez ! Car vous nous laissez serrés comme des sardines et vous êtes lents ! – J’ai mal à la tête Rien qu’à songer aux jours, avec beaucoup de chagrin, Pluie lourde de la nuit, j’ai manqué le dernier train brun ! Que de tragédie ! De tristesse ! De froideur ! – douleur ! – Que de chutes violentes aux arrêts de train ! – quel malheur ! – “Chicago and State is next,” ils ont dit, mais je n’étais pas prête ! Je regardais la carte au-dessus, cet arrêt n’était pas le bon, Et je balbutiais : “Je ne peux pas voir… Je vais vers 95th, mais je veux aller vers Howard!” Or à ce moment-là, je me suis rendue compte, Qui était vraiment la menace dans ce conte, – Un rendez-vous avec l’app “Transit” a tout révélé. Grands dieux ! CTA est vraiment facile, c’est mon attitude qui est obtuse ! D’après « A propos d’Horace » de Victor Hugo Laura Williams Published by Via Sapientiae, 2015 101 107 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Mon ami La place était pleine de gens. Devant moi marchait mon ami. Il n’avait aucune idée d’où nous étions, Mon ami. La place était vraiment maussade. Le vent me poussait comme un ennemi. Et je suivais, pendant cette promenade, Mon ami. Il parlait en phrases optimistes De ses espoirs trop simplistes. Je pensais déjà Qu’après ses vides paroles On irait loin de l’école Afin d’éviter les dégâts. La place était bondée Je lui ai pris la main, il a froncé les sourcils. Il avait des doutes fondés Mon ami, mon ami… Dans sa chambre à l’université Une bande d’étudiants Le saluait chaleureusement. On a imaginé, on a beaucoup divagué, Ils voulaient tout savoir. Mais moi, je m’en écartais. Moscou, Londres Et les Champs-Elysées On les a tous explorés Et l’on a flâné. Et puis ils ont discuté http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 102 108 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 En souriant à l’avance Des plans pour les vacances Et on a chanté. Et quand la place fut vide, Tous les étrangers étant partis Je suis restée seul sans mon ami. Sans ami. Plus question de phrases optimistes Ni d’avenir conformiste. On n’en était plus là. Fini les débats éhontés Et les accusations commencées. C’est, c’était loin déjà. Que ma vie me semble balafrée Mais je sais qu’un jour à Cracovie C’est moi qui le guiderai Mon ami, mon ami… D’après « Natalie » de Pierre Delanoë Alicja Kubas Published by Via Sapientiae, 2015 103 109 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Parmi les débris Ramassez la camelote que personne n'apprécie Embrassez les parias qui ont besoin d’éclaircies Savourez les quignons que tout un chacun rejette Tirez des leçons des erreurs que tout le monde regrette Faites la vendange dans l'intimité des ruelles Dans le noir, mystérieuses, fidèles Plantez des tulipes dans un bidon sale et gris Hébergé dans un tas d'ordures, parmi les débris Cette œuvre d'art semble assez simple Jusqu’à ce qu’on fasse une halte et regarde de plus près Notez qu’elle est en fait constituée De cotons tiges et de perles nacrées Un jour, côtoyez les gens qui vous découragent Ces choses qu'on tient pour acquises causent quelques remous. Mais boudez-les, n’ayez pas l’air penaude Cherchez la magie, devenez gourou Utilisez le verre brisé pour décorer les ombres Analysez les solitaires, méditatives et sombres Voyez les idées qui comme les arbres, sont toutes fortes et bien plantées Observez les larmes reposer doucement comme la rosée Caroline Lucius http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 104 110 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Caricature Censure Césure Clôture Coupure Couverture Capture Déchirure Écorchure Effaçure Etranglure Fêlure Flétrissure Fracture Imposture Injure Ligature Meurtrissure Noircissure Parjure Pourriture Rupture Salissure Sépulture Serrure Souillure Torture Zébrure Pourvu que ce ne soit pas là notre futur Arthur Rature Published by Via Sapientiae, 2015 105 111 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Un rendez-vous avec le poète Virgile Je ne songeais pas à Virgile ; Virgile de Rome vint à moi ; Nous parlâmes de ce poème inutile, mais je pensais au fond de moi : « Virgile, je ne t’aime pas. » J’étais triste comme les nuages ; je marchais sous la pluie ; mon cœur me disait: « Quel dommage, » son œil semblait dire : « Est-ce l’ennui ? » La fleur m’offrait sa beauté, le soleil ses rayons ; j’allais ; j’écoutais la royauté, et Virgile, les papillons. Moi, vingt-trois ans, et l’air fragile ; lui, mort ; esprit lointain rempli de malaise. Les papillons louaient Virgile et un chat noir m’appelait, qu’il n’en déplaise. Virgile, avec ses poèmes, me dit que la clé venait du cœur pour vivre une vie de bohème. Impossible d’être tricheur. Je ne peux pas écrire de poésie épique, ou rendre Hugo fier ; et la nature amoureuse est pour moi trop archaïque. Tout comme la poésie d’hier. Virgile riait de tout, et moi, je ne riais de rien, il me semble que je lui dis « adieu à vous » http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 106 112 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 parce qu’il était herculéen. Je ne savais que lui écrire ; je ne l’ai pas suivi en Enfer, mais je savais qu’il allait mourir, et que ses poèmes entre mes mains je préfère. Peut-être qu’un jour j’écrirai un poème, qu’en rencontrant tous les dieux « vous créerez un requiem ! » dit le même poète Virgile, le merveilleux. D’après « Vieille chanson du jeune temps » de Victor Hugo Morgan Greene Published by Via Sapientiae, 2015 107 113 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Le pauvre homme et le petit marchand de primeurs Un petit marchand de primeurs debout Derrière son stand rhomboïdal, Encerclé d’un ramassis de gens, Une église de style rococo non loin Parmi ce ramassis de gens, Un pauvre homme Il put remarquer Cet homme Qui toujours allait au marché, Qui jamais causait de problèmes, Semblait crier famine Le pauvre homme S’approcha du stand rhomboïdal Et discrètement, Chaparda une vilaine pomme rabougrie Le petit marchand de primeurs Qui n’était pas un ramolli, Sut tout de suite, Que le pauvre homme avait resquillé Le petit marchand de primeurs d’une voix rauque Somma le pauvre homme Qui ne se retourna pas D’aucuns auraient appelé la police, Ordonné une commission rogatoire, Mais le marchand de primeurs ne crut pas cela nécessaire Au contraire n’étant pas rancunier http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 108 114 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 Le petit marchand de primeurs choisit une belle pomme, Rattrapa le pauvre homme affamé, Et la lui échangea contre sa vieille pomme rabougrie La prochaine fois le pauvre homme N’aura pas à resquiller, Parce que le petit marchand de primeurs, Derrière son stand rhomboïdal, Lui gardera une belle pomme ferme et croquante Denise Macias Published by Via Sapientiae, 2015 109 115 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Au fond du ciel Je vous laisse vous en aller, les bras grand ouverts, J'ai tout laissé là-bas, le prendre, le quitter, et il n'y rien à cacher, Vous voyageriez au loin, qu'il n'y aurait pas aucun repos, Pas de regret à trouver, à renier, dans la découverte Il y a trop longtemps, trop dur à affronter, Maintenant trop fatigué pour me laisser aller au frisson de la poursuite, Seul ici au fond du ciel Sans espoir, sans prière, plus la volonté de rester, Trop de lettres, trop de lignes, trop de fois j’ai essayé d'écrire tout ça, Maintenant l’émotion se gonfle sur les remparts dans la baie, Les rêves se sont transformés en sécheresse, L’innocence de l’encre s’est épuisée, Debout ici tout seul au fond du ciel Pendant des années j'ai attendu, j'ai attendu pour voir, Si la foi pourrait braver la peur, et si vous pourriez vous libérer, Avec chaque saison, toutes ces raisons, Étaient les tempêtes qui vous gardaient silencieux en mer au loin, Une fois congelé, maintenant décongelé, L'espoir s'estompe au crépuscule, et finalement c'est fait, Maintenant, le deuil est fini, Je me suis enfin trouvé moi-même, Tout seul au fond du ciel http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 110 116 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 J'ai continué à feindre que ce qui était cassé n’était vraiment que fêlé, Que l'amour réparerait ce que j’aurais voulu être une fin de contes de fée, Une autre tentative ensemble, quand toujours est déjà à jamais Sachant dans mon cœur que ce rêve ne se réalisera jamais, Dire adieu au fond du ciel Black Hawk Hancock Published by Via Sapientiae, 2015 111 117 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Le bébé Ouin ! Ouin ! Il est trois heures du matin. Le bébé N’arrête pas de pleurer. Le bébé a recraché Tout ce qu’on lui a donné. On essaie de l’habiller Mais il pique une crise Qui va me faire exploser. Finalement on met sa chemise, Puis on le met dans la voiture Où il me torture. Au milieu de mes cours, On m’appelle au secours A la crèche Où la maîtresse A été mordue Par le petit monstre joufflu. Je le garde à la maison Où je veux le condamner à la prison. La maison pue Je me demande pourquoi Et ce que je vois Est un bébé tout nu En train de baver sur mes draps. Là, c’est trop ce n’est plus rigolo AAArrrggghhh ! Je tombe par terre Quelle horreur d’être frère. Elias Widawsky http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 112 118 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 La leçon Apprendre le français, c'est ce qu'il aurait voulu. Mais au lieu de dire beaucoup, il disait beaucul. Il était toujours faim, mais il avait tort. Avoir faim, c’est correct. En français, il n’était pas fort. Le nuit, la trou, le main, la monsieur. Il ne faisait que des fautes. Que c’était fastidieux! Après des jours, tout d’un coup, Il prononçait beaucoup, et coucou, et hibou. Il avait fini, il était fatigué. Des verbes corrects il savait utiliser! Le jour, la manche, le dos, la vue. Masculin ou féminin, le français il l’a vaincu! Et pour bien clarifier la morale de cette histoire: Pour apprendre le français, vouloir c’est pouvoir. Marnice Lewis Published by Via Sapientiae, 2015 113 119 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 120 Brault: Mille-Feuille Magazine Littéraire Spring 2015 French Program at DePaul University The French program provides students with a solid background in the linguistic and cultural understanding necessary to life in a global world. The B.A. and Masters programs encompass the interdisciplinary interests of its faculty. Courses include language and culture, French and francophone literature, civilization, translation, phonetics, business, film, pedagogy and women’s studies. Students learn in exciting ways as professors work with innovative pedagogies and organize lectures, conferences, and other cultural activities. In addition to the traditional Major, a French Major with certification for teaching French at the secondary level is offered. Minors in the French Language, Commercial French and French Translation are also available. Students are strongly encouraged to study abroad through one of DePaul’s three programs in France and to take advantage of the variety of internships in professional French-speaking environments the city of Chicago has to offer. The program focuses on the development of critical and creative thinking skills and fosters a multicultural perspective through the study of other cultural and conceptual systems. For more information, please visit: http://las.depaul.edu/mol/Programs/French/index.asp Published by Via Sapientiae, 2015 121 Mille-Feuille Magazine Littéraire, Vol. 21 [2015], Art. 1 Study Abroad Language Programs in France DePaul’s Study Abroad Program offers language programs in France that provide students the opportunity to experience French culture as well as hone their language skills. Paris - Alliance Française (Spring Quarter) Study French at the world-renowned Alliance Française while experiencing the rich cultural and political life of Paris. Enroll in 8 credits of French language, a course taught by a DePaul faculty member in his/her field of expertise, and a French Art History course. Paris IES (Academic Year or Winter-Spring) Designed for advanced French students with all courses taught in French, this program offers some courses at the IES center and arranges others through enrollment in French universities. Located in an area bustling with cafés, theaters, and artisan workshops, the IES Center encourages students to integrate into the French community and develop their language skills. Internships available. Sciences Po University Exchange Program (Academic Year) With campuses in Paris, Dijon, Menton, Nancy, Poitiers, Le Havre or Reims, students’ area of interest determines which campus is best suited to their needs. Ideal for independent students interested in an exchange program. The deadline for Academic Year programs is February 1 and the deadline for Winter-Spring/Spring programs is May 1. For more information, please visit: www.studyabroad.depaul.edu http://via.library.depaul.edu/millefeuille/vol21/iss1/1 122